compte rendu intégral

Présidence de M. Guy Fischer

vice-président

Secrétaires :

Mme Christiane Demontès,

M. Philippe Nachbar.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Renvoi pour avis

M. le président. J’informe le Sénat que le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de finances rectificative pour 2010 (n° 163, 2010-2011), dont la commission des finances est saisie au fond, est envoyé pour avis, à sa demande, à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.

3

Débat préalable au Conseil européen des 16 et 17 décembre 2010

M. le président. L’ordre du jour appelle un débat préalable au Conseil européen des 16 et 17 décembre 2010.

La parole est à M. le ministre.

M. Laurent Wauquiez, ministre auprès de la ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux de pouvoir m’exprimer devant vous, cet après-midi, pour préparer le Conseil européen.

Le Sénat joue un rôle majeur dans l’élaboration de la stratégie européenne, rôle qui s’est affirmé. Je tiens à rendre hommage au travail remarquable effectué par Jean Bizet, au sein de la commission des affaires européennes, et par les sénateurs particulièrement impliqués en la matière.

Je suis, en effet, convaincu de la nécessité de travailler en étroite collaboration avec le Parlement sur les sujets européens, comme le traité de Lisbonne. Il y va de l’intérêt de chacun, afin de permettre une meilleure appropriation par la représentation nationale des enjeux européens, devenus déterminants.

Lors du conseil des ministres franco-allemand qui s’est tenu vendredi dernier à Fribourg et auquel j’ai participé a été réaffirmée la force du tandem franco-allemand face à la crise.

Le Conseil européen des 16 et 17 décembre intervient également à un moment stratégique, cela n’échappe à personne, et ce pour deux raisons.

D’une part, l’Europe fait face à la crise de l’euro et aux différents tests opérés par un certain nombre de spéculateurs sur sa monnaie. Ce Conseil européen doit être l’occasion pour elle d’affirmer une nouvelle fois sa détermination et sa capacité à progresser tout en se renforçant par rapport à ces tests.

D’autre part, politiquement, il s’agit d’un moment important, qui permettra à l’Union européenne de repartir à l’offensive, de montrer qu’elle est résolument en état de marche et qu’elle a la capacité, au-delà des difficultés, à avancer et à consolider ses instruments.

De ce point de vue, les enjeux du Conseil européen sont nombreux. Ils sont principalement concentrés sur la question de la monnaie unique et sur l’amélioration des mécanismes de défense de l’euro.

Avant d’entrer dans le détail de mon propos, je souhaite m’arrêter un instant sur le chemin parcouru en moins d’un an et demi.

Depuis sa création, l’euro avait un point de faiblesse, que plusieurs observateurs avaient d’ailleurs relevé : que se passerait-t-il si une crise conduisait un pays à l’attaquer ? Aucun dispositif de défense n’était à disposition.

Lorsque la crise grecque est survenue, l’Union européenne n’avait pas d’outil adéquat pour y faire face. Elle a mis environ six mois à mettre en place un plan de réaction. Lorsque la crise est intervenue en Irlande, cette fois-ci, l’Europe était prête et, en moins de quinze jours, l’ensemble des forces composant plus spécifiquement les pays impliqués dans le domaine de l’euro ont été capables de réagir et d’élaborer un plan de défense, et ce aussi rapidement que les États-Unis.

Le Conseil européen des prochains jours permettra de donner une visibilité, au-delà de la gestion des crises les unes après les autres, à la détermination des pays de l’Union européenne.

Oui, malgré les difficultés, l’Europe avance ! En un an et demi, elle a accompli un chemin considérable.

Les enjeux du Conseil européen sont principalement concentrés sur la politique économique.

La mise en place d’un mécanisme pérenne de gestion des crises est un signal fort. Elle montre que l’Europe est prête à se doter collectivement des moyens pour se protéger. Elle indique également que l’Europe ne se contente pas de réagir aux crises les unes après les autres, mais que, crise après crise, elle tire des leçons, afin de sortir des épreuves auxquelles elle est confrontée plus forte qu’elle ne l’était antérieurement à ces dernières. Elle montre enfin que l’Europe est prête à se donner des moyens pour se protéger et pour préparer l’avenir.

