compte rendu intégral

PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures cinq.)

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PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

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DÉCÈS D'ANCIENs SÉNATEURs

M. le président. J'ai le regret de porter à la connaissance de Mmes et MM. les sénateurs le fait que j'ai été avisé du décès de Paul Alduy, qui fut sénateur des Pyrénées-orientales de 1983 à 1992, et de celui de Luc Dejoie, qui fut sénateur de la Loire-Atlantique de 1983 à 2001.

En notre nom à tous, j'exprime ma sympathie attristée à leurs familles, et notamment à notre collègue M. Jean-Paul Alduy.

3

Modification de l'ordre du jour

M. le président. Mes chers collègues, M. Henri Cuq, ministre délégué aux relations avec le Parlement, m'a informé que le Gouvernement retirait de l'ordre du jour de demain soir l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes.(Murmures sur les travées du groupe socialiste.)

M. Roland Muzeau. Qu'est-ce que cela cache ?

M. le président. L'ordre du jour de la séance de demain, jeudi 26 janvier, s'établit donc ainsi :

À 9 h 30, l'après-midi après les questions d'actualité au Gouvernement et, éventuellement, le soir :

- Suite du projet de loi pour le retour à l'emploi et sur les droits et les devoirs des bénéficiaires de minima sociaux.

Acte est donné de cette communication.

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CANDIDATURE À UN organisme extraparlementaire

M. le président. Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger au sein de la Commission centrale de classement des débits de tabac.

La commission des finances a fait connaître qu'elle propose la candidature de M. Auguste Cazalet pour siéger au sein de cet organisme extraparlementaire.

Cette candidature a été affichée et sera ratifiée, conformément à l'article 9 du règlement, s'il n'y a pas d'opposition à l'expiration du délai d'une heure.

5

Souhaits de bienvenue à une délégation Parlementaire du Barheïn

M. le président. Mes chers collègues, j'ai le plaisir et l'honneur de saluer la présence dans notre tribune officielle d'une délégation du Conseil de la Choura du Bahreïn, conduite par son président, M. Faisal Al-Mousawi.

C'est l'occasion pour moi de saluer les représentants d'un pays ami, avec lequel nous entretenons des relations de plus en plus étroites.

Vous savez, monsieur le président, tout l'intérêt que la France porte au Royaume de Bahreïn, qui a lancé ces dernières années un remarquable processus d'ouverture et de réforme en profondeur de ses institutions politiques, avec l'esprit d'ouverture et de tolérance qui caractérise votre pays et que nous apprécions tout particulièrement.

Cher président, vous pouvez compter sur notre Haute Assemblée pour veiller attentivement à la promotion de notre coopération interparlementaire.

Je forme des voeux pour que votre séjour en France soit aussi fructueux qu'instructif. Je ne doute pas qu'il annonce beaucoup d'autres échanges entre nos deux peuples. (Mme la ministre déléguée, Mmes et messieurs les sénateurs se lèvent et applaudissent.)

6

MISE AU POINT AU SUJET D'UN VOTE

M. le président. La parole est à M. François Fortassin.

M. François Fortassin. Monsieur le président, mes chers collègues, la nuit dernière, à la suite d'une demande du groupe CRC et du groupe socialiste tendant à la discussion immédiate de la proposition de loi constitutionnelle visant à accorder le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales aux étrangers non ressortissants de l'Union européenne résidant en France, un vote a eu lieu.

Il a été indiqué que le groupe du RDSE n'avait pas pris part au vote. Or, en réalité, MM. Jean-Michel Baylet, André Boyer, Yvon Collin, Gérard Delfau et moi-même, favorables à la demande de discussion immédiate, souhaitions voter pour. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, monsieur Fortassin.

7

RAPPels au règlement

M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau, pour un rappel au règlement.

M. Roland Muzeau. Monsieur le président, mon rappel au règlement se fonde sur l'article 36 du règlement.

Je souhaite, en préalable à la discussion qui va s'ouvrir sur le projet de loi pour le retour à l'emploi et sur les droits et les devoirs des bénéficiaires de minima sociaux, souligner trois faits inacceptables, qui démontrent l'affaiblissement du rôle du Parlement, le mépris affiché à son égard, et le déni de tout pouvoir d'intervention et de contrôle réel de la part de l'opposition.

Le premier point concerne la modification de l'ordre du jour de demain qui vient de nous être annoncée et qui reporte l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes.

Le deuxième point porte sur le fait que, une nouvelle fois - et je le regrette -, le Gouvernement et sa majorité sénatoriale, main dans la main, ont repoussé une demande de discussion immédiate de la proposition de loi constitutionnelle visant à accorder le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales aux étrangers non ressortissants de l'Union européenne résidant en France, qui émanait de l'opposition.

Alors que, contrairement à l'Assemblée nationale, les groupes minoritaires au Sénat ne disposent d'aucune maîtrise de ce qu'il est convenu d'appeler leur « niche parlementaire », la majorité s'est non seulement opposée au fond, c'est-à-dire au droit de vote et d'éligibilité des étrangers aux élections municipales, mais a même refusé d'engager le débat.

La droite a fermé le verrou à double tour et s'est alignée sur la position du garde des sceaux, qui a conclu son intervention par ces propos, sommets de l'art oratoire : « L'heure est venue d'aller nous coucher et non point de voter ». (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. Alain Gournac. C'est humain !

M. Roland Muzeau. Monsieur le président, je souhaite que la conférence des présidents de demain mette un terme à cet arbitraire, qui confère à l'actuelle majorité un pouvoir absolu.

Le troisième point a trait à l'attitude du Gouvernement. En effet, celui-ci dépose de plus en plus fréquemment des amendements de dernière minute, qui modifient en profondeur les projets de loi en discussion. J'espère vivement que la conférence des présidents émettra une ferme protestation à ce sujet.

Ainsi, aujourd'hui même, alors que la commission des affaires sociales examinait les amendements déposés sur le projet de loi pour le retour à l'emploi et les droits et les devoirs des bénéficiaires de minima sociaux, le Gouvernement a déposé un amendement qui vise à faire exploser encore un peu plus la précarité.

Ce « cavalier » -  c'est en effet ainsi que cela s'appelle en langage parlementaire - a pour objet d'autoriser le Gouvernement à créer, par ordonnance, un contrat de transition professionnelle, le CTP, qui se substituerait à la convention de reclassement personnalisé créée par la loi du 18 janvier 2005.

Ces faits, auxquels il faut ajouter l'accélération du débat sur le contrat première embauche à l'Assemblée nationale, démontrent la volonté antidémocratique du Gouvernement d'imposer à marche forcée des projets de destruction du code du travail que la population rejette.

Le principe républicain de la séparation des pouvoirs assigne au Parlement la fonction de législateur. Le Gouvernement ne l'accepte décidément plus. Nous saurons porter fortement ces préoccupations en conférence des présidents, demain. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. Je vous donne acte de votre rappel au règlement, monsieur Muzeau.

J'ai moi aussi fait part de mon irritation devant ces amendements déposés par le Gouvernement à la dernière minute.

M. Guy Fischer. Et ce n'est pas fini !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le président, mon rappel au règlement est de même nature que celui de mon collègue Roland Muzeau. À mon tour, je souhaite insister tout particulièrement sur les amendements qu'a déposés le Gouvernement sur le texte que nous allons maintenant examiner et qui sont parvenus à la commission des affaires sociales à la dernière minute, sans que nous ayons eu le temps de pouvoir les étudier.

C'est particulièrement vrai s'agissant de l'amendement relatif au CTP. Il s'agit manifestement d'un cavalier, qui n'a rien à voir avec le projet de loi d'origine, que le rapporteur nous a présenté comme un texte technique pour lequel aucune audition n'était nécessaire.

Pour notre part, nous avons procédé à des auditions : nous avons ainsi entendu toutes les personnes responsables, et les personnes concernées par ce texte, et nous nous trouvons confrontés à ce cavalier. Il est d'ailleurs véritablement scandaleux - je pèse mes mots, monsieur le président - que ce dispositif soit mis en place par ordonnance. L'urgence étant déclarée sur ce texte, cela signifie que l'Assemblée nationale ne pourra pas se prononcer sur cet article et qu'il reviendra à la commission mixte paritaire de statuer en dernier ressort. C'est dénier ses droits à la représentation parlementaire, c'est bafouer les parlementaires, qui doivent pouvoir jouer le rôle qui est le leur. Si l'on estime que nous ne sommes là que pour entériner les décisions du Gouvernement, il faut nous le dire ! Auquel cas, nous ne perdrons pas notre temps à essayer d'argumenter, monsieur le président.

Nous présenterons tout à l'heure une motion de renvoi à la commission. Elle est d'autant plus justifiée qu'il serait nécessaire que nous puissions débattre de tout cela tranquillement et dans de bonnes conditions.

J'ajoute que cette méthode me semble quelque peu contradictoire avec les recommandations du Conseil constitutionnel - mais on peut bien sûr ne pas en tenir compte.

Concernant le CPE, nous avions défini un programme de travail, fixé le calendrier de nos auditions et établi notre rythme de travail. Il était prévu que M. le ministre de l'emploi soit auditionné. Il faudra désormais procéder à la va-vite, à une date encore inconnue.

Il n'est pas acceptable de travailler dans ces conditions. La commission des affaires sociales, comme les autres commissions, travaille énormément sur des textes très importants. Elle doit être respectée. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et de l'UC-UDF.)

M. le président. Je vous donne acte de votre rappel au règlement, mon cher collègue.

8

 
Dossier législatif : projet de loi pour le retour à l'emploi et sur les droits et les devoirs des bénéficiaires de minima sociaux
Discussion générale (suite)

Retour à l'emploi

Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi pour le retour à l'emploi et sur les droits et les devoirs des bénéficiaires de minima sociaux
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, pour le retour à l'emploi et sur les droits et les devoirs des bénéficiaires de minima sociaux (nos 118, 161).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, chacun le sait, l'emploi est probablement notre préoccupation et notre priorité absolue communes, et le Premier ministre en a fait une volonté d'action. Cette priorité vise tout particulièrement les personnes les plus éloignées de l'emploi.

Aujourd'hui, plus de 6 millions de personnes, soit 10 % de la population, vivent des minima sociaux. Et 400 000 personnes sont au RMI depuis plus de cinq ans.

C'est dire si les mesures fondées uniquement sur l'assistance ne suffisent pas. Se contenter de verser un minimum social, c'est en quelque sorte entretenir cette exclusion.

Nul ne peut accepter que le RMI, l'allocation parent isolé, l'API, ou l'allocation de solidarité spécifique, l'ASS, deviennent un statut, une fin en soi.

Dans notre société, chacun a besoin d'être reconnu. L'emploi participe de cette reconnaissance à laquelle chacune et chacun d'entre nous a droit.

Nous avons le devoir d'inciter activement à reprendre un emploi toutes les personnes qui en sont aujourd'hui éloignées. C'est pourquoi le Gouvernement a décidé, conformément au plan de cohésion sociale, de lancer une réforme globale des minima sociaux.

Ce projet de loi, qui en est une étape, vise à la refonte de l'intéressement.

D'autres réformes restent à faire, concernant l'accompagnement vers l'insertion et les avantages complémentaires attribués par l'État - c'est ce que l'on appelle les « droits connexes ». Elles sont à l'étude.

Je voudrais tout particulièrement saluer l'oeuvre accompli au sein de votre assemblée tant par le groupe de travail animé par Mme Létard que par la mission temporaire menée par les présidents Henri de Raincourt et Michel Mercier. (M. André Dulait applaudit.) Les uns et les autres peaufinent actuellement leurs propositions, auxquelles il faudra incontestablement donner suite.

M. Roland Muzeau. Par une proposition de loi « inspirée » !

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée. Le Parlement est dans son rôle ! Le Gouvernement aura à coeur de travailler avec les parlementaires sur ce sujet.

Le texte qui vous est soumis aujourd'hui vise à réformer les dispositifs destinés à assurer l'attractivité financière du retour à l'emploi.

Les dispositifs d'intéressement actuels - la notion d'intéressement est d'ailleurs peu claire pour nombre de nos concitoyens - sont malheureusement un échec. En 2005, seuls 11,5 % des allocataires du RMI en bénéficiaient, et leur nombre est en baisse constante.

Il existe deux raisons principales à cet échec : d'une part, les dispositifs sont trop complexes et mal compris, tant par les bénéficiaires que par les travailleurs sociaux ; d'autre part, le montant des avantages consentis n'est pas assez incitatif à la reprise d'un emploi. En effet, dans bien des cas, celle-ci s'accompagne d'une réduction des revenus du foyer ou, au mieux, d'une stagnation de ces derniers.

Est-il normal que les revenus de l'assistance soient, dans certains cas, supérieurs aux revenus du travail ? Voilà l'une des questions de fond qui se pose aujourd'hui.

M. Roland Muzeau. Est-il normal que les revenus du travail soient si bas ? Là est la question !

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée. La réforme que nous proposons présente donc trois caractéristiques.

Premièrement, le mécanisme retenu incite à la reprise d'un emploi dans tous les cas. L'idée est que chaque heure travaillée apporte un gain, et que ce gain soit plus attractif que celui de l'assistance.

Deuxièmement, ce mécanisme est simple, lisible et équitable. Pour les trois minima sociaux que sont le RMI, l'ASS et l'API, il se présente sous la forme de primes forfaitaires et non plus sous la forme d'un cumul dégressif, difficile à calculer. L'idée est d'en améliorer la lisibilité pour le bénéficiaire, qui, au moment où il va reprendre son emploi, peut savoir tout seul ce qui constituera son revenu.

Troisièmement, c'est un mécanisme sécurisant. La personne qui reprend un emploi cumule intégralement pendant trois mois son nouveau revenu et son minimum social, afin de pouvoir faire face aux divers frais -  transport, habillement, frais de garde,... - auxquels on peut être exposé lorsque l'on recommence à travailler.

La réforme vise à encourager les emplois d'une durée supérieure à un mi-temps, c'est-à-dire ceux qui permettent d'assurer l'autonomie financière des familles et leur sortie de la précarité.

