SEANCE DU 22 OCTOBRE 2002


SALAIRES, TEMPS DE TRAVAIL
ET DÉVELOPPEMENT DE L'EMPLOI

Discussion d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi (n° 21, 2002-2003). [Rapport n° 26 (2002-2003].)
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi relatif aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi, que j'ai l'honneur de vous soumettre, est inspiré par une idée dynamique du progrès économique, indissociable du progrès de la justice sociale. Dans un monde ouvert et compétitif, l'efficacité et la solidarité doivent être réconciliées et mises au service de la relance de la croissance.
Depuis près de deux ans, cette croissance s'est tarie, et le chômage n'a cessé d'augmenter depuis plus d'un an. Certes, la morosité de la conjoncture internationale y est pour beaucoup, mais il existe aussi dans notre pays des blocages qui freinent la respiration de notre pacte économique et social et qui pèsent sur l'emploi puisque, en dépit des 35 heures et du recours massif aux emplois aidés dans le secteur public, notre pays se situe, en matière de chômage, au douzième rang en Europe.
Face à cette situation, le Gouvernement a choisi, dans un même élan, d'unir trois objectifs : l'assouplissement des 35 heures, l'harmonisation rapide et ambitieuse des SMIC et l'amplification de la baisse des charges destinées à la maîtrise du coût du travail.
Ce schéma volontariste s'inscrit dans une politique globale mise au service de la croissance et de l'emploi. Nous voulons dynamiser le marché du travail en offrant davantage de libertés aux entreprises et aux salariés et en réhabilitant la valeur du travail.
Nous cherchons par ailleurs à augmenter le taux d'emploi et à favoriser l'insertion, notamment celle des jeunes avec le nouveau contrat qui leur est proposé dans le secteur privé.
Nous entendons aussi encourager l'initiative et l'effort en réduisant le poids de la fiscalité sur les ménages et en augmentant les plus bas salaires à travers l'aménagement de la prime pour l'emploi et l'unification des SMIC par le haut, tous ces objectifs contribuant à alimenter le moteur de la consommation.
Enfin, nous souhaitons moderniser les pouvoirs et les pratiques avec le renforcement de la démocratie locale et de la démocratie sociale, cette redistribution des pouvoirs et des libertés se mariant avec la réforme de l'Etat.
Le projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter s'inscrit dans cette dynamique générale. Il a été élaboré en concertation avec les partenaires sociaux (Exclamations sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen), conformément à l'engagement du Président de la République et du Premier ministre de renouer avec la pratique du dialogue social.
La commission nationale de la négociation collective a été également consultée le 6 septembre dernier, notamment sur la question de la sortie des multi-SMIC.
M. Guy Fischer. Elle a été informée !
M. François Fillon, ministre. Il en a été de même pour les conseils d'administration des caisses nationales de sécurité sociale pour ce qui relève du nouveau dispositif d'allégement de cotisation.
J'ai jugé ces consultations constructives. Elles m'ont permis de saisir le fil de l'intérêt général.
Certaines des observations et préoccupations énoncées par les partenaires sociaux ont été prises en compte. Derrière le mur apparent des critiques actuelles, nul ne doit se tromper sur le diagnostic établi par la majorité d'entre eux sur le dossier mal ficelé des 35 heures...
M. Alain Gourmac. Très mal ficelé !
M. François Fillon, ministre. ... et sur celui, indéchiffrable et inéquitable, des multi-SMIC. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Ce projet a pour objet de rebattre les cartes. Il est équilibré, volontariste. Il respecte les intérêts des entreprises et ceux des salariés. Bref, il est, selon moi, conforme à l'intérêt national.
M. Gérard Braun. Tout à fait !
M. Gilbert Chabroux. C'est vous qui le dites !
M. François Fillon, ministre. Le fil rouge de ce projet de loi, c'est la méthode singulière qui y préside, c'est sa philosophie, qui, contrairement à celle en vigueur par le passé, vise à mettre les partenaires sociaux en situation de responsabilité.
C'était d'ailleurs déjà le cas avec la loi relative aux contrats jeunes en entreprise, qui, volontairement, ouvre des espaces de négociation et de création aux partenaires sociaux. Nous rejoignons là l'esprit politique qui nous anime et qui consiste à fixer le cap par la loi et à élargir le champ de la négociation dans les branches et dans les entreprises.
En somme, ce fil rouge consiste à mettre les Français et les corps intermédiaires en situation de mouvement et de proposition. La France d'aujourd'hui ne peut plus être gouvernée comme celle d'hier, c'est-à-dire par le haut, de façon uniforme, sans prendre en considération la complexité des situations économiques et sociales.
Avec ce projet, chacun des partenaires sociaux comprend maintenant qu'il lui faudra assumer ses responsabilités. Cette approche a un double mérite : elle préfigure, d'une part, la démocratie sociale vivante et constructive que nous ambitionnons ; elle respecte, d'autre part, la diversité des besoins exprimés ou ressentis sur le terrain.
Voilà pour la philosophie et la méthode.
Mesdames, messieurs les sénateurs, les 35 heures seront donc, si vous en décidez ainsi, assouplies. Nous mettrons du pragmatisme dans le dogmatisme d'une loi à l'évidence trop rigide. Cette rigidité a entraîné dans certains secteurs d'activité, faute d'autres marges de manoeuvre, une flexibilité mal vécue par les salariés, et - je l'ai déjà indiqué - une stagnation des salaires.
Sans entamer un débat idéologique sur la réduction du temps de travail, permettez-moi simplement de constater que ce nouveau dispositif n'a permis de créer ou de préserver en cinq ans que 300 000 emplois...
M. Alain Gourner. seulement !
M. Claude Domeizel. C'est déjà pas mal !
M. François Fillon, ministre. ... d'ailleurs largement imputables aux allégements de charges qui les accompagnaient, quand, au même moment, la croissance en créait près de 1,4 million.
Les 35 heures uniformes et imposées se sont donc moins avérées être le levier structurel du plein emploi que le symbole d'un certain malthusianisme. Cela étant dit, les 35 heures font désormais partie de notre paysage,...
M. Raymond Courrière. C'est sûr !
M. François Fillon, ministre. ... même si elles recueillent un avis mitigé des intéressés. Il s'agit donc de faire avec ou, plus précisément, de faire mieux avec !
Le point essentiel de la réforme s'articule, vous le savez, autour du régime des heures supplémentaires dont dépendent en réalité tant le rythme de travail des salariés que l'organisation du travail au sein des entreprises. Nous sommes là au coeur du dispositif sur l'aménagement du temps de travail.
Le système actuel se caractérise par sa complexité, puisqu'il faut distinguer entre le contingent dont le dépassement est subordonné à l'autorisation de l'inspecteur du travail et le contigent dont le dépassement implique l'octroi du repos compensateur. L'un peut être négocié par les partenaires sociaux et l'autre est fixé unalitéralement par l'Etat, par voie de décret. A cela s'ajoute un régime complexe définissant les conditions de rémunération des heures supplémentaires.
La réforme que le Gouvernement vous propose se caractérise par trois principes : la simplicité d'abord ; la souplesse et la volonté de s'adapter à la situation de chaque branche ou de chaque entreprise, ensuite ; le maintien des équilibres essentiels par l'Etat, enfin.
La simplicité, c'est le sens de l'uniformisation des contingents. Il existera désormais un contingent unique déterminant tant l'autorisation administrative que le déclenchement du repos compensateur.
Ce souci de simplicité ne doit toutefois pas aller jusqu'à méconnaître la situation spécifique des petites entreprises, qui font l'objet de dispositions particulières en matière de majoration des heures supplémentaires et de repos compensateur obligatoire. En ce qui concerne les entreprises de moins de vingt salariés et à défaut d'accord de branche, le taux actuel de 10 % sera maintenu jusqu'au 31 décembre 2005 afin de leur laisser davantage de temps pour s'adapter.
Le choix de la souplesse et de l'empirisme se traduit, quant à lui, par un renvoi aux partenaires sociaux sur la fixation du niveau du contingent des heures supplémentaires et des conditions de leur rémunération. Il inspire également les dispositions relatives au compte épargne temps. Les partenaires sociaux pourront désormais prévoir que les éléments du compte pourront être valorisés en argent et non pas obligatoirement en temps.
Une plus grande latitude sera enfin donnée aux partenaires sociaux dans la définition des différentes catégories de cadres. L'Assemblée nationale a du reste précisé la définition des cadres dits « intégrés ».
Pour autant, cette orientation globale, favorable à la négociation sur le terrain, ne se traduit pas, je l'ai dit, par un désengagement de l'Etat. S'agissant d'une question aussi essentielle pour les salariés que celle de la rémunération des heures supplémentaires, la loi fixe les modalités de l'accord qui en déterminera le régime, en exigeant un accord de branche étendu. La loi fixe par ailleurs un seuil minimal en dessous duquel les partenaires sociaux ne sauraient valablement aller en prévoyant que le taux de majoration ne peut être inférieur à 10 %.
Enfin, tant en matière de fixation du niveau du contingent que pour les conditions de rémunération des heures supplémentaires, l'Etat fixe la règle supplétive qui s'applique en l'absence d'accord.
A défaut d'accord, un décret fixera donc le niveau du contingent à 180 heures. Le renvoi à la négociation prévu par la loi n'aurait guère de sens si, parallèlement, l'Etat fixait de manière définitive le niveau supplétif du contingent. Ce serait perçu comme une forme déguisée d'intervention de l'Etat sur les futures discussions affectant le contenu des négociations.
Le décret sera pris rapidement parce que notre économie est à la recherche d'un horizon précis, mais il sera réexaminé dans dix-huit mois, au vu du contenu des négociations et des pratiques dans les branches et dans les entreprises. A cette échéance, le Gouvernement devra prendre définitivement position sur le niveau optimal du contingent qui doit s'appliquer en l'absence d'accord. Selon le souhait du Premier ministre, il le fera après consultation de la Commission nationale de la négociation collective, mais aussi après avis du Conseil économique et social.
Ces mêmes exigences de souplesse et de clarification inspirent d'autres dispositions plus techniques concernant les 35 heures et que je veux vous citer.
Ainsi, les durées horaires annuelles de travail seront calculées, comme le prévoient déjà de nombreuses conventions, sur la base d'un niveau forfaitaire annuel de 1 600 heures, et ce indépendamment des variations du nombre de jours fériés d'une année à l'autre. Le seuil de dix salariés applicable en matière de repos compensateur sera porté à vingt salariés, ce qui représente une mesure de simplification pour les entreprises, mais surtout de cohérence par rapport au seuil qui avait été choisi en 2000.
Un amendement adopté à l'Assemblée nationale a également permis, dans la ligne de la directive européenne de 1993 et de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, de clarifier la situation du salarié lorsque, bien que d'astreinte, il n'est pas sollicité.
Concernant cette nouvelle disposition, soyons clairs : il ne s'agit pas de supprimer les avantages négociés, en particulier sous la forme de rémunérations, en contrepartie de l'astreinte. Celle-ci ne peut donc pas être assimilée purement et simplement à un repos. Mais il était bien opportun, comme l'a souhaité l'Assemblée nationale, de conforter la doctrine, qui correspond d'ailleurs à l'esprit de la loi de 2000, selon laquelle le décompte des temps de repos hebdomadaires et journaliers n'est pas affecté par le temps d'astreinte sans intervention.
Enfin, à travers un nouvel article 13 relatif à la sécurisation des accords collectifs conclus en application des lois de 1998 et de 2000, le législateur valide les précédents accords au regard des règles posées par la loi et par son décret d'application qui portera à 180 le contingent des heures supplémentaires.
Ces accords parfois ambigus avaient été conclus entre 1998 et 2000 pour nombre d'entre eux, dans un cadre juridique bien incertain, dans l'attente de la deuxième loi Aubry.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, l'esprit de la réforme qui vous est présentée. Cette adaptation pragmatique des 35 heures...
M. Gilbert Chabroux. Son abrogation !
M. François Fillon, ministre. ... constitue non pas un retour en arrière, mais un retour à la raison ! La durée légale de 35 heures est maintenue, mais elle est organisée sur un mode qui permet aux acteurs sociaux, s'ils le souhaitent, de l'aménager, bref de se l'approprier. (Très bien ! sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Définie par ce projet de loi, la convergence des SMIC sera par ailleurs engagée. (Très bien ! sur les mêmes travées.)
Constatée au cours des dernières années, la stagnation des bas salaires s'est apparentée, aux yeux des Français les plus modestes, à une véritable panne de l'ascenseur social. (Tout à fait ! sur les même travées.)
En valeur absolue, les salariés modestes ont perdu entre 1 et 2 points de pouvoir d'achat depuis trois ans quand les cadres dirigeants voyaient le leur croître.
Cette stagnation s'est aggravée sous les effets des deux lois relatives à la réduction du temps de travail qui ont introduit, avec la multiplication des SMIC, une nouvelle injustice sociale et affaibli le rôle de référent du salaire minimum. Le SMIC est plus qu'une variable technique, il est un symbole. Avec six SMIC différents, ce symbole est aujourd'hui éclaté et ne joue plus, dans le monde du travail, son rôle de référent économique et social.
Le SMIC concerne aujourd'hui plus de deux millions de salariés. Il détermine le minimum horaire auquel doit correspondre toute rémunération et constitue une valeur cardinale dans la fixation et dans l'évolution des basses rémunérations. La mise en place des 35 heures et des multiples garanties mensuelles qui ont été instituées dans la foulée a brouillé tout cela.
Le principe posé par l'article 32 de loi du 19 janvier 2000 était en apparence simple : il fallait faire en sorte que, pour les salaires les plus bas, le passage aux 35 heures ne se traduise pas par une réduction de la rémunération. De même, le principe de la convergence entre la garantie mensuelle et le SMIC, posé par ce même article, ne semblait pas soulever de difficultés particulières.
La réalité, maintes fois et - je crois que l'on peut le dire - unanimement dénoncée, vous la connaissez : une multiplication des valeurs de référence, une complexité inextricable tant pour les salariés que pour les employeurs et une complexité d'autant moins acceptable qu'elle ne permet même pas d'atteindre les objectifs visés par les auteurs du texte.
En effet, contrairement à ce qui avait été dit, le dispositif ne permettait pas d'obtenir par lui-même la convergence du SMIC à terme et de la garantie mensuelle, puisque toute augmentation du SMIC entraînait la création d'une nouvelle garantie, repoussant d'autant la convergence.
Le dispositif ne permettait pas davantage d'assurer la justice sociale puisqu'il entraînait, au contraire, des disparités entre les salariés, selon que leur entreprise était ou non passée aux 35 heures ou selon la date du passage à un horaire collectif de 35 heures.
Chacun se perdait dans cet imbroglio et il devenait de plus en plus difficile de fixer, dans les accords salariaux de branche, une valeur de référence et de comparaison dans la détermination des minima de branche.
Inéquitable et illisible pour le salarié, complexe et coûteux pour les entreprises, notamment pour les plus petites d'entre elles, il fallait impérativement sortir de ce piège. C'est sur la base de ce constat que le Premier ministre, dès l'installation du Gouvernement, a saisi le Conseil économique et social.
A partir de ses travaux et des différents scénarios qu'il avait envisagés, le Gouvernement a tranché. Il vous propose aujourd'hui de sortir rapidement et par le haut de la situation confuse et injuste des multi-SMIC.
Si vous en décidez ainsi, l'unité du SMIC sera restaurée par un mécanisme de convergence qui devra aboutir au 1er juillet 2005. Il aura pour effet une augmentation du SMIC horaire de 11,4 % en termes réels au cours des trois prochaines années.
M. Raymond Courrière. On verra !
M. François Fillon, ministre. Globalement, les deux tiers des salariés rémunérés par référence à l'un des SMIC verront leur pouvoir d'achat progresser de façon significative, en tout cas plus rapidement que si l'on en était resté aux dispositions actuelles.
La restauration de l'unité du SMIC passe par un mécanisme volontaire de convergence, dont je vais énoncer les termes.
Le cycle de création, chaque année, de nouvelles garanties mensuelles sera stoppé. La dernière garantie sera donc la cinquième, celle qui a été fixée en juillet 2002.
A partir de là, un double mouvement de convergence sera opéré, le point final de convergence étant fixé au 1er juillet 2005.
Pendant les trois années qui nous séparent de cette date, le premier mouvement de convergence concernera les garanties mensuelles qui, tout en augmentant chaque année en fonction de l'évolution de l'indice des prix, feront l'objet d'une revalorisation, par « coups de pouce » successifs, afin de permettre leur alignement à la date fixée sur la garantie mensuelle la plus haute, c'est-à-dire celle de juillet 2002.
