M. François Zocchetto. Mes chers collègues, le président Sueur s’est engagé devant la commission des lois à alerter le président Bel, et peut-être aussi son homologue de l'Assemblée nationale, à ce sujet ; je tenais à vous en faire part dans cet hémicycle au nom de mon groupe et, sans doute, de la plupart d'entre vous.

M. François Zocchetto. Toutefois, il faut bien le dire, une difficulté persiste : il faudrait un jour s’atteler à effectuer un travail véritablement complet. Je ne sous-estime pas le travail accompli par Bernard Saugey, Jacqueline Gourault, Jean-Pierre Sueur, Marie-Hélène Des Esgaulx et par de nombreux autres sénateurs de tous les groupes sur la question du statut de l'élu. Je veux simplement dire qu’il faudrait rassembler toutes les dispositions y afférentes, celles qui figurent dans le code général des collectivités territoriales et celles qui n’y sont pas, pour avoir une vision générale du sujet.

J'ai bien compris que telle n'était pas la méthode que l’on nous proposait aujourd'hui. Les deux auteurs de la proposition de loi n'ont pas l'ambition d’effectuer ce grand travail. Ce qu’ils nous proposent, c’est simplement, si j’ose dire, d'adopter des mesures consensuelles, des « petites » mesures – ce terme n’a rien de péjoratif – utiles et très attendues. Pour autant, ces dernières ne peuvent se substituer à la réforme globale et ambitieuse que de nombreux élus attendent.

Je me félicite que figurent dans le texte, à l’article 9 bis, des mesures concernant l'indemnité des maires des petites communes, issues d'une proposition de loi que Jacqueline Gourault et moi-même avions déposée il y a quelque temps.

Il en va de même pour les dispositions relatives à l'écrêtement. Chacun d’entre nous reconnaîtra que le mécanisme actuel de répartition de l'écrêtement n'est pas au-dessus de tout soupçon ; nos concitoyens ont du mal à le comprendre et à l’admettre.

Je me félicite aussi que diverses mesures concernent la formation des élus.

Soyons-en convaincus, nous n’aurons pas fait le tour de la question avec ce texte. C'est un lieu commun de le dire, le fossé se creuse entre les élus que nous sommes et nos concitoyens.

Ce fossé existait auparavant entre les élus nationaux et les citoyens. Nous estimions que cela n'était pas très grave, car il en allait ainsi depuis deux cents ans, et nous y étions habitués. Il y avait des hauts et des bas, mais, au moins, les maires étaient aimés et appréciés. Aujourd'hui, force est de constater que même ceux-ci, qui sont censés être les élus les plus proches de nos concitoyens, voient leurs compétences et leur autorité contestées ou incomprises.

Je ne prétends pas connaître toutes les raisons qui expliquent ce phénomène, mais je vais m’attacher, mes chers collègues, à vous en énumérer quelques-unes.

Je pense d’abord à la multiplicité des collectivités, pour ne pas dire à leur multiplication ! Lorsque nous avons créé les pays, par exemple, nous n’avons fait qu’ajouter davantage de confusion.

Je pense ensuite au manque de lisibilité du système pour nos concitoyens ainsi qu’à la difficulté d’identifier qui détient les compétences et quels sont le rôle et les responsabilités de chacun.

Je pense aussi à la concurrence exercée par d'autres modes d'expression de la démocratie, comme la presse ou les associations.

Je pense également à la multiplication des recours en justice, qu’ils soient introduits par des citoyens isolés ou par des associations créées pour les besoins de la cause. Vous le savez, les recours devant les juridictions administratives se multiplient. Des actions sont même engagées devant les tribunaux judiciaires, bien souvent à tort. Face à ces attitudes, le Conseil d'État, pour ne parler que de lui, serait bien inspiré de définir le cadre d’exercice de la démocratie locale en redonnant une définition claire et précise de la notion d'intérêt général, notamment pour rappeler que l’intérêt général n'est pas uniquement l’addition d'intérêts particuliers.

