M. le président. La parole est à Mme Annie David, sur l'article.

Mme Annie David. Nous commençons donc l’examen de cet article 17 et nous en aurons, je crois, pour un moment...

Le 1er juillet dernier, Nicolas Sarkozy prenait la présidence de l’Union européenne pour une durée de six mois. Une Europe qu’il disait vouloir citoyenne, alors même qu’il refuse toujours au peuple de France le droit de se prononcer directement sur son projet de traité simplifié, alors même qu’il ignore somptueusement le « non » des citoyennes et citoyens irlandais, considérant, au choix, qu’il s’agit d’un incident, ou qu’une poignée de citoyens irlandais n’aurait pas le droit de bloquer son processus. Il veut d’ailleurs les faire revoter !

Et pour éviter de vous mettre trop mal à l’aise, je ne parlerai pas du refus annoncé par le Gouvernement polonais de ratifier cette « Constitution européenne bis ».

Le 10 juin dernier, les ministres européens de l’emploi, dont vous-même, monsieur Bertrand, ont approuvé le projet de directive européenne proposé par la Commission et qui aura pour conséquence, demain, de porter la durée maximale du temps de travail à 65 heures au Royaume-Uni, et à 60 heures pour le reste de l’Europe, dont la France.

Ainsi, les 48 heures hebdomadaires restent officiellement de mise, mais cette directive européenne permet, comme le texte que nous examinons aujourd’hui, d’en contourner les règles, d’y déroger, pour finalement asseoir progressivement une durée maximale qui se sera progressivement généralisée.

Vous avez transposé en Europe – avec brio, d’ailleurs – la technique que vous utilisez en France. À moins que vous ne transposiez en France une technique de gouvernance européenne qui veut que vous commenciez par ouvrir une brèche dans une législation, avant d’en finir complètement avec elle.

Vous aurez compris, monsieur le ministre, où je veux en venir.

Avec cet article 17, vous entendez généraliser les forfaits en jours ou en heures à toutes et tous les salariés,…

M. Xavier Bertrand, ministre. C’est faux !

Mme Annie David. …alors même qu’aujourd’hui seuls les cadres et certains salariés dont l’activité est bien précise nécessitaient une réelle autonomie de gestion et d’organisation. Seuls ceux-là étaient concernés.

Ainsi, demain, ce sont tous les salariés autonomes de notre pays qui pourront être contraints – je dis bien « contraints » – d’accepter des forfaits en jours, en heures, ou mensuels.

Contraints, car malgré vos déclarations, nous le savons tous ici, et vous ne pouvez l’ignorer, le marché du travail est tel qu’aujourd’hui ce sont les employeurs qui dictent leurs règles aux salariés.

Avec cet article 17, avec la directive européenne, nous voyons bien quelle est votre conception de l’Europe : une Europe technocratique, qui se joue loin des peuples, pour les intérêts du marché et des capitaux, contre ceux des salariés.

J’en veux pour preuve, monsieur le ministre, votre obstination à vouloir imposer ces forfaits en jours alors que cette disposition est déjà condamnée en France par un arrêt de la Cour de cassation qui exige, même en cas de forfait en jours, que l’on recompose le temps de travail du salarié pour lui apporter une juste rémunération.

Ce qui ne fait pas de doute, c’est que demain, une fois encore, comme cela a été le cas avec le contrat nouvelles embauches, ou CNE, la France sera condamnée. Ce ne sera pas pour la violation d’une convention de l’Organisation internationale du travail – cela ferait trop plaisir à M. Dassault, d’ailleurs – ; cette fois-ci, la France sera condamnée par la Cour européenne en raison de la violation de l’article 2-1 de la charte sociale européenne, qui prévoit que les États s’engagent à « fixer une durée raisonnable au travail journalier et hebdomadaire ».

Autant dire l’inverse de ce que vous faites en créant une nouvelle catégorie des salariés : ceux dont la durée de travail n’a pour seule limite que la disposition du code du travail qui exige une durée minimale de repos de onze heures entre deux jours de travail.

