M. Jean-Pierre Sueur. Il nous a écoutés, et il faut savoir écouter !

M. Gérard Larcher. … et, d’autre part, qu’il n’y avait pas ici, une nouvelle fois, de majorité pour le voter. Mais nous aurons sans doute d’autres débats qui nous permettront, je l’espère, de nous rapprocher à l’avenir, dans l’intérêt de nos territoires et de nos collectivités territoriales.

Mes chers collègues de la majorité sénatoriale, si vous pensez que les principes qui régissent les droits et les libertés des collectivités territoriales sont aujourd’hui menacés, votre devoir est de voter avec nous cette proposition de résolution qui rappelle les principes constitutionnels s’imposant à l’exécutif.

Mme Éliane Assassi. Vous avez la mémoire courte !

Mme Cécile Cukierman. Pourquoi ne pas l’avoir fait en 2010 ?

M. Gérard Larcher. C’est notre rôle de sénateurs, en vertu de l’article 24 de la Constitution.

Si vous voulez remettre en cause la commune, sa clause de compétence générale, vous trouverez le Sénat sur votre route !

M. Jean-Pierre Sueur. Personne ne propose cela !

M. Gérard Larcher. Si vous voulez supprimer de fait la commune, en prévoyant, à partir de 2020, l’élection au suffrage universel direct des intercommunalités (Huées sur les travées de l’UMP.), comme le Président de la République l’a affirmé aux maires des grandes villes de France, vous trouverez le Sénat sur votre route !

Si vous voulez remettre en cause la libre administration des collectivités en faisant du département une « collectivité croupion », vous trouverez le Sénat sur votre route !

M. Bruno Sido. Tout à fait !

M. Gérard Larcher. Mes chers collègues, dans le vote que nous allons émettre, il y a seulement la responsabilité d’assumer le rôle constitutionnel du Sénat de représentant des collectivités territoriales.

C’est pourquoi la mission commune que nous avions créée voilà maintenant trois ans et demi…

M. Alain Fauconnier. Vous vous êtes assis sur ses travaux !

M. Gérard Larcher. … me paraît indispensable. Il faut, dans la diversité de nos sensibilités, essayer d’imaginer ensemble, en dépassant nos clivages, le territoire qui, demain, contribuera à sortir notre pays de cette crise de langueur profonde qui est en train de le conduire à la désespérance. Nos collectivités territoriales ont, dans ce défi, un rôle essentiel à jouer. (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées de l'UMP. –M. Jean-Léonce Dupont applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Mes chers collègues, c’est avec beaucoup de soin que nous avons lu votre proposition de résolution et je vous dirai d’emblée que je ne vois pas pour quelle raison nous nous y opposerions ! (Marques de satisfaction et applaudissements sur les travées de l'UMP.) Je ne sais pas si vos applaudissements vont durer, mais je vous remercie de saluer ainsi le début de mon intervention. (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

Car, voyez-vous, j’ai acquis voilà quelque temps un exemplaire de la Constitution.

M. Bruno Sido. On la trouve sur Internet !

M. Jean-Pierre Sueur. Je la lis. Je m’en imprègne,…

M. Jacques Mézard. C’est votre bible !

M. Jean-Pierre Sueur. … voulant que notre loi fondamentale guide chaque jour nos actions, nos réflexions et, tout simplement, notre travail de législateur.

J’ai ainsi pu constater que votre proposition de résolution reprenait six ou sept alinéas de la Constitution.

M. Bruno Sido. Nous l’avons dit !

M. Jean-Pierre Sueur. Dès lors, je m’interroge : à quoi sert-il de déposer une proposition de résolution qui recopie la Constitution ? (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Alain Fauconnier. On se le demande !

M. Jean-Pierre Sueur. Cela sert à parler, me dira-t-on. Et il est vrai que nous sommes une assemblée « parlementaire » !

En tout état de cause, mes chers collègues, notre groupe adoptera votre proposition de résolution, car je n’imagine pas un seul instant que nous puissions ne pas voter la Constitution de la République française ! (Sourires sur les mêmes travées.)

