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CANDIDATURES

À UNE COMMISSION MIXTE PARITAIRE

M. le président. J'informe le Sénat que la commission des affaires culturelles m'a fait connaître qu'elle a procédé à la désignation des candidats à une éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi modifiant la loi n° 2001-44 du 17 janvier 2001 relative à l'archéologie préventive.

Cette liste a été affichée conformément à l'article 12, alinéa 4, du règlement et sera ratifiée si aucune opposition n'est faite dans le délai d'une heure.

4

ORGANISME EXTRAPARLEMENTAIRE

M. le président. J'informe le Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger au sein du comité de surveillance du Fonds de solidarité vieillesse.

Conformément à l'article 9 du règlement, j'invite la commission des affaires sociales à présenter une candidature.

La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l'article 9 du règlement.

5

DÉPÔT D'UN RAPPORT DE LA COUR

DES COMPTES

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier président de la Cour des comptes le rapport sur « La vie avec un handicap ».

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

6

ORIENTATION BUDGÉTAIRE

Débat sur une déclaration du Gouvernement

M. le président. L'ordre du jour appelle la déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat d'orientation budgétaire.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est avec un très grand plaisir que j'ouvre ce débat d'orientation budgétaire, le septième depuis 1990.

Dès l'origine, la commission des finances du Sénat, dont, monsieur le ministre, vous étiez le rapporteur général, a contribué à la mise en place de ce temps fort de notre année financière.

Ce rendez-vous, certes rituel mais ô combien nécessaire, nous permet de faire le point sur l'évolution de l'économie nationale et de débattre des orientations de la prochaine loi de finances, sur la base d'un rapport qui nous est déposé conformément à l'article 48 de la loi organique relative aux lois de finances.

Il n'y a là rien d'étrange puisque le Gouvernement exige des collectivités territoriales qu'avant leur débat budgétaire elles se livrent à un débat d'orientation. L'Etat doit bien s'appliquer à lui-même ce qu'il recommande aux collectivités locales !

Ce débat d'orientation budgétaire est le premier élément de la gamme des instruments de contrôle en amont de l'action du Gouvernement, auxquels le Sénat attache une grande importance.

Avant le vote de la loi de finances, nous aurons un nouveau débat sur les prélèvements obligatoires et leur évolution, le premier s'étant tenu en octobre dernier ; puis viendra le vote de la loi de règlement de l'exercice 2002, qui permettra d'éclairer les conditions de l'équilibre budgétaire.

Pour l'heure, je forme le souhait que nous puissions, majorité et opposition, interroger le Gouvernement sur sa stratégie économique et financière.

La parole est M. le ministre délégué.

M. Alain Lambert, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. Monsieur le président du Sénat, vous avez fort bien rappelé l'historique de ce débat d'orientation budgétaire, que vous aviez appelé de vos voeux, puis mis en oeuvre alors que vous présidiez la commission des finances, dont j'avais l'honneur d'être rapporteur général à vos côtés.

La tenue de ce débat, aujourd'hui, témoigne de notre volonté commune de partager la stratégie budgétaire et, naturellement, de faire vivre les dispositions de la loi organique du 1er août 2001, même si notre nouvelle « constitution financière » n'a pas rendu ce débat explicitement obligatoire. Seule la remise par le Gouvernement d'un rapport constitue une obligation juridique. Pourtant, votre commission des finances et le Gouvernement ont, conjointement, voulu ce débat d'orientation.

Ce dernier est particulièrement utile. Le budget de l'Etat se prépare, désormais, tout au long de l'année : le dialogue entre le Gouvernement et le Parlement ne peut plus se résumer à nos traditionnels rendez-vous de l'automne.

En fait, au cours de cette année, nous avons eu plusieurs débats au sein du Parlement. Nous avons eu des échanges sur le contrôle, sur la maîtrise des dépenses publiques, et ceux-ci ont préparé notre séance d'aujourd'hui.

Les souhaits que vous avez émis ont contribué aux premières orientations que le Gouvernement a retenues dans la préparation du buget pour 2004 et, plus précisément, au choix de la norme globale d'évolution des dépenses.

L'article 48 de la loi organique, qui régit le contenu du rapport du Gouvernement, lui assigne deux champs principaux : préciser les évolutions enregistrées depuis l'automne en matière économique et budgétaire et éclairer notre horizon de moyen terme en ce domaine.

Permettez-moi tout d'abord de présenter le contexte macro-économique de cette politique économique et les grandes orientations qui sont celles du Gouvernement. Je préciserai ensuite les conséquences en résultant pour le budget de l'Etat.

La situation économique de cette année est complexe. Reconnaissons-le très sincèrement.

Il y avait un obstacle majeur à la reprise : le climat de tensions internationales. Il est aujourd'hui largement levé et les conditions sont désormais remplies pour une reprise, au niveau mondial, dans la zone euro, particulièrement en France.

Dans la zone euro, en effet, les taux d'intérêt sont bas et la Banque centrale européenne a donné un signal important en ce sens. Il est vrai que la baisse du dollar ne favorise pas nos exportations, mais elle permet la désinflation, donc des gains de pouvoir d'achat et la poursuite de la baisse des taux d'intérêt. Par ailleurs, la situation financière des ménages européens est plutôt bonne en général, notamment par rapport aux Etats-Unis.

C'est encore plus vrai pour la France : les ménages ont du pouvoir d'achat. le Gouvernement y contribue d'ailleurs avec les baisses d'impôt. Il y contribue également avec le fort relèvement du SMIC - jusqu'à hauteur de 5,3 % - qui interviendra au 1er juillet. La situation des entreprises s'est améliorée ; elles ont besoin d'investissement, elles ont besoin de restocker.

Pourtant, la reprise n'est pas encore là, disons-le très lucidement. Les chiffres ne sont pas encore connus de manière précise mais, d'après ce que nous savons, le premier semestre a été décevant. La croissance risque de ne pas atteindre sur l'année le taux de 1,3 % que nous avions retenu en mars dernier et qui est rappelé dans le document que vous avez reçu, mesdames, messieurs les sénateurs. Au demeurant, une bonne surprise reste encore possible à ce stade de l'année.

Rappelons-nous, mesdames, messieurs les sénateurs, qu'en novembre et décembre dernier, le consensus des prévisions privées pour 2002 était - à un mois de la fin de l'année - de 1 %. La croissance a finalement été de 1,2 %. Il ne faut donc pas accorder aux prévisions, fût-ce aux plus sérieuses, la précision qu'elles ne peuvent pas offrir. Le Premier ministre a évoqué une fourchette de croissance de 0,8 % à 1,5 %. C'est une approche raisonnable. Comme l'a déclaré Francis Mer cette semaine, nous avons encore le temps d'envisager l'éventualité d'une croissance plus faible...

