COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

CANDIDATURES

À DEUX COMMISSIONS D'ENQUÊTE

M. le président. L'ordre du jour appelle la nomination des membres :

- de la commission d'enquête sur la maltraitance envers les personnes handicapées accueillies en institution et les moyens de la prévenir ;

- et de la commission d'enquête sur la politique nationale de lutte contre les drogues illicites.

En application de l'article 11, alinéa 2, du règlement, les listes des candidats présentées par les présidents des groupes ont été affichées et les candidatures seront ratifiées, s'il n'y a pas d'opposition, dans le délai d'une heure.

3

PROGRAMMATION MILITAIRE

POUR LES ANNÉES 2003 À 2008

Suite de la discussion et adoption définitive

d'un projet de loi

Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2003 à 2008
Question préalable

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi (n° 84, 2002-2003), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la programmation militaire pour les années 2003 à 2008. [Rapport n° 117 (2002-2003) et avis n° 123 (2002-2003).]

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jacques Peyrat.

M. Jacques Peyrat. Madame le ministre, vous nous avez présenté hier le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2003 à 2008, qui marque la volonté du Gouvernement de faire de la défense une de ses priorités en rompant avec la politique menée par le précédent gouvernement.

D'ores et déjà, permettez-moi d'exprimer toute ma satisfaction de constater qu'il est enfin tenu compte dans une loi de programmation militaire de la réalité qui nous entoure, dans un monde où la paix n'est malheureusement qu'une illusion, si belle soit-elle.

La situation internationale particulièrement dégradée, les conflits récents, les menaces terroristes, la prolifération des armes de destruction massive nécessitaient un engagement politique fort. La France doit pouvoir répondre aux menaces existantes, sur son territoire mais aussi à l'étranger ; la France doit garantir la sécurité de nos concitoyens et la sauvegarde des intérêts nationaux.

Il convient aujourd'hui - oserai-je dire : sans plus attendre ? - de nous donner les moyens de faire face à ces obligations.

Je me réjouis donc, madame le ministre, qu'un effort particulièrement important ait été réalisé par votre ministère. Nous devions réagir pour que nos armées soient dignes d'un pays comme la France et soient capables de répondre à d'éventuelles attaques sur son territoire, mais aussi sur les théâtres d'opérations éloignés, seule ou avec ses alliés.

Je me félicite donc du courage dont le Gouvernement fait preuve en présentant ce projet de loi, en cette période économique pas très favorable, face aux critiques de ceux qui n'ont pas compris et ne comprennent toujours pas les impératifs d'une nation comme la nôtre.

Vous saviez, vous, qu'il ne pouvait en être autrement et c'est pourquoi vous nous présentez aujourd'hui un projet de loi qui non seulement prend en considération le retard accumulé par la France en matière de défense et les lacunes de nos armées, mais répond aussi aux engagements pris en 1996 par M. Jacques Chirac, en confirmant le modèle d'armée 2015 - je ne me pose pas, moi, de questions sur cette échéance lointaine qu'il nous faut préparer dès à présent - et en l'adaptant aux menaces d'aujourd'hui.

Ouf ! Il était temps. Nos armées vont ainsi refaire surface.

Le présent projet de loi est indispensable et essentiel, tout d'abord afin de continuer sur la voie engagée par Jacques Chirac lorsque a été décidé, en 1996, le passage à une véritable armée de métier, mieux adaptée à l'évolution internationale.

La loi de programmation militaire précédente a, certes, organisé le passage à la professionnalisation, mais elle n'a pas répondu aux exigences imposées pour atteindre le modèle d'armée 2015. La France a pris un retard considérable : nos armées sont sous-entraînées et la disponibilité des matériels est gravement altérée.

Les raisons, nous les connaissons : les insuffisances budgétaires répétées et les faibles perspectives de la loi de programmation militaire 1997-2002. Aussi un effort était-il indispensable afin de conforter la place de la France, sur le plan européen et sur le plan mondial.

A l'heure où l'Europe organise une défense commune, comment la France pourrait-elle garder le rang qui doit être le sien si les moyens suffisants ne lui sont pas donnés, comme c'est malheureusement le cas depuis plusieurs années ?

L'ambition nous fait l'obligation d'être en mesure de participer activement, telle une nation chef de file, à la pointe des nouvelles technologies, avec une armée équipée et préparée, à toutes les interventions. Il ne peut en être autrement.

La France doit contribuer de façon ambitieuse à la mise en oeuvre de la force de réaction rapide au niveau européen.

La défense européenne exige que nous déployions des efforts, à l'instar de la Grande-Bretagne, qui, il y a quelques années, a compris le rôle primordial que joue la défense dans un pays et qui y a porté une attention toute particulière.

La France doit aussi jouer un rôle sur la scène internationale. Elle a montré, d'ores et déjà, son influence dans la gestion du dossier irakien à l'ONU, mais elle doit encore renforcer sa crédibilité.

La France doit enfin être en mesure d'assurer sa défense de façon indépendante et de respecter ses accords de défense. Elle doit pouvoir prendre ses décisions seule, sans être sous la coupe de quelque nation que ce soit.

Naturellement, tout cela a un prix.

Par ailleurs, le projet de loi de programmation militaire est réaliste. L'état moral de nos armées et le vieillissement des matériels imposaient une réaction forte. Le projet de loi répond à cette exigence : il met un terme à une période au cours de laquelle notre armée et nos militaires n'ont pas été pris suffisamment en considération.

Il était nécessaire de parfaire la marche vers la professionnalisation et d'éviter que le passage à une armée de métier ne soit fragilisé par un niveau trop faible d'équipement et d'entraînement, ce qui imposait des effectifs militaires et civils en nombre suffisant.