Cette dernière garantie verra préserver son pouvoir d'achat dans la mesure où, comme les autres garanties, elle évoluera chaque année, pendant cette période de trois ans, en fonction de l'indice des prix.
Le second mouvement de convergence concernera le rapport entre les garanties mensuelles et le SMIC, puisque ce dernier, par rattrapages successifs incluant tant l'évolution des prix que les « coups de pouce » nécessaires, rejoindra par paliers successifs le différentiel de 11,4 % qui le sépare, en valeur réelle, de la dernière garantie mensuelle.
Vous l'aurez noté, cette dernière convergence implique que les règles de calcul du SMIC soient modifiées, mais cette dérogation ne sera que temporaire et exclusivement justifiée par les besoins de l'opération. Il y sera évidemment mis fin pour revenir aux règles habituelles.
Voilà pour la procédure.
L'efficacité économique comme la justice sociale militent pour ce choix rapide et ambitieux, qui participera au dynamisme de notre économie et à la revalorisation du travail par rapport aux revenus de la solidarité.
Cet effort n'est pas neutre du point de vue macroéconomique. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a souhaité qu'il soit réparti.
L'Etat, par la voie des allégements de charges, en supportera la plus grande part. Le nouveau schéma d'allégement de charges, qui montera en puissance au même rythme que convergeront les SMIC, garantit non seulement une large compensation au niveau du SMIC, mais plus encore un allégement net du coût du travail pour les salaires au-dessus du SMIC jusqu'au niveau moyen de salaire des Français.
Nous envisageons de simplifier les mécanismes actuels d'allégements, en unifiant la ristourne sur les bas salaires créée en 1995 et les diverses dispositions mises en oeuvre par la loi du 19 juin 2000.
Ce nouveau dispositif d'allégement se mettra en place à partir du 1er juillet 2003. Il s'appliquera à toutes les entreprises, indépendamment de leur durée collective.
Les allégements de charges augmenteront de 6 milliards d'euros d'ici à 2006 et seront, je le souligne - je suis sûr que le Sénat y sera attentif - compensés aux régimes de sécurité sociale. Ils seront fortement concentrés sur les salaires modestes et moyens. Ils se traduiront par une diminution nette du coût du travail - j'insiste sur ce point - allant jusqu'à plus de 5 % pour les salaires moyens, dans neuf entreprises sur dix, parmi lesquelles la plupart sont des PME. Pour les grandes entreprises caractérisées par de hauts salaires, l'effort ne me paraît pas démesuré, puisqu'il est au plus de 1,5 % du coût du travail sur la période de trois ans dans des secteurs où celui-ci n'apparaît pas comme la composante essentielle de la valeur ajoutée.
En résumé, cette amplification des allégements de charges profitera à l'emploi, comme toutes les enquêtes sur le sujet le démontrent ; accompagnera les entreprises à passer le cap de la sortie multi-SMIC ; aidera celles d'entre elles qui ne sont pas passées aux 35 heures, pour l'essentiel des PME ; enfin, profitera fortement aux entreprises dont les salaires sont concentrés entre 1,2 et 1,7 SMIC.
Cette politique favorable aux bas salaires, jointe aux allégements de charges, permet au Gouvernement de servir tout à la fois la feuille de paie et l'emploi. Elle participe d'une politique économique de soutien à la demande intérieure. Celle-ci est nécessaire dans cette période où la conjoncture hésite.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs, j'ai le sentiment qu'avec ce projet volontariste et équilibré nous tenons le cap. Nous sommes fidèles à nos engagements, et seulement à nos engagements. Nous agissons de façon rapide et concertée. Le curseur entre l'efficacité économique et la justice sociale est correctement placé. Nous élargissons au surplus les espaces de négociation entre les partenaires sociaux.
Cette approche marque notre volonté de faire évoluer notre pays sur les bases d'un progrès économique et social plus dynamique et mieux partagé. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. René-Pierre Signé. On verra la suite !
M. Alain Gournac. Vous, on vous a vus avant !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Louis Souvet, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors des débats précédant l'adoption des lois du 13 juin 1998 et du 19 janvier 2000, la commission des affaires sociales du Sénat avait exprimé une triple inquiétude au regard de la politique de réduction du temps de travail voulue par le précédent gouvernement.
Ainsi, dès 1998, nous avions exprimé la crainte que les incidences du passage aux 35 heures sur les rémunérations mensuelles minima n'aient pas été suffisamment prises en compte, provoquant de facto un éclatement du SMIC et une augmentation du coût du travail lourde de conséquences.
Nous avions également regretté que la logique retenue soit celle d'une réduction autoritaire du temps de travail, risquant alors de réduire la place du dialogue social à la portion congrue et de complexifier à l'extrême un droit du travail déjà singulièrement illisible.
Nous avions enfin observé que le dispositif d'aide financière et d'allégement de charges lié à ces deux lois était un modèle de complexité dont l'efficacité n'était pas garantie et dont les conditions de financement pérennes n'étaient, à l'évidence, pas maîtrisées.
La réalité n'a, hélas ! pas démenti ces trois inquiétudes.
En effet, que constate-t-on aujourd'hui ?
L'éclatement des salaires minima, lié à l'apparition annuelle de « garanties mensuelles de rémunération », a introduit d'intolérables inégalités entre salariés, touchant de surcroît principalement les plus modestes d'entre eux. Le principe, pourtant fondamental, « A travail égal, salaire égal » n'est plus respecté.
Le caractère autoritaire des 35 heures s'est ensuite heurté aux réalités et aux contraintes des entreprises, pour ne pas parler du secteur public. De fait, au 31 mars 2002, seules 13 % des entreprises sont effectivement passées aux 35 heures. Encore faudrait-il observer que la réduction du temps de travail introduit de nouvelles inégalités entre salariés et entreprises. Ainsi, à cette date du 31 mars, 45 % des entreprises de plus de vingt salariés sont aux 35 heures, contre 10 % pour celles de vingt salariés et moins. Et les évolutions restent très fortes et très hétérogènes selon les secteurs et les régions.
Enfin, le détournement systématique des recettes des régimes sociaux pour alimenter le déficit chronique du fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale, le FOREC, nous a, malheureusement, une nouvelle fois, donné raison sur ce point.
M. Henri Weber. La « ristourne Juppé » !
M. Louis Souvet, rapporteur. C'est à ce triple échec, c'est aux trois inquiétudes qu'avait exprimées votre commission que le projet de loi que nous examinons aujourd'hui tend à apporter une réponse. Cette réponse est nécessairement pragmatique, puisque, conformément aux engagements du Président de la République, la durée légale du temps de travail reste fixée à 35 heures.
Pour ce faire, le projet de loi ouvre trois chantiers, en apparence parallèles, mais dont la conjonction constitue une réponse globale aux défauts originels des lois précédentes.
Tout d'abord, il prévoit un schéma de convergence des différents salaires minima à l'horizon 2005.
Ensuite, il introduit certains assouplissements aux 35 heures en renvoyant très largement à la négociation de branche.
Enfin, il réforme nos dispositifs d'allégements de charges pour mettre en place un nouveau système unifié et simplifié visant à favoriser l'emploi en réduisant le coût du travail, notamment pour les salariés les moins qualifiés.
Le projet de loi va d'abord engager le processus de convergence de ce qu'il est désormais convenu d'appeler les multi-SMIC.
Le principe posé par l'article 32 de la loi du 19 janvier 2000 semblait simple, en apparence, mais il s'est révélé être une véritable bombe à retardement.
Afin d'éviter que la réduction du temps de travail ne se traduise, pour les salariés au SMIC, par une baisse de leur rémunération mensuelle, cet article 32 avait posé le principe d'une garantie mensuelle de rémunération, la GMR, lors du passage aux 35 heures. Puis, en instituant des modalités différentes de revalorisation annuelle de ces GMR et du SMIC, il postulait leur convergence à terme.
Ce cercle vertueux ne s'est pas produit et ne pouvait d'ailleurs pas se réaliser car, du fait de la création d'une nouvelle garantie mensuelle chaque année, l'écart entre la dernière GMR et le SMIC mensuel base 35 heures restait constant à 11,4 %.
L'article 1er du présent projet de loi apporte donc une réponse à cette convergence introuvable.
Se fondant sur l'analyse des différents scénarios d'harmonisation des salaires minima réalisée en juillet dernier par le Conseil économique et social à la demande du Premier ministre, il retient le scénario d'une harmonisation par le haut en trois ans. C'est ce scénario qui était d'ailleurs privilégié par le Conseil économique et social, comme son rapporteur nous l'a confirmé lors de son audition par la commission.
Cette convergence se fera en trois étapes.
Cela impose d'abord la fin de la création de nouvelles GMR après le 1er juillet 2002.
Il est prévu de revaloriser la dernière garantie, qui constitue le point de convergence, en fonction de la seule évolution des prix ; son pouvoir d'achat est donc maintenu.
Est posé, enfin, le principe d'une revalorisation différenciée et constante des autres garanties et du SMIC sur la période 2003-2005, afin qu'ils atteignent le point de convergence au 1er juillet 2005.
Cela correspond à une augmentation annuelle moyenne du SMIC, en termes réels, de 3,7 %.
La commission des affaires sociales souscrit pleinement à ce scénario de convergence qui lui paraît être le seul valablement praticable pour en finir avec l'éclatement des référents salariaux. Elle n'a donc pas souhaité l'amender.
Pour les salariés, ce scénario permettra de mettre fin, en trois ans, aux flagrantes inégalités salariales existantes, tout en garantissant au minimum le maintien du pouvoir d'achat. La majorité d'entre eux bénéficiera d'ailleurs d'une hausse substantielle de leur pouvoir d'achat, sans doute largement supérieure à l'augmentation qui aurait résulté de l'application mécanique des règles actuelles de revalorisation du SMIC.
Pour les entreprises, ce scénario est loin de ne présenter que des inconvénients. Certes, on peut craindre, à juste titre d'ailleurs, les conséquences de la hausse du coût salarial. Mais le nouveau dispositif d'allégement de charges permettra de compenser en très grande partie le coût salarial supplémentaire. Le dispositif retenu permet en outre de lisser sur trois ans l'inévitable hausse de 11,4 % du SMIC et offre en cela une lisibilité inédite sur l'évolution à venir des salaires. En effet, les entreprises connaissent, dès maintenant, les hausses de salaires qu'elles devront pratiquer pendant les trois prochaines années.
Je souhaite d'ailleurs que cette lisibilité nouvelle soit l'occasion, pour les partenaires sociaux, de relancer leurs négociations sur les minima conventionnels. Aujourd'hui, les trois quarts des branches ne sont pas conformes au SMIC. Cette situation, comme l'a d'ailleurs rappelé récemment M. le Président de la République, n'est pas saine : elle conduit à un écrasement de la hiérarchie salariale en bas de grille et, in fine , à un rétrécissement des perspectives de carrière des salariés les moins qualifiés.
Le titre II du projet de loi concerne le temps de travail.
C'est ici que se trouvent les assouplissements aux 35 heures qui ne remettent pas toutefois en cause, je le répète, la durée légale du travail.
L'assouplissement essentiel touche le régime des heures supplémentaires.
A l'heure actuelle, ce régime, issu de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail, se caractérise par son extrême complexité et sa forte rigidité.
Coexistent, en effet, trois régimes différents selon la taille de l'entreprise. Le premier s'applique aux entreprises de un à dix salariés ; le deuxième aux entreprises de onze à vingt salariés et le troisième aux entreprises de plus de vingt salariés.
A cela s'ajoutent des modalités différentes de bonification des heures supplémentaires en repos compensateur de la 36e à la 39e heure, puis en majoration salariale pour les heures suivantes.
Surtout existent parallèlement deux types de contingents. Le contingent dit légal ou réglementaire, fixé par décret, sert de référence pour le déclenchement du repos compensateur obligatoire. Le contingent conventionnel, négocié au niveau de la branche, sert lui de référence pour l'autorisation de l'inspecteur du travail en cas de dépassement.
Dans ce paysage éclaté, le projet de loi apporte une nouvelle lisibilité.
Il tend d'abord à unifier les modes de bonification des heures supplémentaires, ensuite à uniformiser les conséquences juridiques attachées aux différents contingents et, enfin, à fusionner le régime applicable aux entreprises de dix salariés et moins et le régime dont relèvent les entreprises de onze à vingt salariés.
Mais le projet de loi renforce surtout le rôle du dialogue social en la matière.
Ainsi, ce seront désormais les partenaires sociaux qui détermineront, au niveau de la branche, la nature et le taux de majoration des heures supplémentaires. La loi n'en conserve pas moins son rôle de garant de l'ordre public social puisque, d'une part, elle fixe un taux minimal de 10 % et que, d'autre part, en l'absence d'accord, ce seront les taux actuels qui s'appliqueront de droit.
Surtout, ce sera à l'avenir le dépassement du contingent conventionnel - et non plus du contingent légal - qui déclenchera l'octroi d'un repos compensateur obligatoire. Là encore, la loi exerce une fonction subsidiaire : en l'absence d'accord, ce sera le dépassement du contingent légal, désormais fixé à cent quatre-vingts heures, qui déclenchera le repos compensateur.
Le projet de loi prend enfin en compte les spécificités des petites entreprises pour lesquelles la réduction du temps de travail s'avère, vous le savez tous, très difficile.
Pour favoriser leur adaptation, le projet de loi prolonge de trois ans la période de transition ouverte par la loi du 19 janvier 2000. Pour les entreprises de vingt salariés et moins, le taux de majoration des quatre premières heures supplémentaires est donc maintenu à 10 % jusqu'au 31 décembre 2005.
Plus grande lisibilité, renforcement du rôle de la négociation collective, prise en compte des petites entreprises : toutes ces évolutions apparaissent incontestablement positives à votre commission.
Au-delà du seul régime des heures supplémentaires, le projet de loi apporte d'autres types d'assouplissements.
Le premier concerne le temps de travail des cadres.
Le projet de loi tend, notamment, à renforcer le rôle de la négociation collective en la matière, particulièrement pour la définition des cadres au forfait en jours : celle-ci a été assouplie.
Je crois toutefois qu'il existe encore une marge d'amélioration pour renforcer plus encore l'autonomie des partenaires sociaux en la matière ; la commission vous présentera un amendement en ce sens. J'indique d'ailleurs qu'il répond très largement aux aspirations des cadres, qui considèrent que le forfait en jours constitue un instrument adapté pour l'encadrement de leur temps de travail.
J'estime également nécessaire d'étendre le système du forfait en jours aux salariés itinérants non-cadres ; cela fera l'objet d'un autre amendement.
Le deuxième assouplissement concerne la « monétarisation » du compte épargne-temps. La commission en partage le principe. Il devrait permettre à ce dispositif utile, mais encore trop peu utilisé, de trouver son rythme de croisière en rendant son utilisation plus large et plus facile. Mais encore faut-il s'assurer que la réforme proposée ne remettra pas en cause les règles actuellement applicables en matière de congés payés. La commission vous présentera donc un amendement en ce sens.
J'attire enfin votre attention sur un article additionnel introduit à l'Assemblée nationale - il s'agit de l'article 13 - relatif à la sécurisation des accords actuellement en vigueur. Les conséquences de cet amendement méritent d'être examinées avec soin. Celui-ci apporte, certes, des premières précisions sur la légalité des accords déjà conclus, mais il n'aborde pas la question, pourtant fondamentale, des effets de la future loi sur l'équilibre général de ces accords. A l'évidence, ces effets ne seront, pas neutres du fait des modifications apportées par le projet de loi en matière de déclenchement des repos compensateurs obligatoires.
Respectueuse du dialogue social, la commission ne souhaite pas que cette mesure entraîne le bouleversement de l'équilibre général des accords, souvent conclus au prix de négociations difficiles, mais constructives.
Si elle suit les propositions que je compte lui faire, la commission vous proposera d'apporter, à l'article 2, une réponse équilibrée à cette question, en prévoyant de limiter la portée des contingents conventionnels actuels, en matière de déclenchement du repos compensateur, au niveau du nouveau contingent réglementaire. Cette solution nous apparaît, en effet, la seule en mesure de concilier, au nom de l'intérêt général, l'exigence de sécurité juridique et le respect de l'équilibre des accords déjà conclus.
Ce sera donc l'objet d'un nouvel amendement, qui traduit la poursuite de notre réflexion. Sans anticiper la décision de la commission, je tenais à en faire état dès aujourd'hui, afin que vous en soyez pleinement informés, mes chers collègues.
J'en viens maintenant au titre III du projet de loi, qui vise à réformer les dispositifs d'allégements de charges et à mettre en place un nouveau système unifié et simplifié.
