M. Jean-Claude Gaudin. « À la marge » ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. … sans remettre en cause tant la nécessité d’un plus grand nombre de grands électeurs dans les communes de plus de 30 000 habitants que le fait que la proportionnelle favorise non seulement la parité mais aussi la pluralité politique dans les départements. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi qu’au banc de la commission.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, rapporteur.

Mme Laurence Cohen, rapporteur de la délégation au droit des femmes et à l’égalité des chances ente les hommes et les femmes. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, conformément à ses attributions, la délégation aux droits des femmes a examiné le présent projet de loi sous l’angle exclusif de son impact sur l’égal accès des femmes et des hommes au mandat sénatorial.

Je commencerai par un bref rappel historique pour appuyer vos propos, monsieur le ministre, que je soutiens.

Le Sénat est longtemps resté une assemblée essentiellement masculine : à la veille du renouvellement de 2001, on ne comptait encore que vingt sénatrices pour 321 sièges, c’est-à-dire à peine 6,5 % de femmes.

C’est avec l’entrée en vigueur de la loi du 6 juin 2000 et de ses obligations paritaires que les choses ont véritablement changé. En une dizaine d’années, le nombre de sénatrices a été très exactement multiplié par quatre : à la veille du renouvellement de 2011, on comptait quatre-vingts sénatrices, soit 23,3 % des 343 sièges.

Cette forte progression illustre, une fois de plus, l’efficacité de la loi du 6 juin 2000 et plus particulièrement des mécanismes qu’elle a prévus pour les élections se déroulant au scrutin de liste et à la représentation proportionnelle. On sait que celles-ci ont permis à la parité de devenir une réalité effective dans les conseils régionaux, qui comptent 48 % de femmes, dans les conseils municipaux des communes de plus de 3 500 habitants, qui comptent 48,5 % de femmes, et au sein de la représentation française au parlement européen, qui compte 44,4 % de femmes.

Les élections sénatoriales, avec un mode de scrutin mixte, en fournissent à leur façon une nouvelle démonstration : la consolidation des résultats des élections de 2001, 2004 et 2008, qui correspondent à un renouvellement complet du Sénat effectué sous obligation paritaire, montre que soixante et une sénatrices ont été élues au scrutin proportionnel, contre seulement dix au scrutin majoritaire.

Autrement dit, le scrutin proportionnel a fait entrer six fois plus de femmes au Sénat, alors que le nombre de sièges pourvus par l’un et l’autre modes de scrutin est actuellement très proche.

Les élections sénatoriales de 2011 ont confirmé le rôle déterminant du scrutin proportionnel : sur les quarante-neuf sénatrices élues, trente-neuf l’ont été au scrutin proportionnel et dix seulement au scrutin majoritaire.

Mme Nathalie Goulet. Ce sera plus difficile à l’avenir !

Mme Laurence Cohen, rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Mais dans le même temps, la progression du nombre de sénatrices a marqué un palier, voire un léger tassement : de quatre-vingts, il est redescendu à soixante-dix-sept.

Un nouvel élan est donc aujourd’hui nécessaire pour reprendre le chemin d’une parité effective. Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui peut-il y contribuer ?

Mme Laurence Cohen, rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Certes, en étendant le scrutin proportionnel aux départements comportant trois sièges, il devrait a priori avoir un effet positif sur le nombre des sénatrices.

Mme Laurence Cohen, rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Notre délégation est donc favorable à cet abaissement du seuil.

Mais deux phénomènes devraient en limiter la portée pratique : les têtes de listes masculines et les listes dissidentes.

Dans les départements comportant trois sièges, ces phénomènes auront des effets déterminants. Avec des têtes de listes masculines, des femmes ne pourront se faire élire que si l’une des listes parvient à obtenir deux des trois sièges disputés. Cette hypothèse sera d’autant moins fréquente que l’on continuera d’assister à une floraison de listes dissidentes qui, en fait, contournent la parité.

Nous avons exploré plusieurs pistes pour renforcer les effets d’une réforme un peu timide.