M. Alain Fauconnier. Très bien !

M. Jean-Pierre Sueur. M. Raffarin, avec beaucoup de lyrisme, et M. Larcher, avec vigueur, nous ont présenté une certaine vision de l’histoire.

M. Bruno Sido. La vision !

M. Jean-Pierre Sueur. Il convient, me semble-t-il, d’y apporter quelques nuances.

En 1982, j’étais un jeune député (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP.)

M. Bruno Sido. Le changement, c’est maintenant !

M. Jean-Pierre Sueur. Depuis, naturellement, je le dis souvent dans mon département, je suis devenu un jeune sénateur. (Sourires.)

M. Jean-Pierre Sueur. Quoi qu'il en soit, depuis, j’ai relu les débats qui ont précédé le vote de la loi de 1982…

M. Alain Néri. C’était intéressant !

M. Jean-Pierre Sueur. Je ne saurais trop vous conseiller de lire les propos que tenaient alors M. Pierre Méhaignerie et d’autres, que je ne nommerai pas,…

M. Alain Néri. Toubon !

M. Jean-Pierre Sueur. … qui se dressaient contre cette « atteinte à l’État républicain », à l’« unité de la République »… Ils n’avaient pas de mots assez forts pour s’opposer à ce texte qu’aujourd’hui tout le monde salue. Et vous avez bien raison, chers collègues, de saluer François Mitterrand, Gaston Defferre et Pierre Mauroy. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Sont venues ensuite les lois de 1992, puis de 1999. Ont ainsi été instituées les communautés de communes. Il a fallu attendre un peu plus longtemps pour les communautés d’agglomération… Et combien de fois n’avons-nous pas dit : « Les communautés ne se construisent pas contre les communes ! »

Notre pays compte 36 700 communes. Nous les aimons toutes ; comme tous les Français, nous les portons dans notre cœur !

M. Bruno Sido. Surtout lors des sénatoriales !

M. Jean-Pierre Sueur. Mais si des communautés de communes se sont constituées et si, aujourd’hui, vous proposez de généraliser ce mode d’organisation à toute la France, c’est bien parce qu’il sert les communes : oui, gardons cet échelon de proximité, qui est tellement important aux yeux de tous, mais faisons en sorte que les communes coopèrent entre elles. Il est bien évident qu’on ne peut créer une zone d’activité dans chaque commune ! Tout le monde le comprend, il faut mutualiser les efforts afin que l’action soit efficace.

Je me souviens du projet de loi présenté Jean-Pierre Raffarin. Je siégeais déjà au Sénat à cette époque.

M. Bruno Sido. Dans l’opposition !

M. Jean-Pierre Sueur. Dans l’opposition, en effet.

M. Jean-Claude Lenoir. Et que ne disiez-vous pas alors !

M. Jean-Pierre Sueur. Majorité, opposition : ça va, ça vient…

Lors de la présentation de ce projet de loi, monsieur Raffarin, un de vos propos m’avait frappé. Vous aviez dit en substance : l’avenir, ce sont les régions, et je vous présente un texte qui va donner toute sa force, toute sa place, toute sa vigueur au fait régional dans l’espace européen.

Je dois vous dire, cher Premier ministre, qu’après quelques débats votre loi régionaliste est finalement devenue la plus grande loi départementaliste qu’on ait jamais faite…

M. Alain Fauconnier. Très bien !

M. Jean-Pierre Raffarin. C’est un peu rapide !

M. Jean-Pierre Sueur. Certes, mais cela n’est pas totalement faux, vous en conviendrez.

M. Michel Berson. C’est même très pertinent !

M. Jean-Pierre Sueur. Aujourd’hui, monsieur Raffarin, vous nous faites l’éloge des départements. Je note au passage que, dans le texte de votre proposition de résolution, on ne trouve nulle part le mot « département ». Mais peut-être pourriez-vous ajouter un alinéa. Du reste, il n’y est pas non plus question des régions, ni des élus, ni même de l’État.

M. Bruno Sido. Il est omniprésent !

M. Jean-Pierre Raffarin. Nous parlons des principes !

M. Jean-Pierre Sueur. Oui, et vous avez parfaitement raison de marquer votre attachement à la Constitution de la République française. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle notre groupe votera votre proposition de résolution.

