SEANCE DU 22 NOVEMBRE 2002


M. le président. « Art. 4. - Au troisième alinéa du 1° de l'article 199 sexdecies du code général des impôts, la somme : "6 900 EUR" est remplacé par les mots : "7 400 EUR et de 10 000 EUR pour les dépenses engagées à compter du 1er janvier 2003". »
Je suis saisi de cinq amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° I-62 est présenté par MM. Miquel, Angels, Auban, Charasse, Demerliat, Haut, Lise, Marc, Massion, Moreigne, Sergent et les membres du groupe socialiste et apparenté.
L'amendement n° I-141 est présenté par M. Foucaud, Mme Beaudeau, M. Loridant et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
« Supprimer cet article. »
L'amendement n° I-122, présenté par MM. Chérioux, Bizet et P. Blanc, Mme Bout, MM. Braye, César, Del Picchia, Doublet, Dubrule, Fournier, Gournac, Leroy, Murat et Natali, Mme Olin, MM. de Richemont, Rispat, Schosteck, Trillard et Vasselle, est ainsi libellé :
« Rédiger comme suit la fin de cet article : "... est remplacée par la somme de 10 000 EUR". »
L'amendement n° I-142, présenté par M. Foucaud, Mme Beaudeau, M. Loridant et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« A la fin de cet article, supprimer les mots : "et de 10 000 EUR pour les dépenses engagées à compter du 1er janvier 2003". »
L'amendement n° I-63, présenté par MM. Miquel, Angels, Auban, Charasse, Demerliat, Haut, Lise, Marc, Massion, Moreigne, Sergent et les membres du groupe socialiste, est ainsi libellé :
« A. - Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
« II. - Après la première phrase du même alinéa, il est inséré une phrase ainsi rédigée : "Ce plafond est limité à 6 900 euros pour les contribuables dont le revenu au sens de l'article 197 du code général des impôts excède 47 131 euros." ; »
« B. - En conséquence, faire précéder le premier alinéa de cet article de la mention : "I. -". »
La parole est à M. Jean-Pierre Masseret, pour défendre l'amendement n° I-62.
M. Jean-Pierre Masseret. Par cet amendement, le groupe socialiste propose de supprimer cet article.
L'octroi d'une réduction d'impôt pour favoriser les emplois à domicile est plutôt une bonne mesure. Elle permet de sortir les emplois concernés de la clandestinité. Elle leur donne un statut officiel : il s'agit de vrais emplois. Ces emplois sont utiles. Cependant, la mesure fiscale doit être calibrée et organisée autour de la notion d'équité fiscale. Or ce n'est pas le cas de cet article 4, qui représente, par ailleurs, un fantastique effet d'aubaine puisqu'il concerne également les revenus de 2002 déclarables en 2003.
Cet article nous est présenté comme devant favoriser l'emploi. Or ce n'est pas vrai, puisqu'il s'appliquera à des revenus de 2002, qui n'ont donc pas donné le résultat escompté. Aussi, nous nous opposons à l'adoption de cet article.
Si vous me le permettez, monsieur le président, je vais défendre également dès à présent l'amendement n° I-63. Il s'agit d'un amendement de repli, qui vise à réduire le plafond de la réduction d'impôt pour les contribuables qui sont imposés au titre de la dernière tranche du barème de l'impôt sur le revenu.
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, pour défendre l'amendement n° I-141.
M. Thierry Foucaud. Ce débat sur la majoration du plafond de dépenses éligibles au titre de la réduction d'impôt pour l'emploi de salariés à domicile est déjà relativement ancien. En effet, la majorité parlementaire actuelle avait sensiblement relevé ce plafond dans la loi de finances pour 1996, au motif que la réduction d'impôt concernée était porteuse de création d'emplois ou, plutôt, de limitation du recours au travail non déclaré, argument que nous avons encore entendu voilà quelques instants.
Pour ce qui nous concerne, nous demeurons convaincus du caractère profondément inégalitaire de la disposition visée par l'article 4. Pour voir un lien entre la disposition qui nous est proposée et la réalité sociologique des familles concernées par la pleine application de la mesure, il n'y a qu'un pas, que nous faisons sans trop d'hésitation. En effet, par sa consistance, par le montant des dépenses prises en compte, la réduction d'impôt pour l'emploi d'un salarié à domicile s'adresse directement aux contribuables les plus aisés.