Voilà quelle Europe vous bâtissez, monsieur le ministre. Une Europe prompte à déplacer des montagnes dès lors qu’il s’agit de faire régner les nouvelles règles d’une économie toujours plus libérale, mais une Europe qui peut se mépriser elle-même, par le biais de ces plus hauts dignitaires, dès lors qu’il s’agit de peser sur les droits sociaux.

Monsieur le ministre, vous êtes aujourd’hui le représentant de la France au sein de l’Europe en matière de travail. Le signal que vous envoyez à vos homologues est désastreux. Vous leur dites expressément de mépriser leurs engagements internationaux, de faire mentir leurs États, de dévaluer le poids de la parole donnée.

Autant dire que votre responsabilité est grande ! Tout cela, vous le paierez demain, et c’est toute l’Europe qui en pâtira !

M. Guy Fischer. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon, sur l'article.

M. Jean-Luc Mélenchon. Les annales de nos débats me permettent de vous dire que j’ai toujours, pour ma part, défendu dans cet hémicycle l’idée que le forfait en jours était une idée que je n’approuvais pas, quel qu’ait été le Gouvernement conduit à en présenter ici des extensions ou des créations.

Pourquoi ? Parce que j’estime que le forfait en jours est la forme embellie et « euphémisée » du travail à la tâche. Celui-ci a toujours été en fin de compte une source de surexploitation du travailleur. Le forfait en jours contient cette espèce de folie qui consiste à rendre le travailleur – dans ce cas, il s’agit d’un cadre, évidemment – en quelque sorte responsable de son exploitation.

C’est ce qu’illustrait très bien la lettre du syndicat CGT de Renault Technocentre dont je vous ai lu quelques extraits tout à l’heure. J’ai regretté que vous n’ayez pas accordé beaucoup d’intérêt à ce document parce qu’il décrit assez bien, vu de l’intérieur, dans le Technocentre Renault, comment les cadres ressentent et mettent en œuvre eux-mêmes cette logique folle qui les conduit à ne pas compter leurs heures et à considérer que celui qui le fait n’est pas un bon cadre.

Selon moi, le forfait en jours n’est pas une bonne idée. Certes, je comprends parfaitement pour quelles raisons il en est ainsi : en effet, certaines tâches nécessitent une continuité, notamment les tâches de responsabilité. Mais enfin, le résultat est toujours le même.

L’endiguement qui a été donné à cette dérive du temps de travail des cadres a consisté à inventer ce forfait en jours afin de pouvoir rendre applicable la réduction du temps de travail à ces cadres. Sans cela, nous a-t-on dit à l’époque, on ne savait pas comment s’y prendre pour qu’elle s’applique à eux également.

Cela a d’ailleurs donné lieu dans les entreprises à une survalorisation de cette négociation sur le forfait en jours par rapport au travail posté et par rapport au travail directement productif. Par conséquent, dans la négociation par l’entreprise, les 35 heures ont souvent tourné au désavantage de ceux qui sont à la production et à l’avantage seulement de ceux qui sont dans les bureaux, et plus on était dans les bureaux, plus on en profitait !

Maintenant voyons la nouvelle disposition. Peut-être n’ai-je pas bien compris, je reconnais que je ne suis pas l’un des grands spécialistes du code du travail dans cette assemblée, quoique j’ai participé à un très grand nombre de débats.

Que reste-t-il de la réduction du temps de travail pour les cadres, après cette nouvelle définition du forfait en jours ? Si j’ai bien compris, le plafond légal passe de 218 à 235 jours. Il suffirait d’un simple accord d’entreprise pour aller au-delà des 235 jours et atteindre 282 jours travaillés. Si les comptes que j’ai sous les yeux sont justes, cela fait six jours sur sept toute l’année, à l’exception des cinq semaines de congés payés.

M. Guy Fischer. Voilà !

M. Jean-Luc Mélenchon. Ce calcul est-il juste ou ne l’est-il pas ?

M. Guy Fischer. Il est exact !

M. Jean-Luc Mélenchon. S’il est exact, cela signifie donc qu’il y a une catégorie de travailleurs qui dorénavant est susceptible de travailler six jours sur sept toute l’année, à l’exception des cinq semaines de congés payés, c’est-à-dire ceux qui relèvent habituellement du forfait en jours, autrement dit les cadres.