Par ailleurs, vous avez bien voulu rappeler que les états généraux de la démocratie territoriale, organisés par Jean-Pierre Bel, président du Sénat, avaient donné lieu à une grande concertation dans toute la France, dans les départements et ici même.

Ces états généraux se sont bien déroulés… à un petit événement près : alors que nous travaillions tous au sein d’ateliers, dans cet hémicycle ou dans la salle des conférences, sur le coup de seize heures, M. Jean-Claude Gaudin invita les journalistes dans son bureau pour leur dire : tout cela n’est que de la figuration !

Cela n’a pas empêché, et je m’en félicite, la très grande majorité des élus locaux venus au Sénat, qu’ils fussent de gauche, de droite ou du centre, à se rendre le lendemain à la Sorbonne pour continuer à participer à ces états généraux. Il en est ressorti deux propositions de loi qui ont été adoptées par le Sénat et qui, je l’espère, seront bientôt votées à l’Assemblée nationale.

Comme MM. Jean-Pierre Raffarin et Gérard Larcher l’ont rappelé à juste titre, il y a toujours des débats sur la décentralisation. Un certain nombre de membres du groupe socialiste ont, c’est exact, insisté auprès du Gouvernement sur la nécessité de revoir l’avant-projet de loi.

Mais enfin, dans notre pays, nous aimons parler vrai,…

M. Philippe Dallier. Pas toujours !

M. Jean-Pierre Sueur. … y compris lorsqu’il s’agit de s’adresser au gouvernement que nous soutenons ! Un dialogue, auquel j’ai participé, s’est ainsi instauré. Des propositions ont été formulées, et l’on me permettra de dire que ce qui a été annoncé hier par le Premier ministre me paraît intéressant.

M. Jean-Pierre Sueur. Nous ne pouvons pas, ni au Parlement ni ailleurs, opposer les différents niveaux.

Trois projets de loi seront présentés. Il faudra qu’ils soient peaufinés et donnent lieu au débat parlementaire le plus approfondi.

M. Gérard Larcher. C’est vraiment nécessaire !

M. Jean-Pierre Sueur. J’évoquerai d’abord le troisième d’entre eux, celui qui est relatif aux solidarités territoriales.

Mme Cécile Cukierman. Ce devrait être le premier !

M. Jean-Pierre Sueur. C’est pourquoi je commence par celui-ci.

Un parlementaire a le droit de faire des propositions. Eh bien, moi, madame la ministre, je demande au Gouvernement de présenter ces trois projets en même temps. (Exclamations diverses sur les travées de l'UMP.)

M. Bruno Sido. Vous avez raison !

M. Philippe Dallier. Il faudrait savoir !

M. Jean-Pierre Sueur. Je souhaite que l’on discute des solidarités territoriales en insistant sur le rôle essentiel, irremplaçable que tiennent les départements en matière de solidarité. Je ne vois aucune possibilité pour la région et pour l’intercommunalité de se substituer aujourd’hui au département ou à la commune.

Ensuite, il faut des régions fortes, qui agiront non pas contre les départements, contre les communes ou les communautés, mais avec elles, des régions capables d’intervenir dans le domaine de l’économie et pour l’emploi, parce que ce sont les premières préoccupations de nos concitoyens.

Dans le monde, dans l’Europe où nous vivons, des régions fortes sont devenues une nécessité.

M. Bruno Sido. Bien sûr !

M. Jean-Pierre Sueur. M. Jean-Pierre Raffarin a indiqué que, dans sa région, le budget du conseil régional était inférieur au budget de tous les conseils généraux.

M. Jean-Pierre Raffarin. À celui du département le plus important !

M. Jean-Pierre Sueur. Quoi qu'il en soit, ce n’est pas normal. Moi, je suis partisan de régions dotées de moyens plus importants et de compétences accrues.

M. Jean-Pierre Raffarin. Eh bien voilà !

M. Jean-Pierre Sueur. Mais j’ai commencé par souligner le rôle irremplaçable des départements dans le domaine de la solidarité.

