Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Michel.

M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le garde des sceaux, vous n’en êtes pas entièrement responsable, mais ce projet de loi constitue une véritable provocation à un triple titre.

La provocation tient d’abord aux conditions dans lesquelles nous examinons un texte complexe, comme tous ceux qui traitent de procédure pénale : une fois encore, il est recouru à la procédure accélérée, c’est-à-dire que l’on ne laisse pas le Parlement faire son travail. Or l’expérience montre pourtant que, sur de tels textes de procédure pénale, plusieurs lectures à l’Assemblée nationale et au Sénat sont parfois nécessaires, ne serait-ce que pour éviter des erreurs. J’ajoute que ce projet de loi a été déposé voilà plus d’un an : pourquoi vient-il en discussion aujourd'hui ? Y a-t-il une urgence particulière ? Personnellement, je n’en vois pas.

La provocation tient ensuite au contexte dans lequel s’inscrit l’examen de ce texte. En effet, vous avez déposé plusieurs autres projets de loi, monsieur le garde des sceaux : je pense que vous auriez été bien inspiré d’écouter le Conseil supérieur de la magistrature, qui recommande de ne pas accélérer la production législative, s’agissant notamment de la récidive, afin de permettre aux personnels de justice de « digérer » les réformes. De surcroît, alors que le projet de loi relatif à la garde à vue vient tout juste d’être voté, on dit déjà de ce texte qu’il est inabouti, qu’il ne pourra pas être appliqué et qu’il faudra peut-être le revoir… Le Premier ministre lui-même est de cet avis ! C’est absolument incroyable !

Je le répète, le recours à la procédure accélérée pour l’examen du présent projet de loi ne permettra pas au Parlement de faire son travail. Ce texte bouleverse pourtant totalement la procédure correctionnelle et la procédure d’assises. En outre, allant à l’encontre du dernier avis du Conseil constitutionnel, que nous ne manquerons pas de saisir sur ce point, il tend à rapprocher le droit des mineurs du droit des majeurs.

Par ailleurs, la discussion de ce texte intervient alors qu’un profond sentiment de malaise traverse l’institution judiciaire, même si vous essayez de calmer l’émotion des magistrats et des autres personnels. Peut-être vos qualités personnelles pourraient-elles vous permettre d’y parvenir, mais l’attitude du Gouvernement et de l’Élysée vous en empêche de toute façon.

La provocation tient enfin au fond du texte lui-même. C’est l’état actuel de la justice qui motive l’examen accéléré de ce projet de loi. À cet égard, je me contenterai de rappeler, monsieur le garde des sceaux, que vous avez dernièrement notifié aux cours d’appel une diminution très importante des crédits affectés aux rémunérations. En conséquence, les chefs de cour sont amenés à prendre des décisions drastiques et brutales : non-renouvellement des contrats des vacataires, suppression des emplois d’assistant de justice, réduction des vacations des juges de proximité, aboutissant, dans certaines régions, à leur quasi-disparition.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je vous prouverai le contraire !

M. Jean-Pierre Michel. Très bien, monsieur le garde des sceaux !

On sait que certains tribunaux, tel celui de Nice, ne peuvent plus payer d’experts ; à Orléans, à Avesnes-sur-Helpe, à La Rochelle, à Amiens, à Tours, les juridictions sont bloquées : telle est la vérité !

Pis encore, la direction des services judiciaires a indiqué, le 17 février dernier, lors d’une réunion sur l’application pénale Cassiopée, que les vacataires devaient être affectés en priorité au déploiement de ce logiciel, ce qui aboutit évidemment à priver les autres services du renfort attendu. Les personnels des tutelles, des greffes correctionnels, notamment de celui de Paris, ne pourront toujours pas récupérer les milliers d’heures supplémentaires effectuées…

Vos annonces dans le quotidien Ouest France n’engagent que ceux qui y croient. On sait très bien qu’il ne s’agit que de promesses en l’air ! En effet, monsieur le garde des sceaux, les crédits que vous avez annoncés ne sont pas budgétés ou sont affectés au financement de l’introduction des jurys populaires en correctionnelle. Ils ne permettront pas de soulager les tribunaux.

J’ajoute que la création des jurys populaires en correctionnelle, la réforme de la garde à vue, le contrôle par les juges des hospitalisations d’office prévues par la loi de 1990, voulu par le Conseil constitutionnel, ne feront qu’accentuer le malaise de l’institution judiciaire.