Quand un pays est attaqué, comme ce fut le cas de l’Irlande, c’est aussi la monnaie de la France, de l’Allemagne, de l’ensemble des pays de l’Union européenne qui composent l’Eurogroupe qui est touchée.

L’Union européenne doit accompagner ses différents États membres en ne laissant personne au bord du chemin.

Je tiens en cet instant à saluer le rapport très prometteur, fouillé et détaillé remis par le sénateur Jean-François Humbert. Il nous permettra d’avancer sur les normes de régulation à l’échelle européenne.

Ce Conseil montrera la capacité de l’Europe à agir en amont. De ce point de vue, l’Eurogroupe a trouvé un accord le 28 novembre sur les contours du futur mécanisme européen de stabilité. Vous le savez, le Président de la République a mené d’intenses consultations pour y parvenir, en lien avec Angela Merkel. M. Herman Van Rompuy a indiqué qu’il soumettra au Conseil européen une proposition de révision du traité tenant compte des travaux de l’Eurogroupe. Cette proposition de révision sera la plus simple, la plus efficace et donc la plus rapide possible à transposer.

Par ailleurs, les travaux menés par M. Michel Barnier vont également dans le bon sens. Ils doivent nous permettre de renforcer la régulation, notamment celle du secteur bancaire.

Vous relèverez, mesdames, messieurs les sénateurs, puisque ce sujet a été évoqué devant vous, que ce mécanisme européen de stabilité, sur lequel l’Eurogroupe s’est entendu, comporte également une participation des créanciers. Ainsi, à partir de 2013, chacun sera mis face à ses responsabilités.

J’en viens à la gouvernance économique, qui repose sur une conviction simple que nous sommes plusieurs à partager : l’euro ne pourra pas être une monnaie stable et durable sans un renforcement de la gouvernance économique à l’échelle européenne. Voilà seulement quelques mois, cette idée, que seule la France osait défendre, était taboue. Aujourd’hui, la très grande majorité des pays de l’Union européenne en reconnaît la nécessité absolue. Elle a fait l’objet d’échanges entre le Président de la République et Angela Merkel à Fribourg.

Le Conseil européen a repris à son compte les conclusions du groupe Van Rompuy. Il va être saisi d’un rapport sur l’état d’avancement de ces travaux. Nous attendons, pour notre part, que toutes les orientations et rien que les orientations fixées par le Conseil européen du mois d’octobre dernier soient respectées. Par ailleurs, la gouvernance économique ne doit pas se réduire à des sanctions ; elle doit rendre possible une vision à 360 degrés et ainsi, étape après étape, avancer à l’échelon européen.

J’ajouterai quelques mots sur le budget de l’Union européenne pour 2011. Ce dossier a fait partie des premiers auxquels je me suis attelé. La non-adoption de ce budget serait catastrophique pour notre pays. La bascule sur le système des douzièmes provisoires aurait, pour la France, un coût de trésorerie de 2 milliards d’euros et des conséquences sur la politique agricole commune, notamment.

Au-delà des enjeux de budget et de trésorerie, il s’agissait d’une question symbolique. Nous le ressentons tous, à l’heure actuelle, certains veulent tester l’Union européenne et noircir, en quelque sorte, sa capacité à agir et à progresser.

Il était symbolique de montrer que, dans cette période de crise, nous ne cédions pas aux différentes institutions, et que chacun était capable de faire un bout du chemin, d’assumer sa part de responsabilité, pour permettre l’adoption d’un budget pour 2011 allant dans le sens de l’intérêt communautaire.

Nous nous sommes battus pour ce budget et le rapport de Denis Badré montre bien le rôle majeur que jouent les Parlements nationaux dans son élaboration.

Là encore, en quelques mois, grâce à une mobilisation collective, un chemin important a été parcouru. Le projet a été approuvé par le Conseil le 10 décembre et j’ai bon espoir qu’il le soit par le Parlement européen le 15 décembre.

Ce budget repose sur un bon équilibre. L’Union européenne montre qu’elle prend en compte les enjeux budgétaires. Personne ne comprendrait que les efforts effectués par les États afin d’assurer une meilleure gestion de leurs finances nationales ne soient pas partagés par l’Union européenne.