Examinons à présent plus en détail notre situation et nos perspectives budgétaires.

Ce n'est un secret pour personne, les comptes publics se sont massivement dégradés l'année dernière. Entre 2001 et 2002, le besoin de financement des administrations publiques est passé de 1,5 à 3,1 points de PIB. Comment en est-on arrivé là ?

Cette dégradation résulte du ralentissement conjoncturel, personne ne songe à le nier, mais elle procède également de facteurs structurels. Dans la période de forte croissance qu'a connue la France de 1998 à 2000, l'effort d'assainissement a été très insuffisant.

La Commission européenne souligne elle-même que l'effort d'ajustement des comptes publics entamé en 1995 a été stoppé en 1999, au profit d'une politique budgétaire expansive, alors même que nous étions en phase haute de cycle.

Le précédent gouvernement a conduit une politique de baisse d'impôt qui ne reposait sur aucun financement pérenne, c'est-à-dire sans réduction à due concurrence des dépenses publiques. C'est ainsi que les baisses discrétionnaires de prélèvements obligatoires ont été supérieures de 2,5 points de PIB à la baisse de la part des dépenses publiques dans le PIB.

Cette dérive structurelle a été masquée un temps par les plus-values fiscales exceptionnelles qu'a engendrées la bulle Internet au cours des années 1999 à 2001. Je rappelle simplement que, de 1999 à 2001, l'élasticité des recettes fiscales a été proche de 2.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. D'où la cagnotte !

M. Alain Lambert, ministre délégué. A titre d'illustration, les recettes de l'impôt sur les sociétés ont quasiment doublé entre 1996 et 2001, passant de 26 milliards à 49 milliards d'euros. Et c'est sur la base d'évolutions aussi inespérées, fondées sur des plus-values fiscales qui n'étaient évidemment pas pérennes, que des baisses d'impôt ont été décidées.

M. Raymond Courrière. A la demande du Président de la République !

M. Alain Lambert, ministre délégué. Quel usage a été fait de cette manne ?

L'application d'une politique de « bon père de famille », selon la formule qui consacre le sens élevé des responsabilités, aurait conduit à mettre à profit ces recettes pour assainir nos comptes publics. Tel n'a pas été le choix du précédent gouvernement. Il a préféré diminuer optiquement les impôts et augmenter les dépenses, qu'il avait par ailleurs sous-évaluées. L'Etat s'est alors comporté comme ces start-up de la nouvelle économie que nous avons critiquées et qui, à la même époque, ont brûlé en quelques mois la totalité de leurs fonds propres.

Nous pouvons aujourd'hui faire les comptes et clarifier les responsabilités respectives des gouvernements qui se sont succédé.

Nous assumons notre part dans le déficit pour 2002. Oui, nous avons décidé d'inscrire pour 600 millions d'euros de dépenses supplémentaires afin de restaurer l'autorité de l'Etat dans ses missions régaliennes, celles où il demeurera toujours irremplaçable, ses missions de justice, de police, de défense. Ces dépenses étaient attendues par les Français. Nous les revendiquons. Qui nous les reprochera ?

Quelle est, en regard, la responsabilité du précédent Gouvernement ?

Près de 20 milliards d'euros de dépenses pérennes nouvelles ont été engagées : au titre des 35 heures, de la création de 48 000 emplois nouveaux de l'Etat sur la durée de la législature, de 220 000 emplois-jeunes, de trois prestations nouvelles, à savoir l'allocation personnalisée d'autonomie, la couverture maladie universelle et l'aide médicale au profit des étrangers en situation irrégulière.

Je dois y ajouter les sous-budgétisations de la loi de finances initiale, mises en évidence par l'audit de MM. Nasse et Bonnet, pour plus de 7,4 milliards d'euros.

Enfin, pour être complet, je ne saurais oublier les dettes de l'Etat que vous avons dû apurer, à hauteur de 1,8 milliard d'euros.

Je rappelle, en outre, que nous avons payé trois primes de Noël en décembre dernier : celle de 2002 mais également celles de 2000 et de 2001.

Je suis, bien entendu, prêt à discuter de tous ces chiffres avec ceux qui le souhaiteraient.

La situation de nos finances publiques porte donc en 2003 le poids des déséquilibres structurels accumulés depuis trois ans. D'après les organisations internationales elles-mêmes - ce n'est pas nous qui l'inventons ! -, le solde structurel s'est dégradé de près de 1,5 point de PIB entre 1999 et 2002.

Dans une conjoncture économique aujourd'hui plus difficile, qui affecte les recettes, le Gouvernement a décidé de laisser jouer les stabilisateurs automatiques en recettes tout en maîtrisant strictement les dépenses publiques.

Le ralentissement de la conjoncture entraîne une dégradation des recettes de l'Etat que nous estimons, à ce stade, à 5,1 milliards d'euros.

Le principal facteur de révision concerne l'impôt sur les sociétés. Je dois souligner que cette mauvaise nouvelle n'a pas de lien direct avec le ralentissement conjoncturel persistant en 2003. Nous anticipons, s'agissant de l'impôt sur les sociétés, un écart d'au moins 3,1 milliards d'euros par rapport à la loi de finances initiale. Cette prévision dégradée s'explique par la diminution du bénéfice fiscal en 2002, qui pèsera doublement sur les recettes de 2003 par jeu du mécanisme d'acompte et de solde. Les acomptes étaient en effet restés relativement élevés en 2002. La chute du bénéfice fiscal 2002 devrait donc se traduire par des soldes 2003 faibles et par des acomptes diminués à compter du mois du juin. Tous ceux qui savent comment s'acquitte l'impôt sur les sociétés partageront sans doute cette analyse.

Le rapport présenté par le Gouvernement décrit l'ensemble des facteurs de correction identifiables aujourd'hui, impôt par impôt. C'est la première fois qu'une information aussi détaillée est fournie au Parlement. Nous avons ainsi tenu l'engagement pris devant vous à l'occasion de la présentation du projet de loi de finances pour 2003.

Les dépenses publiques en 2003 seront maîtrisées, et cela dans la plus complète transparence. Les dépenses de l'Etat ne devront pas dépasser le niveau autorisé par le Parlement : il est, je vous le rappelle, de 273,8 milliards d'euros. A cette fin, le Gouvernement a déployé de manière précoce un dispositif de mise en réserve, touchant à la fois des crédits de la loi de finances pour 2003, à hauteur de 4 milliards d'euros, et les crédits reportés des gestions précédentes, pour 6,6 milliards d'euros. Conformément aux dispositions de la nouvelle « constitution financière », le Gouvernement a informé, étape par étape, le Parlement, par le truchement des commissions des finances.

