M. Bruno Retailleau. Ce que la gauche a toujours fait…

M. Manuel Valls, Premier ministre. L’opposition actuelle a gagné les élections municipales.

M. François Grosdidier. Un signe annonciateur !

M. Manuel Valls, Premier ministre. C'est une élection locale, et non une alternance. C'est l’honneur du Président de la République de tenir compte du message des électeurs.

Vous avez perdu des élections en 2008, mais vous n’avez pas tiré les leçons du message alors délivré. (Marques d’ironie sur les travées de l'UMP.) Vous savez ce qui est arrivé en 2012, pour n’avoir pas changé de politique ni entendu ce que les Français vous avaient dit quatre ans plus tôt.

Eh bien nous, parce que nous gouvernons avec le sens des responsabilités, et parce que nous voulons entendre le message des Français,…

M. Bruno Sido. C'est bien !

M. Manuel Valls, Premier ministre. … nous pensons aussi – j’en suis profondément convaincu – que, dans le dialogue entre la majorité et l'opposition, entre la gauche et la droite,…

Un sénateur du groupe UDI-UC. Il y a le centre !

M. Manuel Valls, Premier ministre. … entre le Gouvernement et le Parlement, nous pouvons sans doute, les uns et les autres, changer d’attitude, oublier de nous interrompre en permanence au Parlement, être capables de nous écouter ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Permettez-moi de vous dire, à la suite de l’une de vos remarques, qu’il est au fond assez normal et logique, à cette tribune, que le Premier ministre actuel puisse saluer le travail que Jean-Pierre Raffarin a fait dans ce domaine…

M. Jean-Claude Gaudin. Ah, quand même !

M. Manuel Valls, Premier ministre. … et dans bien d’autres. (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste et sur plusieurs travées de l'UMP.) Cela fait partie des mœurs politiques qui pourraient évoluer pour être un peu plus civilisées, car les Français n’acceptent plus ces batailles de chiffonniers au Parlement, ces invectives, cette manière de faire de la politique ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE de l’UDI-UC.)

Dans les zones les plus urbanisées, un certain nombre de compétences de proximité doivent pouvoir être directement exercées par les intercommunalités.

Je ne pense pas que nous puissions en rester au statu quo.

J’ai posé la question de l’avenir des conseils départementaux parce que je pense qu’il faut, à terme, aller vers plus de simplicité, vers l’attribution de leurs compétences à d’autres collectivités. Et donc je pense, je l’ai dit, à leur suppression. Cela passe par un long débat. J'ai indiqué l’horizon de 2021. Il y a les élections en 2015, il y a les échéances nationales de 2017. Les termes du débat seront posés sur tous les bancs, dans toutes les formations politiques – ce débat les traverse, qu’elles appartiennent à la majorité ou à l’opposition.

M. Bruno Sido. C'est vrai.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Des propositions sont allées dans ce sens, des débats existent déjà. Ouvrons le débat.

M. Didier Guillaume. C'est indispensable !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Y a-t-il un problème au débat ? Ce débat durera plusieurs années, mais posons-le car beaucoup de Français se le posent et il nous appartient de les éclairer. Des délais juridiques sont nécessaires, rien ne se fera dans la précipitation. Il faut prendre ce temps (M. Francis Delattre s’exclame.), mais cette idée, qui traverse effectivement plusieurs grandes formations politiques, doit devenir une réalité.

Je vais jusqu'au bout : si nous procédons à des suppressions ou à des regroupements, en tout cas si nous faisons en sorte qu’il n’y ait plus qu’une dizaine de grandes régions, alors, avec l’émergence des métropoles et les progrès de la carte de l’intercommunalité, la question des échelons intermédiaires et du rôle du département se posera. Nous l’avons déjà dit, le rôle d’un département n’est pas le même dans une grande métropole que dans un territoire rural ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste. – M. Raymond Vall applaudit également.)

M. Philippe Dallier. C'est sûr !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Donc, bien évidemment, ces questions devront être posées, et il était de ma responsabilité d’ouvrir de débat. D’autres pays l’ont ouvert. Vous me direz que la France n’est pas l’Allemagne, ni l’Espagne, ni l’Italie… Je sais, bien sûr, que l’on ne peut pas nous comparer à ces pays, qui ont d’autres traditions. Mais cet argument est souvent celui de l’immobilisme, alors que nous devons bouger, nous réformer, pour la France et pour ses territoires ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste. – MM. Raymond Vall et Alain Bertrand applaudissent également.)