Ne soyons pas dans l’opposition, soyons plutôt dans la complémentarité.

M. Jean-Pierre Sueur. Les grandes agglomérations doivent aussi avoir toute la puissance nécessaire pour jouer leur rôle dans le futur. Il n’empêche qu’il nous faut des régions fortes, des départements solidaires, des communautés vivantes, actives, entreprenantes. Et lorsque je parle des communautés, je pense bien sûr aux grandes métropoles, Paris, Lyon, Marseille, mais aussi aux petites communautés de communes, dont l’objectif est de créer un vrai dynamisme pour le développement économique au sein du monde rural.

Je ne crois pas qu’il faille opposer les unes aux autres.

On m’a dit, mais je l’avais constaté, rassurez-vous, que nos collègues de l’UMP nous présentaient un catalogue de beaux principes.

M. Jean-Pierre Raffarin. Ce n’est pas un catalogue de principes, c’est la Constitution !

M. Jean-Pierre Sueur. Certes, je l’ai dit, et c’est bien pourquoi nous allons voter votre proposition de résolution. Mais je m’interroge : ces beaux principes, nos collègues les ont-ils toujours appliqués ?

M. Jean-Pierre Raffarin. Quand on se compare, on se rassure ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Sueur. Bien sûr, monsieur le Premier ministre, mais je me souviens de ce qu’écrit Corneille dans Le Cid : « Les exemples vivants sont d’un autre pouvoir ! » (Nouveaux sourires.)

Vous nous parlez, chers collègues, de la nécessaire autonomie financière des collectivités, mais permettez-moi de vous faire observer amicalement que la magnifique réforme de la taxe professionnelle – quand je dis magnifique, c’est bien entendu par antiphrase – …

M. Jacques Mézard. Elle a été catastrophique !

M. Jean-Pierre Sueur. … que vous avez mise en place s’est traduite,…

M. Jean-Claude Lenoir. Par une baisse des charges pour les entreprises ! (Sourires et marques d’approbation sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Pierre Sueur. … en ce qui concerne l’autonomie fiscale des collectivités, par la diminution de leurs marges de manœuvre.

M. Bruno Sido. Bien sûr ! C’est mécanique !

M. Alain Fauconnier. C’est le passif !

MM. Gérard Larcher et Bruno Sido. Revenez donc dessus !

MM. Philippe Dallier et Jean-Claude Lenoir. Ils s’en garderont bien !

M. Jean-Pierre Sueur. Ainsi, pour le bloc communal – communes et communautés de communes –, la part des ressources autonomes est passée de 46 % à 41 %, pour les départements, de 35 % à 16 %, pour les régions, de 30 % à 14 %.

Aux termes de l’alinéa 9 de la proposition de résolution du groupe UMP, le Sénat « rappelle que l’autonomie financière des collectivités territoriales est une garantie constitutionnelle… » Bien sûr ! Simplement, il n’est pas mauvais de mettre en œuvre ce que l’on dit quand on est au pouvoir…

Parlez donc aux élus régionaux, qu’ils soient de la majorité ou de l’opposition : tous vous confirmeront que seule la fixation des tarifs de la carte grise et d’une faible part de la TIPP pouvant être décidée par les régions, la situation est complètement paralysée.

M. Jean-Pierre Sueur. J’ai ici un excellent rapport du Sénat. C’est bien entendu à dessein que je tiens à en citer ce soir un extrait, monsieur le président. (Sourires.) « Les régions françaises sont la catégorie de collectivités territoriales qui a le plus souffert de la réforme de la taxe professionnelle en termes d’autonomie fiscale […] et voient donc leurs marges de manœuvre particulièrement réduites. »

M. Jean-Pierre Sueur. Et de qui ce rapport porte-t-il la signature ? De M. Charles Guené et de Mme Anne-Marie Escoffier, alors sénatrice et devenue depuis une brillante ministre de la décentralisation. Ils ont dressé un constat parfaitement lucide.

Mes chers collègues, il est très bon de proclamer les principes, mais faisons en sorte de les respecter.

