Article additionnel après l'article 1er
Dossier législatif : projet de loi de programmation relatif à l'exécution des peines
Article 3 (supprimé)

Article 2

(Supprimé)

M. le président. L'amendement n° 31, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

L’article 2 de la loi n° 87-432 du 22 juin 1987 relative au service public pénitentiaire est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Cette mission peut en outre porter sur l’exploitation ou la maintenance d’établissements pénitentiaires, à l’exclusion des fonctions de direction, de greffe et de surveillance. » ;

2° Après la première phrase du deuxième alinéa, il est inséré une phrase ainsi rédigée :

« Ce marché peut notamment être passé selon la procédure du dialogue compétitif prévue aux articles 36 et 67 du code des marchés publics, dans les conditions prévues par ces articles. »

La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Il s’agit de rétablir le texte de l’article 2 dans la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, rapporteur. L’article 2, que la commission a supprimé, comportait deux dispositions : d’une part, il tendait à étendre le champ des marchés de conception-réalisation à l’exploitation et à la maintenance des établissements pénitentiaires construits dans ce cadre ; d’autre part, il ouvrait la possibilité de recourir à la procédure du dialogue compétitif pour passer ces marchés de conception-réalisation.

En élargissant le champ de ces marchés aux prestations d’exploitation et de maintenance, le nouveau dispositif figurant dans le projet de loi aurait permis à l’État de bénéficier de certains avantages des contrats de PPP – je pense au transfert des charges d’exploitation et d’entretien au cocontractant –, sans pour autant qu’il ait à respecter les règles de passation d’un contrat de PPP exigées par le Conseil constitutionnel.

Cette modification reposait cependant sur le postulat d’un surcoût de la gestion publique, qui ne semble guère démontré. Je l’ai déjà souligné, pour la Cour des comptes, « outre le fait que le “tout public” est potentiellement aussi efficace, rien n’établit que le privé soit “moins cher” et cela notamment en raison de l’apparente incapacité de l’administration pénitentiaire à mesurer précisément et à comparer ses coûts. De fait, l’affirmation d’un surcoût de la gestion publique ne résiste pas à l’examen. En effet, à périmètre comparable la gestion publique semble moins onéreuse […] ».

Je le rappelle, de nombreux acteurs du secteur estiment que nous allons vers une privatisation quasiment généralisée de l’activité intrapénitentiaire, une orientation qui leur semble dangereuse eu égard à la mission régalienne de justice de l’État.

Par ailleurs, il faut prendre en compte le fait que le choix du Gouvernement coûterait très cher à la collectivité, et ce pendant des dizaines d’années.

Pour toutes ces raisons, nous avons choisi d’être prudents.

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Le Gouvernement souhaite faire preuve de pragmatisme sur la question de la construction d’établissements pénitentiaires. Il n’érige pas, contrairement à vous, madame le rapporteur, le PPP en dogme absolu.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Ah non ?

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Monsieur le président de la commission, je connais votre éclectisme. Mais je m’adressais à Mme le rapporteur, qui, elle, ne fait que parler du PPP !

Le Gouvernement a d’ailleurs exclu expressément le recours au PPP pour un certain nombre d’établissements. C’est la raison pour laquelle il vous a été proposé de modifier le code des marchés publics pour faciliter la construction d’établissements pour courtes peines.

Je connais les critiques qui peuvent être adressées au PPP, tout comme je sais parfaitement qu’il faut veiller à respecter un équilibre entre les constructions financées immédiatement et celles dont le financement pèsera longtemps sur le budget du ministère de la justice.

Lorsqu’on fait le choix de construire des bâtiments en régie, il faut les entretenir ! Ne pas prendre en compte le coût de l’entretien revient à fausser le débat.

Je veux dire enfin à Mme le rapporteur que le Gouvernement n’a jamais songé à confier les missions régaliennes de l’État à quelque autre structure que, en l’espèce, à l’administration pénitentiaire. Le service de l’hôtellerie peut être confié à des sociétés privées, car cela ne remet en cause ni le système de fonctionnement ni le rôle de l’établissement pénitentiaire.

