M. Hubert Haenel. Très bien !

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. ...comme l'avait justement anticipé l'un de mes prédécesseurs ici présent dès 1976.

Comment faire vivre ce projet alors que la présidence du Conseil tourne toutes les vingt-six semaines et que, dans nombre de domaines, un seul État peut bloquer les décisions ? L'addition des volontés ne fonctionne pas, parce que la règle de l'unanimité entrave la prise de décision.

Comment faire partager un tel projet lorsque, au-delà de ces blocages, le fonctionnement de l'Union n'est pas assez démocratique : les citoyens ne sont pas associés, le Parlement européen n'a que des pouvoirs limités, les Parlements nationaux ne jouent qu'un rôle trop modeste et la démographie est mal prise en compte ?

Il est donc urgent de changer ce cadre si nous voulons une Europe vivante, active, influente et, surtout, capable de remplir les missions qui lui sont confiées.

La première des missions de l'Union, la promotion de la paix, ne peut être réalisée sans que les États se donnent clairement pour objectif la prévention des conflits et sans qu'ils s'engagent ensemble à développer leurs capacités de défense.

L'autre mission essentielle de l'Union européenne est de relever les défis globaux du xxie siècle pour mieux défendre ses citoyens et leurs intérêts.

Ces intérêts et ces défis, quels sont-ils dans un proche avenir ?

Ce sont la gestion des migrations, le changement climatique, la nouvelle donne énergétique, la solidarité face aux grandes catastrophes et, bien sûr, la lutte contre le terrorisme.

Dans ces domaines, ce que les Européens ne feront pas ensemble, personne ne le fera pour eux et dans leur intérêt. Et il est urgent d'agir, urgent pour l'Europe de donner l'exemple. Il est donc impératif de disposer de moyens juridiques nouveaux.

Le traité de Lisbonne dote l'Union de ces moyens, par l'extension de la majorité qualifiée, la création d'une présidence stable du Conseil, la mise en place d'un Haut représentant et d'un service européen d'action extérieure, l'établissement d'une coopération structurée en matière de défense et la reconnaissance de nouvelles bases juridiques pour l'énergie et la lutte contre le changement climatique. C'est une véritable clarification institutionnelle, comme l'a rappelé M. le Premier ministre.

Mais il apporte également une réponse aux préoccupations soulevées par nos concitoyens. Il promeut des valeurs nouvelles, plus solidaires. L'Europe a pour objectif de protéger les citoyens dans la mondialisation. En revanche, la « concurrence libre et non faussée » ne figure plus parmi les finalités de l'action européenne.

La France pourra garantir l'accès aux services publics sur tout notre territoire à un prix abordable sans se heurter aux règles de concurrence ou du marché intérieur.

La représentation nationale pourra se prononcer sur les projets européens et veiller au respect des compétences entre les États et l'Union européenne à travers le contrôle de la subsidiarité.

Pour la première fois, les Parlements nationaux contribueront à la prise de décision européenne et seront les gardiens de la répartition des compétences entre l'Union et les États membres. Ce traité est donc plus démocratique, comme l'a souligné M. le Premier ministre.

Ce traité est donc le premier à avoir été signé par les vingt-sept États membres, le premier à avoir fait l'objet d'un accord en dépassant les clivages anciens, entre États plus ou moins peuplés, entre nouveaux et anciens États membres, entre pays ayant dit « oui » et pays ayant dit « non », et ce grâce à l'initiative du Président de la République et au travail remarquable des présidences allemande et portugaise.

Par ailleurs, compte tenu de l'abandon de la démarche constitutionnelle, ce traité sera ratifié par la voie parlementaire dans vingt-six États membres, et notamment les Pays-Bas. La seule exception est l'Irlande, dont la constitution ne permet pas d'emprunter cette voie pour approuver un traité européen.

L'engagement de la France dans une procédure de ratification parlementaire était fondamental pour nos partenaires, car il a donné enfin de la crédibilité à la perspective d'un autre traité pour l'Europe et a permis d'en définir le contenu en tenant compte des propositions françaises.