On voit bien que les dispositions les plus contestables de ce projet de loi, sous couvert d’alléger les procédures, sont essentiellement destinées à pallier la pénurie de personnel, au mépris de quelques principes essentiels, comme le respect du contradictoire et la publicité de l’audience.

Les juridictions de proximité, créées en 2002 par la loi Perben, vont être supprimées. Pourtant, malgré ce qu’en dit M. Guinchard, qui n’est pas un orfèvre en la matière, elles n’ont pas tant démérité que cela. Certes, leur bilan est mitigé, mais tous les juges de proximité ne sont pas nuls. Certains d’entre eux font même du très bon travail !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Bien sûr !

M. Jean-Pierre Michel. Les juges de proximité ont allégé la charge de travail des tribunaux d’instance, laquelle s’accroîtra d’ailleurs du contentieux des tutelles des majeurs et se trouvera également alourdie du fait des regroupements de tribunaux résultant de la mise en place de la nouvelle carte judiciaire, œuvre funeste de Mme Dati.

Cette réforme, purement utilitaire, ne permettra d’ailleurs pas de répondre aux critiques qu’avait suscitées – et que continue peut-être à susciter – la création des juges de proximité, à laquelle nous nous étions opposés. En effet, rien n’est prévu pour améliorer le statut précaire de ces juges, pour remédier à l’insuffisance de leur formation ou aux difficultés de recrutement. Alors que le dispositif s’était amélioré, on va supprimer les juridictions de proximité !

Bien entendu, les juges de proximité, eux, ne seront pas supprimés : on les garde, qu’ils soient bons ou mauvais, pour les mettre à la disposition du président du tribunal de grande instance, qui en fera des bouche-trous, pour ne pas dire, de façon plus vulgaire, des « bonniches » du tribunal ! Lorsqu’il manquera un assesseur en correctionnelle ou en juridiction collégiale au civil, on fera appel à un juge de proximité. C’est ainsi que cela se passera, tout le monde le sait !

Ensuite, sous couvert de simplification, le texte prévoit deux mesures totalement inacceptables de notre point de vue : l’extension du champ de l’ordonnance pénale et celle du champ de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.

S’agissant de l’extension du champ de l’ordonnance pénale, nous estimons que le droit à l’audience, c'est-à-dire au contradictoire et à la publicité des débats, est un droit absolu. Certes, aujourd'hui, la mode est au recours à la visioconférence, comme on a pu le voir en matière de garde à vue et comme on le verra bientôt pour les hospitalisations d’office : le juge communique à distance, par écran interposé, avec la personne gardée à vue ou mise en examen ! Cela est, on en conviendra, absolument inacceptable ! C’est la négation de ce qu’est l’audience, à savoir l’instauration d’un dialogue direct entre le juge et son interlocuteur. Seul un tel face-à-face peut permettre au juge de se forger une opinion, car il importe de prendre en compte, outre les paroles prononcées, des attitudes, des non-dits qu’une visioconférence interdit de percevoir.

Vous proposez d’étendre largement le champ de l’ordonnance pénale, monsieur le garde des sceaux, or nous recevons fréquemment dans nos permanences des personnes qui, s’étant vu notifier une ordonnance pénale, viennent nous demander de les aider alors que le délai pour faire opposition est déjà échu et que la condamnation est de ce fait devenue définitive… Nombre de nos concitoyens, malheureusement, peinent à comprendre un tel document, et davantage encore à rédiger une lettre pour contester les faits. Voilà ce qu’il en est de l’ordonnance pénale ! Vous qui vous présentez volontiers comme un homme de terrain, monsieur le garde des sceaux, vous qui êtes un élu rural, comment pouvez-vous préconiser l’extension de cette mesure ? Vous savez très bien que la plupart des justiciables sont complètement désarmés devant de telles procédures. Ils n’y comprennent rien, et ils ont le sentiment que leur condamnation résulte de l’arbitraire d’un juge.

Plus grave encore, selon moi, y compris d’un point de vue constitutionnel, est l’extension du champ de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité –disons le « plaider-coupable », pour parler clairement – à l’ensemble des délits.

Lorsque cette disposition sera entrée en vigueur, c’en sera évidemment fini du procès Chirac, du procès Tapie, etc. Il suffira de plaider coupable pour éviter l’audience et la publicité afférente ! On négociera discrètement la peine, et tout sera terminé ! Voilà à quoi aboutira l’extension du champ du plaider-coupable ! Nul ne saurait me contredire sur ce point, sauf à être de mauvaise foi !

