M. le président. La parole est à Mme la présidente de la délégation aux droits des femmes.

Mme Michèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans ce débat crucial pour l’avenir de Mayotte, il m’est apparu indispensable d’intervenir au nom de la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes afin de faire entendre la voix des femmes de Mayotte.

J’ai eu la chance de me rendre dans ce territoire en 1990 en qualité de secrétaire d’État chargée des droits des femmes. J’ai donc pu mesurer, lors de la visite que j’ai effectuée au mois de septembre avec la délégation conduite par le président Hyest, les progrès considérables qui ont été accomplis par la collectivité en termes de développement et la volonté de l’administration d’assurer une bonne gestion des affaires publiques.

J’ai aussi pu mesurer, comme les autres membres de la délégation, tout ce qu’il reste à faire pour parvenir à l’égalité des femmes et des hommes.

En effet, les femmes de Mayotte ne bénéficient pas encore d’une égalité de droits comparable à celle des femmes de métropole et de celle des autres collectivités d’outre-mer, donc des femmes de France. Or la départementalisation n’a de sens que si elle apporte aux Mahorais, et en premier lieu aux Mahoraises, une meilleure garantie de leurs droits et libertés.

Certes, dans la société mahoraise traditionnelle, la filiation est définie dans la lignée maternelle et la résidence de la famille est établie chez la mère, selon les principes de matrilinéarité et de matrilocalité. Mais de nombreux aspects du statut civil de droit local placent les femmes dans une situation d’infériorité par rapport aux hommes : polygamie, inégalité successorale, capacité testimoniale.

Les Mahoraises assument en outre de lourdes responsabilités familiales, souvent à un très jeune âge, ce qui entraîne l’interruption de leur scolarisation. De très jeunes filles ont parfois l’impression que leur vie est vouée à la seule obéissance. Elles rencontrent par conséquent davantage de difficultés que les hommes à s’assurer un avenir professionnel.

Les femmes ont cependant joué un rôle important dans le combat pour le maintien de Mayotte dans la République française, vous y avez fait allusion, madame la ministre.

Cette place des femmes dans l’histoire de Mayotte est symbolisée par le combat des Chatouilleuses. Ainsi, lorsque Zaïna M’Dére et Zaïna Méresse se sont engagées, dès les années soixante, pour une « Mayotte française », leur action a été saluée.

Avec elles, d’autres femmes, telles que Coco Djoumoi et Boueni M’Titi, ont mené des actions contre les autorités venant de la Grande Comore, en recourant à un moyen d’intervention original. Il s’agissait de chatouiller les officiels puisque, à leurs yeux et devant la maréchaussée, chatouiller n’était pas un délit. C’est toujours vrai !

Ces actions, qui s’inscrivaient dans un climat de tension, illustrent le courage et la rapidité d’action dont ont fait preuve les femmes de Mayotte.

Ces femmes mahoraises ont joué un rôle incontestable dans le maintien de Mayotte dans l’ensemble français. La mobilisation des Chatouilleuses a été déterminante et je mesure combien elles ont pu être déçues lorsque, dans les années soixante-dix, elles furent éloignées des postes à responsabilité et de la scène politique. Mais c’est si banal et cela se produit si souvent…

Saluons donc ces femmes à qui je veux rendre hommage. Nous avons été heureux de rencontrer celles qui incarnent encore cette action, lors de notre passage à Labattoir. Je remercie M. Adrien Giraud d’avoir organisé cette rencontre avant notre retour en métropole.

Nous avons pu malgré tout observer les signes d’une reconnaissance des femmes dans la vie politique puisque nous avons eu la chance de rencontrer, parmi les nouveaux maires élus en 2008, deux femmes courageuses et admirables : Mme Ramlati, maire de Pamandzi, et Mme Ibrahima, maire de Chirongui. Elles nous ont dit combien elles étaient démunies pour pouvoir accorder des aides sociales et combien cette situation leur semblait inacceptable.

Qu’en est-il aujourd’hui de l’égalité des droits entre les femmes et les hommes à Mayotte ? Poser cette question, c’est poser la question du statut personnel.

Ce statut concerne essentiellement les droits de la personne et de la famille, ainsi que les droits patrimoniaux. Dans ces domaines, les Mahorais ayant conservé leur statut personnel sont soumis à des règles particulières : polygamie, possibilité de répudiation de la femme par le mari, inégalités des sexes en matière de droit successoral. Ils bénéficient en outre d’une exception de juridiction. Cependant, comme l’a souligné M. Détraigne, la grande majorité de la population méconnaît son propre statut.

