Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Pour ma part, je souhaite voir subsister l’autonomie des assemblées parlementaires. Je demande donc instamment à mes collègues de ne pas voter un tel amendement, qui vise à enserrer l’organisation propre de notre assemblée dans une loi organique.

Je comprends d’ailleurs que M. le secrétaire d’État ait éprouvé quelque gêne à émettre un avis sur cet amendement, car cela revient pour lui à interférer dans le fonctionnement des assemblées. Je vous en supplie, mon cher collègue, retirez votre amendement, qui n’a aucun sens !

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le rapporteur, pour faire droit à la demande de M. Yung, qui a toute sa légitimité puisque, dans les faits, une telle pratique ne prévaut pas, …

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est une sorte de résolution !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. … il serait possible de rectifier l’amendement pour prévoir que le règlement des assemblées déterminera les conditions dans lesquelles ces dernières peuvent demander des audits.

Mme Nathalie Goulet. Cela existe déjà !

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 162.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous rappelle que, sur proposition de la conférence des présidents, le Sénat a décidé d’examiner les articles 13, 13 bis et 13 ter du projet de loi organique, ainsi que l’amendement tendant à insérer un article additionnel après l’article 13 ter, le mardi 17 février, à partir de seize heures.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Article additionnel avant l'article 7 (début)
Dossier législatif : projet de loi organique relatif à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution
Discussion générale

3

Décision du Conseil constitutionnel

Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le président du Conseil constitutionnel, par lettre en date de ce jour, le texte d’une décision du Conseil constitutionnel relative à la conformité à la Constitution de la loi pour l’accélération des programmes de construction et d’investissement.

M. Jean-Pierre Sueur. Intéressante décision, madame la présidente !

Mme la présidente. Acte est donné de cette communication.

4

Communication

Mme la présidente. Conformément aux conclusions de la conférence des présidents, je vous indique que la commission des lois saisie au fond du projet de loi pénitentiaire se réunira le mercredi 18 février, à neuf heures trente, pour examiner les amendements déposés sur ce projet de loi, dont la discussion en séance publique commencera le mardi 3 mars.

La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, la commission des lois a décidé de transmettre son calendrier, mais il n’appartient pas encore à la conférence des présidents de décider des réunions des commissions ! Nous n’avons fait que communiquer une information. Ce sont tout de même les commissions qui décident de se réunir quand elles le souhaitent ! Elles sont d’ailleurs parfois contraintes de prévoir des réunions supplémentaires.

Mme la présidente. Il vous revient en effet de prendre les décisions à cet égard, monsieur le président de la commission.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente-cinq, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Jean-Léonce Dupont.)

PRÉSIDENCE DE M.  Jean-Léonce Dupont

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

5

Consultation des Électeurs de Mayotte

Débat sur une déclaration du Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, en application de l’article 72-4 de la Constitution, sur la consultation des électeurs de Mayotte sur le changement de statut de cette collectivité.

La parole est à Mme la ministre.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, depuis 1976, date à laquelle elle est devenue collectivité territoriale à statut particulier, Mayotte a vu se succéder les réformes. Pourtant, trente années de réformes n’ont pas suffi à répondre à la volonté, exprimée à Mayotte, d’un rapprochement avec la métropole.

Lors de sa campagne électorale pour les élections présidentielles de 2007, le Président de la République s’était engagé à consulter les Mahorais pour trancher une fois pour toutes la question institutionnelle.

Le conseil général de Mayotte s’est prononcé à l’unanimité le 18 avril 2008 en faveur de la départementalisation.

Dès lors, une feuille de route, le Pacte pour la départementalisation de Mayotte, a été proposée par le Gouvernement et présentée par le Président de la République le 16 décembre. Des améliorations y ont été apportées grâce aux échanges avec les élus de Mayotte.

La procédure de changement de statut décidée par le Gouvernement a été lancée le 14 janvier 2009. Le décret du 20 janvier 2009 met en œuvre la décision d’organiser la consultation des électeurs.