M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, rapporteur. Monsieur le garde des sceaux, sur les 25 ou 26 sites programmés dans le nouveau programme immobilier, le NPI, 22 d’entre eux ont été budgétés en PPP, le premier contrat devant être signé dès cette année. Alors ne venez pas me dire que ce n’est pas l’orientation choisie par le Gouvernement !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Et 33 hors PPP !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, rapporteur. Vous incluez dans ce chiffre le programme en cours. Je parle, quant à moi, du NPI ! Je ne dénature pas, me semble-t-il, votre propos.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Monsieur le garde des sceaux, Léo Ferré déclarait parler pour dans dix siècles et prendre date. Pour ma part, je prends date, plus modestement, pour trente ans. (Sourires.)

Je m’appuie sur l’expérience et la sagacité de Philippe Séguin, qui, dans son dernier rapport pour la Cour des comptes, qualifiait les PPP de « crédit revolving » de l’État et des collectivités locales.

Mes chers collègues, à en croire les propos tenus par les membres du Gouvernement à notre tribune, les PPP devaient rester exceptionnels. Cette procédure peut effectivement s’avérer utile lorsque les réalisations sont complexes ou les délais très courts. Depuis lors, M. Novelli ou Mme Lagarde se sont employés à généraliser cette procédure, qui est aujourd'hui fréquemment utilisée par l’État et par des collectivités locales de toutes sensibilités.

Comme nous sommes indépendants, nous avons le droit et le devoir de dire ce que nous pensons : je tiens donc à souligner à quel point cette orientation est néfaste, et ce pour deux raisons.

Premièrement, elle nous conduit à perdre la notion de maîtrise d’œuvre publique et les compétences en matière de construction d’établissements publics qui existaient notamment au ministère de la justice, pour les centres pénitentiaires, au ministère de l’éducation nationale, pour les rectorats, au ministère des finances ou bien encore au ministère de l’intérieur.

Deuxièmement, je signale que, en vertu de la loi, avant de faire le choix d’un PPP pour construire une prison, un bâtiment universitaire, un palais de justice ou une salle des fêtes, une étude doit être menée pour justifier le bien-fondé de ce choix au regard d’un marché classique. Je tiens à affirmer avec force que toutes les études faites à ce sujet, qui permettent simplement à certains cabinets de prospérer, n’ont aucun sens. Mes chers collègues, je vais m’attacher à vous le démontrer.

Comment comparer en effet ce que donnerait la réalisation d’un équipement avec un marché classique si on ne sait pas qui est candidat, aucun appel d’offres n’ayant été passé ? On doit donc confronter des offres virtuelles à un PPP potentiel, pour lequel on ne sait pas non plus qui sera candidat, et à quelles conditions. De surcroît, dans le dispositif dit compétitif, on peut changer au fur et à mesure de l’exécution du marché les conditions de l’appel d’offres.

Pour résumer, il faut comparer deux dispositifs sur lesquels on ne sait absolument rien, en s’appuyant sur des études pléthoriques. En faisant preuve d’un minimum de vigilance intellectuelle, on voit bien que ces documents n’ont aucune valeur.

Enfin, chacun sait bien que les collectivités publiques et l’État peuvent, même dans la situation actuelle, obtenir des crédits à un coût inférieur que les entreprises. Si l’on fait un calcul économique sur vingt, trente ou quarante ans, il est tout à fait évident que le PPP coûtera, au final, beaucoup plus cher qu’un marché classique ou qu’un financement par l’emprunt.

Je tenais à dire ici, pour que mon propos figure au compte rendu de nos débats, que le PPP est une solution de facilité, qui nous conduit à prendre une responsabilité historique par rapport aux générations futures. Telle est ma profonde conviction !

M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès, pour explication de vote.

Mme Virginie Klès. J’interviens également au nom de mon collègue Jean-Yves Leconte, qui ne peut être présent aujourd’hui.

Présenter ce projet de loi de programmation à 81 jours du premier tour de l’élection présidentielle est un non–sens politique.

Mme Virginie Klès. Monsieur Reichardt, excusez-moi de me répéter, mais il vous arrive aussi de le faire, et parfois jusqu’à cinq heures du matin !