Le déficit des administrations publiques pour 2003 pourrait finalement s'inscrire, compte tenu des moindres recettes que je viens d'évoquer, dans une fourchette allant de 3,5 % à 3,6 % du PIB.

Quelles sont les perspectives pour 2004-2006 ?

L'objectif central du Gouvernement est de reconstituer des marges de manoeuvre fiscales et budgétaires, de manière à pouvoir mener une autre politique que celle du service de la dette. Car le financement de la dette pourrait rapidement devenir notre première et navrante priorité si nos finances publiques n'étaient pas assainies.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Tout à fait !

M. Alain Lambert, ministre délégué. Au regard du traité de Maastricht, la France se trouve aujourd'hui en situation de « déficit public excessif » : l'Europe nous invite à redescendre en dessous du seuil de 3 % dès 2004. Les règles européennes, que l'on peut évidemment discuter, ne font, en fin de compte, qu'affirmer des principes de bon sens : il n'est pas possible d'accumuler sans fin des déficits publics, sauf à accroître le fardeau d'une dette dont nous devrions assumer les intérêts et que nous finirions par léguer à nos enfants.

Le pacte de stabilité est nécessaire à tous : il constitue - selon la formule que le président Arthuis aime à utiliser - le « règlement de copropriété de la monnaie unique européenne ». A terme, si les déficits se pérennisaient en Europe, la stabilité de l'euro serait menacée. Les taux d'intérêt augmenteraient de manière néfaste pour la croissance européenne.

Face à la situation difficile qui est la sienne, la France doit s'engager dans une véritable consolidation budgétaire.

Que nous enseignent, à cet égard, les comparaisons internationales ? Je considère, pour ma part, qu'elles sont plutôt réconfortantes pour nous et porteuses d'espoirs. Elles montrent qu'il n'y a pas de fatalité en matière budgétaire. Les exemples du Canada, de la Suède, dont les gouvernements ne sont pas comparables, des Pays-Bas - même si ce pays n'est pas, actuellement, en bonne santé économique - attestent qu'il est toujours possible pour un pays, s'il en a la volonté, d'assainir en profondeur ses comptes publics, en dépit d'une situation initiale très dégradée. Notre déficit prévisionnel pour 2003 représente environ 3,5 % du PIB, mais le Canada a résorbé en moins de quatre ans un déficit équivalant à plus de 6 points de PIB et il achève cette année son sixième exercice excédentaire d'affilée. Cet assainissement, il ne l'a pas réalisé en augmentant les impôts, mais tout simplement en maîtrisant et en réduisant sa dépense publique.

Les comparaisons internationales nous montrent clairement que le facteur clef de ces consolidations budgétaires réussies et pérennes réside dans la détermination à réduire significativement le poids de la dépense publique dans le PIB.

Le cadrage du budget pour 2004 témoigne de cette ambition. Les dépenses de l'Etat seront globalement stabilisées en volume tandis que les dépenses hors dette et fonction publique seront stabilisées en valeur. Et nous souhaitons poursuivre cette stratégie de maîtrise des dépenses de l'Etat jusqu'à 2006 afin d'assainir profondément nos comptes publics et de dégager les marges de manoeuvre nécessaires pour réaliser les baisses d'impôts et de charges qui sont indispensables à notre pays.

Naturellement, il ne faut pas sous-estimer l'effort qu'une telle politique représente. Mais, encore une fois, ces mesures ont été appliquées ailleurs et elles ont réussi.

Dans un scénario de stabilisation sur trois ans des dépenses de l'Etat en volume, les crédits progresseraient au même rythme que les prix, soit une augmentation globale de 12,5 milliards d'euros sur trois ans. Cependant, sur ce total, la progression mécanique des dépenses de pensions et du service de la dette ainsi que la hausse prévisible de la masse salariale « préempteraient » 12,2 milliards d'euros. Afin de pouvoir assurer le financement des dépenses concernant l'autorité de l'Etat et dont je parlais tout à l'heure, les autres dépenses de l'Etat devront être réduites de près de 2 milliards d'euros.

Cette politique d'assainissement suppose que l'Etat puisse se doter d'outils de redéploiement des crédits. C'est la raison pour laquelle j'ai proposé cette année au Premier ministre de rénover en profondeur la procédure budgétaire. La préparation du budget s'inscrit désormais dans une démarche beaucoup plus structurante que celle que nous connaissions.

Le Gouvernement a instauré des conférences de réformes structurelles, qui permettent d'identifier, très en amont dans le processus d'élaboration du projet de loi de finances, les sources d'économies possible et les voies de réforme. Les réformes ayant été examinées à cette occasion trouveront leur première traduction dans le projet de loi des finances pour 2004. Elles permettront notamment le non-renouvellement d'une partie des départs à la retraite des fonctionnaires, tout en améliorant la qualité du service public rendu aux usagers.

S'agissant de la réduction des impôts et des charges, notre cap est clair, mesdames, messieurs les sénateurs, et je sais que c'est celui de votre majorité : il est d'alléger le fardeau des prélèvements qui pèsent sur les Français et bride les énergies. En 2004, les charges sur les bas salaires seront allégées pour faciliter la convergence des SMIC. En outre, des mesures ont déjà été votées ou sont en passe de l'être pour développer l'initiative économique, promouvoir le mécénat, aider l'outre-mer, soutenir l'investissement locatif et le développement territorial à travers les zones franches urbaines.

Toutes ces mesures, dont le coût sera traduit dans le projet de loi des finances pour 2004, attestent la volonté du Gouvernement de soutenir les acteurs économiques par des aides précises, efficaces et ciblées. Nous pouvons donc déjà affirmer que l'effort en matière d'allégement des prélèvements obligatoires sera substantiel en 2004.

Par conséquent, nous conservons notre cap de réduction des impôts et des charges. L'effort sera, bien sûr, déterminé par la vigueur de la conjoncture et notre réussite dans la maîtrise de la dépense. La baisse des impôts devra demeurer compatible avec une résorption rapide de nos déficits publics. La politique du Gouvernement se veut, à cet égard, réaliste et responsable.

Au total, mesdames, messieurs les sénateurs, l'action du Gouvernement s'inscrit dans une conjoncture aujourd'hui maussade. Elle se résume en quelques principes simples : maîtriser la dépense, de façon à dégager des marges de manoeuvre ; ne pas accroître les prélèvements et, au contraire, continuer à les réduire, au service de l'emploi et d'une croissance plus soutenue ; réformer et moderniser la France dans la durée.