Je pense enfin à la question du recrutement. Il faut le dire clairement – certains l’ont d’ailleurs fait avant moi à cette tribune –, le vivier de candidats se rétrécit d'élection en élection. Il n'y aura bientôt plus que des fonctionnaires, d’anciens fonctionnaires ou des retraités et cette nouvelle espèce que l'on voit se développer – ce n’est pas une critique, il suffit de regarder les nouveaux députés issus du dernier renouvellement de l'Assemblée nationale –, je veux parler des anciens collaborateurs d'élus ou de cabinets, ainsi que des permanents des partis politiques. Le fossé entre les élus et nos concitoyens risque de se creuser encore un peu plus !

Je ne souhaite pas que, à l'occasion d'un éventuel élargissement du scrutin proportionnel au Sénat, le même phénomène observé lors des dernières élections législatives se reproduise ici.

M. François Zocchetto. Tous nos efforts de retouche législative, même s’ils sont aussi louables que ceux que nous faisons aujourd'hui, seront vains tant que nous n'aborderons pas les véritables questions : la pertinence du nombre de strates administratives, les compétences de chacune des collectivités et les responsabilités de chacun des élus, le nombre d'élus dans chaque strate, sans épargner le Parlement,…

M. François Zocchetto. … et, bien évidemment – ce n'est pas moi qui aborde cette question en premier –, le cumul des mandats.

Cet ensemble de questions forme un tout indissociable. Tant que nous n'aurons pas consacré suffisamment de temps à prendre les décisions qui s'imposent en matière de statut de l'élu, nous n'aurons pas vraiment fait avancer les choses.

Pour autant, il faut rester modeste et accepter d'apporter une petite pierre à l'édifice. La proposition de loi dont nous abordons l’examen est une heureuse synthèse de propositions formulées depuis longtemps par le Sénat. Le groupe UDI-UC la votera donc. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe du RDSE votera cette proposition de loi, émanant de sénateurs de diverses sensibilités, et pas seulement de gauche, parce qu'elle constitue un léger progrès. Or, comme l'a rappelé à juste titre Jacqueline Gourault, tout changement qui va dans le bon sens doit être adopté !

Mme Sylvie Goy-Chavent. Elle est pleine de bon sens !

Mme Éliane Assassi. Nous aussi, on dit cela !

M. Jacques Mézard. Ce texte constitue une avancée, mais il ne résout aucunement les problèmes fondamentaux que rencontrent les élus locaux, et nous sommes nombreux ici à l’être également. Ces derniers veulent que l’on simplifie et sécurise leur travail.

Mes chers collègues, il ne faudrait pas que cette proposition de loi ne soit qu’un faux nez, un mauvais alibi pour tenter de faire avaler le détestable projet du non-cumul des mandats (Rires sur les travées du RDSE, de l'UMP et de l'UDI-UC.), qui a été qualifié à juste titre de démagogique voilà quelques jours par le président Alain Rousset. J'ai sous les yeux son excellente déclaration.

M. Philippe Bas. Très bien !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Cela n’a rien à voir !

M. Jacques Mézard. Monsieur le président de la commission des lois, je vous recommande, dans le numéro du 24 janvier 2013 de la revue Acteurs publics, la lecture de l’article intitulé « Un statut en échange du non-cumul des mandats ? »

M. Pierre-Yves Collombat. Ce n’est pas cher payé ! Un plat de lentilles !

M. Jacques Mézard. Tout cela n'est pas innocent, cher Jean-Pierre Sueur. Vous l’avez rappelé, il y a une vingtaine d’années, vous présentiez déjà un texte sur le statut des élus. Vous êtes un zélateur du non-cumul, mais pas du non-renouvellement indéfini du même mandat…

Je vous le dis très amicalement, le présent texte me semble présenter une certaine onction jésuitique qui perturbe le radical que je suis. (Rires sur les travées du RDSE, de l’UMP et de l'UDI-UC.)

Je crains que la discussion en séance publique de cette proposition de loi ne s’inscrive dans une programmation préméditée, qui ne nous trompe pas, destinée à nous faire « avaler » le non-cumul !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Cela n’a rien à voir !

M. Jacques Mézard. Ce matin, sur RMC, vous déclariez d'ailleurs que le faible nombre de sénateurs présents en séance publique vendredi dernier était la conséquence du cumul des mandats, ce qui est faux. La preuve : j’y étais, et je suis resté jusqu'au bout ! (Sourires sur les travées du RDSE.)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Nous étions douze !

M. Jacques Mézard. C’est l'ordre du jour qui en était la cause, et non le cumul des mandats ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées de l'UMP.)