Première piste, nous nous sommes demandé s’il fallait aller plus loin et recommander d’abaisser à deux sièges le seuil de la proportionnelle. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Jacques Mézard. C’est n’importe quoi ! Invraisemblable !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Ce n’est pas facile de laisser sa place, n’est-ce pas ?

Mme Laurence Cohen, rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Ah, voilà qui vous réveille ! C’est bien, je suis contente !

Cela nous a paru prématuré voire peu probant au regard des craintes exprimées par les responsables des partis politiques que j’ai rencontrés. Aussi demandons-nous d’abord au Gouvernement d’établir des données plus précises sur l’impact prévisible qu’aurait une telle mesure sur la parité et sur la diversité politique, car c’est pour nous un bien précieux.

Une deuxième piste consisterait en l’obligation pour le candidat et son remplaçant d’être de sexes différents, dans les circonscriptions où les élections sénatoriales continueront de se dérouler au scrutin majoritaire.

Nous ne devons pas nous résigner à ce que les quatre-vingt-treize sièges concernés soient dispensés de toute obligation paritaire. Je défendrai d’ailleurs un amendement en ce sens.

Une troisième piste serait un meilleur équilibre entre les sexes au sein du collège sénatorial. Le ministère de l’intérieur n’a pu nous donner de précisions sur la composition par sexe de celui-ci. Nous le regrettons et nous vous demandons, monsieur le ministre, de réunir ces données et de les faire systématiquement établir à l’issue de chaque élection sénatoriale.

Mais surtout, nous jugeons très étonnant qu’aucune obligation paritaire ne s’impose actuellement dans la désignation des délégués composant ce collège. Nous proposons de remédier à cela en prévoyant la constitution de listes paritaires lorsque l’élection s’effectue à la représentation proportionnelle. Je défendrai un amendement visant à transcrire notre recommandation dans le code électoral.

Nous proposerons une autre modification, de portée symbolique : il est en effet paradoxal qu’un projet de loi ayant pour objectif revendiqué de favoriser l’accès des femmes au mandat sénatorial n’évoque dans son titre que « l’élection des sénateurs ». Nous souhaitons par conséquent l’ajout de la référence aux « sénatrices ». (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.)

M. Henri de Raincourt. C’est une révolution fondamentale !

Mme Laurence Cohen, rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Oui, c’est très révolutionnaire.

Projetons-nous plus loin : il faut stabiliser la ligne de partage entre scrutin majoritaire et scrutin proportionnel, pour éviter un retour en arrière comparable à celui qui a été effectué par la loi de juillet 2003.

Un renforcement de la valeur juridique des dispositions relatives à l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives pourrait y contribuer à l’occasion d’une prochaine réforme constitutionnelle.

Enfin, je crois que la parité ne pourra véritablement progresser au Sénat que dans la mesure où les partis politiques veilleront, lors de chaque renouvellement, au respect d’un équilibre effectif dans la désignation des têtes de liste se réclamant de leur appartenance politique.

Il faut donc rappeler aux partis politiques la responsabilité que leur confie l’article 4 de la Constitution en ce domaine, même si nous savons que la bonne volonté dont ils font preuve dans la poursuite de cet objectif reste très inégale.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. C’est le moins que l’on puisse dire !

Mme Laurence Cohen, rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Nous devrons donc réfléchir aussi aux moyens qui nous permettraient de ne pas en rester au stade des incantations : une extension aux élections sénatoriales des pénalités financières qui existent déjà pour les législatives ; des conditions plus strictes dans le dépôt des candidatures.

Ces questions mériteront d’être approfondies à l’occasion de prochaines réformes, notamment de celle qu’a envisagée la commission Jospin en matière de modulation de l’aide financière aux partis politiques.

M. Jean-Claude Gaudin. Catastrophe !

Mme Laurence Cohen, rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Sans doute aussi une avancée sur le statut de l’élu permettrait-elle, au-delà du seul enjeu des élections sénatoriales, de faciliter l’exercice par des femmes et des hommes de leur mandat. Je suis très étonnée que ce statut de l’élu peine à voir le jour, car un consensus m’avait semblé exister au moins sur ce point-là.