Le 29 mars prochain, une consultation référendaire permettra aux Mahorais de se prononcer démocratiquement sur leur avenir. La question posée aux électeurs sera ainsi libellée : « Approuvez-vous la transformation de Mayotte en une collectivité unique appelée “Département”, régie par l’article 73 de la Constitution, exerçant les compétences dévolues aux départements et aux régions d’outre-mer ? »

L’organisation de ce scrutin répond à une exigence de transparence et d’information de l’électeur à toutes les étapes de la consultation. La question formulée pour un référendum doit être claire, afin qu’il puisse y être répondu par « oui » ou par « non ».

Lors de la phase préparatoire au scrutin, le Pacte pour la départementalisation de Mayotte a été adressé à l’ensemble des foyers mahorais. Il s’accompagne d’un résumé traduit dans les deux langues communément parlées à Mayotte en plus du français.

Après le scrutin, si les Mahorais acceptent l’évolution institutionnelle proposée, un projet de loi organique sera présenté dès cet été à la représentation nationale pour tirer les conséquences du scrutin. Une loi ordinaire viendra le compléter.

Le scrutin du 29 mars prochain engage l’avenir de Mayotte.

La feuille de route définie par le Gouvernement en concertation avec les élus de Mayotte accompagne cette évolution, d’une part, en précisant très clairement les principes qui guideront la mise en place des nouvelles institutions et, d’autre part, en fixant de nouveaux objectifs à la politique de développement économique, social et culturel de Mayotte.

Tout d’abord, si les électeurs mahorais approuvent le changement institutionnel, les institutions de Mayotte évolueront conformément aux principes et aux valeurs de la République.

Des institutions en phase avec les aspirations des Mahorais et de leurs élus, tel est le premier objectif du Gouvernement.

Le département de Mayotte sera créé en 2011. Il s’agira d’une collectivité à statut particulier de l’article 73 de la Constitution, regroupant les compétences du département et de la région, comme il en existe déjà.

S’agissant du mode de scrutin et du nombre de conseillers élus, j’ai engagé une discussion avec les élus mahorais. Ce sera l’objet des textes suivants.

Les responsabilités de chacun seront clarifiées. Entre la collectivité unique et les communes, une nouvelle répartition des compétences sera mise en œuvre.

Cela suppose, bien entendu, des moyens financiers adéquats. La mise en place de la taxe foncière donnera aux maires de nouveaux moyens pour exercer leur responsabilité.

La tutelle de fait du conseil général sur les communes disparaîtra.

La création du département de Mayotte s’accompagnera d’une adaptation des ressources et de la fiscalité de la collectivité. La fiscalité sera progressivement alignée sur le droit commun. Pour garantir la stabilité des ressources du futur département de Mayotte, des adaptations seront toutefois nécessaires pour la fiscalité professionnelle comme pour la fiscalité des particuliers.

Un travail en profondeur devra bien entendu être poursuivi pour la valorisation du plan cadastral. Il reste beaucoup à faire en la matière.

L’évolution institutionnelle entraînera une modification du statut de Mayotte au regard du traité sur l’Union européenne. Mayotte est en effet classée actuellement comme « pays et territoire d’outre-mer », ou PTOM, et souhaite l’évolution de son statut vers celui de région ultrapériphérique, ou RUP. Bien entendu, le Gouvernement portera cette demande auprès des autorités européennes. Mais cette dernière sera conditionnée par la validation des acquis communautaire. L’accès aux fonds structurels européens ne sera possible qu’à l’échéance de l’actuel programme, en 2013.

La création d’une nouvelle collectivité n’est pas une simple question technique, et j’insiste sur ce point. Elle doit permettre de conforter Mayotte dans la République en lui appliquant un certain nombre de principes et de valeurs.

