Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’article 7 revêt une importance capitale, car il porte sur la création de la « Société du Grand Paris », dotée d’un statut un peu particulier, puisqu’il s’agit d’un établissement public industriel et commercial, comme tous les établissements publics d’aménagement, même si elle n’est nulle part définie concrètement comme un établissement public d’aménagement.

Et pour cause : la gouvernance de cette nouvelle structure, telle qu’elle nous est proposée, est fondamentalement différente de celle de ces établissements spécifiques. Une nouvelle fois, vous nous proposez d’adopter un article créant un ovni juridique. Je vous avoue que nous ne pouvons pas comprendre votre démarche.

En effet, vous avez légitimé la réforme des collectivités locales par l’obsolescence et l’inefficacité du « mille-feuille territorial ». Pourtant, je l’ai déjà dit lors de mon intervention dans la discussion générale, ce projet de loi ajoute une nouvelle structure, concurrente à la région et au Syndicat des transports d’Île-de-France, structure absolument technocratique, dotée de compétences ôtées à des structures qui, elles, sont démocratiques.

Cet établissement public aura « pour mission principale de concevoir et d’élaborer le schéma d’ensemble et les projets d’infrastructures composant le réseau de transport public du Grand Paris », en totale indépendance du Syndicat des transports d’Île-de-France, le STIF, autorité organisatrice des transports en Île-de-France. Le STIF sera simplement consulté, aux termes de l’article 3 de ce projet de loi.

En outre, il n’est nulle part écrit que ce schéma doit être compatible avec le schéma directeur de la région d’Île-de-France, le SDRIF ; c’est même du contraire qu’il s’agit, puisque les projets menés par cette société seront qualifiés de projet d’intérêt général et obligeront donc la région à modifier son schéma directeur.

Comment ne pas voir que ce montage juridique représente, en termes d’aménagement, une arme particulièrement efficace – redoutable, dirai-je même – pour contourner la région et remettre aux mains d’une société contrôlée par l’État l’aménagement de l’Île-de-France. Nous ne pouvons accepter ce coup de force !

Ainsi, il est également précisé que « l’établissement public “ Société du Grand Paris ” peut conduire des opérations d’aménagement », en dehors de tout accord des collectivités concernées, dans le périmètre des zones sur lesquelles celles-ci disposent du droit de préemption. À quoi bon organiser un débat public, puisque, sur le fond, la « Société du Grand Paris » pourra tout, en dépit de la volonté des collectivités et des Franciliens ? Nous estimons que ce déni de démocratie est inacceptable.

Par ailleurs, cet ovni juridique pourra rapidement se transformer en nébuleuse puisque, non content de lui conférer des pouvoirs immenses, le projet de loi prévoit que ceux-ci pourront être étendus au gré de la volonté des collectivités territoriales ou de l’État, sous réserve qu’il s’agisse d’une mission d’intérêt général connexe.

Les travaux de la commission spéciale ont ajouté une nouvelle compétence à celles que le projet de loi confie à cette société, à savoir « une offre de transport de surface permettant la desserte des gares du réseau ». Comment ne pas y voir un autre empiétement majeur sur les compétences du STIF ?

De plus, sachant que le principal souci de la « Société du Grand Paris » sera de permettre le financement de la « double boucle », sa capacité à mener des opérations d’aménagement nous fait craindre la mise en œuvre d’une spirale spéculative liée à une chenille d’expropriations et d’urbanisation sur le tracé du Grand huit, en dehors de toute réflexion sur la nécessaire maîtrise de l’étalement urbain. Il s’agit en effet du plus sûr moyen de créer un nouveau périphérique, rejetant les couches les plus défavorisées encore plus loin du centre de la métropole. On parle beaucoup du désenclavement de Clichy-sous-Bois et de Montfermeil, vous voyez ce que je veux dire par là !

Pour en finir avec l’ineptie de la création de la « Société du Grand Paris », j’ajoute que celle-ci pourra créer des filiales, sans que leurs modalités de création ni leur composition soient définies par ce projet de loi. Elle pourra également déléguer, par voie de convention, sa mission d’aménagement à toute personne publique comme privée, ce qui, concrètement, autorise, à terme, une privatisation de l’aménagement en Île-de-France. Nous considérons, pour notre part, que les questions liées à l’aménagement urbain en Île-de-France sont des questions politiques qui intéressent prioritairement les collectivités locales et leurs élus, représentants démocratiques des Franciliens.