Cette proposition de loi, que vous nous présentez comme étant de nature à faire échec à la professionnalisation de la fonction d'élu, n'y changera pas grand-chose. C’est au contraire le non-cumul des mandats qui risque d’accélérer de manière dramatique le professionnalisme du Parlement, les fonctions de parlementaire étant progressivement réservées, par votre propre fait, à des apparatchiks formés et choisis par les appareils des partis ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Ce texte répond à une commande : c’était une nécessité politique que les états généraux de la démocratie territoriale débouchent sur un minimum de mesures concrètes. Pourtant, il ne satisfait pas les principales préoccupations exprimées par les élus locaux en réponse au très intéressant questionnaire qui nous avait été adressé.

J’en viens au contenu du texte.

Je note qu'il s'agit d'une proposition de loi. Elle ne tend donc pas à prévoir de dépenses nouvelles pour l'État. À défaut, l'article 40 aurait pu lui être opposé. Cela limite de manière drastique la façon dont est traitée la question du statut de l'élu.

S’agissant de la fixation au taux maximal de l'indemnité allouée aux maires de communes de moins de 3 500 habitants, vous savez que cette disposition ne reçoit pas l'assentiment de nombreux élus directement concernés. Une grande majorité des élus ayant répondu à l’enquête menée dans le cadre des états généraux de la démocratie territoriale ont répondu que c’est par civisme qu’ils ont choisi de se présenter au suffrage de leurs électeurs. Il ne faut pas l’oublier !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Ce n’est pas parce que l’on touche une indemnité que l’on est incivique !

M. Jacques Mézard. Les autres dispositions de la proposition de loi reçoivent notre assentiment, mais elles ne changent pas fondamentalement la situation de nos élus. À cet égard, nous regrettons que vous ayez balayé d’un revers de main les justes propositions de notre collègue Pierre-Yves Collombat. Ce n’est pas avec un tel texte qu’il y aura moins de retraités et moins de fonctionnaires élus dans nos collectivités.

Nos élus locaux, que nous représentons, je le rappelle, en application de l’article 24 de la Constitution – tant que nous pourrons cumuler… –, méritent d’être protégés vis-à-vis de tant de recours, de tant de menaces judiciaires. Surtout, ils n’en peuvent plus de l’excès de bureaucratie, de la multiplication des circulaires, des arrêtés, des décrets et des lois.

M. Jacques Mézard. Ils veulent pouvoir s’occuper de leurs concitoyens, de leurs projets d’avenir pour leur territoire, avec moins d’entraves, avec plus de confiance.

Mes chers collègues, tel est le message qu’il nous appartient de leur délivrer ! (Applaudissements sur les travées du RDSE et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Hélène Lipietz.

Mme Hélène Lipietz. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons décidément des textes à hauts risques politiques en ce moment.

Entre le projet de loi relatif aux modes de scrutin dont nous avons discuté il y a quinze jours et l’examen du texte sur le statut de l’élu, il va falloir faire œuvre et surtout preuve de pédagogie afin que les citoyens comprennent la réalité du travail que nous effectuons. Au reste, c’est le seul moyen de déminer le « prêt-à-penser » actuel, lequel se traduit par la litanie des « tous pourris » et des « élus qui s’en mettent plein les poches », comme je l’ai encore entendu dans un taxi tout à l'heure.

De la même manière que l’on nous reproche de tripatouiller les modes de scrutin et les découpages électoraux, chaque fois que l’on touche au statut de l’élu, qu’il s’agisse de sa rémunération ou de sa protection sociale, nous sommes accusés de favoriser notre propre situation, à une époque où de nombreux citoyens de notre pays se trouvent dans une situation sociale et économique très difficile.

Mes chers collègues, j’espère que vous conviendrez avec moi que notre situation de sénateur ou de sénatrice n’est pas mauvaise. On pourrait même avouer que notre rémunération est confortable, surtout qu’une partie échappe à l’imposition de droit commun – il faudra d’ailleurs y revenir. Au demeurant, le cumul non seulement de mandats, mais aussi de fonctions et de rémunérations publiques permet d’obtenir, à la fin du mois, un « reste à vivre » plus que généreux.

