SEANCE DU 28 NOVEMBRE 2002


La parole est à Mme Annie David, sur les crédits.
Mme Annie David. Le collège unique n'est pas une utopie, c'est une ambition. J'ai été très attentive à vos propos, monsieur le ministre.
Bien sûr, la nature ne nous a pas faits tous égaux, elle nous a faits individuellement inclassables, elle a fait de chacun de nous un individu unique dont le cheminement est particulier, dont l'intelligence est irremplaçable.
Le collège unique offre à toutes les intelligences de sortir du cloisonnement social pour acquérir les connaissances et les méthodes de pensée existantes. Il est le dénominateur commun par lequel l'individu, en s'appropriant le patrimoine commun, se lie à la communauté nationale.
Le collège unique n'est pas une idée nouvelle. Mis en place en 1975, il doit accueillir dans un même type d'établissement tous les élèves de la sixième à la troisième pour leur offrir un enseignement général identique et, pourquoi pas un enseignement technologique, comme vous le proposez - j'y serais assez favorable, mais il faudra le mettre en place -, l'objectif étant de démocratiser l'accès au savoir. Le principe d'égalité suppose que chacun soit doté par l'école de la République d'une culture commune.
Cette mission a été mise à mal ces dernières années, mais l'origine des difficultés que rencontre le collège unique ne lui est pas consubstantielle : elle plonge dans la crise du système socioéconomique et culturel que nous traversons.
Certes, le collège unique n'a pas permis d'effacer les disparités sociales dans la mesure où l'échelle des valeurs qui préside au système scolaire reflète celle de la société actuelle. Cependant, il a permis d'intégrer des enfants d'origine modeste et d'environnements culturels divers.
Ainsi, d'après un rapport du ministère réalisé en 2000, 86 % des enfants de cadres étaient bacheliers contre 56 % des enfants d'ouvriers en 1998, alors que, pour les générations des années trente, les taux étaient respectivement de 41 % et de 2 %. Par ricochet, le nombre d'étudiants a doublé en vingt ans.
En outre, si, selon Le Monde, 54 % des enseignants considèrent que le collège unique doit être abandonné, 63 % des élèves, quant à eux, estiment qu'il est un facteur de démocratisation sociale. Enfin, 72 % d'entre eux, après orientation, estiment être dans la filière de leur choix.
Par ailleurs, la création du collège unique a conduit à une élévation massive du niveau moyen de formation et donc à l'enrichissement humain de notre société.
Je ne peux que regretter que les moyens dévolus au collège unique sur tout le territoire ne soient pas à la hauteur des solutions qu'il apporte socialement. Ce manque de moyens a entraîné la pérennisation de la ségrégation sociale au lieu de la diminuer, en maintenant, par exemple, des classes de niveau, en faisant entrer la crise dans les établissements scolaires où l'enseignant, parfois, n'est plus qu'un « maton ».
Les collèges doivent gérer l'hétérogénéité des classes et des élèves à moindre coût en freinant les redoublements et en provoquant ainsi l'échec scolaire et des désordres irréversibles : nos enfants ne sont-ils plus que des marchandises que l'on « garnit » de certains savoirs selon le tri organisé à courte vue par un patronat, ou bien des consommateurs aveugles gavés d'informations chaotiques ? Certainement pas.
Il faut renforcer dès la maternelle et le primaire les enseignements fondamentaux afin de mieux préparer les élèves à l'entrée au collège. En outre, il faut diminuer la taille des classes qui n'a cessé de croître ces dernières années. Les enseignants et les élèves sont lassés de classes surchargées, faute de moyens.
A l'évidence, ce dispositif génère des inégalités, creuse les écarts entre les élèves et conduit à d'énormes disparités au niveau des établissements.
Certes la réévaluation de l'enseignement technique et professionnel est essentielle aujourd'hui, mais on peut atteindre cet objectif sans mettre au pilori le collège unique. L'orientation ne devient légitime que si chacun a reçu un enseignement commun de qualité. Il faut que le collège unique soit une enceinte où l'enseignement professionnel et technique soit proposé aux élèves au même titre que les autres filières d'orientation.
Il faut véritablement donner les moyens de son ambition au collège unique afin qu'il puisse atteindre ces objectifs. C'est donc non pas dans l'application de la régulation budgétaire à l'éducation nationale que la solution réside, mais bien dans un investissement prioritaire judicieux et effectif.