Voilà donc, mesdames, messieurs les sénateurs, les pistes que je vous propose pour l’organisation de nos collectivités territoriales. Bien sûr, penser le développement des territoires, c'est aussi s'interroger sur le rôle et la place que l’État doit y tenir.

L’État, je le dis souvent, c’est la colonne vertébrale de notre nation. C’est lui qui a permis son essor ; c’est lui qui a garanti l’application de nos principes républicains sur l’ensemble du territoire et à destination de l’ensemble des citoyens, en métropole comme outre-mer.

L’État n’est pas un concept abstrait, c’est une réalité concrète, qui parle à nos concitoyens, notamment au travers des services publics, lesquels ne sont pas portés que par l’État – je pense bien sûr aux collectivités territoriales. Je veux rendre ici hommage, car on ne le fait pas assez, à nos fonctionnaires, aux agents des établissements et des entreprises publics, qui sont, pour les Français, le visage de l’État et des services publics.

Je l’ai dit hier, le maillage territorial des préfectures et des sous-préfectures reste essentiel. Bien sûr, il doit être adapté aux réalités de chaque territoire. Mais, là aussi, j’ai une conviction : ce sont les territoires les plus fragiles, les plus précarisés, notamment les territoires ruraux, qui nécessitent le plus la présence de l’État.

Réformer l’État, ce n’est pas déserter les territoires. Je souhaite au contraire que ce soit rendre l’État plus présent, rendre son action là aussi plus proche et plus lisible. Des solutions innovantes existent en ce domaine : je pense à la création de maisons de l’État ou de maisons de services au public associant les collectivités locales et les opérateurs de l’État.

Je l’ai déjà dit, une action publique efficace, ce sont des compétences claires.

La répartition des tâches entre les échelons départemental et régional est souvent confuse. C'est ce que l’on a appelé « le millefeuille » dont j’ai parlé, et tout cela nuit à la qualité du service rendu, à la proximité.

Les services déconcentrés de l’État ont une vocation : assurer la cohésion territoriale. Et je sais, là aussi, l’importance de l’échelon départemental pour l’État. Arrêtons de caricaturer : réformer l’État, ce n’est pas l’affaiblir, c’est le conforter là où les citoyens ont le plus besoin de lui.

Ces réformes, mesdames, messieurs les sénateurs, elles ne se feront pas sans vous. Elles ne se feront pas contre vous. Mais nous devrons avoir, ensemble, le courage de l’action.

J’ai appris à connaître votre Haute Assemblée en siégeant sur ces bancs en tant que ministre de l’intérieur. Je connais vos combats, vos engagements, votre exigence pour représenter au mieux les collectivités territoriales de notre pays.

Nous avons eu des débats parfois difficiles – je pense à la question du non-cumul des mandats. Mais, comme je vous l’ai toujours dit, je suis attaché à la Ve République et donc au bicamérisme – à ce bicamérisme équilibré à la française, modèle qui vous est cher, monsieur le président Bel. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste. – M. Alain Bertrand applaudit également.)

J’ai tenu à affirmer hier qu’une démocratie forte, c’est un Parlement respecté.

Le respect, c’est une obligation, c’est une évidence. Nos institutions sont fortes car elles ont su évoluer au fil des révisions constitutionnelles, au fil des réformes du règlement des deux chambres. Elles sont fortes aussi car elles ont fixé un cadre clair de relations entre l’exécutif et le Parlement. Le socle, c’est le respect des prérogatives de chacun, c’est le respect mutuel, dans le cadre d’un dialogue ouvert, franc et constructif.

Cette méthode, cette éthique du pouvoir, est nécessaire si nous voulons, ensemble, légiférer efficacement, dans l’intérêt de nos concitoyens.

Bien légiférer, c’est aussi se fixer des priorités.

Les priorités politiques doivent trouver une traduction concrète dans le calendrier parlementaire. Dans le plein respect des pouvoirs du Parlement, et notamment du droit d’initiative, les projets de loi qui seront déposés devront contribuer à la mise en œuvre des lignes directrices fixées par le Président de la République.

Une loi plus claire, moins bavarde, plus rare – cela a été souvent dit – : voilà aussi un outil de modernisation. Nous y gagnerons en lisibilité. Les Français nous le demandent. Et n’oublions jamais que la loi – vous le savez mieux que quiconque – est l’expression de la volonté populaire. Nous devons écouter les Français, entendre les attentes et, parmi elles, toujours privilégier l’intérêt général. Car c’est l’intérêt général seul qui garantit l’inscription de la loi dans la durée. La question est là : nous devons légiférer non pour les mois qui suivent, mais pour la décennie qui vient. Il y va même de l’autorité de la loi.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous pouvons avoir des divergences,…

M. Jean-Claude Gaudin. C’est sûr !

M. Manuel Valls, Premier ministre. … c’est légitime. Mais je crois que nos priorités sont communes : le redressement de notre pays, sa place en Europe et dans le monde.