Il est totalement irresponsable de proposer la multiplication des constructions en PPP, alors que, selon le récent rapport de la Cour des comptes sur les partenariats public-privé pénitentiaires, l’engagement de l’État dépasse déjà 1 % du PIB. En outre, ce rapport souligne que le « postulat de surcoût de la gestion publique […] ne résiste pas à l’examen », ce que vient brillamment de démontrer le président de la commission des lois et ce que corroborent également les expériences britanniques menées en la matière depuis le début des années quatre-vingt.

La situation devient vraiment totalement irréaliste lorsque l’on constate que le Gouvernement multiplie les partenariats public-privé sur des objets où, in fine, c’est l’État qui, seul, paiera. Mes chers collègues de la minorité sénatoriale, pardonnez-moi, mais de tels dispositifs extrabudgétaires lui permettent de cacher des dépenses sous le tapis, un peu comme on y dissimule la poussière !

Il nous est donc aujourd'hui proposé de continuer à fonctionner de cette façon, alors pourtant que le Président de la République – dont il ne faut surtout pas dire qu’il sera peut-être candidat à sa réélection – défend quotidiennement une supposée règle d’or, laquelle ne s’appliquera en fait qu’à une partie de plus en plus faible des dépenses d’investissements de l’État. La supercherie n’est pas loin ! En tout cas, une menace énorme de plus pèse sur la crédibilité de l’État à tenir ses engagements financiers.

Une telle loi de programmation aurait mérité d’être débattue non pas quelques semaines avant la fin d’une législature, mais au début d’un mandat : il y va de la tradition républicaine et du respect des électeurs !

Par ailleurs, elle est de nature à inspirer une inquiétude majeure sur le plan financier, portant sur l’asphyxie du budget du ministère de la justice. En effet, selon la Cour des comptes, les dépenses pour les établissements en PPP étaient déjà de 81 millions d’euros en 2011, avant même cette dernière programmation. Elles s’établiront à 117 millions d’euros en 2011, à 578 millions d’euros en 2017 et seront ensuite supérieures à 700 millions d’euros annuels pendant une quinzaine d’années.

Le budget global de l’administration pénitentiaire devra donc, à moyens et fonctionnement constants, augmenter de plus de 15 % à l’échéance de 2017 et de plus de 20 % quelques années plus tard. En outre, cette estimation ne prend pas en compte les besoins en personnels de réinsertion – il faudra sans doute en recruter autour de 1 000 – et en personnels de surveillance – 6 000 environ –, qui auront forcément une incidence sur les prévisions de croissance du budget du ministère de la justice. Or, nul ne peut le nier, ces recrutements sont indispensables puisque, sans personnels complémentaires, c’est à la fois le suivi des détenus et la capacité de réinsertion qui seraient remis en cause.

Cette programmation engendrerait donc, à rapide échéance, une augmentation exponentielle des dépenses, laquelle n’est pas réaliste dans les circonstances actuelles et aurait, monsieur le garde des sceaux, de lourdes conséquences sur les budgets des autres missions de votre département ministériel. Une telle situation est de fait particulièrement inquiétante pour l’efficacité de la justice ainsi que pour sa capacité à conduire une exécution des peines efficace et rapide.

Elle est inquiétante, ne serait-ce que pour des questions de gestion financière : le coût d’une journée de détention est estimé à 71,10 euros, quand celui d’une semi-liberté est de 47,81 euros et celui du placement extérieur de 40 euros, le bracelet électronique ne coûtant, pour sa part, que 5,40 euros par jour. Ces chiffres devraient faire réfléchir, indépendamment même de l’efficacité de la sanction et de la réinsertion.

Enfin, si la majorité des condamnations à de courtes peines étaient exécutées en milieu ouvert, le parc carcéral actuel suffirait amplement.

Pourquoi avoir fait le choix d’établissements à si grande capacité alors que la plupart des professionnels considèrent qu’un établissement pénitentiaire ne devrait pas accueillir plus de 500 personnes ? Or, dans votre projet, les capacités d’accueil sont portées à 650 places en moyenne !

Dans ces nouveaux établissements surdimensionnés, la vidéosurveillance remplace les rapports humains. Or, en matière de gestion et d’efficacité de la sanction, comme s’agissant de la protection, on ne peut trop demander aux caméras !