A ces exigences encore, madame le ministre, vous répondez. Votre objectif prioritaire, je le sais, est de doter notre pays d'une défense à la hauteur et de ses ambitions et des réalités actuelles.

Il y avait urgence parce que le matériel vieillissant a, de surcroît, été insuffisamment entretenu et renouvelé. Sa disponibilité s'en trouve gravement affectée.

Comment être performant et crédible lorsque le taux de disponibilité des matériels se situe aux alentours de 60 % au sein des trois armées ? Les hélicoptères Gazelle ne sont disponibles qu'à 47 %, les Cougar à 60 % et les Puma à 67 % ; le taux moyen de disponibilité des frégates anti-sous-marines est passé de 74 % à 51,9 %, celui des Mirage 2000 avoisine 57 % !

Le projet de loi de programmation militaire démontre que le Gouvernement entend non seulement moderniser les équipements grâce à des crédits d'équipement en forte hausse, mais aussi « s'attaquer » à leur entretien avec des crédits convenables.

Soyons réalistes : il ne faut pas espérer un rattrapage total de la situation de nos armées, mais il s'agit sans doute d'une avancée importante vers le rétablissement de nos capacités opérationnelles.

Par l'ensemble de ces mesures, le Gouvernement, votre ministère, vous-même, madame le ministre, proposez de redonner enfin à notre politique de défense nationale la place qu'elle n'aurait jamais dû perdre.

Vous êtes réaliste aussi, car, au-delà des mesures de modernisation des matériels, vous vous attachez aussi à renforcer les effectifs et à assurer la pérennisation de la professionnalisation.

Je n'oublie pas les efforts pour la recherche, qui doit nous permettre de tenir notre rôle de nation-cadre et de garder toute notre indépendance en disposant d'une technologie avancée. Peut-être les crédits prévus se révèleront-ils toutefois encore insuffisants pour rattraper le retard et rester, tout au moins, à un niveau de bonne performance.

Je me réjouis par ailleurs de la prise de conscience salutaire que traduisent vos propos en faveur de nos réserves, l'objectif pour 2008 étant d'atteindre le nombre de 82 000 réservistes. Il est vrai que, dans son excellent rapport, notre ami Serge Vinçon soulignait, délicatement, que « la réserve opérationnelle constitue le point faible de la professionnalisation ».

Les raisons sont multiples : manque de moyens et de crédits, mais aussi prise en considération insuffisante de leur utilité dans l'enseignement, désaffection médiatique, mode changeante, même si la mode féminine est aujourd'hui de s'équiper comme les parachutistes...

Naguère existait la conscription. Avant elle, ou parallèlement, la préparation militaire élémentaire ou supérieure préparait aux corps d'officiers et de sous-officiers. Un certain nombre dans cet hémicycle en sont issus.

Cet ensemble concourait à l'existence et à la pérennité d'un lien armée-nation et, par voie de conséquence, d'un esprit de défense. Dans le livre blanc sur la défense publié en 1994 et cité par M. le rapporteur - votre directeur de cabinet, madame le ministre, était un des membres de la commission chargée de l'établir -, le Premier ministre de l'époque avait écrit : « Il faut toujours veiller au lien étroit qu'il y a entre notre défense et notre conception de la nation. »

Cet esprit de défense a nourri la conclusion du livre blanc : « Les idéaux qui fondent l'esprit de défense doivent être réaffirmés avec force. »

« Il n'est de défense que d'un peuple. Du soldat aux élus de la nation, il n'y a pas de politique de défense crédible sans l'adhésion des hommes qui la conçoivent, qui la servent, qui la fondent en devenir ».

Madame le ministre, consciente de cette nécessité, vous avez dit, et je l'ai noté, que les réserves feraient l'objet d'un axe de réflexion, allant même jusqu'à évoquer une réserve citoyenne et un service civil volontaire.

Si cette réserve opérationnelle se voit donner les moyens d'attirer à elle une jeunesse quelquefois, hélas ! oisive, pourquoi - c'est une piste - ne la chargerait-on pas de missions intérieures, en réservant aux armées les mission extérieures ? Je pense aux missions décrites en page 21 du rapport : tempêtes, pollutions consécutives aux naufrages ou éperonnages maritimes, inondations, évacuation de zones sinistrées, gardiennage de centres de stockage, plan Vigipirate. Pourquoi pas ?

Puisqu'il est envisagé d'atteindre l'objectif de 82 000 hommes dans cinq ans et demi, avec une prime d'incitation pour un public jeune, un dispositif de formation militaire initiale rémunérée pour les réservistes issus du secteur civil, il serait bon de motiver cette force de complément par des missions d'engagement sur le front des catastrophes intérieures - qui ont, hélas ! tendance à se multiplier dans notre pays - un peu comme le font, avec bravoure, les pompiers volontaires qui viennent aider les sapeurs-pompiers professionnels. Depuis longtemps, j'ai fait mienne cette incitation sous la plume de Maurice Druon : « La puissance d'une nation, le respect qu'elle inspire, le poids qu'elle pèse dans les affaires du monde, se mesurent aux preuves qu'elle donne de sa volonté de défense. C'est là que réside la garantie première de son avenir. »

Je crois avoir suffisamment montré, madame le ministre, combien j'apprécie votre action personnelle et celle du gouvernement auquel vous appartenez. J'ai dit aussi avec quel enthousiasme je voterai ce projet de loi. Souffrez cependant que j'exprime, avec respect, quelques regrets et une recommandation.