Ce dispositif remplacera, à compter du 1er juillet 2003, les deux principaux allégements en vigueur, à savoir, d'une part, la ristourne dégressive sur les bas salaires, dite « ristourne Juppé », et, d'autre part, l'allégement lié à la réduction du temps de travail, dit « allégement Aubry II ».
La nouvelle réduction concerne les cotisations de sécurité sociale, d'accidents du travail et d'allocations familiales acquittées par les employeurs. Selon le régime définitif défini à l'article 6, qui entrera en vigueur à compter du 1er juillet 2005, l'allégement ainsi accordé sera de 26 points de cotisations, sur un total dû de 30,2 points, pour une rémunération horaire égale au SMIC. Il deviendra nul pour une rémunération horaire égale à 1,7 fois le SMIC. Toutefois, et afin d'accompagner la convergence des minima salariaux, des modalités transitoires de calcul de cet allégement sont prévues, à l'article 7, pour les années 2003 à 2005.
Comparé à la « ristourne Juppé », dont il s'inspire directement, ce dispositif est plus favorable, qu'il s'agisse du montant maximal de l'allégement, soit 26 points de coisations contre 18,2 points pour la « ristourne Juppé », ou du plafond de l'exonération, fixé à 1,7 fois le SMIC contre 1,3 fois le SMIC antérieurement.
Par rapport à l'« allégement Aubry II », le montant maximal d'exonération au SMIC est identique, soit 26 points, et le plafond de l'exonération se situe à un niveau équivalent. En revanche, l'entrée en vigueur du nouveau dispositif entraînera la suppression de l'aide pérenne à la réduction du temps de travail, d'un montant fixe et forfaitaire, et qui était accordée, dans le cadre de l'« allégement Aubry II », pour les salaires supérieurs à 1,8 fois le SMIC.
La commission a parfaitement conscience que la suppression de cette aide pérenne peut représenter, pour certaines grandes entreprises, un manque à gagner non négligeable. Toutefois, cet inconvénient lui paraît largement compensé par l'un des avantages essentiels de la nouvelle réduction par rapport à l'« allégement Aubry II », à savoir sa neutralité à l'égard de la durée du travail.
En effet, cette réduction est calculée sur la base du salaire horaire, et non de la rémunération mensuelle. Elle est ainsi cohérente avec les principes généraux du présent projet de loi qui assouplit, sous réserve d'accords collectifs, le recours aux heures supplémentaires.
Il convient donc que le coût de ces heures supplémentaires ne soit pas si dissuasif qu'il vide de sens la possibilité ainsi ouverte aux partenaires sociaux. Or, actuellement, le coût effectif d'une heure supplémentaire au niveau du SMIC est de l'ordre de 190 % pour une entreprise appliquant les 35 heures, et de plus de 200 % pour une entreprise soumise aux 39 heures. La raison en est simple : la « ristourne Juppé » et l'« allégement Aubry II » étant calculés sur la base de la rémunération mensuelle du salarié, chaque heure supplémentaire accroît cette rémunération et diminue automatiquement le montant de l'aide, qui est dégressive en fonction du niveau du salaire.
En revanche, dans le cadre du nouveau dispositif, calculé sur la base du salaire horaire, seule la bonification de l'heure supplémentaire contribuera à augmenter le salaire horaire moyen et, par conséquent, à réduire le montant de l'allégement accordé à l'entreprise.
Ainsi conçu, le nouvel allégement des charges patronales s'avère adapté aux trois objectifs que lui a assignés le Gouvernement.
Il s'agit, d'abord, de compenser le coût, pour les entreprises, de l'unification progressive des minima salariaux d'ici à 2005. La nouvelle exonération sera, en effet, maximale au niveau du SMIC. Cela ne laissera à la charge des entreprises restées à 39 heures de travail hebdomadaire que 4,6 points d'augmentation de salaire à « absorber » en trois ans.
Cette réduction des charges patronales se traduira également par une baisse significative du coût du travail, de plus de 4 %, pour les salaires situés entre 1,2 et 1,6 fois le SMIC. Or on sait que les emplois concernés sont ceux pour lesquels l'élasticité de la demande de travail est la plus forte. C'est donc sur ce « créneau » que le nouveau dispositif sera le plus favorable à l'emploi.
En outre, le nouvel allégement profitera à l'ensemble des entreprises, et ne sera plus réservé à celles qui sont passées aux 35 heures. Or je rappelle que seule une entreprise sur dix était passée aux 35 heures au printemps dernier. Près de 90 % des entreprises vont ainsi voir leurs charges diminuer, au premier rang desquelles figurent les petites et moyennes entreprises. Ce sont justement ces entreprises qui cumulent les handicaps dans leur recherche de main-d'oeuvre et qui ne sont pas passées, pour nombre d'entre elles, aux 35 heures. La fin de l'inégalité créée, en termes de coût du travail, à leur détriment, par l'« allégement Aubry II », doit donc être saluée comme il convient.
La nouvelle réduction de cotisations sociales vise également à favoriser la création d'emplois. Plus au fait des réalités de la vie économique que son précédesseur, le Gouvernement n'a pas fait de promesses quantifiées en ce domaine. En effet, dans le monde d'aujourd'hui, les créations d'emplois ne se décident pas par la loi, même si celle-ci peut définir, comme le présent projet de loi, les conditions propices à ces créations d'emplois.
Il me paraît toutefois utile de rappeler que, selon une étude de l'INSEE, la « ristourne Juppé », dont le nouveau dispositif s'inspire directement, a permis de créer environ 460 000 emplois dans les années 1994-1997. Elle aurait ainsi contribué à enrayer, à partir de 1994, le déclin tendanciel de l'emploi non qualifié dans notre pays.
Ces résultats sont à comparer avec le bilan de la réduction du temps de travail, remis le 6 septembre dernier à la Commission nationale de la négociation collective, qui évalue à 300 000 les créations d'emplois correspondantes ; vous l'avez rappelé, monsieur le ministre. Encore convient-il d'observer que ces créations sont moins imputables aux 35 heures proprement dites qu'aux baisses de charges qui les accompagnaient.
Enfin, le nouveau dispositif d'allégement de charges se veut simple et facile à appliquer par les entreprises. Je vous épargnerai ici l'exposé détaillé de la formule de calcul de l'« allégement Aubry II » ou la lecture exhaustive de ses circulaires d'application. Il suffit de rappeler que, pour être compréhensible par les chefs d'entreprise, le barème de l'« allégement Aubry II » avait fait l'objet d'une version dite « simplifiée », de plusieurs pages, publiée une fois par an au Journal officiel. Rien de tel dans le nouveau dispositif que nous propose le Gouvernement ! Les entreprises n'auront qu'à appliquer une simple formule de calcul, unique pour l'ensemble des salariés concernés, et aisément « paramétrable » dans les logiciels de paie existants. En outre, les formalités à la charge des employeurs sont limitées au strict nécessaire.
Enfin, je ne peux terminer cette présentation de la nouvelle réduction de cotisations sociales sans évoquer un point sur lequel la commission est toujours extrêmement vigilante, à savoir le coût de cette mesure et les modalités de son financement. Le coût net de la mesure est estimé à 1 millard d'euros en 2003 et à 6 milliards d'euros d'ici à 2006.
Dès l'année prochaine, les pertes de recettes en résultant pour la sécurité sociale lui seront intégralement compensées par le FOREC. Celui-ci disposera donc de deux ressources nouvelles qui, à la différence des années précédentes, n'auront pas été préalablement confisquées aux régimes de sécurité sociale. Il s'agit de l'augmentation, d'une part, des droits de consommation sur les tabacs et, d'autre part, de la fraction du produit de la taxe sur les contrats d'assurance affectée au FOREC.
Au total, la commission considère que ce projet de loi est à la fois pragmatique et équilibré. Sans remettre en cause la durée légale du travail, ce texte lui paraît à même de répondre avec efficacité aux principales difficultés nées de la réduction du temps de travail, en conciliant au mieux les aspirations des salariés et les contraintes des entreprises.
La commission des affaires sociales vous proposera toutefois d'adopter une quinzaine d'amendements qui, sans remettre en cause l'équilibre général du texte, en prolonge la logique et lui apporte de nécessaires précisions. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

(M. Adrien Gouteyron remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. ADRIEN GOUTEYRON
vice-président

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 44 minutes ;
Groupe socialiste, 39 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 29 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 18 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 18 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 7 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Georges Mouly. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du RPR.)
M. Georges Mouly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, que n'ai-je lu et entendu ? « Il n'y a rien dans cette loi... C'est un coup d'épée dans l'eau !... C'est une loi de régression sociale. » Pour les uns, elle va trop loin ; pour les autres, pas assez. Certains font le reproche de travailler dans l'urgence, alors que le temps presse... Peu de monde y trouve amplement son compte - c'est une litote !
Mais il n'est pas interdit de penser, devant ce constat, que ce projet de loi relatif aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi va précisément dans le bon sens. Il y a là - en tout cas, telle est ma conviction ! - la recherche d'une nécessaire réforme équilibrée : harmoniser les SMIC, assouplir par la négociation les règles sur le temps de travail et amplifier la baisse des charges pour mieux maîtriser le coût du travail.
Conformément aux engagements du Président de la République, il fallait proposer une autre politique ; nous avons aujourd'hui, monsieur le ministre, à en décider.
Nous sommes devant une absolue nécessité en ce qui concerne le temps de travail si l'on veut bien considérer - c'est un fait ! - que l'application du même régime pour tous, c'est la condamnation pour beaucoup. Qui d'entre nous ayant participé aux assemblées de chambres de métiers, de chambre de commerce, du Bâtiment et des travaux publics, le BTP, de l'Union professionnelle artisanale, l'UPA, n'a pas été frappé par les difficultés trop souvent insurmontables du passage aux 35 heures ?
(MM. Paul Blanc et Alain Gournac acquiescent.)
Pour beaucoup, on observe un risque d'asphyxie, au point qu'à peine 10 % des entreprises de moins de vingt salariés sont actuellement aux 35 heures, 35 heures dont il faut dire et redire que reste en vigueur la loi qui les a instituées.
On constate trop de rigidités, donc un assouplissements s'impose, essentiellement par modification du régime des heures supplémentaires avec, entre autres, une plus grande lisibilité du dispositif, de même que la prise en compte des spécificités des petites entreprises. Une autre mesure concerne les cadres, je veux parler du compte épargne-temps, le tout moyennant une plus grande place faite, et ce n'est pas mineur, au dialogue.
Au total, je souscris à l'analyse qu'a faite de ce texte notre éminent rapporteur, mais je tiens à rappeler, à propos des heures supplémentaires, quelle utilisation en est faite d'ores et déjà dans les secteurs de la métallurgie, du bâtiment, de la réparation automobile ou de la propreté.
Je ferai une remarque, monsieur le ministre, sur le régime de l'astreinte. J'avoue que j'ai du mal à me ranger à la position prise par l'Assemblée nationale. Je veux espérer une évolution au cours des débats.
Au coeur de nos discussions figure précisément la lutte contre le chômage, et l'on ne saurait être trop modeste en la matière. Je ne me lancerai donc point ici dans une querelle de chiffres. Simplement, je constate que le chômage est reparti à la hausse il y a de cela plusieurs mois déjà, alors que la croissance que la France avait connue durant plusieurs années diminue.
M. Paul Blanc. Voilà !
M. Georges Mouly. Mais je me contente ici d'un simple rappel.
Plusieurs organismes ont démontré que, plus que la réduction du temps de travail, c'est la baisse des charges qui est propice à la création d'emplois. L'allégement des cotisations est donc une évidente nécessité si nous voulons être compétitifs. Comment ne pas comprendre que les 35 heures ont, entre autres conséquences, limité les capacités de réagir à la demande, effet mécanique à quoi s'ajoute parfois, ici ou là - et l'on ne peut que le regretter -, une certaine dépréciation du travail ?
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Georges Mouly. Un but : diminuer le coût du travail ; un moyen : la baisse des charges à travers un système simplifié, unifié, avec pour cible, notamment, les bas salaires, et ce n'est pas sans intérêt.
Je n'irai pas plus loin, n'ayant voulu mettre l'accent ici que sur ce que je crois être un constat d'évidence et qui mérite une suite.
Le troisième volet de la réforme proposée concerne l'harmonisation des SMIC. Car nous avons six SMIC, ce qui est ingérable, évidemment, et, de surcroît, source d'inégalités outrancières, soit un tort fait à des millions de salariés, ce qui n'est pas rien. Cette harmonisation est la mesure la moins contestée, quand elle n'est pas tout à fait approuvée. Voilà en tout cas ce que l'on pourrait appeler, monsieur le ministre, mes chers collègues, une « sortie par le haut » ! On peut simplement regretter qu'elle ne se soit pas faite, par exemple, en deux ans plutôt qu'en trois... (M. le ministre marque son scepticisme.)
Je faisais, voilà un instant, une remarque concernant l'astreinte. Je veux dire ici tout l'intérêt que je porte au sort des personnels des établissements médicosociaux et la satisfaction que j'éprouve à savoir que l'article 5 convient.
Je veux encore dire, revenant sur le chômage, que le surcroît d'heures supplémentaires ne saurait favoriser systématiquement sa montée. C'est plutôt, en maints secteurs, tout le monde le sait, d'un défaut de main-d'oeuvre, hélas ! que nous souffrons : affaire de formation pour partie, de culture, d'orientation. C'est une importante question maintes fois abordée ; j'ai cru pouvoir la rappeler ici.
C'est après le vote d'un texte concernant les jeunes en entreprise que ce texte nous est présenté : lutte contre le chômage, toujours. Est-il besoin de préciser, monsieur le ministre, mes chers collègues, en conclusion de ce bref propos, combien j'adhère aux dispositions de ce texte, habité du ferme espoir que je veux mettre en leur succès ? (Applaudissements sur les travées du RDSE, du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Alain Gournac. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Bernard Seillier.
M. Bernard Seillier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous souhaitons tous que le travail soit dominé par l'homme et non pas l'inverse. C'est pourquoi, traditionnellement, des actions sont menées par en optimiser la durée, la rémunération et, plus largement, l'environnement. La portée de la question est non seulement individuelle, mais aussi collective, puisque l'ordre social est largement déterminé par l'organisation du travail.
Or la loi de 1998 que nous sommes amenés à corriger se fixait pour objectif de créer des emplois selon un mécanisme contraignant de partage du travail. L'intention demeure louable dans l'absolu, mais sa mise en oeuvre est inadéquate. Elle l'est déjà au plan philosophique, car l'horizon même d'une civilisation des loisirs qu'elle comporte en filigrane est bien flou ; ensuite, elle est trop simplificatrice, car la genèse de la création d'emplois repose moins sur le « saucissonnage » de la durée des tâches que sur leur diversification, et donc sur l'innovation ; enfin, la rigidité de la démarche aboutissait à de nombreux paradoxes. Outre que la compétitivité de certaines entreprises était altérée, elle entraînait un sentiment global d'aliénation par rapport à une contrainte nouvelle imposée de l'extérieur, à l'inverse finalement du processus de libération recherché. Je n'étais pas le seul à avoir souligné cette faiblesse conceptuelle lors de la discussion générale du 3 mars 1998.
Aujourd'hui, puisque l'occasion nous est donnée de corriger ce texte relatif aux 35 heures, il nous faut enrichir la méthode retenue pour la rendre efficace.
La complexité introduite dans la gestion des entreprises a contrarié l'objectif fixé. Le nombre d'emplois créés a été moins important qu'il n'avait été escompté. Personne ne peut comptabiliser, en outre, ceux qui ont été délocalisés. Comment apprécier encore la frustration ressentie par ceux qui auraient privilégié l'élévation de la rémunération à la réduction du temps de travail ? La solidarité du partage, objectif noble s'il en est, ne peut être imposée que si son efficacité est incontestable. Sinon, le sentiment éprouvé de non-sens est socialement et humainement très grave, car il y a perversion. Tel est, hélas ! trop souvent le cas.
Les entreprises qui ont pu créer des emplois en nombre significatif au titre de cette loi sont d'une taille suffisamment importante et l'ont souvent fait en recourant au travail en quatre équipes. C'est alors fréquemment la vie familiale qui a perdu au change. Le prix à payer était-il à la hauteur de l'enjeu ? Qui recensera les PME et les PMI qui ont, de leur côté, franchi la porte du tribunal de commerce, affaiblies par une loi dont l'universalité et la complexité étaient un défi au bon sens ?
Il suffit d'imaginer l'application de cette loi au travail des parlementaires que nous sommes pour en appréhender les limites. (Sourires.)