Malheureusement, il n’en est pas de même pour l’ensemble de nos concitoyens et concitoyennes, ni pour la plupart des élus de France – ceux des petites communes –, qui ne touchent aucune rémunération.

M. Luc Carvounas. Quelle démagogie !

Mme Hélène Lipietz. De plus, pour ceux qui touchent un petit quelque chose, la notion d’indemnité non soumise à cotisation sociale créait une forte distorsion, en termes d’égalité, entre les petits et les grands élus.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 a permis l’assujettissement aux cotisations sociales de l’ensemble des élus indemnisés, y compris pour le volet relatif aux accidents du travail et aux maladies professionnelles, ce qui est logique, puisqu’un élu au service de sa commune peut, malheureusement, comme tout le monde, être victime d’un accident dans le cadre de l’exercice de ses fonctions. Il doit donc bénéficier d’une couverture sociale complète. Le seuil retenu est pertinent, puisque, de fait, il exonère de cotisations les maires des petites communes, tout en leur offrant une couverture sociale complète, à l’instar de celle dont bénéficie n’importe quel salarié de notre pays.

La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui est issue des états généraux de la démocratie territoriale, et donc – normalement – de la base. Enfin, « issue » est vite dit, car nos élus des petites communes qui maillent le territoire de la République demandent certainement moins que ce que ce texte prévoit de leur attribuer. En effet, ils ne veulent pas apparaître comme intéressés, eux qui – comme nous d'ailleurs – œuvrent pour le bien de tous. Ils ne veulent pas grever les finances de leurs communes, que l’indemnité d’élu pourrait déséquilibrer. Ils réclament plus d’information, plus de formation, ce que la loi peut leur assurer, mais aussi plus de considération et de reconnaissance, ce que la République doit leur assurer, mais dont nos concitoyens et concitoyennes sont souvent avares.

Au-delà des avancées indemnitaires certaines, l’objectif des auteurs de la proposition de loi est de faciliter les passerelles entre les activités d’élu et les autres activités publiques ou privées. Eh oui, l’instauration d’un statut de l’élu local qui assure une protection sociale facilitant l’entrée et la sortie du mandat est un corollaire indispensable du non-cumul des mandats et des fonctions, aussi bien du cumul « instantané » que du cumul dans le temps.

En cela, nous, écologistes, apporterons un soutien fort et constructif à notre Président et à son gouvernement, afin de les aider à établir des règles claires et ambitieuses de nature à permettre un renouvellement plus rapide et plus fluide de nos élus.

De plus, nous devons faciliter l’accès de nos concitoyens aux fonctions électives et à la connaissance de la réalité de ces dernières, afin qu’ils ne soient pas obligés d’hypothéquer leur avenir professionnel ou personnel. De telles mesures permettront de lutter contre la professionnalisation de la politique et de favoriser l’appropriation par les citoyens des structures institutionnelles.

En outre, à observer la composition de nos assemblées parlementaires, on se rend compte qu’un mandat de député ou de sénateur constitue souvent l’aboutissement d’une carrière des honneurs digne de la République romaine.

Nous constatons une surreprésentation des fonctionnaires et des professions libérales…

Mme Hélène Lipietz. … – j’exerce moi-même une profession libérale –, qui ne traduit pas la composition de la population française. C’est là un problème majeur pour notre démocratie, qui, finalement, n’est pas si représentative que cela.

Les écologistes vous proposeront donc un certain nombre d’amendements auxquels vous ne pourrez qu’être sensibles.

Aujourd'hui, nous vous épargnerons les impératifs de parité et leur traduction dans les lois que nous rédigeons : nous avons déjà longuement débattu hier de ce problème, sans obtenir de résultats. Pourtant, les sénatrices étaient nombreuses en séance ! À ce sujet, je tiens à rappeler que la commission des lois produira prochainement une réflexion de fond sur la féminisation du langage juridique.

Je ne voudrais pas verser dans la flagornerie, mais j’estime que les maires des petites communes sont les élus qui travaillent le plus, car ils n’ont à leur disposition que de petits services municipaux – quand ils en ont. La charge de travail qu’ils assument, tant en matière d’organisation que sur le terrain, exige qu’ils soient indemnisés, y compris dans le cas où le conseil municipal serait tenté de faire pression sur eux pour qu’ils y renoncent ou dans celui où ils se contraindraient à y renoncer de leur propre chef. À cet égard, espérons que l’utilisation du présent de l’indicatif dans la rédaction de notre texte – comme il se doit – soit bien comprise par tous comme étant l’indication d’un impératif ! En effet, l’élection ne doit pas être un sacerdoce.