L’enjeu est autre. Il s’agit de montrer que l’Europe est capable de dépenser modérément tout en étant plus efficace. Maîtriser les dépenses ne signifie pas revoir à la baisse les ambitions européennes, mais implique, au contraire, de dépenser mieux.

Après ces questions de politique économique, qui, vous le constatez, sont majeures à l’occasion de ce Conseil européen, j’évoquerai l’état des travaux conduits par Mme Ashton.

Il est crucial – et ce sujet a été évoqué lors de l’audition devant la commission des affaires européennes du Sénat –, de rester très vigilant sur les relations de l’Union européenne avec ses grands partenaires stratégiques.

Durant cette période, l’Union européenne doit nous protéger et nous permettre d’être à l’offensive dans les relations avec la Chine, la Russie et les États-Unis.

Notre travail conjoint consiste à identifier, au-delà des intérêts nationaux, des intérêts communs aux Européens qui seront, ensuite, défendus collectivement par l’Europe.

Enfin, le Conseil européen pourrait être invité à accorder au Monténégro le statut de candidat à l’Union européenne. Nous avons la conviction que les processus d’élargissement et les négociations d’adhésion doivent être conduits avec la plus grande exigence et une extrême rigueur.

Il ne s’agit pas d’outils de communication ou de variables d’ajustement pour envoyer des signaux positifs ou sympathiques à tel ou tel. Ces questions sérieuses mettent en jeu la capacité de l’Union européenne à agir et à avancer.

Ce Conseil est, pour nous, un rendez-vous décisif. Il peut être le point de bascule après cette année 2010, qui a été une année d’épreuves au cours de laquelle certains ont voulu tester l’Union européenne et ont fait preuve de scepticisme systématique.

La présente crise nous montre que, face à des pays continents comme la Chine, l’Inde ou le Brésil, face à des défis comme celui du développement durable ou face à des pressions telles que celles que peuvent exercer les marchés financiers, l’Union européenne est une question de bon sens.

Ce Conseil européen doit nous permettre de réaffirmer ce principe, tout en montrant une Union européenne en état de marche et capable, de nouveau, de repartir à l’offensive. (Applaudissements sur les travées de lUMP. – M. Jacques Mézard applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la situation de la zone euro est présentée de façon de plus en plus alarmante.

Il faut, bien sûr, faire la part de l’appétit, bien connu, des médias pour les mauvaises nouvelles. Il faut également tenir compte de la manière dont fonctionnent les marchés financiers, avec ces rumeurs et ces analyses, parfois fantaisistes, qui suscitent des mouvements de cours incessants et alimentent la spéculation.

Si nous voulons avoir une vue plus exacte de la situation de la zone euro, il faut prendre un peu de recul.

Voilà moins d’un mois, Eurostat a publié les statistiques relatives aux finances publiques au sein de la zone euro. En 2009, la dette publique et le déficit public ont atteint en moyenne respectivement 79,2 % et 6,3 % du PIB.

Confrontons ces chiffres à ceux des deux grandes zones comparables : les États-Unis et le Japon.

Dans la même période, aux États-Unis, la dette publique et le déficit se sont élevés à 84 % et à 7,3 % du PIB, pourcentages supérieurs à ceux de la zone euro. Au Japon, ils ont atteint 190 % et 9 % du PIB.

Ainsi la situation des finances publiques dans la zone euro est assurément très difficile, mais elle est similaire à celle des zones monétaires auxquelles elle peut être comparée, et même plutôt meilleure.

Il faut également rappeler que, même aujourd’hui, l’euro se situe par rapport au dollar 13 % au-dessus de son cours d’introduction. Ce n’est donc pas une monnaie faible ! Pourtant, cela n’empêche pas des commentaires inquiets chaque fois que l’euro se rapproche d’une parité raisonnable.

