M. le président. La parole est à M. Gérard Larcher.

M. Gérard Larcher. Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je le dis d’emblée, nous nous tenons aujourd’hui aux côtés du chef de l’État et de notre armée engagée au Mali.

À nos forces, qui mènent en première ligne le combat sur un théâtre exigeant et difficile, je veux dire, comme tous mes collègues, ma totale confiance dans leurs capacités. Grâce au courage de nos soldats – et ils en ont déjà payé le prix, hommage leur soit rendu, comme à la mémoire de Damien Boiteux - oui, grâce à leur courage, un coup d’arrêt a déjà été porté à l’avancée des terroristes et des pertes leur ont été infligées.

Nous le savons, nous avons affaire à des terroristes aguerris, jetés corps et âme dans une guerre « asymétrique » où ils mènent un combat total. Mobiles, surentraînés, ils savent utiliser ce désert au climat hostile, enclavé et escarpé, propice à tous les trafics. Dans cette immensité, ils peuvent se diluer et s’abriter. Ils ont fait du désert leur sanctuaire et leur base arrière. Ils y ont leurs camps d’entraînement, ils y établissent leurs connexions avec d’autres réseaux terroristes, la secte Boko Haram au Nigéria, les shebab somaliens, Ansar al-Sharia en Tunisie, AQMI en Algérie... Ils constituent progressivement, en toute impunité, un vaste arc djihadiste de l’Atlantique à la mer Rouge, dans un continuum de trafics et d’exactions qui va du Sahel à la Somalie.

Vous le savez, monsieur le ministre des affaires étrangères, tout cela n’a pas commencé au début de l’affaire libyenne, mais bien avant. En 2010, un certain nombre de chefs d’État et de gouvernement de cette région attiraient l’attention de la France sur l’émergence de groupes terroristes, grâce aux trafics, et à leur montée en puissance. Je les ai entendus souligner en 2010 le risque d’une déstabilisation qui s’étendrait demain au Nigéria, jusqu’au golfe de Guinée, créant, en quelque sorte, le syndrome de la Somalie. Alors, non, ce phénomène n’a pas commencé il y a dix-huit mois, il est beaucoup plus ancien.

Je ne reviendrai pas longuement sur l’importance de l’armement dont disposent ces groupes. Au-delà des armes légères, ils disposent, nous le savons, de missiles antichars MILAN et, si j’en crois une dépêche parue hier, des missiles sol-air SAM-7.

L’argent, il y en a, grâce au trafic d’otages, dont ces groupes se sont fait une spécialité, et à la dîme prélevée au passage des convois des trafiquants de cigarettes, d’essence et, surtout, de cocaïne. Car le réseau de la cocaïne, ce n’est plus Madrid-Barajas, comme il y a vingt ans ! Il s’étend aujourd’hui sur de vastes territoires du Sahel.

Pouvions-nous laisser AQMI devenir maître de la région et y faire prospérer, avec les moudjahidine notamment, ses trafics ? Pouvions-nous laisser les terroristes asservir tout un peuple ? Pouvions-nous laisser se constituer cet immense sanctuaire djihadiste qui, du Mali à la corne de l’Afrique, en passant par le Nigéria, puis par le golfe de Guinée, s’étendrait progressivement ?

Oui, la France a eu raison de vouloir stopper l’avancée des terroristes ! Oui, la France a eu raison d’empêcher l’effondrement du Mali, et, par un effet de souffle, de toute la région ! Oui, la France a raison de vouloir aider la force africaine à restaurer l’intégrité de ce pays ! Oui, la France a raison de vouloir restaurer une légalité constitutionnelle au Mali !

Pour autant, la situation n’est pas tout à fait celle que nous avions imaginée. Sur l’initiative du président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, et avec Jean-Pierre Chevènement, nous avons constitué un groupe de travail sur la question sahélienne. Nous avons entamé une réflexion. À la fin du mois de novembre, le scénario était un peu différent. Aujourd’hui, face à l’urgence, notre gouvernement et le chef de l’État ont réagi et nous avons changé notre planification.

C’est l’honneur de la décision, c’est l’honneur de notre armée : moins de cinq heures après l’ordre présidentiel, elle était au combat contre les 1 200 terroristes de cette colonne qui fondait sur Bamako.