En aucune manière, la confiscation des pouvoirs par la « Société du Grand Paris », bras armé de l’État, ne peut constituer un progrès ; il s’agit bien au contraire d’un net recul sur les principes portés par les lois de décentralisation. Ce projet s’insère pleinement dans la réforme des collectivités territoriales que vous voulez faire adopter, où les métropoles seront les outils les plus sûrs de dévitalisation des espaces démocratiques de proximité que sont les communes et les conseils généraux.

M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari, sur l’article.

Mme Bariza Khiari. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cet article institue la « Société du Grand Paris », ou SGP, sous forme d’un EPIC qui veillera à la construction du métro prévu par la loi et des gares idoines.

D’emblée, une question se pose : pourquoi créer un établissement spécifique quand plusieurs institutions gèrent déjà tant la création d’infrastructures de transport que la gestion du matériel roulant ? La région est tout à fait capable de construire ce métro et le STIF de gérer le matériel nécessaire à son exploitation.

Je suis assez surprise par cet empressement à multiplier les structures et les institutions. Alors que le Gouvernement se fait l’apôtre de la simplification territoriale, de la nécessité d’une meilleure lisibilité de l’action publique, voilà qu’il crée une organisation doublon, dans l’unique but de réaliser une ligne de métro.

Nous sommes dans la contradiction pure ! Deux organismes censés dialoguer par je ne sais quel miracle vont gérer l’évolution des réseaux d’Île-de-France : la région d’Île-de-France et la Société du Grand Paris.

À la suite du travail de la commission, la SGP devra tenir compte des lignes existantes, ainsi que des lignes prévues, et également favoriser les interconnexions entre les différents réseaux. Si l’on veut un réseau interconnecté, géré efficacement et peu coûteux, il vaut mieux une seule organisation pour chapeauter les différentes opérations qu’une structure supplémentaire, car, dans ce dernier cas de figure, chaque partie considérera toujours l’autre avec défiance. Des actions coordonnées sont préférables à une lutte de pouvoir sans fin.

Le présent article ouvre la voie à ces querelles, et ce d’autant plus que certains amendements, sur lesquels je ne reviendrai pas, mettent à mal le projet régional. Les Franciliens doivent-ils devenir les otages d’une volonté autocratique de l’État, à rebours des évolutions conceptuelles de l’aménagement de ces dernières décennies ? Ce n’est définitivement pas raisonnable, pas acceptable et pas souhaitable !

Si la majorité veut instituer la SGP, alors le président du STIF ou de la région d’Île-de-France doit être nommé à sa tête pour favoriser une réelle action concertée.

Plus encore, la SGP rogne de nombreuses prérogatives communales sous la protection du contrat de développement territorial. Nous sommes sceptiques sur les buts de cette manœuvre. Le Gouvernement cherche à recentraliser progressivement l’aménagement en n’hésitant pas, si besoin est, à priver les communes de leurs pouvoirs sur de vastes zones. Comment accepter ce qui est une mise au pas des compétences communales au profit d’un établissement étatique et technocratique ?

Ce déni démocratique, porté par un contrat qui sera négocié sous la pression d’une structure dont la gouvernance nous paraît discutable, ne peut en aucun cas nous satisfaire.

J’ajoute que la possibilité de créer des filiales nous inquiète réellement pour l’avenir : cela peut ouvrir la porte à une privatisation.

M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.

L'amendement n° 37 est présenté par Mmes Assassi et Gonthier-Maurin, M. Vera et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.

L'amendement n° 90 est présenté par MM. Collin et Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau et Vall.

L'amendement n° 246 est présenté par Mme Voynet, M. Desessard, Mmes Blandin et Boumediene-Thiery et M. Muller.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Jean-François Voguet, pour présenter l'amendement n° 37.

M. Jean-François Voguet. Comme vient de l’indiquer Éliane Assassi, nous abordons, avec cet article 7, un point central du projet de loi. Cet article est effectivement celui qui tend à créer la Société du Grand Paris et à définir ses missions et ses prérogatives.

La réalisation de la rocade souterraine de métro serait donc impossible sans la création de cette société toute puissante. C’est d’elle que tout procédera : elle élaborera le schéma d’ensemble, elle concevra chacun des projets d’infrastructures mettant en œuvre ce schéma et, bien que cela soit théoriquement facultatif, elle pourra directement conduire des opérations d’aménagement ou de construction.