Les Mahorais – c’est-à-dire les Français considérés comme originaires de Mayotte – musulmans sont automatiquement soumis au statut personnel dérogatoire tant qu’ils n’y ont pas renoncé, cette renonciation étant irréversible.

Le statut personnel en vigueur à Mayotte est un droit coutumier qui se réfère au Livre des croyants zélés, recueil d’aphorismes et de préceptes fondés sur la charia et qui emprunte des éléments aux coutumes africaines et malgaches.

Le statut civil de droit local ne peut être transmis que par deux parents ayant eux-mêmes conservé le statut personnel. Ainsi, une part importante de la population mahoraise échappe au statut personnel, souvent sans même en avoir conscience, ce qui peut d’ailleurs entraîner beaucoup de confusion.

En effet, l’acquisition ou la réintégration dans la nationalité française emporte l’accession au statut de droit commun. De même, le statut de droit commun se transmet automatiquement aux enfants mineurs d’un couple mixte.

Au fil du temps, le statut personnel a été rapproché du respect des droits fondamentaux.

D’abord, la loi du 11 juillet 2001 relative à Mayotte avait précisé les règles de conciliation du statut civil de droit local avec celui de droit commun.

Ensuite, la loi de programme pour l’outre-mer de 2003 a mis fin à certains aspects du statut personnel qui n’étaient toujours pas compatibles avec les principes républicains. Souvenons-nous, mes chers collègues de la commission des lois, combien nous avions regretté qu’il ait fallu attendre si longtemps avant que ces dispositions ne soient prises.

Ces dispositions étaient les suivantes : limitation du champ d’application du statut personnel de droit local à l’état et à la capacité des personnes, aux régimes matrimoniaux, aux successions et aux libéralités ; interdiction de la polygamie pour les personnes qui accèdent à l’âge requis pour se marier – 18 ans pour les hommes et 15 ans pour les femmes, ou plutôt pour les filles, car ce sont encore de bien jeunes femmes – à compter du 1er janvier 2005 seulement ; interdiction de la répudiation unilatérale pour les personnes accédant, à compter du 1er janvier 2005, à l’âge requis pour se marier ; interdiction des discriminations entre enfants devant l’héritage, fondées sur le sexe ou sur le caractère légitime ou naturel de la naissance, pour les enfants nés après la promulgation de la loi de programme.

La loi du 26 mai 2004 relative au divorce a apporté des compléments à ces réformes.

Il s’agit d’avancées partielles, dont le seul rappel permet de mesurer le chemin qui reste à parcourir pour atteindre l’égalité de droits.

Le statut personnel est protégé par l’article 75 de la Constitution, mais certains de ses éléments sont contraires aux principes républicains et à la Convention européenne des droits de l’homme.

En 2003, le Conseil constitutionnel a considéré que, dès lors qu’il ne remettait pas en cause l’existence même du statut civil de droit local, le législateur pouvait adopter des dispositions de nature à en faire évoluer les règles dans le but de les rendre compatibles avec les principes et droits constitutionnellement protégés.

Il apparaît ainsi que le législateur ne peut contraindre les citoyens à renoncer au bénéfice de leur statut personnel, ni abolir ce statut. Mais l’article 75 de la Constitution ne fige pas le contenu du statut personnel, fort heureusement !

Le processus d’accès au statut de département et région d’outre-mer, si les Mahorais en font le choix le 29 mars prochain, doit permettre à Mayotte d’entrer pleinement dans la modernité.

L’évolution statutaire apportera des droits nouveaux et imposera aussi des devoirs nouveaux correspondant au respect des principes de notre République. Les Mahorais ne devront pas abandonner leur identité mais ils devront s’inscrire dans la pleine application des principes et des droits fondamentaux de notre République.

L’ancrage dans la République doit s’accompagner du respect de valeurs fondamentales comme l’égalité et la laïcité. C’est d’ailleurs un mouvement qui correspond à une aspiration de la population de Mayotte, en particulier des jeunes.

Ainsi, selon les personnes que nous avons rencontrées sur place, pour les affaires compliquées, les pensions alimentaires par exemple, les Mahorais préfèrent s’adresser à la justice de droit commun plutôt qu’à la justice cadiale, parce qu’ils savent que leurs droits y seront mieux défendus.