Elle concernera plus des trois quarts des allocataires du RMI en intéressement, plus de 80 % des bénéficiaires de l'API et 60 % des bénéficiaires de l'ASS.

Toute personne qui reprendra un emploi d'une durée supérieure à un mi-temps cumulera pendant les trois premiers mois son salaire et son allocation, puis recevra pendant les neuf mois suivants une prime forfaitaire de 150 euros, majorée de 75 euros pour les familles. Enfin, elle percevra une prime de 1 000 euros au quatrième mois suivant l'embauche.

Plusieurs questions ont été soulevées au cours de vos débats. À cet égard, je voudrais féliciter M. le rapporteur ainsi que la commission du travail qu'ils ont effectué. Je sais que nous aurons à revenir sur cette prime et, surtout, sur le moment de son versement.

Pour autant, je tiens à dire que, dans tous les cas, une personne reprenant un emploi verra immédiatement son revenu augmenter en raison du cumul du RMI et de son salaire.

J'ajoute que toute personne retravaillant 78 heures par mois au cours de cette période bénéficiera de cette prime, même si elle n'a pas nécessairement travaillé 78 heures chaque mois. Il importe seulement que cette moyenne soit atteinte.

Le cas des travailleurs frontaliers est également important. Bien sûr, toute personne travaillant à l'étranger bénéficiera de cette prime à la reprise d'activité.

Si une personne reprend un emploi d'une durée inférieure à un mi-temps, son salaire est insuffisant pour sortir des minima sociaux. Pourtant, il est important de l'accompagner dans sa démarche. Pour cette raison, elle continuera donc de percevoir une allocation différentielle.

Dans ce cas, les primes forfaitaires ne seront pas versées, car elles réduiraient le revenu. Aussi, il sera possible de cumuler intégralement son allocation et son salaire durant les trois premiers mois. Sur le reste de l'année, c'est le différentiel qui sera versé.

L'effet incitatif de ces nouvelles primes est renforcé par les mesures introduites par la loi de finances de 2006.

La prime pour l'emploi est augmentée de 50 % pour un SMIC à temps plein et de 80 % pour un SMIC à mi-temps. Elle sera de surcroît versée mensuellement.

Un crédit d'impôt de 1 500 euros est instauré au bénéfice notamment des titulaires de minima sociaux depuis plus de douze mois qui seront amenés à déménager à plus de deux cents kilomètres pour reprendre un travail.

Chacun sait par ailleurs que l'absence de solutions pour la garde des enfants constitue l'un des principaux obstacles à la reprise d'un emploi. Pour cette raison, les parents isolés qui reprennent un emploi ou les familles dont les deux parents travaillent bénéficieront d'une aide pour faire garder leurs enfants.

Je sais que cette question fait débat. Nous y reviendrons tout au long de la discussion. J'indique néanmoins d'ores et déjà que le Gouvernement a pris des mesures pour développer les modes de garde. Le Premier ministre a annoncé la création de 15 000 places de crèche supplémentaires, le doublement du crédit d'impôt dont bénéficient les familles pour les frais de garde des enfants de moins de six ans hors du domicile familial.

Cette réforme des minima, qui est une première étape, devrait coûter 240 millions d'euros, qui seront intégralement pris en charge par l'État.

Les paramètres de la réforme ont été définis de manière qu'elle n'induise aucun coût supplémentaire pour les conseils généraux. Le nouveau dispositif aura même pour eux un coût légèrement inférieur à l'ancien.

En outre, cette réforme, en raison du retour à l'emploi qui s'ensuivra, fera baisser leurs charges. Nous en attendons de moindres dépenses pour eux-mêmes s'agissant du RMI, et pour l'État s'agissant de l'API et de l'ASS, ainsi qu'un surcroît de recettes pour la sécurité sociale.

Le versement des primes, quant à lui, sera organisé de la façon suivante : dans un souci de simplicité, la prime de 1 000 euros sera attribuée par l'organisme qui verse le minimum social, à savoir la caisse d'allocations familiales ou la caisse de la mutualité sociale agricole pour les titulaires du RMI ou de l'API, et l'ASSEDIC pour les personnes titulaires de l'ASS.

La prime mensuelle de 150 ou de 225 euros sera financée par les conseils généraux pour les allocataires du RMI, et par l'État pour les bénéficiaires de l'API et de l'ASS.

Toutes ces primes seront incessibles, insaisissables et exonérées d'impôts. Elles ne seront bien sûr pas prises en compte pour établir la base ressource qui permet d'obtenir la part différentielle du minimum social.

Ce texte a été enrichi par l'Assemblée nationale. Les députés ont souhaité que, parallèlement aux droits attachés aux minima sociaux, soient rappelés les devoirs s'imposant à ceux qui en bénéficient.

Ils ont ainsi réformé le régime des sanctions applicables en cas de fraude. Ces sanctions existaient, mais elles étaient injustes, difficilement applicables et trop sévères. Par souci d'équité, l'Assemblée nationale les a harmonisées et a fait preuve de réalisme en prévoyant la possibilité d'amendes administratives, atténuées et moins lourdes à mettre en place que les poursuites pénales.

Le projet de loi comporte enfin des dispositions diverses, parce que le retour à l'emploi passe aussi par l'insertion par l'activité économique, dont chacun d'entre nous sait qu'elle est souvent un sas permettant aux uns et aux autres de se reconstruire avant de revenir réellement sur le marché du travail.

Ce texte a pour objet d'améliorer les conditions de mise oeuvre des chantiers d'insertion en aménageant les contrats d'avenir qui pourraient maintenant varier de vingt à vingt-six heures. Cela fait suite à une concertation et à des discussions que nous avons menées avec les associations concernées.

Les chantiers d'insertion permettent à de très nombreuses personnes qui rencontrent des difficultés sociales ou professionnelles, et qui sont vraiment très éloignées de l'emploi, d'améliorer leurs compétences afin de pouvoir revenir sur le marché du travail. Nous serons unanimes, je crois, pour rendre hommage au travail réalisé par les associations et les chantiers d'insertion.

Le projet de loi assouplit également le régime des contrats aidés pour les rendre plus simples d'utilisation.

Enfin, concernant les conditions d'attribution du RMI, de nombreux élus, notamment ceux des régions frontalières, ont attiré l'attention du Gouvernement sur la nécessité d'un meilleur encadrement, par la loi, de l'attribution de l'allocation aux étrangers.

Ne pourront désormais prétendre au RMI que les ressortissants de l'Espace économique européen et ceux de l'Union européenne qui résident en France depuis plus de trois mois. Cette condition, conforme aux directives européennes, permettra de mettre les départements à l'abri d'un afflux potentiellement non maîtrisé de demandes.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous savons tous qu'il faudra aller plus loin, s'agissant notamment de l'appui aux allocataires et des droits connexes garantis par l'État.

Un appui personnel prenant en compte les difficultés sociales et les projets professionnels est l'élément clé d'une insertion réussie. (M. Henri de Raincourt acquiesce.)

Cet appui à la démarche de recherche d'emploi existe déjà pour les allocataires de l'ASS, et les missions confiées par l'État au service public de l'emploi doivent être poursuivies.

De même, les départements ont intensifié les efforts d'accompagnement social et professionnel des allocataires du RMI dès que la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales leur en a confié l'entière compétence. Chacun a pu voir quelle était leur mobilisation.

En revanche, cet appui, notamment l'appui à la démarche d'insertion professionnelle, doit être renforcé pour les allocataires de l'API.

Nous pouvons tous citer de nombreux exemples de cette précarité professionnelle, malheureusement liée au congé de maternité et à cette allocation.

Quant aux droits connexes garantis par l'État, leur réforme est urgente : d'une part, ils sont inéquitables ; d'autre part, la crainte de perdre le statut qui permet de les obtenir est un réel frein à l'emploi.

Je vous l'ai dit, ce texte est un premier pas. Il sera suivi d'autres réformes. Les travaux des missions parlementaires en constitueront le fondement.

Tel qu'il vous est aujourd'hui proposé, ce projet de loi est équitable, car il instaure des droits et des devoirs identiques pour tous les allocataires.

C'est un texte efficace, qui permettra aux bénéficiaires des mesures annoncées d'en profiter tout de suite. Nous n'avons pas le droit de les faire attendre trop longtemps, qu'il s'agisse de la réforme de l'intéressement ou de la prime de 1 000 euros.

Tous les partenaires, les élus, les associations membres du Conseil national de lutte contre l'exclusion, qui ont été réunis le 16 septembre sous l'égide du Premier ministre - vous étiez présent, monsieur le rapporteur -, l'ont répété : aider au retour à l'emploi est la condition absolue pour sortir de la précarité.

Tous ensemble, nous n'avons qu'une obligation : réussir ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Bernard Seillier, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, dans le cadre de sa « bataille pour l'emploi », le Premier ministre s'est engagé à lever les obstacles à la reprise d'activité pour les bénéficiaires de minima sociaux. Pour atteindre cet objectif, le présent projet de loi emprunte deux voies : l'amélioration des incitations financières à la reprise d'activité et la mise en place de mesures destinées à résoudre les difficultés concrètes qui freinent le retour à l'emploi.

Pour améliorer les incitations financières à la reprise d'activité, le Gouvernement a choisi de perfectionner un instrument ancien mais dont l'efficacité est aujourd'hui réduite en raison de sa trop grande complexité : il s'agit des dispositifs de cumul entre salaire et minima sociaux, autrement appelés « dispositifs d'intéressement ».

Aujourd'hui, le mode de calcul de l'allocation différentielle à laquelle peut prétendre un allocataire reprenant un emploi est tellement opaque qu'il faudrait être actuaire pour pouvoir prédéterminer le montant de cette allocation. Pour certains ménages fragilisés, il est même plus prudent de préférer les revenus d'assistance, dont le montant a au moins le mérite d'être connu à l'avance.

C'est la raison pour laquelle le projet de loi prévoit désormais un dispositif plus simple : une prime de retour à l'emploi de 1 000 euros et des primes mensuelles forfaitaires. Les bénéficiaires pourront alors anticiper beaucoup plus facilement l'évolution de leurs ressources.

L'objectif est naturellement de favoriser une réinsertion professionnelle durable. C'est la raison pour laquelle un soutien renforcé est apporté aux emplois offrant un temps de travail et une durée d'activité suffisante, soit 78 heures par mois pendant au moins quatre mois.

En deçà de ces deux seuils, le système du cumul entre salaire et allocation sera toutefois amélioré, de façon à rendre progressif l'intéressement en fonction du temps de travail. De cette façon, ceux qui ne se voient proposer que des emplois à temps très partiel ne rencontreront pas d'obstacles financiers s'ils ont l'occasion de pouvoir accroître leur temps de travail.

Pour consolider l'insertion professionnelle, le projet de loi prévoit enfin d'aider les bénéficiaires à faire face aux frais qui accompagnent le retour à l'emploi.

La prime de retour à l'emploi, créée en août dernier, est donc pérennisée et même étendue, puisque toute condition d'ancienneté au chômage pour en bénéficier est supprimée. Elle correspond à un effort financier supplémentaire de l'État de 240 millions d'euros.

Le Gouvernement craint toutefois que le montant important de la prime - 1 000 euros - ne constitue une tentation pour les fraudeurs. C'est pourquoi son versement n'interviendra qu'après quatre mois révolus d'activité. Pour des raisons identiques, un même bénéficiaire ne pourra percevoir une nouvelle prime au titre d'une nouvelle embauche - si la première embauche s'avère restreinte ou infructueuse - qu'après un délai de dix-huit mois.

Quel sera l'impact de cette réforme sur le pouvoir d'achat des bénéficiaires ? La réponse à cette question ne peut qu'être nuancée.

Si l'on s'attache aux seules primes forfaitaires, force est de constater que, dans certaines configurations familiales, le gain apporté par l'intéressement « nouvelle formule » sera plus faible qu'aujourd'hui. Mais l'écart constaté est presque toujours comblé lorsque l'on tient compte de la prime de 1 000 euros et de la réforme de la prime pour l'emploi.

Par ailleurs, il serait réducteur de n'apprécier cette réforme que sous son seul aspect financier. La lisibilité du nouveau dispositif compense, selon moi, le fait que le gain attendu soit parfois un peu plus faible.

Pour ces motifs, la commission des affaires sociales estime que la réforme proposée va dans le bon sens. Deux points pourraient toutefois être améliorés.

Premier point, le versement tardif - quatre mois après la reprise d'activité - des 1 000 euros risque de faire manquer à la prime son but : il intervient en effet trop tard pour aider réellement le bénéficiaire à faire face à ses frais de retour à l'emploi. J'estime en outre que reporter ainsi le versement de la prime ne découragera en rien les abus.

C'est la raison pour laquelle je vous proposerai de prévoir un versement immédiat de la prime. Cela ne signifie d'ailleurs pas qu'il faille l'attribuer à tous sans condition de durée d'activité. La règle des quatre mois minimum d'activité peut tout à fait être maintenue, mais cette obligation sera supposée remplie pour les personnes qui retrouvent un emploi en CDI ou en CDD et en intérim de plus de quatre mois.

Je voudrais tempérer les craintes de fraude. Verser la prime dès la reprise d'activité suppose effectivement de faire confiance ; mais c'est cette confiance qui légitime un contrôle a posteriori plus sévère.

J'en viens au second point d'amélioration possible de la réforme proposée. La fin de l'intéressement s'accompagne d'une réduction brutale et significative des revenus à l'issue de cette période. Cette difficulté est inhérente au dispositif d'intéressement, qui ne peut en effet qu'être temporaire. Toute autre solution serait inéquitable pour les personnes qui perçoivent le même revenu d'activité sans être passées par les minima sociaux, sauf à mettre en place un dispositif de soutien généralisé aux bas salaires. Mais alors, un autre écueil apparaît : il ne faudrait pas encourager les entreprises à se décharger sur l'État de leur responsabilité d'assurer un revenu décent à leurs salariés.