Je tiens en cet instant à rendre hommage à nos services de renseignement. Durement éprouvés ces jours derniers, ils ont su déceler la menace avec précision et pertinence.

Christian Cambon et François Zocchetto l’ont dit, nous avons des interrogations.

Quelle sera l’ampleur de la phase « terrestre » et quelles seront ses implications pour nos soldats ? Que veut dire « tenir » seuls un territoire hostile d’une telle immensité ? Les difficultés que nous rencontrons aujourd’hui pour « traiter » le « fuseau ouest » augurent-elles d’une combativité supérieure à celle que nous avions prévue ? Quelle sera la durée de l’intervention ? La guerre sans fin serait le risque majeur. Quel sera le degré de préparation des troupes de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, la CEDEAO ? Jean-Pierre Chevènement l’a évoqué, nous savons qu’il faudra des semaines pour qu’elles atteignent le niveau opérationnel. Quel est notre scénario de sortie ?

Comme l’a fait le président de la commission des affaires étrangères, j’aimerais aujourd’hui dire clairement aux rédacteurs du Livre blanc et de la loi de programmation militaire en préparation qu’il nous faut réfléchir avant d’abandonner des capacités, avant de réduire nos forces prépositionnées ! Forces spéciales, renseignement, troupes au sol, moyens blindés, moyens aériens : nous avons besoin de tout le spectre !

N’oublions pas qu’il faut soixante-douze heures à un bâtiment de la marine nationale pour rejoindre, à partir de Toulon, le détroit d’Ormuz, et je ne dis pas cela tout à fait par hasard. On voit bien aujourd’hui l’importance de nos forces au Tchad, au Gabon, au Sénégal, dans la montée en puissance du dispositif « Serval ». Ce pourrait être demain le cas, vers d’autres théâtres, à partir des Émirats arabes unis.

Et si nous avions dû évacuer plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de nos ressortissants au Mali ? Rappelons-nous la Côte d’Ivoire...

Il nous faut méditer ces enseignements et ne pas avoir comme variable d’ajustement simplement des préoccupations financières, que nous avons tous, par ailleurs.

Mais, fondant notre action sur la résolution 2085, nous n’avons pas vocation à agir seuls. Je trouve que, dans sa déclaration, le Premier ministre a été très aimable avec Mme Ashton… Certes, j’en conviens, un certain nombre de nos partenaires se sont engagés, nous apportant soutien politique et moral. Mais nous voyons bien que la grande absente aujourd’hui, c’est l’Europe ! À une semaine de l’anniversaire du traité de l’Élysée, qui sera pour nous l’occasion, en quelque sorte, de refonder sur cette base ce qui fait le socle de l’Europe, nous ne pouvons que constater, avec un peu de tristesse, que l’Europe n’est autre chose en cette matière qu’une « super ONG » ou une entreprise à responsabilité limitée ! (Très bien ! et applaudissements sur certaines travées de l'UMP.) Je crois que nous devons, les uns et les autres, dans notre diversité, poser cette question.

Je n’oublie pas, pour conclure, les deux enjeux de long terme pour le Mali.

D’abord, je l’évoquais avec Henri de Raincourt dans la responsabilité ministérielle qui fut la sienne, le développement est la seule vraie solution durable : 150 000 réfugiés, 230 000 déplacés viennent encore accroître les maux d’une des populations parmi les plus pauvres de la planète. On a évoqué cette espérance de vie, de vingt ans inférieure à la nôtre. La moitié de la population vit avec moins de 2 dollars par jour. S’y ajoutent la désertification, le réchauffement climatique, la perte du pastoralisme, laquelle est en train de déstructurer toutes ces sociétés, notamment au nord du Mali.

Il est en outre nécessaire d’avoir une cohérence dans notre attitude face au fondamentalisme religieux et à ses multiples facettes, qu’il s’agisse d’une expression politique ou de moyens terroristes. Il n’y a pas vérité ici et erreur ailleurs !

La refondation démocratique du Mali est, naturellement, le second enjeu. Toutes ces populations, des Bambaras aux Touaregs, en passant par les Songhaï ou les Bérabiches, ne partagent, en fait, que le fleuve Niger et un islam jusqu’à présent modéré.

