M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. … de laisser les choses en l’état, de persister à remplir les prisons au-delà de leur capacité d’accueil, d’y faire entrer des condamnés à des courtes peines, pour lesquels on sait très bien qu’aucune mesure d’accompagnement n’est possible, de continuer à avoir 98 % de sorties sèches pour les personnes condamnées à une peine d’emprisonnement de moins de six mois, lesquelles ont un taux de récidive d’environ 70 %, ce qui conduit à faire des victimes supplémentaires. (Mme le garde des sceaux acquiesce.)

Le laxisme, c’est se satisfaire d’une situation qui n’est pas tenable. À l’inverse, la responsabilité, l’efficacité, la prise de conscience, le courage, c’est proposer autre chose : c’est l’objet de ce projet de loi. J’espère que cette entreprise sera couronnée de succès. Je souhaite, tout comme vous, madame le garde des sceaux, que le Gouvernement y consacre les moyens matériels nécessaires.

Sous le bénéfice de ces observations, je vous invite, mes chers collègues, à adopter ce projet de loi dans le texte issu des travaux de la commission des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je veux le dire avec force : non à l’impunité !

L’impunité est délétère, elle brise la confiance en la justice. Nous sommes ici rassemblés pour débattre d’un projet de loi dont le but est d’y mettre fin.

Je débuterai mon propos là où Jean-Pierre Michel a excellemment conclu le sien. Mes chers collègues, pour que, comme nous le souhaitons, il n’y ait plus d’impunité, il faut que tout délit, toute infraction donnent lieu à une sanction.

Pour ce faire, il faut une pluralité de sanctions. La prison ne peut être la seule peine possible ! Penser le contraire, comme le font certains, relève du fantasme.

Par conséquent, madame le garde des sceaux, je tiens à rendre hommage au travail que vous avez accompli en vue de nous présenter ce projet de loi. Monsieur le rapporteur, je tiens également à vous remercier de votre fidélité totale à l’esprit du texte, qui consacrera bien trois types de peines distinctes : l’amende, la contrainte pénale, érigée au rang de peine en tant que telle, et la détention.

J’ai moi aussi lu les titres de ce journal du matin qui, sur six ou sept colonnes, a dénoncé la « gauche anti-prison ». Je dénonce cette formule : c’est une insulte, une imposture ! Nous ne sommes pas contre la prison : bien au contraire, nous pensons qu’il s’agit d’une institution républicaine et qu’elle est nécessaire. Nous visitons assez les prisons pour savoir combien le travail des personnels pénitentiaires, auxquels je tiens à rendre hommage, est difficile, combien leur tâche est rude.

Cela étant, si nous considérons que les prisons sont nécessaires pour protéger, punir et réinsérer, la détention ne doit pas être la seule peine possible et nous préconisons l’existence d’autres peines. Cela n’autorise personne à dire de nous que nous sommes « anti-prison » ! Tout le monde comprend qu’il s’agit là d’une imposture intellectuelle.

Aux auteurs de cet article, je demande de nous expliquer comment ils peuvent soutenir de telles allégations – parce qu’il y aurait d’autres peines, nous serions contre la prison – et ainsi jouer sur un certain nombre d’émotions élémentaires en prétendant qu’on ne mettra plus les gens en prison. Nous voulons que la prison soit une institution républicaine, où les détenus puissent bénéficier de conditions de vie plus favorables qu’actuellement (M. Jean-Jacques Hyest s’exclame), conformément aux dispositions de la loi pénitentiaire – cela demande des moyens, mais nous sommes d’accord pour fournir les efforts nécessaires – et, surtout, puissent se réinsérer.

Aux auteurs de cet article, à ceux qui lancent des campagnes, déclenchent les polémiques et qui, par un réflexe pavlovien tout à fait méprisable, crient au laxisme chaque fois que Mme Christiane Taubira ouvre la bouche, je réponds que le nombre de peines d’emprisonnement ferme est important, en particulier à la suite des lois qui ont été votées par les gouvernements précédents.

