M. Jean-Jacques Hyest. N’est pas le bon véhicule !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous allez vite en besogne, monsieur Hyest !

L’ordonnance est inscrite dans la Constitution. Est-ce gênant d’y recourir ? Le code civil a déjà été modifié par ordonnances en 2003 et 2004, sur des sujets extrêmement importants.

M. Jean-Jacques Hyest. Sur les sûretés !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Nous nous y sommes opposés, comme la majorité de l’époque !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Peut-être, mais reconnaissez que les dispositions qui ont été alors introduites ont corrigé des incohérences contenues dans différentes lois. Elles étaient donc utiles. Si elles n’avaient pas été prises, il nous aurait sans doute fallu attendre encore trente ans de telles mesures. Par exemple, les ordonnances relatives au droit de la filiation ont apporté des corrections aux lois de 1972 et de 2002.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous êtes des parlementaires responsables. Je conçois que vous puissiez être réticents sur le principe du recours aux ordonnances, mais il est des situations et des sujets justifiant ce recours. Et je respecte la réticence, ayant moi-même fait part de la mienne lorsque j’étais parlementaire. Mais soyez convaincus que notre position de principe demeure et n’est pas mise en cause.

Il est important, selon vous, que le Parlement débatte du droit des contrats. C’est indiscutable, mais, comme je viens de vous le rappeler, pour ce qui concerne le droit des sûretés et de la filiation, le Gouvernement a pu légiférer par ordonnances au terme d’un travail de qualité.

En outre, vous le savez, vous pourrez apporter des corrections,…

M. Jean-Jacques Hyest. C’est faux !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … puisqu’un projet de loi de ratification vous sera soumis.

Ne faites pas un tel procès à ce gouvernement qui vous soumet les documents à l’avance. Nous avons mis à disposition de la commission des lois les éléments qui seront constitutifs des ordonnances. Ce travail n’est pas improvisé, puisqu’il est le fruit de vingt ans de réflexion de qualité.

La formule de Guy Carcassonne selon laquelle les ordonnances sont une « législation de chefs de bureau » est magnifique !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Cette formule n’est pas magnifique pour les chefs de bureau… (Sourires.)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il n’est pourtant pas de leur responsabilité d’écrire des ordonnances, et dans les faits, ce ne sont pas eux qui les rédigent.

Les projets d’ordonnances que nous vous avons soumis en toute transparence sont le produit du travail réalisé par des magistrats sérieux et compétents, par des universitaires incontestés, par des parlementaires qui se sont impliqués. Vous le savez, des groupes de travail ont été mis en place, comprenant des députés tels que M. Blanc et Mme Karamanli, des sénateurs à l’instar de MM. Anziani et Béteille. Nous avons également travaillé avec des représentants du monde économique, que ce soient des entreprises ou des consommateurs.

Il est assez paradoxal de refuser d’accorder au Gouvernement l’habilitation pour moderniser le droit des contrats et y inclure, de façon rationnelle et cohérente, la jurisprudence qui s’est accumulée au fil du temps, avec pour conséquence une absence de lisibilité au détriment des cocontractants.

Plusieurs d’entre vous ont cité Portalis.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Très bien !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Revenons au contexte historique.

Vous vous êtes référé au discours préliminaire de Portalis devant le Conseil d’État, et non devant une assemblée élue,…

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. L’assemblée n’était pas élue au suffrage universel !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … à un moment où coexistaient quatre assemblées – le Conseil d’État, le Tribunat, le Corps législatif et le Sénat – et où le Corps législatif, constitué de 300 membres, adoptait les lois du Consulat sans les discuter. En réalité, vos références sont les ordonnances royales et du Consulat.

Il y a quelque paradoxe, pour une assemblée législative élue au suffrage universel – indirect pour la vôtre et direct pour l’autre chambre –, à faire référence au discours précité, aux lois consulaires issues du coup d’État des 18 et 19 brumaire an VIII, c’est-à-dire des 9 et 10 novembre 1799, aux trois consuls qui détenaient le pouvoir exécutif jusqu’en 1802, avant que Napoléon Bonaparte ne devienne consul à vie. Telles sont vos références de principe pour vous opposer…

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Non !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ce sont pourtant celles que vous avez citées à la tribune, monsieur le président de la commission des lois !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je vais vous répondre, madame la garde des sceaux !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je veux bien que vos références démocratiques soient les ordonnances royales et les lois prises sous le Consulat, alors qu’une assemblée était complètement bâillonnée, mais cette position me laisse un peu perplexe !