Ainsi qu’il est fort justement dit dans le rapport, la mise en place de la SGP n’est rien d’autre que l’introduction d’un outil de pilotage créant une nouvelle strate de gouvernance, et cette strate vient s’ajouter à toutes celles qui existent déjà.

Selon nous, les structures qui ont vocation à réaliser un tel projet sont effectivement déjà en place. En Île-de-France, nombreux sont les établissements publics d’aménagement qui agissent au nom de la région ou même d’autres collectivités territoriales.

Ces établissements ont, par délégation, une légitimité démocratique que n’aura pas l’EPCI « Société du Grand Paris ».

Cette société sera un organisme technocratique dans lequel l’État aura un pouvoir de décision prépondérant, ses membres étant, pour la majorité d’entre eux, des représentants de l’État. En outre, son caractère industriel et commercial, plutôt que de pur aménagement, nous fait craindre que la défense des intérêts privés prenne le pas sur l’intérêt général.

La création de cet EPCI vise donc clairement à introduire un outil autoritaire de pilotage de l’aménagement de la région.

Se superposant au « mille-feuille territorial » tant décrié par votre majorité et le gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le secrétaire d’État, cette nouvelle strate de gouvernance autoriserait l’État à reprendre en main les instances délibératives élues, mais aussi à revenir sur les prérogatives dévolues à la région dans le cadre de la décentralisation.

Ce mode de gouvernance laisserait ainsi les mains libres au Gouvernement pour faire passer autoritairement un projet contestable et contesté, qui n’a d’ailleurs qu’un lointain rapport avec les grandes orientations définies par les élus régionaux à travers le schéma directeur de la région d’Île-de-France, le SDRIF. Ces projets sont en concurrence, ce que l’on comprend mieux quand on sait que l’État n’a pas toujours pris les dispositions pour faire entrer en vigueur le SDRIF.

C’est donc, mes chers collègues, pour une raison de fond que nous vous proposons cet amendement de suppression de l’ensemble de l’article 7.

M. le président. L'amendement n° 90 n'est pas soutenu.

La parole est à M. Jean Desessard, pour présenter l'amendement n° 246.

M. Jean Desessard. L’article 7 a pour objet de créer un EPIC nommé Société du Grand Paris.

Tout d’abord, je m’interroge sur la dénomination même de cet établissement : pourquoi choisir le terme de « société », qui fait forcément référence aux entreprises privées ?

Laissez-moi immédiatement vous dire, monsieur le secrétaire d’État, qu’il ne s’agit pas là d’une allusion personnelle. Vous nous avez bien expliqué hier que vous aviez été député, brillamment réélu, et je vous ai entendu.

Certains membres de la majorité, avec qui nous avons évoqué ce sujet, répondent que cette dénomination est importante en termes de rayonnement international. Nous revenons ainsi au concept de ville-monde.

Toutefois, mes chers collègues, le Gouvernement souhaite également que l’établissement public de Paris-Saclay ait un rayonnement international en tant que cluster comparable à la Silicon Valley. Pour autant, il a bien conservé la référence à un établissement public et ne l’a pas dénommé Société Paris-Saclay. Il y a là une petite contradiction…

Plus que cette dénomination, c’est l’architecture imaginée pour la Société du Grand Paris qui fait référence aux grandes entreprises du CAC 40 : la SGP est dotée d’un directoire et d’un conseil de surveillance, alors que les établissements publics sont normalement dirigés par des conseils d’administration.

Si, à l’instar de certains de nos collègues, nous proposons la suppression de cet article 7, c’est parce que nous ne comprenons pas pourquoi le pouvoir exécutif souhaite manifestement rendre inutiles l’ensemble des institutions existantes, qui permettent tout à fait de lancer un grand plan d’aménagement de la région d’Île-de-France si les moyens financiers sont suffisants.

Région, départements, communes et syndicats des transports sont des instances légitimes, démocratiques, compétentes et respectant un mode d’élection actualisé.

