M. Benoît Hamon, ministre délégué. Ah ?

Mme Élisabeth Lamure. La cession sera mise sur la place publique, des négociations qui nécessitent de la discrétion et du calme se feront sous le regard amusé de la concurrence et sous les yeux inquiets des salariés.

M. Jean-Claude Lenoir. C’est bien le problème !

Mme Élisabeth Lamure. Songez notamment à la sécurité des entreprises françaises évoluant dans des secteurs stratégiques où la confidentialité est un impératif !

Deuxièmement, cette mesure est injuste, car elle restreint le droit de propriété. Certes, elle n’est pas applicable aux cessions familiales, mais le présent texte confère une situation préférentielle aux salariés, qui pourront constituer une SCOP.

Si on peut suivre le cheminement qui vous a conduit à élaborer cette disposition, on ne peut pas rester silencieux face à l’atteinte qui sera portée à la liberté du propriétaire d’attendre l’offre la plus satisfaisante.

J’ajoute que ces dispositions relatives à l’information des salariés témoignent d’une méconnaissance du monde de l’entreprise : comment pouvez-vous croire que, dans les petites entreprises, où tout le monde se connaît, se parle et travaille ensemble, une éventuelle cession puisse être cachée aux salariés ?

Ainsi, le Gouvernement veut, une fois de plus, légiférer pour répondre à des situations extrêmes, peu significatives de la réalité courante de la vie économique. Et pour ces quelques cas particuliers, les entrepreneurs se verront confisquer le droit de décider de leurs successeurs ! Dans ces conditions, monsieur le ministre, si vous n’acceptez pas d’assouplir ces éléments du texte, vous comprendrez que nous aurons bien du mal à le voter. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Claude Lenoir. Mais M. le ministre va s’assouplir !

M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin.

M. Martial Bourquin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans la lutte contre le chômage, pour la création et la préservation des emplois, nous avons le devoir de ne négliger aucune piste et de ne laisser de côté aucun acteur économique sous prétexte d’idéologie. À cet égard, le présent texte a un immense mérite : il réaffirme que l’économie sociale et solidaire n’est pas une économie marginale et qu’en cela toute politique en faveur de l’emploi doit s’appuyer pleinement sur ses structures, ses salariés et ses réseaux.

Il était temps que cette réforme intervienne. Il était temps que tous les acteurs de l’économie sociale et solidaire soient pleinement reconnus et mobilisés. Je sais que c’est le souci du Gouvernement. Il s’agit là d’un enjeu absolument nécessaire pour gagner la bataille de l’emploi.

Monsieur le ministre, vous partez du principe qu’il ne faut négliger aucune piste. Tel est bien le sens du droit d’information des salariés, dont la formulation a été modifiée par la commission. Je salue d’ailleurs l’intense travail accompli par notre rapporteur, Marc Daunis.

M. Marc Daunis, rapporteur. Merci !

M. Martial Bourquin. Cette rédaction me semble non seulement la plus juste mais aussi la plus efficace.

La reprise et la transmission d’entreprises sont un problème chronique et dévastateur, qui coûte, chaque année, 50 000 emplois à la France.

M. Roland Courteau. Il faut le dire !

M. Martial Bourquin. Ce dysfonctionnement mine notre économie, notre compétitivité et l’équilibre économique de nos territoires.

J’entends ici ou là que le droit à l’information menacerait le secret des affaires. Mais jamais les droits des salariés n’ont porté atteinte à l’efficacité économique !

M. Marc Daunis, rapporteur. Très bien !

M. Martial Bourquin. À trop vouloir préserver les secrets, on risque de ne pas préserver les affaires. À ce titre, le projet de loi propose une véritable innovation. Or toute innovation passe par trois stades, pour citer Schopenhauer : tout d’abord elle paraît ridicule, ensuite elle est violemment combattue et, enfin, on considère qu’elle a toujours été évidente. Dès lors, on se dit même : pourquoi ne pas l’avoir mise en œuvre plus tôt ?

Je le répète, le droit à l’information des salariés est une bonne chose. Il permettra de sauver de nombreuses entreprises au sein de nos territoires.

Parallèlement, ne négligeons pas les différents acteurs de ce domaine. Il faut le dire, dans cette maison des collectivités qu’est le Sénat, les régions sont les acteurs historiques et efficaces de l’économie sociale et solidaire.