Il est bon de chercher à partager le travail ; encore faut-il recourir aux moyens convenables et éviter ceux qui, non seulement se révèlent inefficaces, mais, surtout, sont contre-performants en termes de libération de l'homme, sans parler des dommages induits tels que la désintégration du SMIC.
M. Henri Weber. Il faut l'abolir, alors !
M. Bernard Seillier. On peut dire brièvement que l'erreur de la loi de 1998 a été de rester à un niveau macroéconomique abstrait, ignorant de ce fait gravement la réalité concrète de la situation des salariés et des entreprises.
Il ne faut pas oublier les conditions actuelles et concrètes du travail, jusque dans la réalité des ateliers et des bureaux. A l'époque où la décentralisation politique s'impose pour des considérations pratiques de réalisme, l'approche microéconomique s'impose en matière d'organisation du travail pour des raisons analogues.
C'est cette réalité que votre projet de loi prend en compte, monsieur le ministre, pour l'introduire dans la législation antérieure. Vous opérez une greffe de bon sens sur une loi pavée de bonnes intentions, mais décalée par rapport au réel. C'est ce qu'ont bien compris la commission des affaires sociales et son excellent rapporteur, notre collègue Louis Souvet, que je tiens à saluer pour le travail précis qu'il a accompli.
Votre projet de loi, monsieur le ministre, exprime votre volonté de progresser de manière réaliste, dans une perspective clairement humaniste. Il a toutes les chances de rendre opératoire et efficace la législation actuelle sur la durée du travail, en dégrippant les engrenages bloqués. Vous instaurez un bon dosage entre les libres négociations des partenaires sociaux et les actes régulateurs de l'autorité de l'Etat.
Les risques sont inhérents à la vie, et la bonne méthode pour les minimiser est d'introduire un processus itératif dans l'action. C'est cette qualité que je trouve dans votre approche des problèmes graves et urgents à résoudre qui ont été accumulés par une loi trop rigide et trop complexe. Grâce à la réforme que vous nous proposez, vous restaurez un espoir de réel partage du travail par une procédure libérée, mais régulée. Nous savons, par ailleurs, à travers vos récentes déclarations, que vous vous préoccupez des laissés-pour-compte de la croissance, qui ont des problèmes spécifiques d'accès à l'emploi.
Ainsi, les trois fonctions à concilier seront bien prises en compte à travers la politique de l'emploi que vous conduisez : amélioration de vie de ceux qui ont un emploi ; accès au travail de ceux qui en ont les capacités ; enfin, accès au processus d'intégration de ceux qu'une simple augmentation physique de l'offre d'emploi ne suffit pas à insérer. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Chabroux.
M. Henri Weber. Enfin un peu de lumière !
M. Gilbert Chabroux. Monsieur le ministre, vous avez qualifié de « majeur » le projet de loi relatif aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi que vous nous présentez. Il serait, je vous cite, « la clef de voûte de la politique économique et sociale du Gouvernement pour relancer la croissance et l'emploi ».
Si, pour être « majeur », il suffit de porter un coup d'arrêt à ce qui a été et restera dans notre histoire comme l'une des plus belles conquêtes sociales, les 35 heures (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen. - Protestations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certains travées du RDSE) , et de détruire ce qui a été fait avec la RTT, alors, sans nul doute, votre texte est majeur par tout ce qu'il comporte de négatif !
M. Jean Chérioux. Je rêve !
M. Raymond Courrière. Et tout ce qu'il a de réactionnaire !
M. Jean-Pierre Demerliat. Très bien !
M. Jean Chérioux. C'est vraiment attristant d'entendre cela !
M. Gilbert Chabroux. Vous dites aussi que ce texte était très attendu. Il l'était, en effet, par la droite et par un certain nombre d'employeurs qui ont de la peine à cacher leur satisfaction ou même leur jubilation.
M. Raymond Courrière. Il était attendu par les patrons !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Par les petits salaires !
M. Gilbert Chabroux. Mais il serait faux de dire que les salariés approuvent votre démarche, puisque 59 % d'entre eux sont satisfaits du passage aux 35 heures, on ne peut rien y changer,...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Vous pensez qu'ils étaient satisfaits du blocage du SMIC !
M. Gilbert Chabroux. ... alors que seulement 13 % d'entre eux ne le sont pas. Ce sont les chiffres de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES. Je peux en citer d'autres, encore plus éloquents, selon une enquête de la CFDT,...
M. Paul Blanc. Il n'y a pas que des fonctionnaires dans notre pays !
M. Gilbert Chabroux. ... 80 % des salariés passés au régime des 35 heures ne veulent surtout pas revenir en arrière.
M. Bernard Murat. Et les autres ?
M. Gilbert Chabroux. L'urgence n'est donc pas là où vous la placez. Elle est sans aucun doute dans la lutte contre le chômage, qui est à nouveau la première préoccupation des Français et qui devrait donc être la priorité absolue du Gouvernement.
M. Raymond Courrière. Ce qui n'est pas le cas !
M. Gilbert Chabroux. Mais vous connaissez comme moi les résultats du sondage réalisé les 20 et 21 septembre derniers par l'Institut Louis Harris : si 59 % des Français placent le chômage au premier rang de leurs soucis, 26 % seulement pensent que les mesures et les propositions du Gouvernement vont dans le bon sens,...
M. Raymond Courrière. C'est le bon sens même !
M. Claude Domeizel. Vous faites bien de le leur rappeler !
M. Gilbert Chabroux. ... tandis que 64 % considèrent qu'elles vont dans le mauvais sens. Là aussi, vous ne pouvez rien y changer, tels sont les chiffres.
M. Alain Gournac. On ne gouverne pas avec des sondages, vous le savez bien !
M. Gilbert Chabroux. L'opinion a pris la mesure du problème, et le seul débat utile que nous pourrions avoir devrait porter sur les moyens à mettre en oeuvre pour infléchir la courbe du chômage au lieu de chercher à détruire les outils...
M. Paul Blanc. Lesquels ?
M. Gilbert Chabroux. ... qui ont donné des résultats appréciables.
Vous voulez supprimer ou rogner tous les outils de la politique de l'emploi sans exception : les emplois jeunes, les contrats aidés, les CES ou contrats emploi-solidarité, les CEC ou contrats emplois consolidés,...
M. Roland du Luart. C'est faux !
M. Gilbert Chabroux. ... le programme TRACE et la bourse d'accès à l'emploi, sans oublier les 35 heures.
M. Alain Gournac. Tout !
M. Gilbert Chabroux. Pourquoi recherchez-vous ainsi l'affrontement droite contre gauche ? Pourquoi voulez-vous régler des comptes, alors que l'heure devrait être à la mobilisation et aux efforts de tous dans la lutte contre le chômage ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
Vous répétez sans cesse que la gauche serait la cause de la situation, et particulièrement les lois emblématiques de Martine Aubry,...
M. Alain Gournac. Les Français ont voté contre !
M. Jean Chérioux. De quoi est-ce l'emblème ?
M. Gilbert Chabroux. Il faut reconnaître et saluer le courage, la ténacité et le talent de Mme Aubry.
M. Louis Souvet, rapporteur. Tenace, oui !
M. Jean Chérioux. Talent mal utilisé !
M. Gilbert Chabroux. Si elle était là, vous n'en diriez pas autant !
Ces lois seraient donc la cause de la situation dans laquelle se trouve notre pays.
M. Alain Gournac. Les Français ont jugé !
M. Paul Blanc. C'est de la provocation !
M. Jean-Pierre Demerliat. Nous y reviendrons !
M. Gilbert Chabroux. Mais vous avez oublié la situation catastrophique qui était celle de 1997 (Protestations sur les travées du RPR), quand le taux de chômage était de 12,6 %. Vous oubliez tout simplement d'où nous sommes partis.
Le Gouvernement Jospin a pu, et a su, grâce au retour de la confiance...
M. Jean Chérioux. Vous aviez la croissance avec vous !
M. Gilbert Chabroux. ... et à la reprise de la croissance,...
M. Paul Blanc. Tout de même !
M. Jean Chérioux. Vous l'avez gaspillée, la croissance !
M. René-Pierre Signé. C'est vous qui l'avez tuée !
M. Gilbert Chabroux. ... sur cinq ans, deux millions d'emplois et réduire de 930 000 le nombre des chômeurs. Le taux de chômage est descendu à 8,9 %.
M. Louis Souvet, rapporteur. Oui, avec les emplois-jeunes !
M. Gilbert Chabroux. Puis, il est un peu remonté, c'est vrai, pour se situer aux alentours de 9,2 %. Pendant ces cinq ans, contrairement à ce que vous dites, monsieur le ministre, notre pays a fait mieux que tous les autres pays européens en matière de lutte contre le chômage.
M. Paul Blanc. C'est faux !
M. Jean Chérioux. Ce sont des contrevérités ! Nous sommes pratiquement les derniers de la classe en Europe !
M. Alain Gournac. Nous sommes au douzième rang sur quinze !
M. Henri Weber. Non ! C'est le Financial Times qui le dit !
M. Gilbert Chabroux. Puissiez-vous réaliser, monsieur le ministre, les mêmes progrès au cours des cinq ans qui sont devant vous !
M. Louis Souvet, rapporteur. Pas de la même manière !
M. Gilbert Chabroux. Alors, à quoi cela sert-il de nier les efforts accomplis et les résultats obtenus ? Si nous ne sommes pas mieux placés sur le plan européen, c'est, je le répète, parce que nous sommes partis de trop bas. (Rires sur les travées du RPR.)
M. Jean Chérioux. Il faut dire que, depuis 1981, vous les avez accumulés !
M. Alain Gournac. Vous devriez nous remercier !
M. Gilbert Chabroux. Il faut donc prolonger notre effort en utilisant tous les outils qui ont été mis en oeuvre, particulièrement les 35 heures. (Protestations sur les mêmes travées.)
Les 35 heures, vous avez fini par le reconnaître, monsieur le ministre, ont permis, jusqu'à la fin de 2001, de créer 300 000 emplois dans le secteur marchand (Nouvelles protestations sur les mêmes travées), sans compter les emplois induits : selon les URSSAF, 25 000 emplois s'y seraient ajoutés depuis le 1er janvier 2002. La CFDT comptabilise 412 000 emplois en tout à la fin du mois de juin 2002.
M. Louis Souvet, rapporteur. Et la CGT ?
M. Paul Blanc. Et ceux qui sont partis pour cause de délocalisation ?
M. Gilbert Chabroux. On pourrait également tenir compte des emplois créés dans les collectivités territoriales, qui ont fait un gros effort, et dans la fonction publique hospitalière, par exemple...
M. Paul Blanc. Oui, mais il n'y a pas d'infirmières !
M. Gilbert Chabroux. ... même si les emplois annoncés, 45 000, ne peuvent évidemment pas être déjà tous pourvus. Ces chiffres ne sont pas contestables, sauf à faire preuve de mauvaise foi.
M. Jean-Pierre Demerliat. Ils le sont, de mauvaise foi !
M. Jean Chérioux. Ce sont les bases qui sont fausses !
M. Bernard Murat. C'est honteux !
M. Gilbert Chabroux. Ils émanent de la DARES, la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques de votre propre ministère !
Fallait-il, monsieur le ministre, que les syndicats de votre ministère vous rappellent qu'« ils sont établis de façon rigoureuse » et que « leur mise en cause n'a aucun fondement sérieux » ? Vous avez fini, aujourd'hui, par parler de 300 000 emplois, alors que vous disiez zéro. Il y a donc un petit progrès, vous pouvez encore mieux faire ! (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
M. Alain Gournac. Ce n'est pas vrai ! Le ministre n'a jamais dit cela !
M. François Fillon, ministre. C'est absolument faux ! Il ne faut pas mentir comme cela !
Monsieur le sénateur, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Gilbert Chabroux. Je vous en prie !
M. le président. La parole est à M. le ministre, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Raymond Courrière. Parlez-nous du Front populaire ! Parlez-nous de Pétain !
M. François Fillon, ministre. Je suis tout à fait désolé de vous interrompre, monsieur Chabroux, mais, avec votre autorisation, je vous rappellerai ceci : j'ai toujours cité le chiffre de 300 000 emplois, tout en soulignant que, de mon point de vue, il ne tenait compte ni des emplois qui n'avaient pas été créés, ni de l'impact des allégements de charges. Mais, monsieur le sénateur, vous ne pouvez pas me faire dire que les 35 heures n'ont pas créé d'emplois, parce que cela n'est pas exact.
M. Claude Domeizel. C'est bien de le reconnaître !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Chabroux.
M. Gilbert Chabroux. Nous apprécions, monsieur le ministre, que vous reconnaissiez, même du bout des lèvres, que 300 000 emplois ont été créés. Vous avez mis, il est vrai, cette création d'emplois sur le compte de la croissance.
M. Louis Souvet, rapporteur. Non, ce n'est pas ce que vient de dire M. le ministre !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. M. Chabroux fait de la provocation tout le temps !
M. Gilbert Chabroux. La croissance a joué un rôle...
M. Jean Chérioux. Déterminant !
M. Gilbert Chabroux. ... mais vous ne pouvez pas nier que cette croissance a été enrichie en emplois.
M. René-Pierre Signé. Ils ne savent pas faire ! Ils ne savent pas gouverner !
M. Gilbert Chabroux. Je le répète, si nous ne sommes pas mieux placés sur le plan européen, c'est parce que nous sommes partis de trop bas. Il faut donc, je le redis, prolonger notre effort...
M. Alain Gournac. Surtout pas !
M. Gilbert Chabroux. ... et utiliser tous les outils qui ont été mis en oeuvre.
Nous restons surpris, même s'il y a manifestement progrès, par l'ambiguïté de vos propos, monsieur le ministre, par leur double sens, à moins que ce ne soit leur sens le plus évident, par exemple, quand vous parlez du Front populaire !
Mardi dernier en tout cas, et aujourd'hui encore devant la commission des affaires sociales, puis ici même, il y a quelques instants, vous avez réaffirmé que « au-delà des critiques très convenues », vous pouvez vous prévaloir « d'un accord général avec les partenaires sociaux » sur ce projet de loi.
M. Henri Weber. C'est faux ! C'est un mensonge.
M. Gilbert Chabroux. Or, la commission des affaires sociales a reçu mercredi l'ensemble des organisations syndicales et patronales : aucune d'entre elles, à l'exception de la CGPME, ne vous a donné son accord.
M. Guy Fischer. J'étais témoin !
M. Gilbert Chabroux. Au contraire, les critiques sont extrêmement vives. Nos collègues membres de la commission peuvent en témoigner.
M. Jean Chérioux. Ce n'est pas exact ! C'est une déformation de la réalité !
M. Louis Souvet, rapporteur. Et le MEDEF ?
M. Gilbert Chabroux. Je tenais ainsi à rectifier les propos que vous tenez assez légèrement.
M. René-Pierre Signé. C'est mensonger !
M. Alain Gournac. Ils font de la politique !
M. Gilbert Chabroux. De la même manière que nous devrions nous mettre d'accord sur les chiffres concernant les créations d'emplois - au moins 300 000, j'insiste là-dessus - nous devrions nous accorder sur ce que coûtent les 35 heures et sur ce qu'ont coûté les allégements de cotisations sociales décidés par les gouvernements Balladur et Juppé d'une part, et par le gouvernement Jospin d'autre part. Si les montants sont à peu près équivalents, la contrepartie n'est pas la même. L'effet des allégements de cotisations sociales sur l'emploi paraît faible selon l'étude commandée par M. Alain Juppé en 1996 au Centre d'études des revenus et des coûts, le CERC : elle estime les créations d'emplois entre 41 000 et 200 000 pour la période comprise entre 1993 et 1997.
M. Alain Gournac. C'est bien !
M. Gilbert Chabroux. M. le rapporteur a fait état de chiffres plus élevés, 460 000, selon une étude de l'INSEE. En fait, il se réfère à un rapport de deux chercheurs, fortement contesté au sein même de l'INSEE, et on comprend pourquoi quand on sait qu'il n'y a eu, en tout et pour tout, que 174 000 créations d'emplois pendant cette période. (Protestations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ains que sur certaines travées du RDSE.)
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Gilbert Chabroux. Il y a manifestement un doute quant à l'impact réel d'un tel dispositif d'allégement de charges sur l'emploi. Peut-être est-ce pour cette raison, monsieur le ministre, que vous vous refusez à toute estimation pour les années à venir ? Si nous comprenons qu'il faille être humble face à tant d'incertitudes, nous souhaiterions que cette attitude d'humilité...