M. Jean-Pierre Raffarin. C’est à vous, maintenant !

M. Jean-Pierre Sueur. Nous allons tous nous y employer du mieux que nous pourrons.

Je veux encore évoquer cette proposition de M. Bruno Le Maire, à l’époque délégué général au projet de l’UMP, tendant à réduire de 2 milliards d’euros par an les concours de l’État aux collectivités locales.

M. Albéric de Montgolfier. Non, de 750 millions par an !

M. Gérard Larcher. De toute façon, il n’engageait que lui !

M. Jean-Pierre Sueur. Il avait même précisé que ce n’était qu’un minimum et qu’il fallait aller plus loin.

Je pourrais avancer bien d’autres exemples…

Quoi qu'il en soit, ce débat intéressant permettra à chacun de progresser vers la bonne application de la Constitution de la République française qui est notre loi fondamentale commune.

M. Jean-Pierre Raffarin. Et que nous avons en partie écrite !

M. Jean-Pierre Sueur. Vous la recopiez à juste titre et nous lui manifesterons, une fois encore, notre attachement, en bons républicains que nous sommes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe CRC et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Christian Favier.

M. Christian Favier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous noterons pour commencer que les auteurs de cette proposition de résolution n’ont pas hésité à reprendre le titre de la loi Defferre de 1982,…

M. Philippe Dallier. Si les gaullistes défendent Defferre ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. Christian Favier. … alors qu’ils sont aujourd’hui, on le sait, les successeurs de ceux qui, à l’époque, l’avaient combattue avec beaucoup de véhémence.

M. Bruno Sido. Qui aime bien châtie bien ! (Nouveaux sourires sur les mêmes travées.)

M. Christian Favier. Dans le même esprit, je veux souligner tout le paradoxe de cette proposition de résolution : elle émane d’un groupe parlementaire qui, durant dix ans, a mis à mal les collectivités territoriales, bafouant en de multiples occasions les principes constitutionnels qu’il semble aujourd’hui vouloir défendre.

En effet, comment oublier que l’UMP, qui prétend maintenant défendre la libre administration des communes, est à l’origine d’un transfert massif de compétences de l’État vers les collectivités sans les compensations financières nécessaires et pérennes, au risque de les étouffer ?

M. Jackie Pierre. Et l’APA ?

M. Christian Favier. Vous le savez bien, il y a plusieurs milliards d’euros dus aux départements au titre des allocations de solidarité nationale, l’APA, la PCH, le RSA, qui n’ont jamais été compensés pour les collectivités départementales. (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Christian Favier. C’est ainsi que, de votre fait, des départements sont aujourd'hui au bord de la faillite !

M. Bruno Sido. C’est Jospin qui nous avait promis la compensation intégrale !

M. Christian Favier. Comment oublier que la majorité d’hier a supprimé non seulement l’autonomie fiscale et la compétence générale des départements et des régions, mais aussi la taxe professionnelle et instauré le conseiller territorial en lieu et place des conseillers généraux et régionaux ? (Exclamations sur les travées de l’UMP.)

Comment oublier que la loi de 2010 a contraint les communes au regroupement forcé au sein de nouvelles intercommunalités aux périmètres et aux compétences élargies, afin de parvenir, comme le préconisait le comité Balladur, à l’évaporation des communes, pour ne pas dire à leur disparition ?

Comment oublier la destruction du tissu local, que les sénateurs de l’UMP ont soutenue, la révision générale des politiques publiques, qui a mis à mal de nombreux services publics locaux (N’importe quoi ! sur les travées de l'UMP.), avec en particulier ces milliers de fermetures de classes et d’écoles, de bureaux de postes et de tribunaux, sans compter de nombreuses gendarmeries ?

Mme Éliane Assassi. Eh oui, vous êtes responsables de tout cela !

M. Christian Favier. Comment justifier un tel décalage entre votre prise de position d’aujourd’hui et votre action parlementaire d’hier ?

M. Christian Favier. Vous avez fait durant dix ans l’exact contraire de ce que vous prônez aujourd’hui dans cette proposition de résolution.