Par conséquent, de nouvelles modifications doivent être apportées au statut personnel afin de garantir aux personnes qui en relèvent les mêmes droits qu’aux personnes ayant le statut civil de droit commun.

Tout d’abord, comme le souligne la commission des lois dans son rapport d’information, les fonctions juridictionnelles et notariales des cadis doivent être supprimées.

Ensuite, l’âge légal du mariage des femmes ayant le statut personnel doit être porté à dix-huit ans.

Sur l’initiative du Sénat, la loi de 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs a relevé l’âge légal du mariage des femmes de quinze à dix-huit ans. Mais l’élévation de l’âge légal du mariage des femmes ne s’applique qu’aux femmes ayant le statut civil de droit commun.

Les femmes relevant du statut civil de droit local peuvent encore être mariées à quinze ans par le cadi – c’est le petit mariage –, ce qui n’est plus acceptable. Je pense que MM. Adrien Giraud et Soibahadine Ibrahim Ramadani seront d’accord sur ce point. Aujourd’hui, tout le monde s’accorde à penser que le mariage à quinze ans n’est pas une solution pour nos enfants. Si Mayotte devient un département, l’âge du mariage défini par le droit commun devra s’y appliquer.

Se pose ensuite la question de la polygamie. Il apparaît que les nouvelles unions polygames doivent être interdites dès l’accession au statut départemental. Le respect de cette réforme essentielle pour le respect des droits des femmes suppose sans doute que la polygamie soit pénalisée, conformément au régime de droit commun, puisqu’elle est clairement interdite sur le territoire de la République.

Permettez-moi de m’éloigner quelque peu de la situation des femmes pour évoquer une autre question essentielle pour l’avenir de Mayotte, à savoir celle de sa jeunesse, puisque 71 % de la population a moins de 30 ans et que près de 80 000 habitants sur 180 000 sont scolarisés, ce qui est considérable.

Après avoir eu connaissance de ces chiffres, je me suis prise à penser aux pauvres élus du Massif central, qui luttent pour éviter la fermeture d’une école alors que ceux de Mayotte se débattent avec les services de l’État pour obtenir le financement nécessaire à l’ouverture d’une école.

Je profite de cette tribune, et je pense que tous mes collègues partagent mon appréciation, pour saluer le remarquable travail accompli par les autorités et par le recteur de Mayotte représentant les enseignants de l’éducation nationale.

L’accueil des enfants, qui est un défi majeur qu’ils pensent pouvoir relever, est assuré dans des conditions que nous avons tous trouvées remarquables.

Mais qu’en est-il en matière de protection des enfants en danger ? Les autorités n’ont pas mis en place une véritable politique. Le service d’aide sociale à l’enfance dispose de moyens financiers et humains très insuffisants. La protection des enfants en danger est pourtant une compétence majeure du département, qui n’a pas encore été mise en place à Mayotte et sur laquelle il faudra progresser.

Mme Dominique Versini, la défenseure des enfants, s’est émue de cette absence de prise en charge lors d’une récente mission et l’a fait connaître dans son rapport de novembre 2008.

Les phénomènes de déscolarisation s’amplifient, de même que les addictions à l’alcool et à l’herbe de cannabis – bangué –, ainsi que la prostitution de jeunes adolescentes en errance. Il n’existe pas de structure d’accueil des mineurs en grandes difficultés. Les enfants d’origine étrangère représentent une écrasante proportion de ces mineurs en rupture avec la société ; ils ont droit à toute notre attention.

Comme l’a dit aux membres de la délégation Mme Cris Kordjee, représentante de l’Association pour la condition féminine et l’aide aux victimes, rappelant un proverbe mahorais, « les enfants sont les enfants du juge ».

Pour éviter l’aggravation de cette situation et un risque d’explosion, le conseil général doit créer très rapidement une ou des structures d’hébergement adaptées aux besoins pour le placement en urgence de mineurs en grande difficulté, et une solution alternative à l’incarcération pour les jeunes commettant des actes de délinquance. Il doit aussi renforcer les moyens financiers et humains du service d’aide sociale à l’enfance.

Tout porte à croire que les Mahorais feront le choix de la départementalisation, à laquelle ils aspirent depuis longtemps, ainsi que leurs élus. Ils feront alors le choix de la responsabilité et de l’égalité de droits entre les femmes et les hommes. Les Mahorais devront alors accepter que le statut personnel soit rendu entièrement compatible avec les principes de notre République.