Cela a été évoqué, le Nord a, au fond, toujours été oublié : peu de routes, peu d’écoles, peu d’infrastructures médicales, peu de développement économique. Il a été, à chaque fois, fortement brutalisé, pour ne pas utiliser d’autres mots.

La reprise des négociations inter-maliennes est une urgence, mais ces négociations ne doivent pas, une nouvelle fois, aboutir à des accords qui ne seront jamais respectés. Il faut une feuille de route, il faut reprendre le fil de la transition vers des élections démocratiques.

Je conclurai, comme François Rebsamen et Christian Cambon, avec une pensée toute particulière pour nos otages et leurs familles, aujourd’hui dans l’angoisse. Mais, si nous n’avions pas agi, alors, les preneurs d’otages auraient soumis tout un pays ! Nous le savons, le message ainsi adressé aurait été contraire aux valeurs qui sont les nôtres. Il est des valeurs sur lesquelles, ensemble, dans notre diversité, nous ne devons pas transiger.

Ce sont les valeurs qui nous rassemblent dans cet hémicycle aujourd’hui, ce sont des valeurs que nous portons ensemble et qui font, me semble-t-il, l’honneur de notre République. (Vifs applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Leila Aïchi.

Mme Leila Aïchi. Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, mesdames, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, tout d’abord, je tiens, une nouvelle fois, au nom du groupe écologiste, à présenter mes condoléances à la famille du lieutenant Boiteux et à l’ensemble des civils tués dans les opérations.

Dans les périodes de crise intense, nos compatriotes attendent des réponses claires.

En ce sens, le groupe écologiste du Sénat et moi-même reconnaissons la licéité de l’intervention française au Mali, au regard des relations bilatérales entre nos deux pays et soutenons nos femmes et nos hommes engagés dans cette opération.

Toutefois, au regard du droit international, les trois résolutions votées à l’ONU – les résolutions 2056, 2071, 2085 – ouvrent la voie à une intervention internationale sous responsabilité africaine et avec possible usage de la force, mais sans implication directe de la France.

Il est donc urgent de nous conformer au droit international.

Pour autant, la clarté de notre décision ne s’inscrit pas dans la simplification à outrance ou la caricature d’une situation géopolitique très complexe.

« Faire la guerre contre le terrorisme partout où il se trouve» est une formulation trop stéréotypée, voire fausse pour appréhender de manière exhaustive une problématique malienne et régionale multifactorielle et, je le répète, complexe.

Souvenons-nous du funeste exemple des néo- conservateurs américains et du concept plus que douteux de la « guerre contre la terreur ».

Quelle a été la plus-value de cette stratégie en Irak en 2003 et en Afghanistan, en termes de sécurité ? Les populations civiles ne connaissent – hélas ! –que trop bien le coût exorbitant de telles idées.

D’ailleurs, avons-nous les moyens d’une telle ambition ? Dans ce cas, pourquoi ne pas tirer les conséquences de vos analyses et multiplier le budget de la défense par cinq ?

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

Mme Leila Aïchi. De même, je vous rappelle que nous évacuons nos troupes d’Afghanistan après dix ans de guerre, avec des résultats plus que mitigés...

Pour ma part, je ne souscris en rien au concept de « choc des civilisations », alors même qu’il s’agit essentiellement, et nous le savons tous ici, d’un problème d’accès aux matières premières et à l’énergie. Je ne crois pas non plus au caractère irréconciliable de l’opposition entre un Nord-Mali touareg et un Sud-Mali noir. De la même façon, l’antagonisme historique entre une culture nomade et une culture sédentaire ne doit pas être exagéré.

Le prétexte religieux, souvent utilisé dans le cas d’entreprises criminelles, liées pour l’essentiel, on le sait, au trafic de drogues et au trafic d’armes, ne peut en aucun cas tenir lieu d’argument sérieux.

Le groupe écologiste et moi-même sommes favorables au principe d’une intervention immédiate, urgente, humanitaire et limitée dans le temps, et contre le principe d’une guerre s’installant dans la durée.

Nous ne devons ni minorer les risques encourus par la population malienne, ni sous-estimer ceux qui pèsent sur les États de la région, ni encore ignorer les perspectives internes au Mali pour l’après-conflit.