Mon calcul, le voilà : la limite légale théorique de 235 jours équivaut à une année pleine, 365 jours, de laquelle on retire les jours de congé, 25 jours, les samedis, 52 jours, les dimanches, 52 jours, et le 1er mai. Cela fait un total de 3 055 heures de travail par an, soit quasiment le double de la durée annuelle de 1 607 heures de travail correspondant au travail à 35 heures hebdomadaires.

Il apparaît clairement avec le forfait en jours que la durée légale du travail n’a vraiment qu’une valeur purement indicative.

J’exagère peut-être, le rapporteur me le dira, lui qui est toujours très précis et souvent convaincant dans ses arguments – nous l’apprécions pour cela ! (Sourires.)

Monsieur le rapporteur, une fois que l’on a travaillé 235 jours, que reste-t-il, mis à part le samedi et le dimanche ?

M. Alain Gournac, rapporteur. C’est Mme Aubry qui a établi les forfaits, pas moi !

M. Jean-Luc Mélenchon. Cher rapporteur, je vois que vous vous étonnez, mais vous avez compris, comme moi, qu’avec ce calcul les travailleurs peuvent travailler plus de dix heures par jour. Et donc, c’en est fini de la journée de huit heures qui pourtant a été adoptée en 1919 ! C’en est fini aussi de la durée de temps de travail adoptée en 1848 par le Gouvernement de la IIe République qui l’avait fixée à dix heures à Paris et à onze heures en province. Nous en revenons là !

Mais je suis sûr, monsieur le rapporteur, que vous allez m’éclairer, balayer mes arguments et qu’il n’en restera plus rien ! Évidemment, les lecteurs compareront vos arguments et les miens.

Ces conventions prévues à l’article 17 posent donc déjà un problème pour les cadres, qui sont aujourd’hui les classes moyennes. D'ailleurs, la grande découverte de ce nouveau quinquennat, c’est que ce sont les classes moyennes qui paient le plus durement l’extension du champ du libéralisme. J’espère qu’elles m’entendront, car se tromper de camp se paie très cher !

Comment doit-on comprendre que ce forfait en jours, sur la semaine ou sur l’année peut être également négocié par d’autres travailleurs, dès lors qu’il n’y a pas d’accord d’entreprise ? J’ai lu sur ce point le compte rendu des débats de l’Assemblée nationale, mais je n’ai toujours pas compris. Cela doit être lié au fait que je suis de gauche. (Sourires.) On comprend souvent moins vite, il faut nous expliquer plusieurs fois.

M. Guy Fischer. Surtout vous ! (Nouveaux sourires.)

M. Jean-Luc Mélenchon. Surtout moi, j’ai beaucoup de mal à comprendre dès qu’il s’agit des travailleurs, et on ne m’enfume pas si facilement !

Quelles sont les personnes autres que les cadres qui feront l’objet d’un tel forfait ? En effet, dès lors qu’il n’existe pas d’accord d’entreprise, l’extension est possible à presque tous les salariés. Mais pourquoi y aurait-il un accord d’entreprise s’il peut y avoir une convention de gré à gré ? Citez-moi une seule entreprise où les choses pourraient se passer différemment ! Il n’y en a pas, ce n’est pas possible.

M. Jean Desessard. Il y avait le forfait vacances, il y aura désormais le forfait travail !

M. Jean-Luc Mélenchon. J’attends donc les réponses à ces deux questions. Nous interviendrons ensuite sur les amendements pour donner notre avis sur la manière d’essayer de contenir ce qui se prépare là.

Selon la CFE-CGC, la Confédération générale des cadres, syndicat que vous citez souvent dans cet hémicycle, 60 % des cadres ont du mal à concilier leur vie professionnelle et leur vie privée et 36 % d’entre eux songent à quitter leur travail à cause du stress. Elle affirme également que le stress professionnel coûte en moyenne 3 % du produit intérieur brut, soit pour la France 51 milliards d’euros.