Le traité ne résume bien entendu pas le projet européen. C'est clair. Mais il crée une dynamique nouvelle, et c'est sa principale vertu.

Déjà, la Hongrie a ratifié le traité, et près d'une vingtaine d'États membres s'apprêtent à le faire dès le premier semestre de l'année 2008. Il est symbolique que les premières ratifications soient venues d'anciens pays du bloc de l'Est et de ceux qui ont cru que leur liberté se trouvait au sein de l'Union européenne.

Déjà, le Danemark manifeste son souhait d'entrer de plain-pied dans la construction européenne et d'abandonner ses protocoles, qui le placent à la marge de certaines politiques de l'Union.

Pour notre part, nous aborderons notre présidence le 1er juillet prochain avec une dynamique nouvelle, avec un bon traité, qui pose les jalons sur la voie d'une Union européenne plus démocratique, plus forte et tournée vers l'avenir.

Enfin, comme M. le Premier ministre l'a souligné, ce traité nous permet aussi de clore un débat institutionnel qui n'avait pas été résolu depuis les années quatre-vingt-dix et de nous consacrer à l'essentiel,...

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. ...c'est-à-dire aux projets politiques que nous voulons porter.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le traité permet de développer de vraies politiques de la défense, du développement durable, de l'énergie, de croissance plus solide grâce à un nouvel espace de recherche et de formation, et de gestion des mouvements migratoires.

Mais le traité n'en définit pas le contenu. C'est aux dirigeants européens, au Parlement et aux citoyens, qui disposeront d'un pouvoir d'initiative, qu'il appartient d'en décider.

Notre présidence du Conseil de l'Union européenne en sera l'occasion. Bien entendu, notre présidence ne pourra pas tout faire. Mais elle ouvrira la voie pour qu'une nouvelle page soit écrite après le cinquantième anniversaire de l'Europe. Après s'être construite elle-même, l'Europe doit aujourd'hui trouver sa place dans le monde. Grâce à cette révision et à ce traité, elle en a aujourd'hui la possibilité. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le projet de loi constitutionnelle que nous devons examiner aujourd'hui ne doit pas nous étonner.

En effet, il a beaucoup de points communs avec celui que nous avions adopté en 2005.

M. Robert Bret. C'est du « Canada Dry » !

M. Patrice Gélard, rapporteur. En outre, ce texte se conforme strictement à la décision du Conseil constitutionnel.

Sur ce point, permettez-moi de formuler un regret. Le Conseil constitutionnel a un peu tendance à ne pas suffisamment motiver ses décisions s'agissant des incompatibilités avec la Constitution. À l'avenir, ses motivations devraient, me semble-t-il, être plus précises.

Le texte ne contient rien de plus, rien de moins que ce que le Conseil constitutionnel préconisait. C'est aussi la raison pour laquelle la révision que nous entamons aujourd'hui ne va pas aussi loin que celle qui avait été engagée en 2005.

Autre élément, le texte du Gouvernement a été adopté sans modifications par l'Assemblée nationale. Aucun amendement n'a été adopté. Là encore, je voudrais exprimer un regret.

J'ai néanmoins découvert qu'il existait, en dehors des parlementaires et du Gouvernement, une autre autorité qui a le droit d'amendement. Cette autorité, c'est le bureau de la séance de l'Assemblée nationale, qui s'est permis d'ajouter trois amendements, sans vote naturellement, pour des raisons qui sont difficilement explicables, en remplaçant l'expression « À l'article... » par « Dans l'article... ».

M. René Garrec. C'est moins élégant !

M. Patrice Gélard, rapporteur. Cette modification me paraît complètement inopérante : je demanderai au service de la séance du Sénat de bien vouloir rétablir le texte original, lequel était mieux rédigé que le texte qui nous est parvenu de l'Assemblée nationale, corrigé par le service de la séance.