Quel sera le sort réservé aux réfugiés ? La possibilité d’exactions contre la population touareg est plausible, compte tenu de la faible formation de l’armée malienne et des forces de la CEDEAO. La situation explosive de la Libye, de la Côte d’Ivoire et d’autres pays doit nous imposer de réfléchir et de proposer, dès à présent, des solutions pour l’après-conflit.

En tant qu’écologistes et progressistes, nous rejetons avec véhémence toute approche essentialiste des identités. Nous savons où cela mène ! Souvenons-nous du Rwanda, mes chers collègues ... Nous devons donc nous défier de toute lecture ethnique trop simpliste et nous attaquer aux réels problèmes qui minent le Mali. Et ils sont nombreux !

Gagner un conflit, c’est d’abord gagner la paix. Car le pouvoir malien est en pleine décrépitude... Qui gouverne le pays ? Le pouvoir civil ? La junte militaire ? Qu’en est-il de l’état du système judiciaire malien, de son administration, de ses services publics ? Quel est le niveau de corruption institutionnel ? Quel est le rôle des acteurs régionaux ? Quel est le rôle de l’Algérie ?

Pour répondre à toutes ces questions, la France et l’Europe, dramatiquement absente, doivent d’abord porter leur concours à la mise en place d’institutions légitimes et démocratiques pérennes qui répondent aux aspirations de la société civile.

On a fait l’Europe des banques et de la finance. Où en est l’Europe de la défense ?

La mise en place de plans de coopération pour le développement d’économies réellement durables et solidaires doit constituer une priorité. À cet égard, je tiens à saluer le travail de M. Pascal Canfin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé du développement. Il s’agit de favoriser non pas l’installation de multinationales voraces pillant le pays, mais bel et bien le développement solidaire et durable des PME et TPE françaises et maliennes, dans le cadre d’un partenariat équitable.

Il ne faut pas oublier non plus que cette crise est une conséquence historique du colonialisme dans la région et du tracé arbitraire des frontières. La prise en compte de cette dimension est essentielle pour envisager tout processus de sortie de crise.

Enfin, il faut aussi prendre la mesure de la problématique environnementale dans la sous-région sahélienne.

Comme le rappelle l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, la FAO, la sécheresse entraînée par le dérèglement climatique a réduit, en 2012, la production céréalière du Sahel de 26 % par rapport à l’année précédente. De graves pénuries de fourrage conduisent à la transhumance précoce et à des changements dans les voies empruntées par le bétail, ce qui aggrave les tensions entre communautés ainsi qu’aux frontières. L’insécurité alimentaire et la malnutrition, récurrentes dans la région, menacent directement cette année plus de 16 millions de personnes.

Je ne le répéterai jamais assez, mes chers collègues : au XXIe siècle, la paix et l’environnement sont plus que jamais liés. Combien faudra-t-il de drames humains pour que la France et l’Europe comprennent cette triste réalité ?

Que dire de la crise du Darfour, un conflit qui trouve son origine dans un problème d’accès à l’eau ? Que dire du delta du Niger, ou encore de la Somalie, où la surpêche, phénomène principalement dû aux bateaux-usines des multinationales, crée des pirates en puissance ?

Monsieur le ministre, les conflits du XXIe siècle ne sont plus ceux du siècle précédent.

Le monde a évolué, mais pas notre vision des conflits militaires. Les conflits liés aux guerres territoriales cèdent la place à d’autres, qui sont de nature environnementale et énergétique. J’ai interpellé plusieurs fois le Gouvernement sur ce nécessaire changement de paradigme, sans obtenir de réponse.

L’opération Serval est une nouvelle démonstration de ces cinquante années d’échec de la coopération avec l’Afrique, cinquante ans de pillage des ressources naturelles, cinquante ans de développement gangrené par la corruption, cinquante ans d’incapacité totale à construire des relations durables, respectueuses et équilibrées, bref cinquante ans sans vision ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

Le drame qui se déroule aujourd’hui nous impose de remettre en question les relations franco-africaines. Sachez-le, mes chers collègues, les réfugiés climatiques d’aujourd’hui seront les révoltés de demain ! Nous avons la responsabilité historique de mettre en œuvre des instruments de prévention écologique des conflits. (Applaudissements sur certaines travées du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Laurent Fabius, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux tout d’abord vous remercier, au nom du Gouvernement, de la qualité et, j’y reviendrai en conclusion, de la tonalité de vos interventions, qui font honneur à la politique en général et à cette assemblée en particulier.