Par ailleurs, oui, il y a des principes directeurs politiques, mais ils sont établis dans notre droit positif. Par exemple, concernant le droit des contrats et le régime des obligations, c’est la bonne foi.

Lorsque vous refusez que le Gouvernement légifère par ordonnances, vous vous privez de la possibilité de peser sur les orientations du Gouvernement, c’est-à-dire que vous vous en remettez à la jurisprudence,…

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … dont l’accumulation constitue l’essentiel du droit des contrats, vous le savez parfaitement.

M. Jean-Jacques Hyest. Nous le savons effectivement !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Par conséquent, vous choisissez que la jurisprudence continue à faire la loi ! Vous décidez de vous en remettre à la jurisprudence, notamment à celle de la Cour de cassation de 1998 pour déterminer un point important du droit que vous avez soulevé à la tribune, monsieur le président de la commission des lois : la résiliation unilatérale du contrat en cas d’inexécution de celui-ci.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Justement !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est la jurisprudence de la Cour de cassation de 1998 qui va continuer à avoir force de loi.

J’ai souhaité engager le débat à partir de cet amendement afin que les choses soient claires : les références de principe sont les lois du Consulat après le coup d’État des 18 et 19 brumaire an VIII.

Il m’a paru indispensable de vous alerter sur les conséquences de votre décision.

Monsieur le président de la commission des lois, vous êtes prêt, dites-vous, à réserver une niche dès le mois de mai, lors d’une semaine sénatoriale de contrôle,…

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … autrement dit à offrir quatre heures…

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Plus !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … pour examiner 300 articles, alors que nous vous avons soumis les projets d’ordonnances.

Dans cette hypothèse, le projet de loi du Gouvernement doit cheminer…

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Oui, bien sûr !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous, sénateurs, pouvez-vous décider que, d’ici au mois de mai, le Conseil d’État aura pu se prononcer ? Je croyais à la séparation des institutions… Peut-être n’ai-je pas encore compris une ou deux choses dans cette démocratie. (M. Philippe Kaltenbach rit.) J’en prends acte, parce que cela figurera au Journal officiel ! Mais quelle est la suite de l’agenda ?

Que les choses soient très claires : je suis persuadée, et je sais que vous en avez parfaitement conscience, que si la réforme du droit des contrats n’est pas mise en œuvre par voie d’ordonnance, elle n’aboutira pas sous ce quinquennat.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Si chacun assume ses responsabilités, il n’y a plus aucun problème !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Les choses sont claires, et je vais assumer ma responsabilité.

Par cet amendement, le Gouvernement manifeste son souhait de procéder à la réforme du droit des obligations par voie d’ordonnance. Excusez du peu : la réforme du droit des obligations ! Il ne s’agit pas de quelques modifications ou de quelques changements par-ci-par-là !

La question a longuement été débattue lors de la discussion générale. Madame la garde des sceaux, vous m’avez convaincu sur un point : cette réforme est nécessaire et urgente.

Mme Éliane Assassi. Elle doit être débattue !

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Mais de grâce, ne recourez pas aux ordonnances !

Il s’agit de la « constitution civile » de la France, comme a pu le déclarer un éminent juriste, de la base de notre droit civil, et non d’une petite modification du code civil.

Nous n’adoptons pas une position de principe juste pour manifester une hostilité au recours aux ordonnances. Mais nous ne pouvons pas accepter qu’un pan aussi important de notre droit puisse être réformé par la voie d’une simple ordonnance.

Plusieurs raisons, sur lesquelles vous êtes revenue, madame la garde des sceaux, ont été avancées. J’en énoncerai trois principales pour m’opposer à votre amendement.

Le code civil organise la vie de chacun. Une réforme aussi générale que celle que le Gouvernement souhaite mener doit être examinée par le Parlement. Elle engage en effet des choix politiques majeurs.

Pour ma part, je citerai non pas Portalis, mais le doyen Carbonnier, dont on sait à quel point il a contribué à des réformes essentielles, toutes soumises au Parlement. Dans son ouvrage Droit et passion du droit sous la Ve République, évoquant les contrats, il écrit : « Des passions contraires s’y combattent, la confiance conviviale entraîne à contracter, le pessimisme ancestral y flaire un piège. Le contrat est un échange de biens et de services, un moment de sociabilité et de calcul. Il est fortement lié à l’économie, à l’inégalité des rapports sociaux. » Autant de choix qui relèvent du législateur pour décider de la conciliation entre la sécurité juridique, l’autonomie contractuelle et la protection du faible contre le fort.