Mes chers collègues, jugez-en. En Franche-Comté, la région de Proudhon, qui est un enfant de Besançon, l’économie sociale et solidaire représente 45 548 emplois, 11 % de l’emploi régional salarié, 15 % de l’emploi général privé, 660 coopératives, 3 801 structures et associations. La région de Franche-Comté consacre 5,3 millions d’euros à ces dossiers de qualité et dispose d’un savoir-faire appréciable en la matière.

L’économie sociale et solidaire, c’est aussi l’innovation. Dans le cadre des pôles de compétitivité, les régions, comme l’ensemble des collectivités territoriales, veulent faire en sorte que l’innovation sociale soit placée au même niveau que l’innovation technologique,…

M. Marc Daunis, rapporteur. Très bien !

M. Martial Bourquin. … via l’organisation d’écosystèmes favorables au recensement des besoins, au montage des projets et à leur finalisation. C’est à cette fin que j’ai déposé, aux articles 4 et 5, des amendements qui tendent à associer plus étroitement les exécutifs régionaux à la définition des projets dans ce domaine.

Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, je sais que vous êtes à l’écoute sur ces dossiers. Je sais également que nous ne serons pas de trop pour les défendre. S’il est indispensable d’aider les petits organismes de l’insertion par le vecteur économique, il faut également veiller à ne pas handicaper, sérieusement ou douloureusement, les plus grandes structures. Là encore, nous ne serons pas de trop !

Une croissance durable et riche en emplois passe par un développement inédit de l’économie sociale et solidaire. Monsieur le ministre, votre loi y contribuera ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)

M. Marc Daunis, rapporteur. Bravo !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.

M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire que le Gouvernement nous présente aujourd’hui opère d’importantes avancées économiques, sociales, démocratiques et citoyennes.

À ce jour, l’économie sociale et solidaire n’est pas légalement définie. Elle se définit elle-même par son histoire, ses acteurs et ses expérimentations. Reste que, pour se développer, elle a besoin d’un cadre législatif clair et ambitieux.

L’économie sociale et solidaire, c’est avant tout l’histoire de l’organisation collective des individus au service de projets de société permettant d’échapper au modèle dominant. À cet égard, je pourrais faire appel à la notion de « socialisme utopique »…

M. Jean-Pierre Godefroy. … ou évoquer la « république coopérative » théorisée par Charles Gide, qui fait appel au développement des coopératives de consommation, l’objectif étant de permettre la solidarité et l’émancipation des individus au travers de leur investissement dans un acte désintéressé.

Aujourd’hui, l’économie sociale et solidaire se revendique de cet héritage et s’inscrit dans cette lignée. Elle englobe le champ des associations, des coopératives, des mutuelles et des fondations. Elle se caractérise également par ses valeurs, la transformation sociale permettant l’organisation collective désintéressée, notamment à travers la participation démocratique des individus, selon le principe « un homme ou une femme, une voix ».

Monsieur le ministre, ce sont ces valeurs qui sont reprises dans le texte que vous nous présentez.

Depuis l’époque de l’industrialisation, nous avons peu à peu assisté à la séparation des sphères économique et politique, et ce au point d’entendre parler du « pouvoir de la finance » au même titre que du « pouvoir politique ». Qui plus est, nous sommes aujourd’hui face à une crise globale, une crise de système conduisant chacun à imaginer quelle solution nouvelle peut être mise en œuvre par l’action politique.

Par son esprit, le présent texte est un moyen de permettre à nos concitoyens de se réapproprier le pacte social républicain.

C’est dans ce contexte que l’économie sociale et solidaire prend, à mes yeux, toute son importance. En effet, celle-ci permet à chaque individu de s’approprier les enjeux économiques de manière collective, ce qui suscite la participation des individus au développement des territoires, avec des emplois non délocalisables.

Je salue, dans le présent texte, les avancées facilitant cette organisation collective. Je songe notamment au droit d’information pour les salariés en cas de cession de leur entreprise – nous y reviendrons –, à la création des SCOP d’amorçage – sujet important ! –, à la reconnaissance juridique des pôles territoriaux de coopération économique – enjeu tout aussi important ! – ou encore à celle des coopératives d’activité et d’emploi.

