M. Bruno Retailleau, rapporteur. C’est incroyable !

M. Serge Larcher, rapporteur. Je souhaite enfin souligner que, au-delà de la PCP, la politique commerciale de l’Union européenne constitue une menace pour l’économie des outre-mer.

Ainsi, en matière de pêche, les accords de partenariat économique, ou APE, passés par l’Union européenne avec certains pays voisins des RUP entravent le développement du secteur. Dans le cadre de ses politiques commerciale et de développement, l’Union européenne conclut en effet des accords de libre-échange avec certains pays d’Afrique, de la Caraïbe et du Pacifique, appelés pays ACP, qui ne sont pas soumis aux normes européennes et dont les coûts de production sont très inférieurs.

Cette situation illustre une fois de plus l’incohérence des politiques communautaires. Quelle est en effet la cohérence entre la politique commerciale et la stratégie définie par l’Union européenne à l’égard des RUP, qui vise à « valoriser les atouts de l’ultrapériphérie » ? Où est la cohérence entre la politique commerciale et les politiques sectorielles de l’Union européenne telles que la PCP ou la politique de cohésion ?

J’en arrive aux recommandations de la résolution européenne du Sénat, issue des travaux de la délégation sénatoriale à l’outre-mer.

Messieurs les ministres, la Haute Assemblée a formulé deux séries de recommandations visant à faire valoir les intérêts de la pêche ultramarine.

S’agissant de la PCP proprement dite, la résolution appelle la mise en place, à l’occasion de la réforme de la PCP, de règles spécifiques aux régions ultrapériphériques, sur le fondement de l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Cet article, qui est très insuffisamment utilisé, permet en effet l’édiction de règles spécifiques aux RUP afin de tenir compte de leurs handicaps.

Parmi ces dispositifs spécifiques, la Haute Assemblée recommande notamment le rétablissement de la possibilité d’octroyer des aides à la construction de navires dans les RUP. Elle appelle également à la création d’un comité consultatif régional, ou CCR, spécifique aux RUP.

Dans un second temps, la résolution comporte des recommandations portant sur la politique commerciale de l’Union européenne. Elle appelle ainsi cette dernière à mieux articuler sa politique commerciale avec ses autres politiques sectorielles. Cette mise en cohérence doit passer notamment par une évaluation systématique et préventive des effets sur les RUP des accords commerciaux négociés par l’Union européenne. Sur cette question, le texte reprend d’ailleurs fidèlement la position exprimée par la Haute Assemblée en 2011, dans le cadre d’une proposition de résolution européenne tendant à obtenir la compensation des effets sur l’agriculture des départements d’outre-mer des accords commerciaux conclus par l’Union européenne.

Je me réjouis du large consensus dont a fait l’objet ce texte au sein des différentes instances de la Haute Assemblée. L’ensemble des personnes que j’ai auditionnées ou simplement sollicitées en tant que rapporteur ont souligné l’opportunité de cette démarche. Ce texte constitue à n’en pas douter, messieurs les ministres, un appui utile pour les démarches entreprises par le Gouvernement à l’échelle européenne en vue d’assurer la prise en compte des spécificités de la pêche ultramarine.

Je souhaite formuler deux dernières observations.

S’agissant des outre-mer, messieurs les ministres, il convient à mon sens de tout faire pour défendre l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui représente un véritable Graal pour les régions ultrapériphériques. Cet article est insuffisamment utilisé, signe de la méconnaissance des problématiques ultramarines par la Commission européenne, mais également de la difficulté de faire entendre la voix des outre-mer dans une Union européenne à vingt-sept.

Ensuite, la question de la cohérence des politiques communautaires, et notamment la nécessité que la politique commerciale ne soit pas totalement déconnectée des autres politiques communautaires, concerne certes les outre-mer, économies particulièrement fragiles, mais également, chers collègues de l’Hexagone, l’ensemble des régions françaises. Je relève à ce titre que les deux résolutions de la Haute Assemblée sur la pêche se rejoignent. La résolution « générale », dont les contours ont été rappelés par notre collègue Bruno Retailleau, appelle ainsi à ce qu’« une conditionnalité environnementale et sociale s’applique aux produits de la pêche ou de l’aquaculture provenant de pays tiers ».