Certes, monsieur le garde des sceaux, les procureurs sont des magistrats, mais ils ne sont pas des juges.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Nous sommes d’accord.

M. Jean-Pierre Michel. Or, que font les procureurs aujourd'hui ? Vos propres statistiques montrent que, en 2009, sur près de 1,5 million d’affaires pénales poursuivables, 854 000 ont été « jugées » par des procureurs de la République. Il faudrait ajouter à ce chiffre 180 000 classements sans suite. En revanche, on constate une baisse par rapport à 2008 du nombre des poursuites devant le juge d’instruction, le juge des enfants et le tribunal de police, à hauteur respectivement de 10,7 %, de 0,4 %, et de 4,1 %. On observera une confirmation de cette évolution lorsque les chiffres de l’année 2010 seront connus.

Les procureurs deviennent donc des juges. Ce sont eux, d’ailleurs, qui connaissent la plus grande partie du contentieux pénal. Or cela contrevient aux recommandations de la Cour européenne des droits de l’homme et du Conseil constitutionnel. La tenue d’une audience deviendra l’exception, de même que l’intervention du juge ; la règle sera que le procureur de la République jugera. Nous n’acceptons pas cette dérive.

Il est vrai, néanmoins, que ce texte comporte quelques dispositions plus positives et que M. le rapporteur a minutieusement travaillé pour corriger un certain nombre d’excès par le biais d’amendements que nous avons approuvés.

Contrairement peut-être à Mme Borvo Cohen-Seat, je pense que la constitution de pôles spécialisés est plutôt une bonne chose, de même que l’attribution de la compétence au seul tribunal de grande instance de Paris pour le contentieux de la propriété industrielle.

Je me réjouis, bien entendu, de la suppression du tribunal aux armées de Paris. Elle fait aujourd’hui consensus, alors que, en 1982, cette mesure avait suscité une opposition passionnée à l’Assemblée nationale : on entendit alors des hurlements ! Certains, tel Jean Foyer, pour qui j’avais beaucoup d’estime, n’en pouvaient plus d’éructer contre ce qu’ils considéraient comme une atteinte à nos armées !

Cela étant, la suppression de cette juridiction va encore différer l’examen d’un certain nombre d’affaires, dont le tribunal de grande instance de Paris ne pourra se saisir immédiatement. Je pense notamment au rôle de l’armée française face au génocide rwandais, aux bombardements de Bouaké, en 2004, qui avaient causé la mort d’un certain nombre de militaires français et dont les pilotes responsables n’ont jamais été interrogés, ou à l’assassinat, toujours en Côte d’Ivoire, du coupeur de routes Firmin Mahé. Toutes ces affaires vont être de nouveau reportées, avant peut-être qu’une quelconque prescription ne vienne exonérer certains militaires des délits ou des crimes qu’ils auraient pu commettre dans l’exercice de leurs fonctions…

En conclusion, mon groupe votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme la présidente. La parole est à M. Nicolas Alfonsi.

M. Nicolas Alfonsi. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, cette discussion ne peut être isolée du contexte de crise aiguë que connaît notre justice depuis maintenant plusieurs années.

Les retards en moyens accumulés durant cette période sont tels que les mesures de rattrapage, à hauteur de quelque 4 %, votées en loi de finances sont loin de suffire à combler les manques qui affectent notre système judiciaire. Je rappellerai que le classement de quarante-trois pays d’Europe au regard de l’efficacité de la justice, établi en octobre dernier par la Commission européenne, place la France au trente-septième rang.

Dès lors, le présent projet de loi ne répond pas à l’urgence avérée qu’il y a à mettre enfin en œuvre une profonde réforme de notre justice. Le mouvement de protestation des personnels de justice du mois dernier n’est que la dernière illustration en date de l’état d’exaspération inquiétant qui accable notre monde judiciaire.

La priorité n’est certainement pas d’examiner des textes comme celui-ci selon la procédure accélérée. Pour dire clairement les choses, ce projet de loi est frappé au coin de l’incohérence.

Cette incohérence tient d’abord au fait qu’il comporte des dispositions hétérogènes formant un fourre-tout dont on peine à trouver la ligne directrice. Pourquoi proposer un texte ad hoc visant à transposer certaines recommandations du rapport Guinchard, dont il y aurait d’ailleurs beaucoup à dire, alors qu’un grand nombre de ces recommandations ont déjà été mises en œuvre dans d’autres textes législatifs ou réglementaires ?