M. le président. Allons, allons.

M. Patrice Gélard, rapporteur. Eh oui, il faut dire les choses telles qu'elles sont !

Une précision s'impose cependant : il ne s'agit nullement aujourd'hui de ratifier le traité. Celui-ci sera ratifié ultérieurement, si nous modifions la Constitution - il faut le préciser, car j'ai l'impression, après les débats que nous avons eus tout à l'heure, que certains ne l'avaient pas compris. (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Évidemment, nous sommes trop bêtes !

M. Patrice Gélard, rapporteur. Nous sommes là simplement pour réviser la Constitution et pour permettre éventuellement la ratification du traité. Cela signifie qu'il n'y a dans le texte qui nous est proposé aujourd'hui ni débordement, ni ajout, ni complément au texte initial, parce que le seul but de ce texte est de permettre la ratification, et rien d'autre.

Permettez-moi d'exprimer trois regrets, et un regret d'ordre général.

Le regret général, c'est qu'à chaque fois que l'on ratifie un traité, nous sommes quasiment obligés de modifier la Constitution. Certains pays ont adopté des formules qui leur permettent de ne pas avoir à modifier à chaque fois leur constitution : c'est le cas, par exemple, du Portugal, qui a des dispositions beaucoup plus générales. C'est la raison pour laquelle, dans mon rapport, j'ai repris les propositions du professeur Joël Rideau, qui éviteraient une modification de la Constitution à chaque adoption d'un nouveau traité, avec des garde-fous néanmoins.

J'en viens à mes trois regrets.

Le premier, c'est le maintien de l'obligation du référendum pour l'admission de nouveaux États au sein de l'Union européenne, parce que nous ne savons pas utiliser le référendum dans notre pays. En France, nous utilisons toujours le référendum, non pas pour adopter un texte ou adopter une décision, mais pour sanctionner ou pas le Gouvernement. Ce n'est pas un référendum : c'est un plébiscite. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Le référendum, c'est le vote d'un texte, ce n'est pas autre chose.

M. Jean-Luc Mélenchon. Dites-le aux Français !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ne vous laissez pas distraire !

M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur.

M. Patrice Gélard, rapporteur. Je craindrais, par exemple, que l'entrée de la Norvège au sein de l'Union européenne ne soit refusée parce que le Gouvernement ou tel ministre aurait déplu à l'opinion publique.

Mme Alima Boumediene-Thiery. En fait, ça dépend pour qui !

M. Patrice Gélard, rapporteur. Personnellement, je pense qu'une formule permettrait de conjuguer à la fois le référendum et la possibilité de l'utiliser plus souvent : ce serait d'établir, comme dans près de la moitié des pays européens, un seuil de 50 % de votants en deçà duquel le référendum est inopérant - je ferme la parenthèse.

Les ministres nous ont donné l'assurance qu'au moment de la révision constitutionnelle, qui devrait intervenir au printemps, nous pourrions reprendre cette question du référendum obligatoire pour l'entrée de nouveaux États : nous sommes en effet le seul pays européen à admettre cette procédure.

M. Charles Gautier. C'est vous qui l'avez demandé !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous avez soutenu cette disposition l'année dernière, monsieur le rapporteur !

M. Patrice Gélard, rapporteur. Et alors ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est incroyable !

M. Patrice Gélard, rapporteur. Nous pourrons donc revoir cette disposition le moment venu, au printemps.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quel bon constitutionnaliste... C'est effrayant !

M. Jean-Luc Mélenchon. Il ne nous en veut pas, c'est déjà ça !

M. le président. Ne vous laissez pas interrompre, monsieur le rapporteur, continuez !

M. Patrice Gélard, rapporteur. Le deuxième regret, c'est le maintien de la règle de la réciprocité dans le principe du vote des ressortissants européens aux élections locales.

M. Charles Gautier. Ce ne sont pas des regrets, ce sont des remords !

M. Patrice Gélard, rapporteur. La réciprocité n'est plus nécessaire puisque les ressortissants européens ont tous le droit de vote aux élections locales ; c'est automatique. Nous pourrons corriger cette situation, là encore, au moment de la révision constitutionnelle du printemps.