Pour terminer, mes chers collègues, je dirai que l’enjeu de la consultation du 29 mars sera de bien faire comprendre à la population de Mayotte les profondes modifications qui résulteront du nouveau statut et de faire accepter les bouleversements que vivra toute la société lorsqu’elle entrera dans un autre rythme.

Il faut bien mesurer tous ces enjeux afin que nul ne soit déçu et que l’effort important auquel tous devront consentir, qu’il s’agisse de l’État français, des élus de Mayotte ou de la population, prenne son sens. J’ai confiance.

En tout cas, je souhaiterais que toutes les femmes de Mayotte y trouvent une véritable égalité et l’expression positive de leur bonheur. C’est un enjeu capital, et je suis fière d’avoir pu évoquer ce soir à cette tribune les figures de quelques-unes de ses grandes dames. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, de toute évidence, je serai ce soir dans l’hémicycle la voix dissonante au cours de ce débat.

Le poids de l’histoire pèse dans les relations entre la France et Mayotte. Vingt-cinq ans après l’accession de la République des Comores à l’indépendance, le statut de Mayotte est toujours sujet à débat et aujourd’hui plus particulièrement, puisqu’il est question de transformer Mayotte en département d’outre-mer.

Le débat que nous tenons ce soir précède l’organisation, le 29 mars prochain, d’un référendum sur la départementalisation de Mayotte.

Actuellement collectivité départementale depuis la loi du 11 juillet 2001, Mayotte pourrait ainsi devenir le cinquième département d’outre mer et le cent unième département français.

Le Gouvernement présente cette consultation référendaire comme la continuation logique de l’évolution du statut de Mayotte depuis 1976 mais, ce faisant, il occulte totalement l’histoire de Mayotte avec la France.

Le rapport d’information fait état d’une situation à Mayotte « porteuse de risques et d’inquiétudes » et évoque même « une situation potentiellement explosive », « la coopération avec l’Union des Comores [apparaissant] difficile, car celle-ci n’a jamais accepté que Mayotte devienne française. » Et pour cause : Mayotte n’est restée française que parce que la France l’a décidé de façon unilatérale !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ah non !

Mme Éliane Assassi. En effet, la loi du 23 novembre 1974 a organisé une consultation d’autodétermination « des populations des Comores » et non de la population des Comores,…

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Évidemment !

Mme Éliane Assassi. … afin de permettre le décompte des suffrages île par île.

Or, si les trois autres îles constituant les Comores que sont Anjouan, la Grande Comore et Mohéli se sont prononcées à une très large majorité en faveur de l’indépendance, Mayotte s’est prononcée à 63,82 % en faveur du maintien dans la République française.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !

Mme Éliane Assassi. C’est sur ce fondement que la France a décidé unilatéralement de conserver Mayotte dans le giron de la République française et de mettre ainsi fin à l’unité de l’archipel des Comores.

Pourquoi une telle pression sur Mayotte, alors que le droit interne français avait jusque-là toujours reconnu l’unité des Comores ?

En effet, l’Assemblée nationale française, durant toute la période coloniale, a toujours traité les Comores comme une seule et unique entité composée par quatre îles principales à travers plusieurs lois : la loi du 25 juillet 1912 portant rattachement des îles de Mayotte, Anjouan, Mohéli et Grande Comore à Madagascar, et les lois du 9 mai 1946 et du 22 décembre 1961 relatives à l’organisation des pouvoirs publics aux Comores. Pourquoi donc remettre en cause, quinze ans plus tard, cette unité si ce n’est pour l’intérêt stratégique que représente Mayotte pour la France ?

Mayotte constitue en effet un emplacement stratégique pour les autorités françaises : contrôle maritime du canal du Mozambique par où transitent les deux tiers des exportations pétrolières en provenance du Moyen-Orient et possibilité d’y maintenir des bases militaires.

Mme Éliane Assassi. Au moins, je ne suis pas contredite sur cette question, monsieur Hyest !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Je n’ai pas parlé !

M. Yves Détraigne, rapporteur de la mission d’information sur Mayotte. Il n’a rien dit ! (Sourires.)

Mme Éliane Assassi. Personne n’ignore qu’afin d’éviter que la population mahoraise n’opte pour l’indépendance la consultation de 1974 a été précédée de répressions, d’intimidations et de violences.