L’incohérence tient, ensuite, au calendrier. Vous nous soumettez, monsieur le ministre, un texte qui tend à supprimer les juridictions de proximité, alors que vous venez de présenter un projet de loi sur les jurys populaires en correctionnelle qui ajoute au désordre législatif actuel. Les juges de proximité avaient pourtant été créés par votre majorité, en 2002, afin de « répondre aux besoins d’une justice plus accessible, plus simple et capable de mieux appréhender les litiges de la vie quotidienne », pour reprendre les termes de l’exposé des motifs qui, à l’époque, accompagnait le texte. Ce dessein n’était pas, en soi, critiquable, mais les moyens budgétaires et humains n’ont jamais été à la hauteur de l’ambition initiale, et l’on n’a pas donné à ces magistrats toutes leurs chances.

S’il faut avoir l’honnêteté de reconnaître que, depuis quelques années, le budget de la justice a régulièrement augmenté, les retards accumulés sont tels que les crédits ne sont toujours pas à la hauteur des besoins.

Certains exemples mettant en lumière la gravité de la situation confinent à l’absurde.

Ainsi, à Orléans, le budget du tribunal d’instance a été réduit de 30 %. Les juges de proximité n’assistent donc plus aux audiences correctionnelles, afin de permettre que des crédits puissent être conservés pour payer des vacataires.

Les vacations des juges de proximité du tribunal d’instance de Tours ont été divisées par deux en 2010, en raison d’une baisse brutale des moyens de 27 %.

La cour d’appel de Riom s’est même trouvée dans l’impossibilité de rémunérer des juges de proximité.

Dans certaines juridictions des Hauts-de-Seine, comme celle de Puteaux, la plus importante du département, il n’y a plus d’audiences depuis septembre 2010. Les juges sont au chômage forcé, si bien que l’une des juges en poste a proposé de n’être payée que sur le budget de 2011…

Au 1er janvier dernier, seules 276 juridictions sur 305 étaient pourvues d’au moins un juge de proximité. Dans les 29 autres, un juge d’instance est tenu d’assurer les audiences.

En substance, la Chancellerie a volontairement réduit l’activité de ces juridictions, en les asphyxiant financièrement, pour justifier ensuite leur suppression et le rattachement des juges de proximité aux tribunaux de grande instance.

Pourquoi, alors qu’il était clair, dans l’esprit du Gouvernement, que ces juridictions étaient condamnées, avoir poursuivi en 2010 le recrutement de juges de proximité ? Pourquoi entériner cette suppression, qui entraînera de nouvelles charges pour les tribunaux d’instance, ce dont ils n’ont certainement pas besoin ? Vous-même, monsieur le rapporteur, avez exprimé des doutes, puisque vous avez déclaré en commission que « donner, avec les contentieux jusqu’à 4 000 euros, une charge supplémentaire aux juges d’instance représente un vrai défi en termes de moyens ».

Les juges de proximité ont pourtant su démontrer leur utilité, malgré les conditions de travail difficiles qui leur ont été imposées. Rattacher ces magistrats au tribunal de grande instance reviendrait à les transformer en simples supplétifs mal payés et mal considérés des magistrats professionnels, ce que la majorité des membres de mon groupe ne peut accepter. C’est tout simplement aller au rebours de ce qu’est une justice à la portée de tous les justiciables.

Il est pour nous évident, et Jacques Mézard y reviendra en défendant notre motion tendant au renvoi du texte à la commission, qu’une vraie réforme de la justice de proximité aurait, par exemple, pu consister à réfléchir à la possibilité de confier aux juges de proximité la phase de conciliation obligatoire en matière de petits litiges.

En tout état de cause, nous n’entérinerons pas ce recul, pas plus que nous n’acceptons, en matière pénale, que soit encore étendu le champ d’application des procédures non contradictoires que sont l’ordonnance pénale et la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.

Il y aurait beaucoup à dire sur l’extension continue du champ de ces procédures, initialement conçues pour demeurer des dérogations contenues au droit commun. Ces deux dispositifs ont en commun de ne pas permettre au prévenu de faire entendre sa cause dans le cadre d’une procédure contradictoire, par exception aux principes généraux du droit pénal qui garantissent le respect des droits de la défense. On sait que l’opposition à une ordonnance pénale est, en pratique, une procédure longue et complexe, qui décourage le plus souvent le mis en cause, ce qui revient à le priver de la possibilité de se défendre dans une procédure plus équitable.