Avant de conclure, j’évoquerai l’un des aspects fondamentaux de ce projet de loi : la diffusion des valeurs et des modes de fonctionnement de l’économie sociale et solidaire au sein de l’économie classique. En effet, au vu du contexte économique, social et politique actuel, nous nous devons de proposer une autre voie. Cette dernière peut, en partie, figurer dans l’inclusion des principes de l’économie sociale et solidaire au sein de l’économie classique. À mon sens, il s’agit là d’un point fondamental : grâce à la philosophie qui a guidé l’élaboration de ce texte, nous pouvons penser que l’économie sociale et solidaire est susceptible d’ouvrir de nouveaux horizons.

Ce projet de loi, qui sera certainement amendé à la marge avec l’assentiment du Gouvernement, est un texte ambitieux auquel j’adhère bien sûr pleinement, comme tous mes camarades du groupe socialiste. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard.

M. Yannick Vaugrenard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cinq ans après son commencement, la crise systémique de 2008 continue d’imprimer sa marque sur notre pays comme sur le reste du monde. Les soubassements d’une économie excessivement financiarisée et déconnectée de l’économie réelle se sont fissurés et parfois effondrés. Les gouvernements se sont pliés à la nécessité de mettre en œuvre, dans l’urgence, des réponses hâtives qu’il a parfois fallu corriger par d’autres politiques. Ces dernières commencent à porter leurs fruits : si la situation reste bien entendu fragile, nous en sommes arrivés au moment décisif de la reconstruction.

Dans ce contexte, le présent projet de loi acte, avec lucidité, la nécessité de promouvoir une économie plus humaine. C’est une étape importante, et je tiens à saluer le travail des différents rapporteurs. Je songe en particulier à M. Marc Daunis,…

M. Martial Bourquin. Très bien !

M. Yannick Vaugrenard. … qui a permis, avec pragmatisme, de renforcer ce texte dans le souci d’une efficacité encore plus grande.

L’économie sociale et solidaire traduit une belle ambition, fondée sur une approche différente des rapports de force sociaux. De plus, comme M. le ministre l’a souligné, l’économie sociale et solidaire crée ou consolide souvent des emplois qui ne sont pas délocalisables et qui, à ce titre, renforcent les territoires et le tissu socioéconomique du pays tout entier.

Pour ma part, j’insisterai particulièrement sur un aspect important du texte, que nombre d’orateurs ont déjà évoqué, à savoir la transmission d’entreprises. Les dispositions spécifiques en la matière ont pour but de lutter contre l’hémorragie d’emplois occasionnée par le fait que, chaque année, des milliers d’entreprises viables et solides ne trouvent pas de repreneur. Nous en connaissons la conséquence : la perte de 50 000 emplois par an et la fragilisation, voire la dévitalisation de bassins de vie.

M. Marc Daunis, rapporteur. Exact !

M. Yannick Vaugrenard. En conséquence, l’une des mesures phares du projet de loi vise à faciliter la transmission des TPE et PME à leurs salariés, avec une obligation préalable d’information, deux mois avant tout projet de cession. Cette disposition permettra que soit formulée, dans de bonnes conditions, une offre éventuelle de rachat par les salariés.

Un important travail coopératif a été accompli entre le Gouvernement et le Sénat, afin de garantir la plus grande sécurité juridique dans ce domaine. Ce dispositif bénéficiera aussi bien aux chefs d’entreprise qu’aux salariés. Une obligation de discrétion – nous pourrions même dire de confidentialité – est définie. Par ailleurs, le chef d’entreprise conservera la liberté de choisir son ou ses successeurs.

Dans un contexte dont nous connaissons tous l’âpre difficulté, nous avons, par ce dispositif, les moyens de mettre en place un outil encore inédit dans notre pays. Ce système devrait nous permettre de conforter les emplois et les activités de centaines de PME, et tout particulièrement des TPE lorsqu’elles sont en mal de successeur.

Dans ces conditions, et en tenant compte des garde-fous que je viens d’évoquer, comment expliquer l’attitude résolument hostile à cette perspective du MEDEF, si ce n’est par un positionnement irrationnel, conforme à l’inadmissible carton jaune que cette organisation a adressé au Gouvernement à l’occasion du projet de budget pour 2014 ?

