M. Jacques Mézard. Vous n’avez pas compris ma proposition !

M. Philippe Kaltenbach. Au cours du débat, nous pourrions même envisager d’aller jusqu’à cinq. Mais encore faut-il que le débat ait lieu ! C’est pourquoi il ne faut pas y mettre fin tout de suite ; essayons plutôt de trouver des points d’accord.

S’agissant des grandes régions, le rapporteur ainsi que Didier Guillaume sont favorables à ce qu’on puisse remonter le nombre de conseillers régionaux.

Vous le voyez, mes chers collègues, à partir d’une réforme qui est critiquée, et que nous-mêmes, socialistes, souhaitons voir évoluer, nous faisons des propositions. Notre conviction est que le Sénat, assumant sa responsabilité, doit s’emparer de ce texte et en débattre.

Hier, nous avons même déposé un amendement visant au maintien de conseils départementaux élus après 2020 dans les zones rurales. C’est encore une ouverture ; c’est même une avancée considérable.

M. René-Paul Savary. La véritable avancée, c’était le conseiller territorial !

M. Philippe Kaltenbach. Lorsqu’on vous tend la main, saisissez-la ! Une fois que le train est passé, on ne sait pas quand il repassera.

M. Jean-Claude Lenoir. Le train, il est en train de dérailler !

M. Philippe Kaltenbach. Saisissez-vous de ce débat. C’est ce à quoi nous invitons l’ensemble des sénateurs.

En conclusion, je rappellerai que, voilà quelques mois, mes chers collègues, nous avons su finalement nous rassembler autour de la loi relative aux métropoles.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Mais il y avait eu deux lectures !

M. Philippe Kaltenbach. Le président Jean-Jacques Hyest a souligné tout à l'heure que nous avions alors su dépasser nos clivages politiques pour travailler ensemble et que, grâce à la sagesse et aux contributions du Sénat, ce texte avait été considérablement amélioré.

Il serait regrettable que, sur la présente réforme, le Sénat ne puisse pas faire de même. Ce serait regrettable pour cette réforme, mais aussi pour le Sénat, qui, outre son rôle de législateur, est le représentant des collectivités locales.

Comme vous avez pu le constater, mes chers collègues, le groupe socialiste s’est pleinement impliqué dans ce débat pour faire émerger un projet de réforme qui soit en cohérence avec des valeurs sur lesquelles nous pouvons tous nous retrouver. Je vous ai présenté nos propositions, nous les mettons en débat, nous sommes ouverts à des évolutions. C’est maintenant à l’ensemble des groupes de faire part de leurs propositions.

J’ai entendu beaucoup de critiques. J’aimerais entendre davantage de propositions (Exclamations sur les travées de l'UMP.), et surtout entendre une volonté de construire ensemble cette nouvelle loi. Le groupe socialiste souhaite que le débat aille à son terme et que le Sénat joue pleinement son rôle en améliorant ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. René-Paul Savary. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais essayer de ne pas être redondant par rapport aux interventions précédentes et de me placer dans la perspective de ces grandes régions, de ces grandes intercommunalités et de la suppression des départements.

Je vous avoue, monsieur le ministre, que, en vous entendant hier énumérer vos quatre objectifs, j’ai été charmé par votre idée de créer de grandes régions qui se consacrent au développement, à l’innovation, à l’investissement, et cela tout en réalisant des économies de fonctionnement. J’ai cru que nous étions revenus en 1986 !

Il se trouve que j’ai eu la chance d’être pendant dix-huit ans conseiller régional et conseiller général. À cette époque-là, souvenez-vous, mes chers collègues, 80 % du budget des régions étaient consacrés aux dépenses d’intervention et 20 % aux dépenses de fonctionnement.

M. René-Paul Savary. Quant au budget des départements, la proportion était et est restée respectivement de 30 % et de 70 % pour les dépenses d’investissement et de fonctionnement.

Il y a donc un équilibre.