Mes regrets, ce sont les retards, dont vous n'êtes pas responsable d'ailleurs : ce sont les fruits de tergiversations, difficilement acceptables, antérieures à votre arrivée aux affaires.

Je pense aux neufs années qu'il nous faudra pour nous doter des hélicoptères NH 90 dont seront déjà équipées les armées allemandes.

Je pense au nombre d'années - combien au fait ? - qu'il faudra encore pour disposer de l'avion à long rayon d'action qui nous permettra de projeter nos forces. On sait pourtant qu'il est nécessaire depuis longtemps. C'était déjà la préoccupation de l'armée de l'air en 1987, et le rapport de soutien général des forces soulignait que l'acquisition de cargos légers ATM 42 L, de CASA 235 - déjà - ou de C 130 Hercules n'était qu'un palliatif.

On mesure l'ironie poignante de cette phrase écrite après une visite au commandement du transport aérien militaire de l'époque, le COTAM : « Cette bouffée d'oxygène nécessaire risque d'être insuffisante pour atteindre 2003, date envisagée par l'armée de l'air pour l'entrée en service de l'avion de transport à long rayon d'action qui devra être d'emploi polyvalent, à aile haute avec une rampe axiale arrière, emportant vingt tonnes à 1 500 kilomètres. »

A l'Assemblée nationale, en 1987, j'ai été rapporteur pour avis pour le soutien des forces.

Déjà, à cette époque, le Premier ministre, M. Jacques Chirac et M. André Giraud, votre prédécesseur, madame le ministre, relevaient dans leur projet de loi de programme que « les pays européens devaient se montrer vigilants face aux entreprises de déstabilisation car ils sont plus que d'autres confrontés à la désinformation, aux détournements de leurs capacités technologiques et à l'action de groupes extrémistes d'origine intérieure ou extérieure ».

Le général Imbolt, qui commandait alors la DGSE, m'avait fait part de ses craintes de ne pouvoir accomplir en totalité sa mission de recherche de renseignements, par manque de crédits, et j'avais écrit dans mon rapport que, pour servir les matériels nouveaux, en matière d'informatisation et de recherche technique, on manquait de cadres scientifiques et techniques de haut niveau.

Ce général d'armée valeureux regrettait que les moyens humains de la DGSE restent inférieurs à ceux des services comparables, alliés ou adversaires, et ce, parfois, dans des proportions importantes. Quinze ans plus tard, monsieur Vinçon, ce point est mis en exergue à la page 31 de votre rapport.

J'ai lu, dans les deux rapports parlementaires de l'Assemblée nationale et du Sénat, qu'une centaine de postes devraient être créés afin de renforcer les capacités de renseignement. Je crois ce chiffre insuffisant, et j'apprécie les doutes manifestés à cet égard par M. le rapporteur, qui relève, comme je l'avais fait quinze ans auparavant, le manque « d'informaticiens et de locuteurs de langues rares ».

Pour avoir suivi très récemment, à Nice, une conférence d'un haut magistrat français sur les réseaux terroristes, j'ai été frappé de constater que l'action de quelques hommes des services de renseignement avait permis de faire l'économie de dizaines, voire de centaines de victimes civiles, mieux que n'aurait pu le faire un bataillon de parachutistes, si glorieux soit-il.

Toutes ces raisons devraient peut-être nous inciter à investir un peu plus en vue de contrer les menaces répertoriées que nous connaissons, en consentant un effort supplémentaire, au besoin en augmentant, à l'avenir, la part du PIB allouée à la construction de notre défense.

Ainsi, faire de la défense une priorité n'était pas, de la part du Gouvernement, qu'un effet de manches. Des équipements modernisés de haute technologie, des effectifs suffisants, une plus grande reconnaissance de nos armées : nous voilà engagés sur la voie du redressement.

Un grand défi se présente à nous, celui d'asseoir la position de la France, en matière de défense, sur la scène internationale et à l'échelon européen. Je suis persuadé que nous le relèverons si nous nous évertuons à continuer dans la voie que nous empruntons et si les engagements inscrits dans ce projet de loi de programmation sont respectés. Nous serons nombreux à y veiller très attentivement.

J'ai souhaité faire apparaître, dans cette brève intervention, que si l'importance de nos forces armées est une question de moyens, la décision d'accorder ceux-ci relève de notre volonté à tous, mais tout particulièrement de la vôtre, madame le ministre, aujourd'hui et demain.

En 1779, le comte de Guibert notait que « ce qu'il y a de plus cher et de plus onéreux, c'est d'avoir une demi-armée, car avec cela on n'est jamais au niveau de sa politique, ni de son rang, ni du rôle que l'on doit jouer, et toute dépense qui est insuffisante est celle qu'il faut regretter ».

Madame le ministre, nous avons parcouru, grâce à vous, la majeure partie du chemin du redressement ; faisons le pas supplémentaire qui évitera les regrets ultérieurs. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Xavier Pintat. M. Xavier Pintat. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le projet de loi de programmation militaire qui nous est soumis nous apporte de nombreux motifs de satisfaction : il engage la France dans une politique de défense ambitieuse, en redonnant aux armées les capacités humaines, opérationnelles et financières nécessaires à l'accomplissement de leurs missions.

Son dispositif s'inscrit dans le cadre de la professionnalisation de nos armées décidée en 1996 par le Président de la République. Aujourd'hui, cette professionnalisation est une incontestable réussite, qui rend possible la poursuite de la modernisation de nos armées.

Par ailleurs, malgré un contexte international aujourd'hui différent, le modèle d'armée 2015 défini au début des années quatre-vingt-dix reste remarquablement pertinent.