Le troisième regret a trait à un problème de terminologie juridique.

Dans le texte de la Constitution, on utilise le vocabulaire habituel des traités européens, c'est-à-dire un mélange d'anglais, de français et d'allemand qui n'a pas de précision juridique.

Or nous avons adopté, dans les traités précédents et dans le traité de Lisbonne, un texte qui n'a pas de valeur juridique pertinente : c'est l'acte législatif européen, qui est défini non pas sur le fond mais par la forme. Nous aurons donc des actes législatifs européens de nature réglementaire. Le problème est simple : certains lecteurs de la Constitution risquent de faire la confusion entre l'acte législatif européen et l'acte législatif français, qui ne sont pas toujours de même nature.

Ces regrets étant exprimés, j'en viens au fond du texte. Celui-ci compte trois articles, dont un article tout à fait important, et deux articles de coordination.

L'article 1er, c'est celui qui permet la ratification du traité de façon générale. Le Parlement sera naturellement libre de le ratifier ou non, selon la procédure engagée par le chef de l'État.

Il faut également noter l'autorisation de remplacer partout la mention de la Communauté européenne par celle de l'Union européenne.

C'est à l'article 2, le plus important, que sont mises en place les différentes innovations ou transformations de notre Constitution.

Tout d'abord, comme l'a souligné avec talent Mme le garde des sceaux, le texte proposé pour l'article 88-1 est la disposition générale applicable à tous.

Le texte proposé pour l'article 88-2 concerne le mandat d'arrêt européen. On pouvait penser que l'article 88-1 suffisait, mais l'article 88-2 permettrait de tenir compte des éventuelles modifications ultérieures concernant l'application du mandat d'arrêt européen. Par conséquent, je ne suis pas opposé à cet article.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier le 3°, qui fait référence aux actes législatifs européens dont il est question à l'article 88-4 ; ce sont des dispositions formelles, ainsi que le 4°.

Les textes proposés pour les articles 88-6 et 88-7, en revanche, mettent en place de nouveaux droits pour le Parlement, et nous devons nous en féliciter. Mme le garde des sceaux nous a présenté ces nouveaux droits.

L'article 88-6 dispose le droit pour chacune des chambres du Parlement de présenter un avis motivé sur l'application du principe de subsidiarité et de former un recours auprès de la Cour de justice de l'Union européenne.

Aux termes de l'article 88-7, les deux chambres pourront, par le vote d'une motion adoptée en termes identiques, s'opposer à ce que les règles de la majorité soient modifiées. Nous sommes donc face à un véritable droit de veto reconnu à chaque parlement européen.

Qu'il me soit permis, monsieur le président, à propos de ces articles 88-6 et 88-7 de la Constitution, de souhaiter très rapidement la refonte de notre règlement, afin de permettre la veille nécessaire à leur application. Celle-ci pourrait être confiée à un comité des affaires européennes, c'est-à-dire à l'heure actuelle à la Délégation pour l'Union européenne, qui serait, comme cela se produit dans un grand nombre de pays européens, l'organe chargé de surveiller en permanence ce qui se passe à Bruxelles et à Strasbourg. (M. Robert del Picchia applaudit.)

Ces remarques étant faites, la commission des lois vous propose, mes chers collègues, d'adopter le projet de loi constitutionnelle tel qu'il nous vient de l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - Mme Anne-Marie Payet applaudit également.)

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle modifiant le titre XV de la Constitution
Discussion générale (suite)

7

souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire de Moldavie

M. le président. Mes chers collègues, j'ai le plaisir et l'honneur de saluer la présence dans notre tribune officielle d'une délégation du Parlement de Moldavie, conduite par son président M. Marian Lupu, et présente à Paris à l'invitation du Sénat. (Mme le garde des sceaux, M. le secrétaire d'État, Mmes, MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)

Les relations interparlementaires entre nos deux pays sont très actives. Elles apportent une remarquable contribution au renforcement de nos relations bilatérales comme en témoigne le choix qui vient d'être fait du Sénat, en liaison avec l'Assemblée nationale et le Parlement hongrois, pour assister le Parlement moldave dans le renforcement de ses capacités administratives.