Prenant acte du caractère temporaire de l'intéressement, la commission des affaires sociales avait pensé en atténuer les effets pervers en mettant en place une sortie « en sifflet » de ce dispositif. Mais elle y a renoncé, estimant qu'un tel mécanisme nuirait finalement à sa lisibilité et donc à son efficacité. C'est la raison pour laquelle elle a opté pour la création d'une prime de sortie de l'intéressement, d'ailleurs plus conforme à l'esprit du texte.

Dans un deuxième temps, le projet de loi s'attache à lever un obstacle très concret au retour à l'emploi pour les bénéficiaires de minima sociaux, celui de l'accès à un mode de garde pour leurs enfants.

Le projet de loi initial prévoyait une priorité d'accès en crèche pour les enfants de bénéficiaires de minima sociaux qui reprennent un emploi. L'Assemblée nationale a jugé ce dispositif peu opérationnel et lui a préféré un mécanisme de « places garanties » reposant, au cas par cas, sur la mobilisation soit de places réellement mises en réserve, soit de places d'accueil en surnombre.

La commission des affaires sociales ne mésestime pas les difficultés qui entourent la mise en oeuvre concrète de ce dispositif, surtout dans un contexte de pénurie de places d'accueil en crèche. Reconnaissons toutefois à nos collègues députés un mérite : la solution qu'ils proposent fait davantage appel à la mobilisation des acteurs locaux.

Ce préalable étant posé, la commission considère que le mécanisme d'accès préférentiel retenu est incomplet, car il ne s'adresse qu'à des parents ayant déjà retrouvé un emploi. Or l'impossibilité de faire garder ses enfants peut pénaliser la recherche d'emploi elle-même. La commission souhaite donc inciter les crèches à mobiliser l'accueil d'urgence et l'accueil temporaire dans ce dernier cas.

Tel était le périmètre initial de ce projet de loi. Mais l'Assemblée nationale en a très largement élargi l'objet : sur l'initiative de son rapporteur, elle a d'abord souhaité harmoniser les sanctions prévues en cas de fraude aux minima sociaux.

Ces sanctions sont actuellement très disparates, parfois disproportionnées et le plus souvent largement inappliquées en raison même de certains excès. Dans 75 % des cas, les plaintes des caisses d'allocations familiales sont classées sans suite. Désormais, la fraude sera punie de 4 000 euros d'amende, le double en cas de récidive. Afin d'offrir une alternative aux sanctions pénales, souvent lourdes à mettre en oeuvre, un régime d'amendes administratives, d'un montant maximum de 3 000 euros, a été créé.

La commission des affaires sociales considère qu'il ne faut pas voir dans ces mesures une volonté de stigmatiser les bénéficiaires de minima sociaux : l'existence d'un contrôle relève en effet d'un impératif de justice sociale. Elle vous propose donc simplement quelques amendements pour harmoniser les garanties de procédure applicables aux différentes prestations.

Sur l'initiative du Gouvernement cette fois, l'Assemblée nationale a également apporté une nouvelle série de modifications ponctuelles aux règles applicables au contrat d'avenir et au contrat insertion-revenu minimum d'activité, le CI-RMA.

Il est ainsi proposé, pêle-mêle, de prévoir une durée minimale spécifique pour les contrats d'avenir conclus avec une personne bénéficiant d'un aménagement de peine, de supprimer la limitation apportée au nombre de ses renouvellements, d'ouvrir une exception à la durée hebdomadaire de travail des titulaires en cas d'embauche par un chantier d'insertion ou encore d'autoriser la signature de CI-RMA à durée indéterminée.

Notons également la suppression de l'agrément préalable des candidats au recrutement par les chantiers d'insertion lorsque le contrat envisagé est un contrat d'avenir ou un CI-RMA et l'ouverture de ces deux contrats à tous les allocataires de minima sociaux, sans condition d'ancienneté dans ces dispositifs.

La commission approuve l'ensemble des réformes proposées par ce texte. Mais celui-ci ne représente que la première étape d'une réforme nécessairement plus globale de l'ensemble des minima sociaux.

En effet, au-delà de la question de l'articulation entre minima sociaux et revenus d'activité traitée par ce projet de loi, une véritable réforme des minima sociaux devrait, à mon sens, prendre en compte deux autres aspects.

D'abord, l'harmonisation des droits connexes attachés au bénéfice des minima sociaux est indispensable pour rétablir l'équité entre les différents types d'allocataires et entre ceux-ci et ce qu'il est convenu d'appeler les « travailleurs pauvres ». Elle doit également être l'occasion de modifier leurs conditions d'attribution, afin qu'ils soient non plus un frein au retour à l'emploi mais au contraire un élément de sécurisation du parcours d'insertion.

Ensuite, l'accompagnement professionnel et social des bénéficiaires de minima sociaux, qui n'existe aujourd'hui de façon systématique que pour les bénéficiaires du RMI, devrait être généralisé.

Deux propositions de loi, inspirées respectivement par les travaux de notre groupe de travail sur les minima sociaux, présidé par Valérie Létard, et par le rapport remis en décembre dernier au Premier ministre par Michel Mercier et Henri de Raincourt devraient prochainement être déposées sur le bureau du Sénat. Il nous reviendra de veiller, à l'occasion de l'examen de ces deux textes, à la mise en cohérence globale du système français des minima sociaux, dont l'ambition est beaucoup plus vaste que celle du texte que nous examinons aujourd'hui.

Pour toutes ces raisons, la commission des affaires sociales vous propose, mes chers collègues, d'adopter ce projet de loi, complété par les amendements que je vous présenterai en son nom. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 75 minutes ;

Groupe socialiste, 49 minutes ;

Groupe Union centriste-UDF, 20 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes ;

Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 12 minutes.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Georges Mouly.

M. Georges Mouly. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, bataille pour l'emploi, obstacles à lever, incitation, activation des minima sociaux... Qui ne souscrirait à de tels objectifs ?

Pour le Conseil national de lutte contre l'exclusion, aider au retour à l'emploi est la condition absolue pour sortir de la précarité. Les initiatives du Gouvernement ne manquent pas pour y parvenir. Elles méritent d'être saluées, madame la ministre, même si elles ne sont pas toujours, tant s'en faut, claires et lisibles. J'y reviendrai. À cet égard, j'ai en mémoire l'intervention de notre collègue Mme Sylvie Desmarescaux ce matin en commission.

Pour l'heure, nonobstant les critiques qui peuvent être formulées contre le projet de loi qui nous est proposé, aucune de ses mesures ne pourrait nous conduire, selon moi, à son rejet.

Je n'ai pas cru, en d'autre temps, pouvoir m'opposer à l'adoption des dispositions visant à créer les emplois-jeunes, dont la durée était limitée et les problèmes prévisibles bien connus. Mais - pardonnez-moi une expression un peu simpliste - c'était mieux que rien ! Tous les efforts en vue du retour à l'emploi doivent être soutenus, y compris ceux qui sont accomplis aujourd'hui dans des conditions tout à fait différentes.

Toutefois, madame la ministre, la démarche actuelle aurait dû se situer dans le cadre d'une réforme plus globale des minima sociaux et de leurs droits connexes. Le rapport de MM. Michel Mercier et Henri de Raincourt, ainsi que celui, attendu, de notre excellente collègue Valérie Létard se situent dans cette perspective.

Doit-on pour autant parler de précipitation ? Je ne le pense pas. Cela étant, je crains plutôt que nous n'ayons quelques difficultés à aboutir à une forte cohérence et, je le disais à l'instant, à une claire lisibilité en la matière.

S'agissant de la lisibilité, je rappellerai la liste des contrats possibles, et sans doute en oublierai-je certains compte tenu de leur nombre : le contrat d'insertion dans la vie sociale, le CIVIS, le contrat d'aide à l'emploi, le contrat d'insertion en entreprise - rénové -, le contrat jeune en entreprise, le contrat de professionnalisation, le contrat nouvelles embauches ou CNE, le contrat d'avenir, le contrat insertion-revenu minimum d'activité, ou CI-RMA, ces deux derniers faisant l'objet de modifications ponctuelles au sein du présent projet de loi.

Certes, ces dispositifs ne sont pas mauvais, et j'entends bien qu'ils visent à cibler au mieux des situations elles-mêmes très diverses de nos concitoyens en difficulté et en recherche d'emploi.

Il n'empêche - et c'est une considération que je vous livre en cet instant - que ce manque de lisibilité reflète, au fond, d'une façon plus globale et plus générale, la situation que nous connaissons en ce moment. Le système actuel est d'une extrême complexité, ainsi que l'a souligné en commission notre excellent rapporteur, Bernard Seillier, et cela conduit à un relatif échec.

Je comprends bien qu'une personne puisse, par prudence, préférer conserver le revenu d'assistance, qui est plus sûr parce que son montant est connu d'avance.

Cela m'amène à souligner la pertinence à mes yeux des « maisons de l'emploi », à guichet unique, qu'il me paraît souhaitable de généraliser, à l'image des maisons départementales des personnes handicapées. Où en est-on à cet égard, madame la ministre ?

Par ailleurs, le rapprochement entre l'ANPE et les ASSEDIC, qui est prôné par le Gouvernement, est-il suffisamment généralisé ? Si j'en crois une information diffusée par la radio avant-hier, c'est loin d'être le cas ! (Mme Raymonde Le Texier s'exclame.)

Je ne m'attarderai pas sur le texte du projet de loi, qui a été parfaitement présenté, de même que les propositions d'amendements, si ce n'est pour en approuver les trois principes : premièrement, les mécanismes d'intéressement à la reprise d'activité plus simples et plus lisibles ; deuxièmement, pour une réinsertion professionnelle durable, la croissance de l'intéressement en liaison avec le temps de travail et la durabilité de l'emploi ; troisièmement, les aides aux bénéficiaires de minima sociaux reprenant une activité professionnelle qui ont à faire face à des frais parfois importants - c'est l'objet de la prime de retour à l'emploi.

Comme je l'ai indiqué, le texte prévoit d'apporter des modifications aux contrats d'avenir et aux CI-RMA. Ces dernières peuvent concerner, entre autres, les chantiers d'insertion, les structures d'insertion par l'économique. A cet égard, madame la ministre, je rappellerai la situation des entreprises d'insertion pour l'aide à la personne.

Avant d'être une entreprise d'insertion, la structure associative porteuse de ce service a fonctionné sous forme dérogatoire pendant de nombreuses années. Il a bien fallu qu'elle se mette en règle, et nous avons assisté à la création d'une entreprise d'insertion agréée. Mais assurer auprès des personnes âgées, entre autres services, les gardes de nuit et de week-end, n'est pas un exercice facile, en particulier s'il est accompli par des personnes fragilisées humainement et socialement.

Or, l'association porteuse de l'entreprise d'insertion est financièrement pénalisée comparativement à la situation antérieure. Dans cette dernière, en effet, les contrats emploi-solidarité, ou CES, et les contrats emplois consolidés, ou CEC, étaient exclus du calcul des effectifs. Les contrats d'insertion, eux, ne le sont pas, d'où 3 400 euros supplémentaires par an de taxe sur les salaires, ce qui n'est pas rien pour une association !

Le retour à l'emploi des bénéficiaires de minima sociaux par l'entreprise d'insertion se trouve ainsi pénalisé, d'autant que, aujourd'hui, la rémunération versée aux titulaires de contrat d'insertion par l'activité - dans les départements d'outre-mer, il est vrai - est exonérée de la taxe sur les salaires.

Je ne pouvais pas, madame la ministre, ne pas m'arrêter sur ce point. Cela n'occulte cependant pas, à mes yeux, l'intérêt des diverses mesures prévues par le présent texte en termes de possibilités de cumuls - primes, mesures en faveur des jeunes pour l'emploi, crédit d'impôt, prise en considération du travail à mi-temps - auxquelles on ne saurait que souscrire ; même si l'ensemble revêt toujours quelque complexité, ainsi que M. le rapporteur l'a souligné en commission, je reconnais que les problèmes en question ne sont pas simples.

Madame la ministre, si je me réfère au vécu sur le terrain en la matière, la nécessité d'assurer un accompagnement du demandeur d'emploi s'impose comme une évidence. C'est en effet le meilleur moyen d'aider ce dernier à s'engager dans un parcours durable. Cela plaide une nouvelle fois, me semble-t-il, pour une part du moins, en faveur de la pertinence des « maisons de l'emploi », au sein de laquelle des référents pourraient être trouvés.

Je relèverai un aspect particulier du projet de loi, à savoir la volonté de lever un obstacle au retour à l'emploi par l'accès à un mode de garde pour les enfants. Beaucoup a été dit, et M. le rapporteur a insisté sur ce point. A l'évidence, la mise en oeuvre d'une telle volonté n'est pas aisée.

A cet égard, je livrerai d'abord la réflexion suivante : l'admission en maternelle des enfants de deux ans ne serait-elle pas, pour partie, une solution ? La chose, qui est possible en certains endroits du territoire, notamment dans mon département, ne l'est pas ailleurs. Ne pourrait-on pas institutionnaliser cette possibilité ?

Ensuite, je souhaite fournir, en toute modestie, un témoignage. Dans mon département, nous avons mis en place récemment un système connaissant déjà un grand succès : il s'agit d'une structure d'accueil itinérante - des véhicules aménagés et un personnel qualifié proposant des jeux et des temps d'animation - pour les enfants de dix semaines à quatre ans, qui est appelée « Bébé-bus ».

Certes, ce service ne peut être « la » réponse aux besoins des parents en situation d'emploi. Mais ce peut être, dans la périphérie de nos préoccupations d'aujourd'hui, un élément intéressant en vue de permettre à des parents de se rendre, par exemple, à un rendez-vous administratif ou à un rendez-vous lié à la recherche d'emploi.

Je ne reviendrai pas sur le texte tel qu'il a été présenté, sinon pour dire que je l'approuve, parce qu'il est la marque de la volonté du Gouvernement de lutter à tout prix contre le chômage.

Je formulerai cependant un espoir et un souhait, madame la ministre : que l'on prenne dorénavant le temps de faire le bilan des nombreuses mesures qui sont déjà mises en oeuvre. Beaucoup a été mis en chantier. Je me permets d'y insister, faisons en sorte de bien expliquer, de bien informer, afin de mieux mobiliser. Le projet de loi que nous examinons aujourd'hui nécessitera cet effort, mais c'est un premier pas qui en vaut la peine ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau.