Comment ne pas remettre en cause le résultat de cette consultation qui, de toute façon, aurait dû être organisée pour la population des Comores et non île par île ?

Pour mémoire, rappelons que la résolution n° 1514 du 14 décembre 1960 de l’Assemblée générale de l’ONU affirmait que « tous les peuples ont un droit inaliénable à la pleine liberté, à l’exercice de leur souveraineté et à l’intégrité de leur territoire national » et déclarait que « toute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un pays est incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations unies ».

Faisant fi de cette résolution – comme de celles qui allaient suivre d’ailleurs –, le Gouvernement français de l’époque décida donc de morceler l’archipel des Comores en maintenant Mayotte dans la République.

Alors que les Comores accèdent à l’indépendance le 6 juillet 1975 à la suite d’une déclaration unilatérale du Gouvernement des Comores, la France ne reconnaît l’indépendance que des seules îles de Grande Comore, Anjouan et Mohéli par la loi du 31 décembre 1975.

Elle organise deux consultations de la seule population de Mayotte sur son maintien dans la République. En février 1976, si 99,4 % des suffrages exprimés se prononcent pour ce maintien, en avril 1976, ce sont 97,47 % des suffrages qui se prononcent contre le statut de territoire d’outre-mer. La loi du 24 décembre 1976 créera ensuite la collectivité territoriale de Mayotte, avec un statut sui generis provisoire.

Or ces deux consultations ont été condamnées par l’Assemblée générale des Nations unies dans sa résolution 31/4 du 21 octobre 1976 sur la question de l’île comorienne de Mayotte, dont le texte parle de lui-même… Il y est ainsi considéré : « que  les référendums imposés aux habitants de l’île comorienne de Mayotte constituent une violation de la souveraineté de l’État comorien et de son intégrité territoriale ; que l’occupation par la France de l’île comorienne de Mayotte constitue une atteinte flagrante à l’unité nationale de l’État comorien, membre de l’Organisation des Nations unies ; qu’une telle attitude de la France constitue une violation des principes des résolutions pertinentes de l’ONU, en particulier de la résolution 1514 de l’Assemblée générale du 14 décembre 1960 [...] ».

À ce titre, l’assemblée générale « condamne les référendums du 8 février et du 11 avril 1976 organisés dans l’île comorienne de Mayotte par le Gouvernement français et les considère comme nuls et non avenus, rejette toute autre forme de référendums ou consultations qui pourraient être organisés ultérieurement en territoire comorien de Mayotte par la France et condamne énergiquement la présence de la France à Mayotte ».

Au total, ce seront plus d’une vingtaine de résolutions des Nations unies qui condamneront la France pour sa politique envers Mayotte et l’occupation illégale de son territoire.

L’appartenance de Mayotte à la souveraineté française n’est reconnue ni par les Nations unies ni par l’Union africaine.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Elle l’est par les Mahorais !

Mme Éliane Assassi. Ils en décideront au mois de mars.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Vous direz que c’est illégal !

Mme Éliane Assassi. Je n’ai jamais dit que j’étais contre le référendum, monsieur Hyest.

Vous ne pourrez éternellement réécrire l’histoire uniquement pour des raisons géostratégiques aux relents colonialistes.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est vous qui réécrivez l’histoire !

Mme Éliane Assassi. Et je suis moins sévère que certains, madame la ministre !

Pourtant, le Gouvernement français occultera toutes ces résolutions : aucune mention n’est faite de ces condamnations dans le rapport d’information de M. Hyest, pas plus que dans le compte rendu du conseil des ministres du 14 janvier 2009 à propos de l’organisation du référendum sur la départementalisation de Mayotte.

Contrairement à ce qui a été dit, la communauté internationale n’est pas restée silencieuse depuis dix ans, puisque les ministres africains des affaires étrangères ont condamné à l’unanimité l’organisation du référendum et exigent l’arrêt immédiat de ce processus.

Dans une décision prise au début du mois, l’Union africaine demande l’instauration immédiate d’un dialogue entre l’Union des Comores et la France en vue de définir ensemble les modalités du retour de Mayotte dans l’Union des Comores.

Ce référendum, qui doit être considéré, comme la consultation du 2 juillet 2000 sur l’accord relatif à l’avenir de Mayotte, comme nul et non avenu, tout autant que la départementalisation ne font que traduire la position néocolonialiste de la France à l’égard de Mayotte, en violation flagrante du droit international.