La mise en place d’un état civil stable est la garantie du respect des droits de chacun. Un travail important a été réalisé par la Commission de révision de l’état civil, la CREC, mais beaucoup reste à faire en la matière. Les travaux de cette commission doivent gagner en rapidité et en efficacité. Son fonctionnement sera donc aménagé et amélioré. J’y travaille avec le garde des sceaux, afin que nous soyons en mesure de tenir les échéances et de remplir nos obligations, notamment en matière de sécurité.

Conforter Mayotte dans la République, c’est aussi réaffirmer les principes qui fondent notre pacte républicain.

L’égalité entre les hommes et les femmes devra être pleinement respectée. Je sais qu’à Mayotte les femmes ont toujours joué un très grand rôle, même sans que cela se dise. (M. le président de la commission des lois acquiesce.) Elles ont toujours su imposer leur vision des choses, jusqu’à « la chatouille », n’est-ce pas ? (Sourires.)

Mme Michèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Vive la chatouille ! (Nouveaux sourires.)

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Mais il y a de toute façon un principe républicain. Après tout, peut-être ce dernier protégera-t-il les hommes ? (Rires.) L’égalité entre les hommes et les femmes devra donc être pleinement respectée.

Les règles actuellement en vigueur à Mayotte concernant le mariage devront disparaître. Là encore, elles seront alignées sur celles qui prévalent partout ailleurs en France. La polygamie sera interdite pour l’avenir.

L’âge légal minimal des femmes pour se marier sera relevé de quinze ans à dix-huit ans. Toute référence au tuteur matrimonial sera supprimée, afin de garantir le libre consentement des époux. Le mariage religieux devra avoir été précédé d’un mariage en mairie par un officier de l’état civil.

La justice est la même pour tous les citoyens français, à Mayotte comme sur tous les territoires de la République. Tous les citoyens doivent bénéficier des mêmes droits et garanties devant la justice.

La justice cadiale sera donc supprimée. Les cadis pourront continuer à exercer une mission d’expertise et de médiation auprès des magistrats de droit commun.

Le français est la langue de la République. Tout doit être fait pour donner de meilleures chances aux Mahorais. Cela passe aussi par une meilleure maîtrise du français qui, à Mayotte, n’est parlé que par une partie de la population.

Le Gouvernement s’engage à mobiliser l’ensemble des services publics concernés : éducation nationale, culture, audiovisuel. Il travaillera en liaison étroite avec l’ensemble du monde associatif local, qui a un rôle important à jouer.

Ainsi, mesdames et messieurs les sénateurs, la départementalisation de Mayotte entraînera de profonds changements institutionnels.

Cette départementalisation, si elle est souhaitée par les Mahorais, devra aussi s’accompagner d’un nouvel élan pour le développement économique, social et culturel de l’île.

Telle est la deuxième ambition affirmée par la feuille de route.

Cela implique, bien entendu, des instruments adaptés. Un fonds de développement économique, social et culturel contribuera à donner à Mayotte les équipements nécessaires à son développement.

Pour des raisons d’efficacité et de rapidité, il a été décidé que ce fonds serait créé non pas ex nihilo, mais à partir de l’actuel fonds mahorais de développement. Bien entendu, le montant des ressources de ce dernier sera réévalué pour correspondre à l’ambition affichée et les acteurs socio-économiques devront être mieux associés à la gouvernance du fonds.

Le développement économique n’est évidemment pas une fin en soi. Si nous le recherchons, à Mayotte comme partout sur le territoire national, c’est aussi pour que les individus en tirent bénéfice. L’homme doit en effet être toujours le cœur et la finalité de toute politique, notamment de toute politique de développement économique.

Pour pouvoir répondre à cet objectif, qui vise à permettre aux hommes et aux femmes de Mayotte de mieux se développer, il faut aussi prendre en compte un certain nombre de spécificités.