L'élève n'est ni une marchandise ni un consommateur aveugle. Il est un individu unique en développement et, en cela, il a droit à un enseignement général, seul garant d'une orientation personnalisée, choisie et adaptée.
L'ambition du collège unique réussi est le dénominateur commun qui manque à notre société.
M. le président. La parole est à Mme Hélène Luc.
Mme Hélène Luc. Monsieur le ministre, je veux évoquer très rapidement une problématique sur laquelle vous avez vous-même mis l'accent, celle de la revalorisation de l'enseignement professionnel. Mon amie Annie David, à qui j'ai passé le relais, a parfaitement dépeint la situation dans son excellent rapport pour avis, en examinant les causes et les solutions de fond.
En tant que parlementaire intervenant avec passion et conviction depuis fort longtemps sur les questions de l'éducation, en tant qu'élue du département du Val-de-Marne, je m'implique en permanence avec les acteurs de l'école, au sein du conseil départemental de l'éducation nationale, du conseil d'université de Paris-XII et du conseil d'administration de l'IUFM de Créteil.
Oui, l'enseignement professionnel a vocation à être une voie de pleine réussite et d'accomplissement socioprofessionnels. Oui, l'enseignement professionnel a commencé à se transformer et à se moderniser, grâce à l'aide importante apportée par les régions et par certains départements comme le mien. Nous connaissons quelques exemples de lycées professionnels dans lesquels les élèves arrivent plus jeunes et dans de meilleures conditions de réussite, aidés grandement par les enseignants. Oui, l'enseignement professionnel offre de nombreux débouchés porteurs et gratifiants. Mais il faut créer de très nombreuses formations nouvelles, y compris pour les filles.
Ainsi, nous avons l'honneur, à Choisy-le-Roi, d'accueillir désormais l'Imprimerie nationale ; le directeur nous faisait part récemment de la pénurie de commerciaux que connaissait ce secteur. Nous allons donc demander la création d'une telle filière. J'espère que vous l'accepterez, monsieur le ministre.
Alors, pourquoi l'enseignement professionnel demeure-t-il inéluctablement, en dépit des multiples et successives campagnes de revalorisation, une affectation et une orientation plus souvent subies que choisies, comme l'a dit Ivan Renar ?
Pourquoi cet enseignement donne-t-il lieu à tant de sorties précoces et sans qualification ? Il y a, à la racine de ces phénomènes, la question persistante de l'échec scolaire qui frappe très tôt, dans leur scolarité, une frange importante des enfants.
Quelles que soient la pertinence et la portée de tel réaménagement, rééquilibrage, de telle action d'information ou de promotion, de telle campagne de sensibilisation, force est de constater que les résultats obtenus, au fil du temps, sont particulièrement faibles et décevants. Mon propos est inspiré non pas le pessimisme ou par une volonté polémique, mais véritablement par l'expérience, par l'histoire des politiques éducatives et par la volonté de faire de l'enseignement professionnel une filière noble sur la base de la réussite scolaire et de la création de la licence professionnelle, qui en est un élément.
Aussi, monsieur le ministre, il est démontré de longue date que c'est très en amont qu'il faut prévenir, agir, remédier : en fin de maternelle, le patrimoine linguistique varie déjà du simple au double selon les enfants, et un enfant qui redouble le CP a dix fois moins de chance qu'un autre d'obtenir le bacalauréat. Ces deux réalités suffisent à illustrer mon propos. Il est nécessaire de développer dans les écoles, à grande échelle là où c'est nécessaire, les dispositifs d'aide, de prise en charge individuelle et par petits groupes pour entraver le processus irréversible de l'échec.
Cela coûtera cher, mais cela sera plus efficace et plus enthousiasmant que de construire des prisons pour les enfants âgés de moins de treize ans, comme je l'ai dit à M. Sarkozy au mois de juin dernier.
Tel est le véritable défi qui nous est lancé pour le XXIe siècle. Bien entendu, tout ne dépendra pas de l'éducation nationale. Néanmoins, l'apport des enseignements spécialisés, des réseaux d'aide et de soutien serait beaucoup plus important si ces derniers pouvaient répondre aux besoins.
Depuis la suppression des GAPP, les groupes d'aide psychopédagogique, la dispersion et le manque de moyens des RASED, les réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté, ne permettent pas d'accomplir les missions indispensables à la lutte contre l'échec.
Les départements de la Seine-Saint-Denis, du Val-de-Marne, du Gard, des Bouches-du-Rhône, de la Loire-Atlantique ont obtenu des mesures de rééquilibrage, voilà deux années, en menant des actions déterminées.