Il faut en effet réformer les retraites pour sauver notre système par répartition, le rendre plus juste en donnant plus de liberté à chacun ; moderniser l'Etat pour qu'il rende un service plus efficace, plus proche des citoyens grâce à la décentralisation, tout en prélevant moins sur la richesse nationale ; réformer aussi, pour le sauver, un système de santé auquel nous sommes attachés mais qui peut et doit être plus performant, sans que son coût échappe à tout contrôle.

En conclusion, mesdames, messieurs les sénateurs, je dirai que les Français percevront nécessairement les fruits de cette politique, que nous pouvons qualifier de politique de courage. C'est en tout cas le seul moyen d'offrir à notre pays une économie forte, une croissance solide garantissant à tous les Français un emploi et nous permettant de gagner puis de conserver la meilleure place possible dans le monde. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat d'orientation budgétaire qui se tient aujourd'hui est un rendez-vous stratégique. C'est dire si nous vous remercions, monsieur le ministre, d'avoir veillé à ce qu'il puisse être inscrit à l'ordre du jour de notre assemblée avant la fin de la session ordinaire, alors même que le calendrier parlementaire était quelque peu perturbé par les discussions en cours à l'Assemblée nationale sur la réforme du financement des retraites.

C'est le premier débat d'orientation budgétaire qui se tient depuis l'arrivée au pouvoir du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin. Il nous revient donc de définir ce que doit être le cap, ce que doivent être les grandes orientations de la législature en matière de finances publiques.

En effet, si tout n'est pas possible immédiatement et si beaucoup de ce qui se fera dépend de l'état effectif de la conjoncture dans les semaines ou les mois à venir, il importe que nous définissions et classions par ordre de priorité et d'urgence nos propres préconisations.

En tout état de cause, le « principe de précaution » nous conduit à nous préparer à pouvoir faire face à une croissance modeste. J'observe en effet que, depuis bientôt trois ans, la croissance est à un niveau particulièrement faible et qu'il n'est pas sûr qu'elle puisse se redresser à court terme.

En vous renvoyant pour l'essentiel au rapport de Philippe Marini, fort judicieusement intitulé « La quadrature du cercle », je voudrais pour ma part tenter de répondre à deux questions : tout d'abord, quels sont les éléments les plus saillants de notre situation budgétaire au sens strict et, plus généralement, de nos finances publiques ? Ensuite, quelles doivent être nos grandes orientations, tant sur le fond que sur la forme ?

L'un des éléments les plus saillants de notre politique budgétaire - je crois pouvoir le dire, et vous l'avez confirmé, monsieur le ministre - est le caractère préoccupant de notre situation, qui est, en effet, conditionnée par le faible niveau de croissance, estimée jusqu'à maintenant à 1,3 % par le Gouvernement pour 2003. Mais beaucoup en doutent, certains allant même jusqu'à évoquer la perspective d'une situation de déflation.

Cela a pour effet de dégrader le déficit budgétaire, qui risque de franchir en 2003 le seuil symbolique des 50 milliards d'euros. Cela signifie concrètement que, chaque jour, 137 millions d'euros de dépenses ne sont pas financées ou que, avec un déficit représentant 17 % de son budget, l'Etat vit à crédit pendant deux mois de l'année, ce qu'aucun particulier, aucune entreprise ni aucune collectivité locale ne pourrait faire.

Pis encore, ce déficit est mal utilisé, car il sert à financer pour un peu plus de 22 milliards d'euros des dépenses courantes, et pour seulement 27 milliards d'euros, soit un montant à peine supérieur, des dépenses d'investissement. Le résultat de cette dérive est que nous léguons à chaque Français à sa naissance un poids de dette de plus de 15 000 euros, soit 50 % de plus que ce que supporte un jeune Espagnol ou un jeune Britannique. Il est donc de notre responsabilité politique et de notre devoir moral de nous préparer à y mettre fin.

Mais l'Etat n'est pas seul à emprunter pour financer des dépenses courantes. La sécurité sociale risque, elle aussi, de devoir emprunter au moins 8 milliards d'euros d'ici à la fin de l'année.

Quel remède y apporter ? Comment « faire entrer l'édredon dans la valise », pour reprendre une expression chère au ministre délégué au budget ? (M. le ministre délégué sourit.)

Il n'y a qu'une solution, renouer avec la croissance, certes, mais aussi - et dès maintenant - maîtriser la dépense, ce à quoi le Gouvernement s'est déjà engagé en réfléchissant sans tabou ni faux-semblant à la question du format de l'Etat et à celle des effectifs des fonctionnaires.

En ce domaine comme dans d'autres, n'hésitons pas à nous comparer, à observer ce qui se passe ailleurs, à comprendre ceux qui ont mené à bien leurs réformes structurelles, allégeant de manière très significative le poids de leur dépense publique.

Ainsi, deux pays aussi différents que le Canada et la Suède en ont eu la volonté dans les années quatre-vingt-dix et ont su redimensionner le champ des interventions publiques sans nuire, bien au contraire, à la qualité du service public, c'est-à-dire du service rendu au public. Il s'est alors agi, notamment, de décentraliser la gestion des écoles aux communes suédoises, de privatiser certains services hospitaliers pour les rendre plus efficaces, ou de réexaminer tous les programmes budgétaires canadiens en se posant ces quelques questions simples : cela sert-il l'intérêt public, est-il légitime et nécessaire de le confier au seul gouvernement ou d'y associer le secteur privé et le secteur bénévole, et le secteur public en a-t-il véritablement les moyens ?

A cet égard, la loi organique sur les lois de finances nous conduit à nous engager dans cette démarche et à nous poser les mêmes questions.

En un mot, il s'est agi de se fixer un horizon clair, d'avoir le courage de la réforme, d'avoir la conviction et la capacité à l'expliquer et non de s'en remettre à la seule providence pour régler les difficultés.

A nous de faire preuve d'audace et d'imagination, loin des faux-semblants et vaines promesses, et donc de définir nos propres priorités. Cessons de nous raconter de jolies histoires ; pratiquons le langage de la vérité ; n'attendons pas la délocalisation de nos activités productives et de nos emplois ; ne laissons pas nos précieux atouts s'altérer. Ce qui est en jeu, c'est la préservation de la qualité de nos services publics et de notre propre cohésion sociale.

Quels sont les grands chantiers de la législature ?

A ces grands chantiers, à ces grandes ambitions, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin s'est déjà attelé avec courage et détermination. Il a ouvert le chantier de la réforme des retraites, chantier trop souvent retardé par le précédent gouvernement, qui avait pourtant du temps pour le faire et, surtout, des moyens financiers issus d'une conjoncture alors favorable.

Le Parlement examinera bientôt, à l'automne, le chantier de l'assurance maladie - ce dont je me félicite -, et nous devrons faire preuve de réalisme, là encore, et de courage.