M. Jean-Jacques Hyest. Par le Parlement, cher collègue ! Jusqu’à preuve du contraire, c’est le Parlement qui vote les lois ! Ce n’est pas la même chose…

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Monsieur Hyest, vous avez cent fois raison : j’aurais dû dire « par la majorité précédente ».

Sur le fond, je veux rappeler que, selon les chiffres officiels – ceux du rapport de M. Raimbourg, auquel je rends hommage à mon tour –, pour une peine d’emprisonnement ferme sur deux, le délai de mise à exécution va de quatre à soixante mois.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. La moitié des peines d’emprisonnement ferme sont mises en œuvre plus de sept mois après avoir été prononcées. En 2012, le taux de mise en exécution des peines de détention ferme s’élevait à 56 %.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. En d’autres termes, mes chers collègues, 44 % des peines ne sont pas exécutées et, en dépit de tous les discours tenus par l’exécutif précédent, ce sont exactement 99 600 personnes condamnées à de la prison ferme qui, à la fin de l’année 2012, circulaient dans les rues au lieu d’exécuter leur peine ! Voilà la réalité.

Dès lors, aux auteurs de cet article, aux auteurs des campagnes, je demande pourquoi ils n’ont jamais écrit qu’une politique aboutissant à un tel résultant était laxiste, alors que c’est le cas !

MM. Jacques Chiron et Jean-Claude Leroy. Très bien !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Ce projet de loi vise précisément à mettre fin à ce laxisme, par des peines diversifiées, appropriées, individualisées.

M. Jacques Chiron. Exactement !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Il tend à permettre à la France de sortir de la grande difficulté dans laquelle elle se trouve, avec, au 1er mai 2014, 81 053 personnes sous écrou et 68 045 personnes détenues. Jamais, par le passé, ces chiffres n’avaient été aussi élevés !

Au demeurant, nous construisons de nouvelles prisons – et, madame le garde des sceaux, vous l’avez souligné et avez même annoncé des chiffres –, ce qui prouve d'ailleurs que nous ne sommes pas du tout « anti-prison ». Nous voulons simplement que la prison assume sa mission dans de bonnes conditions.

Pour terminer, comme l’a très bien expliqué Jean-Pierre Michel, nous demeurons fidèles à la loi pénitentiaire. Mes chers collègues, je ne vous rappellerai pas les conditions dans lesquelles nous avons voté ce texte ! En tout état de cause, souvenez-vous qu’il y est écrit qu’« en matière correctionnelle, en dehors des condamnations en récidive légale prononcées en application de l’article 132-19-1, une peine d’emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu’en dernier recours si la gravité de l’infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate ».

Je me réjouis qu’une telle disposition ait été adoptée sous le gouvernement précédent : elle va dans le bon sens. Mais pourquoi n’a-t-on pas dit alors qu’elle était laxiste ? Je le répète, il faut que la détention soit décidée quand c’est nécessaire, à savoir quand les autres peines, en particulier la contrainte pénale, ne peuvent être mises en œuvre. C’est bien qu’il en soit ainsi.

Sur la bizarrerie qui consisterait à revenir sur le seuil de deux ans d’emprisonnement – un an pour les récidivistes – pour bénéficier d’un aménagement de peine, je vous renvoie aux propos de notre ancien collègue Robert Badinter, qui, faisant part de son opposition à une telle disposition, a estimé que « redescendre à un an n’aurait d’autre effet que d’ajouter quelques milliers de détenus à la population carcérale. Tout le bénéfice de la suppression des peines plancher se volatiliserait. »

Mes chers collègues, le texte issu des travaux de la commission des lois, à la suite de longs débats, de nombreuses auditions et de beaucoup de travail, est fidèle à cette démarche sans précédent qu’a constituée la conférence de consensus, qu’il s’agisse de sa préparation, de sa tenue ou de son suivi, menée par Mme le garde des sceaux. L’idée que la contrainte pénale est une peine spécifique répondant à des délits spécifiques s’inscrit totalement dans l’esprit du texte. Nous pensons que nous servons la République en servant l’esprit du projet de loi initial.