Prenons un exemple pour bien mesurer les choses : une base de réduction d'impôt de 7 400 euros, c'est-à-dire une baisse de la cotisation de 3 700 euros, ne concerne pas le commun des contribuables puisque la cotisation moyenne de l'impôt sur le revenu est inférieure à 3 000 euros et qu'un grand nombre de contribuables acquittent une cotisation inférieure à 1 500 euros. C'est donc bel et bien un article d'évasion fiscale organisée qui nous est proposé avec cet article 4 du projet de loi de finances.
Enfin, j'évoquerai un dernier point pour ceux qui seraient tentés de justifier, plus ou moins, la pertinence de la mesure par le fait qu'elle prendrait en compte les besoins de contribuables âgés, en situation de dépendance, par exemple. Ce que prévoit l'article, c'est un relèvement du plafond des dépenses éligibles, et la mesure n'a finalement de portée que pour les contribuables acquittant au moins 3 450 euros de cotisations d'impôt, et non pas pour ceux qui sont d'ores et déjà en situation d'être non imposables.
Pour mémoire, je rappelle que, pour un contribuable célibataire, une cotisation d'impôt de 3 450 euros correspond à un revenu net imposable de plus de 21 000 euros, c'est-à-dire environ 30 000 euros de revenu brut imposable. Dois-je rappeler qu'il s'agit de montants supérieurs de 50 % au revenu moyen imposable en France ? Ne serait-ce que pour ces raisons, nous vous demandons, mes chers collègues, d'adopter cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jean Chérioux, pour présenter l'amendement n° I-122.
M. Jean Chérioux. Cet amendement vise à modifier la disposition telle qu'elle a été adoptée par l'Assemblée nationale, en revenant au plafond de 10 000 euros.
Nous avons entendu, voilà quelques instants, nos deux collègues de gauche. Je l'avoue, j'ai été un peu étonné, surtout par les propos de M. Foucaud. Il a parlé d'« évasion fiscale ». Or une évasion fiscale pour 1 540 000 personnes, ce n'est plus de l'évasion, c'est une hémorragie ! Les 1 540 000 personnes concernées ne sont pas des fraudeurs, elles paient des impôts. De surcroît, le dispositif dont elles ont bénéficié a peut-être allégé le problème de la garde des enfants, qui est crucial, et que vous connaissez bien puisque vous êtes des élus locaux. Les termes que vous avez utilisés sont inappropriés, mon cher collègue. Il est bien triste de recourir à de tels arguments.
Quant à notre collègue Masseret, qui a bien sûr été beaucoup plus nuancé, il a parlé de calibrage. C'est sur ce point que je ne suis pas d'accord avec lui. Le calibrage qu'il envisage n'est pas bon. En effet, s'il l'avait été, la réduction du montant du plafond, en 2000 ou en 2001, ne se serait pas traduite par une diminution du nombre d'emplois. Le calibre était trop petit. Il aurait fallu qu'il fût un peu plus gros pour obtenir l'effet sur l'emploi que nous souhaitons aujourd'hui.
J'ajouterai quelques mots sur la question de la régularisation, que vous avez peu évoquée. Si nous avons assisté à une réduction du nombre d'emplois, c'est parce que certains d'entre eux sont redevenus des emplois au noir, ce qui n'est pas bon. En outre, un emploi au noir se traduit par une perte de recettes pour la sécurité sociale.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Absolument !
M. Jean Chérioux. C'est un effet dont vous ne tenez pas compte. Or tous les emplois qui ont été créés grâce à ces mesures ont généré des recettes pour la sécurité sociale. Pour cette seule raison, il faut voter l'amendement que je propose.
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, pour présenter l'amendement n° I-142.
M. Thierry Foucaud. Il s'agit d'un amendement de repli.
M. le président. L'amendement n° I-63 a déjà été défendu.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Nul ne pouvait mieux défendre la mesure de réduction d'impôt pour l'emploi d'un salarié à domicile que Jean Chérioux. Ses propos ont été extrêmement clairs. Il a utilisé tous les bons arguments. Je ne reviendrai donc pas sur sa démonstration, que la commission partage totalement.