Dans le même esprit, il est inexact de dire que le prévenu faisant l’objet d’une CRPC est dans une position équilibrée face au parquet. La culture de l’aveu, le chantage à la peine plus sévère que prononcerait une juridiction et la pression de la convocation concomitante devant une formation de jugement ont pour seul effet d’amener le prévenu à accepter la peine proposée par le parquet, faute de pouvoir mieux se défendre.

L’engorgement des tribunaux est une réalité, mais ne saurait servir de prétexte au développement de procédures qui portent en elles-mêmes atteinte à l’équité et à l’équilibre du face-à-face entre le justiciable et les magistrats. Une nouvelle fois, monsieur le ministre, la solution proposée est sans doute pire que le mal que vous voulez traiter.

Ce nouveau recul des droits ouvre une brèche inacceptable dans le respect des principes généraux de notre droit. Il est heureux que la commission, réticente depuis longtemps devant ces extensions, ait expressément exclu du champ de l’ordonnance pénale les cas de récidive légale et de celui de la CRPC les faits de violence contre les personnes ou les agressions sexuelles aggravées.

Pour ce qui concerne les autres points du texte, j’étais, comme beaucoup de nos collègues, assez perplexe s’agissant de la dispense de comparution des époux devant le juge en cas de divorce par consentement mutuel en l’absence d’enfants mineurs, prévue à l’article 13 du projet de loi. Le divorce, quel qu’en soit le régime, demeure une épreuve psychologiquement marquante. Le passage devant un juge a d’abord le mérite d’assurer que le consentement des deux époux est réel et non vicié, et que la procédure est équilibrée.

Il est normal que les justiciables soient informés du montant des honoraires qu’ils devront régler dans le cadre d’une convention d’honoraires, en particulier si ceux-ci sont importants. En revanche, la liberté de fixation des honoraires de l’avocat doit demeurer le principe, et je ne suis pas convaincu de l’opportunité d’introduire des barèmes indicatifs, eu égard notamment au droit de la concurrence.

La réflexion devrait également se poursuivre s’agissant de la généralisation de la médiation familiale, qui ajouterait sans doute à la complexité de la procédure, sans d’ailleurs que nous connaissions aujourd’hui les modalités de financement d’un tel dispositif.

Des interrogations existent aussi, à nos yeux, quant à la pertinence d’étendre aux tribunaux de grande instance la procédure d’injonction de payer pour les litiges supérieurs à 10 000 euros, en l’état actuel du texte.

S’agissant de l’introduction d’une spécialisation en matière de départition prud'homale, le dispositif proposé permettra sans doute de rationaliser l’usage d’une procédure complexe, dans une matière sensible qui exige une maîtrise approfondie du droit du travail.

Enfin, le texte trouve grâce à nos yeux sur un autre point : la suppression du tribunal aux armées de Paris, dont la compétence sera transférée à la formation spécialisée du tribunal de grande instance de Paris. Cette mesure vient enfin achever l’intégration de la justice militaire en temps de paix dans la justice de droit commun. Elle mettra un point final au vaste mouvement de transformation de nos armées, qui a été marqué par la fin de la conscription et du maintien permanent de troupes en Allemagne. Il était temps de supprimer cette institution, qui était devenue peu compatible avec les principes d’un État républicain.

Toutefois, ces quelques aspects positifs ne sauraient réduire les extrêmes réserves de la majorité des membres du groupe du RDSE sur un texte qu’ils ne jugent ni opportun ni pertinent. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. André Reichardt.

M. André Reichardt. Madame la présidente, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, que de chemin parcouru depuis décembre 2007, depuis que le recteur Guinchard fut chargé, par la garde des sceaux de l’époque, de rédiger un rapport sur les moyens de simplifier les procédures contentieuses dans notre ordre judiciaire !

Entouré d’universitaires, de représentants des professionnels du droit, de la justice et des syndicats, le recteur Guinchard avait alors procédé à de nombreuses auditions, afin de recueillir l’avis de l’ensemble des acteurs sur les évolutions souhaitables de l’organisation et du périmètre de l’intervention judiciaire. Il avait ensuite formulé soixante-cinq grandes préconisations. Certaines d’entre elles ont d’ores et déjà été introduites dans la loi du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures, d’autres sont reprises dans la proposition de loi de notre collègue Laurent Béteille relative à l’exécution des décisions de justice.