Certains de nos amendements n’ont malheureusement pas passé le filtre de l’article 40 de la Constitution, ce que je regrette. Au reste, à partir du moment où la proposition de loi est indéfiniment gagée sur le tabac – vaste détournement de l’article 40 s’il en est ! – et où les amendements ne touchent pas à ce dernier article, il est difficile de comprendre pourquoi l’article 40 serait un couperet a priori, avant même que le Gouvernement ait levé le gage... Mais les subtilités de la loi originelle de la Ve République ont peut-être vocation à brider l’imagination des parlementaires et, par là même, à leur donner envie de cumuler leur mandat avec un mandat local, pour lequel le couperet digne de Guillotin de l’article 40 ne constitue pas une épée de Damoclès… (Sourires.)

Dans ces conditions, nous n’avons pas pu discuter de l’indemnisation des élus qui bénéficient de crédits d’heures, non payés par leur entreprise, pour exercer leur mandat.

Il faudra un jour mener une réflexion de fond sur l’application de l’article 40 de la Constitution, lequel est, certes, un garde-fou nécessaire mais dont l’application semble parfois discrétionnaire. Ainsi, il serait souhaitable que chaque amendement non examiné en séance soit publié sur le site du Sénat, accompagné des explications concernant son irrecevabilité. C’est une exigence de transparence et de lisibilité de l’action parlementaire que nous devons à nos concitoyens.

Bref, cette proposition de loi n’est qu’un début. Nous devons continuer le combat pour un véritable statut de l’élu, notamment un statut de l’élu de l’opposition.

Gageons que le Gouvernement nous entende et qu’il propose lui-même certaines dispositions que nous n’avons pu introduire ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – M. le président de la commission des lois applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Antoine Lefèvre. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les 4 et 5 octobre dernier, nous avons accueilli, ici même et à la Sorbonne, les états généraux de la démocratie territoriale, auxquels nous avons participé et pour lesquels nous nous sommes tous mobilisés, dans nos départements respectifs.

Mme Nathalie Goulet. Presque tous…

M. Antoine Lefèvre. Lors de cette rencontre avec les élus locaux, un atelier était consacré à l’approfondissement de la démocratie territoriale. Il a été l’occasion d’évoquer des thèmes relatifs aux conditions d’exercice du mandat local, notamment la question du statut de l’élu. Ce sujet, nous nous en étions saisis dès le début de l’année, dans le cadre du rapport de nos collègues Philippe Dallier et Jean-Claude Peyronnet intitulé Faciliter l’exercice des mandats locaux : réflexions autour du statut de l’élu.

Lors des états généraux, les échanges ont mis en lumière l’importance des préoccupations relatives à la formation des élus locaux. Oui, nos élus ont un grand besoin de formation, et ils l’ont exprimé très clairement, que ce soit lors des rencontres départementales ou au Sénat ! C’est donc sur ce volet de la proposition de loi qui nous est présentée aujourd’hui que j’insisterai tout d’abord.

En effet, chargé par la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation d’un rapport sur la formation des responsables locaux, je me réjouis que certaines des recommandations que j’ai présentées à ce titre en octobre dernier aient été reprises par notre rapporteur.

Plus largement, c’est la formation de tous les responsables publics – non seulement des élus, mais aussi des fonctionnaires territoriaux – qui est aujourd’hui un enjeu majeur dans nos territoires, nos concitoyens devenant de plus en plus exigeants sur les compétences que ces acteurs doivent posséder dans l’exercice de leurs missions.

La démocratie représentative implique que chaque citoyen puisse, à travers des élections libres, être élu.

Toutefois, cet idéal démocratique ne doit pas occulter le fait que la conduite des affaires publiques nécessite aujourd’hui de larges compétences. Vous le constatez tous les jours dans vos territoires, la gestion d’une collectivité territoriale ne s’improvise pas. Ainsi que Jean-Pierre Sueur l’a rappelé, l’exercice d’un mandat, dans une commune, une intercommunalité, un département ou une région requiert bien des compétences, et des connaissances de plus en plus pointues.

