M. Jean-Pierre Michel. Il faudrait que soient réunies au moins trois conditions.

Première condition – et c’est là où le bât blesse, madame le garde des sceaux -, l’autorité judiciaire, sous la tutelle de laquelle se feront ces investigations, devra être totalement indépendante du pouvoir politique. Ce n’est, à l’évidence, pas le cas aujourd’hui ; le parquet ne jouit pas de l’indépendance ni de l’impartialité nécessaires à l’exercice de la tâche que vous envisagez de lui confier. La Cour européenne des droits de l’homme l’a affirmé plusieurs fois : le parquet n’est pas une autorité judiciaire.

Quoi que vous puissiez en dire, tout le monde le sait bien, en particulier celles et ceux qui ont servi à un moment ou à un autre à la Chancellerie, notamment au sein de la direction des affaires criminelles et des grâces, les interventions, parfois bienvenues, pour exercer des poursuites, par exemple, sont constantes auprès des membres des parquets généraux, et elles sont en général suivies.

Je n’aurai pas la cruauté d’énumérer toutes les affaires qui portent la marque de l’intervention du pouvoir politique, au moins depuis 2007, voire depuis 2004 – je ne remonterai pas jusqu’aux années soixante-dix, que je connais bien. Je pensais ce temps-là révolu !

Le juge d’instruction constitue une sauvegarde, et, si ce verrou « saute », le parquet doit être totalement indépendant et son statut considérablement modifié.

Vous ne le voulez pas, vous l’avez dit à plusieurs reprises. Ce n’est d’ailleurs pas souhaitable. Je ne suis en effet pas favorable à un parquet totalement indépendant. Par voie d’extension, je ne suis pas du tout favorable à la modification de la procédure que vous nous proposez.

Deuxième condition, qui découle de la première, les forces de police et de gendarmerie qui agiront sous l’autorité du parquet devront être aussi totalement indépendantes. Elles devront ne dépendre que du parquet et être détachées du ministère de l’intérieur, comme on le demande depuis très longtemps.

Il faudra enfin opérer une distinction nette dans les statuts, dans les nominations et dans l’avancement entre les forces consacrées à l’enquête judiciaire et les forces consacrées au maintien de l’ordre, les dernières étant rattachées au ministère de l’intérieur, les premières au parquet et au ministère de la justice.

La troisième et dernière condition est l’adaptation de l’aide juridictionnelle et une extension de son domaine.

À cela j’ajouterai une quatrième condition, dont nous discutons aujourd’hui : la présence de l’avocat dès le début de la garde à vue. En effet, cette garde à vue sera encore plus importante – Mme Escoffier l’a dit tout à l’heure – pour l’issue du procès pénal.

Il paraît totalement inadmissible et aberrant que les droits de la défense ne soient pas assurés dès le début de la procédure, quelles que soient les conditions et les infractions commises. Les exemples que vous avez donnés ne valent pas : il est toujours possible de trouver des solutions dans des situations extraordinaires.

L’avocat doit assister à tous les interrogatoires, à tous les actes de procédure et, bien entendu, il doit avoir accès aux pièces du dossier, dès que celui-ci commence à se constituer, en sa présence.

Voilà dans quel contexte plus large se situe la proposition de loi qui nous est présentée aujourd’hui par notre collègue Jacques Mézard.

Quoi qu’il en soit de l’avenir ou de votre texte futur, madame le ministre d’État, cette proposition doit être immédiatement adoptée et même avec encore plus de force.

Elle doit s’appliquer à la situation actuelle et elle devra être reprise, peut-être avec des inflexions, en fonction de nos décisions, à la future réforme de la procédure pénale.

Ce sont les raisons pour lesquelles, avec le groupe socialiste, je vous invite, mes chers collègues, à ne pas voter la motion de renvoi à la commission de notre collègue François Zocchetto, qui est absolument dénuée de tout fondement.

M. Jean-Pierre Michel. Pourquoi en effet renvoyer à la commission une proposition de loi dont nous avons déjà discuté abondamment et sur laquelle nous sommes tous d’accord ?

La commission ne fera rien de plus. Quant au groupe de travail dont mon éminent collègue Jean-René Lecerf et moi-même sommes chargés, c’est une autre histoire… (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Jean-Pierre Sueur. Très bien ! C’est clair, percutant et précis !