Je tiens à remercier le président de la commission des affaires étrangères, M. Carrère, pour la force de son intervention, qui a, je crois, reçu un large assentiment. Il a souligné avec raison l’urgence, comprise par tous, d’organiser un débat au Parlement, et la disponibilité du Gouvernement pour venir s’exprimer devant la représentation nationale.

Il a relevé que la France avait été, et depuis longtemps, à l’initiative sur ce dossier du Mali, et a tenu des propos extrêmement justes, repris par plusieurs d’entre vous, sur la menace terroriste. Comme vous tous, il a également rendu hommage à nos soldats.

Je retiendrai en particulier l’une de ses formules, qui recueillera, j’en suis sûr, l’approbation de chacun : « Quand la maison brûle, il faut d’abord éteindre l’incendie ». C’est exactement de cela qu’il s’agit.

Il a enfin tiré à juste titre, comme d’autres, des leçons plus larges de cette intervention militaire, en soulignant que l’on ne peut, d’un côté, saluer la rapidité et l’efficacité d’intervention de nos forces et, de l’autre, ne pas en tirer des conséquences lors de l’examen du budget de la défense et lors de l’élaboration du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. On ne peut pas ne pas considérer la cohérence qui doit présider ici.

Mme Nathalie Goulet. Eh oui ! C’était la mauvaise année...

M. Laurent Fabius, ministre. Je remercie M. Cambon de son intervention, qui traduit une grande élévation de pensées.

Aux remerciements qu’il a bien voulu m’adresser, je répondrai que l’intervention du Gouvernement devant le Parlement est prévue par l’article 35 de la Constitution.

Il a souligné le risque que constituait, pour le Mali, mais aussi pour la région et l’Europe, l’installation d’un régime terroriste, et a apporté à l’engagement de la France un soutien non ambigu.

Il m’a aussi interrogé sur le drame intervenu en Somalie. Le ministre de la défense aura l’occasion de lui apporter des réponses plus précises sur ce point lorsqu’il viendra devant le Sénat.

Je tiens, pour ma part, à déplorer ce drame en insistant sur le fait, même si cela est connu, qu’il n’y a aucune corrélation à établir entre les dates des différentes interventions.

Par ailleurs, je veux vous mettre tous en garde, ainsi que l’opinion française, contre une épouvantable instrumentalisation d’une victime française, qu’heureusement la presse ne semble pas avoir relayée. Selon certaines informations qui nous ont été récemment transmises, une autre instrumentalisation, peut-être plus horrible encore, se prépare au sujet de l’un de nos ressortissants ; j’espère que les uns et les autres adopteront la même attitude.

M. Cambon a également soulevé certaines questions posées par l’intervention française. Il n’est en effet pas contradictoire d’apporter un soutien sans faille à notre engagement, comme vous l’avez quasiment tous fait, tout en s’interrogeant sur certains points.

Au travers des interventions de M. Cambon et des orateurs qui se sont succédé, auxquelles j’apporterai une réponse commune, j’ai relevé trois questions principales : le risque d’isolement, le risque d’enlisement et le problème du développement.

S’agissant de l’isolement, la France agit, pour les raisons d’urgence qui ont été rappelées, avec les seuls Maliens. Plusieurs d’entre vous ont souligné que l’armée malienne, pour le moment, était faible. Est-ce à dire que nous allons continuer ainsi ? Pas du tout !

Nous sommes actuellement dans la première phase, celle de l’urgence. Dans une deuxième phase, le plus rapidement possible, nous souhaitons – et nous y travaillons ! – être rejoints par d’autres forces, parmi lesquelles la Mission internationale de soutien au Mali, la MISMA, dont je tiens à souligner – il y a parfois confusion sur ce point – qu’elle sera essentiellement composée de troupes africaines, mais pas seulement. La résolution 2085 adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies donne en effet une perspective plus large. Puis viendront, comme nous en aurons la confirmation demain, les militaires chargés d’assurer la formation des troupes maliennes et la sécurisation des formateurs de ces troupes.