Les acquis doivent être confortés et non pas remis en cause par des retraits d'emplois ou par l'absence de structures d'aide. C'est l'inquiétude qui s'est exprimée avec force aux conseils départementaux de l'éducation nationale, jeudi dernier, et c'est pourquoi ces enseignants participeront à la manifestation du 8 décembre prochain.
Je veux protester aussi contre la manière de procéder, c'est-à-dire contre la suppression des crédits avant le vote du budget, alors même que la commission n'en a pas été avertie.
Monsieur le ministre, nous serons là, soyez-en sûr, pour vous apporter notre appui, car la majorité sénatoriale va voter la réduction des crédits de l'éducation nationale.
M. le président. Veuillez conclure, madame Luc.
Mme Hélène Luc. Je termine, monsieur le président. Le plan d'envergure qui requiert un combat efficace contre l'échec scolaire reste à concevoir et à mettre en oeuvre avec l'engagement de la nation tout entière. Ce plan passe non pas par la diminution des aides-éducateurs, dont vous transformez le rôle et qui ne seront plus payés par l'éducation nationale - nous ferons le bilan, monsieur le ministre ! - mais par une formation renouvelée et améliorée de la formation des enseignants. Ceux de l'IUFM de Créteil ont, pendant deux jours, réfléchi et échangé leurs opinions sur la formation ; ils ont fait des suggestions.
M. le président. Madame Luc, je vous prie de conclure.
Mme Hélène Luc. Vous avez vous-même déclaré à juste raison, monsieur le ministre, vouloir tenir compte des expériences qui ont été conduites. Alors, réfléchissons et proposons ensemble ! A cet égard, je vous invite à vous rendre à l'IUFM de Créteil.
Je renouvelle ma proposition de revenir aux IPES afin d'encourager les vocations d'enseignants dont le métier reste l'un des plus beaux du monde.
Votre projet de budget est loin d'être à la hauteur des nécessités. La croissance prévue ne sera pas au rendez-vous et des crédits seront gelés.
M. le président. Concluez, madame Luc !
Mme Hélène Luc. Je voudrais enfin que vous gardiez en mémoire la belle image de notre hémicycle, monsieur le ministre, lors des journées hugoliennes sur l'exil et la tolérance qui réunissaient quelque 250 collégiens et collégiennes. L'une d'entre elles vous a demandé pourquoi le budget des affaires militaires augmentait tant alors que celui de la recherche stagnait.
Alors, gardez cette idée ; il faut écouter ces collégiens, et nous les y aiderons !
M. Ivan Renar. Comme l'aurait dit Maurice Thorez, il faut savoir terminer une intervention au Sénat ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Ivan Renar, pour explication de vote.
M. Ivan Renar. Mon explication de vote est plutôt un rappel au règlement sur l'organisation de nos travaux.
Le président de la commission des finances a exhorté tout à l'heure le ministre de l'éducation nationale à réaliser des économies dans le cadre des crédits que nous examinons. Il suivait en cela les propos tenus par le rapporteur général lors de l'examen de la première partie du projet de loi de finances : « Le Parlement doit demander aux ministres de faire preuve de transparence, de clarté dans l'exposé de leurs motifs et de rigueur dans la gestion. Nos rapporteurs spéciaux joueront pleinement leur rôle en énonçant leurs idées de réduction ciblée de la dépense. L'ambition de la commission des finances du Sénat est de faire qu'au terme de l'examen de cette loi de finances le déficit ne soit pas simplement maintenu à son niveau actuel, mais réduit d'au moins 100 millions d'euros. »
Cette situation pour le moins originale intervient alors même que la commission des affaires culturelles, intéressée au premier chef par l'examen, des crédits de l'enseignement scolaire, n'a été ni réunie ni simplement consultée. Aussi j'interroge le président de la commission des affaires culturelles, notre collègue Jacques Valade, sur la nécessité de réunir à nouveau la commission qui a discuté et délibéré d'un budget différent de celui que nous allons devoir voter en définitive. Je trouve cette situation profondément anormale, voire aberrante. Je n'en dirai pas plus.
J'avais déjà des raisons de voter contre les budgets, alors, à présent, je n'aurai pas trop de mes deux bras pour voter !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Je me permettrai de rappeler solennellement à notre collègue Ivan Renar que nous sommes en période de discussion budgétaire, car son rappel au règlement matinal tendait à accréditer l'idée que nous étions dans une autre discussion.