Après tous les efforts faits en direction des entreprises, notamment les 20 milliards d’euros accordés par le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, on croit rêver ! Cracher ainsi dans la soupe, après avoir exigé qu’elle fût chaude et bien servie, est un comportement inadmissible, qui, lui, mérite un carton rouge ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Yannick Vaugrenard. Il est temps que le MEDEF retrouve le chemin de la raison.

M. François Patriat. C’est tout simplement impossible !

M. Yannick Vaugrenard. Aujourd’hui, tout ce qui peut être fait pour maintenir l’emploi et l’activité sur nos territoires doit l’être. C’est une obligation qui s’impose à nous, par-delà les clivages politiques et idéologiques. C’est pourquoi, monsieur le ministre, nous soutenons pleinement cette mesure ambitieuse et, plus globalement, la mise en œuvre de la politique en faveur de l’économie sociale et solidaire, dont vous êtes le promoteur. Tenez bon ! Le temps est à l’initiative et au courage, et vous n’en manquez pas. Sachez que vous pouvez compter sur nous. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

M. Marc Daunis, rapporteur. Bravo !

M. le président. La parole est à M. Maurice Antiste.

M. Maurice Antiste. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lorsque l’on évoque l’économie aujourd’hui, on pense généralement au profit, à la mondialisation, aux licenciements, aux délocalisations. L’économie a mauvaise presse, parce qu’elle est systématiquement associée à la spéculation ou à l’individualisme narcissique. Si cette perception peut, certes, paraître caricaturale, elle habite néanmoins l’imaginaire collectif, comme l’actualité le démontre chaque jour. On ne peut ni blâmer cette tendance ni l’empêcher.

La crise actuelle du système capitaliste dans notre pays et, plus globalement, dans le monde a eu des répercussions catastrophiques sur l’ensemble de l’économie, y compris en Martinique. C’est pourquoi nous ne pouvons nous contenter d’une économie axée sur le court terme ou sur la satisfaction de quelques-uns ; nous devons plutôt nous orienter vers une économie morale. Néanmoins, nous ne saurions céder au manichéisme, car il existe des côtés positifs à l’économie, peut-être trop souvent passés sous silence par les adversaires du « tout-économique » : la créativité, le sens de l’initiative individuelle, le dynamisme.

L’économie sociale et solidaire a le mérite d’introduire des considérations humaines, sans pour autant nier la légitimité de l’entreprise privée et de l’initiative individuelle : le profit n’est pas oublié, il ne constitue simplement plus la seule finalité. La mise en place, en mai 2012, d’un ministère délégué à l’économie sociale et solidaire, porteur de ce projet de loi, démontre que le Gouvernement a bien compris cela.

Le texte que nous examinons aujourd’hui pose pour la première fois une définition du périmètre de l’économie sociale et solidaire, et il permettra d’intégrer, en plus des acteurs historiques, les SA, SARL ou SAS qui le souhaiteront, à condition que soient respectés les critères et les principes définis par la présente loi.

Les acteurs de l’économie sociale et solidaire bénéficieront, de plus, d’un accès facilité aux dispositifs de soutien à leur activité, non seulement sur le plan fiscal mais aussi en termes de possibilités de financement, à travers les 500 millions d’euros alloués à la Banque publique d’investissement.

Je connais, pour m’y être très sérieusement intéressé, la vitalité des secteurs de l’économie sociale et solidaire, notamment en Martinique. Je sais qu’alors que les chiffres du chômage s’aggravent partout, en France comme en outre-mer, notamment pour les jeunes, l’économie sociale et solidaire, au contraire, se développe et offre un gage d’avenir. Ainsi, en Martinique, ce secteur rassemble plus de 12 000 emplois, représentant 11 % de l’ensemble des emplois du département au sein d’environ 942 établissements employeurs.

Force est de constater que l’économie sociale et solidaire connaît une croissance soutenue, supérieure à celle des entreprises traditionnelles comme du secteur public. C’est pourquoi toutes les initiatives économiques, de métropole et d’outre-mer, ont besoin, plus que jamais, d’être accompagnées pour faire face à la crise. L’économie sociale et solidaire ne constitue en effet pas, à elle seule, une alternative crédible à l’économie traditionnelle, mais elle offre un complément indispensable, loin d’être incompatible avec l’existence d’une économie prospère plus centrée sur le profit.