Alors, pourquoi ces pronostics aussi sombres sur la zone euro, dont on annonce régulièrement l’éclatement ? La réponse me paraît assez évidente. En raison d’une intégration beaucoup moins forte, la zone euro a laissé se développer en son sein des stratégies économiques divergentes, parfois même dangereuses, et nous payons le prix de ce manque de cohérence. Sa situation n’est pas pire que celle des zones comparables, mais elle prête davantage le flanc à la spéculation. Elle permet une spéculation pays par pays, avec le risque d’un effet domino qui verrait les plans de sauvetage se succéder, car nous savons bien que, après la crise qu’ont connue la Grèce et l’Irlande, la liste n’est pas obligatoirement close.

Nous subissons les conséquences de la manière dont la zone euro a été conçue ou, plus exactement, de la façon dont elle n’a pas été conçue : elle n’a pas été prévue pour prévenir les crises, et moins encore pour y faire face.

Le problème est né, au moins en partie, de la manière dont l’Europe se construit. Les caractéristiques de la zone euro sont le résultat d’une négociation diplomatique, et non la traduction d’une conception d’ensemble cohérente. De là découlent des faiblesses qui sont apparues au grand jour : l’absence d’un mécanisme efficace de coordination économique et budgétaire, l’interdiction de renflouer un État, la fameuse clause de no bail out, qu’il a bien fallu contourner, enfin, une définition des missions de la Banque centrale européenne orientée uniquement vers la lutte contre l’inflation, ce qui n’encourage pas les anticipations de croissance.

Il est aisé, en s’appuyant sur ces constats, de se livrer aux pronostics les plus sombres. Pourtant, fait majeur, après chaque pic de crise, l’Europe a su se ressaisir. Ainsi, lors de la crise bancaire de 2008, c’est elle qui a montré la voie. Ensuite, elle a su faire face aux crises grecque puis irlandaise. Enfin, elle a entrepris de réformer en profondeur sa gouvernance économique et de se doter d’un fonds pérenne de gestion des crises.

Quoi que l’on en dise, la direction retenue est la bonne. Encore faut-il aller suffisamment vite. Avec la mondialisation, les évolutions économiques, et plus encore les mouvements sur les marchés, sont extraordinairement rapides. L’Europe donne parfois le sentiment de prendre son temps, alors qu’elle ne l’a pas. C’est pourquoi le Conseil européen devra avant tout montrer que la réforme de la gouvernance et la création du mécanisme de stabilité sont désormais sur des rails. Les hésitations, les petites phrases des uns et des autres sont un luxe, qui n’est plus dans les moyens de l’Europe. Aucun État membre ne s’en tirera au détriment des autres : chaque fois que la cohésion européenne s’affaiblit, il n’y a que des perdants.

Cela suppose, notamment, de mettre fin aux mauvais procès qui sont faits ici et là à l’Allemagne. Est-ce un défaut que d’être compétitif ? Ne faudrait-il plutôt s’inspirer de ce modèle ? Est-il scandaleux que l’Allemagne, qui a le rôle le plus important dans les mécanismes de garantie mutuelle, demande que l’on ne laisse pas se reproduire les phénomènes qui nous ont menés à la situation actuelle, et qui conduisent à l’appeler à l’aide aujourd’hui ? Il est commode, quand on est surendetté, de désirer la mutualisation des dettes et de dénoncer un manque d’« esprit européen », alors que cette idée ne suscite pas l’enthousiasme !

En réalité, nous ne progresserons dans la solidarité européenne que si chacun balaie devant sa porte, au lieu de donner le sentiment qu’il compte sur les autres pour le faire.

L’Europe est un groupement d’États qui repose sur la confiance mutuelle, mais la confiance se mérite. Aucun mécanisme européen ne dispensera les pays membres, à commencer par la France, de procéder aux réformes qui remettront leurs finances en ordre et leur rendront leur compétitivité. Lorsque tout le monde aura le sentiment que chacun prend sa part de l’effort, alors la mutualisation sera bien plus facile.

La construction européenne est aujourd’hui à l’épreuve. C’est le moment de lui appliquer la formule de Nietzsche : « Tout ce qui ne me tue pas me rend plus fort ». Je suis persuadé, pour ma part, que l’Europe sortira finalement renforcée de cette crise, qui aura fait prendre conscience aux Européens qu’ils ont définitivement partie liée. (Applaudissements sur les travées de lUMP. – MM. Denis Badré et Jacques Mézard applaudissent également.)