M. Pierre Fauchon. Mais pas nécessairement pertinent ! (Sourires.)

(M. Roger Romani remplace M. Roland du Luart au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Roger Romani

vice-président

M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon.

M. Pierre Fauchon. Monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, c’est un sujet sensible et récurrent que nous examinons aujourd’hui.

Il y a quelque mois, nous en avions déjà débattu. François Zocchetto nous a dit, avec une nuance de regret, que débattre tous les deux mois de la garde à vue ne suffirait peut-être pas à renouveler ni à enrichir le sujet. Mais j’espère, vous nous l’avez promis, monsieur le rapporteur, que nous arriverons enfin, dans quelque temps, au cours de cette année – le plus tôt sera le mieux – à traiter à fond cette question.

La garde à vue connaît de terribles dérives, tout le monde l’admet, tant dans la manière dont elle est utilisée au quotidien par la police et la gendarmerie, que par les conditions matérielles quelquefois épouvantables et en tout cas regrettables qui l’accompagnent.

La première chose à faire pour y remédier est tout simplement de restreindre son usage. Cela relève d’ailleurs non pas du législateur mais de la pratique et donc de votre responsabilité, madame le ministre d’État.

Le nombre des gardes à vue atteint des sommets – on en compte près de 900 000 ! –, comme plusieurs orateurs l’ont déjà souligné.

Toutefois, la garde à vue constitue à l’évidence un élément essentiel de la poursuite pénale, même si elle doit bien sûr être gérée de façon telle que son efficacité soit garantie. Nous ne pouvons y renoncer, sauf à être indifférents à l’efficacité de la poursuite pénale, ce qui semble le cas de certains intervenants, si j’en juge d’après leurs propos… Une telle option existe, naturellement, mais elle est tout de même particulière, et je ne pense pas qu’elle puisse être retenue par des parlementaires responsables !

Deux éléments permettent d’expliquer ces chiffres, sans les justifier.

Le premier réside dans l’application de la LOLF, la loi organique relative aux lois de finances. En effet, le nombre des gardes à vue semble avoir été retenu parmi les critères d’évaluation de la performance des services de police et de gendarmerie, ce qui incite ces derniers, tout naturellement, à recourir toujours davantage à ces procédures. Il ne faut pas sous-estimer l’influence de ce phénomène dans la hausse du nombre des gardes à vue que nous constatons.

Toutefois, ce problème vaut pour la statistique en général, et pas seulement pour les gardes à vue. Dès lors que, pour apprécier une action quelconque, on se réfère à des éléments statistiques, on est presque toujours amené à développer une vision purement quantitative ; c’est la seule façon de traduire une réalité en chiffres et en statistiques, mais une telle méthode ne rend pas compte de la dimension qualitative. Or, malheureusement, c’est cette dernière qui pose aujourd'hui problème.

Mieux vaudrait reconnaître que nous sommes incapables d’apprécier la qualité d’un service public – celui de la répression pénale ou un autre –, et renoncer à porter une appréciation quand nous sommes incapables de le faire. Ou alors, cherchons à définir des critères qui ne soient pas uniquement statistiques, ce qui ouvre un champ immense à la réflexion, spécialement en matière de justice, madame le garde des sceaux !

Ainsi, combien de fois ai-je entendu parler de la durée moyenne des procès, que l’on calcule en mélangeant des ordonnances sur requête, qui sont rendues dans les deux heures, et des procédures qui ont duré cinq ou six ans, ce qui n’a aucun sens !

De façon générale, méfions-nous de ces appréciations statistiques. En réalité, dans la plupart des domaines, et singulièrement dans celui qui nous préoccupe aujourd'hui, ce qui compte, c’est la qualité de l’action et de ses résultats, qui ne s’apprécient pas à travers des chiffres.

Le second facteur expliquant l’augmentation du nombre des gardes à vue réside dans l’utilisation au quotidien de ces dernières. Pour abréger mon propos, je ne reviendrai pas sur les abus auxquels a donné lieu cette procédure : d’autres que moi les ont dénoncés, et il est donc inutile que je les rappelle. À l’évidence, il faudrait instaurer un seuil minimal de gravité pour l’infraction passible d’une garde à vue, de manière à limiter, si j’ose dire, les dégâts et les risques.