Comme l’indiquait fort justement le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, nous sommes arrivés à l’ère de « l’industrialisation de la captivité », avec des conséquences lourdes sur la capacité des détenus à se réinsérer, laquelle devrait pourtant être notre préoccupation essentielle.

Monsieur le garde des sceaux, votre proposition de créer 30 000 places de prison supplémentaires, alors que le mandat présidentiel touche à sa fin et que le nombre de détenus a augmenté de 25 % en dix ans, souligne l’échec d’une politique qui relève de la fuite en avant répressive.

L’orientation est douteuse tant sur le plan de l’efficacité que sur celui de notre conception de la justice.

L’orientation est coûteuse pour nos finances.

Dans ces conditions, nous ne pouvons bien évidemment soutenir l’amendement n° 31.

En revanche, nous saluons une fois de plus le travail de Mme la rapporteur.

Mme Catherine Tasca. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-René Lecerf, pour explication de vote.

M. Jean-René Lecerf. J’avoue que je suis un peu perdu : l’amendement n° 31, très technique, prévoit un élargissement de la possibilité d’utilisation de la procédure de conception-réalisation.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Exactement !

M. Jean-René Lecerf. Pour ma part, je ne suis pas un fanatique du partenariat public-privé ; je crois d'ailleurs que le garde des sceaux ne l’est pas non plus. Je pense effectivement qu’il faut examiner à chaque fois les avantages et les inconvénients de l’opération.

Toutefois, il s’agit ici d’une procédure totalement différente : la conception-réalisation est une procédure économique, permettant de choisir en même temps les entreprises qui construiront les établissements et le maître d’œuvre – donc l’architecte –, d’éviter des marchés infructueux et d’obtenir généralement des prix tout à fait compétitifs.

L’élargissement de cette possibilité vise simplement à permettre que le partenaire privé puisse également assurer la gestion de l’exploitation ; cette opportunité me paraît constituer une éminente facilité.

En outre, je ne comprends pas que l’on puisse à la fois avoir des préventions sur la généralisation du partenariat public-privé et refuser une possibilité qui permette justement, dans un certain nombre de cas, d’échapper au PPP, de conserver un financement public et une maîtrise d’ouvrage assurée par l’État.

M. André Reichardt. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, rapporteur. Permettez-moi d’apporter une petite précision : le rapport de la Cour des comptes traitait bien de la conception-réalisation. C’est sur cette base que nous avons supprimé l’article 2.

J’ajoute que c’est M. le garde des sceaux lui-même qui a parlé des PPP !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. C’est un peu fort !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 31.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. En conséquence, l’article 2 demeure supprimé.

Mme Nathalie Goulet. C’est très dommage !

Article 2 (supprimé)
Dossier législatif : projet de loi de programmation relatif à l'exécution des peines
Article 4 A (nouveau)

Article 3

(Supprimé)

M. le président. L'amendement n° 32, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

I. – La procédure prévue à l’article L. 15-9 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique peut être appliquée en vue de la prise de possession immédiate par l’État des terrains bâtis ou non bâtis dont l’acquisition est nécessaire aux opérations de construction ou d’extension d’établissements pénitentiaires.

Les décrets sur avis conforme du Conseil d'État prévus au premier alinéa du même article L. 15-9 de ce code devront être pris au plus tard le 31 décembre 2016.

II. - Les articles L. 314-1, L. 314-2 et L. 314-6 du code de l’urbanisme s’appliquent, le cas échéant, aux opérations de construction ou d’extension d’établissements pénitentiaires réalisés selon la procédure prévue à l’article L. 15-9 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.

La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Cet amendement procède du même esprit que le précédent.

Il s’agit de maintenir des possibilités d’exproprier rapidement pour pouvoir construire, notamment dans les grandes agglomérations, les établissements pénitentiaires qui nous manquent.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, rapporteur. La procédure d’extrême urgence est très dérogatoire du droit commun.