M. Alain Néri. Absolument !

M. Christian Favier. S’il s’agit d’une petite opération politique, pour tenter sans doute de faire oublier votre action passée et vos réelles convictions, elle ne grandit pas ses auteurs et, il faut bien le dire, ne fait que renforcer la rhétorique de tous ceux qui mettent aujourd’hui en cause l’honnêteté intellectuelle des politiques.

M. Christian Favier. S’il s’agit pour vous de l’expression d’un droit d’inventaire – pourquoi pas ? – contestant le bien-fondé de tout ce que vous avez fait, alors nous vous proposons un acte bien plus fort, celui qui consiste à demander avec nous l’abrogation de la loi de décembre 2010.

Mme Éliane Assassi. Très bonne idée !

M. Christian Favier. Car ce principe de la libre administration des collectivités territoriales, nous y sommes, pour notre part, attachés comme à la prunelle de nos yeux. Nous en avons apporté la preuve chaque fois qu’un pouvoir central s’y est attaqué.

Tout notre argumentaire contre votre réforme de 2010 était fondé sur la défense de la libre administration de nos collectivités, pour leur libre coopération, contre toutes les formes d’intégration autoritaire. Et lorsque nous défendions pied à pied ces principes, sur vos travées, nous étions alors taxés d’archaïsme !

Plus près de nous, voilà quelques jours, nous avons refusé le fléchage des conseillers communautaires, qui entérine le fait que les communes, désormais tenues de déléguer leurs compétences, perdront en même temps leur pouvoir de contrôle sur leur mise en œuvre puisque les conseillers communautaires ne représenteront plus les conseils municipaux et n’auront donc plus de compte à leur rendre.

M. Bruno Sido. Pas du tout !

Mme Cécile Cukierman. Bien sûr que si !

M. Christian Favier. Enfin, vous le savez, notre inquiétude reste forte, madame la ministre, devant les textes annoncés qui doivent constituer le futur acte III de la décentralisation.

Passé notre étonnement devant tant de soudaines sollicitudes envers les collectivités territoriales, venant de ceux-là mêmes qui les ont tant combattues – nos communes en particulier –, nous aurions pu nous contenter de dénoncer la forme d’hypocrisie que manifestaient les auteurs de cette proposition de résolution et refuser de prendre part au vote d’une telle déclaration d’intention, à laquelle nous souscrivons pour l’essentiel, mais qui est à cent lieues des actes de ceux qui la présente.

M. Bruno Sido. Mais non !

M. Christian Favier. Toutefois, finalement persuadés que, d’une certaine façon, ce texte exprime avant tout le mécontentement grandissant devant la situation que les élus locaux subissent, nous avons décidé de le soutenir pour marquer une nouvelle fois notre profond attachement à ces valeurs républicaines.

Nous voulons ainsi permettre au Sénat d’affirmer ces principes, pour qu’il soit entendu à la veille de l’examen de textes qui, à notre sens, mettent à mal la libre administration, l’autonomie financière et fiscale, la non-tutelle et la libre coopération de toutes les collectivités territoriales.

À ce propos, nous serons particulièrement attentifs à ce que les plans locaux d’urbanisme, par exemple, restent de compétence communale, transférables de façon facultative aux intercommunalités, et ce quel que soit le texte qui y fera référence.

M. Bruno Sido. Je suis d’accord !

M. Christian Favier. Aussi, malgré les lacunes de la proposition de résolution qui nous est présentée, puisqu’elle oublie de mentionner notamment la nécessité de la compensation intégrale, de la prise en compte de l’évolution des dépenses des compétences transférées et, surtout, du maintien de la clause de compétence générale aux départements et aux régions, nous soutiendrons cette proposition de résolution.

Ce vote ne sera pas, chacun l’aura bien compris, un blanc-seing donné à l’UMP pour son action écoulée ni pour ses combats futurs.

Mme Éliane Assassi. Nous sommes rassurés ! (Sourires sur les travées du groupe CRC.)