Comme nous l’avons évoqué, la mise en place de cette Société du Grand Paris est aujourd’hui le meilleur moyen pour l’exécutif de contourner la légitimité des institutions régionales et, plus symboliquement, le vote des citoyens, qui se sont clairement exprimés contre le projet de la majorité lors des dernières élections régionales en Île-de-France.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Pierre Fourcade, rapporteur. Ces deux amendements identiques visent à empêcher la création de la Société du Grand Paris. Cette proposition est tout à fait contraire à la position retenue par la commission. Par conséquent, celle-ci émet un avis défavorable sur ces amendements.

Je voudrais profiter de cette intervention pour faire deux observations.

Monsieur Voguet, j’ai été étonné de vous entendre dire dans votre intervention que, du fait du grand nombre de représentants de l’État dans le conseil de surveillance de la SGP, les intérêts privés seront favorisés. Je suis un peu choqué par cette affirmation et je crois que c’est un nouveau point de désaccord entre nous.

Par ailleurs, s’agissant de la remarque de M. Jean Desessard sur le terme de « société », je dirai qu’il existe en France un exemple d’EPIC dont la dénomination comporte ce terme : il s’agit de la Société nationale des chemins de fer français, la SNCF, et personne à ce jour n’a demandé que cet établissement prenne le nom d’« établissement public des chemins de fer ».

Mme Nicole Bricq. Elle est devenue un EPIC !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Christian Blanc, secrétaire d'État. À l’instar de M. le rapporteur, je relève avec une pointe d’humour le propos de M. Jean Desessard sur le terme de « société ». L’existence d’une Société nationale des chemins de fer français – la SNCF – ne semble poser de problème à personne !

Avec cet article 7, nous abordons effectivement la question de la Société du Grand Paris, et je pense, mesdames, messieurs les sénateurs, que, sur les amendements qui vont suivre, nous serons assez rarement d’accord avec un certain nombre d’entre vous.

En effet, depuis le début de l’examen de ce projet de loi, certains ne semblent pas avoir admis que la réalisation de la double boucle du métro automatique a été conçue comme une opération d’intérêt national, entrant dans le cadre des compétences qui sont celles de l’État dans ce projet du Grand Paris. Je me suis efforcé de l’expliquer dans mon exposé introductif ; je suis revenu sur ce point à plusieurs reprises ; j’ai été attentif aux arguments contradictoires qui ont été avancés. Néanmoins, il y a sur cette question des compétences, qui est fondamentale à nos yeux, une divergence d’appréciation.

Mme Éliane Assassi. Absolument !

M. Christian Blanc, secrétaire d'État. Nous pensons que les compétences de la région ne sont nullement mises en cause par ce projet d’intérêt national. Or, d’une certaine manière et tout en reconnaissant qu’il faut se réjouir de l’intervention de l’État, l’opposition ne semble pas admettre la compétence de ce dernier à porter un projet d’intérêt national. Cette question ne peut être traitée en quelques heures ou en quelques jours, mais reconnaissons qu’il y a là un problème.

J’en viens brièvement aux missions de la Société du Grand Paris, qui sont très simples.

Il s’agit, d’une part, de réaliser une infrastructure et de conduire, autour de cette infrastructure, notamment autour des gares, des opérations d’aménagement. Ces opérations s’inscriront en particulier dans le cadre des contrats de développement territorial qui le prévoiront. Cette fonction est extrêmement précise. Il s’agit, d’autre part, de porter le financement de l’infrastructure.

Enfin, je le dis à votre intention, monsieur Desessard, le dispositif est « biodégradable ».

M. Jean Desessard. Le tunnel ? (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Christian Blanc, secrétaire d'État. Une fois sa mission accomplie, la Société du Grand Paris disparaîtra et, comme je l’ai indiqué à plusieurs reprises, transmettra les dossiers relatifs aux ouvrages réalisés à la région, qui sera le seul gestionnaire.

J’ai entendu dire que la Société du Grand Paris serait gestionnaire…

M. Jean-Pierre Caffet. Nous n’avons jamais dit cela !

M. Christian Blanc, secrétaire d'État. Je l’ai entendu tout à l’heure, et c’est faux ! La Société du Grand Paris assurera la réalisation de l’infrastructure et, cette étape étant achevée, en transmettra la gestion à l’exploitant, c'est-à-dire au STIF.

M. Jean-Pierre Caffet. Avec les coûts de fonctionnement !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il y en a pour trente ans !

