SEANCE DU 18 NOVEMBRE 2002


M. le président. Je suis saisi, par M. Fischer, Mme Demessine, M. Muzeau et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n° 1, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Cette motion est ainsi rédigée :
« En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2003, adopté à l'Assemblée nationale (n° 47, 2002-2003). »
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Guy Fischer, auteur de la motion.
M. Guy Fischer. Dans un article intitulé « Assurance maladie : le faux procès », publié dans Le Monde du 9 novembre 2002, vous accusez, monsieur le ministre de la santé, l'opposition d'agiter « le spectre honteux de la médecine à deux vitesses »...
M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis. Mais oui !
M. Guy Fischer. ... « et celui de la privatisation de notre sécurité sociale [...] faute de motifs sérieux de critique » de votre politique d'assurance maladie.
Je consacrerai les développements qui vont suivre à vous prouver que les parlementaires communistes formulent des griefs de fond contre ce projet de loi qui, mine de rien, pose des jalons pour préparer les futurs et profonds bouleversements de notre système de protection sociale.
Non, le Gouvernement ne fait pas l'objet de procès d'intention. En ce qui concerne l'assurance maladie, les déclarations des uns, celles des autres, celles de M. Barrot, faisant suite à celles de M. le Premier ministre, confirmées depuis par M. Fillon, sur le champ de compétences de l'assurance de base et de l'assurance complémentaire, ne sont pas innocentes. Ce sont autant de ballons d'essai lancés pour commencer à conditionner l'opinion publique, lever certains tabous pour que, demain, à l'occasion des textes que vous annoncez - loi de programmation annuelle sur la santé ou loi portant sur la nouvelle gouvernance de l'assurance maladie -, vous puissiez faire accepter la mise en concurrence des assurances dans le domaine de la santé. L'idée n'est pas nouvelle : elle est régulièrement avancée comme étant la solution pour maîtriser les dépenses de santé.
Le député que vous étiez hier, monsieur le ministre, n'a-t-il pas plaidé, dés 1998, en faveur d'un autre partage des rôles pour un système de santé qui, selon vos propres termes, « concilie la fin du monopole avec le maintien d'une solidarité » ?
Le MEDEF, présentant en novembre 2001 sa vision de l'architecture de l'assurance maladie, n'a-t-il pas proposé d'introduire une dose de concurrence dans notre système de santé ? Il n'y a, dans votre position et dans celle du MEDEF, aucune place au hasard, mais une même et unique volonté.
Les enjeux présidant à la mise en place d'un panier de soins remboursables à 100 %, approuvé par le Parlement, garanti par l'assurance maladie obligatoire, couplé à une assurance facultative pour les autres soins ou à la concentration de la solidarité nationale sur les maladies les plus graves, laissant les autres risques - ceux que M. Barrot nomme « le maintien en santé » - aux assurances complémentaires sont les mêmes.
Il s'agit, bien évidemment, de réduire de façon drastique le champ des risques couverts solidairement par notre système de protection sociale pour ouvrir encore davantage ou, plus exactement, comme l'a déclaré Marc Blondel, pour « céder une partie de la santé au système marchand ».
Or, quelle que soit la conception de la concurrence mise en place « entière », comme celle qui est pratiquée aux Etats-Unis par le biais des acheteurs de soins privés, ou « partielle », permettant aux assureurs d'accéder à des segments de marchés à l'instar de l'Allemagne, comme vous l'avez dit vous-même tout à l'heure, « la concurrence ne fait pas de miracle », ainsi que le titre très justement l'enquête publiée ce moi-ci dans le magazine Liaisons sociales .
Les résultats en matière d'évolution des dépenses de soins sont loin d'être si convaincants que cela. En revanche, la qualité des soins et celle du système de santé apparaissent très largement dégradées.
La situation en Allemagne n'est pas meilleure. La semaine dernière, les professionnels de santé ont manifesté pour marquer leur rejet du nouveau plan d'austérité.
Le Quotidien du médecin du 12 novembre 2002 rapporte, très objectivement d'ailleurs, que le Gouvernement a décidé de rapporter une mesure introduite en 1995 permettant aux assurés sociaux de s'affilier auprès de la caisse de leur choix, « mesure pourtant censée diminuer les cotisations en faisant jouer la concurrence ».
