M. Charles Revet. Il y a encore du travail à faire !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Comme vous, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis fermement opposé à l’introduction obligatoire d’un système de concessions de pêche transférables. Ce point fait l’unanimité, ainsi que vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur. Un tel système convient peut-être aux caractéristiques de la pêche dans d’autres États membres, mais il est parfaitement incompatible avec la conception et l’organisation française en matière de gestion des pêches.

M. Bruno Retailleau, rapporteur. Nous sommes d’accord !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Ce système entraînerait, vous l’avez noté, et je souscris à votre analyse, une privatisation des droits d’accès non compatible avec les spécificités de la ressource halieutique, qui constitue un bien public inaliénable. Un tel système favoriserait, en outre, la spéculation…

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. … et la concentration des possibilités de pêche, au détriment des unités artisanales les plus fragiles, de l’emploi et de la dynamique de notre littoral. Il ne serait pas conforme à notre souhait de préserver la diversité de la pêche française dans toutes ses composantes et dans tous ses métiers.

C’est pourquoi nous avons obtenu que chaque État membre définisse son propre système d’attribution des droits de pêche, conformément au principe de subsidiarité. Dans ce cadre, je suis attaché à une gestion collective de la ressource, sous le contrôle de l’État, en particulier par le biais des organisations de producteurs, dont le rôle doit être renforcé. La ressource halieutique doit demeurer un bien collectif et inaliénable. Sur ce point, nous avons une position commune.

M. Joël Guerriau, rapporteur. Elle fait l’unanimité !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Par ailleurs, nous sommes favorables à une approche régionalisée de la politique commune de la pêche afin de prendre dûment en compte les propositions des pêcheurs et des autres parties prenantes, qui connaissent les réalités du terrain. Dans le respect du droit d’initiative de la Commission européenne, les États pourront coopérer entre eux, en étroite concertation avec les conseils consultatifs régionaux, afin de proposer des mesures de gestion adaptées aux réalités des différentes pêcheries. Une approche par grandes aires géographiques est indispensable : les mesures adaptées à la Manche ne sont pas nécessairement adaptées à la mer Celtique, au golfe de Gascogne ou à la Méditerranée. C’est une évidence, qui doit être suivie d’effets sur les plans réglementaire et législatif.

En ce qui concerne les aides à l’ajustement de la flotte, dont une disposition du texte initial précisait qu’elles ne valaient que jusqu’en 2013, nous avons obtenu que ce texte n’anticipe pas sur le débat qui est en cours au sujet du futur fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche. Ce futur fonds doit également soutenir la modernisation des navires, à capacité de pêche constante, car notre flotte est vieillissante et inadaptée aux défis environnementaux et économiques qui se posent à elle.

Le futur fonds devra aider à réduire l’impact environnemental des activités de pêche par le biais d’une plus grande sélectivité des engins et de l’amélioration de l’efficacité énergétique des navires.

Nous ne pouvons pas condamner le secteur de la pêche à l’immobilisme en lui interdisant toute forme d’innovation. Nous devons au contraire faire en sorte, grâce à une remotorisation des navires, de diminuer la dépendance du secteur de la pêche aux évolutions du coût du carburant, car les augmentations de prix sont régulièrement à l’origine de situations conflictuelles. Nous devons réduire les émissions de CO2. Nous devons également maintenir des mesures d’aide à l’ajustement des capacités de la flotte de pêche.

Certes, je ne suis pas plus attaché que vous au déchirage des navires. Pour autant, il faut s’adapter, moderniser la flotte et aller vers une conception plus environnementale des engins de pêche. Je suis en train de mobiliser mes collègues d’autres États, notamment grâce à un courrier cosigné par certains de mes homologues européens – notamment polonais –, sur les enjeux du FEAMP.

Rien ne doit être aujourd’hui interdit. Il ne doit pas y avoir de préemption d’origine sur le FEAMP. Au contraire, nous devons pouvoir affirmer, avec une majorité d’États membres, combien nous sommes attachés aux mesures d’aide à l’ajustement des capacités de la flotte de pêche.

Mme Odette Herviaux. Très bien !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Monsieur le rapporteur Serge Larcher, une part importante des avancées obtenues de haute lutte durant ce Conseil marathon concernent les outre-mers. Les discussions ont été extrêmement vives.

Je souligne que nous sommes peu nombreux, au sein du Conseil, à être directement concernés par cet enjeu. La Commission européenne comme les autres États membres ne manifestent, au mieux, qu’un intérêt relatif sur ce sujet. Or les dispositions qui sont décidées ont parfois une incidence sur la situation des outre-mers.