Monsieur le ministre, nous partageons votre volonté de faire émerger de grandes régions stratégiques, tournées vers l’innovation, le développement économique, l’environnement au sens large du terme, la formation, l’emploi ou encore l’aménagement de grandes infrastructures. Mais encore faut-il que cette volonté trouve sa concrétisation dans votre projet de loi ! Car quelles sont les compétences que vous proposez de transférer aux régions ? La gestion des routes et des collèges, ce qui suppose un personnel nombreux, pour assurer l’entretien de ces routes, la propreté de ces établissements, etc.

En tant que président du conseil départemental de la Marne, je suis gestionnaire de 4 000 kilomètres de routes et j’ai sous ma responsabilité 400 fonctionnaires chargés de leur entretien. En outre, mon département compte quarante-sept collèges publics qui emploient 476 personnels TOS.

Si vous créez de grandes régions comme Picardie-Champagne-Ardenne ou, pis, Champagne-Ardenne-Lorraine-Alsace,…

M. René-Paul Savary. … vous aurez un ensemble appelé à gérer 600 collèges, 400 lycées, 15 000 personnes et 40 000 kilomètres de routes ! Pensez-vous véritablement tirer ces régions vers le haut en leur collant un tel poids ? Avec des collectivités ayant de 10 000 à 15 000 personnes à gérer, va-t-on vraiment dans le sens du développement ? C’est surtout la proximité qu’on fait disparaître !

Et les régions auront toujours en charge les TER. J’ai demandé son avis sur la question au président de ma région, la région Champagne-Ardenne, et je n’ai pas été déçu, car il est venu expliquer devant les conseillers départementaux que, quand vous gérez un TER, vous ne pouvez évidemment pas avoir la même approche en Champagne-Ardenne, qui compte 54 habitants au kilomètre carré, et chez nos amis Alsaciens, où la densité de population atteint 220 habitants au kilomètre carré !

M. René-Paul Savary. Quant à nos amis Lorrains, ils sont 103 au kilomètre carré, et à nos amis Picards, 99 au kilomètre carré.

M. Jean-Pierre Sueur. Vous avez des amis partout, mon cher collègue ! Bravo ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. René-Paul Savary. Il est clair que, quand on gère le TER, les recettes l’emportent sur les dépenses dans les zones densément peuplées, alors que c’est l’inverse en zone rurale, du fait de la modicité des recettes.

M. Alain Néri. Et la péréquation, ça sert à quoi ?

M. René-Paul Savary. Donc, vous n’arriverez pas à convaincre les élus de réaliser des investissements dans des zones où les usagers font défaut, quand il faut encore en réaliser là où la population est importante.

Le problème est le même dans le domaine du numérique. Les schémas directeurs territoriaux d’aménagement numérique…

M. Alain Néri. Vous êtes contre ?

M. René-Paul Savary. … ont déjà été élaborés sur le plan régional ; il va donc falloir les faire concorder si vous regroupez les régions. Ils sont déclinés à l’échelon départemental, et le chantier a bien avancé. Quand vous allez mettre tout cela ensemble, croyez-vous vraiment que vous améliorerez la performance ? Pour avoir des opérateurs, il faut que vous soyez le maître d’ouvrage, mais comme les opérations de développement des réseaux ont déjà débuté, vous ne gagnerez rien à mutualiser le numérique, pas plus que le TER.

M. Alain Néri. Et quand vous avez transféré les TOS et des agents des DDE ?... (Protestations sur les travées de l’UMP.)

M. René-Paul Savary. Permettez que je poursuive ma démonstration, monsieur Néri !

C’est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, il faut des régions qui aient une certaine cohérence, une complémentarité, une identité…

Cela montre en tout cas qu’il faut une réflexion sur ces sujets.

Un autre problème se pose : celui du chef-lieu de région. (Ah ! sur les travées de l'UMP.)

Quand vous êtes élu dans un département dont le chef-lieu est aussi le chef-lieu de région, vous travaillez en permanence avec le préfet, vous nouez avec lui des liens plus étroits que les élus des autres départements.