M. Bruno Retailleau, rapporteur. Absolument !

M. Serge Larcher, rapporteur. En conclusion, je me réjouis, monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, que le débat d’aujourd’hui permette de mettre en avant l’un des atouts de nos outre-mer, territoires dont ne sont souvent évoqués que les handicaps.

Nous comptons sur vous, messieurs les ministres, pour défendre les spécificités de la pêche ultramarine au niveau européen. Sachez en tout cas que vous pourrez compter sur le soutien unanime de la Haute Assemblée dans toutes les démarches que vous entreprendrez en ce sens. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, rapporteur.

M. Joël Guerriau, rapporteur de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, MM. Bruno Retailleau et Serge Larcher ayant déjà parfaitement décrit l’objet de la réforme et les critiques que l’on peut lui apporter, j’aborderai pour ma part ce débat sous l’angle européen.

Le sujet qui nous rassemble est emblématique à plusieurs titres.

En premier lieu, cette séance est un parfait symbole de l’ancrage européen du Sénat. Le décret portant convocation du Parlement en session extraordinaire a prévu l’organisation de trois débats, dont deux concernent directement l’Union européenne. Dans le contexte d’un calendrier parlementaire particulièrement chargé, je tiens à saluer ceux qui, au Sénat, ont pris l’initiative de la présente séance, consacrée à un sujet européen.

Il s’agit d’un débat général qui fait suite à deux propositions de résolution européenne. La première portait sur la réforme de la politique commune de la pêche, la seconde sur le cas particulier de la pêche outre-mer. Ces deux textes ont été examinés successivement par la commission des affaires européennes et par la commission des affaires économiques. Ces deux commissions ont travaillé en étroite collaboration. Le débat d’aujourd’hui donne une importance supplémentaire à ces initiatives et marque l’intérêt que le Sénat porte à la politique européenne de la pêche. C’est aussi l’occasion d’un dialogue avec le Gouvernement sur ce sujet.

En second lieu, il me semble que la réforme annoncée est mal engagée.

M. Bruno Retailleau, rapporteur. C’est clair !

M. Joël Guerriau, rapporteur. Elle n’a pas été mal préparée, bien au contraire ! Un Livre vert a été présenté et les consultations furent nombreuses. Mais ce qui ressort du travail de la Commission paraît parfois artificiel, comme mû par des a priori sans fondement. Cela ne serait d’ailleurs pas la première fois que cela arrive.

On peut dire que la PCP est l’histoire d’une émancipation qui a mal tourné. Nous débattons aujourd’hui de la plus ancienne politique commune, puisqu’elle a été prévue dès le traité de Rome. À l’origine, elle était totalement liée à la politique agricole commune, la PAC, et son principe était le même : la régulation de l’activité et l’intervention sur les marchés. Très vite, les deux branches se sont séparées. La PAC s’est consolidée à travers un budget, tandis que la PCP s’est concentrée sur la réglementation du secteur. Comme la PAC, la PCP a été régulièrement réformée. La PAC est réformée tous les six ans, la PCP tous les dix ans. Une première réforme a eu lieu en 1983, une deuxième en 2002 ; c’est donc la troisième réforme qui est aujourd’hui engagée.

Mais ces réformes furent toutes inabouties. Les avancées institutionnelles du traité de Lisbonne n’ont été que partielles. Tandis que les textes portant sur la PAC ont basculé sur la codécision, la PCP est soumise à trois procédures distinctes. Si la procédure législative ordinaire règle la majorité des questions touchant à la pêche, certaines mesures restent adoptées soit par le Conseil après avis du Parlement européen, comme c’est le cas de l’attribution des droits de pêche, soit par le Conseil après avis conforme du Parlement européen, comme c’est le cas des accords de pêche internationaux.