J'en profite pour saluer notre collègue Mme Josette Durrieu, présidente active du groupe interparlementaire d'amitié France-Moldavie du Sénat.

Je forme le voeu que ce séjour permette d'approfondir et de renforcer nos relations avec ce pays qui est profondément attaché à la culture européenne et à la défense de la francophonie et de la diversité culturelle.

Je joins à ce salut cordial exprimé par le Sénat l'expression de ma considération personnelle pour le Président Lupu, dont j'admire notamment la maitrise exceptionnelle de notre langue. (Applaudissements.)

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Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle modifiant le titre XV de la Constitution
Discussion générale (suite)

Titre XV de la Constitution

Suite de la discussion d'un projet de loi constitutionnelle

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle modifiant le titre XV de la Constitution
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, modifiant le titre XV de la Constitution.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le président de la délégation pour l'Union européenne.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, jusqu'à présent, la question du référendum a tenu, dans une partie de la classe politique française, une grande place dans le débat sur le traité de Lisbonne. Une place trop grande, à mon avis, car soumettre ou non un traité au référendum, rappelons-le, est une prérogative du Président de la République. Or le Président de la République, je le souligne à mon tour, s'est clairement prononcé, avant son élection, pour une ratification par la voie parlementaire. Ce choix était d'autant plus significatif que tous les autres candidats, sans exception, étaient favorables à un référendum.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. La question a donc été tranchée l'année dernière par le vote du 6 mai, confirmé par le vote du 17 juin.

M. Adrien Gouteyron. C'est clair !

Mme Alima Boumediene-Thiery. Ce n'est pas un blanc-seing !

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Nous ne sommes pas devant un problème de légitimité.

D'ailleurs, chacun peut le constater, il n'y a pas dans les profondeurs du pays, comme aurait dit le général de Gaulle, un appel pressant à un nouveau référendum. Ainsi, la question ne se pose, à mon avis, ni en droit ni en fait.

M. Robert Bret. C'est 70 % de la population dans les enquêtes d'opinion !

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Venons-en au projet de révision constitutionnelle qui nous est soumis.

La décision de non-conformité qui a été rendue par le Conseil constitutionnel est dans la lignée de ses précédentes décisions sur le même sujet.

Quel est le raisonnement du Conseil ? Le traité de Lisbonne transfère de nouvelles compétences à l'Union, essentiellement en matière de justice et d'affaires intérieures ; il change les modalités d'exercice de certaines des compétences transférées, en étendant à de nombreux domaines la procédure où le Conseil décide à la majorité qualifiée en codécision avec le Parlement européen ; il contient également des clauses particulières permettant de modifier certaines règles sans passer par la procédure de révision ordinaire. Ainsi, comme le souligne le Conseil constitutionnel, le nouveau traité affecte « les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale » et appelle donc une révision constitutionnelle.

Nous sommes là dans une parfaite continuité avec les cinq précédentes décisions concernant la révision des traités européens.

De même, le projet de loi constitutionnelle s'en tient, comme ses prédécesseurs, à la révision strictement nécessaire pour permettre l'approbation du traité précis sur lequel le Conseil constitutionnel a été consulté.

Comme l'a rappelé le doyen Gélard, d'autres pays membres procèdent différemment : ils ont inséré dans leur Constitution une clause européenne de portée générale et n'ont pas, de ce fait, à réviser leur Constitution aussi souvent que nous.

Faudrait-il s'inspirer de cet exemple ? Je ne le crois pas. Bien sûr, notre procédure est plus compliquée, forcément plus lente. C'eût été un beau symbole que la France soit la première à ratifier le traité de Lisbonne, mais notre procédure comportait trop d'étapes pour que ce soit possible. Nous serons donc le deuxième pays à le faire.