M. Laurent Wauquiez, ministre. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Conseil européen des 16 et 17 décembre sera principalement consacré à la mise en place d’un mécanisme permanent de gestion des crises de la zone euro.

Afin de tirer les leçons des crises, grecque hier, irlandaise aujourd’hui, et de prévenir tout risque pour la stabilité de la zone euro, il est indispensable de pérenniser le mécanisme de gestion des crises et d’aller, comme l’a souligné le président de la commission des affaires européennes, vers une véritable gouvernance économique européenne, que la France appelle de ses vœux depuis déjà plusieurs années.

Ces réformes, qui exigent une révision du traité de Lisbonne, représentent l’évolution la plus importante des règles économiques en Europe depuis la mise en place de l’euro.

Et on le constate une nouvelle fois : lorsque l’Europe avance, c’est à la suite d’un accord entre la France et l’Allemagne. Je tiens à cet égard à dénoncer ici les discours irresponsables de ceux qui n’ont de cesse de mettre en avant les risques de contagion et de faillite de la monnaie unique.

Je voudrais rappeler la solidarité dont a fait preuve l’Europe, et en premier lieu la France et l’Allemagne, à l’égard de la Grèce et de l’Irlande.

En réalité, il importe d’engager les économies européennes sur la voie du redressement de leurs finances publiques et d’éviter en particulier tout décrochage de compétitivité entre notre pays et notre voisin allemand.

Je concentrerai mon propos sur les sujets de politique étrangère, qui intéressent directement la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

Si l’intégration européenne connaît actuellement d’importantes avancées en matière économique, en revanche, dans le domaine de politique étrangère et de défense, les choses progressent plus lentement, et c’est un euphémisme !

Lors du prochain Conseil européen, la Haute Représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Lady Ashton, devrait présenter un rapport sur les relations entre l’Union européenne et ses partenaires stratégiques, comme les États-Unis, la Russie et la Chine.

D’ici à une vingtaine d’années, l’Europe ne représentera plus que 6 % des habitants de la planète. Elle risque ainsi d’être marginalisée sur la scène internationale, face aux États-Unis, à la Chine et aux autres puissances émergentes.

Il est donc indispensable que l’Union européenne renforce ses relations avec ses principaux partenaires, qu’il s’agisse de ses relations diplomatiques, de ses échanges commerciaux ou de ses approvisionnements énergétiques.

Or, malgré la succession de sommets entre l’Union européenne et les pays tiers, une impression domine : l’Union ne parvient pas à définir une véritable stratégie au regard de ses principaux partenaires.

Le maigre bilan du sommet entre l’Union européenne et les États-Unis ou les timides avancées enregistrées lors du dernier sommet entre l’Union européenne et la Russie semblent confirmer ce constat. Et je pourrais faire la même observation au sujet de l’Inde ou de la Chine.

D’une manière générale, que ce soit avec ses grands partenaires ou avec les États-Unis et le Moyen-Orient, par exemple, l’Europe peine à parler d’une seule voix. Le principal défi qu’elle doit relever concerne la crédibilité. Il est donc impératif de mieux définir nos intérêts, nos priorités et la manière dont l’Union européenne devrait négocier avec ses principaux partenaires.

Avec le traité de Lisbonne, l’Union européenne dispose certes de nouveaux instruments, en particulier le poste de président stable du Conseil européen, celui du Haut Représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et, désormais, le service européen pour l’action extérieure.

Toutefois, l’Union européenne ne parviendra à faire entendre sa voix, à être une puissance au regard de la mondialisation, que si une réelle unité existe entre les Européens, condition première d’une politique étrangère commune.

Comme j’ai pu le constater lors d’un récent déplacement au siège de l’Organisation des Nations unies, l’ONU, l’Union européenne a connu un sérieux revers devant l’Assemblée générale des Nations unies, puisqu’elle s’est vu refuser, le 14 septembre dernier, la possibilité, pourtant prévue par le traité de Lisbonne, de s’exprimer en tant que telle dans cette enceinte, comme le faisaient jusqu’à présent les représentants de la présidence semestrielle. Or cela aurait permis de renforcer la visibilité politique et l’efficacité de l’Union européenne au sein des Nations unies. La leçon est claire : à l’ONU, l’Union européenne n’est pas considérée comme une puissance ; elle n’inspire pas le respect.