Sur le fond, les réformes de la PCP sont également marquées par une longue hésitation. Réforme après réforme, la PAC s’est orientée vers la solidarité au travers des aides aux revenus, tandis que la PCP a suivi deux orientations contradictoires, voire opposées, passant d’une politique d’aides aux navires pour la modernisation de la flotte à l’aide à la casse des navires ! De plus, contrairement à la PAC, la PCP a été parfois détournée de son objet, dans un contexte de suspicion envers les pêcheurs. La PCP a toujours été vue et vécue comme un échec. Ce constat est partagé tant par les professionnels du secteur que par les observateurs plus ou moins bien attentionnés. La PCP réussit la prouesse d’unir un très large éventail d’opposants. Nos collègues d’outre-mer, à travers l’intervention de Serge Larcher, ont évoqué les incohérences entre les visées communautaires et les accords internationaux, qui ont pour résultat d’aider nos concurrents directs dans cette partie du monde.

M. Joël Guerriau, rapporteur. On peut craindre qu’il n’en soit de même cette fois encore. Nous avons l’impression que les mesures proposées sont inadaptées. Je prendrai quatre exemples : le rendement maximal durable, déjà abordé par Bruno Retailleau, les droits individuels transférables, l’interdiction des rejets de pêche, et les moyens budgétaires.

Concernant le rendement maximal durable, il y a un accord général sur l’objectif de parvenir à organiser une pêche durable « en ramenant l’exploitation des stocks halieutiques à un niveau compatible avec la production maximale équilibrée », pour reprendre l’expression de la Commission. Il ne saurait être question de nier l’intérêt et même la nécessité de fixer une date butoir, accompagnée d’un échéancier. L’absence de planification offrirait trop de possibilités de dérapage. Néanmoins, fixer une date butoir générale en 2015, valable pour toutes les espèces, semble irréaliste. Il y a trop d’incertitudes scientifiques, trop d’aléas. (M. Philippe Darniche acquiesce.) Il convient de privilégier une approche pêcherie par pêcherie, espèce par espèce, de façon concertée avec toutes les parties prenantes, scientifiques et pêcheurs.

Concernant les droits individuels transférables, l’opposition est forte et claire – cela a été dit par Bruno Retailleau –, et les retours d’expériences sont hasardeux. La gestion des espaces et de la ressource doit rester publique. La marchandisation du droit d’accès à la ressource présente tant d’effets pervers qu’il me paraît inutile d’insister sur ce point. D’ailleurs, il semble que cette initiative rencontre l’opposition de beaucoup d’États membres. Je ne crois pas, pour ma part, qu’elle ait de grandes chances d’aboutir, et tant mieux !

Il en va de même de l’interdiction des rejets. Personne ne nie que l’importance des rejets est un gâchis économique, écologique et alimentaire. La Commission propose en conséquence de les interdire, obligeant les navires à ramener à terre toutes les quantités pêchées. Là encore, l’objectif peut être partagé, mais la règle uniforme est inadaptée. L’importance des prises accessoires dépend beaucoup des modes et des types de pêche. Le chalutage profond présente plus de risques de prises accessoires que la pêche des poissons de la mer du Nord rassemblés en colonnes d’eau. Les prises accessoires peuvent concerner soit des poissons qu’il ne faut pas encore pêcher – les poissons sous taille –, soit des poissons qu’il ne faut plus pêcher parce que les quotas ont été dépassés. Les rejets sont tellement divers que les solutions doivent être adaptées à chaque catégorie de pêche.

Comme l’avait indiqué M. Bruno Le Maire, « la solution de la valorisation systématique des prises, sous forme de farines de poisson, par exemple, n’a aucun sens pour la préservation de la ressource ».

M. Charles Revet. Bien sûr !

M. Joël Guerriau, rapporteur. La solution passe moins par la norme que par l’amélioration des techniques, comme le serait une meilleure sélectivité des engins de pêche. Là encore, l’approche régionale par pêcherie est de toute évidence préférable à l’application d’une norme uniforme décidée à Bruxelles. Imposer la réutilisation des rejets aurait l’effet complètement inverse à celui que nous pouvons espérer d’une véritable politique de développement durable.