Madame le garde des sceaux, voyez dans cet appel à un large vote de votre texte par le Sénat un hommage à votre action et à cet « esprit des lois » auquel vous êtes attachée et auquel nous adhérons totalement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.

M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons ce soir présente une caractéristique : déposé le 9 octobre 2013, il semble qu’il ait fait, depuis, l’objet de longs débats au sein du Gouvernement. Il paraît même que ces débats ne sont pas complètement terminés…

M. Didier Guillaume. C’est la démocratie !

Mme Cécile Cukierman. Ce sont les parlementaires qui votent la loi !

M. Jean-Jacques Hyest. Au reste, ce n’est pas un journal du matin qui le dit ! (Sourires.) Nous disposons d’autres sources…

En revanche, l’examen d’un texte d’une telle importance me semble précipité. Ainsi, de manière assez inédite, le projet de loi ne fera l’objet que d’une seule lecture dans cette assemblée.

M. Jean-Jacques Hyest. Un tel procédé paraît extraordinaire quand on sait que le dialogue se fait aussi via la navette. Madame le garde des sceaux, vous le savez, sans navette, le dialogue tourne vite court et se termine sur un coin de table, en commission mixte paritaire… Peut-être aboutirons-nous malgré tout à un accord rapide sur votre texte, d’autant que l’on nous demande d’en boucler l’examen avant la fin de la session. Au demeurant, nous le souhaitons pour vous : cela vous permettra de prendre quelque repos. Vous le méritez bien…

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’ai bien autre chose à faire, hélas ! L’agenda est déjà bien rempli…

M. Jean-Jacques Hyest. Il est vrai que, depuis toujours, on n’a à la bouche que la conférence de consensus. À ma connaissance, c’est encore le Parlement qui vote les lois ! À cet égard, le jury de consensus m’a paru très unilatéral, comme si le Parlement n’avait plus qu’à s’en remettre aux spécialistes de la question.

D’ailleurs, on ne sait plus très bien s’il s’agit de lutter contre la récidive, ce que laissait penser l’intitulé initial du projet de loi, ou s’il s’agit désormais de renforcer l’efficacité des sanctions pénales, conformément au nouvel intitulé du texte qui nous a été transmis par l’Assemblée nationale.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ce n’est pas contradictoire !

M. Jean-Jacques Hyest. Certes, mais ce n’est pas tout à fait la même chose ! Les mots ont un sens.

Et les promoteurs du projet de loi d’opposer la prétendue politique du « tout-répressif » de la majorité précédente à leur humanisme de bon aloi…

L’Assemblée nationale a voté quelques incongruités, telles la transaction pénale conférée aux officiers de police judiciaire – cette mesure n’a d’ailleurs pas manqué de nous étonner –, la géolocalisation et l’interception des correspondances de personnes condamnées sortant de détention, interception de sécurité dont la nature pose question. Chers collègues, vous qui nous opposez la surveillance de sûreté, soyez extrêmement vigilants dans ce domaine ! Il y a là un petit paradoxe que les députés n’ont certainement pas vu.

En dehors de ces incongruités, quel est le fond de la réforme, dont on nous dit, bien sûr, qu’elle est ambitieuse – on dit cela de toute réforme – et qu’elle permettra à la fois de régler le problème de la surpopulation carcérale et celui de la récidive ? Il est vrai que le cœur du dispositif est constitué par l’article 8 du projet de loi, lequel prévoit l’alternative à l’emprisonnement que constitue la « contrainte pénale », notion qui, malgré nos efforts de compréhension, nous semble encore floue et sans grand contenu.

Franchement, par rapport à l’actuel article 131-3 du code pénal, quoi de nouveau sous le soleil ? Et je ne vous cite pas les peines alternatives à l’emprisonnement, très diverses, qui figurent dans les articles suivants du code pénal ! Aussi, je ne vous infligerai pas la lecture de la sous-section 2 du titre III, intitulé « Des peines », que vous connaissez sans doute par cœur.