Le mandat local s’est complexifié, car les compétences des collectivités territoriales s’inscrivent elles-mêmes dans un environnement juridique et technique extrêmement complexe. Désormais, les élus locaux doivent disposer des connaissances suffisantes pour leur permettre de prendre les bonnes décisions et, s’ils exerçaient initialement une fonction représentative, ils deviennent désormais de véritables gestionnaires.

Au-delà, le « droit à la formation » est une condition de la démocratisation de l’accès aux fonctions politiques. En effet, en compensant les inégalités de formation initiale, la formation permet de ne pas laisser aux « clercs » et aux savants professionnels des affaires publiques le monopole des mandats électifs.

M. Antoine Lefèvre. En se formant, d’autres catégories socioprofessionnelles peuvent s’imposer dans la compétition électorale. Ainsi, la mise en place d’un véritable statut de l’élu doit notamment permettre d’éviter que certaines professions ne monopolisent les fonctions électives.

Aujourd’hui, le droit individuel à la formation des élus est reconnu par la loi. Le droit à la formation est validé si la formation que souhaite suivre l’élu est dispensée par un organisme agréé. Les frais de formation constituent une dépense obligatoire pour la collectivité locale, laquelle doit avoir expressément délibéré sur le montant de la ligne budgétaire concernée.

Lors des auditions que j’ai menées dans le cadre de mon rapport, j’ai pu constater qu’il n’était pas rare que des élus minoritaires aient du mal à obtenir les crédits relatifs au droit à la formation et qu’ils soient même obligés de prendre à leur charge personnelle les frais de formation. Cela n’est pas acceptable.

La loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité a renforcé ce droit à la formation, puisqu’une délibération des assemblées locales devient obligatoire en début de mandature afin de fixer les orientations de la formation et de déterminer l’utilisation des crédits. Malheureusement, ce droit reste encore trop peu mis en œuvre par les élus.

Le montant maximum des dépenses de formation votées au budget de la collectivité ne peut excéder 20 % du montant total des indemnités de fonction que peuvent percevoir les élus de cette collectivité. En réalité, on observe, là encore, une sous-consommation des crédits potentiellement disponibles.

C’est pourquoi l’instauration d’un plancher minimum de crédits budgétaires consacrés à la formation des élus locaux, égal à 2 % du montant des indemnités pouvant être allouées aux élus de la collectivité, accompagné de la mise en place d’un dispositif de report des crédits de formation non dépensés d’un exercice budgétaire à un autre jusqu’à la fin du mandat en cours, satisfait les propositions que j’ai formulées au nom de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales. Le texte va même plus loin, en prévoyant une augmentation du pourcentage minimum de dépenses consacrées à la formation, que j’avais proposé de fixer à 1 % et que le rapporteur, Bernard Saugey, a évoqué avec précision tout à l'heure.

Ainsi, dans les petites communes, où les sommes consacrées à la formation sont souvent modestes, leur addition sur plusieurs années permettrait de financer une action de formation pour l’ensemble des élus. La limite du mandat en cours permet de ne pas engager l’assemblée délibérante issue des élections suivantes.

Je me félicite aussi du contenu de l’article 5, relatif à la valorisation des acquis de l’expérience professionnelle.

Bien sûr, rien n’interdit aux élus locaux qui le souhaitent de valoriser l’expérience acquise au cours de leur mandat ou encore d’établir un bilan de compétences. Mais il s’agit d’initiatives personnelles, engagées dans la perspective d’un projet professionnel et ne pouvant être prises en charge par le budget de la collectivité puisqu’elles ne sont pas en lien direct avec l’exercice du mandat local.

Vous le savez, la question de l’après-mandat est une préoccupation récurrente des élus locaux. À l’évidence, la réinsertion professionnelle des élus sur le marché du travail est inextricablement liée à la formation. Des formations diplômantes existent aujourd’hui, qui constituent une solution à privilégier pour favoriser la sortie du mandat. Elles méritent d’être développées et mieux appréhendées par les élus locaux.