L'exemple des Pays-Bas, qui s'inscrit dans une pratique encadrée de la concurrence, montre - je n'ai pas copié sur vous, monsieur le ministre !...
M. Jean-François Mattei, ministre. Je vous ai précédé !
M. Guy Fischer ... que la relative stabilité des dépenses de santé dans le PIB ne doit pas être attribuée à la concurrence instaurée, mais - je cite notamment Jean de Kervasdoué, le professeur si connu - « qu'elle est le résultat d'une moindre qualité de l'offre de soins et d'un rationnement qui se traduit par des listes d'attente importantes ».
Nous ne caricaturons nullement les intentions de ce gouvernement. Si les syndicats ont unanimement et vigoureusement réagi contre les propos du chef de file de l'UMP, c'est bien, monsieur le ministre, parce que ces déclarations sont attentatoires à un droit fondamental : le droit à la santé. Parce que, plus globalement, elles tournent le dos aux principes fondateurs de la sécurité sociale.
Le débat sur la redéfinition de la place de la solidarité nationale que vous relancez aujourd'hui, notamment en chargeant Jean-François Chadelat d'animer un groupe de travail sur ce thème, dépasse très largement les seules considérations comptables.
La CFE-CGC craint « un retour en arrière de plus de cinquante ans, dans la mesure où on ne soignerait de manière solidaire que les graves maladies ou les plus démunis... » D'aucuns avancent que le système français de protection sociale ne serait plus adapté aux besoins contemporains.
Notre système, vous le savez, s'est construit dans un contexte historique, économique et social particulier. Pour autant, la philosophie qui l'anime demeure fondamentale à nos yeux. Le choix de réponses solidaires a indiscutablement permis de construire la modernité de notre société tout en accompagnant les réformes nécessaires à la France.
Au-delà de la couverture contre les aléas de la vie, la sécurité sociale s'est révélée être un formidable instrument pour construire une société plus juste, plus égalitaire.
Ce système nous est envié dans le monde entier. Pour le sauvegarder, lui permettre d'appréhender les nouvelles formes d'insécurité sociale, il convient de ne pas changer tant les règles du mode de financement que celles qui sont relatives à la gestion, selon le schéma que vous tracez, à savoir un financement via l'impôt et non plus au travers des cotisations sociales, ce qui aboutirait à la fin du paritarisme.
Pour élargir le périmètre de la protection sociale, nous devons choisir de consacrer à la santé, mais également aux retraites, et, demain, à la dépendance ou au handicap, une part importante de la richesse nationale produite par le travail de chacun et faire en sorte que l'ensemble des revenus contribue au financement de la protection sociale.
Attachons-nous également à donner du sens à ce que vous appelez « la nouvelle gouvernance » du système de santé, notamment en reconnaissant la juste place de chacun des acteurs - partenaires sociaux, mutuelles -, mais également celle des assurés sociaux, de l'ensemble de la population.
De ces deux aspects, essentiels selon nous, votre projet de loi ne contient aucune trace.
Certes, aujourd'hui, le discours de la droite est différent depuis le plan Juppé de 1995 concernant la maîtrise comptable des dépenses de santé.
Vous communiquez fort bien, monsieur le ministre, sur l'inévitable croissance dynamique des dépenses de santé en raison, notamment, du vieillissement de la population et des innovations technologiques, ou sur la nécessaire évolution des soins au regard des besoins. Je serais presque tenté d'applaudir à ce soudain excès de bon sens. (Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Jean Chérioux. Très bien !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Faites-le !
M. Guy Fischer. Non, non !
Toutefois, l'essentiel, c'est-à-dire la question de la réforme du financement de la protection sociale, fait défaut.
Après l'impact des dispositions relatives aux recettes, l'augmentation des droits de consommation sur les tabacs et sur les alcools, principalement, et des mesures d'économie sur le médicament, notamment, le déficit du régime général devrait être contenu sous la barre des 4 milliards d'euros fin 2003 !
Qu'en est-il, dans ces conditions, du principe constitutionnel d'équilibre financier ?