M. Roland Muzeau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis quatre ans, les gouvernements successifs de M. Raffarin et, plus récemment, le gouvernement de M. de Villepin affichent l'emploi au premier rang de leurs priorités.

Régulièrement, le Président Chirac intervient sur son thème de prédilection, la fracture sociale, pour dire aux Français qui sont effectivement victimes de l'aggravation des insécurités sociales et économiques que cette fracture sociale n'est pas une fatalité et que l'Etat agit pour réduire les inégalités.

Or, qu'il s'agisse de la fiscalité, des services publics, de la politique de l'emploi à proprement parler, tous les moyens à disposition ont été utilisés non pas pour agir sur les causes de la pauvreté et de l'exclusion du marché du travail, mais pour asseoir les mutations du capitalisme, la financiarisation de l'économie, au mépris des risques que ces choix emportent, à savoir la généralisation de la précarité, l'amplification du sous-emploi, donc l'aggravation de la misère et le développement du phénomène des travailleurs pauvres.

Telle est aujourd'hui la réalité d'une France qui porte les stigmates de votre politique de baisse du coût du travail et qui compte, selon les experts, entre 1,2 et 3,5 millions de travailleurs pauvres percevant des salaires mensuels inférieurs à 600 euros, soit la moitié du SMIC, une France dans laquelle la part des salaires et des prestations sociales en espèces dans le revenu des ménages est plus faible aujourd'hui qu'en 1970.

Telle est notre société, où 6 millions d'individus dépendent des minima sociaux dont le niveau - en l'occurrence celui du RMI - situe la France, sachons-le, dans le bas du tableau, par comparaison avec les autres pays européens.

C'est en pleine connaissance des réalités de notre société de plus en plus duale, de la situation actuelle qui se caractérise par un chômage de masse, que vous opposez dangereusement les smicards, les victimes de cette dévalorisation du travail salarié, qui peinent à vivre de leur travail, aux moins méritants, aux chômeurs, bénéficiaires du RMI, lesquels, avec 425 euros par mois, « profiteraient », à vous écouter, d'un système.

Aux uns, vous expliquez que la hausse du SMIC aurait un effet négatif sur l'emploi non qualifié, préparant ainsi la disparition des mécanismes actuels de fixation du SMIC, tant voulue par le Mouvement des entreprises de France, le MEDEF, et vous proposez de cumuler des miettes d'emploi pour, au final, gagner un vrai salaire.

Aux autres, vous proposez les mêmes miettes partielles d'emploi sous-rémunérées.

Pour tous, vous suggérez de réduire le degré de solidarité, de sécurité, au lieu d'agir de façon contra-cyclique pour véritablement réduire le chômage, redonner de la qualité et du sens au travail.

Comment penser que les personnes privées d'emploi retrouveront un emploi d'autant plus vite que les périodes durant les lesquelles elles sont sûres d'être indemnisées seront courtes, que les salariés seront d'autant plus dociles et appliqués que leurs conditions d'emploi, leur statut seront précaires ?

Pour une majorité d'individus, les potions sont amères, la solidarité devient un privilège et la coercition, la règle. Et ce, alors que, pour d'autres, moins nombreux mais plus nantis, le Gouvernement renforce les impunités, tout en prenant soin d'éviter les « injustices » en assurant un partage des revenus favorable au capital.

Le budget pour 2006 témoigne de ce déséquilibre et d'un parti pris insupportable en faveur des riches qui, gagnant déjà 20 000 euros mensuels, se sont vu offrir, grâce notamment au bouclier fiscal, 10 000 euros supplémentaires, alors que des gens mouraient de froid, comme n'a pas manqué de le déplorer Louis Maurin, directeur de l'Observatoire des inégalités.

C'est pour dénoncer ce même mépris envers les plus pauvres, les mal-logés que, symboliquement, l'Abbé Pierre a occupé, hier, l'Assemblée nationale, où les députés de droite ont relancé l'offensive contre la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU, afin d'en abaisser les exigences en terme de logements sociaux.

Nos concitoyens, eux aussi, sont pleinement conscients du décalage constant entre le discours qui se veut socialement rassurant et la dureté des solutions néolibérales qui sont appliquées méthodiquement par ce gouvernement aux travailleurs, aux pauvres, à l'ensemble de la société. C'est d'ailleurs pourquoi deux Français sur trois se disent mécontents de la politique économique et sociale qui est menée.

En ce début d'année, malgré les efforts soutenus du Premier ministre « pour repeindre l'emploi en rose » et rendre crédible l'idée d'une baisse pérenne du chômage, à toutes les questions abordées par le baromètre mensuel de l'institut de sondage BVA pour Les Echos, nos concitoyens répondent majoritairement par le pessimisme.

Les faits sont têtus. Vous pouvez continuer à vous abriter derrière les statistiques, à rechercher la caution d'experts, du très sérieux patron de l'ANPE pour nier vos tours de passe-passe ou l'augmentation des radiations de chômeurs. Vous pouvez omettre de rappeler le poids significatif de la démographie avec les départs à la retraite des générations du baby-boom.

L'évidence s'impose pourtant à chacun : l'économie française reste faiblement créatrice d'emplois et elle en détruit beaucoup.

Par ailleurs, s'il y a moins de chômeurs - moins 5 % entre septembre 2004 et septembre 2005 -, il y a davantage de personnes acculées à vivre avec le RMI - plus 6,2 % au cours de l'année 2005 en France métropolitaine. Dans mon département, les Hauts-de-Seine, qui est l'un des départements les plus riches de France, l'augmentation du nombre de RMIstes atteint 8 %. C'est le résultat de vos choix privilégiant le traitement libéral du chômage.

Rien de surprenant, alors, que les Français aient le sentiment, à 72 %, que l'avenir de l'emploi reste sombre et, à 75 %, que la croissance gardera en 2006 son faible niveau.

À leurs dépens, ils ont appris le sens négatif donné au mot « réforme ». S'agissant de la protection sociale, en faisant du retour à l'emploi le pivot de toutes vos politiques sociales, vous avez détourné les buts de cette dernière, comme l'analyse la sociologue Catherine Lévy dans son livre Vivre au minimum.

Ainsi, il est désormais question beaucoup plus de protection sociale patronale que de sécurité de chacun face aux aléas de la vie et de protection des salariés face aux aléas du marché du travail.

Au nom de l'emploi, nombre de mesures antisociales ont été imposées aux salariés.

Obsédés par le taux de croissance outre-Atlantique, que vous attribuez à l'augmentation du nombre d'heures travaillées, mais refusant de préciser à qui profiterait l'allongement de la durée du travail, vous avez prétendu assouplir les 35 heures pour permettre à ceux qui souhaitaient « travailler plus de pouvoir gagner plus ». Le piège du chantage à l'emploi, aux délocalisations, s'est refermé sur les salariés de Bosch, d'Hewlett Packard, de Seb, de Fenwick et tant d'autres : désormais, ils travaillent 39 heures, payées 35. Et cela s'accompagne néanmoins de milliers de suppressions d'emploi !

Après le bilan lamentable des gouvernements Raffarin, qui, à la fois par réaction et par intégrisme libéral, avaient supprimé tout ce qui marchait auparavant et avaient décidé de stopper le traitement social du chômage, la loi dite « de cohésion sociale » devait, pour « réveiller une forme de citoyenneté des entreprises, rendre plus efficaces notre politique de l'emploi et son pilotage », selon les termes de M. Larcher, permettre de simplifier les contrats aidés, d'inscrire les personnes les plus fragiles dans un vrai parcours d'insertion, de leur faciliter le retour à l'emploi. Ce que nous retenons de cette réforme, ce sont avant tout les effets d'aubaine, c'est qu'elle a ouvert la porte à la dénaturation des missions des agents du service public de l'emploi, au durcissement et à la systématisation des contrôles et des sanctions des demandeurs d'emploi, et ce alors qu'à peine la moitié des chômeurs sont indemnisés. Depuis, vous n'avez pas avancé en direction du contrat unique d'insertion, bien au contraire, puisque de nouveaux types de contrat aidé ont été ajoutés.

Que dire, par ailleurs, de la loi de M. Borloo relative au développement des services à la personne, elle aussi fortement inspirée du modèle américain, si ce n'est que, une fois encore, elle « s'appuie sur les inégalités », selon le professeur d'économie Jean Gadrey ? Elle offre en outre aux employés du secteur de l'emploi domestique, principalement des femmes, des petits boulots sous-qualifiés à temps partiel, et non des emplois dignes s'accompagnant de perspectives de professionnalisation.

Enfin, le Gouvernement a abrogé certaines dispositions de la loi de modernisation sociale qui visaient à responsabiliser les employeurs en cas de licenciement et a tenté de nous convaincre que ce retour en arrière « participait à l'effort national de cohésion sociale... en renforçant la protection des salariés en cas de licenciement collectif », comme l'a dit notre collègue M. Gournac.

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. Je le redis !

M. Roland Muzeau. Les craintes que nous exprimions à l'époque de voir ainsi s'ouvrir une brèche légitimant l'adaptation permanente du code du travail et du droit du licenciement aux exigences du marché se sont vite confirmées. Dans la logique de la loi de programmation pour la cohésion sociale, et au-delà de ce qu'ambitionnait le MEDEF dans sa volonté que les entreprises soient autorisées à licencier afin, affirme-t-il, de sauvegarder la compétitivité, la Cour de cassation vient de permettre les licenciements préventifs.

Le MEDEF dit ouvertement vouloir peser sur les décisions publiques à l'horizon de 2007. Il n'aura pas de mal à y parvenir, puisque Thierry Breton promettait avant-hier à 400 de ses amis patrons de gérer la France comme une entreprise. Beau programme ! On mesure déjà la portée des thèses libérales dans l'action du Gouvernement. La sémantique est commune, la complicité indiscutable.

La nouvelle patronne du MEDEF déclare que « la vie, la santé, l'amour sont précaires », et demande : « Pourquoi le travail échapperait-il à cette loi ? » Cette explication « naturelle » de la précarité arrive à point nommé pour légitimer des politiques toujours moins-disantes socialement. Elle sert également à rendre évidente et indiscutable - impératifs économiques obligent - la prescription de remèdes visant à fluidifier le marché du travail et à abaisser le coût du travail.

Lorsque Nicolas Sarkozy entonne son refrain contre le modèle social français...

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. Larcher, Sarkozy,... À qui le tour, ensuite ?

M. Roland Muzeau. Je savais, monsieur Gournac, que cela allait vous plaire : ne vous inquiétez pas, chacun en aura pour son grade !

M. Henri de Raincourt. C'est toujours la même chose...

M. Roland Muzeau. Lorsque Nicolas Sarkozy, disais-je, entonne son refrain contre le modèle social français, qu'il prétend responsable des blocages de notre économie parce qu'il pousserait « à la paresse » et créerait les fameuses « trappes à inactivité », son objectif est d'ancrer dans l'opinion publique l'idée selon laquelle la réduction de la solidarité serait une exigence de la relance de l'emploi ; l'insécurité, et non la garantie de l'emploi, serait le passage obligé du dynamisme économique. Ces propos ne font-ils pas écho à la bataille de la « fluidité » chère au patronat, qui ne veut ni plus ni moins qu'« écraser les conformismes pour réenchanter le monde »(Sourires), en clair, brûler le code du travail pour généraliser des formes atypiques d'emploi et sécuriser les procédures de licenciement au bénéfice du patronat ? (Approbation sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste. - M. Henri de Raincourt rit.)

M. Guy Fischer. C'est tout à fait cela !

M. Roland Muzeau. Toujours dans le même sens, et pour faire entrer « le marché du travail dans la modernité », selon les termes de l'actuel Premier ministre - au demeurant plus engagé dans la course présidentielle que dans la bataille pour le plein emploi de qualité -, mais également en raison de l'urgence de la situation, est né cet été le contrat nouvelles embauches, le CNE. Plus stable en apparence que les contrats courts à durée déterminée et à temps partiel, puisqu'il est à durée indéterminée, il n'en reste pas moins aussi précaire et aussi dangereux, sinon davantage, dans la mesure où les salariés concernés ne bénéficient plus des droits et garanties de droit commun de notre législation sociale en matière, notamment, de licenciement et d'indemnisation de leur précarité. Cette forme de contrat de travail on ne peut plus souple est en passe d'être étendue à tous les jeunes de moins de vingt-six ans avec le contrat première embauche, le CPE, remake du contrat d'insertion professionnelle, le CIP, de Balladur en 1994 (M. Henri de Raincourt rit), en attendant l'ultime étape de sa généralisation et la réforme globale du contrat de travail. L'Observatoire français des conjonctures économiques, ou OFCE -, l'INSEE et l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale, ou ACOSS, confirment pourtant les effets d'aubaine et le risque que ces contrats ne cannibalisent les contrats à durée indéterminée.

M. de Villepin affirme ainsi clairement son choix en faveur d'un modèle de flexibilité à l'anglo-saxonne dans lequel la précarité déjà généralisée est institutionnalisée, et les embauches facilitées par de nouvelles exonérations totales de cotisations sociales. Cela ne manque d'ailleurs pas de nous conduire à nous interroger, d'une part, sur le rôle réel du Conseil d'orientation de l'emploi, censé travailler sur l'efficacité des aides publiques à l'emploi et sur leur conditionnalité, et, d'autre part, sur le sérieux du pacte de rigueur budgétaire.

Dans le modèle ainsi retenu, les obstacles aux licenciements sont levés et le niveau de protection de ceux qui perdent leur emploi abaissé, la lecture des nouvelles conventions d'assurance chômage ne laissant aucun doute à ce sujet.

Restait tout de même à traiter de l'incitation au retour à l'activité des bénéficiaires de minima sociaux, maillons indispensables de la société de plein emploi précaire dessinée par la droite. C'est chose faite, en urgence et par le petit bout de la lorgnette, avec le présent projet de loi, qui traite uniquement des mécanismes d'intéressement pour les allocataires du revenu minimum d'insertion, de l'allocation de parent isolé et de l'allocation de solidarité spécifique, mais qui consacre tout un titre aux sanctions en cas de fraude aux minima sociaux.