M. Jean Chérioux. Et vous ?
M. Gilbert Chabroux. ... vous conduise également non pas à opposer les dispositifs mais à les conjuguer.
Je le répète, tous les outils qui peuvent jouer un rôle dans la lutte contre le chômage doivent être mis en oeuvre sans parti pris, sans a priori idéologique. Il y a mieux à faire qu'à se livrer à des querelles politiciennes et à vouloir prendre je ne sais quelle revanche qui se ferait au détriment des travailleurs.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Votre modèle, c'est Mme Aubry ?
M. Raymond Courrière. Ils ne les aiment pas, les travailleurs !
M. Jean Chérioux. Mais quel discours ! C'est affligeant !
M. Gilbert Chabroux. La situation ne cesse de se dégrader. Les prévisions de croissance sont régulièrement revues à la baisse.
M. Raymond Courrière. Et ce n'est pas fini !
M. René-Pierre Signé. C'est catastrophique !
M. Gilbert Chabroux. Les plans sociaux se multiplient. Il n'est pas de jour sans que soit annoncé un nouveau plan social touchant des centaines, voire des milliers d'emplois.
M. Alain Gournac. Et Moulinex ?
M. Gilbert Chabroux. Avez-vous fait le compte de toutes ces suppressions d'emplois ?
M. Roland du Luart. C'était votre politique !
M. Jean Chérioux. C'est votre oeuvre !
M. Alain Gournac. Cinq ans de socialisme !
M. Gilbert Chabroux. Pourquoi n'avez-vous pas déjà mis en place la cellule de crise que vous avez annoncée le 12 juillet ? Pourquoi avoir nommé si tard - la semaine dernière - un délégué au licenciement, un « monsieur plans sociaux » ?
M. Raymond Courrière. Ils ne trouvaient pas de kamikaze !
M. Gilbert Chabroux. La tâche est sans doute très lourde, mais nous ne pouvons penser un instant que le point de vue du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ait pu avoir une quelconque influence et que « les plans sociaux seraient l'affaire, exclusive, des entreprises ».
Nous sommes véritablement très inquiets face à cette dégradation qui touche tous les secteurs et toutes les régions de France, entre autres la région Rhône-Alpes, particulièrement éprouvée ces dernières semaines. Et il sera difficile - de plus en plus difficile ! - d'en imputer la faute aux 35 heures. Vous serez de plus en plus seuls et de plus en plus démunis pour assumer l'augmentation du chômage. C'est une lourde responsabilité !
M. Alain Gournac. Vous avez l'air d'être content !
M. Gilbert Chabroux. Cette situation nous alarme aussi s'agissant de la valeur du travail, qui se trouve forcément dévoyée lorsque des entreprises, parfois par pure spéculation boursière, privent des milliers et des milliers de nos concitoyens de leur emploi. Alors que la gauche avait permis de ramener au travail près d'un million de chômeurs, nous assistons aujourd'hui au mouvement inverse.
M. Roland du Luart. Ça avait commencé du temps de Mme Guigou !
M. Alain Gournac. C'est pour cela que les Français ont voté pour nous ! Ils ont tranché !
M. Guy Fischer. Seulement 14 % des inscrits !
M. Gilbert Chabroux. Nous sommes bien loin du débat philosophique sur la valeur du travail par rapport au temps libéré, aux loisirs, au repos, s'il ne peut plus y avoir d'équilibre entre le temps professionnel et le temps personnel, faute de travail.
N'est-il pas mesquin, dans un tel contexte, de dénigrer les 35 heures, qui auraient « dévalué » la valeur du travail...
M. Alain Gournac. Eh oui ! Ce sont vos électeurs qui l'ont dit !
M. Gilbert Chabroux. ... alors que la productivité n'a cessé d'augmenter, que la France est, sur ce plan, au premier rang des pays européens et que le nombre collectif d'heures travaillées dans notre pays n'a cessé de croître au cours des cinq dernières années ?
Une étude d'Eurostat montre que, si l'on mesure la production par heure travaillée et par personne employée...
M. Paul Blanc. Vous en avez des statistiques !
M. Raymond Courrière. Elles vous gênent ?
M. Gilbert Chabroux. ... la France arrive en tête devant l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne, le Royaume-Uni étant loin derrière.
M. Paul Blanc. Ils ne font pas 35 heures !
M. Gilbert Chabroux. Face à la situation inquiétante dans laquelle se trouve notre pays, votre projet de loi joue contre l'emploi. Il favorise l'allongement du temps de travail.
M. Alain Gournac. Oh là là, c'est terrible !
M. Gilbert Chabroux. Il va falloir s'habituer à dire l'ATT, l'allongement du temps de travail, après avoir parlé de la RTT.
M. René-Pierre Signé. Eh oui !
M. Gilbert Chabroux. Les heures supplémentaires sont plus nombreuses et moins bien rémunérées. Elles sont à la discrétion des entreprises.
M. Bernard Murat. Oui, vraiment, c'est affreux !
M. Gilbert Chabroux. Elles sont, bien sûr, obligatoires pour les salariés et libres pour les employeurs ! Elles pourront, dans une logique de banalisation des heures supplémentaires, devenir des heures structurelles. Elles pourront, par exemple, être utilisées pour obliger les salariés à travailler six jours sur sept.
M. Alain Gournac. C'est affreux, on va se mettre au boulot !
M. Raymond Courrière. Oui ! Elle est là, la réalité !
M. Gilbert Chabroux. C'est le Premier ministre qui a le mieux résumé la situation le 6 septembre dernier, à Strasbourg. Alors que les consultations des partenaires sociaux n'étaient pas terminées, il a déclaré que « les entreprises pourraient revenir à un dispositif de 39 heures,...
M. Claude Domeizel. Il a dit la vérité !
M. Gilbert Chabroux. ... avec un coût de 10 % pour les quatre premières heures supplémentaires ».
M. Alain Gournac. Et alors ?
M. Raymond Courrière. Travaillez plus et gagnez moins !
M. René-Pierre Signé. C'est monstrueux !
M. Gilbert Chabroux. En fait, 10 % de majoration représente pour ces heures supplémentaires, cela représente 1 % d'augmentation du salaire mensuel.
M. René-Pierre Signé. C'est honteux !
M. Gilbert Chabroux. Si l'on ajoute la suppression du repos compensateur entre la 130e et la 180e heure - c'est-à-dire sept jours de repos en moins - les salariés se rendront vite compte qu'ils sont victimes d'un marché de dupes et que l'on est loin du slogan « travailler plus pour gagner plus ».
Le projet de loi supprime le lien entre le temps de travail et les aides à l'employeur : il en résulte que l'on ne peut plus perdre ces aides, quelle que soit la durée du travail dans l'entreprise.
C'est une arme redoutable entre les mains des employeurs pour tuer les 35 heures et une véritable incitation à en rester aux 39 heures. Les allégements de cotisations sociales patronales, qui n'ont plus aucune contrepartie, constituent un beau cadeau aux patrons qui leur permettra de gagner, pour des salaires atteignant 1 800 euros environ, soit 1,7 fois le SMIC, jusqu'à 26 points de cotisation.
Est-il besoin de préciser que les cotisations payées par les salariés ne seront, quant à elles, évidemment pas diminuées ?
M. Louis Souvet, rapporteur. C'était la même chose avec Mme Aubry !
M. Gilbert Chabroux. Le projet de loi n'oublie pas les cadres. Les députés non plus, qui ont suivi le MEDEF, et ont encore étendu le champ du forfait-jour en l'appliquant, non plus aux seuls « cadres autonomes », mais aussi à des « cadres intégrés ». Ils ont également étendu le champ annuel horaire à des salariés itinérants non cadres. C'est la grande majorité des cadres qui sera concernée, contre 5 % aujourd'hui.
M. Guy Fischer. Eh oui !
M. Gilbert Chabroux. On sait pourtant l'abus qui est fait de l'appellation de cadre. On qualifie ainsi des personnes, par exemple des gérants de magasins qui gagnent le SMIC, le but étant évidemment de les déclarer ensuite « cadres autonomes », pour les soumettre au forfait-jour. Ainsi, 25 % de cotisants à l'association générale des institutions de retraite des cadres, l'AGIRC, se situent en dessous du plafond de la sécurité sociale.
La généralisation du forfait annuel en jours pose un problème très grave. Les cadres et ceux qui y sont assimilés perdront toute référence horaire à la durée du travail, avec les excès que l'on connaît, par exemple, des journées de travail de treize heures, sans compensation - hélas ! Cela n'empêche pas, malheureusement, le rapporteur et la commission des affaires sociales de vouloir aller encore plus loin en appliquant le forfait-jour aux salariés non cadres itinérants.
M. Louis Souvet, rapporteur. A leur demande !
M. Gilbert Chabroux. Monsieur le ministre, croyez-vous que c'est un progrès, au xxie siècle, de compter le temps de travail en jours ?
M. Raymond Courrière. C'est un recul !
M. René-Pierre Signé. Eh oui !
M. Gilbert Chabroux. Au chapitre des abus imputables aux députés de la majorité...
M. René-Pierre Signé. Ils ont honte ! Ils se taisent !
M. Jean Chérioux. Non, ils veillent !
M. Gilbert Chabroux. ... il faut réserver une mention particulière à l'amendement assimilant l'astreinte au temps de repos. Ont-ils bien mesuré toutes les conséquences très graves qui en découleraient ? C'est une incitation à placer les salariés en astreinte vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, et pourquoi pas toute l'année !
M. Alain Gournac. Tout le temps !
M. Gilbert Chabroux. Voilà ! Vous l'avouez !
M. Jean Chérioux. N'exagérons pas !
M. Paul Blanc. N'importe quoi !
M. Gilbert Chabroux. Apparemment, vous avez reculé sur ce point, monsieur le ministre. Vous avez semblé revenir à la raison et à la jurisprudence établie en juillet dernier par la Cour de cassation.
M. François Fillon, ministre. Pas du tout !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. M. Chabroux adore la provocation !
M. Gilbert Chabroux. Pour plus de certitude, nous présenterons un amendement de suppression.
Monsieur le ministre, vous avez parlé de : « dialogue social ». Mais qu'y a-t-il à négocier ? Vous avez signé, mardi 15 octobre, le décret portant le contingent d'heures supplémentaires de 130 à 180 heures ; vous l'avez signé avant même que le débat sur votre projet de loi ne s'engage au Sénat, ce qui montre le peu de considération que vous avez pour la Haute Assemblée.
M. Guy Fischer. A quoi sert le débat parlementaire ? C'est scandaleux !
M. Gilbert Chabroux. Vous étiez ce même mardi devant la commission des affaires sociales : le décret était signé, et vous ne nous en avez rien dit !
M. René-Pierre Signé. Mépris de la démocratie !
M. Gilbert Chabroux. Quel peut être le sens de la négociation avec les partenaires sociaux puisque la règle de l'accord majoritaire, qui prévalait pour la RTT et qui a nourri un dialogue social très riche dans les entreprises, plus de cent mille salariés y ayant directement participé, va être supprimée ? Les accords passés, signés par la majorité des syndicats, pourront être renégociés par un seul syndicat minoritaire, ce qui est la négation de la démocratie.
M. René-Pierre Signé. Eh oui ! Mais ils ne savent pas ce qu'est la démocratie !
M. Gilbert Chabroux. Nous nous interrogeons plus largement sur la place que vous voulez donner au droit négocié, ou conventionnel, qui pourrait avoir la primauté sur le droit issu du pouvoir législatif. C'est une revendication rémanente du MEDEF. Vous reconnaissez-vous, monsieur le ministre, dans cette formule du rapporteur à l'Assemblée nationale, M. Pierre Morange, qui déclarait : « le droit légal est supplétif » ? Sommes-nous des supplétifs, monsieur le ministre ? (Sourires sur les travées socialistes.) Voulez-vous réduire la notion « d'ordre public social » à son socle le plus étroit, par exemple les règles minimales d'hygiène et de sécurité ?
Je voudrais maintenant m'arrêter un instant sur le problème du SMIC, qui sera harmonisé, comme le prévoyait la loi « Aubry II »,...
M. Alain Gournac. Ce n'est pas vrai !
M. Gilbert Chabroux. ... au plus tard le 1er juillet 2005.
M. Louis Souvet, rapporteur. Nous en sommes au cinquième SMIC !
M. Gilbert Chabroux. L'harmonisation est positivie...
M. Jean Chérioux. Pas possible !
M. Gilbert Chabroux. ... mais il faut regarder de plus près le mécanisme que vous proposez.
M. Guy Fischer. Il est pervers !
M. Gilbert Chabroux. Cette harmonisation se fera en effet au prix d'une forte pression sur le pouvoir d'achat. La méthode que vous avez choisie ignore les préconisations du Conseil économique et social, qui souhaitait que le SMIC reste bien un salaire de croissance - comme le "C" l'indique - et bénéficie donc d'une participation aux fruits de la croissance.
Concrètement, l'abandon de la référence à la progression du pouvoir d'achat du salaire dans le calcul de la revalorisation du SMIC conduira à des pertes importantes de pouvoir d'achat pour les salariés concernés.
M. le président. Monsieur Chabroux, j'attire votre attention sur le fait que vous avez largement dépassé votre temps de parole. (Exclamations sur les travées socialistes.)
M. Gilbert Chabroux. J'ai été interrompu, monsieur le président !
M. le président. Le dépassement sera décompté du temps imparti à vos collègues du groupe socialiste. (Protestations sur les mêmes travées.)
M. Jean Chérioux. C'est tellement objectif, tellement intéressant qu'il serait dommage de s'en passer !
M. Gilbert Chabroux. Chers collègues, reconnaissez que vous m'avez interrompu !
M. le président. Vous avez été interrompu par M. le ministre, qui a parlé moins d'une minute. Veuillez poursuivre, monsieur Chabroux.
M. Jean Chérioux. C'est grand dommage !
M. Gilbert Chabroux. Monsieur le ministre, nous contestons le mécanisme que vous allez mettre en place, puisque vous ne tenez plus compte du pouvoir d'achat. Si vous aviez appliqué cette règle le 1er juillet dernier, la revalorisation du SMIC aurait été non pas de 2,42 %, mais seulement de 1,49 %. Ce mécanisme conduit donc les smicards à financer eux-mêmes une partie de la réduction de leur temps de travail en réduisant la revalorisation salariale qui leur est actuellement accordée par la loi.
M. Guy Fischer. Voilà la perversité !
M. Gilbert Chabroux. Plus grave encore, vous creusez, en réalité, les inégalités. Vous coupez la France des entreprises et des salariés en deux : d'un côté, les grandes entreprises passées aux 35 heures - il leur sera difficile de revenir en arrière même si, avec votre texte, ce n'est pas impossible -, de l'autre, les entreprises qui resteront à 39 heures, car elles n'auront plus aucun intérêt financier à réduire leur temps de travail ; d'un côté des salariés, - un peu plus de huit millions - à 35 heures, de l'autre des salariés - un peu moins de huit millions - à 39 heures !
Ce n'est pas la « France d'en haut » et la « France d'en bas », mais cela y ressemble ! C'est en tout cas la fracture du salariat, avec toutes les conséquences et tous les risques qui peuvent en découler.
Ainsi que l'exprimait un représentant de la CFTC lors d'une audition, vous gravez dans le marbre un statut inégalitaire, qui porte d'ailleurs atteinte à la concurrence pure et parfaite chère aux libéraux.
Les petites entreprises seront pénalisées et leur marché du travail se resserrera encore. C'est encore plus vrai pour les entreprises qui sont en retard socialement, entreprises auxquelles on offre de surcroît la possibilité d'aggraver les choses ! Pour certaines professions déjà peu attractives - métiers de bouche, bâtiment -, le risque d'une pénurie de main-d'oeuvre à court terme est réel. L'Union professionnelle artisanale, l'UPA, nous a fait part de sa très vive inquiétude.
M. Philippe Nogrix. Ils sont très contents de la réforme !
M. Gilbert Chabroux. La distorsion de situations entre salariés d'entreprises différentes s'accentuera, notamment entre petites et grandes entreprises, mais aussi dans une même catégorie d'entreprises entre celles qui ont joué le jeu des 35 heures et réellement réduit le temps de travail et celles qui ont traîné les pieds.
Il y aura également distorsion entre les entreprises qui payent bien leurs salariés, et qui seront perdantes, et celles qui les payent aux alentours du SMIC, et qui seront gagnantes. Il y a dans votre projet de loi, monsieur le ministre, une incitation anti-sociale et des effets pervers dont vous n'avez pas encore pris la mesure. (Protestations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Alain Gournac. Il est rigolo !