En Champagne-Ardenne, ce sont 300 postes à la préfecture qui seront délocalisés si Châlons-en-Champagne n’est plus chef-lieu de région, car on ne va évidemment pas garder deux ou trois préfectures de région ! Au total, pour l’ensemble de la région Champagne-Ardenne dans sa configuration actuelle, cela fera 600 personnes. Et quand vous parlez avec le général de gendarmerie, vous vous rendez compte qu’il faut encore y ajouter 50 à 70 personnes. Vous discutez avec le recteur : 520 personnes de plus. Et encore 400 personnes liées à l’organisation territoriale. D’où notre inquiétude !

Démontrez-moi, monsieur le ministre, que je me trompe et que toutes ces personnes ne seront pas délocalisées si Châlons-en-Champagne, par exemple, n’est plus chef-lieu de région.

M. Didier Guillaume. Et comment a-t-on fait, avant, pour les TOS ?

M. Alain Néri. Vous ne vous rappelez pas ce qui s’est passé quand on a transféré des agents des DDE ?... On a bien délocalisé du personnel, non ?

M. Didier Guillaume. Idem pour le RSA et le handicap !

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. À vous suivre, monsieur Savary, il ne faut faire aucune réforme !

M. René-Paul Savary. Si, monsieur le ministre, il faut réformer. Mais la bonne réforme serait celle qui conférerait aux régions, non pas des compétences de proximité, mais des compétences en matière de développement, d’emploi, d’innovation, d’enseignement supérieur, de recherche.

Voilà pourquoi il faut garder un échelon départemental qui a fait la preuve de son efficacité et de son expertise, de sa capacité à mutualiser. Sa « subsidiarité » est indispensable à l’équilibre des territoires.

Mme Fabienne Keller. Très bien !

M. Philippe Kaltenbach. Ça, ce sont des mots !

M. René-Paul Savary. Telle est ma conception du développement de nos territoires.

J’en viens à la question du seuil des 20 000 habitants nécessaires à la formation d’une intercommunalité. Monsieur le ministre, si l’on applique ce seuil dans un département comme le mien, où par endroits la densité de population ne dépasse pas 7 habitants au kilomètre carré, je me retrouverai avec six intercommunalités, dont une qui représentera le quart de la population du département, un département de quelque 8 000 kilomètres carrés, soit quasiment la superficie du Haut-Rhin et du Bas-Rhin réunis !

Par conséquent, pour former six intercommunalités appelées à exercer une partie des compétences du département, notamment dans le domaine social, on créera six petits départements qui n’auront pas la taille critique pour avoir l’expertise que les départements ont acquise en trente ans de décentralisation.

M. Didier Guillaume. C’est bien pour cela qu’il faut débattre et faire évoluer le texte !

M. Philippe Kaltenbach. Vous critiquez, mais vous ne proposez rien !

M. René-Paul Savary. Vous l’avez compris, monsieur le ministre, je ne suis pas favorable à la nouvelle carte des régions que vous proposez et j’ai besoin pour avancer dans ma réflexion de garanties concernant les chefs-lieux et les compétences des futures régions.

On en revient donc au point de départ : tant qu’on ne connaît pas les compétences des futures régions, on ne peut pas redécouper la carte des régions. Il y a une logique à respecter si l’on veut réformer notre organisation territoriale et c’est ce que j’ai essayé de vous démontrer. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Claude Dilain.

M. Claude Dilain. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai écouté avec beaucoup d’attention ce débat, passionnant et passionné, et j’en retire deux convictions très fortes.

La première est qu’il faut faire cette réforme territoriale.

Mme Éliane Giraud. Très bien !