D’ailleurs, dans la plupart des pays de l’Union européenne, la garde à vue n’est prévue que dans le cas où les faits reprochés sont susceptibles d’être punis d’une peine d’emprisonnement au moins égale à cinq ans. Il faudrait envisager ce genre de limitation, me semble-t-il, mais en gardant à l’esprit le risque de « surqualification » juridique qui, malheureusement, apparaît inévitable, comme on l’a rappelé tout à l’heure à propos des affaires de terrorisme. Il faudrait, là encore, trouver le moyen d’exercer des contrôles plus sérieux et plus précis.

Mes chers collègues, au-delà de la réduction des cas de gardes à vue de droit commun, ne devons-nous pas réfléchir à une mesure qui remplacerait, ou plutôt qui compléterait celles-ci ?

Je sais qu’il est question d’une formule dite des « quatre heures ». Pourquoi pas ? Je demande que l’on y réfléchisse.

Il s'agirait d’un dispositif simplifié, d’une sorte de « mini » garde à vue, qui, semble-t-il, serait soumise à l’acceptation de la personne concernée, n’exclurait pas la présence de l’avocat et permettrait peut-être d’alléger le système.

Si les professionnels et les enquêteurs souhaitent un tel dispositif, il faut leur faire confiance, me semble-t-il. Nous devons bien voir que le domaine qui nous préoccupe ici relève essentiellement de la pratique. J’admire les gens – on en entend ici ou là – qui n’ont jamais vu le moindre procès de près, ni suivi une enquête ou assisté à un interrogatoire, et qui nous donnent des leçons, comme s’ils savaient parfaitement comment les choses se passent. (M. Jacques Mézard acquiesce.)

Ce domaine est extrêmement particulier. J’aurais tendance à dire – mais je ne veux pas aller trop loin dans ce sens – que seuls ceux qui ont connu ces situations, qu’ils se soient trouvés de l’un ou de l’autre côté de l’enquête, avocats, policiers ou prévenus, peuvent en parler en connaissance de cause. Les autres feraient mieux d’être plus prudents dans leurs propos !

J’en viens à ce qui constitue le cœur de la proposition de loi qui nous est soumise, comme l’a rappelé notre collègue Jacques Mézard dans son excellente intervention : l’assistance de l’avocat durant la garde à vue. (M. Jacques Mézard s’entretient à cet instant avec Mme Anne-Marie Escoffier.)

Monsieur Mézard, puisque je suis en train de faire l’éloge de votre discours, écoutez-moi ; vous reprendrez ensuite votre entretien avec votre voisine, dont je ne doute pas qu’il ait bien plus de charme que mes propos ! (Sourires.)

Nous sommes favorables à une extension de l’intervention de l’avocat durant la garde à vue. La simple présence de ce dernier lors des interrogatoires modifiera probablement leurs modalités. Elle garantira certainement un meilleur respect des droits de la défense dès le début de l’enquête pénale.

Cette évolution présente des avantages pour les suspects entendus, mais aussi pour les officiers de police, parce qu’elle constitue une garantie de sérieux, donc confère une valeur accrue aux dépositions ou aux éventuels aveux.

En effet, on admettra qu’un aveu a bien plus de valeur quand il est obtenu en présence d’un avocat, et non pas hors de tout contrôle, dans des conditions dont personne ne sait si elles sont, ou non, satisfaisantes. Tout le monde gagnera donc à ce dispositif, me semble-t-il.

Un aspect de cette proposition de loi me laisse toutefois sceptique, et il s'agit évidemment du plus délicat : le dispositif proposé présente la particularité de supprimer les dispositions dérogatoires concernant les formes les plus graves de la criminalité, à savoir celle qui est organisée. Aux termes du texte proposé, ces dispositions seraient réservées au seul terrorisme.

Mes chers collègues, je vous avoue que je ne comprends pas bien le sens de cette distinction. Bien sûr, le terrorisme constitue un crime épouvantable. Néanmoins, je me permets de signaler qu’il fait bien moins de victimes que les accidents de la circulation ou la traite des êtres humains, celle-ci constituant une forme de criminalité organisée !