C'est pourquoi j'ai proposé la création d'un organisme collecteur national, au travers duquel les élus pourraient financer directement leurs formations diplômantes dans le cadre d'un « droit individuel à la formation », sur le modèle de celui qui existe pour les salariés du privé. Il s’agirait de créer un « 1 % formation », alimenté par une cotisation obligatoire des élus et exclusivement destiné à financer des formations en vue de la réinsertion professionnelle.

Cette mesure présenterait l'avantage, d'une part, d’instaurer une mutualisation entre élus – quel que soit le nombre de mandats – et, d'autre part, de bien distinguer ce qui relève de la formation dans le cadre de l'exercice du mandat et ce qui relève de la formation personnelle de l'élu pour sa réinsertion professionnelle.

Cette recommandation de mon rapport, que j'ai soumise à la commission des lois via un amendement, a été retenue puis intégrée au rapport de notre collègue Saugey ; je tiens à l’en remercier.

Aujourd'hui, le droit à la formation s'exerce spontanément, sur la base du volontariat, le principe étant la liberté de choix pour l'élu local.

Parfois, j'entends parler d'« obligation de formation ». Pour ma part, je reste convaincu qu'il convient, en la matière, de préserver la liberté de l'élu local, ce qui va à l’encontre de ce que propose notre collègue Alain Anziani, qui préconise, lui, de rendre cette formation obligatoire.

Si la formation des élus locaux doit reposer sur le principe du volontariat, en revanche, pour que la demande potentielle soit clairement cernée, il faut que l’on dispose d’informations sur le niveau actuel de formation des élus locaux. Or aucune étude précise ne permet aujourd'hui d'évaluer le « profil sociologique » des titulaires de mandats locaux, qu’il s’agisse de leurs diplômes, des formations qu’ils ont pu suivre ou des acquis de leur expérience professionnelle. De telles statistiques seraient pourtant précieuses, car elles permettraient de mieux identifier les besoins et, ainsi, de mieux structurer l'offre de formation.

C'est ce qui m’avait conduit à proposer de missionner le ministère de l'intérieur pour constituer un groupe de travail – éventuellement piloté par le CNFEL, le Conseil national de la formation des élus locaux – qui serait chargé de conduire une étude sur le profil sociologique des élus locaux. Mais cet amendement, considéré comme superflu, n'a pas été retenu, ce que je regrette.

J'en viens à la couverture sociale des maires. Des amendements que j’avais déposés sur ce point ont été déclarés irrecevables au titre de l'article 40 de la Constitution : ainsi, je n’ai pas été en mesure de proposer d’améliorer le régime de retraite des élus locaux ayant cessé leur activité professionnelle pour se consacrer exclusivement à leur mandat. Certains de mes collègues qui avaient rédigé des amendements similaires ont, semble-t-il, subi la même sanction…

Si la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 a apporté des améliorations à cet égard, tous les élus ne peuvent pas encore acquérir de droits à pension auprès du régime de retraite par rente spécialement constitué en faveur des conseillers municipaux, généraux et régionaux – il s’agit des dispositifs FONPEL, le fonds de pension des élus locaux, et CAREL, la caisse de retraite des élus locaux. Or cette exclusion est d'autant plus injuste qu'elle s'applique à des élus ayant consenti d'importants sacrifices en se consacrant entièrement à leur mandat et en se dévouant ainsi au service de leurs concitoyens.

De plus, ces élus sont pénalisés en matière de retraite par le niveau généralement modeste des pensions servies, au titre de leur mandat, par le régime général de sécurité sociale – retraite de base – et par l'IRCANTEC.

Outre le respect de la plus élémentaire équité, la mesure que j'avais proposée présentait un double avantage. D’une part, elle améliorait le statut des élus locaux et contribuait ainsi à lutter contre la « crise des vocations » constatée en ce domaine, particulièrement dans les petites communes. D’autre part, en affiliant des assurés supplémentaires au régime de retraite par rente des élus locaux, elle apportait à celui-ci de nouvelles recettes et confortait, par là même, sa situation financière.

Toutefois, je reste confiant, pensant que je pourrai un jour – peut-être lors du débat sur le prochain projet de loi sur les retraites – aborder à nouveau cet aspect de la retraite des élus locaux.

Pour l’heure, j’estime que la présente proposition de loi va dans le bon sens et je la voterai avec conviction, en attendant qu’elle soit utilement complétée. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. – Mme Corinne Bouchoux applaudit également.)