M. Christian Blanc, secrétaire d'État. Le délai pour la réalisation sera, je l’espère, de treize ans.

M. Jean-Pierre Caffet. Avec quel phasage ? (Sourires.)

M. Christian Blanc, secrétaire d'État. Nous n’allons pas recommencer…

En revanche, madame Borvo Cohen-Seat, tant que les territoires en développement le souhaiteront, la Société du Grand Paris continuera à mener un certain nombre d’actions. À la fin du remboursement des emprunts, soit une quarantaine d’années, elle n’aura effectivement plus de raison d’être.

La SGP est donc une structure dédiée, répondant à un objectif très précis : réaliser dans des délais les plus courts possible une opération d’intérêt national. Nous pourrons échanger des arguments sur ce point, mais il ne me semble pas nécessaire d’y revenir trop souvent, car nous divergeons et peinons à nous comprendre sur cette question.

M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 37 et 246.

M. David Assouline. Je voudrais faire quelques remarques sur l’état d’esprit qui préside à notre discussion.

Un débat a actuellement lieu sur la démocratie locale, la décentralisation et les collectivités territoriales, au cours duquel le Gouvernement n’a de cesse de répéter qu’il faut introduire de l’ordre et de la rationalité et lutter contre le millefeuille des structures. Monsieur le secrétaire d'État, nous l’avons déjà fait remarquer, n’est-il pas dès lors contradictoire d’ajouter la Société du Grand Paris aux organismes qui exercent déjà les mêmes compétences ?

En réalité, la contradiction n’est qu’apparente, puisque, comme vous ne pouvez pas abolir la démocratie locale et les autres institutions, vous avez créé non pas une structure de plus, mais une société qui, par ses prérogatives dans un certain nombre de domaines – transport, aménagement, foncier –, supplantera la région, les municipalités et le STIF. Effectivement, ce n’est pas un ajout au millefeuille, c’est bien pis !

Lorsqu’on sera d’accord avec cette structure, il n’y aura pas de problèmes ; lorsque ce ne sera pas le cas, elle continuera de toute manière à avancer, en ne recevant d’ordre de personne sinon de l’État, sans s’embarrasser de la démocratie locale. Je connais cette thèse selon laquelle la démocratie nuit à l’efficacité, car les procédures sont lourdes, nécessitent du temps : il faudrait aller vite pour devenir la ville-monde et ne pas se laisser distancer par les grandes métropoles qui, elles, avancent !

De ma petite expérience d’élu local, j’ai appris que la démocratie, lorsqu’elle est bien comprise, a toujours été un gage d’efficacité, même si cela n’est pas visible immédiatement : elle garantit des projets réfléchis, durables et concertés, sur lesquels il n’y aura pas de couacs.

Le Président de la République avait annoncé que, pour être à la hauteur de nos ambitions et faire avancer un certain nombre de projets, il allait falloir simplifier la complexité si française de nos règles administratives, qui fait que tout prend du temps, et nous ne pouvons qu’être tous d’accord avec lui. Effectivement, le fait qu’une crèche mette cinq ans pour sortir de terre ne permet pas de répondre à des demandes immédiates.

Mais au lieu de s’engager dans cette voie, qui suppose d’ouvrir un véritable chantier législatif, on multiplie les dérogations pour ne plus avoir à s’embarrasser de ces règles. C’est cette conception recentralisatrice autoritaire que vous portez ici, monsieur le secrétaire d'État, et qui, in fine – nous sommes prêts à en prendre avec vous le pari –, ne sera pas efficace et ne nous fera pas gagner de temps. Vous verrez que, à chaque fois que vous voudrez passer en force, des organes de la démocratie locale – municipalités, région, STIF – demanderont la parole, ce qui alourdira le processus. Au final, les projets seront mal réalisés parce qu’ils n’auront pas fait l’objet d’une concertation.

La société que vous nous proposez n’est ni efficace ni conforme à l’idée de la démocratie qui est la nôtre, elle est un outil de guerre de l’État contre la région. Ma seule note d’optimisme, c’est que l’État ne sera pas toujours gouverné par votre majorité et que, à un moment donné – bientôt, je l’espère –…

M. Yves Pozzo di Borgo. Rêvez, rêvez !

M. David Assouline. Non, monsieur Pozzo di Borgo, ce n’est pas un rêve, c’est le combat que je mène aujourd'hui ! À ce moment-là, vous rirez moins, car, l’État, avec cette société, respectera les prérogatives de la région et des organes de la démocratie locale.