La distinction fondamentale se situe donc entre la délinquance qui est organisée et celle qui est individuelle ou qui est organisée seulement de façon occasionnelle, par des complices.

La délinquance organisée qui caractérise nos sociétés modernes appelle forcément un mode de traitement plus prudent et mieux adapté. Je pense donc que toutes les infractions liées à la criminalité organisée, qu’il s’agisse de trafics de stupéfiants, de traite des êtres humains ou de trafics sexuels, ne peuvent être renvoyées au droit commun de la garde à vue.

Une telle évolution n’est pas souhaitable, me semble-t-il, car la particularité de cette forme de délinquance ou, le plus souvent, de criminalité, à savoir l’existence d’un réseau, exige que des précautions particulières soient mises en œuvre. Il faut l’admettre, et cela pour l’ensemble des circonstances de la délinquance organisée, et non pour une seule de ses variantes, car c’est toujours le même problème, et il est beaucoup plus grave qu’on ne le pense parfois.

Pour le dire clairement, mais je ne m’étendrai pas sur ce point, je songe ici à certains avocats. Il faut éviter la diffusion de certaines informations qui intéressent le réseau concerné. Nous devons éviter des « fuites » qui permettraient de faire disparaître des éléments de preuve, de préserver des complices, d’alerter le réseau. Tout cela est extrêmement grave : il y va de l’efficacité même de la lutte contre la délinquance organisée, déjà si difficile à combattre, d’autant qu’elle est transnationale.

Certes, les actes des terroristes resteraient placés hors du droit commun, mais cette disposition est nettement insuffisante. Les membres de mon groupe sont donc favorables au maintien d’un régime dérogatoire instaurant une période de secret pour les actes relevant de la criminalité organisée.

Toutefois, mes chers collègues, je poserai une question, en apportant peut-être en même temps une réponse : est-il possible d’éviter un tel système dérogatoire en posant le principe selon lequel, au stade de la garde à vue, l’avocat d’une personne relevant éventuellement d’une délinquance organisée ne pourrait pas être choisi par le suspect mais serait désigné par le bâtonnier sur une liste de défenseurs pouvant être commis d’office ?

Ce système serait pratiqué en Espagne dans les affaires concernant l’ETA, paraît-il. Je demande que l’on y réfléchisse, car il permet peut-être de garantir que les avocats soient sûrs, ce qui n’est pas acquis en un temps où ceux-ci se comptent par dizaines de milliers et où leur profession peut être embrassée si facilement…

Pour conclure sur un aspect plus technique, il paraît légitime d’attendre que se concrétisent les propositions de réforme formulées sur ce thème par le Gouvernement, parce qu’elles sont imminentes – j’espère qu’elles le sont effectivement, madame le garde des sceaux ! –, afin de nous prononcer en pleine connaissance de cause.

C'est pourquoi nous suivrons, pour notre part, les conclusions de M. le rapporteur. Je remercie d'ailleurs mon excellent collègue François Zocchetto de la qualité de son rapport. Celui-ci aura apporté des éléments utiles à une réflexion qui s’annonce encore longue, mais qui, de grâce, ne devrait pas l’être trop ! (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Laurent Béteille.

M. Laurent Béteille. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, la présente proposition de loi a pour objet de permettre à la personne placée en garde à vue, lorsqu’elle le demande, d’accéder immédiatement à un avocat et d’être auditionnée en la présence de celui-ci, et ce dès le premier interrogatoire.

Comme l’a souligné récemment M. le Premier ministre, et comme l’ont rappelé la plupart des orateurs qui m’ont précédé, la mise en garde à vue, loin de rester une décision grave et, par conséquent, exceptionnelle, s’est banalisée dans des proportions inquiétantes : en 2001, on comptabilisait 336 718 gardes à vue, contre 577 816 en 2008,…

M. Laurent Béteille. … soit une augmentation extrêmement importante. Je précise que les gardes à vue de courte durée représentent environ les trois quarts du total.

Nous pouvons nous interroger sur l’effet de certains critères qui, comme d’autres orateurs l’ont rappelé à cette tribune, visent à évaluer l’efficacité des services de police en fonction du nombre des gardes à vue. Ont-ils suscité davantage ces mesures ? Qualifie-t-on désormais de gardes à vue certaines présences au commissariat qui, autrefois, étaient passées sous silence ? Je l’ignore. Quoi qu'il en soit, le nombre de gardes à vue que je citais à l’instant est anormal, et nous devons nous interroger à ce sujet.