En outre, le code pénal, même révisé – j’ai participé à cette entreprise à l’époque –, se garde bien de donner une définition de la peine. Pour sa part, ce projet de loi – bavard, comme tant d’autres – n’a pas résisté à la tentation d’une définition, laquelle devrait plutôt se trouver dans des essais ou des ouvrages de philosophie… D’ailleurs, cette définition ne permet pas de bien distinguer le but de la peine de sa fonction. Tout en reconnaissant à la victime un zeste de droits supplémentaires, le texte mélange la sanction nécessaire et l’individualisation pour permettre le retour dans la société de celui qui a enfreint l’une des règles essentielles que le code pénal sanctionne.

Pour en revenir au centre du débat, et même si je ne suis aucunement d’accord avec vous, monsieur le rapporteur, je reconnais que vous suivez la logique initiale du texte, ayant bien conscience que la contrainte pénale est un succédané du sursis avec mise à l’épreuve et non pas une sanction autonome. Aurez-vous le courage de nous dire que l’emprisonnement ne s’applique plus à des délits punis de cinq ans d’emprisonnement – vous l’avez certes, monsieur le rapporteur, limité à quelques délits –, et pourquoi pas ultérieurement à des délits punis de dix ans d’emprisonnement ? Je résiste à la tentation de vous citer certains de ces délits, notamment ceux contre les personnes qui seraient concernées.

En dehors de ce point crucial, qui ne saurait entraîner notre adhésion à votre projet – et je vous démontrerai qu’il n’en est nul besoin pour éviter le tout-carcéral –, vous reprochez que l’on distingue le sort réservé aux récidivistes et aux primo-délinquants. Toutes les dispositions du projet de loi veulent d’ailleurs contraindre le juge à motiver une sanction d’emprisonnement, car si certains sont adeptes des peines planchers, il semble que d’autres soient adeptes des peines plafonds.

Je rappelle que les peines planchers ont été validées par le Conseil constitutionnel. Si cela ne veut rien dire pour M. Jean-Pierre Michel, pour ma part, je respecte les décisions du Conseil constitutionnel. Les peines planchers n’entravaient en rien la personnalisation de la peine et il est évident que les juges ont utilisé la peine minimale de façon mesurée et justifiée. Je vous renvoie aux chiffres de la Chancellerie, madame le garde des sceaux.

C’est un a priori idéologique qui guide votre démarche, plus qu’une véritable politique de lutte contre la récidive. J’en veux pour preuve l’extraordinaire article 3 du projet de loi, qui vise à obliger le juge à motiver spécialement sa décision de prononcer une peine d’emprisonnement – heureusement, et j’y reviendrai, l’impossibilité matérielle permet au juge de faire ce qu’il veut. Pourtant, le juge, conscient de ses responsabilités, ne fait qu’appliquer le code pénal. Quelle méfiance envers les juges ! Un certain nombre d’entre eux s’en sont, à juste titre, émus.

En matière de procédure pénale, tout projet de loi est révélateur d’une politique et n’en est que la traduction juridique. Outre la complication extrême du dispositif qui repose largement sur le juge de l’application des peines – vous en avez d'ailleurs modifié certains aspects qui posaient problème –, il n’a qu’un seul objectif, sous-entendu : lutter contre la surpopulation carcérale – certains diraient « vider les prisons ».

D’ailleurs, je n’aime pas les comparaisons internationales. En effet, si les exemples donnés de certaines politiques pénales d’Europe du Nord font rêver puisque l’on y ferme apparemment les prisons, on oublie de dire que le taux de récidive n’y est pas si faible qu’on le prétend. Il faut toujours relativiser. Il est vrai que les prisons d’Europe du Nord que j’ai visitées ont une dignité que peu de nos établissements pénitentiaires possèdent.