M. le président. La parole est à M. Philippe Dominati, pour explication de vote.

M. Philippe Dominati. Monsieur le secrétaire d’État, je vous avais déjà fait part de mon scepticisme sur la création de cet établissement public. Mais j’ai également souligné qu’il recueillait une très large majorité, à commencer par la gauche, la défense des établissements publics étant généralement l’apanage de l’opposition dans cet hémicycle.

Ma conception est très différente de celle de M. Assouline. Je note que, lorsqu’il évoque l’alternance – elle viendra un jour ou l’autre, c’est le jeu de la démocratie –, il parle non pas de supprimer la Société du Grand Paris, mais de collaborer avec elle, de l’utiliser. Il reconnaît donc que, pour avancer, l’État doit disposer de ce type d’instrument. J’ai quelques doutes sur la question, mais si c’est le choix qui est fait, allons-y !

En cela, les amendements portant suppression de l’article ne sont pas pertinents, car, en réalité, leurs auteurs n’expriment qu’une seule crainte : que l’État ne collabore pas en toute impartialité avec la région. Pour ma part, je n’ai pas de raisons d’en douter. Je suis de ceux qui sont favorables à la décentralisation et qui ne veulent pas d’un régime d’exception pour la région capitale. Je l’ai dit clairement lors de la discussion générale, nous n’avons pas modifié le statut de Paris et créé le STIF pour opérer un retour en arrière. Cet article 7 n’est qu’un moyen, et tant mieux ; il ne m’inquiète donc pas !

En revanche, la réflexion de M. Desessard sur le terme de « société » est pertinente. J’ai d’ailleurs déposé un amendement sur ce point. Pourquoi avoir choisi une telle dénomination ? Pour moi, le conseil d’administration d’une société n’est pas majoritairement détenu par des agents de l’État. Monsieur le secrétaire d'État, vous avez fait une référence à la SNCF que j’estime quelque peu malheureuse, car elle nous renvoie au siècle dernier, à une période où, dans un certain nombre de pays, il était considéré comme tout à fait normal que des sociétés appartiennent à l’État. Ce n’est pas du tout ma vision d’une société contemporaine.

M. Desessard a donc raison de souligner qu’il n’est pas logique d’utiliser ce mot. Il ne faut pas tricher avec les mots : est-ce une société ou un établissement public ? Si c’est une société, elle doit évoluer comme telle, et il faudra alors que vous nous fassiez part du calendrier.

Mme Nicole Bricq. Vous les embarrassez, ils ne veulent pas le dire !

M. Philippe Dominati. Je le répète, ma conception de la société du futur n’est pas celle de la SNCF ou d’une société d’État de type collectiviste.

Monsieur le secrétaire d'État, nous avons évoqué les villes-monde. Vous le savez très bien, le système que vous mettez en place n’est appliqué dans aucune de celles que nous voulons égaler, alors essayons de nous adapter ! Mais à quoi bon avoir une vision d’avenir et utiliser un langage futuriste si c’est pour mettre en place un système archaïque ? Veuillez excuser la brutalité de mes propos, mais c’est bien de cela qu’il s’agit. Nos conceptions sont différentes. Pour ma part, j’estime que, pour ce type d’organisation, l’État devrait laisser faire les pouvoirs légitimes locaux.

Pour avancer, vous avez décidé d’utiliser ce type de structure ; alors employez au moins le bon terme ! La réponse que vous avez apportée à M. Desessard, à mon avis, est incomplète. Pour ma part, j’ai déposé un amendement qui sera discuté plus tard, mais j’estime qu’il faut appeler un chat un chat.

Pour l’instant, l’établissement public est un instrument d’aménagement du territoire dont dispose l’État dans un but précis. Je note que la gauche n’a, à aucun moment, évoqué la suppression de la Société du Grand Paris en cas d’alternance. Nous verrons bien l’utilisation qui en sera faite.

Monsieur le secrétaire d'État, j’attends, dans la mesure du possible, une réponse plus précise sur la dénomination de l’établissement public et sur son évolution future. En revanche, je ne soutiens pas ces deux amendements identiques, car supprimer l’article 7, comme le propose l’opposition, relève du faux-semblant.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Caffet, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Caffet. Monsieur le secrétaire d'État, nous sommes avec cet article 7 au cœur du sujet. J’ai bien écouté tout à l’heure votre intervention ; nous devons être clairs entre nous. Vous nous répétez depuis le début de ce débat, comme vous l’aviez d’ailleurs fait à l'Assemblée nationale que, avec ce texte, l’État exerce ses compétences – personne ne le conteste – en respectant à la lettre celles des collectivités territoriales. Je suis au regret de vous dire que cela n’est pas vrai, et j’en donnerai deux exemples.