Ce projet de loi concrétise donc les efforts indispensables à la modernisation de nos armées et répond, par là même, à la volonté de la France d'assumer, au même titre que la Grande-Bretagne, le rôle de nation-cadre en Europe, ayant la capacité de diriger une force de coalition sur un théâtre extérieur.

En effet, nous revenons de loin !

En ce qui concerne la seule armée de l'air, on observe que ses équipements ont été affectés entre 1997 et 2002, au profit d'autres engagements budgétaires. Ces équipements ont parfois fait défaut, quels qu'aient été les efforts déployés par les personnels pour remédier à cette situation.

Lors de la guerre en Afghanistan, on a ainsi évoqué l'utilisation de certains aéronefs comme source de pièces de rechange pour les appareils partis en mission au sein de la coalition multinationale.

La vie quotidienne des bases aériennes, en dehors même des efforts spécifiques consentis à l'occasion de l'opération Héraclès en Afghanistan, a également été affectée par la faiblesse des financements consacrés à l'entretien des matériels. Ainsi, la réduction de la flotte d'avions disponibles a entraîné une baisse du nombre d'heures d'entraînement pour nos pilotes de chasse, de transport ou d'hélicoptère. A cet égard, madame le ministre, nous devons féliciter ces personnels d'avoir su résister à la baisse de motivation que peut légitimement engendrer une telle carence.

Cette situation a aussi amené une fréquence plus élevée des rotations d'appareils et, par voie de conséquence, un vieillissement prématuré des matériels pénalisant nos capacités opérationnelles. La remise à l'armée de l'air de dix Rafale en 2005, puis de cinquante en 2008, portera un coup d'arrêt salutaire à cette évolution préjudiciable à la projection de nos forces armées.

En effet, le projet de loi de programmation militaire prévoit d'affecter, de 2003 à 2008, 5,152 milliards d'euros, en crédits de paiement, au financement de ce programme d'une importance déterminante pour notre flotte de combat aérienne.

Rappelons que le coût unitaire d'un Rafale « air » est estimé à 44,7 millions d'euros pour un appareil monoplace et à 47,5 millions d'euros pour un appareil biplace, version qui sera privilégiée à l'avenir, l'expérience ayant conduit à constater qu'elle est la plus opérationnelle.

Madame le ministre, ce programme a payé un trop lourd tribut aux arbitrages budgétaires des programmations précédentes. Je tiens donc à rappeler avec solennité que la livraison du Rafale à nos armées ne saurait connaître un nouveau retard. Un strict respect des annuités qui lui sont dévolues dans ce projet de loi de programmation pour la période 2003-2008 est donc impératif, et vous pouvez compter sur le soutien du Parlement en vue de la bonne exécution de ce programme.

Dans le même esprit, ne serait-il pas opportun de relancer la coopération européenne en matière d'armement, qui va d'ailleurs enfin déboucher sur la réalisation de l'Airbus A 400 M ? Comme pour tout programme réalisé en coopération, la décision finale de construire l'A 400 M a été précédée de nombreux atermoiements. Du fait des retards accumulés, les trois premières livraisons à notre flotte militaire de transport interviendront à la fin de 2008, et même plus probablement au milieu de l'année 2009. Or, d'ici à cette date, les Transall les plus anciens, c'est-à-dire ceux qui ont été mis en service avant les années soixante-dix, seront progressivement retirés, à compter de 2005.

Au-delà des solutions qu'il faudra trouver pour combler ce déficit capacitaire, j'aimerais savoir, madame le ministre, quel crédit vous accordez à la proposition d'élaborer une loi de programmation militaire européenne engageant les différentes autorités nationales pour les programmes faisant l'objet d'une coopération.

Enfin, vous comprendrez que, en tant que sénateur de la Gironde, je ne puisse taire ma satisfaction de voir l'Etat confirmer son engagement de poursuivre la mise en oeuvre du programme de simulation de nos essais nucléaires, grâce au Laser mégajoule installé au Barp. Ce projet, vital pour notre politique de dissuasion, entraîne en outre de fortes retombées pour l'économie régionale, du fait des synergies unissant les équipes de chercheurs de nos pôles industriels et universitaires.

Néanmoins, madame le ministre, je ne saurais, en conclusion, dissimuler quelques craintes quant aux menaces pesant sur la nécessaire stabilité des crédits alloués à nos équipements militaires.

Vous avez d'ailleurs vous-même évoqué l'une d'entre elles lorsque vous avez présenté votre texte devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées : elle tient à l'habitude qui a été prise de financer nos opérations extérieures par la loi de finances rectificative de fin d'année, ce qui implique des annulations de crédits au titre V du budget de la défense. Or le projet de loi de programmation que nous examinons aujourd'hui prévoit la possibilité d'intégrer dans le budget de la défense les prévisions nécessaires pour faire face au financement de ces opérations extérieures. Cela aurait pour effet bénéfique de ne pas gager ces dépenses par des crédits déjà affectés aux équipements : pourriez-vous nous en dire plus sur les négociations interministérielles en cours sur ce point ?

Madame le ministre, nous apprécions, vous l'aurez compris, le caractère ambitieux et réaliste de ce projet de loi de programmation militaire. Nous craignons seulement que son exécution ne puisse être menacée par une éventuelle dégradation de la conjoncture budgétaire. Soyez assurée, madame le ministre, que le Sénat est décidé à vous apporter tout son appui dans le nécessaire effort de redressement de nos armées que vous avez engagé. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

La parole est à Mme la ministre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi d'abord de vous remercier de votre participation très active à ce débat, dont la qualité doit beaucoup à votre compétence, ainsi qu'à l'intérêt que vous portez à la défense, enjeu majeur pour l'avenir de notre pays.