Si le Sénat n’a cessé d’affirmer depuis la commission d’enquête sur les prisons de 2000, et surtout à l’occasion du vote de la loi pénitentiaire de 2009, que les courtes peines d’emprisonnement étaient peu efficaces et même plutôt nuisibles, qu’elles étaient plutôt facteur de récidive que d’amendement, la vraie question qui se pose est de savoir pourquoi la loi n’est pas appliquée ou est peu appliquée !

L’article 65 de la loi pénitentiaire complétant l’article 132–24 du code pénal, cité précédemment par le président de la commission, Jean-Pierre Sueur, prévoit effectivement que les peines d’emprisonnement sans sursis ne peuvent être prononcées qu’en dernier recours. Tout est là ! Pourquoi vouloir inventer quelque chose de nouveau alors que nous disposons déjà de tous les outils juridiques permettant de ne pas incarcérer des primo-délinquants, et ce, madame le garde des sceaux, jusqu’à deux ans d’emprisonnement ? Je ne comprends d'ailleurs pas pourquoi les députés ont décidé de réduire cette durée à un an et six mois d’emprisonnement. J’aimerais bien que quelqu’un m’explique la cohérence de cette décision !

Je rappelle que le code de procédure pénale prévoit que les condamnés libres bénéficient, dans la mesure du possible et si leur personnalité ou leur situation le permettent, de mesures d’aménagement de peine : la semi-liberté, le placement à l’extérieur, le placement sous surveillance électronique, le fractionnement ou la suspension de peine, la libération conditionnelle ou la conversion de la peine en travail d’intérêt général. Il en est de même pour les personnes déjà incarcérées. Et cela pour toutes les peines prononcées de moins de deux ans. Certains avaient voulu, à une certaine époque, réduire cette durée, mais le Sénat s’était battu pour la maintenir (M. Jean-René Lecerf opine.) ; Jean-René Lecerf pourrait, avec d’autres, en témoigner. De mon point de vue, cela couvre largement les mesures proposées dans le projet de loi pour la contrainte pénale.

Je me permets de rappeler à mon tour que, dans un moment rare, un véritable consensus parlementaire a existé lors du vote de la loi pénitentiaire, et que l’échec de sa mise en œuvre est lié au manque de moyens pour assurer son effectivité. On peut le reprocher au gouvernement précédent, mais pourquoi la mise en œuvre des moyens nécessaires à son application n’a-t-elle pas été une priorité de votre politique pénale, madame le garde des sceaux ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Parce que j’ai dû prendre les décrets d’application !

M. Jean-Jacques Hyest. Si cette loi est bonne – et je pense que personne ne la trouve mauvaise –, pourquoi ne l’a-t-on pas mise en œuvre immédiatement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est nous qui recrutons ! Je vous expliquerai tout cela.

M. Jean-Jacques Hyest. Non, ce n’était pas une question de décrets d’application ; c’était surtout une question de moyens des SPIP, vous le savez très bien, cela a été évoqué !

L’étude d’impact de votre projet de loi, madame le garde des sceaux, et les restrictions budgétaires ne peuvent inciter à l’optimisme ; nous pouvons craindre que la contrainte pénale ne soit pas la grande réforme dont vous attendez des résultats estimés entre 16 000 et 60 000 condamnés.

Avez-vous véritablement les moyens de créer plus de 1 000 emplois ? On nous avait dit la même chose pour la loi pénitentiaire : 1 000 emplois ! La réponse est évidemment négative. Ce qui est extraordinaire dans notre beau pays de France, c’est de croire qu’en faisant une loi de plus, qui obscurcit plus qu’elle ne simplifie la lisibilité des politiques de l’État, on va résoudre tous les problèmes ! En créant continuellement des lois, on pense qu’on va améliorer les choses !

Ce n’est pas en calquant les régimes de sanctions des récidivistes sur celui des primo-délinquants ni en rendant obligatoire la procédure d’examen de la situation des personnes condamnées à plus de cinq ans d’emprisonnement à deux tiers de la peine que l’on y changera grand-chose ! Encore faudrait-il avoir les moyens en juge, etc. Au contraire, cela ne va pas améliorer la situation explosive de notre système judiciaire.