M. Claude Dilain. La deuxième est que le Sénat doit être le moteur de cette réforme, ou du moins son artisan principal.

M. Didier Guillaume. Voilà la sagesse !

M. Claude Dilain. Il faut faire cette réforme territoriale parce que tout le monde la veut ! Du reste, personne ici n’a dit qu’il ne fallait rien changer, que maintenir le statu quo était l’idéal. Personne ! Ce serait d’ailleurs difficile puisque, depuis des années, dans tous les groupes, et parfois même ensemble, nous travaillons à l’élaboration d’une réforme territoriale.

Et nous ne sommes pas les seuls à vouloir une réforme territoriale : les observateurs la veulent aussi, qu’ils soient journalistes, universitaires, acteurs du monde économique, qu’ils soient français ou étrangers. Car, vue de l’étranger, notre architecture républicaine paraît parfois quelque peu insolite.

Tout le monde veut une réforme territoriale, sachant que celle-ci ne doit pas seulement consister à tracer des limites de territoires,…

M. Jean-François Husson. C’est bien, pourtant, ce qui est proposé aujourd'hui !

M. Claude Dilain. … qu’elle doit aussi viser à clarifier les responsabilités des uns et des autres, à simplifier les procédures. Qui, dès lors, voudrait s’y opposer ?

M. Jean-François Husson. Ah, le choc de simplification !

M. Claude Dilain. Il y a des années que nous tournons autour de cette réforme. Je ne dis pas qu’on n’a rien fait durant toutes ces années : il y a eu des pas en avant, éventuellement un peu timides, mais aussi, parfois, il faut le reconnaître, des pas en arrière.

M. Jean-Claude Lenoir. La suppression du conseiller territorial, par exemple, ce fut un pas en arrière !

M. Claude Dilain. Eh bien, ce gouvernement nous propose courageusement une réforme territoriale. Je crois qu’il faut saisir cette occasion. Il est toujours extrêmement inquiétant et dangereux de remettre à demain ce qu’on peut faire aujourd’hui.

M. Jacques Mézard. Et surtout de changer de politique tous les trois mois !

M. Claude Dilain. On a toujours de bonnes raisons de remettre à plus tard, surtout quand il s’agit d’une réforme compliquée.

Pourquoi le Sénat doit-il être l’artisan majeur de cette réforme ? Je ne vais pas rappeler une fois de plus les termes de l’article 24 de la Constitution, mais, à l’évidence, nous sommes le mieux placées pour mener cette réforme.

Je ne citerai pas non plus les nombreux rapports qui ont déjà été maintes fois mentionnés, mais je constate que tout le monde parle du rapport rédigé par Jean-Pierre Raffarin et Yves Krattinger, certains affirmant toutefois que le projet du Gouvernement n’a rien à voir avec ce rapport. Eh bien, si le rapport Raffarin-Krattinger, c’est le paradis (Marques d’approbation amusées sur les travées de l'UMP.), rien ne nous empêche de prendre le chemin qui nous permettra de nous en rapprocher.

M. Claude Dilain. Cela dit, à titre personnel, je ne sais pas si je suis digne de l’atteindre… Je veux parler du paradis ! (Sourires et exclamations.)

M. Jean-Claude Lenoir. Là, vous devez plutôt vous préparer à prendre le chemin du purgatoire ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. Claude Dilain. Le Gouvernement n’y est pas hostile : il n’a pas dit que le texte était à prendre ou à laisser, il nous a invités à travailler. Eh bien, travaillons !

Je voudrais vous faire part d’une expérience qui m’a marqué, car, bien que je ne sois sénateur que depuis trois ans, j’ai quand même déjà en mémoire quelques souvenirs un peu aigres. Je veux parler de l’examen par la Haute Assemblée du texte relatif à la métropole du Grand Paris. J’étais rapporteur pour avis et j’ai vu le Sénat, dans sa grande majorité, balayer d’un revers de main joyeux le projet du Gouvernement.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. En effet !

M. Claude Dilain. Tout le monde dans l’hémicycle était content parce qu’on allait envoyer à l’Assemblée nationale une « page blanche ».

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Non, ce n’est pas pour cela que nous étions contents !