Monsieur le ministre, de votre point de vue, quelles sont les raisons de cet échec et quelle stratégie les États membres entendent-ils suivre pour renforcer la position de l’Union européenne au sein de l’ONU ?

Je souhaite maintenant dire un mot à propos du Monténégro et de l’élargissement de l’Union européenne aux pays des Balkans occidentaux.

Le Conseil européen devrait décider s’il accorde, ou non, le statut de pays candidat au Monténégro, comme le recommande la Commission européenne. La France est-elle prête à donner son accord ? Plus généralement, quelles perspectives se dessinent actuellement à propos du processus de rapprochement des pays des Balkans occidentaux avec l’Union européenne ?

Enfin, avec la crise économique, l’on constate que la réduction des budgets de défense en Europe s’accentue, en total décalage avec les évolutions observées partout ailleurs dans le monde, notamment en Asie et au Moyen-Orient. L’effort de défense fait partie intégrante de la stratégie de puissance des grands pays émergents. Dans ces conditions, l’Europe ne risque-t-elle pas de perdre progressivement tout moyen de peser sur la scène internationale ?

À cet égard, je me félicite des récents accords franco-britanniques intervenus en matière de défense. Le renforcement de la coopération entre la France et le Royaume-Uni, pays qui représentent à eux seuls la moitié des dépenses militaires de l’Europe, constitue une avancée majeure et un exemple concret d’une coopération européenne souple et pragmatique, appuyée sur une vision commune.

Avec les commissions chargées de la défense à l’Assemblée nationale, à la Chambre des Communes et à la Chambre des Lords, nous venons d’ailleurs de créer un groupe de suivi de cette coopération bilatérale de défense.

Monsieur le ministre, quel est le point de vue de la France sur la proposition germano-suédoise visant à recenser les différentes capacités qui pourraient faire l’objet de mutualisations en Europe ? Il ne faudrait pas, en effet, que cette initiative se traduise par une simple gestion de la pénurie. Il faut au contraire qu’elle s’inscrive dans la perspective d’une réelle amélioration des capacités militaires européennes, en lien avec les ambitions d’une véritable politique de défense commune.

Je souhaite aussi connaître votre sentiment sur le suivi parlementaire de la politique de sécurité et de défense commune.

Le Sénat a adopté une résolution dans laquelle il estime indispensable que la disparition de l’assemblée de l’Union de l’Europe occidentale soit subordonnée à la mise en place d’une structure permettant aux parlements nationaux d’exercer un suivi effectif et régulier des questions de défense à l’échelon européen.

Notre conviction est que les parlements nationaux doivent avoir leur mot à dire sur les questions de défense, car ce sont eux qui votent les budgets ou qui autorisent l’envoi de troupes à l’étranger. Si nous ne parvenions pas à un accord à vingt-sept sur une structure à la fois souple et efficace, pourquoi ne pas imaginer une coopération sur une base volontaire entre les parlements qui souhaiteraient s’y associer ?

Comme nombre d’entre nous, j’ai la conviction que la politique étrangère et de la défense est un domaine dans lequel il est désormais impératif d’avancer. Les citoyens attendent une affirmation de l’Europe dans ces matières, affirmation nécessaire à l’équilibre d’un monde multipolaire. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de lUMP. – MM. Denis Badré et Jacques Mézard applaudissent également.)

M. le président. J’indique au Sénat que la conférence des présidents a décidé d’attribuer un temps de parole de huit minutes aux porte-parole de chaque groupe politique et de cinq minutes à la réunion des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

Le Gouvernement répondra ensuite aux commissions et aux orateurs.

Puis les sénateurs pourront, pendant une heure, prendre la parole – deux minutes au maximum – dans le cadre d’un débat spontané et interactif comprenant la possibilité d’une réponse du Gouvernement ou de la commission des affaires européennes.