La contrainte pénale, « faux jumeau du sursis probatoire », pour reprendre les termes de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, pose selon elle un sérieux problème de justice et de lisibilité. Pourquoi créer en plus compliqué ce qui est déjà difficilement applicable ? Quand on constate que près de 100 000 peines correctionnelles – vous avez dit 99 600 – ne sont pas exécutées, pouvons-nous espérer que la création des bureaux d’exécution des peines, les BEX, suffise à assurer une meilleure effectivité des sanctions pénales ?

Comme tous ceux qui croient à l’individualisation de la peine, au fait que l’emprisonnement n’est pas la solution unique pour les délinquants – vous devriez, d’ailleurs, revisiter la notion de récidive ; on en parle quelquefois mais on n’avance pas sur ce point –, je crois que les moyens juridiques existent pour faciliter l’insertion ou la réinsertion des condamnés.

Au lieu de se lancer dans des guerres idéologiques dont nous avons le secret, mieux vaudrait surtout appliquer les textes existants, et qui, examinés sur le long terme, présentent, quoi qu’on en dise, une certaine continuité. Et ce n’est pas la notion de justice restaurative, laquelle peut certes avoir un intérêt dans le cadre d’un traitement psychologique mais pas dans celui de la justice, qui aura des effets évidents.

Quoi qu’il en soit, je ne peux que le répéter, et le rapport de M. Jean-René Lecerf et de Mme Nicole Borvo-Cohen-Seat sur l’application de la loi pénitentiaire est éloquent à ce sujet, finirons-nous par changer la prison, non pas parce que la loi ne prévoit pas tous les dispositifs, mais parce qu’on lui donnera les moyens de jouer pleinement son rôle de préparation à la réinsertion des détenus dans la société ?

Combien de sorties sèches génèrent-elles de récidives ? Comment faire pour que les maisons d’arrêt ne mêlent plus des détenus provisoires, des grands criminels en attente d’établissement pour peine et cette masse de délinquants qui devraient recevoir un traitement adapté ? Sans parler de tous ceux qui sont atteints de troubles mentaux, pour qui la prison n’est pas non plus la solution !

Alors, ce projet de loi, dont on peut contester le soubassement idéologique, la petite chanson « c’est la société qui crée la délinquance », ce qui n’est pas entièrement faux, mais n’est pas non plus complètement vrai, manque sa cible, est rejeté par la majorité de l’opinion publique – même si les journaux n’en clarifient pas totalement le sens. Pour ces raisons, malgré quelques points positifs, issus notamment de propositions de loi du Sénat, votre texte ne saurait, hélas, madame le garde des sceaux, être approuvé par mon groupe. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Vincent Capo-Canellas applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comment ne pas partager les objectifs affichés de cette réforme ? Votre texte, madame la garde des sceaux, vise, selon l’exposé des motifs, à « lutter contre la récidive […], moderniser et clarifier le droit des peines et leurs modalités de mise en œuvre ». Naturellement, nous partageons tous ici ces objectifs. Ils ressemblent d’ailleurs sensiblement à ceux qui ont présidé à l’élaboration de la loi pénitentiaire de 2009.

Malheureusement, madame la garde des sceaux, je crains que votre projet de loi n’atteigne pas tout à fait ces objectifs. Commençons par la contrainte pénale, qui est en quelque sorte la mesure emblématique de votre réforme. J’évoquerai tout à l’heure le fond de la mesure, auquel nous ne sommes pas fondamentalement opposés. Toutefois, sur la forme, il est difficile d’admettre qu’ajouter une nouvelle forme de peine au maquis existant soit source de « clarification du droit des peines », surtout quand même les spécialistes ont du mal à comprendre précisément sa nature tant elle s’apparente, dans ses modalités, à des éléments qui existent déjà, je pense évidemment au sursis avec mise à l’épreuve.