En France, à la fin de 2011, les acteurs de l’économie sociale et solidaire rassemblaient 217 000 établissements employant 1,9 million de salariés et comptant pour 10 % du PIB. Ce secteur joue donc, et jouera, un rôle non négligeable dans notre économie, en continuant à recruter dans les années à venir. Les prévisions évaluent à plus de 600 000 les postes à pourvoir d’ici à 2020. Le temps est donc venu de soumettre l’économie à l’exigence démocratique et à celle de l’intérêt général, en favorisant ce secteur, porteur de cette volonté.

L’économie évoque souvent l’austérité ou la précarité, elle peut toutefois devenir à nouveau synonyme de prospérité et d’épanouissement. Il ne s’agit pas de nier sa légitimité, mais de l’orienter vers des finalités plus hautes, plus nobles, dirais-je, à savoir le service de la personne humaine.

Je souhaite encourager l’économie sociale et solidaire, car il faut mettre l’homme au centre de tout. Nous ne pourrons plus, dès lors, désespérer de l’économie, tout simplement parce que nous ne devons jamais désespérer de l’homme. Ainsi que le disait si bien Aimé Césaire : « Gardez-vous de vous croiser les bras en l’attitude stérile du spectateur, car la vie n’est pas un spectacle, car une mer de douleurs n’est pas un proscenium, car un homme qui crie n’est pas un ours qui danse... » (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Mesdames, messieurs les sénateurs, avant de vous répondre – je ne serai d’ailleurs pas très long, car vous avez tous dit, avec des mots différents, votre attachement à l’économie sociale et solidaire, ce dont je vous remercie –, je tiens à saluer l’intervention de M. Antiste et sa citation très appropriée d’Aimé Césaire.

Le projet de loi, monsieur César, n’est pas un manuel pour expliquer l’économie aux enfants. Notre approche de l’économie sociale et solidaire est au contraire très sérieuse puisque nous souhaitons aider ce secteur à changer d’échelle.

Je veux dire quelques mots du droit d’information, ne serait-ce que pour ramener cette disposition à la juste place qu’elle occupe dans le texte. Certes, il s’agit d’une disposition importante, dans la mesure où elle concernera des millions de salariés, mais les articles 11 et 12 ne doivent pas masquer ce qui fait la force du texte : répondre enfin aux demandes des acteurs de l’économie sociale et solidaire, qui étaient ignorées ou peu entendues jusqu’à présent, à savoir reconnaître ce secteur, le définir et proposer des outils pour l’aider à se développer.

J’insiste sur ce point, car il ne faut pas aborder le projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire en oubliant les dispositions que nous avons prises en matière de fiscalité, notamment avec l’abattement sur la taxe sur les salaires, et en matière de financement, je pense à la mobilisation de Bpifrance en faveur de l’économie sociale et solidaire à hauteur de 500 millions d’euros qui s’ajoute à la création du fonds pour l’innovation sociale. Toutes ces politiques concourent aujourd’hui à mettre en œuvre le changement d’échelle.

Je reviens rapidement sur la question de la transmission. Je le dis avec beaucoup de force : il y a une forme d’archaïsme à considérer que les salariés ne peuvent pas être les alliés des chefs d’entreprise. Les salariés ne sont pas un obstacle au maintien de leurs propres emplois, au contraire. Il est légitime que celui qui souhaite céder son entreprise, car c’est sa propriété, réalise une plus-value. Mais, je le répète, nous considérons les salariés comme des alliés dans ce processus. C’est pourquoi nous leur conférons à tous un droit utile, important et nouveau.

Sachez que je suis ouvert à toute amélioration du texte. Je suis donc tout entier disposé à écouter vos arguments. Cependant, sachez également que je défends une option politique : développer l’économie sociale et solidaire, M. Vaugrenard vient de l’évoquer, comme l’un des moyens de sortir de la crise économique et financière que nous venons de vivre et de construire une stratégie de croissance pour la France. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion des articles du texte de la commission.