Dans la suite du débat, la parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires européennes, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, après la Grèce au printemps dernier, l’Irlande vient de solliciter une aide européenne pour financer sa dette. À qui le tour demain ? À l’Espagne qui vient de lancer un vaste plan pour alléger sa dette publique ou au Portugal qui vient d’adopter son troisième plan d’austérité ? La France risque-t-elle de suivre ? Nombre de nos concitoyens se posent cette question.

Contrairement à la Grèce dont le sauvetage fut laborieux, l’Union européenne a su cette fois apporter sans délai un soutien au gouvernement irlandais. Sans doute faut-il s’en féliciter, mais chacun sent bien que ce qui se joue aujourd’hui, c’est la capacité de celle-ci à opposer une réponse forte et durable aux marchés financiers.

En attaquant la dette souveraine des pays les plus fragiles de la zone euro, les marchés financiers contribuent encore un peu plus à creuser l’écart entre les économies européennes. Au fond, ces réactions en chaîne révèlent l’existence d’une zone euro à plusieurs vitesses : d’un côté, les économies industrielles à forte intensité technologique qui ont des excédents, telle l’Allemagne ; de l’autre, les pays dont les exportations sont plus sensibles à la concurrence par les prix et qui accumulent des déficits publics ou privés, comme la France ou les pays méditerranéens. Les taux auxquels sont financés ces derniers se sont envolés, atteignant 5 % à 6 %, quand l’Allemagne emprunte à un taux de 2,6 %.

Les marchés seraient-ils en train de reconstituer une « zone mark » ? Certains analystes financiers plaident déjà pour la sortie des maillons faibles de la zone euro. L’insuffisance de coordination des politiques économiques et budgétaires est un constat récurrent depuis la création de l’euro.

Les décisions qui seront prises lors du prochain Conseil européen pèseront lourd sur l’avenir. Le Conseil doit examiner les grandes lignes du mécanisme permanent de gestion des crises et faire le point sur les propositions législatives de la Commission européenne dans ce domaine.

Pour nous, plusieurs interrogations demeurent et font douter de la capacité de l’Europe à apporter une réponse adaptée à la crise. Pourtant, l’enjeu se situe là.

Il est proposé de durcir le pacte de stabilité en prenant mieux en compte la dette dans le mécanisme de surveillance budgétaire. Cela relève du bon sens. Toutefois, il faut sans doute distinguer le déficit structurel et le déficit lié à l’investissement dans le capital humain, c'est-à-dire l’éducation et la formation, ou encore dans l’innovation et la recherche. En d’autres termes, il convient de faire le départ entre le bon déficit et le mauvais. Par ailleurs, quelle sera la norme de dette acceptable ? Pour la France, porter la dette à 60 % du PIB avec un plafonnement du déficit budgétaire à 3 % signifie un excédent annuel de 1,25 % du PIB pendant vingt ans.

Sur les sanctions à l’encontre d’un État qui ne respecterait pas le pacte de stabilité, le groupe de travail d’Herman Van Rompuy défend la notion de majorité inversée, mettant en exergue qu’il n’y aura plus d’automaticité en l’espèce, dans la mesure où une proposition de la Commission européenne au Conseil européen de sanctions dans le cadre du pacte de stabilité devra désormais être rejetée à la majorité qualifiée. Cela réintroduit quelque peu le politique au cœur du dispositif, mais quelle sera l’étendue de ces sanctions ? Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce n’est pas très clair ! La task force propose des sanctions progressives : dépôt sur un compte bloqué rémunéré, puis non rémunéré avant une amende. Cette palette nous paraît peu crédible et s’inscrit dans une vision technocratique.

Que dire de la proposition de la Commission européenne de partager le montant des amendes entre les États les plus prospères ? On croit rêver ! Que dire aussi de l’idée de sanctions politiques abordée au sommet de Deauville ? Monsieur le ministre, souhaitez-vous vraiment ouvrir la boîte de Pandore de la modification du traité ? En quoi la suspension des droits de vote d’un État se différencie-t-elle fondamentalement de la proposition d’exclusion d’un pays de la zone euro ?