Vous nous proposez donc aujourd’hui, monsieur le garde des sceaux, de poursuivre cette démarche de modernisation, que ce soit en matière civile ou en matière pénale, en simplifiant cette fois l’organisation judiciaire en première instance et en développant les allégements procéduraux.

À cet égard, nous nous devons d’envisager une justice rénovée, une justice porteuse de sens s’agissant de l’intervention du juge, une justice plus lisible et plus proche des justiciables.

Les Français nous disent depuis trop longtemps maintenant qu’ils comprennent mal le fonctionnement de la justice. Les critères de compétence des juridictions apparaissent flous ; le rôle même du juge est parfois incompris.

Force est de le reconnaître, l’organisation actuelle de la justice, telle qu’elle résulte des strates successives accumulées au fil des ans, est devenue peu lisible pour nos concitoyens. Or, une justice pour tous, c’est d’abord une justice que l’on comprend.

La répartition de principe des compétences civiles entre le tribunal de grande instance, le tribunal d’instance et, depuis 2002, le juge de proximité, fondée sur les critères de la collégialité ou du juge unique, ainsi que sur la nature des contentieux et la représentation obligatoire ou non par un avocat, a perdu de sa pertinence. Elle est devenue trop complexe et ne correspond plus à la situation actuelle.

La lisibilité se prolonge dans la proximité et l’accessibilité de la justice, objectifs qui doivent s’accompagner d’une prise en compte du développement des nouvelles technologies aux fins de simplification des procédures.

Penser une justice rénovée, c’est envisager une justice adaptée aux évolutions de la société.

La nature des contentieux et la manière dont le besoin de justice est ressenti ont profondément évolué. La justice accompagne les mouvements de société. Ainsi, les séparations et recompositions familiales font que la moitié des affaires dont sont saisis les tribunaux de grande instance concernent le contentieux familial ; la justice civile d’instance doit désormais faire face à la progression des impayés, du surendettement, des mesures de protection comme les tutelles, notamment pour les majeurs.

Des remèdes doivent être apportés à la croissance du nombre des affaires nouvelles, afin d’y répondre efficacement et d’apporter à chacun le droit que le juge doit dire dans un délai raisonnable.

Penser une justice rénovée, c’est aussi établir une justice porteuse de sens pour l’intervention du juge.

Remettre le juge au cœur de son activité juridictionnelle, c’est alléger ses fonctions d’un certain nombre de tâches n’entrant pas directement dans l’exercice de cette activité, afin qu’il puisse disposer de plus de temps pour se concentrer sur sa mission première, qui est de dire le droit, tant au contentieux qu’en matière gracieuse. Revoir le périmètre d’intervention du juge en le remettant au cœur de son activité juridictionnelle, c’est aussi l’aider et l’assister dans l’exercice de celle-ci.

Monsieur le garde des sceaux, en simplifiant l’organisation judiciaire et en allégeant les procédures, votre projet de loi va dans ce sens.

Le principal axe est centré sur une certaine forme de confusion, née de la création, en 2002, de la juridiction de proximité, laquelle aurait, selon certains – nous l’avons encore entendu tout à l’heure – contribué à amoindrir la lisibilité de notre organisation judiciaire.

Aujourd’hui, trois juridictions interviennent dans le contentieux civil de première instance. Les critères de répartition entre ces trois juridictions manquent à l’évidence de clarté. Je n’évoquerai que deux exemples.

Si des squatteurs occupent d’anciens logements, la juridiction compétente pour les expulser est le tribunal d’instance, mais s’ils occupent des bureaux désaffectés, la juridiction compétente est alors le tribunal de grande instance. Où est la logique ?

Si un défendeur forme une demande incidente supérieure à 4 000 euros devant le juge de proximité, son affaire est immédiatement transmise au tribunal d’instance. Il n’a pas à justifier du bien-fondé de sa demande. Il s’agit parfois, à l’évidence, d’un moyen détourné pour choisir tel juge ou éviter tel autre.

Je tiens à réaffirmer ici notre attachement aux juges de proximité. Si la juridiction ne paraît pas parfaitement adaptée à l’objectif initial, les juges qui y sont affectés ont su trouver une place légitime et singulière dans notre fonctionnement judiciaire. En effet, ils apportent une connaissance de terrain et un contact, ce qui est fondamental. C’est pourquoi le groupe UMP souhaite leur maintien.