Une fois encore, je ne peux qu'exprimer mon mécontentement à la fois sur le fond et sur la méthode suivie par le Gouvernement pour mener à bien ces réformes, en l'occurrence celle des minima sociaux.

Autant de précipitation et d'acharnement pousse à s'interroger sur les objectifs réels du Premier ministre. Vise-t-il vraiment le retour à l'emploi des personnes les plus éloignées du marché du travail ? Je ne le pense pas ; il n'aurait pu sinon se dispenser d'attendre les conclusions de la mission d'information du Sénat et aurait traité de la prise en compte sociale des titulaires de minima sociaux. Or l'accompagnement, dimension essentielle de l'insertion des individus en difficulté dans notre société, est précisément la grande absente du projet de loi.

On m'objectera qu'un texte est en préparation et qu'une fenêtre parlementaire lui est réservée ; soit. Mais alors, pourquoi une telle précipitation, préjudiciable à la qualité de nos débats ?

Mon ami Guy Fischer développera tout à l'heure d'autres arguments lorsqu'il défendra une motion tendant à opposer la question préalable. Celle-ci ne traduit pas un refus de notre part d'aborder la problématique des minima sociaux ; elle marque au contraire notre volonté d'en débattre globalement et sereinement, après consultation des partenaires institutionnels et associatifs.

Sur le contenu du projet de loi, nous ne manquerons pas non plus, en défendant nos quelque trente amendements, d'exprimer nos désaccords sur les mécanismes d'intéressement proposés, qui ne répondent pas à la volonté de simplification et de lisibilité pourtant explicitement affichée : ces mécanismes sont loin d'être aussi incitatifs qu'il n'y paraît et risquent fort d'être particulièrement injustes et pénalisants pour les personnes exerçant une activité professionnelle inférieure à 78 heures par mois. La réponse « nuancée » du rapporteur à la question de savoir si la réforme permettra d'augmenter le pouvoir d'achat des bénéficiaires de minima sociaux par rapport à celui qui est le leur avec le dispositif actuel renforce, vous vous en doutez, mes chers collègues, notre appréciation.

Nous marquerons également notre opposition au renforcement inacceptable des contrôles et des sanctions touchant, une fois de plus, des publics précarisés, et au rôle répressif que, madame la ministre, vous entendez faire jouer aux centres communaux d'action sociale, les CCAS.

Enfin, nous nous interrogerons sur la portée de l'article 6 garantissant une place en crèche aux parents de jeunes enfants retrouvant un emploi, dans la mesure où, par ailleurs, le Gouvernement se dispense bien de lever les vrais obstacles au retrait des femmes hors du champ du travail. Difficilement applicable concrètement, comme le Gouvernement en est conscient, cette disposition renvoie la responsabilité aux maires, une fois de plus sans leur donner davantage de moyens effectifs.

L'examen des principales propositions du rapporteur de la commission des affaires sociales ne laisse pas augurer d'une évolution sensible du texte, lequel manque manifestement d'ambition pour contribuer au développement de l'emploi. Pis encore, alors que ce projet de loi est déjà inacceptable en l'état, certains de nos collègues de l'UMP ou de l'UC-UDF, avec la bénédiction de la commission, proposent de le compléter par des amendements dans lesquels on trouve pêle-mêle atteintes aux heures supplémentaires, réduction des droits syndicaux, la cerise sur le gâteau étant le « cavalier » gouvernemental portant décision d'ordonnance et création dans six régions d'un nouveau contrat dit « de transition professionnelle ».

Madame la ministre, le gouvernement auquel vous appartenez méprise le travail parlementaire, tout le monde le sait. (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Roland Muzeau. Certains s'en accommodent : c'est ce que l'on appelait à une époque - la formule n'est pas de moi - un « parti godillot » !

Plus grave, le Gouvernement méprise les partenaires sociaux et, surtout, a déclaré une véritable guerre aux personnes privées d'emploi. Le groupe CRC s'attachera dans le débat à faire valoir son opposition résolue, mais il formulera également plusieurs propositions pour améliorer les droits des demandeurs d'emploi et les minima sociaux. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard.

Mme Valérie Létard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, lorsque, en janvier dernier, j'ai entrepris les premières auditions qui allaient m'aider à préfigurer ce qui deviendrait quelques mois plus tard le rapport d'information sur les minima sociaux, intitulé « Concilier équité et reprise d'activité », j'avais une seule certitude : notre système social, produit d'un empilement de dispositifs résultant de notre histoire, engendre par son incohérence trop de différences de traitement pour des individus dont la situation sociale et familiale est somme toute très proche, mais dont le statut peut être divers. Opacité, effets pervers, pertes brutales de revenus, trappes à inactivité, la « désincitation » à reprendre un emploi provient parfois tout simplement du fait que le retour à une activité rémunérée peut être un risque, en particulier financier, que les personnes dont la situation est la plus précaire dans notre société ne peuvent tout simplement pas se permettre de prendre.

Le large écho qu'a eu le rapport de mai dernier montre qu'il avait visé les bonnes questions. Il importe désormais d'y apporter les bonnes réponses, de façon que ce travail n'appartienne pas à la catégorie des rapports faisant référence mais n'ayant pas réussi, dans la durée, à faire bouger quoi que ce soit.

Abordant l'examen des dispositions du projet de loi, je ne peux que me féliciter, madame la ministre, qu'en quelques mois un sujet que je considère comme central soit également devenu l'une des préoccupations fortes de la politique de l'emploi du Gouvernement. Je sais que les travaux de notre assemblée n'ont pas été étrangers à cet état de fait, et je me réjouis que vous ayez compris toute l'importance qu'il y a à s'intéresser de près à cette problématique.

Autre point positif, le dispositif d'intéressement forfaitaire mensuel que vous envisagez de mettre en oeuvre au-delà de 78 heures de travail mensuel sera simple et lisible. Au contraire du calcul de l'intéressement précédent, qui reposait sur un différentiel variant en fonction de l'allocation reçue et des revenus des heures travaillées, le montant est connu et fixe pendant neuf mois. Cela permettra à des personnes qui disposent d'un budget très serré de répondre sans équivoque à deux interrogations essentielles quand il s'agit de se décider à franchir le pas : combien vais-je percevoir, et pendant combien de temps ? Cela me suffira-t-il pour faire face aux dépenses supplémentaires liées à la reprise d'un emploi ? On peut effectivement espérer que ce nouvel intéressement fixe et connu d'entrée de jeu sera beaucoup plus utilisé que le mécanisme actuel, qui n'a pas rencontré un grand succès.

Je me réjouis également que l'amendement que j'avais présenté en mai 2003 et qui visait à supprimer le délai de latence de six mois avant de pouvoir bénéficier d'un CI-RMA ait été adopté par l'Assemblée nationale en première lecture. À l'époque, je m'étais interrogée sur le bien-fondé de la distinction entre plusieurs degrés d'urgence pour accorder ces contrats, ayant toujours constaté que plus les personnes étaient encore proches de l'emploi, plus vite elles pouvaient y retourner. Je constate que, bien qu'avec un peu de retard, le bon sens a prévalu.

Parmi les motifs de satisfaction que je relève à l'examen de ce dispositif, je voudrais citer les améliorations tout à fait notables qui ont été proposées par le rapporteur de la commission des affaires sociales, mon collègue et ami Bernard Seillier. Je les énumérerai brièvement, car, bien qu'elles vous aient déjà été présentées, je voudrais insister sur le fait qu'elles prennent en compte la réalité des personnes visées par l'intéressement.

Mettre la prime de 1 000 euros au premier mois et non au quatrième permet réellement de faire face aux frais occasionnés par un retour à l'emploi ; majorer le dernier versement de la prime forfaitaire permet d'esquisser un lissage, nécessaire pour éviter une rupture brusque de ressources. Perdre 150 euros par mois alors que l'on s'est habitué à les avoir peut paraître peu ; mais ramené à un budget de quelques centaines d'euros par mois, cela constitue un différentiel considérable.

Pour ma part, j'eusse préféré que l'on crée un dernier palier prolongeant le versement de la prime de trois mois avec un montant minoré, 75 euros par exemple, ce qui aurait eu deux avantages.

Le premier aurait été de calquer la durée du nouveau dispositif sur celui qui existait antérieurement puisque, en fonction de la date de début du contrat, l'intéressement pouvait aller jusqu'à quinze mois et que, en général, la date était choisie en vue de permettre le bénéfice de la prolongation.

Le second avantage était d'éviter une baisse trop brutale des ressources, dont j'ai mentionné précédemment les risques sur des budgets très serrés. Mais la fixation du nombre de mois de versement de la prime comme du montant de cette dernière relève du décret !

Rien n'empêche d'espérer, madame la ministre, qu'après quelques mois de fonctionnement du nouvel intéressement vous revoyiez ces modalités, comme cela vient d'être fait pour diverses mesures dans le titre V du projet de loi. Il n'est jamais interdit de changer d'avis. (Mme la ministre déléguée sourit.)

Ensuite, je rejoins également le rapporteur sur la clarification qu'il introduit en supprimant la possibilité de fixer un salaire maximum au-delà duquel les primes d'intéressement ne seront pas versées, un tel dispositif présentant le risque réel que les employeurs ajustent les rémunérations proposées en fonction du versement de ces primes. Mieux vaut éviter d'emblée cet effet d'aubaine.

Enfin, madame la ministre, monsieur le rapporteur, je vous remercie d'avoir défendu le périmètre de ce texte, afin de laisser au groupe de travail sur les minima sociaux, qui rendra ses conclusions le mois prochain, l'initiative des propositions d'évolution des droits connexes. Il en va d'ailleurs de même pour la partie sur laquelle portent les conclusions de la mission confiée à MM. Michel Mercier et Henri de Raincourt.

Aborder la question des droits connexes m'amène tout naturellement à vous faire part de mes regrets quant à l'examen aujourd'hui de ce texte.

Tout d'abord, mon premier regret porte bien évidemment sur le calendrier. Vu la date à laquelle la Haute Assemblée est saisie du projet de loi, je déplore que, à quelques semaines d'intervalle, nous n'ayons pu examiner un texte global, comportant tous les volets ayant trait à l'environnement des minima sociaux : intéressement, accompagnement et droits connexes.

M. Bernard Cazeau. Le Gouvernement est pressé !

Mme Valérie Létard. Ce texte aurait pu reprendre, à bon escient, les propositions tant de notre groupe de travail que de la mission confiée à nos collègues Michel Mercier et Henri de Raincourt sur les problématiques de l'accompagnement et des sanctions.

En effet, en remettant l'ouvrage deux fois sur le métier, le risque n'est pas négligeable que nous ayons plus de difficultés à garder une cohérence entre toutes les mesures d'ajustement qui seront nécessaires pour rendre l'ensemble des minima sociaux plus adaptés au retour à l'activité.

Or si une constatation peut être tirée du rapport de mai dernier, c'est bien que l'empilement de dispositifs, quand ils ne sont pas coordonnés, chacun visant à répondre à un type de public particulier, crée des distorsions réelles que les situations individuelles ne justifient pas et que nos concitoyens ressentent comme autant d'injustices et de passe-droits incompréhensibles. Il nous faut rechercher l'efficacité, cela est certain, mais sans perdre de vue le fait que le dispositif doit aussi se rapprocher, autant que faire se peut, d'une plus grande équité pour déboucher à terme sur l'objectif final : à revenu égal, droits égaux.

Mon deuxième regret concerne le calibrage du dispositif d'intéressement.

Le Gouvernement a clairement choisi de proposer un intéressement qui soit le plus favorable possible pour les personnes au-delà d'un mi-temps et tendant vers le plein temps.

En soi, cela ne me dérangerait pas, puisque cela traduit la volonté d'inciter fortement à la reprise d'activité, ce qui est, pour moi, le but ultime vers lequel nous devons tendre.

Mais pour atteindre cet objectif, on se heurte à la réalité des emplois proposés aux personnes bénéficiaires de minima sociaux. Et là, force est de constater, comme le font toutes les grandes associations qui accompagnent ces publics, que le retour à l'emploi ne se fait quasiment jamais par l'intermédiaire d'un CDI à temps plein, que les personnes dans les situations les plus précaires ne retrouvent bien souvent que des emplois sur des temps très partiels, parfois seulement quelques heures par semaine.

Or le dispositif du projet de loi exclut de la prime de 1 000 euros tous les salariés qui n'atteignent pas un mi-temps : autant dire tous ceux qui sont les plus fragilisés. (Eh oui ! sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Par ailleurs, en laissant sous la barre des 78 heures un intéressement variable en fonction du nombre d'heures travaillées, le système demeure, pour ces personnes, aussi opaque qu'auparavant.

Pour avoir tenté de réfléchir à une solution alternative, je sais combien cela est complexe. Je pense néanmoins que, si l'on veut ramener vers l'activité la frange la plus fragile de notre société, nous ne pourrons pas faire l'économie d'un mécanisme les prenant en compte.

M. Michel Mercier. Très bien !

Mme Valérie Létard. J'en viens à mon troisième regret, et il n'est pas des moindres : je voudrais vous alerter sur l'utilisation de la procédure d'urgence lorsqu'elle est combinée avec le dépôt par le Gouvernement d'amendements de dernière minute, pour lesquels la commission des affaires sociales n'a plus le temps matériel de procéder à des auditions et à une réflexion. Nous sommes littéralement mis devant le fait accompli. C'est le cas aujourd'hui pour l'amendement n° 96, qui prévoit d'autoriser le Gouvernement à prendre par ordonnance des dispositions pour expérimenter un contrat de transition professionnelle.

M. Roland Muzeau. Tout à fait !

Mme Valérie Létard. Sans même entrer dans le débat pour savoir ce que ce nouveau système apporte en bien ou en mal - et pour cause -, son introduction au Sénat dans un projet de loi déclaré d'urgence signifie que nos collègues députés ne pourront même pas en débattre. (M. Jean-Pierre Godefroy acquiesce.)

Quant à nous, le dépôt de cet amendement étant intervenu après l'achèvement des travaux de la commission des affaires sociales, nous n'aurons pas davantage eu l'occasion d'approfondir cette question.