L’article unique de la proposition de loi de notre collègue Jacques Mézard et de certains autres membres du groupe du RDSE permet à la personne mise en cause, quand elle en fait la demande, y compris sur commission d’office si c’est nécessaire, d’être immédiatement assistée par un avocat et entendue en la présence de celui-ci lors de la première audition, dont il est précisé qu’elle sera différée jusqu’à l’arrivée du défenseur.

Tout d'abord, je ne suis pas persuadé que cette mesure permettrait de réduire le nombre des gardes à vue en tant que telles. En revanche, elle risque plutôt d’entraîner leur prolongation ! Quelle que soit son efficacité, elle doit donc s’intégrer dans un mécanisme plus complet, susceptible de réduire le nombre des gardes à vue, ce qui n’est pas le cas, me semble-t-il, de la présente proposition de loi.

En outre, ce dispositif ne prévoit pas que l’avocat disposera aussitôt du dossier de son client, et cela en raison de difficultés matérielles. Nous touchons là, me semble-t-il, au problème fondamental de la présence de l’avocat au cours de la garde à vue, qui, à mon avis, est moins lié aux contraintes de l’horloge qu’aux possibilités d’action de l’avocat.

Lorsque j’exerçais cette profession – je remercie d'ailleurs Pierre Fauchon d’avoir souligné que ceux qui se trouvaient dans ce cas, et nous sommes plusieurs ici, étaient les mieux placés pour donner leur avis sur ces questions –, il m’est arrivé d’être appelé à une heure impossible de la nuit, de devoir me rendre à soixante-dix kilomètres de mon domicile et de voir la personne placée en garde à vue s’éveiller difficilement à mon arrivée pour me demander ce que je pouvais faire pour elle et ce que contenait son dossier. Elle s’imaginait pouvoir être un tant soit peu défendue, mais telle n’était pas la réalité !

Je l’interrogeais pour savoir si la garde à vue s’était déroulée dans les conditions légales, mais, au fond, mon rôle était non pas celui d’un avocat, mais plutôt celui d’une assistante sociale « améliorée », et encore ai-je un doute quant à ce dernier qualificatif !

Le dispositif dont je faisais l’expérience il y a encore dix ans était donc véritablement insatisfaisant et il faut reconnaître que, malgré quelques avancées, il l’est resté ! Pour l’améliorer, car tel est le problème que nous avons à résoudre, nous devons certes prévoir que l’avocat puisse être présent beaucoup plus tôt, mais surtout – ce point me semble essentiel – faire en sorte qu’il dispose des procès-verbaux, qu’il sache de quoi il est question et qu’il puisse concourir utilement à l’œuvre de justice, au bénéfice de son client.

Il est vrai qu’un problème de déontologie se pose, comme certains orateurs l’ont souligné. Nous ne l’ignorons pas, et nous devons être vigilants sur ce point.

Je suis convaincu que les barreaux le sont également et ont pris des précautions en la matière, lesquelles doivent peut-être être réaffirmées pour faire en sorte que tout se passe conformément à ce que nous sommes en droit d’attendre.

Mais, d’un autre côté, dans un certain nombre de domaines comme celui de la criminalité organisée, il est également vrai qu’il nous faut être prudents quand nous faisons évoluer notre législation.

À l’instar de certains de mes collègues, j’estime donc que la réflexion doit être non seulement approfondie mais aussi complète. Notre collègue Jean-Pierre Michel a indiqué tout à l'heure que la réforme à venir justifiait plus encore l’adoption des dispositions qui nous sont ici proposées. Mais il faut être cohérent et mener concomitamment les deux réflexions : quitte à revoir les dispositions relatives à la garde à vue, autant le faire à l’occasion de l’examen du futur projet de loi, car nous risquons sinon de voter aujourd'hui des dispositions qui seront en décalage avec le droit de demain.

Je rejoins la position exprimée tout à l'heure par M. le rapporteur : il nous faut vraiment avoir cette réflexion d’ensemble. Certes, il est urgent d’agir, mais pas dans n’importe quelles conditions. La méthode qui nous est proposée par notre excellent rapporteur est la bonne. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, nous avons déjà discuté, ici même, voilà quelques semaines, de la question de la réforme de la garde à vue.