M. Claude Dilain. Une « page blanche », c’est l’expression qui avait été employée, et cela en faisait sourire plus d’un.

Eh bien, mes chers collègues, les députés savent écrire, et la page blanche, ils l’ont remplie. Ensuite, lorsque le texte est revenu au Sénat en deuxième lecture, j’ai vu certains sourires se crisper… Du reste, quand on relit certaines interventions, on perçoit quelques regrets.

M. Didier Guillaume. Très bien !

M. Claude Dilain. Aussi, mes chers collègues, sur un sujet encore plus important que la métropole du Grand Paris, ne commettons pas la même erreur. Il faut que nous nous saisissions de ce texte.

Son examen, c’est vrai, ne peut qu’être difficile parce que nous sommes dans une situation de conflit entre des intérêts également légitimes. Mais, en France, il existe une porte de sortie lorsqu’on est confronté à ce type de conflit : cela s’appelle l’intérêt général. Contrairement à ce qu’il en est dans les pays anglo-saxons, chez nous, l’intérêt général n’est pas la somme des intérêts particuliers : c’est une façon de transcender les intérêts particuliers.

C’est le travail que je vous invite à faire aujourd’hui, mes chers collègues.

M. Jean-François Husson. C’est touchant, mais, sans majorité, ce sera difficile !

M. Claude Dilain. Ce sera difficile, mais personne n’ignore que, à quelques pas d’ici, place du carrefour de l’Odéon, il y a une statue de Danton.

M. René-Paul Savary. « De l’audace ! »

M. Jean-Claude Lenoir. Il a passé sa dernière nuit dans ce palais !

M. Claude Dilain. Sur le socle de cette statue, est en effet inscrite la fameuse phrase que Danton a prononcée le 2 septembre 1792, alors que la patrie était en danger, devant l’Assemblée législative : « Il nous faut de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace ! »

M. Jacques Mézard. Et surtout de la compétence !

M. Claude Dilain. Aujourd’hui, la patrie n’est pas en danger, et c’est tant mieux, mais je crois que le pays a besoin d’un souffle de modernité et d’efficacité. Peut-être n’est-il pas besoin d’audace pour insuffler ce renouveau, mais, ce qui est sûr, mes chers collègues, c’est qu’il y faut du courage. Oui, mes chers collègues, il nous faut du courage, encore du courage, toujours du courage ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Caroline Cayeux. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme Caroline Cayeux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici invités à discuter dans l’urgence d’un projet de loi lui-même rédigé dans l’urgence et qui, pourtant, concerne l’avenir de nos collectivités, de nos territoires et de ceux qui y vivent.

Cette urgence, je le rappelle, est née d’une débâcle électorale sans précédent, signe d’une condamnation sans appel de la politique gouvernementale.

L’écrivain et romancier américain d’origine russe Isaac Asimov disait : « Souvent, les gens prennent leurs propres lacunes pour celles de la société qui les entoure et cherchent à réformer ladite société parce qu’ils sont incapables de se réformer eux-mêmes ».

Mes chers collègues, nous y sommes ! Dans l’urgence, il fallait réformer pour réformer, donner aux Français l’image d’une majorité qui réforme quoi qu’il arrive, mais surtout sans aborder le fond.

On fait ici acte de communication, non de réflexion.

M. Philippe Bas. C’est vrai !

Mme Caroline Cayeux. Vous avez traité la forme et non le fond !

Mme Fabienne Keller. Tout à fait !

Mme Caroline Cayeux. En voulant, symboliquement, et pour des raisons qui tiennent plus à la communication politique qu’à une réelle vision de notre territoire, saborder notre organisation territoriale avant même de définir les compétences de chacun, vous avez posé le toit avant les fondations !

M. Gérard Larcher. Bien sûr !

M. André Reichardt. Très bien !

Mme Caroline Cayeux. Alors, évidemment, la maison n’est pas solide et il sera difficile d’y vivre !