Votre attitude fragilise d'autant plus la situation financière du régime général que les choix opérés par ailleurs, en matière de politique de l'emploi principalement, ne sont pas de nature, loin s'en faut, à doper les rentrées de cotisations. Je fais référence, bien sûr, à la priorité donnée par ce gouvernement aux allégements de cotisations patronales, qui n'ont d'incidences positives ni sur l'emploi ni sur la protection sociale.
En n'anticipant pas, sur le long terme, le manque structurel de recettes, votre projet de loi, monsieur le ministre, s'affranchit des exigences posées aux dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946, préambule qui fait partie intégrante du bloc de constitutionnalité. Quid d'une politique de solidarité envers les retraités, les personnes dépendantes, les personnes handicapées, les familles ? Quid du droit à la santé, dans ces conditions ?
Faute de mesures notables de nature à accroître les ressources de la sécurité sociale et à les asseoir durablement, vous gérez, comme vos prédécesseurs, a minima, poursuivant les pressions pour rationner les dépenses.
Le rapport de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, l'INSERM, rappelle pourtant, si besoin est, que les inégalités sociales en matière de santé tendent non pas à se résorber, mais bel et bien à s'étendre.
Dès cette année, vous entendez « responsabiliser les assurés sociaux ». Après avoir pénalisé les patients demandant une visite à domicile alors que cette dernière n'est pas justifiée et en leur faisant payer de leur poche le dépassement tarifaire, vous nous proposez, dans le présent texte, de valider d'autres baisses de prestations : le « déremboursement » de médicaments dont le service médical rendu n'est pas avéré ou le remboursement du princeps sur le générique.
Tous les ingrédients sont réunis - lourds déficits, restriction du périmètre de la protection sociale, pénurie de personnels et asphyxie de l'hôpital - pour que, demain vous justifiiez la privatisation du système actuel. (Exclamations sur les travées du RPR.)
L'interview que vous avez donnée, hier, au Journal du dimanche, ne fait qu'enfoncer le clou. Récusant les propos de vos partenaires de la majorité, vous en appelez tout de même « à sortir du tout gratuit ». C'est une véritable provocation ! Non seulement les Français financent directement par leur travail la couverture de base obligatoire, mais cette dernière n'ayant eu de cesse de se réduire, sauf à renoncer aux soins, les assurés sociaux ont dû adhérer, dans leur grande majorité, à un second étage de protection, qu'ils financent, bien entendu.
Vous entendez revoir les relations du couple assurance maladie - régimes complémentaires non pas pour reconnaître aux mutuelles - j'y insiste - le rôle essentiel qu'elles jouent et les considérer comme des partenaires à part entière, mais pour changer la manière dont les risques sociaux et sanitaires seront pris en charge par le régime de base.
Vous avancez sur l'élargissement de l'accès de tous nos concitoyens à la couverture complémentaire, à travers une aide, un crédit d'impôt ; l'idée a été proposée et développée par le Président de la République durant la compagne électorale.
Nous avons nous-mêmes, à l'occasion de débats antérieurs sur la couverture maladie universelle, la CMU, ou sur les lois de finances, défendu un certain nombre de positions pour aider les Français à souscrire à une complémentaire maladie.
Désormais, les perspectives de ce débat sont tout autres, dans la mesure où votre proposition est le complément nécessaire, la première étape de la réforme que vous projetez pour la sécurité sociale.
Un nouveau partage des rôles s'organise non seulement avec les mutuelles, mais également, même si vous omettez de le dire, avec les assurances privées, pas à périmètre constant, mais à la baisse pour la couverture de base. Cette réforme s'accompagnera nécessairement de nouveaux transferts de charges, qui seront supportés, une nouvelle fois, par les assurés sociaux. Quant aux mutualistes, ils ne manqueront pas de voir se prolonger la hausse de leurs cotisations.
De même, nous n'entendons pas contribuer à alimenter par un crédit d'impôt le développement de grands groupes d'assurance, dont les valeurs sont étrangères aux valeurs mutualistes dans le domaine de la santé.