Ainsi, pour qui connaît la situation de Mayotte – et je sais qu’un certain nombre d’entre vous sont dans ce cas, pour être des élus de Mayotte ou pour s’y être rendus –, il n’est évidemment ni possible ni souhaitable de verser immédiatement des prestations sociales au même taux que dans les départements de métropole et d’outre-mer.

Une bascule brutale du système, dans l’environnement géographique que nous connaissons, avec la situation des Comores ou de Madagascar, risquerait de déstabiliser complètement l’économie de l’île et, s’agissant des pays voisins, de créer immédiatement un appel d’air. Celui-ci aggraverait l’immigration irrégulière, qui, comme nous le savons, est l’un des problèmes majeurs de Mayotte.

Nous souhaitons donc atteindre le but fixé en prenant le temps nécessaire pour permettre un alignement progressif des prestations sociales, correspondant au développement et à la mise en œuvre des autres évolutions.

De nouvelles politiques de solidarité seront mises en place grâce au nouveau fonds, qui financera en particulier des structures d’accueil pour les enfants, les personnes handicapées et les personnes âgées. Dans ce domaine, il n’existe aucun risque d’appel d’air ou de déstabilisation.

Nous sommes donc prêts, dès 2010, à revaloriser un certain nombre d’allocations, notamment les allocations familiales, et à poursuivre cet effort en 2011.

Nous sommes également prêts à revaloriser l’allocation spéciale pour les personnes âgées et l’allocation aux adultes handicapés dès 2010. Sur ces sujets, nous disposons de moyens de contrôle et nous pouvons éviter un certain nombre de dérives. J’ai demandé une expertise sur cette question, afin que, au moment opportun, nous puissions tendre vers le montant versé en métropole et dans les départements d’outre-mer.

Une mission interministérielle d’audit sur le logement social sera menée dans les prochains mois. Sur ce dossier également, certaines spécificités, s’agissant tant des faiblesses que des besoins d’allocation, doivent être prises en compte.

Dès les résultats de cette étude connus, la création de l’allocation de logement social pourra être envisagée à Mayotte. La mission nous permettra de préciser la date exacte de cette création, qui se fera en 2010 ou en 2011.

Le revenu de solidarité active et les autres allocations de solidarité seront mises en place en 2012, à un niveau qui correspondra initialement au quart du niveau national. Ces allocations progresseront ensuite d’année en année, ce qui permettra de rattraper la norme nationale sur une période d’environ vingt à vingt-cinq ans tout en s’assurant que l’environnement pourra intégrer et accepter ces évolutions.

Par ailleurs, pour préserver l’équilibre social, il faut aussi agir à l’égard de l’immigration irrégulière qui, nous le savons, est très problématique à Mayotte.

En la matière, il faut toujours prendre en compte le facteur humain. Il est certain que les populations qui tentent à tout prix de venir à Mayotte, même en situation irrégulière, le font parce que, là où elles sont, notamment dans les autres îles de l’archipel des Comores, elles ne trouvent ni l’environnement économique, ni l’environnement social, ni l’environnement politique, celui-ci étant souvent très tendu, leur permettant de s’épanouir.

Il faut savoir prendre en compte cette réalité et être humain. Mais il est aussi important, au regard des besoins de Mayotte, d’être ferme sur la question.

L’entrée, l’éloignement et le séjour des étrangers sur le territoire national continueront donc de répondre à des règles de droit spécifique à Mayotte, qui seront maintenues en l’état.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, il y aurait certainement encore beaucoup à dire ! Mais je pense que les interventions à venir permettront de préciser tous ces points.

Je veux simplement souligner que, avec cette nouvelle démarche, nous faisons le choix de la responsabilité, en confiant l’avenir de Mayotte à la décision souveraine des Mahorais.

Nous faisons aussi le choix de l’efficacité, en inscrivant l’évolution institutionnelle de Mayotte dans un calendrier resserré et subordonné à un certain nombre d’étapes, notamment en ce qui concerne la réalisation d’un état civil fiable.