Les oppositions, de tous bords, de toutes catégories sociales, de tous horizons, qui se multiplient partout dans le pays, et la façon dont sont organisés les débats parlementaires, dans la précipitation et l’amateurisme, démontrent de manière encore plus criante le caractère improvisé de cette réforme.

Cette carte des territoires, rédigée à la va-vite, n’est qu’un patchwork territorial, loin de l’ambition légitime que nous pouvions nourrir pour nos territoires et pour notre pays, bien loin de ce qu’il aurait été possible de faire si le Gouvernement, monsieur le ministre, avait pris le temps du dialogue, de la concertation et d’un débat parlementaire détendu.

Les élus locaux, dont nous faisons tous partie et dont vous avez fait partie, monsieur le ministre, ainsi que l’ensemble des Françaises et des Français sont conscients de la nécessité de réformer notre pays. Ils sont conscients aussi qu’il faut faire des économies et que cela supposera parfois des sacrifices. Toutefois, ils vous demandent du respect et de l’écoute. Je suis d’ailleurs convaincue qu’une réforme bien plus ambitieuse que la vôtre aurait été possible si le temps de la nécessaire concertation avait été pris.

Pourquoi avoir écarté par dogmatisme le conseiller territorial ? En effet, il avait l’avantage de donner à des élus une double vision, départementale et régionale, donc d’associer ces deux dimensions de manière complémentaire et cohérente, alors que, avec ce projet de loi, ce que vous proposez finalement de substituer au millefeuille territorial, ce sont 999 feuilles ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

Pour quelle réforme et pour quelles économies ?

Car, vous le savez, les économies ne seront guère au rendez-vous du jour au lendemain ; elles viendront au mieux dans dix ans. J’ose même prédire, à la suite de plusieurs collègues, que, avant d’être source d’économies, ces grandes régions coûteront cher.

Dans ce texte, on ne trouve aucune cohérence territoriale, aucune étude d’impact digne de ce nom, aucune trace de concertation, aucune vision de l’aménagement du territoire.

On veut faire fusionner des régions qui n’expriment aucune envie de se regrouper, des élus qui n’ont ni le désir ni l’habitude de travailler ensemble et des habitants qui ne se retrouvent pas dans une nouvelle communauté de destin.

Pis, demain, nos conseils régionaux seront des assemblées réunissant des élus n’ayant aucune vision commune, et qui devront défendre des problématiques tellement opposées qu’ils ne pourront obtenir aucun résultat.

Je prendrai l’exemple de ma région, la Picardie, et, en contrepoint, celle de M. René-Paul Savary, Champagne-Ardenne, avec laquelle on nous impose un mariage d’office, un mariage arrangé et arbitraire. C’est un contresens territorial, économique, social et humain.

En vérité, tout comme vous, cher collègue René-Paul Savary, nous ne voulons pas de ce mariage forcé.

Comment nos deux régions pourraient-elles avoir un destin commun ? Nous, nous n’avons jamais regardé vers l’est, alors qu’avec l’ouest – la Haute-Normandie et la Basse-Normandie – ou le nord – je pense au Nord-Pas-de-Calais –, nous partageons une façade maritime, des voies de circulation ou encore des objectifs économiques.

Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État – je salue votre arrivée dans l’hémicycle, monsieur le secrétaire d'État à la réforme territoriale –, quitte à réformer, faisons-le d’une manière plus rationnelle. Ne nous obligez pas à des unions forcées avec des régions vers lesquelles nous ne sommes guère tournés et avec lesquelles il nous sera difficile d’engager des partenariats.