Il est invoqué ensuite la nécessité d’individualiser les peines, principe fondateur de notre droit pénal. Cependant, ne le sont-elles pas déjà ? Les magistrats ne disposent-ils pas des outils juridiques leur permettant d’apporter une réponse adaptée aux circonstances de l’infraction et à la personnalité de l’auteur ? Je pense que si.

En réalité, sur ce point, vous avez certainement en tête un des marqueurs de la majorité précédente : les peines planchers. Or celles-ci ne sont pas contraires au principe de l’individualisation des peines. D’ailleurs, moins de 40 % des prévenus passibles de ces peines se les voient appliquées.

En revanche, contrairement à ce qui est affirmé, elles ont un effet dissuasif, peut-être pas sur tous les délinquants, bien sûr, mais dans le cas de certains contentieux de masse comme les délits routiers. Ainsi, je reste convaincu que l’effet dissuasif est réel sur un automobiliste que le président du tribunal correctionnel avertit qu’il encourt une peine plancher au prochain écart.

Autre pilier de votre réforme, « construire un parcours d’exécution des peines ». Là encore, c’est un bel objectif, auquel nous souscrivons tous. La réalité, c’est que cette problématique ne tient pas tant à ce que l’on pourrait modifier dans le code pénal, elle tient d’abord et avant tout, comme l’indiquait notre rapporteur, aux moyens que l’on prévoit d’y consacrer. C’est, selon nous, le cœur du problème.

Rapporteur pour avis des programmes « Justice judiciaire » et « Accès au droit et à la justice » pendant plusieurs années, je sais évidemment que notre justice manque aujourd’hui cruellement de moyens, à la fois pour effectuer certains actes d’investigation, pour rémunérer des experts judiciaires, et même tout simplement pour travailler dans des conditions normales.

Aujourd’hui, compter les gommes ou les ramettes de papier est la réalité quotidienne de nombreux magistrats ! Sans parler du manque de magistrats à tous les niveaux, notamment de juges de l’application des peines, de greffiers ou de conseillers d’insertion et de probation. Ces derniers seront pourtant l’un des piliers de la mise en œuvre de votre réforme, qui devra, pour être crédible, disposer des moyens indispensables à sa bonne application.

Car sans moyens suffisants, cette réforme sera un échec. De la même manière que l’on se plaint de la surpopulation carcérale due au manque de places dans les prisons et de la promiscuité néfaste que cela provoque, on risque demain, si les moyens ne sont pas assurés dans la durée, de se plaindre de l’échec cruel des nouvelles peines proposées. Pire même, si un délinquant exécutant sa peine à l’extérieur se retrouve livré à lui-même et récidive, ce texte apparaîtra alors comme une loi laxiste.

Ce n’est pas votre souhait, madame la garde des sceaux, ce n’est pas votre souhait, monsieur le rapporteur, ni le nôtre, mais, malheureusement, je crains fort que la nécessaire rigueur budgétaire ne l’emporte sur les bonnes intentions affichées. La difficulté – qui, d’ailleurs, n’est pas propre à ce projet de loi –, c’est que l’on nous propose une réforme avec des engagements sur des financements à venir sans la certitude que ces derniers soient effectivement adoptés.

Pour en revenir au texte, je dirai quelques mots sur le principe de la contrainte pénale. Nouvel outil offert au juge, il est difficile de dire que l’on y est fondamentalement opposé dans la mesure où ce dispositif reprend les obligations et interdictions en vigueur du sursis avec mise à l’épreuve, le SME. D’une certaine façon, être contre la contrainte pénale reviendrait à être contre le sursis avec mise à l’épreuve...

Cette nouvelle peine, d’un type particulier, ne peut avoir vocation à ne s’appliquer qu’à certains profils de délinquants, lorsqu’elle y est vraiment adaptée. Dans la pratique, madame la garde des sceaux, la vraie question est de savoir si les magistrats, habitués au fonctionnement du sursis avec mise à l’épreuve, vont réellement percevoir la plus-value de la contrainte pénale, ce qui ne me paraît pas évident. Si tel n’est pas le cas, l’adoption de cette mesure resterait assez vaine...