Néanmoins, nous soutenons la proposition qui vise à rattacher cet ordre de juridiction aux tribunaux de grande instance, car elle permettrait aux juges de proximité d’avoir un meilleur contact avec les juges professionnels. Comme vous l’avez indiqué, monsieur le garde des sceaux, il s’agit d’un rattachement organique, dont l’objet est de définir précisément les attributions juridictionnelles des juges de proximité, tant au tribunal de grande instance qu’au tribunal d’instance. Il s’agit de maintenir les fonctions des juges de proximité pour statuer en matière pénale, sur les contraventions des quatre premières classes, mais de supprimer leurs compétences en matière de contentieux civil.

On nous affirme que la réforme proposée permettra d’effectuer des mesures d’instruction dans le cadre de la procédure civile et étendra la participation des juges de proximité en qualité d’assesseur à l’ensemble des formations collégiales du TGI, en matière tant civile que pénale.

Le groupe UMP sera très attentif au débat qui s’ouvrira sur ce sujet, en vue de maintenir les actuelles attributions des juges de proximité. À titre d’exemple, sachez que, en Alsace, ces juges traitent actuellement 20 % des affaires qui relèveraient sinon des tribunaux d’instance. En d’autres termes, leur suppression représenterait une charge de travail supplémentaire de 20 % pour les tribunaux d’instance.

Comme cela a été indiqué, il est indispensable de doter les tribunaux d’instance de moyens supplémentaires, que M. le rapporteur évalue à soixante équivalents temps plein travaillé.

Dans le même temps, il nous est proposé de rationaliser le traitement des contentieux et de spécialiser les juridictions dans les contentieux les plus complexes et les plus techniques, afin de renforcer l’efficacité de la justice pénale.

Ainsi, un pôle judiciaire spécialisé pour les crimes contre l’humanité et les crimes de guerres sera créé au sein du TGI de Paris. À cet égard, je ne reviendrai pas sur les propos de M. le rapporteur pour avis, que le groupe UMP soutient pleinement.

De même, les contentieux consécutifs à des accidents collectifs – catastrophes majeures en matière de transports, risques technologiques, dommages dus à une pollution en mer, qu’elle soit volontaire ou non – seront traités par une juridiction spécialisée, et l’on ne peut que s’en réjouir.

Le présent projet de loi a aussi pour objet d’alléger certaines procédures. L’essentiel des innovations concerne le civil et les procédures en matière familiale.

Monsieur le garde des sceaux, vous proposez deux modifications importantes à la procédure applicable devant le juge aux affaires familiales.

En premier lieu, vous prônez l’allégement de la procédure de divorce par consentement mutuel pour les couples qui n’ont pas d’enfant mineur en commun. Les parents n’auraient alors plus à comparaître personnellement et systématiquement devant le juge aux affaires familiales. Le juge n’ordonnerait cette comparution que s’il l’estime nécessaire ou si l’un des deux époux en fait la demande. J’avoue m’être longuement interrogé sur cette disposition.

La procédure actuelle, qui se divise en trois phases, permet au juge de s’assurer de la validité des consentements. Le juge ne prononce le divorce et n’homologue la convention que s’il a acquis la conviction que la volonté des époux est réelle et que le consentement est libre et éclairé.

Ainsi, là où certains estiment que l’entrevue des époux devant le juge, d’abord séparément, puis ensemble et, enfin, avec les avocats peut être vécue comme une formalité inutile, cette procédure offre au juge l’occasion de s’assurer de la réalité des consentements. C’est une situation que j’ai vécue à titre personnel, monsieur le garde des sceaux.

Comme l’a d’ailleurs rappelé notre collègue Jean-Pierre Michel en évoquant son expérience professionnelle en matière de divorce, le fait de recevoir le couple en comparution permet de mesurer l’acuité des crises et de décider, si cela se révèle nécessaire, un délai de réflexion. Nous devons penser aux situations les plus délicates, lorsque certaines parties sont parfois très faibles.

En second lieu, monsieur le garde des sceaux, vous prévoyez une expérimentation de l’obligation de recourir à la médiation familiale pour les actions tendant à faire modifier les modalités d’exercice de l’autorité parentale. La saisine du juge aux fins de modification de telles mesures devrait, par conséquent, être précédée, à peine d’irrecevabilité, d’une tentative de médiation, sauf si les parents sont d’accord sur les modifications envisagées ou si un motif légitime justifie une saisine directe du juge.