« Politiquement, la maîtrise médicalisée est plus facile à faire accepter que la maîtrise comptable. (...) Chacun sait qu'en l'état actuel des choses, à quelques détails près, le résultat est le même » : une fois de plus, je cite, monsieur le ministre de la santé, les propos que vous avez tenus à l'occasion du débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale de 1998, à l'Assemblée nationale. Ils se passent de commentaire ! Vous n'attendez aucun résultat des quelques vieilles recettes que contient votre projet concernant l'assurance maladie.
La suppression du mécanisme de sanctions financières des lettres clés flottantes à l'encontre des médecins n'est qu'affichage.
Le réalisme de l'ONDAM n'est que poudre aux yeux.
Fixé à 5,3 %, l'ONDAM reste très inférieur à l'évolution tendancielle des dépenses maladies constatées ces dernières années : celle-ci s'élève à environ 7 %. La Fédération hospitalière de France estime à 6,1 % le taux de progression de l'ONDAM nécessaire à la poursuite du bon fonctionnement des établissements.
M. Alain Vasselle, rapporteur. C'est pour cela que, l'année dernière, vous avez voté un ONDAM à 3,9 %.
M. Guy Fischer. La dotation pour les hôpitaux ne progresse que de 5 % !
Mercredi prochain, en conseil des ministres, vous allez, monsieur le ministre, présenter votre plan « Hôpital 2007 ». Sur la forme, permettez-moi de le regretter, car nous ne disposons pas de l'ensemble des éléments pour éclairer dès à présent notre choix. Sur le fond, puisqu'il est question d'aménager les 35 heures à l'hôpital - selon vous « parce que nous manquons de personnels qualifiés » - , je suis obligé de vous reprocher une fois de plus votre manque de volontarisme en la matière, car rien dans ce projet de loi n'est entrepris pour effectivement commencer à résoudre la question du manque chronique de personnels de santé.
M. Francis Giraud. Qu'avez-vous fait ?
M. Guy Fischer. Qu'en est-il, par conséquent, du contrôle réel et sérieux du Parlement sur les lois de financement de la sécurité sociale, principe à valeur constitutionnelle ?
Il ne suffit pas de vouloir la sincérité budgétaire, encore faut-il la traduire en acte. En conservant les circuits complexes de financement du FOREC, ou en mettant à contribution la CADES, en la détournant de son objet, pour rembourser les dettes de l'Etat à la sécurité sociale, au titre des allégements de cotisations patronales - ils s'élèvent à 1,2 milliard d'euros -, vous n'empruntez manifestement pas ce chemin.
Même si, pour l'essentiel, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2003 est consacré à la maladie, les autres volets, parce que trop modestes, appellent aussi quelques remarques particulières.
Concernant la branche accidents du travail-maladies professionnelles, votre texte, monsieur le ministre, recèle une contradiction majeure. En effet, il reconnaît implicitement les phénomènes de sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles ainsi que le problème des transferts de charges entre cette branche et la branche maladie mais, parallèlement, le rapport annexé fait référence au gel des taux des cotisations patronales.
S'agissant de la branche famille, je note que, dans sa décision du 26 décembre 2001, le Conseil constitutionnel, que vous aviez saisi, messieurs, a écarté le grief de la rupture d'égalité entre les familles. Nous y reviendrons.
Mais j'en termine.
M. Francis Giraud. Tout de même !
M. Guy Fischer. Les déclarations du ministre chargé de la fonction publique annonçant l'extinction progressive du congé de fin d'activité pour les fonctionnaires, à compter du 1er janvier 2003, ont, elles aussi, soulevé de très vives réactions, notamment des syndicats. On aurait pu en discuter, la concertation n'a pas eu lieu. En quinze jours, que dis-je, en une nuit, en un tour de main, par le biais d'un amendement, le CFA était enterré.
Ainsi, un premier pas a été franchi, sans concertation, avant la grande réforme vers l'alignement de la durée de cotisation des fonctionnaires nécessaire pour une retraite à taux plein sur celle du régime général.