Peu convaincus par le compromis adopté par l’Assemblée nationale prévoyant une application à l’ensemble des délits à compter du 1er janvier 2017, nous vous proposerons d’en revenir à une contrainte pénale strictement applicable aux délits punis de moins de cinq ans d’emprisonnement.

Le texte adopté par les députés, au-delà de la contrainte pénale, était déjà, selon nous, critiquable. Mais le texte que nous examinons aujourd’hui, celui qui a été élaboré par notre commission des lois, est presque caricatural. Parmi les marqueurs que vous vouliez absolument supprimer, outre les peines planchers, que j’ai déjà évoquées, voilà que l’on supprime aussi la rétention de sûreté et les tribunaux correctionnels pour mineurs !

Tout cela semble découler d’une même logique, qui guide la majorité depuis mai 2012 : détricoter toutes les réformes de la précédente majorité, sans toujours proposer quelque chose de crédible à la place.

Avec la modification introduite à l’article 8 ter, vous avez transformé, monsieur le rapporteur, la nature même de la contrainte pénale. Cette dernière était présentée comme une nouvelle possibilité offerte au juge, en complément des possibilités existantes, d’accroître sa liberté de choix et de trouver une réponse plus adaptée aux circonstances et à la personnalité de l’auteur de l’infraction. Or les dispositions introduites à l’article 8 ter font tout le contraire : elles suppriment la peine de référence actuellement en vigueur – l’emprisonnement – pour imposer la contrainte pénale ! Il s’agit en fait d’une atteinte à la libre appréciation du juge.

Le système proposé fait donc disparaître la peine de prison. On aurait pu imaginer qu’elle perdure au moins en cas de récidive, mais il n’en est rien : l’emprisonnement ne pourra toujours pas être prononcé par le tribunal correctionnel à l’encontre d’un récidiviste ayant déjà été, par exemple, condamné à cinq ou six reprises dans des affaires de vol... Il s’agit d’un vrai problème.

À mon sens, la solution retenue est révélatrice du peu de confiance que vous avez en ce dispositif : de peur que les magistrats n’y recourent suffisamment, on le leur impose.

Au-delà, on ne peut faire abstraction du message envoyé à nos concitoyens lorsque l’on décide de supprimer les peines d’emprisonnement pour délit de vol et de recel de vol, filouterie, destructions, dégradations et détériorations, délit de fuite, délit d’usage de stupéfiants, délit d’occupation des halls d’immeubles, ou encore les délits prévus par le code de la route.

Le travail réalisé par notre rapporteur a été très important et, même si je ne partage pas la plupart de ses analyses, je tiens à en saluer le sérieux et la précision. Chacun l’aura compris, nous ne sommes pas favorables à plusieurs des modifications introduites par la commission. Toutefois, ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain : nous avons soutenu plusieurs des amendements visant à revenir au texte de la loi pénitentiaire. Je ne citerai que les seuils d’aménagement des peines d’emprisonnement. L’Assemblée nationale avait uniformisé ces seuils, faisant ainsi disparaître toute distinction entre primo-délinquants et récidivistes. Rétablir cette distinction était indispensable ; il faut donc saluer l’initiative de notre rapporteur sur ce point.

En conclusion, nous étions sceptiques sur le texte voté par les députés. Après l’examen en commission, nous sommes un peu dépités. Pour être clair, si le projet de loi n’évolue pas sensiblement d’ici à l’issue de nos débats, notamment grâce à l’adoption de nos amendements, dont certains devraient recevoir l’appui du Gouvernement puisqu’ils visent à revenir au texte initial, nous voterons contre, en regrettant, par exemple, l’abrogation des peines planchers et de la rétention de sûreté.

En revanche, si, après avoir voté nos amendements, nous aboutissons à un texte équilibré, qui permette effectivement d’améliorer la lutte contre la récidive, notre position sera susceptible d’évoluer. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)