Il est donc essentiel pour le ministre chargé de la mer et de la pêche de prendre en compte les intérêts et les préoccupations des ultramarins. À cet égard, vous avez cité des chiffres qui illustrent bien la part que tient l’activité maritime dans le développement économique et social des outre-mer ; je pense notamment au fait que la Martinique soit le premier département de France en matière de pêche artisanale.

Nous avons obtenu la mise en place d’un conseil consultatif spécifique pour les régions ultrapériphériques, ce qui renforcera leur représentativité ainsi que leur voix dans les sujets relatifs à la politique commune de la pêche. Il est important que les outre-mer puissent avoir accès au débat, car les dispositions de la PCP les concernent directement. Il n’est pas admissible que les pêcheurs des départements d’outre-mer français, qui se voient appliquer les règles de la PCP, sans parler des accords avec les pays tiers, ne soient pas représentés au sein des différentes structures.

Par ailleurs, nous avons obtenu que le régime spécifique de protection des 100 milles, réservé jusqu’à présent aux régions ultrapériphériques de l’Espagne et du Portugal, soit étendu aux régions ultrapériphériques françaises. Ces avancées doivent être soutenues, à mon sens, par le Parlement européen dans le cadre du texte d’équilibre adopté en conseil des ministres.

Le sujet le plus sensible concerne l’interdiction des rejets en mer. Toute réduction significative de ces rejets doit s’inscrire dans le cadre d’une démarche réaliste et pragmatique. C’est pourquoi j’ai déjà indiqué à de nombreuses reprises mes inquiétudes au sujet de l’approche trop dogmatique de la commissaire européenne et d’une part importante des États membres. Vous avez également évoqué ce point.

Les causes des rejets en mer sont multiples. Le plus souvent, les rejets sont engendrés par une réglementation européenne inadaptée : quotas insuffisants, respect des tailles minimales, respect des mesures techniques. Il est important de connaître de façon précise la part que tient l’inadaptation de la réglementation européenne dans les rejets en mer. Cette réglementation n’est pas adaptée à la spécificité des pêcheries et des modes de pêche sur nos façades littorales.

Mme Odette Herviaux. Très bien !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Ce « rejet zéro », qui est une vue de l’esprit,…

M. Joël Guerriau, rapporteur. Tout à fait !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. … soulève des préoccupations majeures quant à l’aménagement et à la sécurité des navires mais aussi en ce qui concerne la gestion des poissons ramenés à quai.

J’ai été très intéressé par vos propos, monsieur le rapporteur Guerriau, selon lesquels le dispositif de rejet à terre et de rejet zéro en mer aurait pour conséquence de substituer une filière à une autre : nous engagerons, dans les prochains mois, une réflexion sur la réalité du respect environnemental de la biodiversité de la pêche minotière.

Mme Odette Herviaux. Très bien !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. S’agissant de cette réglementation, nous n’avons pas à recevoir de leçons de pays qui, eux-mêmes, ont des modes de pêche extrêmement destructeurs. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Joël Guerriau, rapporteur. Bravo, monsieur le ministre !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Je pense, aujourd’hui, que le compromis nous permet de prendre en compte une progressivité, une souplesse dans l’interdiction des rejets.

Il faut être, à ce niveau, tout à fait clair. La France n’a pas trouvé d’alliance lors de ce conseil des ministres. Elle s’est trouvée – jusqu’à la dernière seconde – en situation minoritaire, ne trouvant pas de minorité de blocage sur cette question.

Nous avons toutefois réussi à aménager ce principe, qui devait être d’application immédiate. Nous avons obtenu que cette interdiction des rejets ne s’applique qu’aux espèces sous quotas, qu’elle soit mise en œuvre de manière progressive et étalée dans le temps d’ici à 2018 et 2019 suivant les zones.

J’ai renvoyé les conditions techniques d’accompagnement de ce rejet zéro – c’est-à-dire la sécurisation et la modernisation des bateaux – à ce prochain débat sur le FEAMP. Il faudra qu’une part des financements, de l’accompagnement et de l’adaptation puisse porter sur les navires et sur l’aménagement de ce rejet zéro. En effet, la question de la sécurité à bord ne peut pas être sous-estimée : la Commission prendrait ses responsabilités s’il devait y avoir le moindre problème, le moindre accident lié à cette évolution que l’on peut qualifier de technocratique, voire dogmatique. (M. Bruno Retailleau, rapporteur, acquiesce.)