Mes chers collègues, une telle expérimentation constitue certes une approche pragmatique, qui peut permettre à terme de mieux définir un autre mode de résolution des conflits, toutefois, la seule mise en œuvre de cette expérimentation suppose la mobilisation de moyens importants dans les services de médiation familiale. Et je suis, je l’avoue, peu convaincu de l’opérationnalité immédiate d’une telle disposition.

La commission des lois a me semble-t-il trouvé une solution tout à fait raisonnable afin d’éviter que les délais de médiation familiale ne s’étendent de manière excessive, ce qui retarderait le règlement des litiges. Ainsi, l’obligation de médiation préalable pourra être écartée si, en raison des délais d’obtention d’un rendez-vous avec le médiateur, les parties courent le risque de se voir priver de leur droit d’accéder au juge dans un délai raisonnable. J’ai entendu, monsieur le garde des sceaux, vos interrogations sur la notion de « délai raisonnable » ; je ne doute pas que la discussion permettra de lever vos réserves. Toutes ces mesures, j’y insiste, ont pour finalité l’intérêt de l’enfant.

Toujours en matière familiale, je tiens à évoquer la régulation des honoraires d’avocat pour la procédure de divorce.

Vous le savez, le projet de loi prévoit que l’avocat ne pourra demander des honoraires supérieurs au montant fixé par un arrêté, sauf s’il a conclu une convention d’honoraires avec son client. Si le principe de la convention d’honoraires offre au client une plus grande prévisibilité sur les frais auxquels il s’expose, la question du barème d’honoraires mérite d’être discutée. C’est pourquoi la proposition de la commission des lois, qui consiste à fournir une information objective aux parties sur les prix moyens généralement pratiqués en matière de divorce, en prévoyant la publication par arrêté du garde des sceaux, pris après avis du Conseil national des barreaux, de barèmes indicatifs, semble être un équilibre intéressant.

L’allégement procédural concerne également le domaine pénal. Reprenant pour partie les préconisations formulées par le rapport Guinchard, le projet de loi étend le champ de trois procédures pénales simplifiées dans le souci d’améliorer l’efficacité du traitement des contentieux simples ou ne donnant pas lieu à contestation.

Néanmoins, comme l’a rappelé M. le rapporteur, si la procédure de l’ordonnance pénale a montré son utilité dans le traitement de contentieux simples, nous considérons qu’elle n’est pas nécessairement adaptée pour des contentieux plus complexes. Nous soutenons donc l’idée d’encadrer strictement l’extension du champ d’application de l’ordonnance pénale.

La procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, la CRPC, communément appelée le « plaider coupable », permet au procureur de la République de proposer à une personne reconnaissant avoir commis un délit une peine qui, en cas d’accord de l’intéressé, pourra être homologuée par le président du tribunal.

Il nous est proposé d’étendre la possibilité pour le parquet de recourir à la CRPC pour l’ensemble des délits, sous réserve d’un certain nombre d’exceptions limitativement énumérées. Cette procédure présente des avantages non négligeables, notamment une plus grande individualisation de la peine. Cependant, comme l’a rappelé à juste titre M. le rapporteur, les délits les plus graves portant atteinte aux personnes doivent également être exclus de cette procédure.

J’évoquerai enfin la procédure de l’injonction de payer. Introduite dans le droit français en 1937 pour les créances de nature commerciale, puis étendue aux créances de nature civile et à toutes les créances d’origine contractuelle, elle permet à un créancier d’obtenir la délivrance d’un titre exécutoire sans débat préalable. Elle est aujourd’hui organisée devant la juridiction de proximité, le tribunal d’instance et le tribunal de commerce. Il nous est proposé de l’étendre au TGI. Le tribunal d’instance resterait compétent pour connaître des requêtes en injonction de payer qui, même supérieures à 10 000 euros, relèvent de sa compétence exclusive, comme celles qui sont relatives au crédit à la consommation ou aux baux d’habitation.

J’ai souhaité déposer, sur l’article concerné, un amendement visant à permettre que la requête en injonction de payer puisse être déposée devant le TGI par le créancier ou par le mandataire, comme c’est aujourd'hui le cas devant le tribunal d’instance, et ce afin d’alléger les frais de justice pour les créanciers. Il ne faut naturellement pas alourdir le coût de la procédure par un tel transfert. Je me réjouis que M. le rapporteur présente une proposition identique.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe UMP votera ce texte, qui va dans le sens d’une justice plus simple, plus équitable et plus accessible. Mais, je le répète, nous souhaitons le maintien des juridictions de proximité dans des conditions acceptables tant pour les intéressés que, naturellement, pour les justiciables. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)