M. Gilbert Chabroux. Je pense aussi aux familles, aux parents, selon qu'ils seront à 35 heures ou pas. Alors que l'on fait appel à la responsabilisation des familles, comment peut-on admettre que la présence paternelle ou maternelle n'aurait pas la même valeur selon que l'on est cadre ou salarié, que l'on travaille dans une grande ou dans une petite entreprise ?
Il est clair, monsieur le ministre, que vous vous situez à contre-courant des évolutions majeures de notre société dans son rapport au temps.
M. Jean-Pierre Demerliat. Réactionnaire !
M. Gilbert Chabroux. Vous voulez jeter le discrédit sur le temps libre comme s'il y avait là quelque chose de honteux.
M. Jean Chérioux. Et vous sur le travail, comme s'il y avait là quelque chose de honteux !
M. Paul Blanc. Vous dévalorisez le travail !
M. Gilbert Chabroux. Mais ce temps libre, qui n'était que le résidu du temps de travail - il fallait bien laisser aux ouvriers un temps de récupération -, est devenu un temps autonome, un temps « choisi », pour reprendre l'expression de Jacques Delors. On y sent un souffle de liberté, comme dans toutes les mutations de notre société.
M. Bernard Murat. Et la liberté de choisir ?
M. Gilbert Chabroux. Monsieur le ministre, c'est un vrai projet de société que vous essayez de remettre en cause.
M. René-Pierre Signé. De détruire !
M. Gilbert Chabroux. Vous aurez fort à faire pour y parvenir : la réduction du temps de travail a surtout été vécue comme un changement culturel, particulièrement chez les jeunes qui en ont bénéficié. La RTT leur a permis de rééquilibrer vie professionnelle et vie personnelle. Vous ne pourrez pas les contraindre à revenir en arrière. Les 35 heures sont une avancée sociale qui est inscrite dans l'histoire sociale de notre pays.
M. René-Pierre Signé. Ils ne connaissent que le recul !
M. Gilbert Chabroux. Vous pouvez tout juste mener quelques combats d'arrière-garde. Nous mesurons bien, hélas ! leur nocivité, mais vous ne pourrez changer le mouvement qui transporte notre société et qui la conduit vers toujours plus de liberté. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Monsieur Chabroux, vous avez dépassé de sept minutes votre temps de parole. J'en décompterai cinq sur le temps de parole de vos collègues du groupe socialiste. (Protestations sur les travées socialistes.)
M. Gilbert Chabroux. J'ai sans cesse été interrompu !
M. le président. Y compris par vos collègues du groupe socialiste !
M. Jean Chérioux. Vous n'avez pas été interrompu, vous avez été accompagné !
M. René-Pierre Signé. Il y a des vérités qui ne sont pas bonnes à dire ! Défendu de dire la vérité !
M. le président. La parole est à Mme Annick Bocandé.
Mme Annick Bocandé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte qui nous est proposé est une étape importante et nécessaire dans le cadre d'une politique économique et sociale au service de la croissance, de l'emploi et du travail.
Il est un signal fort en réponse au message lancé par les Français lors des élections présidentielle et législatives.
En effet, depuis un peu plus d'un an, le chômage augmente de nouveau dans notre pays ; la France se situe d'ailleurs au douzième rang européen.
M. Paul Blanc. Voilà la vérité !
Mme Annick Bocandé. La conjoncture internationale y est certes pour beaucoup, mais c'est essentiellement la rigidité de notre organisation du travail et l'instauration forcée des 35 heures qui en sont responsables.
M. Paul Blanc. Exactement !
Mme Annick Bocandé. Je ne peux manquer de citer les conclusions rendues en février 1998 par la commission d'enquête sénatoriale chargée de recueillir les éléments d'information sur les conséquences financières, économiques et sociales de la décision de réduire à 35 heures la durée hebdomadaire du travail, commission dont le rapporteur fut notre éminent collègue Jean Arthuis, aujourd'hui président de la commission des finances.
La commission d'enquête avait conclu la réduction imposée du temps de travail était un pari intellectuel et qu'il n'y avait aucune corrélation à l'échelle internationale entre la durée du travail et le chômage. Cela est malheureusement vérifié aujourd'hui.
M. Paul Blanc. Les socialistes ont oublié !
Mme Annick Bocandé. Dans ses conclusions, le rapporteur avait estimé que le projet de loi entrait dans une logique étatiste par l'accroissement des aides publiques, des contrôles et des moyens nécessaires à son application et une amplification de la complexité.
M. Paul Blanc. Exact !
Mme Annick Bocandé. De plus, il avait précisé que, en annonçant sa décision de réduire d'une manière rigide et autoritaire la durée légale hebdomadaire du travail à 35 heures, le gouvernement précédent avait dissimulé au Parlement le véritable coût de la mesure pour les finances publiques.
M. Paul Blanc. Très bien !
Mme Annick Bocandé. Sur ce point, nous sommes allés de mauvaises surprises en mauvaises surprises.
M. Philippe Nogrix. C'est vrai !
Mme Annick Bocandé. Ainsi, lors de la présentation des lois « Aubry I » et « Aubry II », qui, je le rappelle, ont fait peser sur les finances publiques la charge excessive de 70 milliards de francs supplémentaires par an, on nous promettait la création de milliers d'emplois. Or, on ne peut aujourd'hui attribuer à la réduction du temps de travail que 300 000 emplois au mieux, soit 18 % des emplois créés sur la période. Nous ne sommes pas, monsieur Chabroux, dans une meilleure situation que les autres pays européens, qui n'ont pas fait le choix de dispositifs aussi dispendieux pour les finances de l'Etat. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. Philippe Nogrix. C'est vrai !
M. Jean Chérioux. Beaucoup d'argent pour rien !
Mme Annick Bocandé. Les lois Aubry ont de plus engendré des irrégularités entre les salariés du fait de l'injustice des SMIC multiples en même temps qu'une baisse du pouvoir d'achat entraînée par le gel des salaires dû à la diminution du nombre d'heures supplémentaires.
MM. Jean Chérioux et Philippe Nogrix. Absolument !
Mme Annick Bocandé. L'harmonisation du niveau du SMIC telle que vous la proposez, monsieur le ministre, est sans aucun doute un exercice difficile, et le délai de trois ans qui nous est proposé peut paraître un peu court. Cependant, une harmonisation est indispensable pour assurer la justice sociale telle que vous l'entendez, telle que nous l'entendons. C'est une harmonisation par le haut, source de simplification et de meilleure lisibilité du salaire minimum garanti, qui permettra au SMIC de redevenir un vrai référent salarial.
Permettre à ceux qui veulent travailler plus de pouvoir le faire, en faisant passer, par exemple, le contingent d'heures supplémentaires de 130 à 180, offrira aux salariés la possibilité de bénéficier d'un gain substantiel de pouvoir d'achat qui devrait aider à relancer la consommation - c'est nécessaire - et à alimenter une croissance en panne.
M. Paul Blanc. Très bien !
Mme Annick Bocandé. Le présent projet de loi répond également à une profonde attente des entreprises parce qu'il prône souplesse et simplification et parce qu'il réhabilite la voie de la négociation collective.
Il prévoit un dispositif de baisse des charges pour compenser, en partie, la hausse du SMIC. Avec mes collègues du groupe de l'Union centriste, nous ne pouvons qu'approuver cette mesure ciblée sur les bas et moyens salaires dont bénéficeront de manière significative neuf entreprises sur dix.
Nous nous félicitons de voir clarifié et simplifié le régime des allégements de cotisations patronales. En effet, à leur multiplicité - il y en a plus d'une trentaine - s'ajoute le fait qu'ils relèvent de logiques différentes.
Le dispositif que nous propose le Gouvernement constitue donc une étape essentielle vers une plus grande cohérence et une efficacité accrue des allégements de cotisations, dans le souci bien compris de favoriser l'emploi par une baisse du coût du travail.
Déjà, en juillet dernier, lors de l'examen par le Sénat du projet de loi portant création d'un dispositif de soutien à l'emploi des jeunes, je m'étais réjouie qu'une nouvelle étape à la politique d'allégement des charges, à laquelle j'adhère totalement, soit franchie.
L'occasion nous est à nouveau donnée aujourd'hui d'inverser les tendances et de permettre à de nombreuses entreprises de notre pays, en choisissant la voie de la réduction des charges sociales, de trouver le chemin des créations d'emplois. La majorité sénatoriale avait, d'ailleurs, déposé une proposition de loi en ce sens voilà quelques années.
C'est en effet en facilitant la gestion administrative des entreprises mais aussi en diminuant le coût du travail que l'on crée de l'emploi.
Revalorisation du travail, baisse des charges au service de la création d'emplois,...
M. Raymond Courrière. Il ne faudrait pas baisser aussi le niveau de la protection sociale !
Mme Annick Bocandé. ... relance du dialogue, justice sociale sont les priorités de votre politique, monsieur le ministre, politique qui est aussi la nôtre.
Le présent texte constitue une base solide qui permettra, dans un premier temps, de résoudre les problèmes les plus urgents et les plus graves. Je ne doute pas qu'il sera encore amélioré grâce aux négociations et aux concertations avec les partenaires sociaux.
Concilier progrès social et efficacité économique est une ambition à laquelle je ne peux qu'adhérer parce qu'elle redonne espoir à notre pays.
C'est pourquoi, avec le groupe de l'Union centriste, je voterai sans état d'âme ce projet de loi, complété de façon pertinente par les amendements que nous présentera M. le rapporteur, au nom de la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau.
M. Roland Muzeau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, très symboliquement, l'examen du projet de loi relatif aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi est l'occasion, pour le nouveau gouvernement, de rouvrir le dossier emblématique de la réduction du temps de travail et de commencer, selon vos propres termes, monsieur le ministre, « à corriger quelques-unes des fautes les plus graves commises par le gouvernement précédent dans les domaines économique et social ».
La prochaine étape, c'est la mise entre parenthèses de dispositions importantes contenues dans le « volet anti-licenciements » de la loi de modernisation sociale.
Il s'agit, là encore, de donner des signes forts aux entreprises, de satisfaire le MEDEF, qui a farouchement bataillé contre ce qu'il appelle une « loi paralysant les restructurations » et qui souhaite, comme pour le dispositif des 35 heures d'ailleurs, une abrogation pure et simple.
Un projet de loi relatif à la renégociation collective et aux procédures de licenciement économique est inscrit à l'ordre du jour prévisionnel des deux assemblées. C'est par la presse, une fois de plus, que nous avons pris connaissance de ses grandes lignes.
Vous envisagez notamment la suppression de la distinction entre la phase de consultation du comité d'entreprise sur le projet de restructuration et celle qui concerne le projet de licenciement collectif pour motif économique, du droit d'opposition du comité d'entreprise au projet de restructuration et de compression des effectifs, ainsi que de la saisine du médiateur : autant de dispositions de nature à renforcer les droits des salariés, mais que la droite parlementaire, dont vous-mêmes, mesdames, messieurs les membres de la majorité sénatoriale, refusait au motif qu'elles étaient prétendûment rigides et qu'elles limitaient beaucoup trop les marges de manoeuvre des chefs d'entreprise.
Aujourd'hui, il est question de raccourcir les délais de procédure retardant la mise en oeuvre des plans sociaux. Pourquoi alors remettre en cause l'étude d'impact social et territorial, qui relève plus de la prévention des licenciements ? Pourquoi allonger encore la liste des modifications en réintroduisant le critère des qualités professionnelles pour définir l'ordre des licenciements ?
Contrairement à ce que vous tentez d'afficher, monsieur le ministre, votre démarche est dogmatique. C'est non pas le pragmatisme qui vous pousse à défaire ce que le gouvernement précédent a construit, mais les seules exigences économiques de compétitivité et de rentabilité financière relayées par le MEDEF.
Pour faire bonne figure, un « monsieur licenciements » a été nommé à la tête de la cellule de veille relative aux licenciements économiques.
Pour autant, le Gouvernement n'envisage pas d'infléchir l'économie. Bien au contraire, il s'agit de laisser faire les actionnaires empêtrés dans la crise financière ; pis encore, il s'agit de leur faciliter la tâche en leur permettant de s'adapter aux conditions d'évolution des marchés.
Ces futures mesures, comme celles dont nous débattons cette semaine, portent atteinte au droit du travail dans ses aspects les plus fondamentaux. Des garanties essentielles pour les salariés sont sacrifiées. En revanche, la quête du « toujours plus » en matière de flexibilité et d'allégements de charges de tous ordres, notamment fiscales et sociales, est privilégiée.
A l'heure où les prévisions de croissance sont revues à la baisse, où la situation de l'emploi se dégrade nettement, où les annonces de plans sociaux et de suppressions d'emplois se multiplient, touchant tous les secteurs d'activité et toutes les régions - 36 000 emplois sont immédiatement menacés - vous faites le choix, comme le souligne Dominique Seux dans Les Echos du 19 octobre dernier, « de lâcher du lest aux entreprises (...) idée naturellement risquée ».
La bataille pour l'emploi n'est pas, contrairement aux dires de M. Raffarin, la priorité nationale : avec une baisse de 290 millions d'euros, le budget pour 2003 du ministère des affaires sociales, du travail et de la solidarité démontre le contraire.
La nette diminution, à hauteur de plus de 6 %, des crédits de l'emploi, principalement de ceux qui sont affectés au traitement social du chômage, traduit bien les choix faits en la matière.
En misant tout sur le secteur privé au détriment du secteur public et associatif, vous faites le jeu d'un patronat qui, tout en réclamant moins d'Etat, exige toujours plus de cadeaux fiscaux et sociaux financés sur fonds publics.
La conjoncture médiocre a contraint le gouvernement auquel vous appartenez à un peu plus de prudence. Mais, même réajustés, les crédits destinés au financement des contrats aidés dans le secteur non marchand conduiront à réduire drastiquement le nombre des entrées dans le dispositif des contrats emploi-solidarité et, dans une moindre mesure, dans celui des contrats emplois consolidés. Le dispositif TRACE - trajet d'accès à l'emploi -, ne sera pas davantage renforcé. Aucun nouveau conventionnement n'est prévu en 2003 en ce qui concerne les emplois-jeunes. Le dispositif est par conséquent amené à s'éteindre au motif, à vous en croire, monsieur le ministre, « qu'il ne rendait pas service aux jeunes (...) qu'il ne comportait pas de formation et contribuait à mettre en place une fonction publique territoriale dégradée ».
L'échéance des premiers contrats, lesquels sont au nombre de plus de 73 000, est proche.
Edith Arnoult-Brill, présidente du Conseil national de la vie associative, s'est inquiétée de la disparition de ces emplois qui « ont apporté des compétences, un moyen de conforter un projet associatif et de développer des activités ».
L'inquiétude est d'autant plus grande que, dans certains secteurs, tels que le secteur médico-social, les problèmes de recrutement sont énormes. L'Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux, l'UNIOPSS, dont nous avons rencontré les responsables, regrette, monsieur le ministre, votre manque de vision politique des problèmes de la jeunesse.
Nous sommes conscients des problèmes soulevés par les emplois-jeunes, notamment en matière de formation ou de salaire, et vous connaissez les opinions et les propositions émises par les parlementaires communistes depuis la création de ces contrats. Toutefois, nous n'acceptons pas que vous ayez décidé de ne pas aller jusqu'au bout de la démarche. En ne prévoyant pas l'intégration des jeunes dans leur emploi, vous prenez la responsabilité de les renvoyer par milliers à la précarité !
Votre choix est clair : vous faites de l'abaissement du coût du travail l'axe central de votre politique.
Vous avez commencé à décliner ce credo de la pensée capitaliste, donnant la priorité à la baisse, voire à l'exonération totale de cotisations sociales patronales, en mettant en place les nouveaux contrats jeunes en entreprise. Ces derniers, je le rappelle, ne sont assortis d'aucune obligation de formation, alors qu'ils s'adressent à des jeunes faiblement qualifiés et que nous savons pertinemment, tout comme vous, monsieur le ministre, que l'exigence de qualification croîtra de plus en plus à l'avenir, du fait des évolutions technologiques.
Vous persistez aujourd'hui dans cette démarche en proposant, au titre III du présent texte, un nouveau dispositif d'allégement de cotisations patronales qui entraînera une nouvelle montée en puissance des dépenses publiques, évaluée à 6 milliards d'euros d'ici à 2005.
Je suis convaincu, à l'instar d'ailleurs de nombreux économistes, que la massification des politiques d'allégement de cotisations sociales patronales, orientation qui s'est imposée à droite mais aussi, malheureusement, au sein de la gauche, n'est pas de nature à dynamiser l'emploi, tant quantitativement que qualitativement.