Selon l’étude d’impact, « vingt-trois projets sont en cours d’étude ou de réalisation. […] Ces établissements devront être localisés dans des zones très urbanisées. ». Dont acte ! Mais l’administration pénitentiaire ne dispose guère de réserve foncière préalable pour l’implantation de ces nouvelles structures. Tel était d'ailleurs également le cas lors de la réalisation du programme « 13 200 » places ; l’État n’avait néanmoins à l’époque jamais fait usage de la procédure d’extrême urgence.

L’intérêt de ce dispositif nous laisse donc perplexe, d’autant que nous sommes convaincus de la nécessité de dialoguer avec les collectivités locales pour arriver à un accord sur les localisations des établissements pénitentiaires, accord que nous appelons de nos vœux.

Or, monsieur le garde des sceaux, votre procédure ne saurait permettre un tel dialogue. La commission a donc émis un avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 32.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. En conséquence, l’article 3 demeure supprimé.

Chapitre II

Dispositions visant à améliorer l’exécution des peines

Article 3 (supprimé)
Dossier législatif : projet de loi de programmation relatif à l'exécution des peines
Article 4 B (nouveau)

Article 4 A (nouveau)

L’article 132-24 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les peines d’emprisonnement d’une durée égale ou inférieure à trois mois lorsqu’elles sont prononcées sans sursis font, dans tous les cas, l’objet d’une des mesures d’aménagement de peine mentionnées à l’alinéa précédent. »

M. le président. L'amendement n° 15, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Par cet article 4 A nouveau, la commission des lois propose que toutes les peines d'emprisonnement d'une durée égale ou inférieure à trois mois soient obligatoirement aménagées, et donc qu’elles ne soient pas exécutées en établissement pénitentiaire.

Le Gouvernement ne peut être favorable à des dispositions aussi systématiques, contraires à l’exigence d’individualisation de la peine. Si la juridiction estime que la gravité des faits et la personnalité du condamné justifient une courte peine d’emprisonnement non aménagée, elle doit pouvoir prononcer cette sanction.

Dans certains cas, ces dispositions pourraient être totalement inapplicables en raison d’un aménagement impossible. Au demeurant, elles risqueraient d’inciter les juridictions correctionnelles à prononcer des peines d’emprisonnement de plus de trois mois.

Il convient donc d’en rester aux dispositions issues de la loi pénitentiaire : tout y est fait pour inciter les juridictions à aménager les peines inférieures ou égales à deux ans ou à un an pour les récidivistes, sans toutefois qu’il y ait d’obligation systématique.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, rapporteur. Conformément à ce que j’ai déclaré précédemment, nous considérons, contrairement à M. le garde des sceaux, que l’article 4 A s’inscrit dans le prolongement de la loi pénitentiaire de 2009. En effet, l’article 132-24 du code pénal issu de cette loi pose deux principes fondamentaux.

Premièrement, « en matière correctionnelle, en dehors des condamnations en récidive légale […], une peine d’emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu’en dernier recours si la gravité de l’infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate ».

Deuxièmement, lorsqu’une telle peine est prononcée, elle doit, « si la personnalité et la situation du condamné le permettent, et sauf impossibilité matérielle », faire l’objet d’une mesure d’aménagement de peine.

La disposition proposée marque une avancée supplémentaire puisque, dans tous les cas, une peine d’emprisonnement sans sursis d’une durée égale ou inférieure à trois mois devrait faire l’objet d’un aménagement.

En effet, la grande majorité des acteurs de la chaîne pénale considèrent qu’une incarcération pour une aussi courte période – trois mois – provoque une rupture des liens sociaux existants sans que, par ailleurs, une action efficace en faveur de la réinsertion puisse en l’occurrence être matériellement conduite pendant le temps de la détention.

La commission a donc émis un avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.

M. Philippe Bas. Je suis très défavorable à cet article, pour deux motifs.

Tout d’abord, il faut faire confiance au juge. À cet égard, tout mécanisme automatique qui n’appelle pas d’appréciation portée sur la personnalité du condamné ni sur le parcours éducatif et d’insertion qu’il doit accomplir me paraît être non pas une avancée – comme l’affirme Mme le rapporteur – mais une régression de notre système judiciaire.