Mme Éliane Assassi. Tout à fait !

Mme Laurence Cohen, rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, nous exprimons notre soutien à une mesure favorable à la parité mais aussi notre attente très forte de voir explorer les pistes que j’ai rapidement ouvertes devant vous, afin de franchir une nouvelle étape dans l’égalité des femmes à l’accessibilité aux mandats électoraux, singulièrement pour les élections sénatoriales.

Lorsque j’ai été invitée à la commission des lois, on m’a dit que les femmes devaient être patientes ; il me semble que nous le sommes suffisamment et depuis trop longtemps. Il faut franchir une étape ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Mmes Éliane Assassi, Gisèle Printz et Hélène Lipietz. Bravo !

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, modifier le mode de scrutin d’une élection, et a fortiori de celle de l’une des deux chambres du Parlement, n’est pas un acte anodin.

Ce n’est pas un acte anodin au regard du rôle premier que joue une assemblée comme le Sénat, mais surtout dans le contexte actuel marqué par une défiance accrue de nos compatriotes à l’égard de la représentation politique et des élus.

Ce contexte est celui d’une crise politique grave, qui est non pas une crise de régime mais bien une crise de la démocratie face à la mondialisation financière et au transfert du pouvoir du politique vers l’économie. Cette crise dépasse donc largement nos frontières et s’exprime d’une manière ou d’une autre dans de nombreux pays et tout particulièrement en Europe.

Le débat d’aujourd’hui n’a bien entendu pas vocation à trouver des réponses à des questions si fondamentales, mais les idéaux de transparence, de juste représentation, de pluralisme et de renouvellement ne peuvent être absents de cette discussion sur le mode de scrutin sénatorial.

Une chose paraît évidente aux sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen : une réforme du mode de scrutin sénatorial ne peut être débattue sans une réflexion sur le rôle et la représentativité du Sénat sur le fonctionnement actuel du Parlement dans son ensemble.

Le Front de gauche et le Parti communiste français en son sein l’affirment fortement depuis des années : la Ve République est un verrou démocratique qu’il est grand temps de faire sauter. (Oh ! sur les travées de l'UMP.)

M. Bruno Sido. Rien que ça !

Mme Éliane Assassi. Elle porte en elle la concentration du pouvoir entre les mains d’un seul homme désigné au terme d’une élection plébiscite, l’élection du Président de la République au suffrage universel direct. Le peuple, dans un contexte de crise économique et sociale particulièrement sévère, se considère à juste titre bien loin des lieux de décisions, qu’ils soient nationaux, européens ou mondiaux.

Je ne prendrai qu’un exemple, celui de l’élaboration du budget de la nation. Cet acte politique majeur a toujours été, de fait, l’apanage du pouvoir exécutif, le Parlement étant limité à un rôle secondaire dans l’élaboration et en quelque sorte condamné à voter un texte qu’il n’a pas construit, l’article 40 de la Constitution réduisant de manière quasi absolue son pouvoir d’initiative en la matière.

L’Europe, dans sa logique libérale, a creusé un profond fossé entre les peuples. Une sorte d’oligarchie européenne décide maintenant, depuis le traité budgétaire européen ratifié par notre pays cet automne, du contenu des budgets des pays consentants. C’est la désormais tristement fameuse règle d’or.

Vous me direz, mes chers collègues, que je suis hors sujet. (Sourires.)

M. Jean-Claude Gaudin. Ce n’est pas grave !

Mme Éliane Assassi. Non, rassurez-vous, je ne suis jamais hors sujet, il y a toujours un lien.

Toute réforme institutionnelle ne doit-elle pas être tournée vers la restauration de la confiance entre les représentants et le peuple et vers l’amélioration radicale de cette représentation ?

Pour parvenir à cet objectif, il faut engager une réforme institutionnelle d’ampleur, saisir le peuple directement par la mise en place d’une assemblée constituante – j’ai eu l’occasion de l’évoquer encore hier à l’occasion du débat sur l’article 11 de la Constitution – et d’une nouvelle République, d’une VIème République.