Mais là n'est pas l'essentiel. En visant à chaque fois les transferts de compétences tels qu'ils sont organisés par un traité précis, nous nous obligeons à examiner dans toutes ses conséquences chaque étape de la construction européenne. Nous prenons la pleine mesure des enjeux sans éluder aucune question de droit. En outre, nous nous prononçons selon la procédure parlementaire la plus exigeante, impliquant l'accord des deux assemblées et la majorité des trois cinquièmes du Congrès. De cette manière, on ne peut nous reprocher de faire avancer l'Europe en tapinois !

On aurait également pu concevoir que le projet de révision soit l'occasion de prendre en compte les propositions de la commission Balladur concernant le titre XV de la Constitution. Mais le risque aurait été grand que le débat se focalise sur l'obligation de référendum pour toute nouvelle adhésion, avec le risque d'introduire une confusion dans l'opinion, car le traité de Lisbonne n'a rien à voir avec la question des élargissements futurs. Il me semble donc que l'approche retenue pour le projet de révision constitutionnelle doit être approuvée.

Cependant, une conséquence de cette approche est que le jugement porté sur le projet de révision dépend avant tout, qu'on le veuille ou non, du jugement porté sur le traité. Comme la révision ne sert qu'à permettre la ratification d'un traité bien précis, c'est en fonction de ce traité que chacun de nous va se prononcer en réalité. Pourtant, nous devons essayer de ne pas anticiper sur l'examen du traité lui-même. Une chose après l'autre...

Je voudrais donc seulement rappeler que ce texte trouve en grande partie sa source dans la Convention sur l'avenir de l'Europe où le Sénat était représenté par Robert Badinter et moi-même. Je constate d'ailleurs que l'on y retrouve un certain nombre des préoccupations que nous avons essayé, avec d'autres, de faire valoir au fil des ans.

Je citerai d'abord les droits fondamentaux.

Nous souhaitions que les principes reconnus par la Charte des droits fondamentaux soient inscrits dans le droit primaire de l'Union. C'était ce que prévoyait le traité constitutionnel. Sous une autre forme, le traité de Lisbonne parvient au même résultat. En particulier, de nombreux droits sociaux seront ainsi reconnus par l'Union : le droit à l'éducation, le droit à l'information et à la consultation des travailleurs au sein de l'entreprise, la protection en cas de licenciement injustifié... Ces droits seront garantis par les juges nationaux et européens. Par ce biais, nous verrons progresser l'harmonisation sociale en Europe, qui est si souhaitable.

M. Jean-Luc Mélenchon. Non, c'est interdit par le texte ! Ne dites pas des choses qui ne sont pas !

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Vous pourrez vous exprimer tout à l'heure, mon cher collègue !

Je citerai ensuite la construction de l'espace de liberté, de sécurité et de justice, que vous avez rappelée, madame le garde des sceaux.

Face au développement de la délinquance internationale, on ne peut admettre que les États membres réagissent en ordre dispersé. Mais, dans le même temps, pour renforcer la confiance mutuelle qui est le fondement de la coopération judiciaire et policière, il faut des normes communes et des instruments communs. Sur ce point, le nouveau traité fera sauter le verrou de la décision à l'unanimité, qui, trop souvent, a conduit à des demi-mesures.

Désormais, le Conseil des ministres décidera dans presque tous les cas à la majorité qualifiée en codécision avec le Parlement européen. De plus, l'attribution à l'Union de la personnalité juridique lui permettra de conclure des accords internationaux en matière de coopération policière et judiciaire. L'Union aura enfin les outils nécessaires pour conduire une action efficace dans ces domaines.

Une autre préoccupation que nous avons mise en avant était l'association des parlements nationaux, thème sur lequel le Sénat insiste depuis longtemps.