Nous faisons enfin le choix des valeurs, en réaffirmant les principes et les valeurs qui font, aujourd’hui comme hier, l’unité de notre République et la pérennité de notre démocratie. (Applaudissements sur les travées de lUMP, de lUnion centriste et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, Mayotte est devenue française en 1841 et, cinq années plus tard, l’ordonnance royale du 9 décembre 1846 abolissait l’esclavage dans cet archipel qui avait connu de nombreuses razzias.

Dès les premières années, l’appartenance à la France est ainsi devenue synonyme de liberté pour la grande majorité des Mahorais.

Le 18 avril 2008, le conseil général de Mayotte a adopté à l’unanimité une résolution demandant que l’île accède au régime des départements et régions d’outre-mer, défini à l’article 73 de la Constitution. Le Président de la République, conformément à ses engagements, a choisi de lancer le processus d’évolution statutaire.

Comme vous l’avez rappelé, madame le ministre, les électeurs de Mayotte auront donc à répondre le 29 mars prochain à la question suivante : « Approuvez-vous la transformation de Mayotte en une collectivité unique appelée "Département”, régie par l’article 73 de la Constitution, exerçant les compétences dévolues aux départements et aux régions d’outre-mer ? »

Vous l’avez également signalé, madame le ministre, une exigence de transparence, que nous partageons bien entendu, veut que les Mahorais soient informés des tenants de cette future départementalisation avant de faire leur choix. Le Pacte pour la départementalisation de Mayotte a donc été adressé à tous les électeurs pour leur permettre de se prononcer en toute connaissance de cause.

Les Mahorais attendent la question qui leur est posée depuis des décennies, et l’attention du Sénat et de sa commission des lois a accompagné chaque étape de l’histoire de Mayotte.

Ainsi, à la veille d’une probable évolution statutaire majeure, une mission d’information de la commission des lois s’est rendue à Mayotte du 1er au 6 septembre 2008. Il s’agissait – nos collègues de Mayotte s’en souviennent ! – du troisième déplacement de la commission sur l’île en huit ans.

Au cours de cette mission, Michèle André, Christian Cointat, Yves Détraigne et moi-même avons rencontré l’ensemble des responsables politiques, administratifs, socio-économiques et associatifs. Ceux d’entre nous qui connaissaient déjà Mayotte ont mesuré les progrès indéniables de la collectivité en matière d’équipement. Nous avons également observé les retards dont la correction suppose un effort particulier de la part des Mahorais, de leurs élus et de l’État.

À l’issue de cette semaine de travail, complétée par des auditions à son retour à Paris, la mission d’information a proposé à la commission des lois d’approuver la démarche engagée par le Président de la République et le Gouvernement pour permettre à Mayotte de devenir le cent unième département français.

Mayotte exprime depuis plus de cent soixante ans un attachement indéfectible à la France. Depuis 1958, la départementalisation est revendiquée comme le moyen d’ancrer le plus solidement possible Mayotte au sein de la République française. Le choix d’accéder au statut départemental représente aussi une garantie pour la population de Mayotte : un ancrage plus fort dans la République et l’assurance de pouvoir vivre dans un état de droit et dans une société démocratique.

Au cours des trente dernières années, cette revendication ne pouvait être satisfaite, car Mayotte n’était pas prête. Outre le contexte international, c’est avant tout l’attachement des Mahorais à leur mode de vie traditionnel qui a justifié les options statutaires passées. À cette époque, Mayotte n’aurait pu devenir un département sans connaître une profonde crise sociale et identitaire, en raison d’une application trop brutale du droit commun.

Mais, en 2009, la situation a évolué. La population de Mayotte est devenue plus mobile. De nombreux Mahorais ont fait des études et se sont déjà rendus plusieurs fois en métropole ou à la Réunion.