Dans ce cadre, la réflexion pour une réforme profonde du Sénat doit être engagée. Une première question s’impose : le bicamérisme est-il nécessaire et utile à la démocratie ?

Le bicamérisme fut une invention institutionnelle pour calmer l’ardeur d’une assemblée unique, ardeur symbolisée par la Convention thermidorienne. La Ve République a rétabli pleinement un Sénat temporisateur, pour ne pas dire conservateur (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Henri de Raincourt. Vous nous faites de la peine !

Mme Éliane Assassi. … alors que la IIe République avait supprimé la seconde chambre et que la IVe République avait réduit à la portion congrue les compétences de cette dernière.

Les interrogations de notre groupe sur les modalités actuelles du bicamérisme trouvent donc leur source dans l’histoire de notre pays.

Le mode d’élection des sénateurs pose en lui-même problème. Le mode de scrutin est indirect et s’appuie sur un collège électoral particulièrement réduit.

Est-il démocratique qu’une assemblée qui ne tire pas directement sa légitimité des suffrages du peuple dispose de pouvoirs quasiment équivalents à ceux de l’Assemblée nationale qui, pour les lois ordinaires et les lois organiques ne concernant pas le Sénat, a le dernier mot mais peut être confronté au blocage de celui-ci ?

Pour les lois constitutionnelles ou les lois organiques qui concernent le Sénat, les pouvoirs de ce dernier sont équivalents à ceux de l’Assemblée nationale.

Est-ce justifiable démocratiquement ? Ne peut-on légitimement évoquer une anomalie démocratique ? La souveraineté populaire indirecte peut-elle avoir le même poids que la souveraineté populaire directe ? Un vrai débat sur cette question devrait enfin avoir lieu.

De plus, la part encore dominante des sénatrices et des sénateurs élus selon le mode de scrutin majoritaire favorise, en lien avec le caractère indirect de l’élection, une certaine « notabilisation » de la fonction. (M. Ladislas Poniatowski s’exclame.)

En effet, c’est la proportionnelle qui garantit le pluralisme, le renouvellement, le rajeunissement et la parité.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Bravo !

Mme Éliane Assassi. Je m’arrêterai maintenant sur le contexte politique particulier de notre débat et sur un paradoxe qui, je l’espère, n’échappera à personne.

C’est au Sénat depuis 2011 que le débat politique est le plus dynamique. C’est au Sénat que la confrontation des idées apparaît plus fortement, notamment au sein de ce qu’il est convenu d’appeler « la majorité présidentielle ».

M. Philippe Dallier. En reste-t-il une ?

Mme Éliane Assassi. Nous aurons ce débat ailleurs, monsieur Dallier ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

C’est aussi au Sénat – et cela date d’avant 2011 – que l’opposition pèse le plus.

Ainsi, est-ce dans l’assemblée qui, de toute évidence, ne dispose pas de la plus grande proximité avec le peuple, qui ne dispose pas, il faut le dire, de la plus grande légitimité démocratique, que semblent se retrouver dans des proportions plus proches de la réalité les différentes forces politiques françaises.

L’absence absolue de représentation proportionnelle, combinée avec l’inversion du calendrier qui place les élections législatives sous la tutelle directe de l’élection présidentielle, bloque le débat démocratique au Palais-Bourbon, dominé par le parti du Président, quel qu’il soit.

À l’Assemblée nationale, nous avons l’image du Parlement dans le cadre d’un régime semi-présidentiel ; et au Sénat, nous avons l’image d’un Parlement dans le cadre d’un régime parlementaire puisant sa force du pluralisme et de la richesse du débat.

Les sénateurs du groupe CRC, ainsi bien évidemment que les sénatrices (Ah ! sur les travées de l'UMP et du RDSE.), jouent tous leur rôle dans cette situation, mais ils alertent sur l’urgence d’une modification du mode d’élection des députés, la proportionnelle étant l’une des clefs pour rétablir le lien entre population et politique. Il n’est plus supportable qu’un parti qui se réclame de la droite ou de la gauche dispose de la majorité des sièges de députés alors qu’il est largement minoritaire en voix. Persévérer dans cette direction, c’est maintenir la démocratie sur la tête. Il est temps de la remettre à l’endroit ! Cette supériorité démocratique indéniable est acquise par défaut. C’est l’injustice flagrante du mode d’élection des députés qui gêne actuellement sa lisibilité politique.