Nous ne pouvons certes forcer personne, mais, tout en espérant que la conscience universelle existe, elle qui permet de passer de la conscience à l’action, nous ferons en sorte que d’autres forces, en provenance de différents pays, viennent nous aider.

Il est vrai que nous sommes au premier rang, même si les Maliens sont les initiateurs de cette intervention, mais il faut très vite une seconde phase, afin que nous puissions bénéficier de nombreux appuis.

Tels sont les faits.

Sur le plan diplomatique, à présent, nous ne sommes évidemment pas isolés, c’est même le contraire : il est rare qu’une intervention militaire recueille un soutien international aussi unanime.

Ce soutien durera-t-il ? Je ne peux pas en préjuger, car ce genre de situation est toujours complexe. Quoi qu’il en soit, on ne peut parler l’isolement diplomatique.

Quant à l’isolement militaire, il prendra fin lorsque les militaires français et maliens seront rejoints par d’autres forces, lors d’une deuxième phase qui doit intervenir, je le répète, le plus rapidement possible.

Pour ce qui est de l’enlisement, puisque certains d’entre vous ont prononcé le mot, c’est effectivement une menace, et il faut tout faire pour éviter qu’elle ne devienne réalité. C’est la raison pour laquelle les objectifs de l’opération ont été précisés par le Président de la République, et réitérés par le ministre de la défense et par moi-même.

De ce point de vue, je souhaite apporter une précision. Le fait de définir ces buts, notamment la défense de l’intégrité du Mali et l’organisation d’élections, ne signifie pas, dans notre esprit, que les troupes françaises devront rester sur place, dans les dispositions présentes, jusqu’au « bout du bout » du processus.

Nous sommes présents au Mali, en première ligne, parce qu’il y a urgence, et nous allons apporter tout notre soutien à ce pays ; mais il faut très vite que d’autres relais, notamment politiques, interviennent. Notre présence, que justifient bel et bien ces objectifs, n’est pas subordonnée à leur réalisation totale. J’espère, disant cela, être suffisamment clair.

Mais certains ont parlé de développement. Évitons les faux débats entre nous, mesdames, messieurs les sénateurs.

Bien évidemment, le sous-développement est une catastrophe absolue. À cet égard, je tiens à faire observer à ceux qui ont rendu hommage à M. Canfin, excellent ministre qui travaille à mes côtés, que, ce faisant, ils ont rendu hommage au Gouvernement. (Sourires.)

Cela dit, il nous faut bien évidemment agir avec plus de force pour le développement : c’est le sens des actions de la France.

Le sous-développement ou le « mal développement » expliquent en grande partie nombre de phénomènes malheureux, voire dramatiques, que l’on constate de par le monde. Mais, et personne dans cette assemblée, fort heureusement, n’a ce sentiment, ce n’est pas parce que le mal développement explique ces comportements qu’il les justifie.

Nous savons tous à quel point le développement et la sécurité sont liés, pour reprendre l’expression utilisée par plusieurs d’entre vous. Mais ne tombons pas dans l’excès qui consisterait à considérer que, dès lors que les populations sont pauvres, tout est justifié. Rien ne justifie le terrorisme ! Je tenais à apporter cette précision, non qu’il y ait eu des dérives, mais afin de m’assurer que nous sommes bien d’accord sur la façon d’aborder les choses.

Mme Demessine a parlé sans ambages. Fallait-il laisser les groupes terroristes conquérir Bamako ? La réponse est clairement : « non » ! Elle a ensuite approuvé, au nom de son groupe, l’intervention de la France, faite en application de l’article 51 de la charte des Nations unies, ajoutant, à juste raison, qu’il fallait isoler les groupes terroristes. Je la remercie de ce soutien même si, comme elle, je me pose quelques questions.

En ce qui concerne les financements, veillons à ne pas prononcer d’accusations à la légère. Je n’entrerai pas dans le détail, mais sachez que nos services ont, à notre demande – et cela ne date pas des derniers jours – conduit des actions afin de déterminer l’origine de ces financements. Certaines accusations ont été portées dont nous n’avons absolument aucune confirmation. C’est un paramètre auquel il faut être attentif.