Mes chers collègues, pourquoi incriminer les employeurs de ces personnels à domicile et refuser de voir l'intérêt des employés ? En effet, cette mesure a une finalité sociale. Peu importe le niveau de revenus de celui qui vous emploie pourvu que vous ayez un salaire vous permettant de vivre décemment ; peu importe le niveau de revenus de celui qui vous emploie pourvu que votre situation soit stable, qu'elle vous accorde tous vos droits sociaux et que vous ne souffriez pas de la précarité ni des incertitudes du travail au noir.
Si l'on a une vision sociale des choses, mieux vaut regarder l'intérêt des personnes qui pourront garder des enfants, assister des personnes âgées ou se livrer à différentes tâches ménagères. Il ne faut pas caricaturer ces emplois. Il serait trop injuste de faire un tri entre les emplois et, en quelque sorte, de frapper d'opprobre des métiers qui sont nécessaires dans notre société (M. Philippe de Gaulle acquiesce) et que peuvent exercer des personnes qui n'ont peut-être pas un haut niveau de formation universitaire ou un niveau technique sanctionné par de nombreux diplômes. Or ces personnes doivent pouvoir vivre, s'assumer et prendre en charge leur famille. Il s'agit donc d'une mesure sociale prise en faveur de ces personnes. S'agissant de leurs employeurs, monsieur Foucaud - et veuillez me pardonner de vous emprunter une expression en l'occurrence excessive -, j'ai eu l'impression que vos raisonnements étaient des raisonnements de classe.
M. Henri de Raincourt. Bien sûr !
M. Jean Chérioux. Eh oui !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Ces raisonnements sont issus d'une approche idéologique de la société.
M. Henri de Raincourt. Effectivement !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Ces employés que l'on va ainsi aider à disposer d'emplois stables, c'est, à mon avis, eux qu'il faut voir en priorité, dans le souci du réalisme et de l'équité sociale.
Compte tenu de ces observations, la commission, vous l'aurez compris, mes chers collègues, émet un avis défavorable sur les amendements n°s I-62, I-141, I-142 et I-63.
Quant à l'amendement n° I-122, présenté par M. Jean Chérioux, il est pour nous une sorte de cas de conscience. En effet, du point de vue que je viens de défendre, la mesure était meilleure dans la version du Gouvernement que dans celle qui a été retenue par l'Assemblée nationale. Cela étant dit, nos collègues députés ont exprimé leur point de vue. Ils se sont efforcés de trouver ce qui, à leurs yeux, constituait un juste compromis. Ils ont pris des engagements ; ils se sont exprimés comme ils l'ont fait parce qu'ils ont senti que la situation politique, que parfois nous apprécions différemment d'eux, les y conduisait. Si nous revenions sur leur vote - et nous allons retrouver nos collèges députés en commission mixte paritaire -, ne nous donnerions-nous pas une satisfaction un peu illusoire ? En fait, nous aurons, à la fin de cette discussion, mes chers collègues, assez sensiblement enrichi le texte du Gouvernement de dispositions du Sénat. Evitons donc de déclencher des réactions qui sont, parfois, des réactions d'amour propre d'une assemblée par rapport à l'autre. Tâchons de vivre un bicamérisme apaisé, dans le respect des spécificités de chacun. C'est pour cette raison que j'inciterai Jean Chérioux à retirer son amendement.
M. le président. Monsieur Chérioux, l'amendement n° I-122 est-il maintenu ?
M. Jean Chérioux. Non, monsieur le président, je le retire. Je suis sensible à la demande que m'a faite M. le rapporteur général. Il ne saurait être question de créer des difficultés avec nos amis de l'Assemblée nationale. Nous avons simplement voulu marquer notre souci. Je crois que c'est très bien ainsi.
M. le président. L'amendement n° I-122 est retiré.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Lambert, ministre délégué. Je tiens tout d'abord à remercier Jean Chérioux de la décision qu'il vient de prendre. Elle m'évite des problèmes de conscience.
J'en viens aux quatre amendements qui sont encore en discussion. Je dirai à leurs auteurs que l'on ne peut pas durablement faire croire que l'on est pour l'emploi en étant contre les employeurs. Il faudra, un jour, clarifier cette vision des choses.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Exactement !