Nous aurons donc des débats, et c’est normal, mais nous trouverons ensemble des chemins communs. Je sais que c’est une ambition que vous partagez. Cette ambition, bien sûr c’est la mienne, c’est celle de mon gouvernement. (Mmes et MM. les sénateurs du groupe socialiste se lèvent et applaudissent. – Applaudissements sur certaines travées du RDSE dont plusieurs membres se lèvent également.)

M. le président. Acte est donné de la déclaration du Gouvernement.

Dans le débat, la parole est à M. Philippe Adnot, pour la réunion administrative des sénateurs n’appartenant à aucun groupe. (Bravo ! et applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.)

M. Philippe Adnot. Monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, mon temps de parole n’étant que de cinq minutes, ne vous formalisez pas des formules quelquefois laconiques de mon intervention. L’effervescence des déclarations étant retombée, il nous reste à analyser non pas la forme mais le fond de la déclaration de politique générale de M. le Premier ministre.

D’abord, le constat, monsieur le Premier ministre, et je reprends vos formules : « aller à l’essentiel », « sans croissance, pas de confiance – sans confiance, pas de croissance », « sans entreprise, pas d’emploi », « la France est très endettée » – 30 000 euros pour chaque Français.

M. Didier Guillaume. Très beau discours !

M. Philippe Adnot. Je n’ai rien à dire sur le constat. Il y manque peut-être le pourquoi nous en sommes là : une France qui vit au-dessus de ses moyens, par l’assistanat, la surréglementation, la déresponsabilisation.

Ensuite, les propositions positives : comment ne pas être d’accord ? Tous les chefs d’entreprise vont apprécier la baisse des charges qui passe de 20 milliards d’euros à 30 milliards d’euros. Tous les salariés vont apprécier les 500 euros de plus par an.

M. Philippe Adnot. Toutes les sociétés vont apprécier la suppression de la surtaxe d’impôt sur les sociétés ou de la contribution sociale de solidarité des sociétés, la C3S. Tous les travailleurs indépendants, les artisans vont apprécier la baisse de trois points de cotisations familiales.

Alors, comme dirait un humoriste, « pas belle la vie ? »

Évidemment, avant le discours, il manquait 50 milliards d'euros ; après, il manquera un peu plus de 70 milliards. Et encore, c’est sans compter le coût de la transition énergétique ! Mais je pense que nos concitoyens et nos entreprises auront l’occasion de le vérifier dans leurs factures.

Évidemment, l’État en prendra 19 milliards d'euros en charge. Comment ? Mystère...

Évidemment, nos collectivités locales seront « invitées » à participer pour 10 milliards d'euros, mais celles qui ne peuvent lever l’impôt et ont des dépenses obligatoires, je voudrais bien savoir comment elles vont faire… (Exclamations sur plusieurs travées de l'UMP.)

Je vous demande, monsieur le Premier ministre, si vous comptez recourir, comme votre prédécesseur, à la méthode qui a consisté, pour compenser l’élévation du revenu de solidarité active, le RSA, à proposer aux collectivités locales d’augmenter les impôts…

La vérité, c’est qu’il y a une impasse financière et que vous avez prévu non de diminuer la dépense mais de la déplacer.

L’ancienne majorité avait prévu de baisser les charges sociales mais avait par ailleurs prévu une augmentation de la TVA. Cela, c’était courageux.

Vous prévoyez la baisse des charges mais, pour les financer, il n’y a que des incantations. Alors c’est l’impasse ! Et là, comme toujours, dans ce cas, il faut faire diversion. La Catalogne, qui se rappelle à nous ce matin, a supprimé la corrida, monsieur le Premier ministre, mais il semblerait que vous ayez, quant à vous, gardé l’art de manier la muleta. (Sourires et exclamations sur plusieurs travées.)

Ainsi, ce sera la énième réforme territoriale.

Les intercommunalités, dont nous venons à peine de terminer la carte, seront invitées à recommencer dès 2018. Elles vont être ravies, et l’incertitude ainsi créée va certainement les aider à définir ce qu’elles doivent mettre en commun.