Qu’en pensez-vous, monsieur le rapporteur ? Vous pourriez nous éclairer de l’avis de la commission sur le sujet. Si ces chiffres sont exacts, ils sont sans commune mesure avec ceux que nous a donnés M. Fourcade qui, tout à l’heure, nous a expliqué ce que nous perdions à cause des 35 heures. Et tout cela est lié au stress !

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 85 est présenté par M. Godefroy, Mmes Demontès et Printz, M. Desessard, Mme Jarraud-Vergnolle et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.

L'amendement n° 247 est présenté par Mme David, MM. Fischer et Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Gisèle Printz, pour présenter l’amendement n° 85.

Mme Gisèle Printz. Cet amendement vise à supprimer l’article 17, qui est très certainement l’un des pires de ce texte.

De cette disposition résultera une déréglementation sans précédent de la durée du temps de travail. Les forfaits soit en jours soit en heures avaient été prévus dans la loi Aubry II. Cependant, il s’agissait là d’une rédaction issue d’une réelle négociation avec les partenaires sociaux.

Qui plus est, ce mode de calcul était bien évidemment dérogatoire et ne s’appliquait que pour les cadres ou pour les professions dont l’organisation justifiait le recours à des règles très spécifiques. Tel n’est plus le cas puisque vous le généralisez ou, du moins, vous augmentez considérablement le nombre de salariés pouvant être concernés.

Désormais, il sera donc possible de recourir aux conventions de forfait pour tous les salariés, sans distinction. Les plafonds légaux pourraient atteindre 280 jours par an dans le cadre du forfait en jours. La voie à des conventions individuelles pour tout salarié, cadre ou non cadre, en matière de temps de travail est donc ouverte.

Vous entendez individualiser la durée du temps de travail par le biais d’accord de gré à gré. Ainsi, les salariés, cadres ou non, deviendront individuellement responsables de leurs propres conditions de travail.

Cette logique est contraire à l’efficacité qui devrait être au centre de toutes nos préoccupations. Nous savons tous que la hiérarchie des accords est essentielle. Pour qu’un accord soit efficace, il doit être équilibré. Or seul l’accord de branche le garantit, puisque l’accord d’entreprise est fondé sur des relations de subordination.

Voilà la raison pour laquelle tous les pays qui privilégient la négociation encadrent les accords d’entreprise par des accords de branche. Désormais, la France échappera donc à cette dynamique, empreinte de responsabilité et de respect de l’ensemble des acteurs.

Avec l’inversion de la hiérarchie des normes, vous ouvrez la voie à la déréglementation la plus radicale. Alors que 80 % des entreprises françaises n’ont pas de représentation syndicale, vous transformez le plafond de 218 jours en seuil de déclenchement des jours de travail supplémentaires, dont vous proposez d’augmenter la rémunération de 10 %.

En outre, en instaurant un délai de prévenance de seulement huit jours, vous mettez en cause directement l’organisation de la vie familiale de millions de salariés. Mais, visiblement, cette dimension, pourtant si essentielle au quotidien de tous nos concitoyens, semble n’avoir aucune incidence sur votre vision idéologique de notre société.

Enfin, je terminerai en évoquant le risque que ces dispositions soient déclarées illégales au niveau européen, puisque les mesures que vous voulez étendre ont été sanctionnées par le Conseil de l’Europe pour violation de la Charte sociale européenne, et que l’absence de décompte et l’amplitude horaire qui résultent des forfaits ont été jugées contraires à nos engagements internationaux.

Compte tenu de ces observations, nous vous proposons donc, mes chers collègues, de supprimer cette disposition inique.

M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, pour présenter l'amendement n° 247.

M. Guy Fischer. Cet article fait partie des articles scélérats de ce texte. (M. Jean Desessard s’esclaffe.) Aussi, nous entendons le supprimer.

Hier dans l’après-midi, le ministre du travail nous a dit que le droit social avait une histoire,…

M. Xavier Bertrand, ministre. Et un avenir !

M. Guy Fischer. …mais qu’il devait également avoir un avenir. Nous ne pouvons qu’approuver cette déclaration de principe, mais reste alors à savoir ce qu’il entend par « avenir » ?