Or, à toutes nos propositions, qui étaient constructives et, me semble-t-il, nécessaires, un même argument nous a été opposé : la Chancellerie préparait un projet de réforme globale de la procédure pénale, comprenant notamment de nouvelles dispositions relatives à la garde à vue. Nous ne disposions pas alors d’éléments suffisants nous permettant de nous faire une idée de l’orientation du texte qui allait nous être présenté.

Je le répète, nous avons formulé plusieurs propositions, dont le principe d’une présence effective de l’avocat dès le début de la garde à vue, qui est aujourd’hui le cœur même de la proposition de loi que nous examinons. Mais nous ne nous arrêtions pas là ; nous avions également demandé que notre droit s’aligne sur une jurisprudence aujourd’hui établie de la Cour européenne des droits de l’homme à propos, par exemple, de l’élargissement de la gamme des interventions de l’avocat au cours de la garde à vue ou de la nécessaire restriction de la garde à vue aux crimes et délits les plus graves, afin d’en limiter le recours, devenu, ces dernières années, tristement banal.

Il nous restait donc à attendre le projet du Gouvernement pour savoir, enfin, s’il avait pris en compte les exigences formulées par la Cour européenne des droits de l’homme. Aujourd’hui, nous disposons de cet avant-projet de réforme de la procédure pénale, et je puis vous assurer, madame le ministre d’État, que je l’étudie depuis une quinzaine de jours. (Mme Alima Boumediene-Thiery brandit l’avant-projet de loi de réforme de la procédure pénale.)

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Je vous en félicite !

Mme Alima Boumediene-Thiery. Je dois tout de même vous avouer que je suis déçue, s’agissant notamment des dispositions relatives à la garde à vue.

Les articles 327-1 à 327-29 de votre avant-projet témoignent, je vous l’accorde, d’une volonté de changement, singulièrement de réforme de notre système de la garde à vue. Je n’ai d’ailleurs jamais douté de votre engagement en ce sens, et je vous en donne acte. Je reconnais également le travail considérable réalisé. Vous avez su répondre à une demande très forte émanant non seulement des parlementaires, mais également des acteurs de la justice, au premier chef les avocats, qui se sont largement mobilisés sur cette question.

Cependant, cet avant-projet de loi, qui est certes encore soumis à concertation, reste, me semble-t-il, insuffisant.

Vous disposiez de tous les éléments de nature à vous permettre d’engager une réforme acceptable et conforme aux attentes du monde judiciaire. Or le résultat est encore loin de donner toute satisfaction, en dépit, je le concède, d’avancées, qui restent timides.

La limitation du recours aux gardes à vue pour les crimes et délits punis d’une peine d’emprisonnement constitue une avancée intéressante, mais celle-ci me semble déjà quelque peu datée.

En effet, il n’existe plus aujourd'hui de délits qui ne soient pas punis d’une peine d’emprisonnement. Dès lors, votre proposition n’apporte pas grand-chose face à l’explosion dramatique du nombre de gardes à vue enregistré ces dernières années.

Concernant la présence de l’avocat dans le régime de droit commun de la garde à vue prévu par le projet de réforme, il convient d’admettre plusieurs avancées par rapport au droit actuel.

Outre l’entretien « classique » d’une demi-heure déjà prévu par le droit actuel au début et en cas de renouvellement de la garde à vue, vous ouvrez la possibilité, pour l’avocat, de s’entretenir avec son client au terme de la douzième heure, conformément d’ailleurs aux préconisations du rapport Léger. L’avocat pourra également recevoir une copie des procès-verbaux des auditions réalisées au cours des vingt-quatre premières heures et assister à ces mêmes auditions si la mesure de garde à vue est renouvelée après vingt-quatre heures.

Alors, oui, il faut le reconnaître, toutes ces avancées sont intéressantes, mais elles demeurent insuffisantes.

En effet, qu’est devenu le droit de garder le silence ? Il a disparu de votre projet de réforme ! (M. Jacques Mézard opine.)