Une deuxième raison m’incite à refuser cette habilitation. Pour que la réforme se déploie au sein de la société, il faut que les citoyens, les tribunaux ou les universitaires s’en saisissent. Afin que son influence se diffuse au-delà de nos frontières, il est nécessaire qu’elle reçoive l’écho et la publicité que seul l’examen parlementaire pourra lui assurer. Nulle ordonnance n’atteindra jamais à la publicité des travaux parlementaires.

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Nos auditions seront publiques. Tous les points y seront examinés, soumis à l’appréciation vigilante des universitaires et des professionnels que nous entendrons, avant d’être tranchés en commission et en séance au cours de nos débats.

J’en viens à la dernière raison justifiant le rejet de l’amendement n° 39. Contrairement à une croyance tenace, légiférer par ordonnance n’est pas plus rapide que de faire examiner un projet de loi par le Parlement. J’en veux pour preuve le précédent éloquent de la réforme du droit des successions.

Cette réforme a été menée en moins d’un an, du dépôt du texte à son adoption définitive. Le Sénat, au cours de ses débats, a adopté cent vingt-sept amendements, procédant, comme l’Assemblée nationale, à un examen de fond rigoureux et exigeant. Nul ne conteste aujourd’hui la qualité du travail accompli alors par les universitaires, la Chancellerie et les parlementaires.

Madame la garde des sceaux, je répète ce que M. le président de la commission des lois a déjà dit à la tribune : vous pouvez être assurée que le Sénat se mobilisera. Nous ne pouvons nous prononcer que pour ce qui concerne la Haute Assemblée, car les autres pans du travail parlementaire ne sont pas de notre ressort. Quoi qu’il en soit, le Sénat déploiera toute l’énergie nécessaire pour examiner le texte qu’il appelle de ses vœux, si toutefois le Gouvernement consent à l’inscrire à l’ordre du jour ! Je ne peux que vous inviter à privilégier cette voie, qui sera celle du succès plein et entier pour la réforme si attendue depuis plusieurs années du droit des contrats.

Pour l’ensemble de ces raisons, la commission des lois n’est pas favorable à l’amendement n° 39. Je l’affirme solennellement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC – Mme Hélène Lipietz applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la garde des sceaux, vous le savez, j’éprouve, comme nombre d’entre nous et plus encore que la plupart, beaucoup de respect pour vous, pour votre action et pour votre force de persuasion.

Nous mesurons également l’étendue de vos qualités rhétoriques…

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. De fait, vous pouvez passer en un instant d’une vive indignation, voire d’une sorte de colère, à des réparties pleines d’humour, révélant ainsi l’étendue de votre palette rhétorique.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je suis vivante, monsieur le président de la commission, voilà tout !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Et je vous en félicite, madame la garde des sceaux !

Cela étant, je reprendrai, si vous le permettez, vos différents arguments.

Tout d’abord, vous invoquez l’histoire, notamment le contexte dans lequel Portalis a rédigé le code civil. Nous n’ignorons rien de ces circonstances. Néanmoins, dans sa grande humilité, Portalis lui-même a apporté cette précision devant l’assemblée de l’époque, qui n’émanait nullement du suffrage universel – il a fallu quelque temps pour que la France adopte ce mode de désignation : à ses yeux, son œuvre restait imparfaite, et l’assemblée devant laquelle il s’exprimait devait l’examiner de près. Ce faisant, il a témoigné sa confiance en ce travail de délibération collective que nous perpétuons aujourd’hui dans cet hémicycle !

Ensuite, vous indiquez que les ordonnances sont prévues par la Constitution. Nul ne peut nier l’article 38 de cette dernière ! Toutefois, ce n’est pas parce qu’il est possible de recourir aux ordonnances que celles-ci sont nécessaires en toutes circonstances.

Par ailleurs, vous soulignez que le droit des contrats concerne chaque Français constamment, dans sa vie quotidienne, qu’il s’agisse des citoyens, des entreprises ou des institutions. Notre collègue Philippe Kaltenbach a relevé, pour sa part, que les mesures visées représentaient un cinquième du code civil. Modifier des dispositions d’une telle ampleur sans le concours du Parlement – par ses travaux en commission et en séance publique – serait véritablement une première.