Je me demande encore qui a eu cette brillante idée ! Comment en sommes-nous arrivés là ? J’ai finalement l’impression qu’après avoir fait droit aux demandes de vos amis, que ce soit pour réclamer ou pour refuser telle ou telle alliance entre régions, vous avez songé que l’heure tournait et qu’il en restait deux dont vous ne saviez pas très bien quoi faire. Vous vous êtes alors dit : « Il n’y a qu’à les mettre ensemble ! »

M. Philippe Bas. Exactement !

Mme Caroline Cayeux. Il fallait envoyer de toute urgence un second communiqué à l’Agence France-Presse avec quatorze régions, et hop ! la Picardie s’est retrouvée en Champagne-Ardenne…

De plus, vous déplacez les élections au moment des fêtes de fin d’année. Joli cadeau ! Cela va évidemment renforcer le parti des abstentionnistes. Et pourquoi pas le 15 août ? (Sourires sur les travées de l'UMP.)

Permettez-moi de vous dire qu’après le fiasco général des dernières élections européennes, votre choix est doublement incompréhensible. Vous n’avez tiré aucune leçon du message envoyé par les Français. Vous allez même accentuer leur colère et leur défiance à l’égard du monde politique.

MM. André Reichardt et René-Paul Savary. Eh oui !

Mme Caroline Cayeux. Et cerise sur le gâteau, ou plutôt cerise sur le millefeuille, on maintient les élections départementales !

Cela signifie que l’on va demander aux Françaises et aux Français de voter, à la Noël 2015, pour des élus appelés à disparaître, des élus qui n’auront par ailleurs plus aucune prérogative puisque votre second projet de loi a pour vocation de vider les départements de leur substance, d’en faire des coquilles vides !

Vous demandez ainsi expressément à des candidats de se présenter au suffrage universel pour ensuite se faire hara-kiri !

C’est non seulement une tromperie démocratique, mais encore un mensonge électoral !

Il va être difficile pour ces futurs candidats de trouver un programme. Quelle profession de foi rédiger ? Sur quels thèmes faire campagne ? Ils seront sûrement heureux de dire aux électeurs : « Votez pour moi, mais dans peu de temps, je disparais ! »

En vérité, mes chers collègues, cette réforme n’apporte aucune réponse concrète à l’état inquiétant de notre pays. Elle éloigne les citoyens des centres de décision, elle bipolarise la France entre grandes régions et métropoles, oubliant au passage les villes de France et la ruralité, qui sont le socle de notre organisation territoriale.

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Caroline Cayeux. Elle laisse de côté les territoires inframétropolitains, nos pôles de proximité, là où s’organise la vie dans notre pays. Elle crée une rupture dangereuse avec notre tradition territoriale, en occultant nos habitudes, nos modes de vie et nos bassins d’emploi.

C’est une réforme qui s’inscrit dans le droit fil de la mondialisation, contre laquelle nous essayons de lutter, une réforme qui renforce l’éloignement entre les centres de décision et nos concitoyens, avec une prime aux grands ensembles dont on sait que les Françaises et les Français ne veulent plus.

Mes chers collègues, quelles sont les élections pour lesquelles on enregistre le plus fort taux d’abstention ?

M. Jean-Claude Lenoir. Sûrement pas les élections sénatoriales ! (Sourires.)

Mme Caroline Cayeux. Celles dont les institutions semblent justement le plus éloignées des Français !

M. le président. Il faut conclure !

Mme Caroline Cayeux. Et quel est l’élu qui, selon les dernières études d’opinion, inspire le plus confiance aux Français ? Le maire, évidemment, puisqu’il s’agit du mandat de proximité par excellence ! La France n’est pas l’Allemagne, la France n’est pas les États-Unis. La France, c’est la France !

Notre pays s’est construit à travers son histoire ; celle-ci fut parfois douloureuse, mais c’est son histoire. Notre organisation territoriale, si imparfaite soit-elle, s’est construite au fil du temps et des équilibres territoriaux se sont établis. Modifier ainsi, de manière aléatoire, et quasi discrétionnaire, la carte de nos territoires, de nos lieux de démocratie est une sorte de coup d’État territorial que je trouve détestable. (Marques d’impatience sur les travées socialistes.)

Oui, mes chers collègues, un référendum s’imposait, la parole devait être donnée à nos concitoyens sur ce sujet qui touche à l’armature même de notre pays !