Au vu de l'ensemble des remarques que je viens de formuler, vous l'aurez compris, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous rejetons le texte présenté par le Gouvernement, qui ne répond en rien aux besoins des Françaises et des Français et met en péril leurs intérêts. Je vous invite donc à nous suivre en votant la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité et à marquer ainsi votre attachement au système solidaire de protection sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Alain Vasselle, rapporteur.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Je vous rassure, je ne vais pas être aussi long que M. Fischer l'a été dans l'exposé des motifs pour lesquels son groupe a déposé cette motion. Nous avons entendu, en effet, une sorte de long réquisitoire contre le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2003.
Monsieur Fischer, je puis vous dire tout de suite que, au cours de la discussion de ce texte, nous serons en mesure de vous répondre point par point, et nous vous démontrerons que vos remarques sont complètement infondées.
Dès le départ, vous avez axé votre argumentation sur une prétendue remise en cause des principes de solidarité qui ont été affirmés dans le Préambule de la Constitution de 1946. Or ce projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2003 obéit à une logique tout à fait contraire : il ne fait que conforter ces principes et en assurer la pérennité. Comment le Gouvernement s'y est-il pris ? Il nous propose tout à la fois des mesures de redressement des comptes de la sécurité sociale, d'une part, et des mesures de régulation des dépenses d'assurance maladie, d'autre part, le tout en donnant un nouvel élan à la politique familiale.
Je ne sais pas si M. le ministre souhaitera s'exprimer plus avant sur cette motion d'irrecevabilité, mais sachez qu'au nom de la commission des affaires sociales j'émets un avis défavorable et demande au Sénat de rejeter cette motion. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Chabroux, pour explication de vote.
M. Gilbert Chabroux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous n'avons pas été convaincus par les explications de M. le ministre : nous sommes saisi d'un grand doute, car nous voyons presque une menace planer sur l'avenir de la sécurité sociale.
Lorsqu'il était député de l'opposition, M. le ministre s'était élevé contre les projets de financement de la sécurité sociale successifs présentés par le précédent gouvernement, et ses critiques étaient très vives.
« Pillage », « racket », ces mots que l'on a entendus ici, il en avait lui-même usé à l'Assemblée nationale : il ne faisait pas dans la nuance !
Puisque l'on nous parle de l'héritage, permettez-moi de rappeler ce qui a pu être fait par le précédent gouvernement, qui a légué à son successeur un système considéré comme l'un des meilleurs au monde.
M. Jean Chérioux. Ce n'est pas vous qui l'avez créé, quand même ! Il ne faut pas exagérer : c'est de Gaulle, en 1945 !
M. Roland Muzeau. Et Ambroise Croizat ?
M. Michel Charasse. Le Conseil national de la Résistance !
M. Gilbert Chabroux. Je parle du système de sécurité sociale, du système de protection sociale qui a été légué au gouvernement actuel et dont je souhaite qu'il soit maintenu à la place qu'il occupe dans le monde, c'est-à-dire, je le répète, à la première place.
C'est effectivement un défi, et je souhaite que le Gouvernement s'engage à le relever.
Quoi qu'il en soit, nous considérons, pour notre part, que la sécurité sociale est en danger et que les mesures qui sont envisagées dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, tant pour l'équilibre général que pour les différentes branches, constituent, je le répète, une menace.
La droite prépare une forme de privatisation - je ne dis pas complète, je ne dis pas ouverte -, mais, d'une façon insidieuse, une réforme se prépare, qui peut être lourde de dangers.
Il n'y a rien dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale qui soit de nature à nous rassurer, qu'il s'agisse de l'évolution des recettes ou de celle des dépenses.
La sécurité sociale pour 2003 n'est pas financée.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Et pour 2002, elle était financée ?
M. Gilbert Chabroux. Elle dérive, et c'est grave.
Vous laisser filer les dépenses et vous demandez aux assurés de prendre en charge eux-mêmes une part croissante de leurs dépenses de santé. Vous ouvrez ainsi la porte, d'une certaine manière, à la privatisation
M. Jean Chérioux. Mais non !
M. Gilbert Chabroux. A cet égard, il me semble que les propos de M. Jacques Barrot ne sont le fait ni du hasard ni de la maladresse. D'ailleurs, monsieur le ministre, vous n'êtes pas revenu sur la distinction entre les gros risques et les petits risques.