Les régions seront invitées à se réorganiser. Pourquoi pas ? Mais rien ne laisse penser que cela permettra de résoudre l’impasse financière à laquelle vous êtes confronté.

Pour les départements, on nous annonce un débat pour une éventuelle suppression en 2021 ; ce n’est donc pas là qu’il faudra trouver les économies de 2015. Et de toute façon, aujourd’hui ou demain, ce n’est pas là que seront les économies, parce qu’il y aura toujours autant de routes, de collèges, d’assistantes sociales, de RSA, d’allocation personnalisée d’autonomie, de handicap, de transports scolaires, etc. Et demain, si ces missions sont éclatées, elles coûteront bien entendu encore plus cher. Essayez d’imaginer la division du service départemental d’incendie et de secours entre toutes les collectivités : je pense que tout le monde peut mesurer ce que cela donnera en termes financiers !

Monsieur le Premier ministre, vous avez évoqué la nécessité de la confiance pour réussir. Je doute que cela soit le cas : comment avoir confiance, alors que vous contredisez les paroles prononcées il y a peu par le Président de la République sur le maintien des départements ? Celui-ci avait évoqué la suppression des départements dans le cadre des métropoles, mais garanti la continuité des départements en milieu rural. Alors, est-ce vous qui aurez raison ou la parole du Président de la République est-elle plus importante ? (M. Bruno Sido s’exclame.)

Comment avoir confiance dans votre capacité à assumer les besoins de financement liés aux allégements de charges alors que vous n’avez annoncé aucune baisse de dépense mais des déplacements de la dépense ?

Je suis pour ma part convaincu qu’il est possible de baisser les charges des entreprises, de faire participer les collectivités locales à l’effort de redressement, mais cela supposerait de ne pas charger la barque tous les jours par l’exigence normative, la complexité des règles et l’inflation législative. (Très bien ! et applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.)

Je ne suis pas opposé à la maîtrise des dépenses publiques. Nous pourrions, par exemple, changer les règles que M. Sapin avait mises en place pour ce qui concerne la commande publique :…

M. Philippe Adnot. … les 70 milliards d'euros de commande publique par an conduisent à des surcoûts de 20 % par rapport à la commande privée,…

M. Philippe Adnot. … ce qui représente 14 milliards d'euros. Peut-être faudrait-il chercher les économies là où elles peuvent se trouver !

M. Philippe Adnot. Tous les jours, nous aurons l’occasion de pointer du doigt les contradictions entre les discours et la réalité.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Philippe Adnot. Oui, il aurait été souhaitable de rassembler les Français dans l’effort. Pour masquer vos impasses financières, vous avez choisi d’agiter les chiffons rouges et de diviser les territoires en glissant les petits cailloux dans les chaussures des autres.

M. le président. Concluez, monsieur Adnot !

M. Philippe Adnot. C’est une méthode qui peut faire illusion auprès de l’intelligentsia parisienne, mais pas auprès de nos concitoyens, qui ne seront pas dupes. La dure réalité, je le crois, va vous rattraper ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur de nombreuses travées de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Vincent Placé, pour le groupe écologiste. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)

M. Francis Delattre. Ça ne va pas être triste !

M. Jean-Vincent Placé. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ensemble, nous avons tourné la page Sarkozy. Ensemble, nous avons porté de belles lois : le mariage pour tous, ALUR, la fin du cumul des mandats… Je mesure la portée de ces avancées, n’en doutez pas. (Marques d’ironie sur plusieurs travées de l'UMP.) Mais ensemble, nous avons eu également de nombreux différends ; je n’ai jamais manqué de le dire depuis quelques mois. Et ensemble, nous n’avons pas encore écrit la page que l’on attendait de nous, celle du grand changement, écologique, social, démocratique de notre société, celle qui nous fera dire qu’il y a eu un « avant » et un « après ».

M. Alain Fouché. Oh là là !

M. Jean-Vincent Placé. Prétendre redresser les comptes publics était louable – ça l’est toujours, naturellement. Seulement, le remède employé était pire que le mal.

M. Jean-Vincent Placé. Asphyxiées par la réduction drastique des commandes publiques, nos entreprises françaises n’ont pu soutenir la croissance que l’on attend d’elles. La rigueur ordonne des sacrifices, et que chacun prenne sa part, bien sûr, mais certains n’ont plus rien à offrir, quand d’autres s’alarment de voir leurs efforts s’évaporer dans un ralentissement économique hélas prévisible.