Les efforts accomplis depuis trente ans pour rapprocher l’île du droit commun dans de nombreux domaines ont changé la donne. Mayotte dispose aujourd’hui d’un statut sur mesure, défini en 2001 et actualisé en 2007, qui lui a permis d’avancer progressivement vers l’application du droit commun.

L’accès au statut de département et région d’outre-mer permettra d’achever cet alignement sur le droit commun, tout en préservant des possibilités d’adaptation, bien évidemment justifiées par les caractéristiques et contraintes particulières de Mayotte, tel que le prévoit la Constitution pour les territoires d’outre-mer.

Si Mayotte est aujourd’hui une collectivité d’outre-mer, elle le doit en grande partie à ses très fortes particularités.

Ainsi, à Mayotte, deux statuts civils coexistent : le statut de droit commun, que nous connaissons en métropole, et le statut personnel ou statut civil de droit local, dont relèvent les Mahorais musulmans qui n’y ont pas renoncé. À cette dualité de statuts correspondent une dualité des règles en matière d’état des personnes et des biens ainsi qu’une justice particulière aux citoyens de statut personnel, rendue par les cadis.

Le statut personnel, la justice cadiale et l’état civil sont trois points majeurs d’évolution nécessaire en vue de la départementalisation.

Le statut personnel a certes connu plusieurs modifications, qui, depuis 2001, l’ont rapproché des principes républicains en matière de polygamie, de répudiation, de divorce ou de droit des successions. Mais il doit encore être rendu pleinement compatible avec les droits fondamentaux de notre République. De nouvelles modifications doivent lui être apportées pour garantir aux personnes qui en relèvent les mêmes droits qu’aux personnes ayant le statut civil de droit commun.

Il s’agit d’une réforme indispensable pour assurer l’égalité entre les hommes et les femmes, comme vous l’avez rappelé, madame le ministre. La départementalisation rend ainsi indispensable l’interdiction de toute nouvelle union polygame.

En ce qui concerne la justice cadiale, les membres de la mission d’information ont rencontré le grand cadi, les cadis et les magistrats du tribunal supérieur d’appel.

Je rappelle que le cadi fonde ses décisions à la fois sur la doctrine musulmane et sur des règles coutumières issues d’Afrique de l’Est. La justice cadiale est marquée par la quasi-inexistence de règles procédurales, une méconnaissance totale du principe du contradictoire et de la représentation par avocat. C’est, il faut le dire, une justice aléatoire, sans garantie, critiquée par les Mahorais eux-mêmes.

C’est pourquoi la commission des lois estime, comme l’a également souligné Mme le ministre, que la départementalisation devra s’accompagner de la suppression des fonctions juridictionnelles des cadis.

La départementalisation de Mayotte et l’organisation même de la consultation du 29 mars prochain posent en outre la question de l’état civil des Mahorais.

Vu de métropole, où l’état civil remonte au xvie siècle – il est en réalité beaucoup plus ancien, mais il n’est à peu près lisible que depuis cette époque –, il est difficile de mesurer le changement que représente pour les Français de Mayotte la fixation de leur état civil, avec nom et prénoms.

Les travaux de la Commission de révision de l’état civil, la CREC, ont progressé trop lentement. Les Mahorais ayant fait en grand nombre la démarche de saisir cette commission, qui doit fixer leurs nom et prénoms et établir les actes d’état civil, on dénombre plus de 14 000 dossiers en instance. Il me semble avoir lu dans les comptes rendus des débats de l’Assemblée nationale que, pour l’année 2008, moins de 800 dossiers avaient été traités.

En outre, y compris après le traitement de ces 14 000 dossiers, de nombreuses personnes n’auront toujours pas d’état civil parce qu’elles ne l’ont pas demandé.

Or, les Mahorais, en l’absence d’un acte de naissance reconstitué par la CREC, pourraient se trouver comme des « étrangers en France », n’étant pas en mesure d’obtenir des documents d’identité. Hors Mayotte, en effet, les exigences de certaines préfectures, mairies ou départements pour le renouvellement d’une carte d’identité sont impossibles à satisfaire, ce qui est paradoxal. Une telle situation est contraire au principe d’égalité et exige d’être rapidement corrigée. L’action de l’État doit trouver en ce domaine plus de cohérence.