Nous aimerions des précisions sur tous ces points. Bien sûr, les membres du RDSE reconnaissent que des avancées ont été obtenues sur la surveillance des politiques économiques et la coordination des budgets nationaux. « L’Europe se fera dans les crises », écrivait Jean Monnet dans ses Mémoires. De fait, la crise financière et économique aura eu au moins le mérite de remettre dans l’agenda européen la question de la gouvernance économique.

Aujourd’hui, on a encore le sentiment que cette gouvernance s’inspire d’une vision allemande, c’est-à-dire a minima, réduite à la question du seul déficit : rien sur les perspectives d’harmonisation fiscale, rien pour doter l’Union européenne d’un budget à la hauteur des enjeux ou lui conférer une capacité d’emprunt, et je ne parle même pas d’une approche volontariste dans le domaine social. Pourtant, le défaut de convergence sur tous ces points aboutit à une confrontation économique qui ne fait que des perdants, fragilise l’euro, entraîne ou risque d’entraîner l’Europe dans le déclin.

Quand Jean-Claude Trichet dénonce l’insuffisante rigueur du dispositif annoncé, il est, comme l’a déclaré Jean-Pierre Chevènement, dans son rôle de « pape de l’orthodoxie néolibérale ». Nous pensons que les efforts demandés à certains pays sont difficilement soutenables économiquement et socialement. Comment un État surendetté peut-il retrouver une perspective de croissance durable dans un contexte d’euro fort, sans marge de relance budgétaire et avec une concurrence européenne et internationale agressive ?

Selon nous, l’Europe ne doit pas seulement surveiller et sanctionner ; elle doit aussi relancer et promouvoir ! Or elle piétine sur une stratégie de croissance. Cela a été rappelé : sur ce plan, la zone euro est la lanterne rouge ! Après l’échec de la stratégie de Lisbonne, la nouvelle stratégie Europe 2020 propose des objectifs communs, recentrés et clairement évalués. Toutefois, soyons réalistes, elle ressemble plus à un catalogue d’incantations qu’à une volonté commune.

Selon nous, il est nécessaire de développer une politique ambitieuse de relance par l’investissement public. Il serait souhaitable de mutualiser les efforts nationaux sur de grands projets dans les domaines de la recherche, de l’innovation, de l’énergie, des infrastructures de transport et même de la défense. C’est le seul moyen d’atteindre une masse critique, gage d’efficacité. Les réformes proposées n’ouvrent, hélas ! aucune perspective dans ce sens, ou si peu ! Elles révèlent surtout un manque d’ambition et de volonté politique.

Une réflexion sur les ressources communautaires, sur le niveau du budget et sur les possibilités d’emprunt s’impose dans le cadre des négociations sur les perspectives financières d’après 2013.

Enfin, j’évoquerai brièvement la pérennisation du mécanisme de stabilisation financière pour venir au secours de pays qui pourraient faire défaut à l’avenir. S’il semble acquis que le secteur privé y contribuera, de quelle manière et à quelle hauteur ? Les banques ont bénéficié de l’argent public, pour des montants considérables, et certaines ont réalisé depuis d’énormes profits sans aucune contrepartie. Monsieur le ministre, que propose la France pour enfin les responsabiliser ? Je n’ose dire les moraliser.

Pour conclure, le Conseil européen du mois d’octobre dernier a lancé des pistes qui doivent être précisées et concrétisées, mais qui demeurent insuffisantes. Il est urgent de dégager l’Europe de la tutelle des marchés financiers, ce point est presque unanimement reconnu. Cela suppose notamment de faire jouer un autre rôle à la Banque centrale européenne. Pourquoi ne pas avoir envisagé la mutualisation d’une partie des dettes souveraines, de même que le recours aux bons européens placés sur le marché au même taux ? La véritable gouvernance économique, celle que les membres du RDSE appellent de leurs vœux, implique une politique de convergence des marchés du travail, des systèmes de retraites, de la politique fiscale. Nous considérons que le moment est venu de changer les règles du jeu du système économique européen, en accord avec nos partenaires, dans le sens d’une politique de relance. (M. le président de la commission des affaires européennes et M. Pierre Fauchon applaudissent.)