Les avancées dans ce domaine sont également très importantes. C'est d'ailleurs l'un des aspects qui rendent aujourd'hui nécessaire une révision de notre Constitution. Les parlements nationaux - on n'insistera jamais assez sur ce point - deviennent des acteurs de la construction européenne.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Le Sénat va donc devenir l'un des acteurs de la construction européenne. Certes, c'est déjà le cas, mais cette action sera d'une autre nature et d'une autre ampleur.

Le rôle des Parlements ne sera plus seulement de contrôler l'action européenne de leurs gouvernements, comme nous le faisons, mais si mal. Ils interviendront dans le processus de décision européen lui-même pour veiller à ce que l'Union respecte le fameux principe de subsidiarité et réponde ainsi à une préoccupation qui est s'exprimée à l'occasion du dernier référendum : l'Europe en fait trop ou le fait mal.

C'est une responsabilité importante, car si nous parvenons à recentrer l'action de l'Union vers les domaines où elle est vraiment nécessaire, nous aurons fait un pas important vers la réconciliation de l'Europe avec les citoyens.

Enfin, une autre préoccupation que nous avons cherché à faire valoir était l'exigence de souplesse.

Tout le monde aspire à tourner enfin la page du débat institutionnel. Tout le monde espère que nous n'aurons plus de traité sur ce sujet avant longtemps. Afin que cela soit possible, il faut que les traités contiennent une marge d'évolution, j'allais dire une souplesse, sans avoir à relancer toute la mécanique des conférences intergouvernementales. (M. Jean-Luc Mélenchon s'exclame.) C'est bien ce que réalise le traité de Lisbonne, et ce par plusieurs moyens : clause de flexibilité pour l'étendue des compétences de l'Union, « clauses passerelles », notamment pour introduire le vote à la majorité qualifiée, plus grande facilité de recourir aux « coopérations renforcées », en particulier dans votre domaine, madame le garde des sceaux, possibilité d'adapter les règles concernant la composition de la Commission et du Parlement européen.

Les quelques thèmes que j'ai évoqués sont là pour montrer que le traité de Lisbonne repose sur un héritage de plusieurs années de débats où notre assemblée a apporté sa pierre.

Plus généralement, ce traité me paraît réussir une large synthèse. Bien des courants politiques en Europe, c'est le cas sur toutes nos travées ici, ont contribué à la construction de l'Union, n'est pas, monsieur Mauroy ? Dans notre pays, chacun à leur manière, les démocrates-chrétiens, les libéraux, les socialistes et les gaullistes ont apporté une contribution. Tous sont pour quelque chose dans les équilibres du nouveau texte. Dans le même temps, le traité de Lisbonne sera un trait d'union entre anciens et nouveaux États membres, puisque, pour la première fois, tous, les Vingt-Sept, auront participé aux décisions sur un pied de complète égalité.

Sur cette base, nous pourrons enfin tourner la page institutionnelle et nous concentrer sur le contenu des politiques communes ainsi que sur les grandes questions comme la croissance et l'emploi, le développement durable ou l'élargissement. La présidence française, vous l'avez dit, monsieur le secrétaire d'État, devra être une étape dans ce recentrage, en même temps qu'elle verra - espérons-le - l'achèvement du processus de ratification.

Mais nous ne devons pas oublier les leçons des référendums en France et aux Pays-Bas. C'est en montrant qu'elle est efficace, qu'elle donne des résultats correspondant aux attentes des citoyens que la construction européenne retrouvera un soutien plus large et plus solide. Plus tôt nous sortirons du débat institutionnel, plus tôt nous pourrons passer aux autres questions qui préoccupent nos concitoyens.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. C'est, me semble-t-il, un grand argument pour approuver aujourd'hui la révision constitutionnelle et ratifier demain le traité de Lisbonne. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - M. Pierre Fauchon applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bel. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, près de cinquante ans après sa création, l'Europe n'a jamais autant passionné, mais j'ai aussi envie de dire qu'elle n'a jamais autant divisé. La raison en est peut-être tout simplement que chacun voudrait l'Europe à son image. Pour la droite, l'Europe se doit d'être libérale ; pour la gauche, elle doit être de gauche. Rien de plus logique à condition d'ajouter que l'Europe est ce que nous en faisons, ou plutôt ce que les peuples décident d'en faire.