Ma réponse à vos interventions et aux nombreuses questions que vous m'avez posées sera organisée selon cinq thèmes qui m'ont semblé prépondérants : certains points doctrinaux de notre politique de défense ; l'esprit de défense et le lien armée-nation, qui a été évoqué par plusieurs orateurs ; le volet financier de la programmation ; les programmes et les aspects industriels de la politique de défense ; enfin, l'Europe de la défense, sujet qui a constitué une sorte de « fil rouge » pour l'ensemble du débat.

En ce qui concerne les aspects doctrinaux, je voudrais tout d'abord évoquer le point de départ de l'élaboration des deux dernières lois de programmation, à savoir le Livre blanc, auquel ont notamment fait référence, cet après-midi même, MM. Peyrat et Pintat.

Je ferai observer que l'analyse des menaces présentées par ce Livre blanc demeure, hélas ! totalement pertinente et d'actualité. Elle intègre, en effet, la dimension du terrorisme international, qui s'était alors déjà manifestée, malheureusement, sur notre territoire, et prend également en compte la problématique et les menaces liées à la prolifération, aux réseaux mafieux et aux instabilités régionales à haut risque : le projet de loi de programmation militaire pour la période 2003-2008 se fonde sur des réflexions qui figuraient déjà dans le Livre blanc.

Cela étant, des évolutions sont bien sûr apparues depuis la rédaction de ce texte. L'armée mixte, les trois composantes de la dissuasion, le cadrage financier : autant de volets devenus très rapidement caducs. Cependant, l'obsolescence de ces notions a bien été prise en considération, j'y insiste, dans le projet de loi de programmation militaire qui vous est aujourd'hui soumis.

En vérité, la réévaluation des besoins en fonction du contexte est une exigence permanente dans un environnement très mouvant. Finalement, c'est presque d'année en année que nous sommes amenés à évoluer. Cela ne remet d'ailleurs nullement en cause la notion de loi de programmation militaire, car nous avons besoin de visibilité, mais cela exige bien entendu que nous sachions faire preuve de la souplesse nécessaire aux adaptations, qu'il s'agisse des concepts ou des financements.

A cet égard, certains d'entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, ont suggéré qu'une révision du document de base soit effectuée durant la période de programmation qui commence. Pourquoi pas ? Toutefois, force est de constater que nous avons déjà pris en compte - agir autrement eût été irresponsable - ces évolutions.

Toujours à propos des aspects doctrinaux, Mme Mathon et M. Autexier, en particulier, ont évoqué le problème de la dissuasion.

Mme Hélène Luc. Mme Mathon assiste à une réunion de commission et vous prie d'excuser son absence, madame la ministre.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. C'est tout naturel.

A mon sens, ce n'est pas au moment où le risque de prolifération nucléaire est le plus grand, comme en témoignent les événements qui se déroulent à l'heure actuelle en Corée du Nord ou les essais auxquels viennent de procéder le Pakistan ou l'Inde, que notre doctrine et notre arme de dissuasion, c'est-à-dire notre protection par la dissuasion, doivent être remises en question. Bien au contraire !

J'ai par ailleurs entendu certains propos relatifs à la dissuasion européenne, or je souhaiterais formuler une mise en garde contre l'ambiguïté de ce concept. (M. Jacques Peyrat approuve.)

Certes, la détention par la France d'un armement nucléaire contribue à la défense de l'ensemble du continent, mais il me paraît difficile d'envisager, comme cela a été suggéré, une démarche de mutualisation des capacités, et ce pour une raison toute simple : la crédibilité de la dissuasion française tient avant tout à la volonté politique souveraine de notre pays de la mettre en oeuvre si les circonstances l'exigent ; or ni cette souveraineté ni l'unicité de la volonté politique n'existent aujourd'hui à l'échelle européenne.

M. Jacques Peyrat. Bien sûr !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Nous n'avons donc aucun motif de faire évoluer notre doctrine nationale de la dissuasion. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

S'agissant du deuxième grand thème, à savoir l'esprit de défense, la professionnalisation des armées, comme l'ont indiqué notamment Mme Gourault, MM. Girod et Peyrat, rend plus nécessaire encore que par le passé l'existence d'un lien fort entre l'armée et la nation. C'est là un élément fondamental de notre tradition républicaine.

Il est toutefois vrai que ce lien est plus difficile à nouer qu'autrefois, en particulier parce que les jeunes de notre pays n'accomplissent plus de service national et ne connaissent donc plus l'armée de l'intérieur. C'est pour cette raison, et non pas simplement pour des motifs d'ordre opérationnel, que les chantiers des réserves, de l'enrichissement du contenu et des objectifs assignés aux journées d'appel de préparation à la défense et de la mise en place d'un service civil me tiennent particulièrement à coeur. Je partage totalement l'analyse de MM. Girod et Peyrat : l'esprit de défense représente un enjeu qui dépasse les compétences strictes de mon ministère. Sa diffusion générale est indispensable dans le monde que nous connaissons.

M. Paul Girod. Très bien !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Certes, j'entends néanmoins que le ministère de la défense joue un rôle d'entraînement. Telle peut finalement être sa mission : il faut convaincre certains de mes collègues d'apporter leur contribution d'une manière plus affirmée.

M. Philippe François. Notamment l'éducation nationale ! (M. Michel Caldaguès approuve.)

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. En effet, monsieur le sénateur, mais je pense aussi au ministère de la santé, qui a un rôle important à jouer. Nous devons développer, chez nos jeunes concitoyens, un sentiment fort d'appartenance à la communauté nationale, qui est une communauté de valeurs en même temps qu'une communauté de destin.