A cet égard - et nous aurons l'occasion d'en reparler en octobre prochain au moment du débat sur l'évolution des prélèvements obligatoires, autre rendez-vous que vous honorez, monsieur le ministre -, j'estime qu'une réflexion sur la fiscalité, sur la prise en compte de la mondialisation ne doit pas exclure le recours à ce qu'on pourrait appeler une « TVA sociale ».

Et, puisque j'évoque la TVA, permettez-moi une fois encore, monsieur le ministre, d'insister sur la nécessité de parvenir à glisser, entre le taux normal de 19,6 % et le taux réduit de 5,5 %, un taux intermédiaire autour de 12 % à 14 %.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Très bien !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. S'agissant de ces grands chantiers, il nous faut, au plan de la méthode, conforter un « contrat de législature », c'est-à-dire déterminer celles des réformes structurelles que nous jugeons essentielles afin de rompre avec la gestion « au fil de l'eau » du précédent gouvernement et de mettre en place une stratégie cohérente pour les finances publiques telle que la commission des finances l'a toujours définie et telle que le rapporteur général va la détailler dans quelques instants.

Il s'agit de diminuer durablement les prélèvements obligatoires lorsque nous en aurons les moyens, notamment les charges sociales - et pas seulement pour les bas salaires, sinon nous créerons des « trappes à bas salaires » - et de préparer l'avenir en matière de dépenses en inversant la tendance passée au « toujours plus ».

Pour ma part, je souhaiterais, aujourd'hui, évoquer trois exigences qui me paraissent essentielles et sur lesquelles la commission des finances entend plus particulièrement continuer à travailler.

La première exigence consiste à réformer l'Etat. Pour ce faire, nous disposons désormais d'un outil puissant et adapté, à savoir la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances. Nous avons tous assumé notre part de paternité en faisant alors oeuvre commune par-delà les clivages politiques, et il appartient aujourd'hui à l'un de ses « pères spirituels », Alain Lambert, de la mettre en oeuvre avec la ténacité et le courage qui le caractérisent.

M. Xavier de Villepin. Très bien !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Dans ce combat contre les zones d'ombre et les inerties, les habitudes et les corporatismes de tous horizons, vous pouvez compter, monsieur le ministre, vous le savez, sur le soutien du Parlement, qui ne pourra qu'être gagnant au terme de cette « révolution copernicienne budgétaire ». Nous vous aiderons à mettre de la lumière dans chaque pièce de la maison publique.

D'ores et déjà, nous avons fait vaciller les colonnes du temple des certitudes budgétaires passées. C'est ainsi que, à l'automne dernier, le Sénat a démontré avec courage, en examinant chaque budget euro par euro, que des économies étaient possibles, même si l'exercice - chacun s'en souvient - était difficile. Nous avons fait preuve d'esprit de responsabilité, même si le jugement des chiffres est parfois cruel : les 30 millions d'euros que nous avons économisé ne représentent que 0,06 % du déficit annuel : en dix jours de débats, nous avons économisé l'équivalent de cinq heures de déficit d'une année. (Sourires.) Nous devrons donc remettre l'ouvrage sur le métier.

M. Paul Loridant. La productivité n'est pas très élevée !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Pour cela, nous avons mis en place une série d'auditions des ministres dépensiers, auxquelles les présidents et les rapporteurs pour avis des commissions compétentes ont été conviés. Elles se sont révelées très instructives !

Nous avons également procédé à un vaste tour d'horizon de l'état d'avancement de la mise en place, ministère par ministère, de la loi organique relative aux lois de finances, dont je présenterai dans les jours à venir une première synthèse.

Dans cet esprit et en liaison étroite avec l'ensemble des autres commissions permanentes du Sénat, dont je salue ici les présidents, nous unirons nos efforts pour proposer une lecture commune du prochain texte budgétaire en insistant sur les thématiques qui nous sont chères et qui nous rassemblent. Je pense notamment à la question des effectifs ou à celle de la recherche publique, de son utilité, de son poids et de sa meilleure articulation avec la recherche financée sur fonds privés.

Monsieur le ministre, je pense qu'il y a là matière à faire émerger d'emblée une mission interministérielle, aux programmes spécifiques, qui devrait avoir valeur d'exemple.

Décentraliser, c'est la deuxième exigence et le deuxième chantier essentiel pour notre Haute Assemblée.

Il importe en effet de faire vivre l'acte II de la décentralisation et de traduire concrètement les principes contenus dans la loi constitutionnelle du 28 mars 2003. Il s'agit, pour les collectivités locales, de disposer de ressources autonomes, c'est-à-dire de recettes fiscales « pleines et entières », dont celles-ci doivent pouvoir fixer elles-mêmes les taux.

Il s'agit également de veiller à ce que les collectivités locales ne soient pas confinées à faire de la « sous-traitance pour le compte de l'Etat », à l'image de ce qui avait été mis en place sous la précédente législature avec l'allocation personnalisée d'autonomie. Il faut pour cela transférer aux collectivités locales les compétences...

Mme Marie-Claude Beaudeau. Et l'argent !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. ... et les moyens pour les exercer, et non créer un degré supplémentaire de contrainte. C'est ainsi que nous mettrons pleinement en oeuvre sur le plan local cette éthique de la responsabilité qui nous permettra, enfin, de réformer les modes d'action et d'intervention de la puissance publique.

Enfin, troisième exigence, il faut avoir une vision et un engagement européens.

Oui, toutes ces réformes ne peuvent être conçues que dans un cadre européen. En 2000, M. le rapporteur général avait intitulé son rapport préparatoire au débat d'orientation budgétaire - vous vous en souvenez, monsieur le ministre - « Comment être crédible en Europe ? ». Cette interrogation fondamentale n'a pas changé et se pose aujourd'hui en ces termes : comment l'Europe économique et monétaire peut-elle être crédible ?

Il lui faut pour cela un gouvernement économique et, à ce titre, je le regrette - oui, je le regrette beaucoup - que la Convention pour la réforme des institutions n'y soit pas parvenue. Cruel paradoxe au moment même où les soubresauts de la conjoncture, la difficulté à contenir la dépense publique dans un contexte d'effritement des recettes fiscales et non fiscales ont pour effet de creuser nos déficits publics. La tentation est en effet forte de voir dans les règles posées par le pacte de stabilité et de croissance, et donc dans l'euro, la cause de tous nos maux et la source de toutes nos difficultés. Or rien n'est moins vrai. L'euro, bien au contraire, est un bouclier destiné à nous préserver des chocs extrêmes.