Quant à la présence effective de l’avocat dès le début de la garde à vue, cela suppose que celui-ci puisse exercer, dès le début, « toute la vaste gamme » des droits de la défense, selon les termes mêmes de la Cour européenne des droits de l’homme. Le conseil doit non seulement pouvoir s’entretenir avec son client, mais également assister aux interrogatoires et accéder au dossier pénal. Si vous ne reprenez pas ces exigences, cette réforme n’aura servi qu’à toiletter une procédure qui demeurera contraire à la Convention européenne des droits de l’homme.

Pour ce qui concerne les régimes de garde à vue applicables au crime en bande organisée, au trafic de stupéfiants et au terrorisme, nous constatons qu’il n’y a pas de réelle avancée. L’avocat continuera d’intervenir à la quarante-huitième heure pour ce qui concerne les crimes commis en bande organisée et à la soixante-douzième heure en matière de terrorisme, la seule différence notable étant une intervention moins tardive – de soixante-douze heures, nous passons à quarante-huit heures – pour ce qui concerne les trafics de stupéfiants.

Vous le voyez, madame le ministre d’État, nous avons passé au crible votre avant-projet de réforme, et c’est en connaissance de cause que nous pouvons conclure que cette modification mineure ne changera pas grand-chose.

En effet, ces différents régimes dérogatoires demeurent contraires à la Convention européenne des droits de l’homme, puisque la Cour européenne des droits de l’homme exige la présence de l’avocat au début de la garde à vue, et ce indépendamment de la gravité de l’infraction retenue.

Madame le ministre d’État, j’ose espérer que cet avant- projet de loi évoluera, grâce à la concertation, vers une meilleure prise en compte des exigences européennes, notamment des principes découlant des droits de la défense, dont nous avons longuement parlé ici. J’ose également espérer, en toute sincérité, que la concertation qui devrait aboutir dans quelques semaines permettra d’apporter à votre texte toutes les modifications nécessaires, pour ne pas dire fondamentales, pour le rendre acceptable.

Au vu de ces éléments, la proposition de loi de Jacques Mézard pose un principe important, celui de la présence immédiate de l’avocat, même si notre collègue n’en a pas, il est vrai, tiré toutes les conséquences pratiques pour ce qui est de la procédure.

Ainsi, il serait dommage qu’une garde à vue soit annulée si l’avocat refuse d’assister à l’audition au motif, par exemple, qu’il estime ne pas disposer d’éléments suffisants pour assurer la défense de son client. Sur ce point, la proposition de loi reste muette.

Même si une réflexion d’ensemble et approfondie doit être engagée, il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’une excellente proposition de loi, qui permet de rappeler, avec force et vigueur, une exigence fondamentale : nous devrons, tôt ou tard, intégrer dans notre droit l’assistance immédiate d’un avocat aux personnes placées en garde à vue.

À cette exigence d’urgence, il faudra ajouter l’exigence d’efficacité et d’effectivité. Mais nous reviendrons sur cette question le 25 avril prochain, lors de l’examen de la proposition de loi portant réforme de la garde à vue du groupe socialiste.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Absolument !

Mme Alima Boumediene-Thiery. Nous pourrons alors continuer de débattre et prolonger notre réflexion, …

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait ! C’est le droit d’initiative parlementaire ! Tout ce travail sert !

Mme Alima Boumediene-Thiery. … car c’est essentiel.

En tout état de cause, nous soutiendrons cette proposition de loi, car nous considérons qu’elle constitue une première étape vers une réforme plus approfondie, que nous devrons assumer ensemble dans les plus brefs délais et, surtout, dans le respect des droits fondamentaux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, madame le ministre d'État, mes chers collègues, en montant les marches qui conduisent à cette tribune, je pensais vous dire : « Que d’hypocrisie ! »

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Vous parliez de vous ? (Sourires.)

M. Jean-Pierre Sueur. Mais vous connaissez ma bienveillance, madame le ministre d’État, monsieur le rapporteur… Aussi ne le dirai-je pas ! (Nouveaux sourires.)

Car enfin, notre collègue et ami Jacques Mézard a été couvert d’éloges : sa proposition de loi est utile, nécessaire, précieuse…

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais elle est insuffisante !

M. Jean-Pierre Sueur. … intéressante, et elle contribue de manière tout à fait remarquable au débat, …

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Oui !