Nous sommes donc, aujourd’hui, face à cette réalité du rejet zéro, qui s’appliquera dans le temps.

Nous avons également réussi à mettre en place des dispositions de souplesse, notamment un pourcentage de rejets qui puisse être toléré.

Nous étions partis du taux défini par la Commission, à savoir 1 % ; nous sommes arrivés à 5 %. Nous avons également obtenu que certains rejets puissent être acceptés sous certaines conditions : raisons sanitaires ; pourcentages incompressibles, comme je l’ai déjà indiqué ; poissons pouvant survivre ou d’une espèce dont il n’y aurait aucun intérêt pour la pêche qu’ils soient soumis à cette règle, qui est une règle générale et donc, comme telle, peu adaptée à une réalité particulière.

Dans le même temps, si le rejet zéro s’applique à nous, nous devrons impérativement engager une renégociation et un réajustement des quotas. C’est ce que j’ai indiqué à la Commission, c’est la position que j’ai soutenue et qui fera l’objet des prochaines discussions. Je crois que le principe de cette renégociation est acquis,…

M. Bruno Retailleau, rapporteur. Méfiance !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. … mais vous savez, mesdames, messieurs les sénateurs, combien, en l'occurrence, lorsque des principes sont acquis, il convient d’être prudent quant aux modalités et à la suite de la discussion.

M. Charles Revet. Exactement !

M. Joël Guerriau, rapporteur. Nous comptons sur vous !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. De nombreux points restent, par ailleurs, en suspens, concernant les dates d’entrée en vigueur ou d’autres modalités pratiques qui doivent être discutées au niveau régional adapté, en concertation avec les pêcheurs. Les prochains mois seront déterminants.

J’en terminerai sur la question du FEAMP, en soulignant que l’accompagnement du secteur face aux enjeux de la réforme de la PCP doit être une priorité.

Outre le maintien de l’aide à la modernisation et à l’ajustement des flottes, points que j’ai déjà évoqués, cet instrument financier doit soutenir les organisations de producteurs dans la poursuite de leurs nouvelles missions, mais également permettre aux entreprises de commercialisation de bénéficier d’un soutien à l’innovation.

Le traitement des rejets à terre justifie un accompagnement adéquat. Le fonds doit enfin permettre de renforcer la collecte des données et d’améliorer les avis scientifiques, de manière que nous puissions nous fonder sur une réalité et non sur une vue de l’esprit. Il est d’ailleurs curieux de considérer qu’en l’absence d’avis scientifiques ce sont les mesures les plus protectrices qui sont retenues alors que, quand nous disposons d’avis scientifiques plutôt favorables, ceux-ci n’ont plus force de lois devant normalement s’imposer.

M. Bruno Retailleau, rapporteur. Ce n’est pas normal !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Il nous appartiendra donc, selon les situations, de réaffirmer la force de la réalité scientifiquement prouvée.

Je m’interroge, par ailleurs, sur la réalité qui, aujourd’hui, doit être la force et l’orientation des financements du FEAMP.

Vous avez souligné votre circonspection quant à l’utilisation de ces fonds. Bien sûr, une politique maritime intégrée est nécessaire – nous nous engageons dans cette démarche – mais elle ne doit pas se faire au détriment de la nécessaire adaptation des pêches, et nous serons attentifs de ce point de vue.

M. Joël Guerriau, rapporteur. Absolument d’accord !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, nous convergeons sur ce constat, nous convergeons sur ces craintes. Nous mesurons combien, depuis tant d’années, la construction d’une politique commune des pêches est un exercice fastidieux, parfois un exercice d’équilibriste. La France ne doit pas être isolée dans sa position, elle doit trouver des accords avec des pays membres ; nous sommes en passe de renouer le lien avec un certain nombre d’États aux préoccupations semblables aux nôtres, notamment ceux qui ont des pêcheries mixtes.

Cela dit, il est important pour nous d’avoir l’encouragement, le soutien unanime de la représentation nationale ; il est important pour nous que les parlementaires européens prennent la place qui est la leur dans le cadre de la codécision.

Le message que je vous adresse ce matin est le suivant : le texte dont nous parlons, qui n’est pas satisfaisant, mais qui a déjà été amélioré, permet de construire, d’amender et de nous approcher des attentes des professionnels, mais surtout de la vision que nous avons des enjeux stratégiques de la mer et de la pêche pour nos territoires. (Applaudissements sur l’ensemble des travées.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est un véritable honneur et, pour tout dire, une grande émotion que je ressens au moment de m’exprimer devant vous. C’est en effet aujourd'hui ma première intervention officielle en tant que ministre dans une enceinte parlementaire, et je suis fort heureux qu’elle ait lieu chez vous, au Sénat.