M. Jean-François Mattei, ministre. Pour moi, il n'y en a pas !
M. Gilbert Chabroux. Vous deviez le faire, mais vous nous avez surtout parlé des patients qui, selon vous, devraient être un peu plus sensibilisés, responsabilisés, afin qu'ils sachent un peu mieux ce que coûtent la santé et le système de soins. Vous avez évoqué le cas de ceux qui se font trop facilement délivrer des médicaments, sans savoir ce que cela coûte, pour tirer la conclusion qu'il fallait sortir du « tout gratuit ».
Vous avez beaucoup insisté, et nous avons cru comprendre qu'il fallait payer plus cher, sortir plus de sa poche pour être un peu plus responsable ! Voilà votre logique, qui va dans le sens d'une privatisation par responsabilisation du patient, considéré comme l'acteur de la sécurité sociale - il y en a d'autres - sur lequel vous voulez agir.
Il s'agit de faire payer plus pour mieux sensibiliser, pour mieux responsabiliser, pour faire prendre en charge par les assurés eux-mêmes, comme je le disais, une part croissante de leurs dépenses de santé.
Les assurances complémentaires, selon vous, pourraient proposer des couvertures variables selon que les personnes souhaitent s'assurer pour tel ou tel risque, c'est-à-dire en payant plus ou moins, sans doute plus que moins, d'ailleurs.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ce n'est pas sûr !
M. Gilbert Chabroux. C'est aussi une forme de privatisation.
Nous ne pouvons donc pas vous suivre. Nous mesurons les risques que vous faites courir à la sécurité sociale et nous vous mettons en garde. Nous sommes véritablement très inquiets, monsieur le ministre, car nous sommes très attachés à l'esprit des ordonnances de 1945. Compte tenu des menaces que vous faites peser sur l'avenir de notre système de protection sociale, nous voterons la motion présentée par le groupe CRC tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean Chérioux, pour explication de vote.
M. Jean Chérioux. Bien entendu, je voterai contre cette motion, car je suis scandalisé de la façon dont on veut ici apeurer les Français en faisant croire que le gouvernement actuel entendrait supprimer notre système de protection sociale.
M. Guy Fischer. Il s'agit de leur ouvrir les yeux !
M. Jean Chérioux. Et sur quoi s'est appuyé M. Chabroux dans sa démonstration ? Sur le fait que M. le ministre, à juste titre, s'est fixé pour objectif de responsabiliser les Français.
Responsabiliser ne signifie pas privatiser, monsieur Chabroux.
Je me permets de vous rappeler, puisque vous semblez avoir lu les ordonnances de 1945 de manière sélective, que les ordonnances qui ont créé la sécurité sociale avaient précisément prévu le ticket modérateur d'ordre public à cet effet.
Les fondateurs de la sécurité sociale avaient eu l'intelligence d'imaginer que, si la prise en charge était totale et que ceux qui avaient besoin de médicaments ou de soins n'avaient rien à débourser, en un mot, si les soins étaient gratuits, alors il y aurait un risque très grave d'augmentation de la dépense, ce que nous avons d'ailleurs constaté.
M. le ministre envisage sans doute de revenir à l'esprit des fondateurs de la sécurité sociale, c'est-à-dire qu'il souhaite responsabiliser les Français et leur rappeler, d'une part, que les fonds de la sécurité sociale sont aussi les leurs et, d'autre part, que la santé a un coût. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

(La motion n'est pas adoptée.)
M. le président. En conséquence, nous passons à la discussion des articles.
Je vous rappelle que la conférence des présidents a décidé, sur proposition de la commission des affaires sociales, de reporter, d'une part, l'examen de l'article 1er et des dispositions du rapport annexé consacrées à la politique de la santé et à l'assurance maladie à demain, mardi 19 novembre, après le débat sur l'assurance maladie, d'autre part, l'examen des autres dispositions du rapport annexé jusqu'après le fin de la discussion du titre III, le mercredi 20 novembre.
Nous abordons en conséquence l'examen des amendements tendant à insérer un article additionnel après l'article 1er ou après l'article 2 bis .

Article additionnel après l'article 1er
ou après l'article 2 bis