Dernier exemple, la réforme de la PCP transforme le Fonds européen pour la pêche, ou FEP, en un nouveau Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, ou FEAMP. L’élargissement à la politique maritime de l’Union paraît opportun ; il faut cependant veiller à ce que le volet « pêche » ne soit pas cannibalisé par les dépenses portant sur le littoral et l’environnement.

Tous ces arguments, parfaitement précisés par mes collègues, ont justifié le dépôt d’une proposition de résolution et son adoption unanime par la commission des affaires européennes. Cette proposition portant sur la réforme de la PCP s’est accompagnée d’une seconde proposition, portant sur la pêche dans les zones ultra-marines. Ce sujet a été le premier thème d’étude de notre nouvelle délégation sénatoriale à l’outre-mer, que notre collègue Serge Larcher vient d’évoquer. C’est avec le même enthousiasme que la commission des affaires européennes a émis un accord unanime sur la seconde proposition.

L’Europe traverse une crise de confiance. Nous pouvons craindre que cette réforme, telle qu’elle est présentée aujourd’hui, ne soit l’illustration d’un échec annoncé, tant la confiance dans son succès, précisément, paraît ébranlée. Nous devons agir pour que les règles soient justes pour tous. Ayant participé avec Mme Odette Herviaux à des rencontres européennes, j’ai le sentiment qu’il existe un consensus possible entre tous les États membres. Encore faut-il en prendre le bon chemin. C’est le sens de ces deux propositions et de notre mobilisation aujourd’hui. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord de vous faire part du plaisir qui est le mien de pouvoir m’exprimer pour la première fois devant la Haute Assemblée en qualité de ministre délégué chargé des transports, de la mer « et de la pêche ». C’est une précision terminologique qui était attendue et qui a été apportée.

Je me réjouis de pouvoir aborder devant le Sénat une thématique et des enjeux qui me sont chers, comme à vous. Je vous remercie donc de votre présence et de votre contribution au débat.

Vous le savez, il s’agit d’un combat ancien, d’un combat engagé. Comme cela a été souligné, la réforme de la politique commune de la pêche est aujourd'hui en cours d’examen au sein du Parlement européen et du conseil des ministres de l’Union européenne.

Dans ce cadre, et en vertu de l’article 88-4 de la Constitution, vous avez pris au mois d’avril dernier la décision de constituer un groupe dans lequel des sénatrices et sénateurs de toutes sensibilités politiques et de commissions différentes ont travaillé ensemble pour définir une position du Sénat sur la réforme de la PCP. Cela a abouti à deux propositions de résolution – l’une concernait la réforme elle-même, l’autre ses incidences sur la pêche dans les zones ultra-marines – qui sont depuis devenues des résolutions du Sénat. Je tiens à vous remercier de cette initiative, qui témoigne de l’ancrage de ces problématiques au sein de la Haute Assemblée.

J’ai écouté avec attention les interventions de MM. les rapporteurs et j’ai pris connaissance du travail de qualité réalisé par le Sénat. Je partage très largement le sens des deux résolutions déposées et je me réjouis vivement d’une telle démarche, qui est nécessaire au Sénat comme à l’Assemblée nationale. Les parlementaires doivent se saisir de ces textes pour renforcer le poids des positions de la France, au-delà des appartenances politiques. C’est la solidarité nationale qui doit s’exprimer, et elle le fait. Ces deux résolutions en attestent.

M. le rapporteur Bruno Retailleau a eu la gentillesse de rappeler à quel point le sujet m’était cher, étant moi-même du « peuple de la mer ». Or le peuple de la mer, c’est la France, la France dans sa totalité géographique, y compris les outre-mer ! (M. Jean-Jacques Mirassou s’exclame.)

En tant qu’élu de Boulogne-sur-Mer, j’ai toujours eu un attachement marqué pour la mer, et singulièrement pour la pêche. Vous savez l’importance que revêt pour moi l’intégration de la mer et de la pêche au sein d’un même ministère. Cet affichage gouvernemental, pour être novateur, traduit une volonté forte, affirmée par le Président de la République, celle d’une politique maritime intégrée.