Nous ne pouvons demander aux Mahorais d’appliquer le droit commun si nous ne sommes pas en mesure de fixer leur état civil. La réalisation de cet objectif conditionne en outre l’établissement de listes électorales fiables.

La commission des lois, notamment notre excellent collègue Yves Détraigne qui s’exprimera tout à l’heure, a d’ailleurs émis plusieurs recommandations pour accélérer le traitement des dossiers par la CREC.

Il faut prévoir la nomination d’au moins un vice-président, qui pourrait être un fonctionnaire qualifié en matière d’état civil, afin de doubler le nombre d’audiences et de multiplier ainsi le nombre de décisions rendues chaque semaine.

Il convient également de créer une équipe administrative de cinq ou six fonctionnaires aguerris en matière d’état civil, qui seraient chargés de coordonner les travaux des rapporteurs et de superviser la préparation des décisions.

La mission d’information de la commission des lois a souligné que la population de Mayotte devait être pleinement informée des implications et des conséquences de la départementalisation. Le Pacte pour la départementalisation de Mayotte, que tous les Mahorais ont lu, j’en suis sûr, avec le plus grand intérêt, a fait connaître ces éléments.

Cette évolution statutaire interviendra en effet, alors que la situation de Mayotte paraît porteuse de risques et d’inquiétudes. Elle demandera d’importants efforts aux habitants, aux élus et à l’État. L’avenir de l’archipel repose sur un équilibre fragile, que l’accès au statut de département et région d’outre-mer doit non pas compromettre, mais renforcer.

Il appartiendra à chacun d’assumer ses responsabilités pour que le changement de statut permette à Mayotte de mieux surmonter les défis auxquels elle est confrontée.

Le premier de ces défis, particulièrement visible, réside dans l’immigration irrégulière, qui, contribuant à la jeunesse et à la forte croissance de la population, paraît annihiler parfois les efforts déployés pour développer l’archipel.

Mayotte est confrontée à une très forte pression migratoire en provenance des îles composant l’Union des Comores, en particulier de l’île d’Anjouan, distante de soixante-dix kilomètres.

Un nombre élevé de clandestins perdent la vie en tentant de gagner Mayotte à bord de « kwassas-kwassas ».

En dépit des moyens très importants déployés par l’État dans la lutte contre l’immigration illégale, la population en situation irrégulière représenterait environ 35 % de la population totale de Mayotte, soit près de 60 000 personnes.

Madame le ministre, la délégation de la commission des lois a visité le Centre de rétention administrative, créé en 2003 pour accueillir les étrangers faisant l’objet d’une procédure d’éloignement ou d’une interdiction du territoire français. Ce centre a bénéficié – et c’était bien utile – de travaux d’amélioration au cours des derniers mois. Mais la construction d’un nouveau centre, qui est prévue par votre ministère, doit rester une priorité.

Le maintien de règles spécifiques en matière d’entrée et de séjour des étrangers paraît donc indispensable.

La commission des lois considère par ailleurs que l’immigration ne pourra être maîtrisée sans une coopération massive – elle se révèle difficile, je le sais – entre la France et l’Union des Comores. Celle-ci serait bénéfique aux deux pays et favoriserait un équilibre plus solide dans cette partie de l’océan Indien.

Mayotte est donc confrontée à des difficultés que peu d’autres collectivités françaises connaissent : elle doit à la fois faire face à une explosion démographique, former ses enfants, assurer à ces derniers un avenir professionnel et assimiler l’ensemble des principes républicains.

La population de l’archipel a été multipliée par huit au cours des cinquante dernières années, atteignant aujourd’hui près de 190 000 habitants.