Lorsque le gouvernement français a mené le combat pour la monnaie unique, il s'est agi, mes chers collègues, de mettre le marché européen à l'abri de ces dévaluations compétitives qui minaient la croissance et détruisaient les emplois. Pour lancer l'euro, il a donc fallu concevoir, vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, un règlement de copropriété de notre nouvelle monnaie : le pacte de stabilité et de croissance. A l'époque, nous avions conçu un dispositif transitoire - je dis bien transitoire - dans l'attente d'un gouvernement européen.

Au surplus, nous étions dans la logique économique des cinquante dernières années, marquées par des cycles de croissance soutenue, rythmées par les pressions inflationnistes.

Ce que nous n'avions pas prévu, c'est que la mondialisation et la globalisation entraîneraient des changements structurels considérables dont nous ne mesurons pas encore toutes les conséquences. Ainsi, notre principal danger n'est plus aujourd'hui celui de la surchauffe inflationniste, mais celui de voir nos économies, celles de l'Allemagne et de la France, qui représentent la moitié de la richesse de l'Europe des Quinze, entrer en stagnation.

C'est dire si nous attendions de la Convention qu'elle dote l'Union européenne des institutions démocratiques et du gouvernement économique qui lui font dramatiquement défaut.

J'espère que l'Allemagne et la France n'entrent pas dans un processus identique à celui que connaît depuis maintenant dix ans le Japon ! C'est en tout cas de l'Europe que nous attendons désormais des actions de stabilisation. Il est urgent, à l'échelon européen, de mettre en synergie la politique monétaire et la politique budgétaire, et de veiller, dans l'immédiat, à améliorer la coordination entre les pays.

Notre monnaie unique est gérée par une Banque centrale européenne, mais nous ne disposons pas d'un gouvernement économique. L'Europe n'est donc pas en situation de parvenir à ce que l'on appelle le policy mix, soit le bon dosage des politiques budgétaire et monétaire. A cet égard, nul ne peut dire que la gestion monétaire est marquée d'une audace toute particulière !

Mes chers collègues, aujourd'hui, ce qui nous manque, c'est la croissance, ainsi que la capacité de nos économies à prendre des risques pour lutter efficacement contre des pays émergents toujours plus compétitifs.

Si la croissance nous manque, nous devons valoriser le travail, l'esprit d'entreprise, et nous demander si la réduction du temps de travail est un activateur de croissance.

Pour faire de la croissance, il faut travailler plus et, pour travailler plus, il faut être motivé, libéré de lois et de règles qui sont devenues des entraves et des freins. Il faut être intéressé et comprendre qu'au-delà de l'épreuve immédiate se dessine un horizon prometteur, un sort meilleur. Il nous faut cesser de jouer les prolongations sur des partitions archaïques. Saurons-nous être lucides et nous débarrasser de nos entraves législatives et réglementaires ?

En ce domaine comme dans d'autres, pour tracer la voie, il nous faut une volonté. Elle ne peut qu'être européenne et politique, et elle doit s'appuyer sur une politique budgétaire nationale assainie, ambitieuse et courageuse.

Pour la mener au service de l'intérêt de notre pays, nous serons toujours à vos côtés, monsieur le ministre. Nous ferons le pari de l'intelligence des Français et nous proclamerons notre confiance et notre optimisme. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes pris dans un réseau de contradictions telles que je n'ai pas hésité à intituler le rapport de la commission des finances : « La quadrature du cercle ? », étant entendu que nous nous efforçons de répondre à cette question en expliquant comment en sortir.

Si l'on s'en tient au simple constat, nous constatons que la conjoncture est dégradée : nous ne sortons pas de la dépression et nous ne savons pas quand va intervenir le point de retournement.

Les recettes fiscales sont fragiles, leur élasticité est faible et nous sommes déçus par les résultats figurant dans les situations périodiques.

La norme de progression des dépenses est difficile à tenir, tant sont multiples les besoins et les convoitises dans les différents secteurs de l'action de l'Etat.

Les dépenses de sécurité sociale sont encore plus dynamiques et, en 2003, de façon très préoccupante, le déficit des organismes sociaux va s'ajouter à celui de l'Etat.

Le creusement des déficits alimente la dette et réduit nos marges de manoeuvre.

De plus, nous travaillons dans le cadre défini - j'allais dire « autrefois » - par l'Union européenne du temps de Maastricht et d'Amsterdam, c'est-à-dire, mes chers collègues, dans un autre temps économique.

Dans ces conditions, comment maîtriser les dépenses publiques sans ajouter à la dégradation de la conjoncture ? Comment ne pas se placer « au ban de l'Europe » tout en faisant des choix budgétaires compatibles avec la nécessité - que nous sentons - de ranimer dans ce pays les germes de croissance qui peuvent encore y exister ? Comment maîtriser les déficits des comptes sociaux, tout en répondant aux besoins légitimes d'une population qui vieillit ? Voilà les questions fondamentales auxquelles nous sommes confrontés !

Pour tâcher de vous faire partager les convictions de la commission des finances, je voudrais aborder successivement la conjoncture économique, la question très préoccupante du cadre communautaire de notre action, puis les pistes qui, à notre sens, permettraient de rompre cette quadrature du cercle budgétaire.

Beaucoup a été dit sur les prévisions de croissance.

Les prévisions de croissance sont matière contingente et volatile : nous ne faisons que confronter nos analyses. Mais force est de constater, monsieur le ministre délégué, que les révisions successives des prévisions de croissance, dont on ne peut évidemment pas vous faire grief, contribuent à un creusement particulièrement préoccupant de nos finances publiques.

Il est vrai que le rythme d'évolution de l'économie en France, et encore davantage en Allemagne, est, pour beaucoup d'entre nous, un sujet d'étonnement. Un tel ralentissement, déjà si durable, est une circonstance assez exceptionnelle dans l'histoire économique de nos pays.

Rappelons que, depuis le point haut du cycle, qui a été atteint au cours de l'année 2000 avec un taux de croissance annuel de 4,2 %, chaque année, le rythme de croissance de l'économie française s'est dégradé. Certes, depuis l'année 2000 et au cours de la période la plus récente, est apparu un nouveau risque ou, plus exactement, un risque décrit dans les ouvrages d'économie politique que nous avons étudiés dans les facultés, mais qui apparaissait tellement lointain, tellement décalé, tellement irréel que nous ne nous sentions plus concernés par lui : je veux parler de la déflation.

Une étude récente du Fonds monétaire international citée figurant dans notre rapport situe les principaux pays du monde sur un tableau de la déflation. Quels sont les pays qui se rapprochent de la description économique des critères de la situation de déflation ?

Nous savons que, pendant quelques années, la pauvre Argentine a connu sans contestation possible cette situation.