Vous avez mentionné deux précédents, le droit des sûretés et celui de la filiation. Toutefois, je rappelle que nous nous sommes alors opposés aux ordonnances. Je peux vous fournir toutes les références nécessaires ! Nos administrateurs, et je les en remercie, ont retrouvé les propos que j’ai alors tenus, ainsi que les discours de collègues beaucoup plus éminents que moi. Je songe en particulier à Robert Badinter, au côté duquel j’ai mené ce combat, et qui a fait montre, en la matière, d’une constante fermeté. Quant à M. Jean-Jacques Hyest, il a conduit l’opposition au sein de notre commission, qu’il présidait alors, et ce sur ces deux sujets.

M. Jean-Jacques Hyest. Tout à fait !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Tout le monde était contre ces réformes, et elles ont été adoptées !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Madame la garde des sceaux, la commission des lois était, hier, unanime sur ces sujets, comme elle l’est aujourd’hui pour la question qui nous occupe ! Tous les membres des six groupes parlementaires représentés en son sein ont adopté la même position, sans la moindre exception. Peut-être avons-nous tous tort sur ce sujet. Peut-être le texte dont il s’agit, qui est d’ailleurs prêt, devrait-il être imposé par voie d’ordonnances…

J’ajoute simplement un point : j’ai eu l’honneur d’être rapporteur d’un grand nombre de textes législatifs, regroupant nombre de dispositions. J’ai participé à de nombreux travaux consacrés aux propositions de loi de M. Warsmann, amoncellements de dispositions disparates,…

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Disparates et illisibles !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. … assorties de tombereaux d’habilitations et de ratifications, parfois introduites par voie d’amendement ! Dans certains cas, cette procédure était sans doute nécessaire, et le présent texte en témoigne. Toujours est-il que, dans d’autres, cette méthode n’était pas la bonne.

Je me suis battu dans cet hémicycle contre l’ordonnance créant les contrats de partenariat public-privé – une paille ! On nous répétait alors l’éternel discours : « C’est une mesure urgente, nécessaire, indispensable, l’économie est en jeu, nous n’avons pas le temps d’attendre, il faut légiférer par voie d’ordonnance ! » Heureusement, le groupe socialiste du Sénat a saisi le Conseil constitutionnel, qui, lui, a fixé les conditions d’urgence et de complexité que le Parlement aurait dû prévoir.

Ensuite, j’ai saisi, au nom d’un certain nombre de députés et de sénateurs, le Conseil d’État. Cette instance s’est gravement et longuement interrogée pour déterminer si, émanant de parlementaires, un tel recours était recevable au sujet d’une ordonnance, texte administratif issu d’une loi d’habilitation, qui avait été votée. Je vous passe les détails, tout ce qui a été fait et défait et toutes les difficultés auxquelles nous avons dû faire face.

Madame la garde des sceaux, vous le savez très bien et vous l’avez même dit : hier, à l’Assemblée nationale, vous auriez pu, en tant que député, soutenir avec beaucoup de conviction que la modification d’un cinquième du code civil exigeait un débat parlementaire !

Certes, se pose la question du temps. Mais elle vaut pour tout !

M. Jean-Jacques Hyest. Évidemment !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. J’en conviens tout à fait, il faut accomplir rapidement la réforme pénale. Je l’ai dit, je l’ai écrit, j’ai cosigné des documents en ce sens : il faut agir tout de suite. Les arguments selon lesquels il faudrait attendre telle ou telle élection ne sont pas recevables, car de deux choses l’une : ou bien cette réforme est nécessaire, ou bien elle ne l’est pas ! Vous nous avez convaincus. Vous l’avez dit avec beaucoup de conviction, avec une force à laquelle je rendrai toujours hommage : il faut accomplir cette réforme au plus vite. Aussi, pour notre part, nous menons dès à présent nos auditions. Comme pour d’autres textes, nous appelons cette célérité de nos vœux.

De même, le Sénat est tout à fait prêt à examiner le texte dont il est question aujourd'hui. Il ne s’agira pas nécessairement d’un long débat, ponctué par nombre de conflits passionnés. Le travail mené en commission – au fil des auditions assurées par le rapporteur, auxquelles chacun pourra participer – puis en séance publique n’en sera pas moins sérieux, pour déterminer les différents points qui doivent être tranchés !