De ce point de vue, nous sommes en avance par rapport à ce que nous observons parfois au sein des instances européennes. J’ai d’ailleurs invité Mme Damanaki à s’inspirer de la conception française d’une politique maritime intégrée. En effet, nous ne pouvons pas dissocier l’activité halieutique des autres enjeux, comme l’environnement et le développement social, de cet univers des hommes et de la nature que représente la mer.

Vous l’avez rappelé, le défi maritime est une chance pour notre pays ; c’est une chance de croissance, une chance d’innovation, bref une chance humaine !

La France est souvent présentée par raccourci comme la deuxième puissance maritime mondiale. Malheureusement, c’est inexact. Nous avons effectivement la deuxième surface maritime mondiale, et nous le devons bien évidemment aux outre-mer, monsieur le rapporteur Serge Larcher, mais force est de constater que cela ne se traduit ni par une situation économique ni par une volonté politique à la hauteur de cette situation privilégiée. Nous devons en prendre conscience et saisir les enjeux que la mer représente pour notre société en ce début de XXIe siècle.

Au sein de ce secteur, la pêche et l’aquaculture sont des activités économiques importantes et structurantes pour notre littoral ; en 2010, cela représentait tout de même plus d’un milliard d’euros de chiffre d’affaire et plus de 90 000 emplois directs et induits.

L’aquaculture ne doit pas être laissée de côté. Son chiffre d’affaire – 680 millions d’euros – parle de lui-même. C’est un secteur à valoriser et la France doit être un acteur majeur en la matière, ce qui n’est pas encore suffisamment le cas. La prise en compte de l’aquaculture dans les propositions de la Commission est une avancée très importante. Mais je retiens la remarque formulée sur la conditionnalité environnementale pour les importations de l’aquaculture. En effet, nous devons être à la fois vertueux nous-mêmes et exigeants à l’égard des autres, car je rappelle, même s’il ne faut pas s’y résoudre, que 80 % des produits halieutiques consommés dans notre pays sont importés.

La pêche et l’aquaculture françaises et européennes sont aujourd'hui à un moment charnière. C’est pourquoi, dès ma prise de fonctions, je me suis mobilisé sur la réforme de la politique commune de la pêche. C’est un dossier d’actualité – il nous réunit aujourd'hui – pour l’avenir de la pêche et de l’aquaculture françaises et européennes.

La réforme qui est engagée est une réforme d’ampleur sur tous les volets de la PCP. Je pense au règlement de base, destiné à définir les grands principes pour les dix prochaines années, à une organisation commune des marchés, afin d’améliorer la structuration de la filière et de favoriser une meilleure valorisation des produits de la pêche et de l’aquaculture, ainsi qu’au nouveau Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, le FEAMP, un instrument financier indispensable pour accompagner le secteur face aux enjeux auxquels il doit faire face.

Vous connaissez les enjeux liés à la réforme. Les négociations sont bien entamées sur ces trois textes fondamentaux. J’y reviendrai.

Je souhaite tout d’abord vous faire part de ma vision sur les grandes lignes de cette réforme et, plus généralement, des différentes orientations gouvernementales en matière de pêche.

Je considère que la politique commune de la pêche doit reposer sur une approche équilibrée du développement durable. La future politique commune de la pêche doit permettre de maintenir un taux d’emploi élevé sur le littoral et au sein de la filière pêche.

Vous avez regretté, et je ne puis que vous rejoindre sur ce point, l’absence de volet social à la politique commune des pêches. Nous avons eu l’occasion de le souligner et de le déplorer. Mais le secteur de la pêche est un secteur d’avenir ; il doit attirer des jeunes et permettre de les former. Je souscris donc pleinement à votre constat.