La tenue de ce débat sur l’avenir de la pêche, dès les premiers jours de la session parlementaire extraordinaire, témoigne de la détermination du Gouvernement sur ce sujet essentiel pour les outre-mer. La présence, devant vous, de deux ministres, mon collègue Frédéric Cuvillier et moi-même, marque la considération qui est celle du Gouvernement à l’égard de la Haute Assemblée.

Cette considération est évidemment naturelle, mais elle est renforcée par le travail tout à fait remarquable qui a été conduit sur ce dossier – comme sur bien d’autres – par la délégation sénatoriale à l’outre-mer.

Je veux féliciter chaleureusement son président, Serge Larcher, ainsi que MM. Maurice Antiste et Charles Revet, qui sont les auteurs de la proposition de résolution européenne visant à obtenir la prise en compte par l’Union européenne des réalités de la pêche des régions ultrapériphériques, les RUP.

M. Bruno Retailleau, rapporteur. Charles Revet, l’ultramarin ! (Sourires.)

M. Victorin Lurel, ministre. La pêche dans nos outre-mer est plus qu’une filière économique. Elle est un vecteur de développement et de structuration de nos sociétés. Elle est aussi un secteur d’excellence en matière de gestion durable de la mer. Et j’avoue que, à cet égard, nous ne recevons guère de leçons – même si nous ne refusons pas d’apprendre – de nos partenaires européens.

Pour toutes ces raisons, la pêche est et reste un secteur d’avenir pour nos territoires. Sur ce constat, je le crois, nous sommes bien tous d’accord. J’ai d’ailleurs noté, avec satisfaction, que le rapport présenté par les trois sénateurs que j’ai cités avait recueilli une belle unanimité devant la commission des affaires économiques et celle des affaires européennes. Et ce n’est, à nos yeux, pas un hasard.

Alors, comment expliquer que nous ayons tant de mal à faire reconnaître ces vérités simples devant les instances européennes et quelquefois même chez nous ? Comment comprendre que nous en soyons encore à devoir rédiger un rapport pour expliquer une fois de plus ce que l’on a déjà tant de fois répété, rabâché, martelé ?

Comment exprimer plus clairement encore combien la pêche des outre-mer – et je devrais dire « les » pêches des outre-mer – ne souffre pas des mêmes contraintes que la pêche d’Europe continentale et présente des ressources halieutiques grandement préservées, sans surpêche ? Comment dire plus clairement encore que la pérennisation de la filière est une préoccupation partagée par tous ? Mesdames, messieurs les sénateurs, ne voyez dans ces interrogations nulle trace de lassitude ou de fatalisme, mais nous sommes perplexes.

J’irai en effet défendre les pêches des outre-mer chaque fois qu’il le faudra parce que je crois en l’avenir de cette filière. Il y a quelques jours, j’étais à Bruxelles et, devant les hautes instances européennes et les représentants des RUP, j’ai eu à dire, dans mon discours, toute l’importance que le Gouvernement de la France accordait à ce secteur. Chaque fois qu’il le faudra, je le redis, je retournerai à Bruxelles pour faire valoir les intérêts des outre-mer et je rencontrerai dès que possible la commissaire à la pêche.

D’ailleurs, l’une des recommandations martelées par le Président de la République en conseil des ministres est la suivante : « Allez à Bruxelles, allez voir les hautes autorités, les commissaires, le président Barroso, allez plaider la cause et les intérêts de la France ! » Nous le ferons et, en accord avec mon collègue Frédéric Cuvillier, je défendrai ce que nous croyons être les intérêts bien compris de notre pays.

J’estime que nous disposons d’avantages incomparables : les RUP, dans leur entier, constituent la deuxième zone économique exclusive de l’Union européenne. Nous disposons de ressources halieutiques d’une grande richesse mais aussi d’un potentiel inestimable dans ce que l’on appelle désormais la « croissance bleue », ainsi que d’un potentiel de recherche en matière d’énergies renouvelables, et j’en passe.

Ces avantages uniques vont de pair avec la nécessaire prise en compte différenciée et adaptée de nos spécificités, que chacun, d’ailleurs, reconnaît aujourd’hui : l’éloignement, l’insularité, des coûts intermédiaires élevés, des flottilles vétustes de plus de vingt ans, parfois de plus de vingt-cinq ans ; nous ne sommes en effet pas mieux lotis que dans l’Hexagone.