Pour autant, certains faits sont prouvés, malheureusement ! Drogues, armes, otages, tous ces trafics rapportent des dizaines de millions d’euros. Dans nombre des groupes dont nous parlons, on confond banditisme, terrorisme et affirmation religieuse. Et il faudra que la France soit beaucoup plus active, avec d’autres, sur la scène internationale - c’est l’une des orientations que devront suivre notre diplomatie et l’action gouvernementale – pour lutter notamment contre le développement du trafic de drogues, contre les narco-États terroristes, car le phénomène a pris une telle ampleur, représente de telles sommes, que, si l’on ne donne pas un coup d’arrêt, nous serons désemparés.

Pour ce qui concerne l’Afrique, une grande partie de la drogue provient d’Amérique, notamment d’Amérique du Sud, et aboutit en Guinée Bissau, qui malheureusement devient un narco-État. Une partie des produits circule vers l’est du continent, jusqu’à l’océan Indien, une autre vers le Sahel et remonte vers l’Europe avant, parfois, de repartir vers les États-Unis. Ces pratiques dégagent des sommes telles que si l’Europe, les pays du G8, du G20, et l’ensemble de la communauté internationale ne font pas de la lutte contre le trafic de drogues l’un de leurs objectifs majeurs, beaucoup de ces États, déjà faibles, seront sans moyens d’action.

Mme Demessine s’est également interrogée sur la réalité de la MISMA. Le Président de la République, le Premier ministre, le ministre de la défense et moi-même travaillons activement sur ce dossier. Nous avons déjà un certain nombre d’engagements. Nous en aurons d’autres dans les jours qui viennent : il s’agit de faire en sorte que la MISMA soit présente sur le terrain le plus vite possible.

M. Zocchetto, après avoir rendu lui aussi hommage à nos soldats, a souligné le nombre de Maliens vivant en France. Il a, je reprends ses termes, saluer la réponse du Président de la République à l’appel lancé par le Mali. Il a également posé des questions, au reste légitimes, sur la durée de notre intervention, sur le risque d’enlisement.

Il m’a interrogé sur l’absence de concertation. Sachez, monsieur Zocchetto, que la concertation est engagée depuis longtemps. Personne, me semble-t-il, ne conteste que c’est en particulier sur l’initiative de la France que l’affaire a été portée dès les mois de septembre et octobre derniers devant le Conseil de sécurité. À l’époque, les autorités maliennes nous avaient d’ailleurs rendu hommage.

Au sujet de l’intervention proprement dite, des concertations rapides ont eu lieu avec le président des États-Unis et avec nos alliés les plus proches vendredi et samedi derniers. Pour ce qui concerne l’action militaire, nous avons été les seuls sollicités. Si l’on nous avait proposé de venir avec nous… mais on ne l’a pas fait. C’est donc dans le cadre de la MISMA que l’action pourra être conduite d’une manière plus globale. Je reviendrai dans un instant sur la question des otages.

Enfin, M. Zocchetto a insisté, à juste titre, sur les perspectives de solutions politiques.

M. Jean-Pierre Chevènement, qui connaît très bien cette région et qui a une expérience diversifiée compte tenu de ses fonctions ministérielles passées, a apporté des précisions utiles pour aborder la situation dans toute son ampleur.

Il a indiqué, au nom de son groupe, que le coup d’arrêt était nécessaire. Je pense, et je ne suis pas le seul, que, si aucune guerre n’est souhaitable, certaines guerres sont inévitables.

M. Chevènement a souligné qu’il s’agissait non pas d’ingérence, mais d’assistance – j’ai retenu la formule - et il a insisté sur le rôle indispensable de nos partenaires africains. Il a indiqué, avec une pointe d’esprit facétieux dans un débat par ailleurs très dur, que, s’agissant de nos partenaires européens, il avait quelques doutes, mais que l’histoire et ses prises de position l’avaient préparé à cela.

Il a également souligné qu’il fallait frapper vite et fort, éviter les dommages collatéraux, avoir conscience, sans les exagérer, et ce y compris dans l’appui militaire, des problèmes ethniques qui peuvent se poser. Il faut bien évidemment tenir compte des diversités ethniques : les populations arabes ne sont pas les populations noires. Il a par ailleurs rappelé la nécessité de lancer un plan de développement du Sahel.