La commission des finances, comme chacune des commission du Sénat, a commencé l'examen du projet de loi de finances sur la base du texte adopté par le conseil des ministres à la fin du mois de septembre.
Le Gouvernement, désireux de jouer la carte de la transparence et de la sincérité, a fait le constat, il y a quelques jours, que les prévisions pour 2003 devaient être révisées à la baisse, de même que les ressources fiscales attendues ; il convenait donc de modifier l'article d'équilibre.
Les travaux de la semaine passée, mes chers collègues, n'ont pas été conduits dans l'intimité. Ils ont eu lieu ici, en séance publique, et l'ensemble des sénateurs a pu participer à la discussion, monsieur Renar. Peut-être M. Thierry Foucaud vous a-t-il tenu informé de ce qui s'était dit en séance.
Nous n'entendons pas contrarier en quoi que ce soit la discussion budgétaire ; nous voulons seulement - et en cela, monsieur le ministre, nous faisons oeuvre de pédagogie - que nos concitoyens, que nous respectons profondément, prennent conscience de ce qu'on ne peut pas indéfiniment constater des baisses de recettes sans tenter de réduire les dépenses.
Laisser filer le déficit public, monsieur Renar, c'est faire payer demain par nos enfants les charges qu'aujourd'hui nous n'avons pas le courage d'assumer complètement.
M. René-Pierre Signé. De l'enseignement au ministre de l'enseignement !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires culturelles.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Mes chers collègues, j'ai lu dans la presse ce matin l'appel lancé par M. le président de la commission des finances...
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Je l'ai lancé hier soir, et cela s'est passé ici !
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Je l'ai lu dans la presse ce matin.
Mme Hélène Luc. Ce n'est pas mal, ça !
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. J'ai donc été informé par voie de presse, et je suppose que l'appel que vous avez lancé était assorti de l'accord des commissaires de la commission des finances.
Ce qui est sûr, c'est qu'en début de séance vous avez indiqué que vous souhaitiez qu'un effort soit fait par les différents ministères, en dehors de ceux dont les crédits sont « sanctuarisés », c'est-à-dire la défense, la justice et l'intérieur, pour que le budget s'accorde aux nécessités nouvelles et soit aussi équilibré que possible, c'est-à-dire que le déficit soit aussi réduit que possible.
Nous suivons ces indications, nous nous inscrivons dans cette volonté partagée par la majorité, au Sénat comme à l'Assemblée nationale, et, bien entendu, nous sommes solidaires de M. le ministre de l'éducation nationale.
Ce qui est sûr aussi, et je réponds là à M. Renar, c'est que la commission des affaires culturelles n'a pas eu, même si vous avez dès hier soir lancé votre appel, monsieur Arthuis, la possibilité de se réunir et d'examiner dans quelles conditions nous pouvions aller dans le sens que vous nous indiquez.
En tant que président de la commission des affaires culturelles du Sénat, mais également à titre personnel, compte tenu des conclusions des rapporteurs de notre commission, mais également des conclusions des rapporteurs de la commission des finances, je vous confirme que notre avis favorable sur les crédits proposés par M. le ministre subsiste. Il changerait peut-être si d'autres dispositions étaient prises, mais dans, ce cas, il faudrait d'abord que ces dispositions soient formulées, et ensuite, que nous ayons la possibilité de les étudier effectivement, si nécessaire dans le cadre d'une réunion exceptionnelle de la commission.
M. le président. La parole est à M. Claude Biwer, pour explication de vote.
M. Claude Biwer. C'est sans état d'âme que je voterai ce projet de budget.
Nous avons beaucoup parlé de l'alternance et des possibilités nouvelles qui pourraient s'offrir dans ce cadre, mais sauf à être mal informé, je ne crois pas qu'il ait été précisé à partir de quel niveau l'alternance serait possible, d'autant que nous entendons aussi dire que la formation devrait peut-être être identique pour tous jusqu'à seize ans.
Etant élu de la Meuse, j'ai participé à des opérations à caractère transfrontalier, et j'ai pu constater qu'en Belgique comme au Luxembourg les filières d'alternance sont ouvertes beaucoup plus tôt qu'en France aux jeunes, qui disposent ainsi d'un plus large choix de possibilités. J'aurais donc souhaité que M. le ministre puisse m'indiquer à partir de quel niveau l'alternance sera permise.
M. le président. Je mets aux voix les crédits figurant au titre III.

(Ces crédits sont adoptés.)
M. le président « Titre IV : 165 342 483 euros. »