Je déplore, monsieur le ministre, votre absence de réponse aux interrogations des députés de gauche qui vous demandaient de chiffrer les effets, pour l'emploi, de la mise en oeuvre de votre projet de loi. Votre silence est lourd de sens !
Nous n'adhérons pas à la solution qui consiste à abaisser le coût du travail, parce qu'elle est responsable du développement de l'emploi non qualifié et de l'appauvrissement des salariés qui supportent un ensemble de graves inégalités.
Monsieur le ministre, nous sommes d'autant plus opposés au nouveau dispositif que vous nous présentez qu'il est totalement déconnecté de la réduction du temps de travail. Pour mémoire, je vous rappelle que nous n'étions pas satisfaits des allégements instaurés par la loi du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail, dite loi « Aubry II ».
Nous nous opposerons donc fermement aux articles 6 à 12, qui visent à refonder la ristourne Juppé et l'allégement prévu par la loi « Aubry II » et offrent aux entreprises des avantages importants sans aucune contrepartie.
Par ailleurs, vous proposez de rétablir, pour les entreprises, la possibilité de cumuler l'abattement spécifique au temps partiel avec la nouvelle mesure d'allégement des cotisations sociales. Vous incitez les entreprises à recourir au temps partiel, qui, au rebours de l'idée que vous défendez, est rarement choisi mais au contraire massivement imposé.
Non seulement ces allégements pénaliseront les entreprises qui sont déjà passées aux 35 heures, puisque, parallèlement, vous supprimez l'aide structurelle, mais surtout vous portez atteinte à l'économie générale des accords majoritaires signés en application de la loi « Aubry II ».
La lecture que nous faisons du premier volet de ce projet de loi, relatif au salaire minimum de croissance, est tout aussi négative.
Votre discours présente le dispositif d'harmonisation des SMIC comme un moyen d'augmenter substantiellement les salaires de l'ensemble des salariés payés au SMIC ; c'est séduisant, mais c'est faux !
Sur ce point comme à propos de la RTT, vous jouez du mécontentement légitime des nombreux salariés qui ont subi, à la suite du passage aux 35 heures, un gel de leur salaire. Vous jouez aussi sur les divisions introduites entre les salariés payés au SMIC et les autres.
Faute d'avoir prévu d'augmenter de 11,4 % le taux horaire du SMIC comme le préconisaient alors les parlementaires communistes, la loi « Aubry II » est à l'origine de la construction d'un mécanisme complexe et inégalitaire de garantie mensuelle de rémunération qui a mis à mal l'unicité du SMIC. Je le dis d'autant plus facilement que, à l'époque, nous avions combattu cette décision et formulé des propositions.
Cette multiplicité des SMIC a servi de prétexte au gouvernement Raffarin pour refuser, en juillet dernier, d'accorder un « coup de pouce » en supplément de la revalorisation légale.
Aujourd'hui, vous évoquez la nécessaire harmonisation des SMIC selon l'un des scénarii avancés par le Conseil économique et social, à savoir une « harmonisation par le haut ». Mais vous l'utilisez pour porter un coup supplémentaire à la vocation d'ascenseur social du SMIC, qui doit, selon la loi de 1970, assurer « aux salariés dont les rémunérations sont les plus faibles, la garantie de leur pouvoir d'achat et une participation au développement économique de la nation ».
Monsieur le ministre, 14 % des salariés - des jeunes, des femmes, des personnes employées dans les petites entreprises surtout - sont rémunérés à ce niveau. Ce sont des salaires qui ne permettent pas de vivre normalement ni décemment ; c'est dire l'importance des options choisies.
Il est certes positif d'annoncer une augmentation de 11,4 % du taux horaire du SMIC, mais il est injuste, voire très dangereux, de laisser espérer de tels gains de pouvoir d'achat.
Seuls ceux qui sont restés à 39 heures connaîtront cette augmentation sur trois ans. En contrepartie - car là il y en a une - « pour ne pas asphyxier les entreprises et tuer l'emploi », comme le dit le MEDEF, l'indexation du SMIC sur les gains de pouvoir d'achat des salaires est supprimée !
Les syndicats, dans leur grande majorité, ont déploré la méthode choisie, considérant ce « décrochage » du SMIC comme inadmissible et pervers.
Nous partageons leurs inquiétudes de voir un système transitoire perdurer et venir « dynamiter » le SMIC, conformément aux souhaits du MEDEF d'annualiser et de ne plus garantir, d'une année sur l'autre, montant de celui-ci.
Nous proposons, par le biais de nos amendements, une autre voie, une convergence plus rapide, immédiate des GMR et du SMIC horaire, d'une part, et le maintien des règles actuelles de revalorisation du SMIC, d'autre part.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Que ne l'avez-vous fait !
M. Roland Muzeau. Venons-en maintenant au titre II du projet de loi, relatif au temps de travail.
Malgré vos affirmations, monsieur le ministre, selon lesquelles il ne s'agit pas de relancer un débat idéologique sur la réduction du temps de travail, le moins que l'on puisse dire c'est que vous vous êtes laissé aller à certains dérapages.
Je pense en particulier ici à vos propos fâcheux attribuant au Front populaire l'effondrement de la France ou à certaines petites phrases qui ont pour le moins détérioré la qualité des débats.
Comme la grande majorité des élus de droite et des membres du patronat, vous n'adhérez pas au mouvement, pourtant historique, de réduction du temps de travail. Vous n'hésitez pas à le qualifier de « développement de la culture de la paresse ». Cela explique pourquoi, à de nombreuses reprises, votre majorité a fait référence au retour « aux valeurs et à la place du travail », ressuscitant ainsi des souvenirs peu reluisants.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ce n'est pas très joli, cela ! Vous êtes décevant, monsieur Muzeau !
M. Roland Muzeau. Toutefois, il vous était politiquement impossible d'en finir officiellement avec les 35 heures en touchant à la durée légale du travail. Comment, en effet, revenir de front sur une réforme dont bénéficient 14 millions de salariés, tous secteurs confondus ?
Je revendique, au fond, la démarche engagée dans ce domaine par le gouvernement précédent. Les objectifs alors assignés à la RTT me paraissent toujours justes : lutter contre le chômage en développant l'emploi ; répondre aux aspirations personnelles des salariés, qui veulent avoir davantage de temps pour eux, mais aussi à consacrer aux autres ; améliorer les conditions de travail ; parfaire la démocratie sociale... Je regrette simplement que la vision que nous avions de cette mesure, que nous voulions effectivement facteur de progrès social, n'ait pas été plus largement adoptée.
Je suis conscient que les modalités pratiques de l'application de la RTT n'ont pas toujours eu, loin s'en faut, des conséquences positives pour les salariés. (Ah ! sur les travées du RPR.)
Nous payons aujourd'hui les refus d'hier d'inscrire dans la loi une obligation de création d'emplois. La loi Aubry II a ouvert la boîte de Pandore s'agissant du SMIC, de la rémunération des heures supplémentaires ou de la modulation. (Eh oui ! sur les travées du RPR.)
M. Jean Chérioux. Eh bien voilà !
M. Roland Muzeau. Doit-on, pour autant, céder aux arguments de ceux qui n'ont d'autre ambition que d'allonger la durée effective du temps de travail et de mettre encore davantage l'accent sur les mécanismes privilégiant la souplesse ? Je ne le pense pas, mais c'est pourtant l'objet de ce texte.
Monsieur le ministre, un fossé sépare vos objectifs réels de déréglementation de la présentation que vous faites d'un projet de loi qui serait sous-tendu par une fibre sociale. Votre texte est tout sauf équilibré. Vous avez réussi jusqu'à présent à avancer masqué, excellant dans le rôle de modérateur social, refrénant en apparence les ardeurs du MEDEF lors des consultations préalables à l'élaboration du projet de loi.
Tout au long des débats à l'Assemblée nationale, le Gouvernement a dansé un beau pas de deux avec l'UDF, qui a développé le jusqu'au-boutisme du MEDEF.
M. Pierre Laffitte. C'est un procès d'intention !
M. Roland Muzeau. Les quelques amendements adoptés, peu nombreux tant les consignes de ne pas remettre en question l'équilibre du texte ont été respectées par l'UMP, confirment nos craintes.
L'ajout de la disposition modifiant substantiellement le régime des astreintes en assimilant celles-ci à des périodes de repos est une provocation de trop.
Les salariés, nombreux à être concernés dans les secteurs des services, médico-social, des transports et de l'énergie, apprécieront sûrement le peu de cas que vous faites, monsieur le ministre, des contraintes réelles qui pèsent sur eux et sur leurs familles. Votre attitude est tout simplement dictée par le fait que la jurisprudence n'est pas favorable aux employeurs ! Nous reviendrons, au cours de la discussion des articles, sur ce point qui ne peut rester en l'état.
Cette disposition relative au régime des astreintes, qui a soulevé un tollé du côté des syndicats, illustre bien la logique du présent projet de loi, lequel tend à aggraver la subordination du salarié à l'employeur.
Sous couvert d'assouplissement de notre droit du travail, le projet de loi contribue en fait à priver de tout son intérêt la loi relative à la réduction négociée du temps de travail votée en 2000.
Le régime des heures supplémentaires n'est pas simplement unifié, le seuil de déclenchement du repos compensateur n'est pas simplement rehaussé. Ces mesures auront des conséquences immédiates sur les conditions de travail et de vie des salariés, qui perdront notamment des droits à repos.
Vous accentuez la différence de traitement existant entre les salariés des petites structures et les autres salariés en institutionnalisant une rémunération des heures supplémentaires dérogatoires limitée à 10 % dans les entreprises de moins de vingt salariés. Vous « avalisez les conditions de travail à deux vitesses », comme l'a très justement titré La Tribune le 10 septembre dernier.
Pourquoi, si effectivement le Gouvernement souhaite que ceux qui désirent travailler plus puissent le faire en gagnant davantage, ne pas être allé jusqu'à ouvrir cette possibilité aux salariés à temps partiel, par exemple ?
Pourquoi ne pas garantir la liberté de chaque salarié d'accepter ou de refuser les heures supplémentaires « proposées » par l'employeur, ou ne pas rémunérer à leur juste valeur les heures supplémentaires, les heures complémentaires et, plus généralement, le travail des Français ?
Mme Nicole Borvo. Très bonne question !
M. Roland Muzeau. Sous couvert de simplification de notre droit du travail, vous bouleversez toute la hiérarchie des normes.
M. Guy Fischer. La vérité est là !
M. Roland Muzeau. En séance publique, vous vous êtes demandé, monsieur le ministre, quelle devait être la part de l'ordre public social par rapport à celle qui est laissée à la négociation collective.
Cette question est essentielle, mais votre logique m'échappe. N'avez-vous pas déjà apporté une réponse à propos des rapports entre la loi, qui deviendrait subsidiaire, et la négociation, le contrat, en faisant notamment sortir du domaine législatif la définition du niveau du contingent d'heures supplémentaires ?
A cet égard, il est assez symbolique que vous n'ayez pas jugé utile, préalablement, de définir avec les partenaires sociaux les champs de la négociation collective.
Je suis étonné de vous entendre faire référence à la « position commune » du 16 juillet 2001 sur l'approfondissement de la négociation collective. Alors que ce texte n'est qu'une simple déclaration d'intention, vous voulez l'utiliser comme fondement d'un projet de loi que vous présenteriez au Parlement.
M. François Fillon, ministre. Absolument !
M. Roland Muzeau. Vous savez comme moi que ce texte est fragile, dans la mesure où le MEDEF est en désaccord avec les syndicats sur la notion d'ordre public social.
Vous avez pris l'engagement oral, monsieur le ministre, d'accorder l'agrément aux seuls accords majoritaires. Pourquoi ne pas poser législativement cette exigence démocratique dès maintenant ? Vous qui vous déclarez favorable à la relance d'un dialogue social de qualité, acceptez nos amendements visant à introduire le principe majoritaire.
Sous couvert de sécurisation, le projet de loi tente de mettre un terme à plusieurs constructions jurisprudentielles jugées, par le MEDEF, trop favorables aux salariés. C'est vrai non seulement pour le régime des astreintes, mais également pour le paiement des heures supplémentaires auxquelles ont droit les salariés du secteur social et médico-social, en plus du versement de leur indemnité de RTT pour maintien de salaire.
S'agissant des cadres, catégorie de salariés qui est la plus satisfaite de la RTT, vous envisagez de limiter la portée de la jurisprudence Aventis. En affirmant que l'autonomie ne se décide pas mais qu'elle doit être réelle et prouvée, le juge avait encadré les possibilités déjà laissées à l'employeur pour définir les salariés cadres pouvant relever du forfait jour.
L'enjeu est de taille, le MEDEF l'a bien saisi d'ailleurs, la commission des affaires sociales du Sénat aussi, apparemment, puisque, en élargissant la définition de cette catégorie même à des non-cadres - itinérants, techniciens -, on permettrait à l'employeur de se dédouaner des limites du droit commun en matière de temps de travail.
Non seulement vous avez l'intention de limiter la portée des décisions de principe de la Cour de cassation, mais en plus, une fois voté, ce texte devrait permettre la validation d'accords actuellement contraires à la loi, en raison du niveau du contingent d'heures supplémentaires, supérieur à 180 heures, ou des dispositions relatives aux cadres. Tout cela est inacceptable.
Je viens de le démontrer, votre projet de loi, monsieur le ministre, annonce des bouleversements essentiels dans le droit du travail. Beaucoup de contradictions et de zones d'ombre demeurent.
Pour toutes ces raisons, le groupe communiste républicain et citoyen souhaite pleinement s'inscrire dans le débat, en lui consacrant toute la place qu'il mérite, et en cet instant, j'exprime notre désaccord devant la modification de l'organisation de nos débats, qui n'augure rien de bon pour leur qualité. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur de nombreuses travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Alain Gournac.
M. Alain Gournac. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, après cinq ans de politique socialiste de l'emploi, le gouvernement actuel doit gérer un héritage qui ne satisfait personne.
Depuis dix-huit mois, le chômage augmente à nouveau. Le taux de croissance de 2002 est faible et la conjoncture économique pour 2003 s'annonce difficile.
M. Henri Weber. Pas du tout : 2,5 % ! (Sourires sur les travées socialistes.)
M. Alain Gournac. Les lois sociales mises en place par le gouvernement précédent ont détérioré l'attractivité économique de la France.
La mise en place autoritaire et généralisée des 35 heures, une grande partie du texte relatif à la modernisation sociale et l'obstination à ne pas réduire les déficits budgétaires et sociaux émanant des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale sont autant de handicaps pour l'économie et pour l'emploi. (M. Gilbert Chabroux s'exclame.)
A cela s'ajoute le climat social sombre. Pas une profession n'a été épargnée par les difficultés économiques et les partenaires sociaux se sont sentis négligés, pour ne pas dire plus, durant la législature précédente.
Le bilan chiffré, lui non plus, n'est pas extraordinaire. L'analyse des données contenues dans le projet de loi du gouvernement sur le bilan 2000-2001 concernant la réduction du temps de travail suggère que celle-ci aurait permis la création de 300 000 emplois. Cela représente 18 % des 1 650 000 emplois créés au cours de la période 1996-2001.
Il apparaît également que ces créations d'emploi sont largement dues à la coïncidence de plusieurs facteurs : la période de croissance de la demande, celle des besoins de main-d'oeuvre ressentis par les entreprises et, enfin, l'opportunité offerte par l'Etat d'aider les embauches.
Il n'y a donc pas lieu de s'enorgueillir d'un si médiocre résultat pour un coût financier exorbitant, facteur de déséquilibres budgétaires pour nos comptes sociaux.
M. Claude Domeizel. N'exagérez pas !
M. Henri Weber. Ça c'est la « ristourne Juppé » ! Ne mélangez pas tout !
M. Alain Gournac. C'est dans ce contexte général que nous examinons un projet de loi de relance, qui tend à rétablir la justice sociale, à assouplir les 35 heures et à mettre en place une politique dynamique d'allégement des charges.
Comment ne pas se féliciter du changement de philosophie et d'attitude qui imprègne ce projet de loi ?
En effet, ce texte défend la valeur d'équité, en harmonisant les SMIC. Il défend également la valeur du travail et de l'effort, en permettant à celui qui veut travailler plus et gagner plus de le faire.
M. Gilbert Chabroux. Ah ?
M. Alain Gournac. Ce texte défend, en outre, la valeur de la simplicité, en instaurant un régime souple et lisible d'allégement des charges. Ce texte défend, enfin, la valeur du dialogue social, en ouvrant largement le champ de la négociation collective.
Tout d'abord, il s'agit d'un texte de justice sociale.