Il a enfin, avec une grande pertinence, évoqué la situation de l’Algérie, pays qu’il connaît bien, et dont le concours est nécessaire.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ce pays, dans lequel 150 000 personnes ont péri du fait d’actions terroristes, est, au moment où je vous parle, victime d’une nouvelle attaque. Je dispose de renseignements divers en provenance de notre ambassade et de nos services mais, vous le comprendrez, je ne peux, à cette tribune, vous livrer des informations qui ne sont pas encore confirmées.

Je peux simplement vous dire qu’il y a eu une attaque, selon toute vraisemblance, de groupes terroristes ; on parle notamment d’AQMI. Des personnes de plusieurs nationalités sont retenues, mais on ignore encore s’il y a des Français parmi elles. De toute façon, il s’agit à nouveau de personnes qui sont prises en otage, cette fois en Algérie, et par des groupes terroristes. Voilà qui montre bien que nous ne sommes pas confrontés simplement à des actions isolées.

Nous ne pouvons que souhaiter que les événements d’Algérie trouvent une issue la moins tragique possible. Les Algériens doivent bien prendre la mesure du risque encouru.

M. Labbé puis Mme Aïchi sont intervenus au nom du groupe écologiste. J’ai retenu le soutien de M. Labbé, et son hommage, auquel je souscris, à M. Canfin.

Mme Aïchi, après un début d’intervention auquel je peux souscrire, a formulé des interrogations quelque peu surprenantes. Je pense que personne dans cette enceinte, en tout cas pas le Gouvernement, ne recommande un « choc des civilisations ». Cette doctrine, qui a certes été évoquée, n’a pas de sens. Il convient d’éviter les amalgames, et c’est ce que nous faisons. Il faut, sans répit, combattre les groupes terroristes, mais sans assimiler l’ensemble des populations du Nord aux terroristes. Soyons très vigilants sur ce point, et c’est sans doute ce que voulait dire Mme Aïchi.

En revanche, sur la légalité de notre intervention, je ne suis pas tout à fait d’accord avec Mme Aïchi, et, si je m’en tiens à cette litote, c’est parce que j’apprends petit à petit à être diplomate… (Sourires.)

Outre la résolution 2085 du Conseil de sécurité, sans parler des résolutions qui l’ont précédée, notre intervention se fonde sur l’article 51 de la charte des Nations unies, qui explicite le droit à la légitime défense : si le gouvernement d’un pays membre des Nations unies demande au gouvernement d’un autre État membre d’intervenir pour le défendre, cette intervention est légitime.

Sans vous révéler de grands secrets, je puis vous dire que M. Ban Ki-moon a pris la peine de m’appeler et nous avons eu une longue conversation téléphonique. Le secrétaire général des Nations unies a, je reprends ses termes, félicité la France pour sa gestion de la situation, parlant même de « feu vert », ce qui, vous en conviendrez, ne saurait être la marque d’un défaut de légalité internationale.

M. Labbé a par ailleurs souligné, à juste titre, l’importance du rôle joué par les collectivités locales et des liens noués par certaines d’entre elles avec le Mali. À l’avenir, en particulier en matière de développement, nous devrons nous appuyer sur l’effort des collectivités qui connaissent bien les réalités et qui savent à quel point nous avons besoin d’être aux côtés de nos amis maliens.

M. Husson nous a, lui aussi, apporté son entier soutien, et je l’en remercie. Il a souligné la vigilance nécessaire qu’exigeait le terrorisme, demandé un soutien européen accru, autant de points sur lesquels nous nous rejoignons tous.

M. Rebsamen a, comme tous ici, rendu hommage à nos soldats, avec une pensée particulière pour ceux qui sont morts pour la France, dont le lieutenant Boiteux et les membres de la DGSE qui ont perdu la vie.

Il a posé, avec beaucoup de force, la question de savoir ce qui se serait passé sans intervention. Nous sommes tous des responsables politiques et nous savons que la politique n’est pas le choix entre une solution extraordinairement bonne et une autre extraordinairement mauvaise. Si tel était le cas, la bonne décision s’imposerait d’elle-même.

Il fallait faire un choix ; ce choix comportait des risques. Néanmoins, l’absence de choix, qui aurait été un choix inverse, présentait pour les otages, pour le Mali, pour la région africaine, pour la France et pour l’Europe, un risque bien plus grand encore. (Applaudissements.)