Nous l’avons dit, répété, crié au gouvernement sortant : ANI, CICE, TSCG, autant d’acronymes cruels qui pavaient l’enfer dans lequel vivent aujourd’hui trop de nos concitoyens. (Mme Hélène Lipietz et M. Joël Labbé applaudissent.) Nous n’avons pas été entendus.

M. François Grosdidier. Vous ne l’êtes toujours pas !

M. Francis Delattre. Toujours pas ministre !

M. Jean-Vincent Placé. J’ai même, avec le soutien de mon groupe unanime, refusé de voter le budget 2014, ce qu’aucun président de groupe parlementaire de la majorité n’avait fait dans l’histoire de la Ve République ! (Mme Hélène Lipietz et M. Joël Labbé applaudissent de nouveau.) Nous n’avons pas été entendus.

Les Françaises et les Français ont joint leurs voix pour protester contre ces mesures, soit en boudant les urnes, soit en soutenant certaines de nos analyses. Eux non plus n’ont pas été entendus.

Car le discours du Président de la République a esquissé des lignes qui nourrissent toutes nos craintes. Voulant tenir fermement la barre dans la tourmente, notre capitaine semble ne pas voir peut-être qu’il nous enfonce davantage dans la tempête. Les promesses de changement étaient pourtant belles…

Aussi, monsieur le Premier ministre, comprendrez-vous dans ces conditions que nos ministres avaient peu d’alternatives et que les écologistes ont pris, en conscience, la décision de préférer, comme en amour, aux mots les actes. Vous comprendrez que nous avons notre propre cap.

Notre cap, quel est-il ? Il se fixe par les trois priorités de l’urgence écologique de notre époque.

Le productivisme, voilà le vrai ennemi ! Votre adversaire, le nôtre, monsieur le Premier ministre, n’a pas de nom, pas de visage. C’est celui qui transforme malheureusement en poison l’air que nous respirons, l’eau que nous buvons et tout ce que nous mangeons. C’est celui qui épuise nos ressources naturelles, nos biens communs, hypothèque notre avenir pour en tirer un bénéfice de court terme. L’ennemi, c’est cet égoïsme cupide, cette nouvelle barbarie qui épuise les femmes, les hommes, la nature, fait disparaître de la surface de la Terre en quelques années, quelques mois parfois, des organismes vivant depuis des milliers, voire des millions d’années.

Il n’y a point de prophètes dans l’histoire des écologistes, seulement des esprits trop clairvoyants, qui parfois auraient aimé se tromper. L’être humain est devenu un locataire dangereux sur cette planète. Dangereux pour toutes les espèces, y compris la sienne.

La Conférence sur le climat se tiendra bientôt à Paris ; elle devra être la démonstration de notre capacité à faire progresser ce combat dans les consciences comme dans les faits, de notre capacité à réparer notre environnement. Le choc environnemental n’est plus une chimère. Les réfugiés climatiques existent. Ils quittent leurs terres privées de pluie et donc de récoltes, à la recherche d’un espoir.

Des ingénieurs créent des robots pour remplacer les abeilles dans la pollinisation des plantes, et des apprentis sorciers réfléchissent à changer le climat en bombardant le ciel. Il faut agir, et vite. Dans ce climat difficile, je le dis avec grand plaisir, je suis rassuré par la nomination de Mme Ségolène Royal au ministère de l’écologie. (M. Jean-Louis Carrère applaudit. – Exclamations et sourires sur plusieurs travées de l’UMP.)

La deuxième priorité, qui découle de la première, c’est notre économie. L’épuisement des ressources est une règle économique mondiale qui existe de longue date, mais elle n’a jamais été aussi violente. C’est elle qui détermine désormais les vainqueurs des vaincus, ceux qui emprunteront les chemins du rebond et de la relance, et les États qui s’enfermeront dans la spirale de l’échec. L’heure est aux choix. Osez faire renaître un État stratège, ou vous serez condamné à faire de fausses promesses aux salariés des secteurs moribonds !

La création d’un champion des énergies renouvelables annoncée par le Président de la République en janvier est un bon signal. Sera-t-il suivi d’effet ? Les économies d’énergie, vivier d’emploi formidable, feront-elles partie de ce chantier ?

Naturellement, les investissements pour traduire dans les faits un changement de cap réel nécessiteront des moyens, des moyens importants. Laissez-nous vous suggérer quelques pistes.