M. Guy Fischer. Car les faits récents – en plus de ce projet de loi – nous inquiètent sincèrement.

L’avenir du droit social doit-il se limiter à une disparition pure et simple des mesures les plus protectrices des salariés ? Ou bien doit-il au contraire évoluer pour proposer une protection correspondant aux évolutions, notamment technologiques, de notre société, et donc faire participer l’ensemble des citoyens aux progrès généraux.

Une chose est sûre, la directive européenne que vous venez, monsieur le ministre, de ratifier et portant la durée légale du temps de travail à 60 heures et à 65 heures ne sera pas de nature à protéger les salariés.

Votre conception de l’avenir, c’est le retour en arrière. Je ne puis que vous inviter à relire avec attention le Contrat social de Jean-Jacques Rousseau : il vous éclairera sur ce que doit être une loi et sur la portée de celle-ci.

Comme Mme David a eu l’occasion de le dire lors de son intervention sur l’article 17, nous sommes opposés à cet article sur la forme et sur le fond.

S’agissant de la forme, les partenaires sociaux étaient arrivés à un certain équilibre, prévoyant que les dérogations exceptionnelles aux 35  heures devaient être soumises à un accord majoritaire. Or le Gouvernement n’a accordé que peu de valeur à cette position commune, préférant faire fi de ce qui a été négocié pour imposer sa propre position.

Et quelle est cette position ? La déréglementation généralisée au service d’une économie de marché qui cherche à s’imposer contre les salariés. Ainsi, vous élargissez le champ d’application des conventions de forfait en l’étendant à tous les salariés, tout comme vous le banalisez en faisant passer le nombre maximal de jours travaillés de 218 jours à 288 jours par an.

N’importe quel salarié pourrait être soumis à des extensions de forfaits hebdomadaires ou mensuels, en heures et pour l’ensemble de sa mission, et ce alors même que ces nouveaux salariés à qui vous reconnaissez une spécificité nouvelle se voient méconnaître un droit pourtant légitime, c’est-à-dire une rémunération à la hauteur de cette autonomie.

En effet, nous le savons tous, la rémunération des cadres tient notamment compte des responsabilités qui pèsent sur eux. Mais pour les salariés qui se verraient reconnaître une même autonomie, aucune mesure spécifique n’est prévue.

De deux choses l’une : ou bien il n’y aura jamais d’extension des conventions de forfait aux salariés, ce qui nous semble peu probable ; ou bien – et cela est plus crédible – vous espérez une généralisation, ou tout au moins une augmentation très sensible de ces forfaits à tous les salariés. Pour ce faire, vous autorisez une mutation sans précédent du salariat, mutation silencieuse, qui passera inéluctablement par la convention individuelle.

C’est pourquoi nous sommes absolument opposés à cet article 17.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Gournac, rapporteur de la commission des affaires sociales. Nous sommes bien sûr défavorables à ces deux amendements, dans la logique de ce que nous avons déclaré au début de cette discussion.

Je voudrais revenir sur l’intervention de M. Mélenchon, dont les belles déclarations ne reflètent pas toujours la vérité des choses. Sinon, nous serions extrêmement bien renseignés !

D’abord, monsieur Mélenchon, le plafond de 282 jours existe déjà. Il ne faut pas expliquer que les choses changent à l’occasion de ce texte. S’il y a un accord de branche, éventuellement, on pourrait aller jusqu’à 282 jours.

Le plafond maximum reste donc fixé à 282 jours. Si l’employé le souhaite, il peut passer de 218 jours à 235 jours, sauf, bien sûr, s’il y a un accord de branche, puisqu’il faut le respecter.

Le salarié, ce pauvre homme, monsieur Mélenchon, est donc volontaire. C’est terrible mais c’est ainsi ! Le salarié est volontaire pour travailler jusqu’à 235 jours par an parce qu’il souhaite gagner plus, ce que vous allez sans doute contester. Or cette situation existe, je l’ai vécue.