Nous l’avons indiqué, nous proposons d’inscrire ce texte à l’ordre du jour au titre des semaines de contrôle, au sujet desquelles il y aurait beaucoup à dire. Cette innovation a donné lieu à de nombreux débats qui restent parfois sans aucune conclusion, sans aucun effet, alors que nous sommes ici pour légiférer. Pour ma part, je préférerais traiter de ce sujet – et d’autres – plutôt que d’assister à des séances de contrôle, au cours desquelles se succèdent des débats certes intéressants, mais qui n’emportent pas de conséquences législatives.

Enfin, vous invoquez un argument un peu tiré par les cheveux. Vous nous dites que vous vous êtes assuré le concours d’experts éminents, de juristes,…

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Et des parlementaires !

M. Jean-Jacques Hyest. Ça, c’est très mauvais !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. … et de parlementaires ! Mais, lorsque vous avez élaboré la réforme pénale, vous avez travaillé nuit et jour avec des parlementaires, des magistrats, des juristes et des personnalités qualifiées. Pour tous les projets de loi que vous et vos collègues présentez, les meilleurs spécialistes sont mobilisés. Le Gouvernement fait appel à des personnalités très éminentes, très informées et compétentes. Mais quel rapport y a-t-il entre cette méthode de travail et la procédure d’habilitation ? Aucun ! Il n’y a aucun lien logique !

Vous ajoutez qu’Alain Anziani a participé à ces travaux. Notre collègue n’est pas présent en cet instant dans cet hémicycle, mais je sais bien ce qu’il a dit à la commission : malgré cette participation, il n’est pas pour autant favorable à ce que l’on procède par voie d’ordonnance sur ce point.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. En commission, M. Anziani a exprimé la même position que nous tous : prenons le temps du débat parlementaire.

L’organisation de nos travaux est un sujet récurrent, nul ne peut le nier. Peut-être qu’une proposition de loi, adoptée hier, permettra de changer la donne. Vous l’observez, nous ne sommes pas très nombreux dans cet hémicycle, parce que nous sommes un jeudi soir ! Je préférerais que nous travaillions tous les jours de la semaine, pour pouvoir examiner ce texte, comme d’autres, dans de bonnes conditions.

Mme Cécile Cukierman. Avec le non-cumul…

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je vous l’assure : notre bonne foi est complète et dépasse toutes les divergences politiques. Nous souhaitons réellement qu’un débat ait lieu. Vous le savez très bien, les ordonnances ne s’imposent pas en la matière, sinon, peut-être, pour des raisons de commodité.

Étant donné que les sénateurs ont tout de même une certaine influence sur l’ordre du jour du Sénat, notre engagement est digne de foi ! Nous espérons débattre de cette question dès que possible – sans fixer impérativement ce rendez-vous en mai –, si le Gouvernement accepte de transformer en projet de loi le texte qu’il a préparé. Nous sommes tout à fait prêts à étudier cette réforme ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour explication de vote.

M. Jean-Jacques Hyest. Au cours de la discussion générale, nous avons déjà exprimé l’hostilité de la commission des lois au recours aux ordonnances, qui plus est en matière de droit civil !

Madame la garde des sceaux, il ne faut pas pousser les arguments trop loin. Vous avez évoqué la réforme de la filiation. Mais, en l’espèce, il fallait adapter un certain nombre de dispositions par voie d’ordonnance parce que des lois avaient été votées. Ce n’est pas tout à fait la même chose ! Il ne s’agissait pas de réviser le fond du droit. Imaginez un instant une réforme du droit de la filiation par ordonnances ! C’est impossible !

Cela étant, il arrive parfois que la commission des lois ne soit pas entendue. Il arrive que des collègues de passage – ou de service – contrecarrent ses avis en séance publique. J’ai été confronté à ce cas de figure un certain nombre de fois, lorsque je la présidais. C’est, à mes yeux, quelque peu regrettable pour celles et ceux qui ont travaillé de longues heures durant sur tel ou tel sujet. (M. Claude Dilain s’exclame.) C’est également vrai pour d’autres commissions, et vous le savez fort bien monsieur Dilain ! Mieux vaudrait pouvoir aller au fond des débats !