Il était nécessaire d’effectuer ce rappel pour comprendre l’attitude de mon groupe. Nous ne nous satisfaisons aucunement de la situation actuelle qui confère de fait la primauté du débat démocratique à l’assemblée qui n’est pas élue au suffrage universel direct.

Remettre la démocratie à l’endroit, restaurer le pouvoir du peuple et de ses représentants face aux marchés, exige bien entendu que soient prises d’autres dispositions qu’une modification, même radicale, du mode de scrutin. Je l’ai déjà indiqué, il faut redonner le pouvoir budgétaire au Parlement, conformément à l’esprit et à la lettre de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Il faut permettre une véritable maîtrise de l’ordre du jour par le Parlement, ce qui commence par donner du temps à l’élaboration législative.

L’organisation des semaines de travail parlementaire par la révision de 2008 est – disons-le ! – un échec. Je saisis l’occasion qui m’est offerte par notre discussion pour rappeler l’urgence d’une modification du calendrier parlementaire.

Au nom de l’exercice de son pouvoir de contrôle en fait bien significatif, le Parlement ne dispose pas du temps nécessaire pour débattre efficacement et démocratiquement des initiatives du pouvoir législatif. La précipitation est de mise face à l’inflation législative, qui nuit, de manière évidente, à la démocratie.

Pourquoi était-il possible, il y a quelques années, d’avoir de grands débats, longs si nécessaire, qui permettaient d’aller au fond des choses, alors que, aujourd’hui, au bout de quelques jours de débats non anticipés par le Gouvernement, celui-ci se sent obligé d’imposer le vote bloqué pour respecter le calendrier, ou plutôt son calendrier ?

M. Bruno Sido. Elle a raison !

Mme Éliane Assassi. Au-delà du mode de scrutin, il reste beaucoup à faire pour redonner un souffle démocratique à nos institutions. Ces deux exemples l’attestent.

Le texte qui nous est proposé ne répond pas, bien sûr, à toutes ces interrogations. Cependant, en faisant le choix d’abaisser le seuil d’application de la proportionnelle aux départements qui élisent trois sénateurs et plus, le Gouvernement va dans le sens d’un renforcement du pluralisme et du renouvellement.

Ce texte permettra également de progresser vers la parité. Je salue, à cette occasion, l’excellent travail effectué par mon amie Laurence Cohen au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Avec la délégation, elle propose des améliorations que le groupe CRC soutiendra, bien évidemment. Je pense, en particulier, à l’amendement important qui permettrait d’imposer une forme de parité entre titulaire et suppléant, dans les départements encore soumis au mode de scrutin majoritaire. À mon sens, le Sénat pourrait adopter cette disposition à l’unanimité.

Mme Éliane Assassi. En effet, même les partisans indéfectibles du scrutin majoritaire ne peuvent contester l’utilité d’une telle mesure pour promouvoir la parité.

Nous approuverons donc ce texte, mais en émettant une forte réserve, relative au collège électoral.

M. Henri de Raincourt. Alors, cela ne sert à rien !

M. Bruno Sido. Donner et retenir ne vaut !

Mme Éliane Assassi. Tout en restant dans le cadre d’un scrutin indirect – nous ne changerons pas la Constitution aujourd’hui –, il apparaîtrait utile d’élargir le collège sénatorial, pour permettre une plus grande légitimité démocratique.

Nous n’étions pas favorables à un changement qui se serait opéré par le biais d’une plus forte représentation des conseils régionaux et généraux. En effet, cela n’aurait pas amélioré le pluralisme. Nous estimons plutôt nécessaire, dans le cadre imposé aujourd’hui, de préserver la représentation sur une base communale, qui nous semble la meilleure garantie d’une juste représentation des territoires dans le cadre d’un scrutin indirect.