Mme Valérie Létard. Il y a là un paradoxe, lorsque l'on sait que nous allons encore être saisis de plusieurs textes comportant des mesures relatives au droit du travail, à commencer par l'examen du projet de loi relatif à l'égalité des chances.

M. Guy Fischer. Ne parlons plus de droit du travail !

Mme Valérie Létard. On peut souhaiter aller vite pour des considérations politiques qui échappent largement à la logique parlementaire ; mais quand un gouvernement « zappe » le débat au Parlement, il n'aide pas nos compatriotes à comprendre et donc à défendre notre système démocratique. Permettez-moi de le regretter.

M. Guy Fischer. Nous espérons que le groupe de l'UC-UDF votera contre ce texte !

Mme Valérie Létard. Après ces différentes remarques, je reviendrai maintenant aux dispositions du projet de loi pour formuler deux propositions et poser deux questions ayant trait au mécanisme d'intéressement.

Ma première proposition a peu de chance d'être adoptée, puisqu'elle prévoit en effet de supprimer l'une des mesures phares du projet de loi, à savoir, à l'article 1er, la prime de 1 000 euros versée à tout bénéficiaire du RMI, de l'ASS et de l'API qui reprend une activité au moins à mi-temps.

J'ai dit précédemment que le versement à partir du quatrième mois me paraissait déjà problématique. Mais s'agissant de la prime elle-même, je suis aussi très réservée.

Depuis mon arrivée au Sénat, j'ai toujours essayé de proposer des dispositifs pérennes, surtout lorsqu'ils s'adressent à des personnes en situation de précarité. Mon expérience et les contacts que je conserve avec mes anciennes collègues assistantes sociales m'amènent à considérer que ce sont les seules mesures qui soient efficaces. Pourquoi ? Parce qu'elles permettent au bénéficiaire d'un minimum social de savoir qu'il ne se retrouvera pas avec des ressources fluctuantes au détour de ses périodes d'activité. C'est en effet ce que vivent les personnes au RMI, ballottées entre inactivité et contrats précaires, ce qui les empêche de se projeter durablement dans l'avenir. Au contraire, il faut assurer à ces personnes le maintien de leurs capacités à se loger ou à se soigner lorsqu'elles acceptent de s'engager dans un emploi précaire.

Voilà pourquoi j'ai souhaité déposer un amendement visant à supprimer la prime ponctuelle de 1 000 euros pour la remplacer par un relèvement du plafond en dessous duquel les salariés modestes continuent d'être aidés pour financer leur couverture complémentaire de santé.

C'est, vous vous en doutez, madame la ministre, un amendement d'appel : il vise à signifier notre préférence pour des mesures pérennes d'accompagnement dans le retour à l'activité.

S'agissant du mécanisme d'intéressement forfaitaire de 150 euros, j'ai déjà expliqué nos réticences quant au seuil fixé à 78 heures, et je n'y reviendrai pas.

Sur le dispositif de l'article 6 concernant un accès préférentiel aux modes de garde collective, je suis, comme nombre de mes collègues membres de la commission des affaires sociales, dubitative sur l'application effective de la rédaction retenue par l'Assemblée nationale.

Personnellement, je préférerais un dispositif prenant d'abord en compte les réalités locales et s'appuyant sur la situation existante.

Les caisses d'allocations familiales ont déjà mis en oeuvre un effort en faveur des enfants de parents chômeurs ou bénéficiaires de minima sociaux, que ce soit par l'entremise de la nouvelle convention d'objectifs et de gestion pour la période 2005-2008 ou, au niveau local, par la mise en place de la prestation de service unique.

La rédaction actuelle de l'article, en prévoyant le recours à un décret pour fixer le contour de la nouvelle obligation, me gêne. En effet, les situations locales peuvent être extrêmement diverses, en particulier entre les zones urbaines et les zones rurales.

Dans ces conditions, il serait à mon avis préférable de renvoyer aux conventions de financement passées au niveau local le soin de déterminer la manière de garantir l'accès aux modes de garde collectifs, et aussi de déterminer, quand ces derniers n'existent pas ou trop peu, des solutions alternatives.

Enfin, madame la ministre, je souhaiterais vous poser deux questions.

La première me tient particulièrement à coeur, et j'aimerais recevoir de votre part des assurances très précises. Il s'agit de la neutralisation des ressources. En effet, ce point est fondamental. Si l'on veut que le système soit vraiment incitatif, il ne faut pas que le complément de ressources procuré par l'intéressement disparaisse parce qu'une autre prestation serait minorée à due concurrence. Pour cela, il faut s'assurer que les primes d'intéressement prévues par le texte seront bien exclues du montant des ressources prises en compte pour le calcul d'autres prestations sociales, à l'image de ce que prévoit le décret n° 2005-1053 pour la prime de retour à l'emploi instaurée l'été dernier.

Pouvez-vous, madame la ministre, répondre aux questions suivantes ?

Le dispositif de neutralisation sera-t-il le même que celui qui a été instauré par le décret d'août 2005 ? Si oui, ce décret n'ayant pas prévu la neutralisation de la prime pour le calcul des ressources pour le complément familial, l'allocation de rentrée scolaire et la couverture maladie universelle, ces prestations seront-elles maintenues dans le calcul des ressources du nouveau dispositif, ou le décret à venir les exclura-t-il aussi ? C'est un point important sur lequel il n'a été que partiellement répondu lors du débat à l'Assemblée nationale.

Ma seconde question portera sur les aspects financiers de ce texte. Mon collègue Michel Mercier présentera un amendement visant à clarifier le montant de l'allocation versée à un bénéficiaire du RMI, lorsque celui-ci signe un contrat d'avenir. En outre, madame la ministre, lors du débat à l'Assemblée nationale, vous vous êtes engagée à ce que, concernant les départements, le nouvel intéressement n'entraîne « aucun surcoût ». « Nous ne faisons que basculer d'un système vers un autre », avez-vous dit.

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée. Je l'ai répété !

Mme Valérie Létard. Pouvez-vous, madame la ministre, nous expliquer quels paramètres vous permettent d'être affirmative, alors que les présidents de conseils généraux - ils ne me contrediront pas - sont dans leur ensemble, quelle que soit leur couleur politique, beaucoup moins certains que l'opération sera blanche pour leurs finances ? Nous attendons avec intérêt vos explications.

Telles sont les quelques réflexions et interrogations que je souhaitais faire partager à la Haute Assemblée.

Pour le reste, le groupe UC-UDF soutiendra, bien que sans enthousiasme pour les raisons évoquées précédemment, la démarche du Gouvernement.

M. Guy Fischer. Vous tenez un double langage !

Mme Valérie Létard. Il le fera avec d'autant plus de conviction que les amendements présentés par M. le rapporteur auront été adoptés.

Tout effort pour simplifier et améliorer notre système de minima sociaux, si petit soit-il, mérite en effet d'être encouragé.

En ce qui me concerne, je vous ai bien entendue, madame la ministre, et j'attends avec impatience de pouvoir aborder les questions de l'accompagnement et des droits connexes, que les propositions de loi sénatoriales actuellement en préparation devraient améliorer avec, je l'espère votre soutien. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau.

M. Bernard Cazeau. Madame la ministre, le préambule de la Constitution fait référence au droit pour tout citoyen « d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence ».

Dans nos sociétés qui transfigurent la réussite en valeur ultime de l'existence humaine et où domine en permanence le discours justificateur de la richesse, ce droit constitue pour 6 millions de femmes et d'hommes la seule preuve de leur appartenance au corps social.

Face à la précarité et à l'exclusion, les sénateurs socialistes ont su en leur temps faire adopter des dispositions de référence avec, entre autres, la loi sur le RMI, votée en novembre 1988, et la loi sur la CMU, votée en juin 1999.

Le projet de loi que vous nous présentez aujourd'hui non seulement prend le problème de manière très incomplète, « par le petit bout de la lorgnette », mais encore fait fi d'une véritable volonté de redonner une dignité par le travail à tous ceux qui, de nos jours, n'ont pour seul revenu que les minima sociaux.

À ce stade, je noterai le caractère désordonné, voire l'empressement mis par le Gouvernement à traiter de ce sujet.

Dans le même temps, des parlementaires en mission et un groupe de travail constitué au sein de la commission des affaires sociales du Sénat réfléchissent à la même question. Il eut peut-être été plus judicieux d'attendre les conclusions des uns et des autres afin de traiter globalement du problème sans en parcelliser les approches.

Le projet de loi dont nous débattons aujourd'hui est d'abord le signe de l'échec patent de la politique de l'emploi menée depuis trois ans ; et ce ne sont pas les arguties statistiques que le Gouvernement nous présente régulièrement qui feront changer la donne.

Tout le monde sait que l'emploi industriel est au point mort et que, depuis 2002, 150 000 personnes ont rejoint le million de RMIstes que compte notre pays : aujourd'hui, 7,2 millions de personnes vivent avec moins de 720 euros mensuels.

Ni l'urgence déclarée ni l'intérêt général à intervenir aussi vite que possible ne dispensent le Gouvernement et la Haute Assemblée à agir avec discernement, notamment en définissant exactement le rôle et la place des minima sociaux dans le système de protection sociale de notre pays. Or, madame la ministre, vous nous laissez dans l'inquiétude et dans l'incertitude.

En effet, à l'heure actuelle, un nombre important de bénéficiaires des dispositifs d'insertion semble avoir intérêt à demeurer dans cette situation pour ne pas perdre les revenus de la solidarité nationale. Selon le rapport Hirsch, ces « trappes à inactivité » pénalisent un million de personnes. Pour eux, les minima sociaux sont devenus des maxima indépassables.

Par extension, cette « incitation à l'immobilité » touche tous ceux qui souhaitent reprendre un emploi. Ainsi, toujours selon le rapport Hirsch, pour un couple de RMIstes qui souhaitent reprendre leur activité à mi-temps, le surplus de rémunération passe d'environ 300 euros mensuels au cours des trois premiers mois à 20 ou 50 euros après cette période en raison de la suppression de leur droit à la couverture maladie universelle ou du recours à un système de garde d'enfants. Des études sur des cas types montrent qu'un allocataire du RMI perd du revenu quand il reprend un emploi à quart temps et n'en gagne pas s'il travaille à mi-temps.

On comprend dès lors qu'il s'agit d'un cercle vicieux. En tentant d'aider les plus démunis à travers des mécanismes de compensation, on risque de créer des situations de dépendance, sans avoir pour autant la certitude d'éliminer totalement l'exclusion. Et le projet de loi n'échappe pas à ce travers, madame la ministre. En réalité, il pérennise ce système de plusieurs manières.

Premièrement, le Gouvernement nous demande de voter un texte préparé dans l'improvisation la plus totale. Aucun bilan préalable n'a été réalisé concernant les dispositifs existants, notamment ceux qui sont issus de la loi d'orientation de 1998, relative à la lutte contre les exclusions. Aucune étude sur les conséquences du dispositif proposé pour les allocataires n'a été réalisée. Pourtant, il aurait été indispensable que de telles analyses nous fussent présentées avant d'engager le débat.

Nous regrettons en outre l'absence de consultation des conseils généraux, s'agissant du financement de ce projet, mais également des grandes associations qui auraient, elles aussi, souhaité s'exprimer.

Madame la ministre, vous avez affirmé à plusieurs reprises que quelque 140 000 personnes - soit à peine 4 % des 3,3 millions d'allocataires des minima sociaux - devraient être concernées par cette mesure, dont le coût serait de 240 millions d'euros, à la charge de l'État. C'est peu au regard de l'étendue et de la gravité du problème.

On peut aussi se demander pourquoi ni le document budgétaire de la mission « Travail emploi » pour 2006 ni l'article 92 du projet de loi de finances pour 2006, relatif à l'extension du champ des financements du fonds de solidarité à l'activation de l'ASS, ne mentionnent « la prime de retour à l'emploi » et « la prime forfaitaire » destinées aux bénéficiaires de l'ASS reprenant un emploi, aucune dotation n'étant par ailleurs prévue à cette fin pour 2006. En outre, la subvention d'équilibre de l'État pour le fonds de solidarité en 2006 est réduite de 10 %, ce qui est contradictoire.

Tout cela donne l'impression d'un projet de loi bâclé dans la seule idée de délivrer aux Français le fameux « signal fort » dont ce gouvernement est coutumier.

Deuxièmement, dans l'exposé des motifs, vous affirmez que l'actuel mode d'intéressement est trop complexe, et nous sommes d'accord avec vous sur ce point. Pourtant, avec l'article 1er du présent projet de loi, vous le maintenez pour tous ceux qui travailleront moins de 78 heures.

Or, une grande partie des bénéficiaires des minima sociaux ne retrouvent un emploi qu'à temps partiel. Ils ne profiteront donc ni de la prime de retour à l'emploi ni de la prime forfaitaire. Doit-on par ailleurs considérer comme un hasard que le seuil de 78 heures retenu par le Gouvernement corresponde au chiffrage des demandeurs d'emploi de catégorie 1, soit la statistique officielle mensuelle du chômage ?

À cet égard, il aurait peut-être été plus intéressant de subordonner le bénéfice du nouveau dispositif d'intéressement à un niveau de ressources plutôt qu'à un nombre d'heures travaillées. Toutefois, faute d'études sur des cas concrets et comparés, nul ne peut dire ce qu'il en aurait été si l'on avait retenu d'autres critères.

La même remarque vaut pour les coûts résultant de la reprise d'un emploi, qui sont élevés et effectifs dès le début de la période d'activité professionnelle, comme Mme Létard vient de le rappeler. Devoir attendre trois mois pour financer sa reprise d'emploi constitue un frein à la recherche d'activité. Nous proposerons donc de ramener l'attribution de cette prime à un délai raisonnable d'un mois.