Nous savons que, aujourd'hui, trois pays, dont un très important - le Japon -, sont dans une situation que l'on peut qualifier de déflationniste.

Nous savons aussi, ce qui est plus inquiétant, que notre principal partenaire économique et politique, l'Allemagne fédérale, est aujourd'hui dans une situation proche de la déflation.

Quels sont les trois critères qui peuvent s'appliquer à la situation allemande ?

En premier lieu, il y a la parité de la monnaie. Naturellement, on s'interroge sur le bien-fondé du taux de conversion du mark en euro voilà quelques années et nos amis Allemands s'interrogent aujourd'hui sur ce qui, pourtant, à l'époque, leur était apparu presque comme une évidence.

En deuxième lieu, il y a la politique monétaire, qui manque totalement de souplesse, une politique monétaire qui, on ne saurait lui en faire reproche, est conduite dans l'intérêt global de la zone euro et non pas dans l'intérêt de tel ou tel territoire particulier, fut-il celui de l'Allemagne fédérale.

En troisième lieu, sujet particulier de surprise pour beaucoup d'analystes, le système bancaire allemand fait preuve d'une grande fragilité. Il est à certains égards mis en cause dans ses structures et ses fondements et il doit s'adapter de façon particulièrement douloureuse.

Ces trois constatations peuvent faire penser à une situation proche de la description en théorie économique de la déflation.

Or, mes chers collègues, chacun le sait, les problèmes des Allemands sont nos problèmes, de même qu'à un moindre titre nos problèmes sont les leurs. Sans doute avez-vous observé que, le 8 mai dernier, la Banque centrale européenne, en modifiant l'expression de sa stratégie, a, pour la première fois, ajouté la prévention des risques de déflation.

Dès lors, interrogeons-nous un peu plus à fond, comme l'a fait le président Arthuis il y a quelques instants, sur le cadre institutionnel de l'Europe et sur la façon dont il peut servir l'emploi, l'investissement et la croissance dans notre économie.

Il est clair, mes chers collègues, que nous ne disposons pas, aujourd'hui, des instruments de coordination qui nous permettraient de réagir correctement et avec vivacité aux aléas de la conjoncture.

La politique monétaire, je l'ai évoqué, est rigide et globale.

La politique budgétaire est définie par des indicateurs qu'il nous faut en principe respecter. Rien n'impose aux Etats de la zone euro de faire converger leurs structures de prix de revient du travail au sein de leur économie, leurs systèmes fiscaux et leurs prélèvements obligatoires.

Les ajustements des différents territoires se font par l'intermédiaire des facteurs réels de l'économie, c'est-à-dire par les décisions d'investissement et par la variation du niveau de l'emploi, autrement dit du chômage, au sein des différents pays.

L'euro est certes, à présent, notre patrimoine, mais il faut être conscient du rôle qu'il joue : de protecteur, il ne doit pas devenir anesthésiant.

Il joue un rôle protecteur, certes, des situations de crise et des dévaluations dramatiques avec les programmes d'accompagnement qui en découlaient, mais il joue aussi un rôle anesthésiant, peut-être, si, derrière cette protection, nous ne savons pas, ni en France ni en Allemagne, nous organiser pour prendre à bras-le-corps les problèmes de structure de nos économies.

La nécessité de ces réformes structurelles est une évidence qui s'impose à chacun de nos deux pays. Faut-il rappeler que les deux Etats, qui représentent à peu près 50 % du produit intérieur brut de la zone euro, sont les deux seuls, au sein de la zone euro, dans lesquels le déficit est supérieur à 3 % du produit intérieur brut, les deux seuls dont le ratio de la dette sur le produit intérieur brut a augmenté entre 1996 et 2002.

Ces données concrètes doivent nous conduire à nous interroger sur les méthodes de gouvernance de la zone euro.

Comme M. le président Arthuis, je regrette profondément qu'à l'issue des travaux, par ailleurs sans doute féconds, de la Convention et à peu de temps de la nouvelle conférence intergouvernementale sur les institutions européennes, la question de la gouvernance économique de la zone euro ait été, hélas ! complètement éludée.

M. Xavier de Villepin. C'est vrai !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Je regrette que, ne pouvant choisir entre l'approfondissement et l'élargissement, l'Union passe à côté de ce redoutable problème, de ce problème qui s'impose : la gouvernance économique.

Malgré le caractère provisoire du « règlement de copropriété », ces règles ont déjà évolué dans la pratique. L'an dernier, lorsque je hasardais un pronostic, lorsque je disais que le retour à l'équilibre théoriquement imposé pour 2004 était strictement impossible à cette échéance, je suscitais parfois quelques réactions. Aujourd'hui, monsieur le ministre - je parle sous votre contrôle - je ne crois pas qu'au sein des pays de la zone euro des voix autorisées contestent l'objectif de 2007 pour la remise à l'équilibre de nos comptes publics.

Par ailleurs, nous voyons que l'appréciation en termes de déficits structurels s'est imposée. C'est une preuve de réalisme de la part de la Commission européenne. Mais cela ne saurait suffire et il est clair que l'Europe de la monnaie, l'Europe de la zone euro, ne peut longtemps continuer à vivre avec des règles que les deux plus importantes économies de cette zone n'arrivent pas à respecter. C'est une simple question de bon sens.

L'euro, sans une gouvernance économique commune, a pour effet - n'ayons pas peur de le dire - de renforcer les handicaps de certaines économies par rapport aux autres et, dans la durée, de fausser encore davantage les conditions de la concurrence.

Pour demain, il faut souhaiter que cette gouvernance commune permette d'assumer ensemble une fiscalité en convergence avant d'être une fiscalité commune (M. Paul Loridant s'exclame) et que le dialogue en matière de politique économique soit institutionnalisé pour faire évoluer le policy mix en fonction de la situation du monde et de notre situation propre.

Dans le cadre si complexe que nous impose la conjoncture et du fait du caractère ambigu et incomplet de la construction européenne, quelle stratégie devons-nous adopter pour les finances publiques ?

Le cap du Gouvernement est le bon, monsieur le ministre.

Je rappelle les principes sur lesquels il repose : réduction des prélèvements obligatoires ; réduction de la part des dépenses publiques dans le produit intérieur brut ; réduction du déficit pour ne pas aggraver la dette. Il est clair que ces principes, appliqués sur la durée de la législature, sont les bons.

Etudions tout d'abord les chiffres des recettes, puis ceux des dépenses, et, enfin, ceux qui concernent le solde et son financement.

Nous avons eu une surprise, monsieur le ministre, avec les données de 2002. Cette surprise, qui n'est que la traduction de la basse conjoncture économique, porte sur le taux des prélèvements obligatoires.