À mon sens, la gestion de la ressource et la préservation des écosystèmes marins sont des questions importantes. Il est ainsi prévu de renforcer la cohérence entre la PCP et les législations environnementales. Mais faut-il les opposer ? Les pêcheurs ne peuvent plus être réduits à l’image de prédateurs ; ils sont désormais des acteurs responsables du développement durable. C’est une réalité. Pour ma part – je pense qu’il doit en être de même pour vous –, je n’ai jamais rencontré de pêcheur ne se souciant pas de l’état dans lequel il laisserait la mer aux générations futures, et notamment à ses enfants qui reprendraient le métier. Une vision intégrée de la mer est donc nécessaire, une politique maritime intégrée est indispensable face aux enjeux de notre nation.

La future politique commune de la pêche doit également permettre au secteur de la pêche de se moderniser, de rester compétitif, dans le respect de la ressource. Il faut donc préserver la production française, soumise à rude concurrence. Vos propos l’illustrent. L’Europe doit se doter de mécanismes de conditionnalité permettant de s’assurer que des standards sociaux et environnementaux s’appliquent également aux importations en provenance des États tiers.

La création voilà un an d’une association interprofessionnelle, France Filière Pêche, va dans le sens de l’économie maritime et d’un renforcement du secteur de la pêche. Son budget important, qui émane de fonds privés, est une grande force à l’heure où certains marins pêcheurs paient les errements passés, notamment en remboursant des aides d’État déclarées illégales par la Commission européenne.

Les missions de cette association interprofessionnelle sont fondamentales. Je pense notamment au soutien à la réduction de la dépendance énergétique des entreprises de pêche, à des projets de recherche pour une pêche durable et responsable et à la valorisation des produits de la pêche française.

Nous devons enfin améliorer les conditions de travail des marins à la pêche. Nous devons garantir à ces derniers des conditions de sécurité suffisantes. La pêche est le métier le plus accidentogène de France. Des actions concrètes en faveur de l’innovation sont indispensables dans un contexte où la flotte de pêche européenne est vieillissante. La moyenne d’âge de la flotte française avoisine les vingt-cinq ans, ce qui n’est plus acceptable. Nous devons nous montrer exigeants pour tirer parti des conséquences de la réforme de la politique de la pêche en termes de modernisation de la flotte. Comme vous l’avez souligné, les rejets ne sont pas sans conséquence, y compris sur la sécurité des navires.

La transition vers des moteurs innovants pour réduire la facture énergétique des navires doit également être encouragée. C’est tout le sens de la démarche qui est engagée autour du « navire du futur » pour assurer le renouvellement de la flotte. Plus généralement, des avancées sur les conditions sociales et la sécurité du travail sont indispensables pour renforcer l’attractivité des métiers de la pêche, comme vous le réclamez, et maintenir ainsi le dynamisme de notre littoral.

J’en viens maintenant à l’actualité concernant la réforme de la politique commune de la pêche.

Comme je vous l’ai indiqué, le conseil des ministres en charge de la pêche a adopté le 12 juin dernier une première approche politique sur le règlement de base de la politique commune de la pêche et sur l’organisation commune des marchés. C’est une première étape importante.

Nous avons discuté, et j’ai personnellement été présent de la première à la dernière seconde, pendant vingt heures. Il y a eu d’innombrables entretiens bilatéraux et d’innombrables suspensions de séance au cours du conseil des ministres. J’ai voulu montrer l’implication de la France dans ce débat. Notre pays ne se résigne pas à l’isolement. Il veut être pleinement acteur en participant, en apportant sa contribution, en amendant et en améliorant les dispositifs européens. Les discussions furent âpres, et nous les avons menées dans des conditions extrêmement difficiles.

Il s’agit, certes, d’une orientation générale du Conseil, et non de l’adoption d’un texte juridique finalisé, mais c’est un signal politique fort envoyé à la Commission européenne.

Je considère que le texte initial de la Commission européenne a été largement amélioré durant ces heures de négociation. Ce texte n’était pas acceptable en l’état. La France a souhaité affirmer, ainsi que vous le faites aujourd’hui, sa désapprobation. Nous devons, en effet, nous assurer que les objectifs et les moyens retenus sont concrets et applicables.