Entre 1997 et 2007, la population scolaire de Mayotte a augmenté de 62 % : quarante écoles, qui accueillent deux fois plus d’élèves qu’en métropole en raison de l’organisation du temps scolaire – les élèves vont en classe soit le matin, soit l’après-midi –, ont été construites, ainsi que sept collèges et quatre lycées.

Les enfants mahorais doivent souvent faire l’apprentissage de deux ou trois langues : le shimaoré ou le shibushi, l’un ou l’autre étant leur langue maternelle, le français, langue de l’école, et l’arabe, enseigné à l’école coranique.

L’intense effort de scolarisation déployé par l’État est donc indispensable à l’apprentissage de la langue française et au développement équilibré de l’archipel. Nous avons d’ailleurs pu observer sur place la grande motivation des personnels de l’éducation nationale.

L’explosion démographique et l’immigration irrégulière donnent l’impression que les efforts visant à développer Mayotte s’apparentent à un travail de Sisyphe ! Aussi l’accès au statut de département et région d’outre-mer doit-il être le moyen pour Mayotte de relever les énormes défis auxquels elle est confrontée.

La départementalisation devrait ainsi s’accompagner, à terme, d’un changement de statut de Mayotte au sein de l’Union européenne. Mayotte figure en effet parmi les pays et territoires d’outre-mer. L’obtention du statut de région ultrapériphérique lui permettrait d’accéder aux financements européens et de faire des progrès rapides en matière d’infrastructures et de développement économique.

Certes, l’évolution du statut de Mayotte en droit interne est sans conséquence sur la situation de la collectivité au regard de l’Union européenne. (M. Jean-Paul Virapoullé acquiesce.) Le traité de Lisbonne permettrait d’intégrer Mayotte à la liste des régions ultrapériphériques, sans modifier l’article 299, si le Conseil de l’Union européenne le décidait à l’unanimité. Cet objectif fera l’objet du programme suivant, qui sera mis en œuvre à compter de 2013. Une telle évolution, qui est indispensable, devrait permettre de financer les équipements nécessaires dans un certain nombre de domaines.

Enfin, en ce qui concerne la nouvelle organisation statutaire de Mayotte, la commission des lois juge adapté le maintien d’une seule assemblée exerçant à la fois les compétences du département et de la région. La question qui sera posée aux Mahorais porte d’ailleurs sur ce sujet.

Le nouveau département aura besoin de ressources fiscales.

Il faudra pour cela créer une fiscalité locale, qui paraît aujourd’hui inapplicable. En effet, si le plan cadastral de Mayotte est achevé depuis décembre 2004, il ne comporte aucune évaluation de la valeur locative des parcelles.

Par ailleurs, la collectivité départementale tire une part importante de ses ressources des droits de douane : ces recettes douanières ne pourront subsister que de façon transitoire si Mayotte accède au statut de région ultrapériphérique.

L’évolution statutaire impliquera donc un effort important en matière de fiscalité : il sera nécessaire de défaire le système actuel pour en construire un nouveau. Mais peut-être, d’après ce que j’ai compris, une telle évolution ne concerne-t-elle pas uniquement Mayotte. (Mme Nathalie Goulet s’exclame.)

Une démarche progressive semble s’imposer également en ce qui concerne l’application à Mayotte des prestations sociales. Vous l’avez d’ailleurs très bien précisé, madame le ministre, en évoquant certaines allocations.

En effet, si l’assimilation des principes républicains suppose un effort d’acculturation, la départementalisation ne doit pas y ajouter les bouleversements et les frustrations que provoquerait une élévation artificielle des niveaux de vie ou une déstructuration sociale.

Le Pacte pour la départementalisation de Mayotte prévoit que les prestations s’appliqueront de façon progressive, ce qui rejoint parfaitement les recommandations émises par la commission.

Je rappelle que la mise en œuvre de l’égalité entre les prestations dans les départements d’outre-mer a demandé beaucoup de temps.