La clarté que vous vouliez instaurer dans les conditions initiales est déjà mise à mal tant pour les travailleurs sociaux que pour les allocataires. Ce sera une difficulté supplémentaire, à moins qu'il ne s'agisse, comme ce fut le cas pour les chômeurs avec la loi de programmation pour la cohésion sociale, de nous faire croire à l'existence de bons et de mauvais pauvres, tous les moyens étant bons pour culpabiliser ces derniers. Tel est le cas de la sanction prévue à l'article 10 bis du présent projet de loi, en cas de bénéfice frauduleux de la prime de retour à l'emploi ou de la prime forfaitaire due aux bénéficiaires de l'ASS. Le montant envisagé de l'amende - 3 000 euros - est insensé ! Des sanctions sont certes indispensables lorsque des détournements organisés sont avérés. Toutefois, s'agissant de personnes simples dont les ressources mensuelles s'élèvent au maximum à 650 euros, une telle somme est disproportionnée. Vous êtes-vous posé la question de savoir comment elles pourraient l'acquitter ? Madame la ministre, une sanction doit être applicable. Tous les maires le savent bien, et ils en tiennent compte lorsqu'ils exercent leur pouvoir de police.

Une telle mesure relève, elle aussi, de l'affichage. En effet, selon une étude récente de la caisse nationale d'allocations familiales, les escroqueries représentent un phénomène marginal. (Mme Sylvie Desmarescaux s'exclame.) Il n'y a donc aucune concordance entre la gravité des faits et le montant des amendes envisagées. En revanche, madame la ministre, le dispositif prévu par le présent projet de loi, aggravé par les amendements de votre majorité à l'Assemblée nationale, reflète tout à fait l'état de défiance de celle-ci à l'égard de nos compatriotes dans le besoin.

Troisièmement, et certains des orateurs qui m'ont précédé l'ont souligné, si l'on ne peut qu'approuver le principe du dispositif relatif à la garde des enfants des bénéficiaires de l'API, du RMI ou de l'ASS qui est prévu à l'article 6, on peut s'interroger sur la priorité d'accès, concept incertain sur lequel le texte n'apporte pas de véritables précisions.

Par ailleurs, l'application de ce droit ne sera pas aisée dans la mesure où, tout le monde le sait, les offres de service d'accueil souffrent plutôt d'un déficit de capacité. Dégager des marges dérogatoires ne doit pas se traduire par une réduction des droits d'autres personnes. L'intention est donc bonne, mais les obstacles qui s'élèveront lors de la mise en oeuvre de cette disposition peuvent faire craindre que l'on n'en reste à la simple intention.

À terme, vos mesures déclencheront un effet d'aubaine pour les entreprises. En effet, ces dernières pourront bénéficier d'un personnel corvéable, au statut précaire - contrats nouvelles embauches, postes de stagiaires, temps partiel subi, intérim -, occupant un emploi mal rémunéré et doté d'un « argent de poche » accordé de manière homéopathique. Tout cela nous renvoie très loin en arrière.

Madame la ministre, plus que la perception d'un revenu régulier, la participation durable et stable des citoyens au monde de l'emploi revêt toujours une signification humaine essentielle. En effet, décrocher un CDI continue de marquer le franchissement d'une étape personnelle et sociale permettant la maîtrise de l'existence et l'inscription durable dans un « projet de vie ».

Derrière vos mesures se dissimule en fait une autre acceptation, plus tacite : une fraction importante de la population en âge de travailler est définitivement invalidée ou reléguée dans le sous-emploi. En fait, votre projet de loi nous dirige vers le travailleur pauvre.

Longtemps édulcorée, la question sociale est revenue au coeur du débat politique. À de nombreuses occasions, on a pu sentir le désir d'action publique, la nécessité de réintroduire du collectif porteur d'avenir. Et la seule perspective acceptable est celle qui s'édifie sur un projet politique dont la préoccupation centrale reste précisément l'accession à la dignité de tous nos concitoyens.

Madame la ministre, avant d'imposer de nouvelles contraintes aux allocataires des minima sociaux, il aurait été souhaitable de vérifier que l'offre d'emplois était satisfaisante.

M. Bernard Cazeau. Or, tel n'est pas le cas,...

Mme Raymonde Le Texier. Cela ne risque pas !

M. Bernard Cazeau. ... et ce ne sont pas les mesures prises dans ce texte qui permettront de pourvoir les 500 000 postes restant vacants chaque année.

Madame la ministre, ce projet de loi est une des illustrations des choix effectués par le Gouvernement depuis 2002. Alors que vous promettiez, dans cette enceinte, de rétablir la société de confiance, votre plus grande faute aura été de manquer à tous les principes de solidarité qui justifient le contrat républicain.

M. Bernard Cazeau. Le Gouvernement s'est montré injuste avec les plus fragiles et prévenant à l'égard des plus privilégiés. Dans ces conditions, vous comprendrez aisément que le groupe socialiste s'oppose fermement à ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Alain Gournac.

M. Alain Gournac. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, depuis 2002, la priorité du Gouvernement et de la majorité est la mobilisation nationale pour l'emploi.

Les chiffres du marché du travail sont en la matière encourageants, après huit mois ininterrompus de baisse du chômage.

Pour autant, il reste beaucoup à faire, et nombreux sont ceux qui demeurent exclus du marché du travail, ce qui n'est pas tolérable.

Si le dispositif français de minima sociaux est généreux, il demeure perfectible. Face à la détresse de ces hommes, de ces femmes, de ces jeunes, sans emploi et dans des situations souvent précaires, notre système d'aide permet de ne laisser personne au bord du chemin.

Toutefois, il ne réunit pas encore tous les atouts nécessaires à une réinsertion professionnelle efficace.

Dans ce contexte, le suivi personnalisé des chômeurs mis en place par le Gouvernement depuis quelques mois devrait porter ses fruits. Grâce à un interlocuteur unique qu'ils rencontreront fréquemment, les chômeurs ne souffriront plus de l'anonymat. Ils se sentiront soutenus et, surtout, respectés.

Mais cela ne suffit pas. Il faut en effet reconnaître que le retour à l'emploi a un coût : les charges liées à la garde des enfants et aux transports, les frais vestimentaires, etc. Sans dispositif supplémentaire, il peut être plus avantageux de continuer à toucher une aide que de recommencer à travailler.

Quand le retour à l'emploi est synonyme de pertes de revenus, peut-on reprocher à l'intéressé de renoncer à une réinsertion professionnelle ?

Lors de son intervention du 1er septembre, le Premier ministre déclarait ceci : « Je veux qu'il soit plus intéressant et plus facile de travailler que de vivre d'un revenu d'assistance. »

M. Alain Gournac. Le retour à l'emploi est une priorité absolue qui exige une mobilisation sans précédent de notre majorité. Un milliard d'euros a été affecté en 2005 à la mise en oeuvre de la première phase du plan de cohésion sociale. En 2006, 3 milliards d'euros seront nécessaires pour poursuivre cette action, et vous-même, madame le ministre, consacrerez 240 millions d'euros à la mise en oeuvre du projet de loi que vous nous présentez aujourd'hui.

Ce texte valorise directement le retour à l'activité. Très attendu, il comporte de réelles avancées, notamment sur le plan financier, pour les bénéficiaires des minima sociaux qui retrouvent une activité.

Il sera complété très prochainement par un texte sur la refonte des minima sociaux, issu des travaux de nos excellents collègues MM. Henri de Raincourt et Michel Mercier, qui visera à renforcer les droits mais également les devoirs des bénéficiaires des différentes aides en question.

Aujourd'hui, on recense plus de 3,3 millions d'allocataires, ce qui, avec les conjoints et les enfants, représente 6 millions de personnes.

Dans un rapport récent, notre collègue et amie Valérie Létard a procédé à un examen précis de l'ensemble des minima sociaux. Chacun est à même de constater la complexité du système et, dans bien des cas, son manque de cohérence. Rien ne permet d'expliquer de façon rationnelle les différences de montant entre les prestations. Quant aux effets de seuils, ils sont dévastateurs !

Il existe déjà un dispositif d'intéressement pour favoriser le retour à l'emploi qui ne rencontre malheureusement pas de réels succès, malgré plusieurs réaménagements.

Le texte qui nous est présenté aujourd'hui rénove considérablement les instruments d'incitation au retour à l'emploi, en instaurant un dispositif simple et identique pour les trois minima sociaux : le RMI, l'allocation de parent isolé et l'allocation de solidarité spécifique.

La période de cumul du salaire et du minimum social est d'une durée identique dans les trois cas.

Il est ainsi prévu, pour favoriser la reprise du travail, de verser au quatrième mois une prime de 1 000 euros. Cette prime est complétée par un bonus de 150 euros par mois pendant une durée d'un an.

En accompagnant financièrement le retour à l'emploi, le projet de loi offre la possibilité de le stabiliser et de le rendre durable.

L'effort est loin d'être anodin. Rémunérés 6 150 euros nets par an, les smicards à mi-temps disposeront d'un revenu complémentaire de 3 600 euros pendant la première année, ce qui représente 60 % de leur salaire. C'est une véritable incitation ! (Mme Gisèle Printz s'exclame.)

L'effet incitatif de cette mesure est complété par les mesures prises dans la loi de finances pour 2006 : la prime pour l'emploi est augmentée de 50 % pour un SMIC à temps plein et de 80 % pour un SMIC à mi-temps (Exclamations dubitatives sur les travées du groupe CRC) ; un crédit d'impôt de 150 euros est instauré, notamment pour les titulaires de minima sociaux depuis plus de douze mois qui sont amenés à déménager à plus de deux cents kilomètres pour reprendre un travail.(Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Concernant les charges pesant sur les départements, vous nous avez rassurés, madame le ministre, puisque la réforme a été conçue afin de n'introduire aucun surcoût pour les conseils généraux.

Vous nous avez également rassurés s'agissant du rétablissement immédiat des minima sociaux en cas d'échec de la réinsertion professionnelle.

Nous nous félicitons par ailleurs de la prise en compte des difficultés que peuvent rencontrer certains parents, lors d'un retour à l'emploi, pour faire garder leurs enfants non scolarisés. La garde des enfants représente en effet un coût dont il faut se préoccuper.

Le problème de la garde des enfants se pose également lorsque l'on se rend à un entretien d'embauche, et j'avais d'ailleurs évoqué ce point devant la commission des affaires sociales. M. le rapporteur propose que l'on réserve quelques places d'urgence pour les personnes concernées. Nous espérons que cet amendement pourra aboutir, car il répond à des difficultés concrètes rencontrées sur le terrain : en effet, des demandeurs d'emploi peuvent être amenés à renoncer à se rendre à un rendez-vous en raison d'un problème de garde d'enfant.

Par ailleurs, j'espère que le texte annoncé sur les minima sociaux traitera du problème de la formation de leurs bénéficiaires. On ne peut plus laisser un allocataire s'enliser dans la précarité sans mettre en place un parcours d'accompagnement personnalisé. Il est urgent de lui proposer une formation, et ce dès le début de son parcours.

Je dirai un mot sur les droits et les devoirs. Dès lors que sont mis en place un système très incitatif sur le plan financier et un parcours d'accompagnement, et que le recours aux contrats aidés est facilité, nous avons un devoir de contrôle.

La création d'un régime de sanctions administratives et l'harmonisation des sanctions pénales répondent à cette exigence. Je me félicite que le conseil général soit désormais destinataire des informations résultant des opérations de contrôle.

Enfin, plusieurs aménagements opportuns à la loi de programmation pour la cohésion sociale sont soumis à notre approbation. Je note plus particulièrement l'assouplissement du contrat d'avenir dont la durée minimale pourra être réduite à trois mois et dont le renouvellement est facilité.

Madame le ministre, vous seriez étonnée que je n'aborde pas maintenant la question des ateliers et des chantiers d'insertion. Il s'agit d'initiatives particulièrement utiles pour accompagner le retour à l'emploi, et il faut donc les encourager ; pour ma part, je les ai énormément favorisées dans mon département, ce qui a permis de sauver des personnes très éloignées de l'emploi.

Madame le ministre, il est bon de ramener à vingt heures la durée hebdomadaire minimale du contrat d'avenir pour les chantiers d'insertion. Cette mesure, réclamée par les professionnels du secteur, devrait être étendue aux contrats d'accompagnement dans l'emploi.

La suppression de l'obligation d'agrément pour les salariés en contrat d'avenir dans les chantiers d'insertion est également bienvenue. Cette dernière mesure tendra à alléger une contrainte administrative trop souvent imposée aux communes.

Par ailleurs, l'amendement de notre excellent rapporteur, M. Bernard Seillier, qui tend à autoriser les départements à gérer directement des ateliers et des chantiers d'insertion me paraît mériter l'approbation de notre assemblée.

Malgré ces nouvelles mesures positives, je souhaiterais, madame le ministre, appeler votre attention sur les difficultés rencontrées par les associations représentant les ateliers et les chantiers d'insertion. L'augmentation des coûts de fonctionnement menace en effet l'équilibre économique de ces associations. Il est très important qu'une réflexion approfondie soit menée sur ce sujet et aboutisse à des décisions concrètes afin d'aider ce secteur particulièrement important pour la réinsertion professionnelle.

Je souhaiterais clore mon propos en saluant la grande qualité du travail de M. le rapporteur...

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée. Tout à fait !

M. Alain Gournac. ... et la sensibilité remarquable de son approche. Je tiens aussi à vous remercier, madame le ministre, de proposer au pays, avec ce texte, une avancée très importante en matière de retour à l'emploi. Vous pouvez donc compter sur le soutien du groupe UMP dans son ensemble. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée. Merci !

M. le président. La parole est à Mme Christiane Demontès.

Mme Christiane Demontès. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, lors de ses voeux à la presse, le 10 janvier 2006, le Premier ministre estimait que l'année 2006 devait être « une année utile », qu'elle devait être « une année de vérité, et une année de détermination et de courage ». Nous le souhaitons pour nos concitoyens et pour notre pays. Il est en effet indispensable de renouer notamment avec la justice sociale, la croissance, le développement économique et le désendettement.

Madame la ministre, le 29 novembre 2005, lors de la première lecture ce texte à l'Assemblée nationale, vous reconnaissiez qu'il y avait « urgence sociale ». Permettez-nous de saluer votre lucidité.