TITRE Ier

DISPOSITIONS COMMUNES

Chapitre Ier

Principes et champ de l’économie sociale et solidaire

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'économie sociale et solidaire
Article 1er (interruption de la discussion)

Article 1er

I. – L’économie sociale et solidaire est un mode d’entreprendre auquel adhèrent des personnes morales de droit privé qui remplissent les conditions cumulatives suivantes :

1° Un but poursuivi autre que le seul partage des bénéfices ;

2° Une gouvernance démocratique ou participative prévoyant la participation des parties prenantes aux réalisations de l’entreprise définie et organisée par les statuts ;

3° Une gestion conforme aux principes suivants :

a) Les bénéfices sont majoritairement consacrés à l’objectif de maintien ou de développement de l’activité de l’entreprise ;

b) Les réserves obligatoires constituées, impartageables, ne peuvent pas être distribuées. En cas de liquidation ou le cas échéant en cas de dissolution, l’ensemble de l’actif net est dévolu soit à une autre entreprise de l’économie sociale et solidaire au sens du présent article, soit dans les conditions prévues par les dispositions législatives et réglementaires spéciales qui régissent la personne morale de droit privé faisant l’objet de la liquidation ou de la dissolution.

II. – L’économie sociale et solidaire est composée des activités de production de biens ou de services mises en œuvre :

1° Par les personnes morales de droit privé, constituées sous la forme de coopératives, de mutuelles ou d’unions relevant du code de la mutualité ou de sociétés d’assurance mutuelles relevant du code des assurances, de fondations ou d’associations régies par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association ou, le cas échéant, par le code civil local applicable aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle ;

2° Par les sociétés commerciales qui, aux termes de leurs statuts, remplissent les conditions suivantes :

a) Elles respectent les conditions fixées au I et poursuivent un objectif d’utilité sociale, telle que définie à l’article 2 ;

b) Elles prévoient :

– le prélèvement d’une fraction définie par arrêté du ministre chargé de l’économie sociale et solidaire et au moins égale à 15 % des bénéfices de l’exercice diminués, le cas échéant, des pertes antérieures, affecté à la formation d’un fonds de réserve dit « réserve statutaire » ;

– le prélèvement d’une fraction définie par arrêté du ministre chargé de l’économie sociale et solidaire et au moins égale à 50 % des bénéfices de l’exercice diminués, le cas échéant, des pertes antérieures, affecté au report bénéficiaire ainsi qu’aux réserves obligatoires ;

– l’interdiction du rachat par la société d’actions ou de parts sociales, sauf lorsque ce rachat intervient dans des situations ou selon des conditions prévues par décret.

III. – (Non modifié) Peuvent faire publiquement état de leur qualité d’entreprises de l’économie sociale et solidaire et bénéficier des droits qui s’y attachent les personnes morales de droit privé qui :

1° Répondent aux conditions mentionnées au présent article ;

2° Pour les entreprises mentionnées au 2° du II, se sont valablement immatriculées auprès de l’autorité compétente en tant qu’entreprises de l’économie sociale et solidaire.

IV. – (Non modifié) Un décret précise les conditions d’application du présent article, et notamment les règles applicables aux statuts des sociétés mentionnées au 2° du II.

M. le président. La parole est à M. François Patriat, sur l'article.

M. François Patriat. Je souscris bien sûr à l’ensemble des propos tenus par mes collègues sur les bienfaits de l’économie sociale et solidaire. Reste que, à mes yeux, ce projet de loi pose un problème d’équité.

Monsieur le ministre, vous avez déclaré vouloir éviter que des entreprises d’insertion sous statut commercial, qui seraient trop souvent des filiales de grands groupes, puissent bénéficier de l’agrément « entreprise solidaire d’utilité sociale », ou ESUS, dans l’objectif de sécuriser l’utilisation des fonds de la finance solidaire.

Je comprends cette intention, elle est louable. Elle conduit cependant, en raison de trois contre-exemples, à légiférer pour l’ensemble des 1 260 entreprises d’insertion du territoire et de leurs 65 000 salariés à travers le prisme de quelques exceptions, représentant au maximum 2,5 % des entreprises. Nous remarquerons que cette proportion marginale met fin au doute sur l’éventuelle aubaine que représenterait ce modèle d’entreprise pour de grands groupes guettant çà et là des opportunités.