S'agissant des réserves, je ne serai pas tout à fait d'accord avec M. Peyrat, mais il me le pardonnera car il m'a dit qu'il voulait apporter un certain nombre de nuances à mes propos.

M. Jacques Peyrat. De toutes petites nuances !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Affirmer que les problèmes intérieurs relèvent des réserves tandis que l'extérieur est réservé aux armées ne correspond pas tout à fait à la réalité. Aujourd'hui, certes, des militaires interviennent sur des problèmes intérieurs, notamment en cas de grande crise, y compris la marée noire, mais ils le font essentiellement parce que ce sont des experts et, dans le cadre de leurs compétences et de leurs expertises,...

M. Jacques Peyrat. C'est vrai !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. ... en particulier par l'utilisation de certains matériels lourds que l'on ne peut pas remettre à des réservistes ou à des personnes qui ne sont pas spécialement entraînés.

Mesdames, messieurs les sénateurs, votre troisième grande préoccupation, je la comprends bien, ce sont les aspects financiers de la programmation, au premier rang desquels figure, bien sûr, l'exécution.

Comme l'a rappelé M. de Villepin, la fin des bourrages d'enveloppes dans la loi de programmation budgétaire et dès la loi de finances pour 2003 constitue la meilleure réponse au scepticisme quant aux perspectives d'exécution de la présente loi de programmation. Puisque certains ont cru bon de souligner que les précédentes lois de programmation militaire avaient connu des restrictions, des amputations dès la première année de leur application, je vous demande, mesdames, messieurs les sénateurs, de constater vous-mêmes que le budget pour 2003, première loi d'entrée en application de la loi de programmation militaire, est totalement conforme à la loi de programmation militaire. Le Gouvernement et moi-même avons bien l'intention de faire en sorte qu'il en soit de même dans les années à venir. Ce sera peut-être la première loi exécutée en entier ; je compte sur votre soutien, mesdames, messieurs les sénateurs. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

Les OPEX sont effectivement une question importante. Elles ont fait partie des mesures qui ont amputé une partie des lois de programmation précédentes, notamment par le recours aux crédits du titre V.

Tous les intervenants, notamment M. Trucy, se sont préoccupés de ce problème pour lequel une solution doit être trouvée. Un grand principe, qui représente une évolution considérable, a été arbitré. D'ailleurs, dès le budget pour 2003, les OPEX sont financés en plus, et non par prélèvements sur le titre V. Dans le budget pour 2004, une ligne spécifique, qui a d'ores et déjà été inscrite, prévoira, comme nous le souhaitons tous, un montant forfaitaire représentant une partie du coût des OPEX ; l'ajustement interviendra bien sûr en fin d'exercice car, au début de l'année, on ne sait pas sur quels théâtres d'opérations extérieures nous pouvons être amenés à intervenir.

M. Serge Vinçon, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Très bien !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. S'agissant du rapport, actuellement, la mission conjointe entre l'inspection générale des finances et le ministère de la défense est en cours et ses conclusions doivent nous être remises au début du printemps, probablement en mars. Cela nous permettra de commencer à préparer le budget pour 2004, puisque c'est la période où cela se fait.

J'en viens à un point qui n'a pas été évoqué, mais qui est lié à l'application de la loi et auquel je tiens beaucoup, je veux parler de l'information du Parlement. Vous l'avez dit et j'en suis éminemment persuadée, c'est avec votre soutien que je réussirai à faire en sorte que cette loi de programmation soit intégralement appliquée.

Dans les années à venir, la mise en oeuvre de la LOLF, la loi organique relative aux lois de finances, facilitera l'accession du Parlement aux informations, et donc le suivi de l'exécution de la dépense. Je souhaite que le ministère de la défense soit exemplaire en la matière. Nous sommes aujourd'hui à la pointe de la modernisation de l'Etat ; je souhaite que nous continuions à l'être s'agissant de sa transparence.

Sans attendre cette mise en oeuvre et répondant ainsi aux préoccupations qui ont été exprimées par le président de la commission Dulait, ainsi que par MM. Vinçon, Trucy, Peyrat et Pintat, je vous propose, mesdames, messieurs les sénateurs, qu'un suivi trimestriel de l'exécution budgétaire par vos commissions soit organisé en liaison avec mon ministère, à l'instar de ce que j'ai proposé à l'Assemblée nationale. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Vous m'avez ensuite interrogée sur les programmes et les aspects industriels.

S'agissant des drones, MM. Dulait, Vinçon, Blin et de Villepin se sont inquiétés des faiblesses de la programmation dans ce domaine. Certes, au-delà de l'équipement de l'armée de l'air et de l'armée de terre, qu'il ne faut tout de même pas négliger, l'effort inscrit dans la loi de programmation porte essentiellement sur des études. Mais c'est aussi tout l'enjeu des financements innovants que le ministère va expérimenter. Ce que je souhaite, c'est, au-delà des masses budgétaires que je vous propose de voter, de conquérir des marges de manoeuvre nouvelles pour réduire nos lacunes en termes de capacités. De ce point de vue, les drones pourraient, à l'évidence, être l'un des domaines prioritaires à traiter selon cette nouvelle orientation que sont les financements innovants.

M. Serge Vinçon, rapporteur. Très bien !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Par ailleurs, il ne faut pas oublier les coopérations possibles. En la matière, une coopération existe déjà avec les Pays-Bas. La France a choisi, je le rappelle, de présider le groupe de travail ECAP - plan d'action européen pour les capacités - sur les drones, ce qui montre bien toute l'importance que nous attachons à ce type d'équipement.