En effet, cette « urgence sociale » sonne comme un dépôt de bilan de votre politique sociale et économique (Exclamations sur les travées de l'UMP) qu'inspire la vieille idéologie libérale alliée à un esprit revanchard contraire à l'intérêt général, notamment à celui des plus fragiles. Depuis 2002, votre politique n'a créé aucun emploi. (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Henri de Raincourt. C'est comique !

Mme Christiane Demontès. Pis, vous en avez détruit. Selon la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, la DARES, depuis que vous êtes aux responsabilités, le solde négatif en matière d'emplois avoisine les 40 000. Oserai-je rappeler qu'entre 1997 et 2002 deux millions d'emplois avaient été créés ? (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Guy Fischer. C'est toujours plus que vous n'en avez créés !

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. Des fonctionnaires...

Mme Christiane Demontès. Actuellement, le taux de chômage serait de 9,6 %. Notre collègue Alain Gournac vient de se réjouir à l'instant de la « baisse continue du chômage depuis plusieurs mois ».

M. Henri de Raincourt. Depuis huit mois !

Mme Christiane Demontès. Ce chiffre masque bien mal la manipulation statistique évidente. (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. Oh là là !

M. Guy Fischer. C'est la vérité !

Mme Christiane Demontès. Mais oui, mes chers collègues !

En effet, près de la moitié des sortants de l'ANPE -  41,6 % - le sont pour « absence au contrôle », et plus de 8 % pour « radiation ». S'ajoutent à cela les 400 000 « quinquas » dispensés de recherche d'emploi qui échappent aux statistiques.

Enfin, les premiers effets de l'inversion démographique et de la transformation du baby-boom en papy-boom se font sentir ; mais cela ne vous incombe pas, madame la ministre !

M. Henri de Raincourt. C'est Jospin !

Mme Christiane Demontès. Faut-il vraiment se réjouir de ce taux alors que, dans une note en date du 10 décembre, l'INSEE s'était interrogé sur les mystères de « la gestion administrative des demandeurs d'emploi par l'ANPE » ? Faut-il se féliciter, quand le nombre de chômeurs de longue durée a augmenté de plus de 9 % en un an, de voir plus de 40 % des demandeurs d'emploi ne relevant plus du système d'indemnisation UNEDIC entrer dans les dispositifs de solidarité ?

Au-delà de ce triste bilan, nous rencontrons la réalité quotidienne de nos concitoyens. Ceux-ci ont désormais peur de la pauvreté. S'ils n'y sont pas déjà plongés, ils craignent de devoir l'affronter un jour ou bien que leurs enfants, demain, n'y soient confrontés.

Face à cette situation, vous dites vouloir engager « la bataille pour l'emploi » ; mais n'est-ce pas déjà ce que vous vouliez ou deviez faire depuis 2002 ? Dès son discours d'investiture, le Premier ministre de l'époque, notre collègue M. Jean-Pierre Raffarin, n'avait-il pas pour objectif « le plein emploi » et la « revalorisation du travail » ? Or, pour revaloriser le travail, il s'agit en tout premier lieu de le créer, de le maintenir, ou tout au moins de tout mettre en oeuvre pour en faciliter la création. La vielle idéologie libérale qui vous tient lieu de vade-mecum a dévalorisé et précarisé le travail de millions de femmes et d'hommes salariés de notre pays.

Avec ce texte, nous espérions que vous alliez rompre avec cette logique de casse sociale et économique, que vous alliez faire preuve, pour reprendre les termes de votre collègue Jean-Louis Borloo voilà quelques jours, « d'humanisme et de sens social ».

M. Guy Fischer. C'est de la flûte ou du pipeau ?

Mme Christiane Demontès. Or, comme nous allons le voir et comme cela a déjà été dit par d'autres orateurs à cette tribune, tel n'est pas le cas.

Avant d'aborder le fond de ce texte, permettez-moi de m'arrêter quelques instants sur sa forme. D'autres l'ont indiqué avant moi, la discussion de ce projet de loi pour lequel l'urgence a été déclarée a commencé devant l'Assemblée nationale le 20 novembre 2005 au moment même où nos collègues Michel Mercier et Henri de Raincourt, face à une telle précipitation, avaient envisagé de renoncer à l'élaboration du rapport qui leur avait été confié par le Premier ministre et fait connaître leur intention de démissionner. Pourquoi ne pas avoir attendu la fin de leurs travaux ?

Pourquoi ne pas avoir attendu non plus le dépôt des conclusions du groupe de travail que préside notre collègue Valérie Létard ? À quoi donc sert le travail parlementaire ? (M. Bernard Cazeau s'exclame.) Pourquoi ne pas avoir consulté les grandes associations qui oeuvrent depuis des années auprès des personnes éloignées de l'emploi et qui, pour nombre d'entre elles, constituent une force de proposition ? Cette précipitation procéderait-elle de la course à l'échalote entre ministères ou bien serait-elle dictée par la nécessité de multiplier les effets d'annonces ?

Notre pays compte 6 millions d'exclus. Près de 10 % de nos concitoyens survivent avec les minima sociaux.

Penser que le temps partiel constitue la réponse adéquate au drame de l'exclusion du marché de l'emploi et de la précarité et en faire la règle du retour à l'emploi seraient une erreur.

Généralement subi, le temps partiel concerne une majorité de femmes qui ont parfois occupé un poste durant toute l'année. Certes, le fait d'avoir un emploi permet de faire baisser les statistiques du chômage ; mais n'oublions pas que l'INSEE estimait à plus d'un million le nombre de travailleurs pauvres. Cette situation n'est pas acceptable, parce qu'il s'agit de véritables drames pour les personnes qui la subissent ; mais vous le savez, car vous rencontrez comme nous ces dernières, dans vos permanences.

Pour remédier à cela, vous nous proposez la mise en oeuvre d'un nouveau dispositif d'intéressement. Il s'adressera aux bénéficiaires exclusifs du RMI, de l'ASS et de l'API. Non seulement il s'ajoute au dispositif existant, mais encore il constitue une régression par rapport au décret n° 2005-1054 du 29 août 2005 créant une prime exceptionnelle de retour à l'emploi en faveur de certains bénéficiaires de minima sociaux, qui visait également les bénéficiaires de l'allocation d'insertion et d'adulte handicapé.

Vous affichez votre volonté de simplifier et de rendre plus lisible le dispositif, mais, en fait, vous le complexifiez. En ne ciblant que les emplois d'une durée mensuelle supérieure à 78 heures, vous reprenez la classification de l'UNEDIC. Nous ne sommes pas dupes : ce choix n'est pas anodin ! N'est ce pas une nouvelle illustration de votre traitement du sous-emploi, un traitement purement statistique ?

Madame la ministre, l'intéressement que vous proposez ne concernera que les bénéficiaires de minima sociaux ayant conclu un contrat de travail de 78 heures mensuelles, parce que vous estimez, dites-vous, que 78 heures devraient suffire à garantir l'autonomie financière des bénéficiaires. Mais alors, qu'en est-il de toutes les autres formes d'emplois précaires, des temps partiels et très partiels que vous n'avez cessé de favoriser depuis plus de trois ans ?

La déréglementation du marché du travail que vous ne cessez d'accentuer et la situation économique dans laquelle vous avez mis le pays ont multiplié les contrats de courte durée. Pour survivre, les personnes éloignées de l'emploi n'ont généralement pas d'autre choix que d'accepter ces contrats les uns après les autres.

La succession de ces contrats sera-t-elle prise en compte, comme vous vous y étiez engagée à l'Assemblée nationale ? Le versement de la prime devrait être effectué dès le premier mois car, nous le savons tous, c'est bien au moment du retour à l'emploi que les besoins financiers se font le plus cruellement sentir ; il en est ainsi pour le transport, la tenue vestimentaire ou encore la garde des enfants. Nous aurons l'occasion d'y revenir au cours du débat.

Enfin, la réforme du système actuel d'intéressement prévue dans ce projet de loi laisse en suspens un certain nombre de questions concernant le devenir des ayants droit : que se passera-t-il quand le dispositif d'intéressement prendra fin ? Une hausse salariale ou bien une augmentation du nombre d'heures travaillées compensera-elle la perte de revenus ? Vous ne nous dites rien sur la suite.

L'autre dimension essentielle de ce texte est que le dispositif vise de fait majoritairement les allocataires qui reprendront un emploi à temps plein pour un an, donc ceux qui sont le moins éloignés de l'emploi. Les autres, c'est-à-dire très majoritairement des femmes, se verront dans le meilleur des cas offrir un emploi à temps partiel dans les secteurs de la grande distribution, du nettoyage ou de l'aide aux personnes. Ces contrats ont généralement une durée inférieure à 65 heures mensuelles et ont concerné plus de 544 000 femmes en 2004. De fait, votre texte pénalise une fois de plus les femmes et tous ceux qui ne trouveront pas de travail au-delà de 78 heures mensuelles.

Avec ce projet de loi, vous entendez « donner au revenu du travail un avantage réel et perceptible », et les propositions faites seraient la source « d'un revenu plus incitatif ». Or, si l'on se réfère à une période de quinze mois, le nouveau mécanisme d'intéressement fera perdre à une personne seule, allocataire du RMI et retrouvant un mi-temps payé au SMIC, un peu plus de 99 euros, perte à laquelle il faut ajouter 1 101 euros du fait de l'impossibilité de cumuler intégralement minima social et revenu du travail au-delà de douze mois. Pour une personne seule ou chargée de famille, le revenu augmente de 71 euros, mais il devient négatif sur quinze mois.

Les chiffres prouvent qu'il n'y a donc pas d'incitation. Il s'agit au contraire d'une tromperie ! Qui plus est, cet encouragement est supporté par l'État, via une surcharge du fonds de solidarité - connaissant l'état de ce fonds, nous ignorons comment vous allez la financer ! - et une prime de 225 euros ou de 150 euros à la charge des départements. Selon vous, ces derniers ne débourseront rien. C'est bien difficile à croire, mais les présidents de conseils généraux ici présents sont mieux à même d'en parler.

Il est essentiel de prendre en considération la traduction de cette incitation dans les faits.

Nous observons qu'il s'agit bien souvent d'intérim, de temps partiel subi avec des conditions de travail souvent déplorables. Quant au contrat à durée déterminée, vous avez brutalement décidé, récemment, de le fragiliser par le contrat nouvelles embauches. Et le Gouvernement souhaite généraliser cette régression sociale à l'ensemble de nos jeunes via le contrat première embauche, ou CPE, nouvelle version du contrat d'insertion professionnelle, ou CIP.

Mme Raymonde Le Texier. C'est un scandale !

Mme Christiane Demontès. Quant aux 2 500 CI-RMA, ils ne font que rappeler la médiocrité de vos solutions. Dans ces conditions, parler de retour à l'emploi et de mesure incitative est pour le moins un abus de langage !

En réalité, vous généralisez la précarité et vous en faites un horizon indépassable pour des milliers de nos concitoyens. Ce n'est certainement pas en prolongeant la durée et en élargissant les dispositions du décret n° 2005-1054 du 29 août 2005 que vous inciterez les 144 000 bénéficiaires de minima sociaux que vous visez à retourner vers l'emploi !

En fait, vous avez une fois de plus réussi à donner satisfaction au patronat, qui, par la voix de sa présidente, demande la réforme du code du travail, plutôt que le détricotage que vous effectuez publiquement depuis bientôt quatre ans, et n'hésite d'ailleurs plus à exiger que « la durée légale du travail soit fixée au plus près des réalités [...] des secteurs. »

L'article 6 pose également problème. S'il est vrai que la garde des enfants constitue souvent une difficulté pour la reprise d'activité, il est aussi vrai, nous le savons tous, que c'est pour des raisons financières que seuls 3 % des enfants de bénéficiaires de minima sociaux sont en crèche.

Je ne m'étendrai pas sur ce point, mais la conséquence de cet article 6 sera, me semble-t-il, la création d'une sorte de concurrence entre les allocataires de minima sociaux et les autres parents, qui ont aussi besoin des crèches.

Ce texte est également révélateur de votre manière de considérer nos concitoyens. En effet, après avoir sous-entendu que les assurés sociaux et les demandeurs d'emploi étaient des fraudeurs, voilà que vous vous en prenez aux bénéficiaires des minima sociaux. Je ne reviendrai pas sur notre position, que mon collègue Bernard Cazeau a développée dans son intervention, mais j'ai toutefois le sentiment que, pour vous, un pauvre est un délinquant en puissance !

M. Guy Fischer. Tout à fait !

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée. Pas du tout ! C'est n'importe quoi ! Personne n'a le monopole de la pauvreté !

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. Qui souhaite la pauvreté ?

Mme Christiane Demontès. Pour résumer, ce texte est bâclé. Il ne constitue pas - loin s'en faut ! - un progrès pour les plus fragiles. De plus, il ne traite que de primes et de sanctions, et les facteurs déclencheurs de l'exclusion y sont complètement ignorés.

Alors qu'il faudrait, dans la concertation, procéder à une remise à plat des minima sociaux en intégrant l'accompagnement indispensable, l'importance des droits connexes, le rôle des maisons de l'emploi et de la formation, celui du service public de l'emploi, et la formation, vous vous en tenez à un traitement quelque peu négligent et dangereux pour ces problématiques. Et ce n'est pas l'arrivée tardive de l'amendement gouvernemental sur l'aide au reclassement des salariés licenciés pour raison économique, qui sonne définitivement comme un cavalier, qui rendra ce texte plus intéressant !

Les 6 millions de nos concitoyens exclus, qui constituent une formidable richesse pour notre pays, méritent beaucoup mieux que ce texte vite expédié, qui procède de la stigmatisation et de l'injustice sociale à laquelle vous nous avez malheureusement tellement habitués.

Je terminerai par une citation de Chateaubriand : « c'est le devoir qui crée le droit et non le droit qui crée le devoir ». Ce projet de loi n'est pas une réponse acceptable à « l'urgence sociale », car il ne répond pas au devoir de solidarité envers les plus fragiles. Ces derniers y sont au contraire stigmatisés, culpabilisés et pénalisés ! C'est pourquoi nous ne pourrons pas voter ce texte en l'état ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme Raymonde Le Texier. Très bien !

(M. Roland du Luart remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)