J’ai eu l’occasion d’être en charge des transports de la région Île-de-France (M. Roger Karoutchi s’exclame.) et j’ai constaté que la fortune que possédait notre pays hier continuait de nourrir la démesure de certains élus aujourd’hui. Cessons de dilapider des millions dans les études pour de grands projets inutiles, qu’il s’agisse de lignes à grande vitesse qui coûtent des milliards pour gagner quelques minutes (Mme Hélène Lipietz et M. Joël Labbé applaudissent.), d’aéroports, de la ligne Lyon-Turin ! (Exclamations sur de nombreuses travées de l'UMP.) Voilà la réalité ! Vous voulez faire des économies, nous vous en trouvons !

Vous voulez faire des économies sur la sécurité sociale ?

M. Jean-Vincent Placé. Intervenez sur le prix des médicaments, et renoncez à confier les deniers publics à une quelconque « main invisible » censée faire des prodiges !

Notre troisième et ultime priorité, c’est le ciment de notre société : la République – un thème qui vous est cher, monsieur le Premier ministre. Exemplarité, sobriété, parité, diversité, non-cumul des mandats : cela aura pris deux ans pour moraliser et apaiser la vie politique, mais ce n’est pas seulement de cela qu’il s’agit.

Lorsque les peuples souffrent, « l’apartheid social » se renforce et se fait davantage sentir. Vivre ensemble, réussir ensemble : tel doit être le mot d’ordre qui doit guider notre action, dans l’éducation, dans les politiques de solidarité, de promotion de la diversité, de lutte contre les inégalités sous toutes ses formes, en particulier dans le domaine de la culture.

Vous avez cité la fin de vie dans la dignité, c’est un sujet qui nous préoccupe également pleinement, sur toutes les travées de notre hémicycle.

Enfin, notre époque appelle de nouvelles « Lumières ». Osons, vous l’avez dit hier, le pouvoir législatif pour les collectivités territoriales ! Osons la proportionnelle, qui est un engagement du Président de la République, et le renforcement du contrôle démocratique de notre Parlement !

Osons des communautés et des régions puissantes, au cœur d’une Europe qui attend qu’elles se fassent leur place ! Une Europe, mais pas celle d’aujourd’hui ! Pas celle du traité transatlantique, qui entend supprimer la capacité de notre peuple à défendre des exigences environnementales, sociales, sanitaires.

Une Europe qui protège les peuples, qui protège les droits, qui protège l’environnement.

Ce cap, monsieur le Premier ministre, vous le connaissiez et, depuis hier, vous avez formulé de nombreuses propositions dans ce sens : rendre à l’écologie l’importance qu’elle mérite, engager vraiment la transition énergétique, avancer sur la décentralisation ou encore mettre en œuvre la proportionnelle, ainsi que le scrutin direct pour les intercommunalités (Marques d’approbation sur plusieurs travées du groupe écologiste.), ce qui constituerait un élément important en faveur de la démocratie dans nos territoires.

La réforme des collectivités que vous avancez bénéficiera de notre soutien total et vigilant (Ah ! sur les travées de l'UMP.), en particulier sur la suppression des conseils généraux (Même mouvement.). Combien de fois, dans cet hémicycle, Hélène Lipietz, Ronan Dantec, les élus du groupe, moi-même, avons-nous été traités de dogmatiques sur ce sujet ! (Exclamations sur les travées de l'UMP et du groupe CRC.) Mais nous avons tenu bon…

Mme Cécile Cukierman. Heureusement que vous êtes là !

M. Jean-Vincent Placé. … et vous nous donnez raison. Merci, monsieur le Premier ministre !

Vous qui connaissez notre attachement profond au parlementarisme, vous avez avancé des pistes pour une méthode totalement renouvelée : fin des textes ficelés à l’avance, mise en place de groupes de travail, davantage d’écoute sur le travail d’amendements des assemblées. Ces garanties de nous associer aux décisions ont été particulièrement bien reçues à un moment où les écologistes concentrent, de fait, toutes leurs forces sur le pouvoir législatif.

Je vois dans ces pas vers nous l’amorce d’une orientation différente, sur la forme comme sur le fond, de ce qui fut au cœur de l’action de ces vingt et un derniers mois.

La distance que nous avons prise sera-t-elle provisoire ? (Ah ! et marques d’ironie sur les travées de l'UMP.) C’est vous qui nous le direz. Tout dépend du gouvernement que vous dirigerez et du Premier ministre que vous serez.

Serez-vous le gouvernement de la transition énergétique, la vraie, celle qui créera les emplois que nos concitoyens attendent, celle qui luttera contre le dérèglement climatique, cette gigantesque épée de Damoclès ?