Le taux des prélèvements obligatoires, 43,9 % du produit intérieur brut, correspond, à peu de chose près, à l'objectif que vous vous étiez fixé, si je ne me trompe, pour l'année 2006. Cet objectif aurait été atteint dès 2002 pour des raisons liées au faible rendement de la fiscalité et des cotisations sociales. Nous assistons donc à l'inversion du phénomène qui, en 1999-2000, avait permis de parler de la « cagnotte » et de son mauvais usage d'après la commission des finances du Sénat.

M. Alain Lambert, ministre délégué. Le théorème !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Absolument ! C'était le théorème de l'époque : les impôts baissent, mais les prélèvements augmentent. Ce n'était que la constatation d'une forte élasticité des recettes par rapport à la croissance de cette époque.

Nous savons bien que, aujourd'hui, mener une politique des ressources publiques est chose difficile. Même si le cap de la baisse doît être préservé pour l'année 2004, il faudra faire preuve de réalisme à partir des réalisations effectives de l'année 2003 en choisissant les signaux ciblés que la conjoncture nous permettra d'évaluer, de manière qu'ils soient efficaces en termes psychologiques, qu'ils n'aggravent pas les difficultés de nos finances publiques et ne détériorent pas de manière trop prononcée un solde déjà très préoccupant.

Monsieur le ministre, la clef de la stratégie budgétaire demeure la maîtrise des dépenses publiques. Avec environ 55 % du produit intérieur brut, notre pays affiche les dépenses publiques les plus élevées d'Europe. Il nous faudra donc agir avec constance pour réduire sur la durée cette exception française. Mais soyons conscients de la difficulté de l'exercice et du fait que les deux tiers du budget de l'Etat sont représentés par les salaires, la dette et les pensions.

Que peut-on faire ? Il reste deux solutions.

La première consiste, en même temps et successivement, à jouer sur le tiers restant. Mais, monsieur le ministre, même s'il faut être attentif à la gestion de chaque euro dépensé dans chaque ministère, il ne servirait à rien de ne pas réduire les effectifs de ministères qui n'auraient plus suffisamment de crédits à utiliser.

La deuxième solution - assurément la plus vertueuse - consiste à procéder à des réformes structurelles, qui ont déjà été évoquées. Cette solution repose à mon sens sur trois axes.

Le premier axe consiste à profiter des flux de départ à la retraite des fonctionnaires publics - ils seront 58 000 en 2004 - en se fixant l'objectif d'un remplacement sur deux en moyenne. Ainsi, on allège l'Etat et l'on contribue à créer les marges de manoeuvre de demain.

Le deuxième axe est la réforme de l'administration conformément aux objectifs de la nouvelle loi organique. Cette réforme permettra, avec la décentralisation, de responsabiliser davantage les acteurs et d'améliorer le rapport qualité - prix des services rendus.

Le troisième axe vise à concentrer les moyens sur les priorités que sont la défense, la justice et la sécurité, domaines qui sont au coeur des compétences régaliennes de l'Etat, et à préserver un niveau suffisant de dépenses d'investissement car, dans la conjoncture déprimée qui est actuellement la nôtre, ce n'est vraiment pas le moment de réduire les flux qui ont le plus de pertinence en termes d'emploi et de développement des entreprises.

A ce propos, monsieur le ministre, la commission des finances considère que l'initiative annoncée par la prochaine présidence italienne de l'Union européenne est une initiative intéressante qui doit être abordée dans un esprit positif pour valoriser les besoins d'infrastructures transeuropéennes et pour trouver ensemble des solutions communautaires afin de financer ces infrastructures.

Je terminerai par quelques mots sur le déficit, mes chers collègues.

Il va très probablement atteindre, à la fin de cette année 2003, une cinquantaine de milliards d'euros, c'est-à-dire le chiffre le plus élevé depuis 1995. Cela se traduira par une dette en expansion considérable : près de 120 milliards d'euros devront être levés sur les marchés en 2003, dont 58 % pour rembourser des emprunts antérieurs venus à échéance, environ 19 % pour financer les dépenses de fonctionnement et près de 25 %, soit le quart, pour financer les investissements, étant observé que l'annuité 2003 des investissements a été élevée par rapport à la pratique des années précédentes, ce qu'il faut incontestablement inscrire au crédit du Gouvernement.

Contenir la dette, c'est, à l'évidence, une urgente nécessité. En effet, lorsque l'on observe que, en stock, elle va s'établir à près de 950 milliards d'euros, que nous franchissons, en 2003, le seuil des 60 % du produit intérieur brut, et que, après avoir eu, en 1996, le troisième meilleur ratio de dette nous sommes aujourd'hui au dixième rang en Europe, on ne peut que marquer une grande inquiétude, monsieur le ministre !

Et cela d'autant plus que la baisse continue des taux d'intérêt conduit à occulter une partie du phénomène réel d'alourdissement de l'endettement. Comme le montre le rapport écrit de la commission, l'« effet taux » a compensé à peu près la moitié de l'« effet volume » au cours de la période récente. De même que les arbres ne montent pas jusqu'au ciel, de même les taux d'intérêt un jour remonteront dans les cycles de l'économie.

Monsieur le ministre, cette situation nous préoccupe. En même temps, nous voulons exprimer notre confiance à l'égard des efforts que vous déployez, de votre pugnacité, de votre persévérance et du cap qui est affirmé par le Président de la République, le Premier ministre et le Gouvernement. Nous pensons que, certes, nous sortirons de la « quadrature du cercle budgétaire », mais qu'il faudra, pour y parvenir, une dose considérable d'énergie et de pédagogie.

En conclusion, mes chers collègues, nous devons en sortir pour plusieurs raisons.

La première raison est économique : la remise en ordre de nos finances publiques conditionne l'emploi et toute chose dans ce pays.

La deuxième raison est démocratique : à cet égard, peut-être faudra-t-il renouveler le pacte républicain de la fiscalité et faire en sorte que nos concitoyens comprennent mieux la politique fiscale, en la rendant plus claire, en affirmant mieux ses orientations, en associant les parlementaires qui assument le consentement à l'impôt à un tel débat, non pas dans le court terme, mais avec une visée de moyen et de long terme.

Enfin, la troisième raison, la plus importante, est que nous devons sortir de cette situation, car ce qui est en cause dans cette affaire, c'est l'indépendance de la France, l'existence de sa voix originale en Europe et dans le monde.

Que nous le voulions ou non, mes chers collègues, nous serons toujours jugés à l'aune de notre gestion et les points de vue que les responsables de la France tiendront dans le monde seront d'autant plus crédibles que notre pays aura su concevoir et assumer les réformes indispensables. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

(M. Bernard Angels remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)