En vertu de l’alinéa 5 de l’article 7, l’État, à travers la SGP, se voit confier une compétence en matière d’urbanisme et d’aménagement sur le territoire des communes, même si ces dernières ne sont pas d’accord. Nous reviendrons sur ce point lors de la discussion des amendements que nous avons déposés sur l’alinéa 5. En revanche, nous ne contestons absolument pas la compétence de l’État à mener une opération d’intérêt général ou national : il est bien normal qu’il dispose d’une telle prérogative.

En matière de transports, vous nous avez assuré que les compétences de la région et du STIF seraient parfaitement respectées. C’est faux, et je vais vous apporter des éléments plus précis que ceux qui ont été relevés par mon collègue David Assouline.

L’article 11 du décret du 10 juin 2005 qui porte décentralisation du STIF dispose : « Le syndicat élabore un plan régional de transport » ; y a-t-il été seulement associé ?

Aux termes de l’article 14, « Le Syndicat des transports d’Île-de-France veille à la cohérence des plans d’investissements concernant les services de transports publics de voyageurs en Île-de-France ». Or, vous nous avez dit que le STIF n’avait rien à voir avec ce financement.

Pis encore, à l’article 15, il est précisé ceci : « Parmi les projets d’infrastructures nouvelles, d’extension et d’aménagement de lignes existantes, le syndicat détermine les projets qu’il soumet à son approbation et qui font l’objet d’un schéma de principe et d’un avant-projet tels que définis ci-dessous.

« Lorsque ces projets donnent lieu à la concertation préalable prévue par l’article L. 300-2 du code de l’urbanisme, à la saisine de la Commission nationale du débat public prévue par l’article L. 121-2 du code de l’environnement ou à l’ouverture de l’enquête publique préalable à la réalisation de projets d’aménagements, d’ouvrages ou de travaux » – nous sommes exactement dans ce cas de figure ! – « les dossiers relatifs à ces procédures sont soumis à l’approbation du syndicat avant le lancement de la concertation ou de l’enquête ou la saisine de la Commission nationale du débat public ».

Monsieur le secrétaire d'État, vous faites exactement le contraire ! Alors ne venez pas nous dire maintenant que vous avez respecté le décret de 2005, parce que ce n’est pas vrai ! Vous le bafouez ! Vous auriez normalement dû saisir le STIF avant la Commission nationale du débat public, alors que vous nous avez expliqué hier que le STIF ne serait consulté que préalablement à l’élaboration du schéma du réseau de transport. Et vous continuez à affirmer que les compétences des collectivités locales sont respectées ! Mais de qui se moque-t-on ?

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le secrétaire d'État, votre intervention n’était pas pertinente. Nul ici ne conteste – à part peut-être les libéraux – que l’État intervienne sur des projets d’intérêt national.

Le problème qui se pose est celui de la gouvernance de la démocratie locale et de la prise en compte des compétences des collectivités territoriales.

Comment pouvez-vous dire qu’une société qui aura des pouvoirs exorbitants pendant quarante ans en matière de transport, d’aménagement, de logement, et donc d’urbanisme – toutes compétences qui sont du ressort des collectivités territoriales –, est biodégradable ? Admettez-le, la SGP aura bien la gouvernance. Pourtant, personne ne sait ce qu’elle va devenir, comment elle va évoluer.

Dans un premier temps, la SGP sera en concurrence avec le STIF en matière de prise de décision. Mais au cours des quarante prochaines années, c’est directement avec les collectivités territoriales, donc les communes, les départements, la région, que ce problème se posera. C’est ce que nous refusons !

Les relations entre l’État et les collectivités doivent être beaucoup claires. L’État ne doit pas pouvoir leur imposer un aménagement du territoire sur une période aussi longue.

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.

M. Jean Desessard. Monsieur le rapporteur, vous m’avez porté un coup décisif en évoquant la SNCF. Et puis, je me suis mis à réfléchir à votre exemple.

M. Philippe Dominati. Allons bon !