J’ignore si vous avez eu l’occasion de travailler en entreprise, mais, en ce qui me concerne, j’y ai travaillé pendant trente-cinq ans, monsieur Mélenchon. Au début de ma carrière, je me suis construit à travers les heures supplémentaires. À l’époque, j’étais dans le spectacle et on faisait beaucoup d’heures supplémentaires. Je n’ai pas été détruit par les nombreuses heures supplémentaires que j’ai accepté d’effectuer le samedi, le dimanche, la nuit.

À vous entendre, cela serait terrible ! En tout cas, je ne peux pas vous laisser dire que ce sera obligatoire. Non, le salarié doit être volontaire. Voilà, je suis précis. Je fais moins de déclarations mais je vous dis la réalité des choses. Et si jamais cela n’était pas vrai, vous pourriez me le faire savoir.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Xavier Bertrand, ministre. Inutile d’essayer de faire peur en agitant tel ou tel épouvantail ! Ces déclarations ne résistent pas à l’épreuve du texte.

Tout d’abord, s’agissant des forfaits, vous nous accusez de généraliser les forfaits en heures, à la semaine et au mois. Ces forfaits existent pour l’ensemble des salariés depuis 1978.

Les forfaits en jours, qui permettent de travailler jusqu’à 282 jours, sans majoration de salaire durablement garantie, existent aujourd’hui. Telle est la situation actuelle. Demain, nous garantirons une majoration de salaire d’au moins 10 % pour les jours travaillés au-delà de 218 jours. Ne faisons pas la confusion : le supplément de 10 % existe aujourd'hui, le nouveau texte ne change rien sur ce point. Nous prévoyons en plus un plafond, un suivi individuel - l’entretien - et collectif - la consultation du CE. Cela n’existe pas aujourd'hui ; cela existera demain.

En ce qui concerne les forfaits annuels en heures, aujourd’hui, on peut, depuis la loi Aubry, fixer par voie conventionnelle une durée maximale hebdomadaire de travail de 70 heures. Voilà aussi la vérité ! Pardonnez-moi de remettre les pendules à l’heure !

Demain, les 48 heures s’imposeront aux salariés en forfait heures. Hier, loi Aubry : 70 heures ; demain : 48 heures. Voilà aussi ce qu’il faut rappeler ! Cela ne fait de mal à personne de rappeler les choses.

Demain, il y aura plus de souplesse par la négociation collective, la fin de la machine à compliquer dont j’ai parlé également, et des garanties nouvelles pour les salariés.

Puisque vous voulez remettre les choses au point, je rappellerai également que la durée légale hebdomadaire du travail est fixée à 35 heures et la durée maximale à 48 heures. Il en va de même pour les forfaits en jours : le seuil légal est de 218 jours et le seuil maximal de 282. Ne confondons pas les deux ! Il y a la durée légale et la durée maximale. Vous ne ferez croire à personne qu’on a changé quoi que ce soit aux plafonds…

M. Jean-Luc Mélenchon. Mais si, on va y arriver !

M. Xavier Bertrand, ministre. Ce n’est pas en parlant fort que l’on réussit à s’assurer de la justesse de ses vues !

M. Jean-Luc Mélenchon. Nous y sommes bien arrivés sur le paquet fiscal !

M. Xavier Bertrand, ministre. Artifice ! Les Français, avec leur bon sens, savent bien que ce ne sont pas les riches qui font des heures supplémentaires ! Quand on décide d’instaurer des plafonds sur les droits de succession, cela signifie aussi que ce ne sont pas les plus privilégiés qui en profitent ! Je suis prêt à engager le débat sur le paquet fiscal, je n’ai aucun problème pour l’assumer !

Pour revenir à notre sujet, nous conservons forcément le plafond de 218 jours, mais nous ne voulons plus connaître certaines situations. Des cadres qui travaillent dans le TGV, des cadres qui travaillent le week-end, ça n’existe pas ? Ce temps de travail leur est-il payé aujourd’hui ? Vous connaissez la réponse, c’est non ! Demain, ils auront la possibilité de rester à 218 jours s’ils y sont déjà ; mais ils auront la garantie d’être mieux payés si un accord sur la base du volontariat intervient après un accord collectif pour passer au forfait en jours et, le cas échéant, après la fixation d’un nouveau plafond.