Depuis le traité de Lisbonne, les textes de la réforme de la PCP doivent être adoptés selon la procédure législative ordinaire de codécision, à la fois par le Conseil et par le Parlement européen. Vous avez eu raison de souligner combien nous souhaitons préserver cette procédure de codécision. Nous nous sommes également battus pour réaffirmer notre refus de règlements dérivés.

L’action des parlementaires européens sera déterminante. Je les appelle donc à se mobiliser autour des objectifs et des enjeux qui nous sont communs. Leur contribution permettra d’arrêter un texte et un dispositif juridique qui engageront le secteur pour les années à venir.

L’idée était d’arriver à un texte aussi éloigné que possible du texte initial présenté par la Commission européenne. Il fallait pouvoir donner une chance aux discussions du Parlement européen pour que ce dernier parvienne à améliorer progressivement le texte grâce à la mobilisation parlementaire. De la sorte, le texte adopté par le conseil des ministres de l’Union européenne permettra des avancées successives.

En tout état de cause, le travail du Parlement européen ne doit pas être guidé par l’appartenance politique. Il doit être le fruit d’une union nécessaire, j’en ai une démonstration supplémentaire aujourd’hui.

Je souhaite rencontrer les parlementaires européens, car nous devons les aider à faire face à un rendez-vous qui conditionne l’avenir de la filière de la pêche. Des emplois sont en jeu.

Je voudrais à présent m’arrêter plus précisément sur les principales orientations du texte adopté par le Conseil sur plusieurs thématiques que vous avez bien identifiées. Quelles étaient nos craintes initiales ? Au terme des négociations, quelles difficultés se sont éloignées et quelles difficultés demeurent ?

En ce qui concerne l’organisation commune des marchés, le compromis adopté par le Conseil est très proche des positions que j’ai défendues sur le renforcement des organisations de producteurs, sur la reconnaissance des interprofessions et de leurs missions, l’amélioration de l’information au consommateur – la commission n’a pas été particulièrement audacieuse à ce sujet ; il faudra continuer le combat –, ainsi que sur la concurrence équilibrée entre les produits européens et importés. Certaines questions concernant l’aide au stockage ou les dispositifs d’intervention en cas de perturbation des marchés seront traitées plus spécifiquement dans le cadre des négociations portant sur le fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, le FEAMP, qui débuteront dès lundi à Bruxelles.

Les discussions ont été plus difficiles sur le règlement de base de la politique commune de la pêche, mais un certain nombre de points positifs sont ressortis du texte de compromis adopté au petit matin par le conseil des ministres de l’Union européenne.

En ce qui concerne le rendement maximal durable, comme cela a été souligné, nous avons obtenu un bon résultat, à la fois ambitieux et équilibré. Ce rendement maximal durable, c’est-à-dire l’exploitation durable d’un stock permettant son renouvellement, sera atteint de manière progressive en 2015, lorsque c’est possible, et en 2020 au plus tard afin d’assurer une exploitation durable des ressources et tenir compte des impacts socio-économiques d’une adaptation trop brutale. C’est essentiel, car nous devons tenir compte à la fois de la réalité des pêcheries françaises et de l’expertise scientifique. Or les pêcheries françaises sont le plus souvent mixtes et polyvalentes.

Cette flexibilité permettra donc une transition en souplesse. Je note, par ailleurs, comme vous, que la situation des stocks dans les eaux de l’Union européenne s’améliore petit à petit, ainsi que vient de le faire remarquer la Commission européenne dans sa communication sur les TAC, les totaux admissibles de captures, et quotas pour 2013. Aujourd’hui, 47 % des stocks de poissons seraient victimes de surpêche, contre 75 % précédemment.

De moins en moins de stocks de poissons dépassent, ainsi, le rendement maximal durable ; c’est une évolution positive que je tiens à souligner. Nos efforts, en lien avec les scientifiques, doivent être renforcés pour améliorer notre connaissance sur certains stocks halieutiques. J’observe un heureux rapprochement entre les scientifiques et les pêcheurs. Il faudra poursuivre en ce sens.