Les outils juridiques, pour faire reconnaître cette diversité, existent : il s’agit notamment de l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui dispose qu’en raison de l’éloignement de nos territoires, « le Conseil, sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, arrête des mesures spécifiques visant, en particulier, à fixer les conditions de l’application des traités à ces régions, y compris les politiques communes ». L’article cite ensuite expressément la politique de la pêche.

J’avoue que je trouve étonnante la difficulté qu’il y a, en dehors de ce qui a été fait pour l’agriculture avec POSEI, à obtenir une application très concrète du fameux article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union, l’ancien article 299-2. Nous avons passé beaucoup de temps à essayer de convaincre nos partenaires de l’utilité d’utiliser cet article et d’adapter la législation européenne.

La difficulté vient du fait que les réalités ultramarines ne sont pas forcément celles de l’Europe ; c'est la raison pour laquelle des adaptations sont nécessaires. L’application de cette règle, pourtant simple comme l’œuf de Colomb, s’avère difficile car il faut d’abord convaincre ; vous qui pratiquez plus que moi les instances européennes, et en particulier la direction générale concernée, vous savez que cela n’est pas évident !

La mise en œuvre effective de ces dispositions ne doit donc plus être retardée : il s’agit d’un impératif vital pour la pérennisation de la filière.

La réforme en cours de la politique commune de la pêche pour la période 2014-2020 est fondamentale, car elle portera sur l’ensemble des instruments, qu’il s’agisse du règlement général, de l’instrument financier ou du règlement relatif à l’organisation des marchés.

On n’a cessé de le répéter, mais je tiens à insister sur ce point : les négociations nous concernent très directement et elles sont fort difficiles. La position du Gouvernement est simple : la prise en compte effective des spécificités des RUP est une nécessité absolue.

Dans ce contexte, je défendrai avec mon collègue Frédéric Cuvillier la pertinence de l’ensemble des aspects figurant dans le projet de résolution que vous avez adopté et qui est devenu une résolution du Sénat le 3 juillet dernier.

En premier lieu, le renouvellement et la modernisation de la flottille doivent pouvoir, ponctuellement, s’accompagner dans les départements d'outre-mer d’un accroissement des capacités de pêche. Cela peut en choquer certains en Europe, mais il s’agit d’une évidence. Une telle évolution doit s’appuyer sur les évaluations scientifiques des stocks. Nous disposons là d’une marge certaine.

En deuxième lieu, il faut mettre en place un véritable POSEI pêche – je l’ai évoqué il y a quelques instants de façon quelque peu cursive – tenant compte des surcoûts liés à l’ultra-périphéricité tout au long de la filière – Serge Larcher en a cité certains, comme le prix du carburant, des matériaux, des intrants, du fret – et de la différence des espèces. À mon sens, nous disposons de tous les instruments pour bâtir un texte adapté.

En troisième lieu, la construction de nouveaux points de débarquement répond à un véritable souci de structuration et d’organisation de nos filières.

En quatrième lieu, l’éligibilité des organisations professionnelles de pêcheurs au FEAMP doit être organisée.

En cinquième lieu, enfin, en matière de gouvernance, il faut mettre en place un comité consultatif régional dédié aux RUP et décliné par bassin maritime.

Frédéric Cuvillier vous l’a indiqué, et je tiens à rendre hommage à sa vigilance et à sa ténacité pour défendre des positions tout à fait pertinentes, des progrès notables sont d’ores et déjà intervenus lors du dernier conseil Pêche sur certains de ces points.

Je pense au fait que le conseil ait refusé d’acter la suppression des aides à la flotte, qui était proposée par la Commission pour 2013.

Je pense également à l’approche régionalisée de la politique commune de la pêche, qui permet de prendre dûment en compte les propositions de ceux qui connaissent bien les réalités du terrain : les pêcheurs et autres parties prenantes.

Je pense enfin à la création d’un conseil consultatif des RUP et à l’extension de la protection des eaux jusqu’à 100 miles.

Je devrai aussi veiller à la bonne préparation de Mayotte à l’échéance du 1er janvier 2014. Je serai d’ailleurs là-bas dimanche, ainsi qu’à la Réunion, pour mon premier déplacement officiel.

À cette fin, il faudra procéder à un abondement des enveloppes du FEAMP, mais également obtenir le report de l’application des normes communautaires relatives notamment au recensement et à l’inscription de la flotte au registre national et à la collecte des données halieutiques. Nous devrons également faire comprendre que Mayotte ne peut pas être soumise au régime général sans une période d’adaptation.