M. Alain Lambert, ministre délégué. Le Gouvernement est pour l'emploi, il est pour les familles et il propose des dispositifs qui favorisent l'emploi dans les familles. On ne peut pas dire que ce soit compliqué, c'est même d'une simplicité biblique. Je pense que cette position doit pouvoir recueillir la quasi-unanimité du Sénat.
L'aspect évoqué par M. Jean-Pierre Masseret, c'est, en quelque sorte, l'économie souterraine. Il faut que nous soyons, les uns et les autres, conscients que les personnes qui ne sont pas déclarées sont souvent les plus démunies : ce sont celles qui n'ont pas de couverture sociale, ce sont celles qui ne cotisent pas pour leur retraite. Il va de soi que, si nous allégeons le coût de ce travail en réduisant l'impôt de l'employeur, nous ouvrons la possibilité à un certain nombre d'employeurs et de salariés de régulariser leur situation, ce qui générera des cotisations sociales supplémentaires. C'est tout à fait positif.
Or les quatre amendements qui nous sont proposés se situent à l'opposé de cette logique. Cela me conduit à demander au Sénat de les rejeter.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Masseret, pour explication de vote sur les amendements identiques n°s I-62 et I-141.
M. Jean-Pierre Masseret. Je vais tenter de répondre à la volonté de culpabilisation que j'ai ressentie de la part du rapporteur général, M. Philippe Marini, et du ministre, M. Alain Lambert.
Je n'ai jamais pris position contre les hommes et les femmes qui exerçaient ce type d'activités. Ce sont des activités nobles, normales, qui méritent le respect, au même titre que toute autre activité. Cela permet effectivement de sortir de la clandestinité, d'exercer une vraie activité, d'avoir une vraie rémunération, une couverture sociale, d'acquitter des charges sociales, le cas échéant, et de bénéficier de prestations. Je n'ai donc jamais pris position contre cette réalité-là.
J'ai simplement voulu dire que ce service apporté à des ménages disposant de revenus relativement importants allégeait les charges personnelles des familles concernées en leur permettant, éventuellement, d'exercer d'autres activités pendant que les personnes employées assumaient à leur place des charges domestiques. J'ai ajouté que cela méritait peut-être une réduction d'impôt, mais qu'il ne fallait pas pour autant porter le montant de la réduction au-delà de ce qui me paraît responsable et raisonnable, compte tenu de ce qui peut être pris en charge par ces ménages qui disposent de revenus relativement importants.
C'est simplement cela que j'ai voulu signifier, à travers les amendements que j'ai présentés tout à l'heure. Que l'on ne me fasse pas dire ce que je n'ai pas dit ! J'ai ressenti ces accusations comme une intimidation.
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, pour explication de vote.
M. Thierry Foucaud. Contrairement à mon collègue Jean-Pierre Masseret, que je respecte, je ne culpabilise pas. Le point que j'ai soulevé tout à l'heure, ce n'est pas la question de l'emploi, c'est le fait que les employeurs puissent payer la personne qu'ils emploient, d'autant que, en principe, ils ont de l'argent. Or lorsque leurs employés demandent à bénéficier de l'augmentation du SMIC, ils ne veulent pas la leur accorder. On est à ce niveau-là. D'ailleurs, monsieur le ministre, souvent ces employés sont mal payés je ne dirais pas qu'ils sont maltraités, mais s'ils le sont moins qu'auparavant, ils sont corvéables.
S'agissant de l'emploi, je vous réitère la question que j'ai posée hier lors de la discussion générale : que le Gouvernement compte-t-il faire pour éviter la suppression, annoncée par l'INSEE - ce chiffre n'émane donc pas de notre groupe -, de 80 000 emplois dans notre pays entre octobre dernier et décembre 2002 ? En ce qui concerne l'emploi, je ne pense pas que le Gouvernement et la majorité sénatoriale prennent des dispositions allant dans le bon sens. Ce n'est pas la disposition que nous examinons en ce moment qui favorisera l'emploi, puisqu'elle générera des pertes des recettes et d'impôt. Elle ne permettra pas d'affecter l'argent là où il le faut : pour l'emploi et pour la formation.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques n°s I-62 et I-141.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° I-142.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° I-63.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 4.

(L'article 4 est adopté.)

Articles additionnels après l'article 4