À l’article 1er, vous avez choisi de définir le périmètre de l’économie sociale et solidaire sur des critères propres aux acteurs statutaires, dits historiques, de l’économie sociale et solidaire que sont les coopératives, les mutuelles, les fondations et les associations, sans considération pour la spécificité et le poids historique, sinon numéraire, de l’insertion par l’activité économique, ou IAE. Les acteurs de l’insertion, qui, depuis trente ans, salarient et accompagnent vers l’emploi des personnes qui en sont éloignées, nourrissent le sentiment que leur appartenance engagée à l’économie sociale et solidaire et la spécificité de leur modèle n’ont pas été prises en compte dans le projet de loi.

Les amendements que je vous propose visent à pallier cet oubli en soumettant les acteurs de l’IAE conventionnés par l’État pour leur mission d’insertion aux mêmes conditions que les autres acteurs historiques que sont les coopératives, les mutuelles, les fondations ou les associations. En effet, les entreprises d’insertion et les entreprises de travail temporaire d’insertion, les ETTI, dont plusieurs centaines en France sont constituées sous forme de sociétés commerciales, seraient exclues de l’agrément ESUS non parce qu’elles font mal leur travail, ou parce que leur activité ne répond pas à la définition de la solidarité, mais parce qu’elles n’ont pas la bonne couleur juridique. Cela fait pourtant vingt-cinq ans que les entreprises d’insertion sont des entreprises solidaires, ainsi que l’indique le code du travail.

Ce refus d’intégrer de droit dans le périmètre de l’économie sociale et solidaire ces entreprises, déjà agréées comme entreprises solidaires, au prétexte qu’elles ont un statut commercial, persiste. Pour rester entreprises solidaires, monsieur le ministre, ces entreprises devraient accepter des conditions d’encadrement administratif de leur fonctionnement. Il leur serait, par exemple, impossible d’acquérir des parts sociales ou des actions d’une autre société. Quel investisseur privé acceptera de créer une entreprise d’insertion dans de telles conditions ?

Il n’y aura plus de place pour les PME du secteur marchand dans l’insertion par l’activité économique. En conséquence, il restera trois types d’entreprises solidaires dans ce secteur : celles qui sont capitalisées par l’argent public via des associations, celles qui sont capitalisées par de grandes entreprises, directement ou par le biais de leurs fondations, ces dernières réalisant alors des opérations de mécénat et de communication, et les coopératives.

Le fil conducteur de la loi, qui consiste à définir la notion de « solidarité » ou de « social » en se reposant sur la forme juridique des structures plutôt que sur la nature et la qualité de leur travail, aboutit à des situations ubuesques. Ainsi, les banques mutualistes, la Caisse d’épargne, le Crédit agricole ou la Banque populaire, seront de droit et sans autres conditions des structures de l’économie sociale et solidaire. Il y va de même pour toutes les mutuelles, les grandes coopératives et les associations. Un club d’investissement en bourse entrera donc de droit dans ce périmètre, mais pas une entreprise d’insertion sous forme de société commerciale installée dans une zone urbaine sensible.

Pourtant, les entreprises de travail temporaire d’insertion sous forme commerciale, que l’on rejette du premier périmètre de l’économie sociale et solidaire, n’ont pas la même réalité économique et financière que les mammouths de l’économie sociale et solidaire qui figurent dans ce périmètre. Je vous rappelle quelques-unes des rémunérations annuelles de ces patrons de l’économie sociale pour 2011 : à la MAIF, 350 000 euros ; à la MACIF, 370 000 euros ; à la Caisse d’épargne, 691 000 euros ; à la CNP, 1 million d’euros.

Les PME commerciales de l’insertion par l’économique, qui ne sont pas envieuses de la rémunération des autres acteurs de l’économie sociale et solidaire, ne demandent rien d’autre que la reconnaissance de leur action solidaire, en étant intégrées de droit dans le périmètre, d’autant que, en vertu de la loi, elles sont déjà conventionnées par l’État au titre de l’insertion par l’économique et qu’elles étaient historiquement des entreprises solidaires, conformément au code du travail.

Dans un monde aussi complexe, on ne saurait se satisfaire d’une nouvelle maxime selon laquelle « l’habit fait le moine » pour définir ce qui relève de l’action sociale et solidaire. En un mot, les ETTI ne veulent entrer dans l’économie sociale et solidaire non par la filière, mais par la gouvernance parce que leur histoire et leur action montrent qu’elles peuvent y adhérer.