Je sais bien qu’aujourd’hui la mise en place de toute nouvelle mesure a tendance à inquiéter. Mais nous apportons des garanties qui n’existaient pas et un cadre qui déciderait de rester dans la situation actuelle pourrait le faire.

Tout à l’heure, j’ai entendu parler des pressions qui risqueraient de s’exercer sur les cadres. Honnêtement, vous connaissez le marché du travail des cadres ! Peut-on aujourd’hui imposer une durée de travail à un cadre qui n’en veut pas ?

Mme Annie David. Mais oui !

M. Xavier Bertrand, ministre. Je participais dernièrement à une émission radiophonique avec un cadre qui expliquait qu’il apportait quatre millions d’euros de chiffre d’affaires à son entreprise. Va-t-on lui imposer un temps de travail qu’il n’accepte pas ? Bien sûr que non !

Mme Annie David. Mais de quels cadres parlez-vous ?

M. Xavier Bertrand, ministre. Avec les accords collectifs nous allons changer les choses : ces accords seront soumis à la règle de majoration de 30 % et de 50 % et, ensuite, le plafond pourra être dépassé sur la base du volontariat. Autant de garanties qui n’existaient pas hier !

Voilà pourquoi il est bon de remettre les pendules à l’heure sur tous ces sujets. Encore une fois, nous avons voulu permettre de libérer le travail et de laisser la liberté de choix. Telle est notre philosophie, elle est contraire à vos amendements, c’est pourquoi le Gouvernement émet un avis défavorable. (Applaudissements sur plusieurs travées de lUMP.)

M. Roger Romani. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 85 et 247.

Mme Annie David. Votre projet de loi prévoit que, sur « la base du volontariat », les cadres soumis à un forfait en jours pourront travailler jusqu’à 235 jours. Cela revient à permettre aux entreprises de leur supprimer purement et simplement jusqu’à 17 jours de repos – RTT, jours fériés,… – car chacun sait ce que vaut la notion de « volontariat » dans le cadre des modes de management actuel, quoi que vous en disiez, monsieur le ministre !

Cette manière de « travailler plus pour gagner plus » est insupportable. Le Gouvernement devrait plutôt vérifier si les salariés soumis au forfait en jours sont bien payés par rapport à leur temps de travail. Il devrait étudier les sondages qui indiquent que les salariés tiennent à leurs jours de RTT. Cette mesure concerne la grande masse des ingénieurs et cadres ainsi que les techniciens, dessinateurs et ouvriers de la métallurgie, placés sous le coup de l’accord d’extension du forfait en jours signé le 3 mars 2006 par FO, la CGC, la CFTC.

La loi sur les 35 heures fut votée dans un contexte très particulier : les ingénieurs et les cadres commençaient à vouloir revenir à une meilleure maîtrise de leurs horaires car, déjà à cette époque, ils dépassaient largement le temps de travail pour lequel ils étaient censés être rémunérés. Elle fut l’occasion d’un marchandage entre patronat et Gouvernement : les ingénieurs et cadres acceptaient de ne plus évaluer ni vérifier leur temps de travail réel. Pour compenser cet abandon de leur référence horaire, des jours de RTT leur furent accordés.

Depuis, les forfaitisés en jours tiennent d’autant plus à leurs jours de RTT qu’ils vivent au quotidien l’augmentation de leurs horaires, l’intensification des charges, le développement du stress, etc. Aujourd’hui, le Gouvernement veut reprendre la compensation que devaient représenter ces jours de RTT, tout en maintenant la perte de la référence horaire. Le hold-up serait alors parfait ! La rémunération des forfaitisés en jours serait définitivement sans rapport avec leur temps de travail. La reprise des jours de RTT signifierait que les efforts, le niveau d’investissement qui se font aujourd’hui sur 218 jours se feraient sur toute l’année. Car 365 jours, moins 52 week-ends, moins cinq semaines de congés payés, moins le 1er mai, égalent 235 jours. Vous noterez au passage la disparition de dix jours fériés sur onze !