Madame la garde des sceaux, vous nous avez fait une leçon d’histoire – ce qui est toujours plaisant – au sujet de Portalis. Vous avez été formidable ! Mais ce sont d’autres temps. Au reste, si le code civil a tenu si longtemps, c’est parce qu’il était plutôt bien fait et parce qu’il a été enrichi par la jurisprudence. Je ne suis pas favorable à l’adoption de vastes dispositions législatives en matière de responsabilité. Vous le savez bien, ce domaine repose en tout et pour tout sur trois articles du code civil ! La jurisprudence n’en a pas moins été remarquable. Elle a fondé toute une partie de notre droit ! Pour ma part, je ne suis pas favorable à ce que toute disposition juridique soit inscrite dans la loi.

En définitive, le seul argument qui tienne est le suivant : si l’on s’en réfère aux travaux du comité consultatif constitutionnel, on constate que les ordonnances étaient destinées, à l’origine, aux dispositions urgentes.

M. Jean-Jacques Hyest. Cette procédure n’était certainement pas conçue pour être substituée à l’examen législatif !

Je rappelle que, aux termes de l’article 34 de la Constitution, tous les sujets traités dans le code civil relèvent de la loi et, par conséquent, sont du ressort du Parlement.

La seule justification dont vous pouvez vous prévaloir, madame la garde des sceaux, c’est l’encombrement de l’ordre du jour des assemblées de lois inutiles qui nuit à l’examen des lois nécessaires ! Voilà tout le problème ! Vos autres arguments ne sont pas recevables.

Pour ce qui concerne la prescription, le Gouvernement voulait imposer le recours aux ordonnances, car la réforme envisagée n’aboutissait pas. Qu’a fait la commission des lois ? Le président Sueur et les administrateurs s’en souviennent : en collaboration étroite avec Pierre Catala, qui était un ami, et le professeur Terré, que j’admire beaucoup, elle a élaboré de bout en bout une proposition de loi sur ce grand sujet difficile et elle l’a fait voter. Nous pouvons peut-être encore éprouver cette solution, puisqu’un projet de loi existe.

Par ailleurs, comme l’a indiqué le président Sueur, ce n’est pas parce que l’on participe parfois, en qualité de parlementaire, à des groupes de travail, que l’on accepte ensuite de retirer au Parlement le soin de légiférer !

Sur des sujets aussi complexes, la loi présente tout de même une vertu qui échappe à une ordonnance : l’existence de travaux préparatoires, dont la portée n’est pas moindre. Il arrive même que la jurisprudence en tienne compte.

Quoi qu’il en soit, il faut que le débat de fond ait lieu, et il ne sera peut-être pas très long. Madame la garde des sceaux, pour avoir eu connaissance d’un certain nombre d’avant-projets – certes pas le dernier –, je suis au regret de vous le dire, des questions doivent encore être tranchées, et elles ne peuvent l’être que par le Parlement, et non par voie d’ordonnance.

Telles sont les raisons pour lesquelles je suivrai la commission des lois, restant ainsi fidèle à ce que j’ai toujours défendu, quelle que soit la majorité.

M. le président. La parole est à M. Gilbert Roger, pour explication de vote.

M. Gilbert Roger. Je ne suis pas membre de la commission des lois, mais en tant que sénateur, opposé au cumul des mandats, je considère que l’intérêt général doit primer dans l’hémicycle.

Je vous l’avoue, mes chers collègues, la Constitution de la Ve République n’est pas ma tasse de thé, loin de là ! Mais, nous avons décidé de la conserver… Or elle offre la possibilité de recourir aux ordonnances, sans prévoir, me semble-t-il, que cette procédure ne vise que des dispositions ultra-urgentes.

J’apprécie et je soutiens sans réserve ce gouvernement. Mme la garde des sceaux nous propose de faire progresser de manière rapide des éléments essentiels permettant de simplifier la vie de nos concitoyens, ce qui est vraiment nécessaire. Or, depuis que j’assiste au présent débat, j’ai le sentiment que M. le rapporteur ne nous propose que du rétropédalage, ce qui est compliqué pour un maître-nageur ! (Sourires.) Pour ma part, je souhaite que nous avancions.

Madame la garde des sceaux, vous estimez, par le recours aux ordonnances, pouvoir rapidement réaliser des progrès concrets pour nos concitoyens. Je vous invite donc à nous présenter très bientôt un bilan de l’application de ces ordonnances, afin que nous constations le gain de temps.

Pour toutes ces raisons, et à l’instar de mon vote sur les amendements présentés précédemment par le Gouvernement, je voterai le présent amendement, comme tous ceux qu’il nous soumettra.