Le transport stratégique fait également l'objet des inquiétudes de MM. Vinçon, Pintat et Peyrat. Le retrait des Transall les plus anciens contribuera effectivement à réduire notre capacité de transport dans l'attente de l'A 400 M dont on a pu - enfin ! - débloquer l'ensemble du programme européen grâce, notamment, aux prises de position de l'Allemagne. Plusieurs mesures inscrites dans la loi de programmation visent à réduire les inconvénients de cette situation. Il s'agit notamment de l'acquisition des deux avions de transport à long rayon d'action, le A 330 et le A 340, et de l'acquisition de deux cargos légers, les Casa 235. Il s'agit aussi de l'utilisation de capacités d'un certain nombre de nos partenaires européens dans le cadre d'accords existants. Il s'agit encore, éventuellement, du recours à l'affrètement de gros porteurs. Cela n'a d'ailleurs rien d'extraordinaire. En effet, il nous est déjà arrivé ponctuellement, en fonction des besoins, de recourir à cette pratique.

M. Jacques Peyrat. Effectivement !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. C'est une manière d'introduire de la souplesse dans notre programmation. Il existe effectivement un problème, mais il ne me semble pas très difficile d'essayer de le résoudre.

S'agissant des matériels lourds, M. Philippe de Gaulle et Mme Jacqueline Gourault, notamment, ont évoqué le deuxième porte-avions. J'ai pris note des avantages de la propulsion nucléaire rappelés par l'amiral de Gaulle. Mais la propulsion du porte-avions n'est pas un simple élément technique : ses conséquences sont également d'ordre logistique et stratégique. Je n'apporterai pas de réponse aujourd'hui. Cela fait partie des données que, dès le vote de la loi de programmation - dès demain s'il intervient aujourd'hui -, nous soumettrons à l'examen du groupe d'experts auquel j'ai demandé d'examiner les tenants et les aboutissants des choix relatifs à la construction du deuxième porte-avions, y compris la coopération avec les Britanniques qui nous a été ouverte, avec certaines nuances qui ont été apportées ici. C'est à la suite de cette étude, qui devrait intervenir d'ici à la fin du premier semestre 2003, que les choix pourront être arrêtés. Nous aurons alors l'occasion d'en reparler dans cette enceinte.

MM. Dulait, Blin et Mme Mathon m'ont également interrogée sur certains aspects industriels, notamment sur GIAT-Industries, dont la situation préoccupe le plus nombre d'entre vous en ce début d'année. Aujourd'hui, l'adaptation de GIAT-Industries n'est pas seulement un enjeu national. Il s'agit de participer en bonne position aux évolutions qui ne manqueront pas de toucher le secteur terrestre de l'armement, et de le faire à l'échelle européenne puisque, en la matière, nous sommes à cet échelon.

L'objectif du Gouvernement est clair : ce que nous voulons, c'est redonner un avenir à GIAT-Industries. Les plans successifs ont réduit le format de l'entreprise sans régler le problème. En effet, ils n'ont pas résolu la question des déficits chroniques, qui ont été comblés au fur et à mesure par des recapitalisations successives. A la suite de ces plans arrivant à leur terme et qui finissent par désespérer les salariés sans qu'une solution soit trouvée, il faut avoir un véritable projet industriel,...

Mme Hélène Luc. Absolument ! C'est ce que Mme Mathon propose !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. ... en tenant compte des marchés, notamment, bien sûr, du marché national, mais - et c'est évident ! - pas uniquement de celui-ci. Pour répondre plus précisément à Mme Mathon, je confirme que le programme VBCI, Véhicule blindé de combat d'infanterie, est bien inscrit dans la programmation et devrait revenir à GIAT. Le programme FELIN, Fantassin à équipements et liaisons intégrés, quant à lui, est au niveau des analyses d'offres. GIAT a pris part à ces offres. D'ici à quelques semaines, voire quelques mois, nous aurons les réponses en la matière. Enfin, en ce qui concerne le maintien en condition opérationnelle, il est bien prévu que GIAT y participe, en partage avec l'armée de terre. M. Dulait notamment m'a interrogée sur DCN. Les travaux préparatoires nécessaires au changement de statut de DCN ont abouti. Ils confirment la capacité de l'entreprise à atteindre un bon niveau de performance économique et financière. Les grandes lignes du contrat d'entreprise entre l'Etat et DCN seront présentées aux organisations représentatives du personnel dans les prochaines semaines.

Les commissaires aux apports désignés pour l'opération de changement de statut de DCN ont estimé que l'opération d'apports d'actifs à la nouvelle société devait être fondée sur les comptes de l'exercice 2002 du service à compétence nationale DCN. Compte tenu des délais nécessaires aux réviseurs comptables, ces comptes seront disponibles en avril 2003. Sur ces bases, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et moi-même, nous nous sommes fixé comme objectif, pour le changement de statut de DCN, la fin du mois de mai 2003, avec un effet rétroactif au 1er janvier de cette année. Nous pensions, je l'avoue, aller plus vite mais, à la suite d'une demande de délais supplémentaires émanant des commissaires aux comptes pour nous remettre les comptes définitifs, nous avons dû reporter le changement de statut à la fin mai 2003.

D'ici là, le niveau et les conditions de la recapitalisation de la nouvelle société seront arrêtés. J'avais déjà eu l'occasion de dire lors de la discussion budgétaire que les crédits destinés à la recapitalisation de la société ne seront pas prélevés sur le budget du ministère de la défense. C'était également un des points auquel vous étiez attentifs, mesdames, messieurs les sénateurs.