C'est dans le débat politique, c'est dans la confrontation des idées que se font les majorités, celles qui déterminent les orientations à donner aux politiques européennes. Si l'on n'a pas compris cela, je pense que l'on saisit mal le sens de la construction européenne, ou alors il peut y avoir une contradiction avec l'idéal européen, qui n'est autre que l'ambition de bâtir « une communauté de destin » entre les peuples qui y participent. Cette communauté de destin est l'un des plus grands projets politiques jamais entrepris.

À cette histoire, les socialistes ont fortement contribué et j'aimerais ici réaffirmer l'engagement européen des socialistes français, de tous les socialistes français.

À l'image de la construction européenne, fruit d'un compromis entre des projets politiques et institutionnels différents, le traité de Lisbonne permet d'avancer sans nous satisfaire complètement. Il renoue avec la tradition des « petits pas », celle de modifications partielles des traités existants, difficilement intelligibles pour les citoyens.

Soyons vigilants, car toute une série de dérogations permettent aux États membres de s'affranchir des dispositions du traité. C'est le cas notamment dans le domaine de la justice et des affaires intérieures et en ce qui concerne la Charte des droits fondamentaux. Il faudra donc s'assurer que cette souplesse ne se réalise pas au détriment des droits, de la sécurité juridique et de l'égalité entre les citoyens européens.

Nous regrettons également l'absence d'harmonisation en matière sociale et fiscale, tout comme nous restons sur notre faim quant à une véritable réorientation de la gouvernance de la zone euro en faveur de la croissance et de l'emploi, dont la crise financière et bancaire, qui reste toujours sous-estimée par le Gouvernement, nous rappelle l'urgence et la nécessité.

Pour autant, ce traité comporte un certain nombre d'avancées qui nous paraissent essentielles pour le fonctionnement de l'Union européenne et ses compétences : la création d'une présidence stable de l'Union, la création d'un Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune, le renforcement des pouvoirs du Parlement européen, l'adoption d'un protocole sur les services publics, une référence à des nouveaux défis tels que la solidarité énergétique ou le changement climatique, ou encore la procédure de contrôle renforcé des Parlements nationaux.

J'aimerais insister sur ce dernier point, car il me semble tout à fait primordial que la représentation nationale s'implique davantage dans le contrôle et le suivi des politiques européennes.

M. Hubert Haenel. Ça c'est vrai !

M. Jean-Pierre Bel. Celles-ci sont désormais des enjeux de politique nationale, et pour que les citoyens s'approprient la construction européenne, il faudra que le Parlement fasse de même en exerçant pleinement ses nouvelles prérogatives en matière de contrôle de subsidiarité vis-à-vis de la Commission et du Gouvernement.

M. Hubert Haenel. Très bien !

M. Jean-Pierre Bel. Le contrôle politique de l'action du Gouvernement à Bruxelles doit également donner l'occasion aux assemblées de discuter plus régulièrement et en amont des positions que le Gouvernement va défendre au sein du Conseil des ministres. Mes chers collègues, il n'est pas normal que nous soyons consultés seulement la veille des conseils européens, alors que les arbitrages sont bien souvent déjà rendus. Ce renforcement du droit de regard de la représentation nationale s'inscrit d'ailleurs dans la logique du renforcement des pouvoirs du Parlement, qui me semble être une proposition acceptée aujourd'hui par tous. Nous attendons qu'elle débouche sur une vraie concrétisation.

Parce qu'il n'y a pas de temps à perdre dans un contexte mondial inquiétant, parce que nous n'avons pas le droit de pratiquer la politique de l'autruche ou de nous en remettre à des lendemains incertains, parce qu'il faut donner une perspective de sortie à la crise politique de l'Europe, nous sommes favorables au traité de Lisbonne et voterons en faveur de la ratification du traité,...