La départementalisation entérine le morcellement de l’archipel des Comores, au détriment de la population comorienne et de la stabilité institutionnelle et politique de l’archipel, dans le seul but de conserver la mainmise sur l’archipel et de maîtriser toute velléité indépendantiste.

Les Mahorais sont demeurés profondément Comoriens par la culture, la langue et la religion. Ce sont les mêmes familles qui peuplent les quatre îles de l’archipel.

Pourtant, ce sont ces mêmes familles comoriennes qui sont considérées comme des clandestins lorsqu’elles se rendent à Mayotte, ce que les rapporteurs de la mission d’information traduisent par le fait que Mayotte est « confrontée à une forte pression migratoire en provenance des îles composant l’Union des Comores ».

Il convient de rappeler que le visa «Balladur » a crispé les relations entre les îles de l’archipel, en créant une frontière artificielle qui sépare Mayotte de ses sœurs. Chaque année, ce sont donc des milliers de Comoriens qui tentent d’accéder à Mayotte sur des embarcations de fortune et qui, pour certains, perdent la vie dans cette traversée désespérée de l’Archipel.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Comment cela se fait-il, d’après vous ?

Mme Éliane Assassi. Depuis l’instauration du visa « Balladur » en 1994, près d’un millier de Comoriens meurent chaque année dans des naufrages entre Mayotte et Anjouan, l’île la plus proche.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est vrai !

Mme Éliane Assassi. La France engage sa responsabilité dans ces drames, tout autant que dans la gestion désastreuse de l’immigration à Mayotte.

Les chiffres sont éloquents : 13 990 étrangers en situation irrégulière ont été reconduits à la frontière en 2007. Sur ces 13 990 personnes, 13 829 sont Comoriennes. Autrement dit, ces femmes et ces hommes, Comoriens, qui tentent de se rendre sur un territoire qui doit être considéré comme comorien au regard du droit international, sont considérés comme des clandestins chez eux !

Ils se retrouvent pourtant parqués, entassés dans un centre de rétention administrative que la Commission nationale de déontologie de la sécurité, saisie en 2003 par ma collègue Nicole Borvo Cohen-Seat, a jugé « indigne de la République ».

Aujourd’hui rien n’a changé : une vidéo, tournée récemment par un agent de la police de l’air et des frontières, montre en effet que ces Comoriens « clandestins » sont toujours aussi nombreux : 200 pour un nombre de place estimé à 60. Quelques matelas jonchent le sol de deux salles exiguës séparant hommes et femmes ; les enfants dorment à même le sol aux côtés de leur mère : aucun endroit ne leur est spécifiquement adapté ; les restes des repas côtoient les poubelles, etc. Je m’arrêterai là dans cet inventaire de la honte.

Les conditions de rétention sont tout simplement inhumaines.

Le pire est que le rapport d’information souligne qu’« une forte proportion des personnes reconduites aux Comores reviennent à Mayotte à court ou moyen terme » ; comment voulez-vous qu’il en soit autrement puisque les Comoriens ont des liens indéfectibles avec Mayotte !

La départementalisation ne réglera en rien ce problème, puisqu’elle va accroître les écarts entre les populations des trois îles des Comores et Mayotte.

Si Mayotte devait devenir un département d’outre-mer, l’avenir qui se profile n’est en rien porteur d’espoir pour la population mahoraise.

En effet, l’assimilation au corpus républicain devra supposer, selon les termes du rapport, « un effort d’acculturation » ; le but est donc bien de couper tout lien culturel avec les îles sœurs d’Anjouan, de Grande Comore et de Mohéli, en contradiction avec les résolutions de l’ONU.

De plus, d’un point de vue social, c’est une départementalisation au rabais qui est prévue par le Gouvernement. Je pense notamment à la mise en œuvre du RMI et du SMIC, qui va se faire non seulement de manière progressive mais, de surcroît, sur une base inférieure à celle qui est applicable en métropole.

Sous prétexte que « la départementalisation ne doit pas […] ajouter des bouleversements et des frustrations provoqués par une élévation artificielle des niveaux de vie », selon les termes du rapport d’information, il ne paraît « pas envisageable que les habitants de Mayotte disposent immédiatement de l’ensemble des transferts sociaux en vigueur dans les départements de métropole ».