M. Christian Favier. Sa vision libérale de l’organisation territoriale de notre République la disqualifie à nos yeux.

M. Jean-Pierre Raffarin. Cela nous flatte !

M. Christian Favier. Par ce vote, nous souhaitons réaffirmer notre engagement aux côtés des élus locaux et de nos concitoyens pour assurer le développement de notre démocratie locale, ancrée dans des communes, des départements et des régions respectés dans leurs droits et libertés, associant toujours plus les citoyens à leur action au service de tous, pour répondre à leurs besoins et à leurs attentes.

En votant cette proposition de résolution, nous nous engageons donc pour l’avenir. En réaffirmant la nécessité de respecter ces principes, nous nous engageons à agir pour les faire respecter dans les tous les textes de loi qui nous seront soumis, qu’ils concernent l’urbanisme, l’action sociale, le développement économique ou les finances.

Nous verrons bien, alors, qui respecte ses engagements ! Et nous saurons aussi rappeler leur vote à tous ceux qui, aujourd’hui, adopteront ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste. – M. Jacques Mézard applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Léonce Dupont.

M. Jean-Léonce Dupont. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 3 juillet dernier, lecture était faite au Sénat de la déclaration de politique générale du Gouvernement. À cette occasion, nous avons pu entendre : « Il est fini le temps où l’État imposait ses décisions à des collectivités territoriales qu’il considérait comme de simples satellites, chargés d’exécuter sa volonté... Nous ouvrons la porte à une évolution profonde, un bouleversement inédit. Je demande à chacun d’en prendre la mesure. » Ou encore : « Je crois à la nécessité d’un État stratège, garant de la cohérence des politiques publiques et de la solidarité entre les citoyens et les territoires. »

J’ai pris bonne note de cet engagement solennel.

Puis, lors de la séance de clôture des états généraux de la démocratie territoriale, le Président de la République nous a annoncé vouloir un acte III de la décentralisation sans aucune simplification administrative, mais avec près de 1,5 milliard d’euros de ressources en moins.

Au mois de janvier, nous avons appris que la facture serait sans doute davantage de l’ordre de 5 milliards d’euros, avec en prime le transfert de compétences nouvelles sans simplification préalable des normes...

Alors, mes chers collègues, malgré les efforts de communication et d’annonce qui sont déployés, la politique gouvernementale me désappointe, car le malaise est grand.

C’est pourquoi la présentation de la proposition de résolution de Jean-Claude Gaudin et de ses collègues n’intervient pas à un moment anodin.

Certes, le mois de mars est celui d’un double anniversaire, celui de l’acte I et de l’acte II de la décentralisation.

Alors que nous avons célébré l’an dernier le 30e anniversaire de la loi Deferre du 2 mars 1982 et que nous célébrons cette année le 10anniversaire de la révision constitutionnelle de mars 2003, chère au Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, on peut mesurer le chemin parcouru.

Telle qu’enseignée dans les facultés de droit, la décentralisation semble limpide. La loi de 1982 a jeté les fondements politiques et administratifs de notre nouvelle organisation administrative, quand le cycle législatif de 2003 introduisait le principe de l’autonomie financière et consacrait constitutionnellement la forme décentralisée de la République.

La distance est pourtant grande entre ce qui est enseigné et ce que nous vivons sur le terrain. De la théorie à la pratique, il n’y a pas un pas, il y a désormais un fossé.

Pourquoi rappeler aujourd’hui les grands principes constitutionnels et l’organisation qui régissent nos territoires ?

Le constat est partagé : excessif enchevêtrement des compétences, nombre trop important et morcellement des structures d’administration territoriale et nécessaire réforme des finances locales, dans un contexte marqué par une augmentation substantielle des dépenses des collectivités locales et par une stagnation, quand ce n’est pas par une diminution, de leurs recettes.

Outre une organisation administrative trop complexe, les collectivités et leurs élus souffrent d’asphyxie normative et d’asphyxie financière.

L’asphyxie normative est un sujet d’actualité. Tous les médias l’ont évoqué ces derniers jours à l’occasion de la remise du rapport de MM. Lambert et Boulard, qui pointent plusieurs normes irrationnelles. Toutefois, ce énième rapport ne recommande de supprimer que 23 normes sur les 400 000 qui pèsent sur les collectivités locales… (M. Gérard Larcher acquiesce.)