Ensuite, il faut conserver, dans tous les cas, non pas l’obligation de l’enfermement, mais sa possibilité, dans l’intérêt même des mesures alternatives qui devront autant que faire se peut être décidées pour le condamné, comme le prévoit la loi du 24 novembre 2009. En effet, ces mesures alternatives comportent elles-mêmes un certain nombre de contraintes pour le condamné, qu’il acceptera d’autant plus facilement que le risque de la prison subsiste. D'ailleurs, dans un certain nombre de cas, l’incarcération effective restera, du point de vue du juge, nécessaire.

Il me paraît donc imprudent d’adopter un texte qui prévoit des mesures aussi mécaniques.

M. le président. La parole est à M. André Reichardt, pour explication de vote.

M. André Reichardt. Je ne peux qu’abonder dans le sens de mon collègue Philippe Bas : je suis totalement favorable à cet amendement, car l’aménagement systématique des peines d’emprisonnement ferme inférieures ou égales à trois mois est une véritable hérésie.

Certes, on l’a entendu tout l’après-midi, la majorité sénatoriale, considérant que la réalisation d’un parc pénitentiaire de 80 000 places traduit une priorité donnée à l’incarcération par rapport aux aménagements de peine, veut inverser la priorité au profit de ces derniers. Pourtant, mes chers collègues, ce n’est pas ce que vous faites : vous ne donnez pas la priorité aux aménagements de peine sur l’incarcération, vous instaurez une véritable automaticité. Faut-il vous le rappeler, automaticité et priorité ne sont pas synonymes.

Il est bon, nous en sommes tous convaincus, qu’une peine alternative à la détention, comme la semi-liberté ou le bracelet électronique, puisse être appliquée, mais nous, parlementaires, ne pouvons pas décider en amont qu’un délinquant, peu importe sa personnalité, doive obtenir un aménagement de peine dans tous les cas. Comment pouvons-nous dire que tous les délinquants méritent le même aménagement de peine et ne doivent pas aller en détention ? Chaque personnalité est particulière, vous le savez bien. Si un juge décide d’envoyer un délinquant en détention, il le fait en son âme et conscience : son rôle est de juger au cas par cas. Pour autant que je sache, dans cet hémicycle, nous ne sommes pas juges, alors n’empiétons pas sur leur pouvoir de décision et d’appréciation !

Il se peut que de courtes périodes d’incarcération n’aient aucun effet positif en matière de réinsertion, mais c’est au juge, et à lui seul, de l’apprécier, en fonction de son ressenti, des avis des experts et de l’enquête de personnalité dont il dispose. Poser le principe d’un aménagement systématique des peines d’emprisonnement de moins de trois mois, comme l’a dit M. le garde des sceaux, n’aboutira qu’à obliger la juridiction, face à un délinquant qu’elle souhaiterait envoyer en détention au regard de sa personnalité, à le condamner à une peine d’emprisonnement supérieure à trois mois.

Chers amis qui siégez sur les travées de la gauche, je suis sûr que ce n’est pas ce que vous souhaitez. Ne nous aventurons pas sur ce terrain !

Je le répète, je suis totalement favorable aux aménagements de peine, mais pas à leur systématisation, comme une très grande majorité de Français, j’en suis convaincu ! (M. Philippe Bas applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Jean-René Lecerf, pour explication de vote.

M. Jean-René Lecerf. Je ne suis pas un partisan farouche des peines planchers, parce que j’estime qu’elles portent atteinte, en partie, au principe de la personnalisation des peines, à la capacité du juge d’adapter chacune de ses décisions en fonction du tempérament ou de la personnalité du délinquant.

Pour la même raison, je ne peux pas être favorable à des mesures systématiques d’aménagement de peine, sous prétexte que la peine prononcée serait inférieure à trois mois d’emprisonnement. Je suis d’accord avec Mme le rapporteur pour reconnaître que, la plupart du temps, les peines d’emprisonnement très courtes n’ont guère d’effets positifs, mais il existe certaines catégories ou modalités de délinquance pour lesquelles, selon la plupart des spécialistes, le choc carcéral peut s’avérer salutaire et être la meilleure manière d’éviter la récidive.

Je voterai donc l’amendement du Gouvernement, car le caractère systématique des aménagements de peine constitue une forme d’offense à la liberté de décision des magistrats ! (M. Philippe Bas applaudit.)