Sur tous ces sujets, je ne vous cache pas que les négociations sont difficiles avec la direction générale des affaires maritimes et de la pêche, la DG MARE, car elle estime que sa vocation est non pas de soutenir la pêche, mais de sauvegarder les ressources halieutiques.

Pour ce qui est de l’aquaculture, ce secteur dispose d’un potentiel de développement important qui doit être soutenu en matière d’innovation, de recherche et développement et de compensation des surcoûts. Mayotte est aujourd'hui devenue un exemple relativement emblématique des capacités des outre-mer dans ce domaine.

L’aquaculture, aussi bien en eau de mer qu’en eau douce, représente un potentiel de création d’emplois, d’autosuffisance alimentaire et de développement des collectivités d’outre-mer. On ne le répétera jamais assez, la pêche est un secteur d’avenir des collectivités ultramarines. Pour certaines collectivités, elle constitue également un potentiel d’exportation vers les marchés européens, asiatique et nord-américain. C’est notamment le cas de la Guyane, où je me suis rendu récemment en raison des malheureux événements qui s’y sont déroulés, avec la mort de nos deux soldats. J’ai reçu une délégation de marins pêcheurs. Ils m’ont dit qu’ils avaient le sentiment d’être pratiquement des étrangers chez eux dans la mesure où les Surinamais et surtout les Brésiliens viennent « faire leurs emplettes » dans nos eaux territoriales.

M. Charles Revet. C’est vrai !

M. Victorin Lurel, ministre. Pour empêcher cela, nous devrions peut-être réévaluer et renforcer notre propre capacité d’intervention en matière maritime. Voilà une région où l’on trouve de l’or bleu, de l’or blanc, de l’or jaune, de l’or noir et de l’or vert, et la population n’en profiterait pas ? Nous sommes là face à un véritable problème. Même si je m’éloigne quelque peu du sujet qui nous occupe, je tiens à dire à cette tribune que, si l’on n’y prend pas garde, nous verrons surgir d’ici quelque temps des revendications territoriales. J’ai entendu un criminel dire très clairement qu’il était chez lui et que personne ne l’en ferait sortir…

Je suis très heureux d’apprendre que, comme nous l’avions décidé, nous occupons de nouveau – je l’espère durablement – le site de Dorlin. Une stratégie d’occupation de l’espace sera bientôt arrêtée et les gisements, qui sont connus, feront l’objet d’une exploitation raisonnée et raisonnable, allant dans le sens d’une défense des intérêts nationaux.

Pour l’ensemble de ces raisons, nous ne pouvons prendre le risque d’un échec en matière de politique de la pêche. J’espère que nous pourrons compter sur votre soutien et sur celui des députés européens. Un important travail de persuasion devra être mené puisqu’il s’agit d’un domaine qui relève de la codécision.

Mesdames, Messieurs les sénateurs, je tiens à vous remercier tous, et plus particulièrement MM. Revet, Antiste et Larcher pour la pertinence de leurs analyses et la qualité du travail qu’ils ont effectué pour préparer le projet de résolution européenne.

J’ajouterai toutefois que la résolution n’évoque pas les problèmes spécifiques que sont la délimitation des eaux territoriales et les conventions de pêche. Serge Larcher, qui est originaire de la Martinique, sait bien qu’il existe des problèmes avec Sainte-Lucie au sud, mais aussi avec la Dominique ; nous-mêmes au nord sommes confrontés aux mêmes difficultés avec Antigua.

Nos pêcheurs sont régulièrement arraisonnés et nous devons parfois payer un lourd tribut pour obtenir le retour de nos marins, les élus locaux étant même dans certains cas amenés à négocier dans des conditions absolument détestables. Les eaux ne sont pas délimitées et il arrive que les zones de 12 miles se chevauchent, ce qui pose problème.

Il est vrai que cela relève de la compétence de l’État. Frédéric Cuvillier et moi-même devrons travailler avec Laurent Fabius et les services chargés de la coopération, mais aussi avec l’Europe – les conventions de pêche relevant de la compétence européenne, voire, lorsqu’elles prennent une tournure commerciale, de la compétence propre de la Commission.

Voilà quelle est notre feuille de route ; il y a beaucoup à faire et nous savons que nous pouvons compter sur la Haute Assemblée. Notre débat d’aujourd'hui est une bonne chose ; continuons sur cette voie ! (Applaudissements.)