En 1999, le Conseil constitutionnel avait censuré la disposition instaurant le principe d’un délégué par tranche de 300 habitants pour l’ensemble des communes. Il avait fondé sa décision sur la trop forte représentation en dehors des conseillers municipaux.

M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. Tout à fait !

Mme Éliane Assassi. Nous proposons aujourd’hui de reprendre le chiffre initial du projet défendu par Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l’intérieur, permettant la désignation d’un délégué pour 500 habitants. Il me semble que ce chiffre permettrait de revenir dans le cadre fixé par le Conseil constitutionnel. De toute manière, une jurisprudence du Conseil constitutionnel n’empêche aucunement le Parlement de voter une nouvelle loi, qui sera soumise à nouveau au Conseil constitutionnel.

Aussi, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe communiste républicain et citoyen votera-t-il le projet de loi…

Mme Éliane Assassi. … sans illusion excessive sur sa portée...

M. Bruno Sido. « Sans illusion » !

M. Rémy Pointereau. Pourquoi le voter alors ?

Mme Éliane Assassi. … dans le cadre de la crise démocratique que nous vivons aujourd’hui, mais avec la certitude que la marche vers la proportionnelle est la seule voie pour garantir une représentation plus démocratique et paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur quelques travées du groupe socialiste.)

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Bravo !

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. Jean-Vincent Placé. Attendez qu’il ait parlé !

M. Yves Détraigne. Je vous remercie par avance de votre approbation, mes chers collègues. (Sourires sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de débuter mon propos par une question adressée à M. le ministre : pourquoi le Gouvernement n’a-t-il pas inscrit le projet de loi dans le cadre de l’ordre du jour qui lui est réservé par priorité ?

M. Yves Détraigne. Ce texte, dont chacun mesure ici la portée éminemment politique, a connu des débuts difficiles. En effet, le 10 mai dernier, François Rebsamen a demandé – c’était tout à fait son droit – le report à aujourd’hui de l’examen du projet de loi relatif à l’élection des sénateurs. Si ce report était juridiquement possible, il n’en était pas moins inattendu, et je dirais même surprenant. Nous ne pouvons pas nous empêcher de nous demander la raison d’une telle décision. Quand on sait que la commission des lois n’a pas pu adopter de texte faute de majorité, cette question semble trouver réponse.

À cela s’ajoute le fait, comme je l’évoquais précédemment, que ce texte d’origine gouvernementale est examiné dans le cadre d’une semaine sénatoriale de contrôle, au sein de l’ordre du jour réservé au groupe socialiste, et non pas, comme cela aurait dû être le cas, dans l’une des semaines réservées par priorité au Gouvernement.

Chacun le sait, il n’est pas question de se prononcer sur ce texte dans un délai de quatre heures. L’ordre du jour réservé au groupe socialiste est donc insuffisant. C’est la raison pour laquelle la dernière conférence des présidents a fini par lever le suspense, en fixant la fin de son examen au mardi 18 juin.

Quel est l’intérêt de commencer volontairement l’examen d’un projet de loi un jeudi, sur le temps sénatorial, pour le terminer un mardi après-midi, sur le temps gouvernemental, alors que nous avons des propositions de loi à examiner ? (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. Jean-Claude Gaudin. C’est incohérent !

M. Yves Détraigne. Nous devons nous poser certaines questions importantes : quelle est la raison d’être de ce texte ? Est-il nécessaire de modifier le mode de scrutin applicable aux élections sénatoriales ?

Désigner un délégué supplémentaire par tranche de 800 habitants dans les communes de plus de 30 000 habitants et abaisser le seuil au-delà duquel les sénateurs sont élus au scrutin proportionnel sont deux choix purement politiques, je serais même tenté de dire qu’il s’agit de choix politiciens.

M. Henri de Raincourt. C’est vrai !

M. Yves Détraigne. En réalité, l’objectif est très clair, même si on ne peut, naturellement, en trouver trace ni dans l’exposé des motifs du projet de loi ni dans son étude d’impact : il s’agit, monsieur le ministre, de conserver à tout prix la timide majorité que vous avez obtenue lors du dernier renouvellement sénatorial. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)