La dernière rubrique porte sur l'Europe de la défense.

M. Christian de La Malène. Parlons un peu des absents ! (Sourires.)

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Parmi vous, nombreux sont ceux qui ont évoqué ce sujet. Vous avez, à des degrés divers et selon des formes différentes, émis des doutes, regretté le temps perdu et déploré l'immobilisme. Je ne suis pas aussi pessimiste que vous en la matière. Si je prends en compte le temps qui a été nécessaire pour la construction monétaire et pour mettre en place la monnaie unique, je constate qu'en matière de politique de défense européenne la progression est plus rapide et plus déterminée.

En effet, beaucoup a déjà été accompli. C'est vrai dans le domaine militaire, dans les actions, notamment en termes d'interopérabilité de nos forces ; je l'ai constaté sur le terrain et en particulier dans les Balkans. C'est vrai également dans le domaine de l'analyse de nos capacités collectives - le processus ECAP, que j'évoquais tout à l'heure - qui a bien avancé et qui, dans le courant de l'année 2003, nous permettra de connaître toutes nos lacunes. Nous avons même avancé davantage, puisque j'ai obtenu, lors de la dernière réunion des ministres européens de la défense à Rethymnon en Crète, que nous anticipions sur ces résultats et que, dans les domaines où d'ores et déjà nous avons fait le point des lacunes capacitaires, nous puissions mettre en place les groupes de travail qui nous servirons à préparer le comblement de ces lacunes aussi bien en termes d'acquisition qu'en termes de commandement.

Tels sont les sujets qui ont avancé au cours de ces derniers mois. Il ne s'agit peut-être pas de sujets grand public, mais ce sont des réalités.

De même, dans le domaine des armements, il faut noter les restructurations qui ont été mises en oeuvre, notamment dans les domaines de l'aéronautique et des missiles, où nous travaillons d'ores et déjà sous un angle complètement européen. C'est aussi la création de l'Organisation conjointe de coopération en matière d'armement, l'OCCAR, qui est une anticipation sur la future agence européenne de l'armement. C'est la multiplication des programmes en coopération, dont un certain nombre figurent d'ores et déjà dans le projet de loi de programmation militaire : le Tigre, le NH 90, les frégates multimissions, le missile Meteor, l'A 400 M. Je n'ai cité que les principaux, il en existe bien d'autres. Bien sûr - et je suis d'accord avec vous sur ce point - il faut aller plus loin. Toutefois, moi, je ne crois pas aux discours ; je crois dans la volonté politique et dans l'exemplarité.

A cet égard, le projet de loi de programmation militaire que je vous demanderai tout à l'heure de voter est un élément essentiel pour faire avancer l'Europe de la défense, parce qu'il montre la volonté de la France d'assurer sa défense, mais également d'agir dans le sens de la construction européenne. Je puis témoiger que, en l'espace de quelques mois, grâce à ce projet de loi de programmation militaire, l'atmosphère a totalement changé au sein des conseils des ministres européens de la défense. Le scepticisme voire les freins mis par certains ont été remplacés par l'évidence que la construction de l'Europe de la défense se fera parce que la France le veut et entraîne ses partenaires.

Tout n'est pas donné, bien entendu, et il me faudra sans doute du temps pour convaincre, peut-être aujourd'hui moins mes collègues les ministres de la défense que les ministres des finances, de la nécessité de consentir, un effort budgétaire afin de compléter notre défense. Mais, sur ce point également, nous avançons. Les propositions françaises, dans le cadre des travaux relatifs à la Convention européenne, illustrent cette méthode pragmatique que nous avons commencé à mettre en oeuvre et que nous entendons suivre, et c'est ainsi que nous y parviendrons.

L'Europe de la défense est aujourd'hui une motivation profonde dans la plupart des pays, et même ceux qui étaient réticents, par crainte de rester sur le bord du chemin, sont souvent aujourd'hui en train de se raccrocher à nous et font parfois preuve de zèle.

Sur le plan de la psychologie, développer des coopérations flexibles, permettant des avancées avec les pays les plus dynamiques, c'est une façon aussi d'attirer ceux qui auraient tendance à être un peu moins dynamiques et de leur donner une véritable direction.

Certains ont évoqué un budget européen de la défense, voire une loi de programmation militaire européenne. Pour « mutualiser », il faut être plusieurs, non seulement plusieurs ministres de la défense, mais également plusieurs ministres du budget.

M. Jacques Peyrat. Tout à fait !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. La mise en oeuvre d'un budget européen de la défense doit sans doute être précédée de l'affirmation d'une volonté politique commune.

M. Jacques Peyrat. Voilà !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Elle peut relever des ministres de la défense, mais pas seulement d'eux.

En tout cas, je suis persuadée que, comme l'histoire l'a toujours démontré, en particulier l'histoire européenne, c'est la volonté de quelques-uns qui entraînera celle des autres et qui contribuera à faire évoluer encore le visage de l'Europe.

La France sait que sa volonté est un élément indispensable pour faire avancer les choses. La France est confiante en elle-même et dans sa capacité à entraîner ses partenaires : son génie la porte à y exceller.

Grâce à vous, mesdames, messieurs les sénateurs, cette loi de programmation militaire nous permettra de répondre à une exigence, celle de protéger nos concitoyens sur notre territoire et partout dans le monde, à une ambition, celle de conforter l'image de notre pays, à une aspiration, celle de contribuer au maintien de la sécurité et de la paix. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l'Union centriste.)