Parmi les nombreux effets pervers de la RTT obligatoire, non anticipés par le gouvernement précédent, figure la multiplication des garanties mensuelles, aboutissant à la création de six SMIC différents.
Il était injustifiable qu'un travail soit payé plus ou moins cher selon la taille de l'entreprise et la date à laquelle celle-ci est passée aux 35 heures. Cette situation ne pouvait perdurer et c'est sous le signe de la concertation et de l'équité que le Gouvernement a trouvé la solution de l'harmonisation par le haut.
Le coût sera lourd pour certaines entreprises, notamment celles qui emploient beaucoup de main-d'oeuvre non qualifiée, mais il est en grande partie compensé par l'allégement des charges dont il est question au titre III.
Toutefois, monsieur le ministre, je me permets d'inviter le Gouvernement à une grande vigilance tout au long de la période d'harmonisation. Des ajustements seront peut-être nécessaires compte tenu de l'impact de ces mesures sur les entreprises concernées.
M. Roland Muzeau. Ah !
M. Alain Gournac. Je fais naturellement confiance à votre pragmatisme. L'opposition, si prompte à la critique, trouvera difficilement des arguments contre une telle revalorisation des plus bas salaires : celle-ci est en effet sans précédent depuis vingt ans. (Exclamations sur les travées socialistes.)
Il est à noter que ce gain de pouvoir d'achat doit être l'occasion de revaloriser le travail en creusant l'écart avec les revenus d'insertion, de redonner confiance à ceux qui ont les salaires les plus modestes et de rendre au travail son attractivité par rapport aux revenus d'assistance.
Venons-en aux 35 heures.
Loin d'être un progrès social indiscutable, les 35 heures ont créée des conditions de travail dégradées : perte d'autonomie, accélération des rythmes, augmentation des tâches, accentuation des inégalités, modulation imprévisible du travail pour les moins qualifiés et stagnation du pouvoir d'achat.
M. Henri Weber. Pourquoi ne les abrogez-vous pas ?
M. Alain Gournac. Je les ai combattues, cher ami !
M. Henri Weber. Pourquoi les maintenir ? Si elles sont aussi néfastes, ayez le courage de les abroger !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Déposez un amendement, monsieur Weber !
M. Henri Weber. Non, car moi, j'en pense du bien !
M. Alain Gournac. Les 35 heures imposées ont eu, entre autres conséquences, un effet négatif sur la compétitivité des entreprises.
La nécessité d'assouplir l'application des 35 heures avait déjà amené notre assemblée à adopter, en décembre 2000, une proposition de loi cosignée par les présidents des groupes de la majorité sénatoriale, texte que j'ai eu l'honneur de rapporter.
A l'époque, nous craignions que la fin du régime de transition concernant l'application des 35 heures dans les entreprises de plus de vingt salariés et la perspective de leur application aux petites entreprises n'accroissent les « désajustements » sectoriels du marché du travail.
M. Paul Blanc. Une bombe à retardement !
M. Alain Gournac. De plus, le renchérissement des heures supplémentaires aurait eu pour conséquence d'inciter les entreprises à moins y recourir.
Pour maintenir le niveau de production, les entreprises seraient alors dans l'obligation d'augmenter la productivité, ce qui pourrait conduire à une dégradation des conditions de travail. Elles pourraient aussi se trouver dans l'incapacité de produire davantage en raison des difficultés réelles d'embauche dans bon nombre de secteurs.
On a effectivement constaté des cas tout à fait regrettables dans lesquels des entreprises, ayant à certains moments de l'année atteint le plafond des heures supplémentaires, ont été contraintes de refuser des commandes ou de faire fabriquer leurs produits dans d'autres usines du groupe, en Europe de l'Est ! Je peux vous fournir des précisions.
Le Gouvernement propose donc d'élargir et de clarifier le contingent des heures supplémentaires en incitant, par ailleurs, les partenaires sociaux à discuter des mesures qu'ils souhaitent voir mises en oeuvre dans un délai de dix-huit mois. C'est un pari. Le pari du dialogue, le pari que les acteurs de la négociation collective réussiront à trouver un dispositif qui ne leur sera pas imposé d'en haut.
Cette mesure est perçue par les PME comme une excellente nouvelle, même si elles regrettent qu'elle n'ait pas été appliquée plus tôt. Avec le ralentissement de la croissance économique, son impact favorable sur les ventes risque d'être un peu minoré.
En tout état de cause, cette disposition est de nature à redonner de l'attractivité à la France, à attirer les investisseurs étrangers.
Car, n'en déplaise à certains, en libérant les potentiels de travail tout en limitant les coûts pour l'entreprise, nous redonnons confiance aux entrepreneurs. Notre pays a plus que jamais besoin d'eux pour préparer l'avenir et créer des emplois. C'est la priorité des priorités.
Sur cet article en particulier, l'excellent rapporteur de la commission des affaires sociales, notre collègue Louis Souvet, a effectué un travail remarquable, qui a permis d'éclairer les débats en commission. Je soutiendrai les judicieux amendements qu'il a présentés et qu'il défendra en séance publique.
M. Guy Fischer. Heureusement !
M. Roland Muzeau. Ils sont obligés de les soutenir !
M. Alain Gournac. J'en viens à la question des charges sociales qui pèsent sur les bas salaires et sur les salaires moyens.
Enfin, des règles claires, unifiées et durables sont mises en place ! N'en déplaise aux détracteurs de cette mesure d'allégement supplémentaire, les économistes européens confirment de façon unanime que cette méthode a des effets significatifs et reconnus sur la création d'emplois.
Il faut également souligner l'ampleur de cette mesure : ce sont six milliards d'euros, en plus des quinze milliards d'euros actuels, qui sont investis dans cette politique. Bien entendu, notre assemblée, qui a toujours défendu cette stratégie pour l'emploi, ne peut que l'approuver.
D'autant plus que cette fois, ce n'est pas la sécurité sociale qui sera ponctionnée, par le biais du FOREC, pour financer ces dépenses nouvelles. Les comptes sociaux, menacés déjà par l'immobilisme du gouvernement précédent en matière de réforme, n'avaient, en effet, pas besoin d'être mis à mal encore un peu plus.
Conformément à la loi de juillet 1994 sur l'autonomie financière des branches de la sécurité sociale et l'obligation de compensation des suppressions de charges sociales décidées par l'Etat, c'est bien celui-ci qui prendra en charge ces six milliards d'euros par un transfert de nouvelles recettes vers le FOREC.
Cette décision est le signe d'une volonté, de la part du Gouvernement, de clarifier les relations entre les comptes sociaux et le budget de l'Etat. C'est une bonne décision.
Monsieur le ministre, je tiens à vous féliciter de ce texte, dont les propositions équilibrées satisferont les salariés les plus modestes. Ceux-ci vont gagner en pouvoir d'achat. Vos propositions apportent aussi une bouffée d'oxygène aux entreprises, notamment aux PME.
En assouplissant l'organisation du travail, ces mesures sont de nature à restaurer la confiance indispensable à la croissance de notre pays.
Je constate, sans surprise, que les engagements pris par le Président de la République sont tenus par le Premier ministre et le Gouvernement. Je m'en réjouis, non seulement pour moi-même, mais également pour mon pays. C'est pourquoi j'apporterai tout mon soutien à ce texte quelque peu modifié par notre assemblée. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat avait bien commencé par un exposé très clair de M. le ministre et par un excellent rapport de M. Souvet. Puis, on s'est un peu perdu dans les sables et un torrent de critiques s'est abattu sur la régression sociale que nous serions en train d'organiser.
Pour ma part, monsieur le ministre, après mon collègue et ami Georges Mouly, je tiens à vous apporter mon soutien total sur ce projet de loi, que je trouve simplificateur, équilibré et favorable à l'emploi.
Il est simplificateur parce que la multiplicité des SMIC, chef d'oeuvre de l'art administratif français, était une source extraordinaire de confusion et parce que, par leur grande complexité, les régimes d'aide aux entreprises favorisaient beaucoup plus les filiales des grandes entreprises internationales installées dans notre pays que nos petites et moyennes entreprises. Or cela ne vaut vraiment pas la peine de faire profiter d'un effet d'aubaine des entreprises dont les centres de décision ne sont pas en Europe !
Ce texte est équilibré parce qu'il relance la négociation entre les partenaires sociaux au niveau des branches. La commission propose d'ailleurs d'aller plus loin et de développer des conventions au niveau des entreprises, ce que j'approuve.
Il est équilibré également parce que l'unification des SMIC est compensée par une aide renforcée aux entreprises. Cet équilibre tout à fait satisfaisant permettra, je pense, d'obtenir de bons résultats.
Enfin, ce projet de loi est favorable à l'emploi. En effet, au lieu de concentrer les avantages sur les très grandes entreprises, il cible son action sur les entreprises de vingt salariés et moins.
Or l'expérience a montré, depuis une vingtaine d'années, que l'emploi se développait beaucoup plus dans les entreprises de vingt salariés que dans les très grandes entreprises.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous approuvons ce texte. Vous me permettrez cependant, monsieur le ministre, dans le bref laps de temps qui m'est imparti, de faire deux observations et d'exprimer deux regrets.
Tout d'abord, nous avons l'impression, en écoutant le débat, que nous ne sommes pas en Europe, que la France n'a pas participé à la monnaie unique et que nous pouvons régler nos affaires, en matière de temps de travail et de compétitivité, comme si rien n'existait à côté de nous. Nous avons été la risée de l'Europe quand nous avons, par la loi, réduit la durée du travail à 35 heures. Aussi, monsieur le ministre, votre première tâche, une fois ce projet de loi adopté, sera de relancer la négociation pour aboutir à une harmonisation européenne des conditions et de la durée du travail. Il n'est pas possible que nous ayons une monnaie unique, que nous la soutenions et que nous conservions des rythmes de travail totalement différents.
M. Louis Souvet, rapporteur. Bien sûr !
M. Jean-Pierre Fourcade. Avec nos partenaires anglais, espagnols, italiens, hollandais, etc, ainsi qu'avec les nouveaux pays qui vont prochainement entrer dans l'Europe, il nous faudra parvenir à harmoniser la réglementation de la durée du temps de travail.
C'est une tâche primordiale. J'ai attiré l'attention sur ce point car, en tant que membre du RDSE, je souhaite que la dimension européenne ne soit pas absente de ce débat.
M. Jacques Pelletier. Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade. J'en viens à ma deuxième observation : entre la position du groupe communiste républicain et citoyen, que je trouve parfaitement cohérente,...
M. Guy Fischer. Merci, monsieur Fourcade ! Pour une fois, c'est agréable à entendre !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. In cauda venenum !
M. Jean-Pierre Fourcade. ... puisque ce groupe a toujours demandé l'unification immédiate des SMIC, et la position que vous défendez, monsieur le ministre, c'est-à-dire une harmonisation sur trois ans, le Gouvernement va disposer d'une arme anticyclique importante.
Les chiffres de la consommation des ménages sont en train de chuter. Notre taux de croissance sera faible pour 2002 et celui de 2003 va dépendre d'événements dont nous ne sommes pas maîtres. Par conséquent, plutôt que de se triturer l'esprit pour trouver des mesures nouvelles afin de relancer la consommation, créer des allocations, etc, il sera préférable, au milieu de l'année prochaine, si l'on a l'impression que la conjoncture patine, que nous ne sommes pas capables de retrouver un taux de croissance normal, de procéder à l'unification des SMIC en deux ans au lieu de trois ans.
Vous aurez alors la certitude d'agir en faveur des salariés les plus modestes, ceux qui touchent entre un SMIC et 1,7 SMIC. Vous exercerez ainsi un effet immédiat sur le pouvoir d'achat. C'est donc d'un instrument conjoncturel que vous vous dotez. Je vous en félicite, et j'espère que vous l'utiliserez.
Venons-en aux regrets.
Vous n'avez pas essayé, monsieur le ministre, mais peut-être était-ce trop demander, de jouer sur le véritable réservoir d'emplois supplémentaires dont nous disposons et qui jusqu'ici n'a pas été utilisé. Je veux parler du premier emploi.
Notre pays compte un million d'entreprises unipersonnelles, qui ne parviennent pas à embaucher en raison de la complexité des formalités, du coût du recrutement, de la conjoncture difficile, etc. Je pense qu'un signe donné à ces entreprises pour leur permettre de recruter le premier emploi eût été bénéfique. Il aurait même fallu aller un peu plus loin, en réduisant les charges sociales des salariés au titre de ce premier emploi, ce qui aurait amélioré la feuille de paye de ces derniers mais aurait aussi favorisé la relance de l'emploi dans un secteur qui possède un grand gisement alors qu'il est quelque peu ignoré du législateur.
Mon second regret est simple : il porte sur le fait que ce texte ne s'applique malheureusement pas aux trois fonctions publiques. Or, tous ceux qui sont présents dans cette enceinte, tous ceux qui dirigent un établissement hospitalier, qui gèrent une grande collectivité ou qui président aux destinées d'une association ou d'un organisme quelconque savent parfaitement que l'application des 35 heures a totalement démoli l'ensemble des équilibres et des structures.
M. Paul Blanc. Totalement !
M. Jean-Pierre Fourcade. Aussi, monsieur le ministre, je souhaite que, dans un texte prochain, des dispositions soient prises pour les fonctions publiques, qui subissent les inconvénients des 35 heures de façon évidente. Et nul ne peut défendre la thèse selon laquelle les 35 heures auraient constitué un progrès ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Remarquable !
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Desmarescaux.
Mme Sylvie Desmarescaux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au regard du bilan des lois Aubry concernant la création d'emplois et la faiblesse du nombre d'entreprises effectivement passées aux 35 heures, nul ne peut contester que le projet de loi relatif aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi va dans le bon sens.
Le présent projet de loi rend aux partenaires sociaux la liberté de négociation que le gouvernement précédent avait remise en cause.
Il donne priorité aux baisses des charges, clé de voûte d'un système destiné à préserver et à faire baisser le nombre de chômeurs. En outre, contrairement aux critiques qui ont été exprimées, le texte qui nous est soumis n'en oublie pas pour autant les salariés, dont le pouvoir d'achat sera soutenu grâce à l'augmentation des bas salaires, mesure qui vient en complément de la diminution de l'impôt sur le revenu et des dispositions relatives à la prime pour l'emploi.
La préparation de ce projet de loi a montré la capacité du Gouvernement à se faire le conciliateur des intérêts de chacun des partenaires sociaux, ce dont je le félicite.
Je soutiendrai bien évidemment ce texte. Toutefois, je souhaiterais revenir sur l'amendement adopté par nos collègues députés concernant les périodes d'astreinte. En effet, selon cette proposition, le temps d'astreinte serait comptabilisé comme une période de repos si le salarié n'est pas intervenu. Or, aux termes de l'article L. 212-4 bis du code du travail, l'astreinte impose au salarié une obligation, celle de demeurer à son domicile ou à proximité afin d'être en mesure d'intervenir pour effectuer un travail au service de l'entreprise.
La question mérite d'être soulevée, et je me permets de vous demander, monsieur le ministre, de m'apporter une explication ou plutôt des apaisements.
Certes, la chambre sociale de la Cour de cassation a, dans son arrêt du 10 juillet 2002, estimé que le temps d'astreinte ne pouvait pas être considéré comme un temps de travail effectif. Est-ce pour autant qu'il faille le considérer comme un temps de repos ? Cette question n'a été tranchée ni par la jurisprudence ni par la doctrine.
Dans le souci de toujours laisser plus de place à la négociation collective, la compensation devrait prendre la forme qui sera déterminée par les accords de branche ou d'entreprise. Cela irait, me semble-t-il, dans le sens du dialogue social que souhaite rétablir le Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais écourter un peu mon temps de parole afin de laisser quelques minutes à mon ami Henri Weber et je ne m'attarderai que sur deux points essentiels.
M. Henri Weber. Merci de votre compréhension, mon cher collègue !
M. Jean-Pierre Godefroy. Je voudrais tout d'abord vous dire, monsieur le ministre, après mon collègue Gilbert Chabroux, que ce projet de loi au titre ambitieux n'a, selon nous, qu'un seul but : effacer les progrès de la loi Aubry, défaire les 35 heures. En effet, vous avez beau parler d'assouplissement, M. le Premier ministre, lui, a été beaucoup plus clair quand il a annoncé qu'il s'agissait bien de permettre aux entreprises de revenir aux 39 heures.
Vous présentez ce texte comme une simple correction des excès et des rigidités de la loi Aubry. En fait, il répond largement aux exigences patronales et ne manquera pas, lorsque les salariés pourront en mesurer concrètement les effets, de participer à l'alourdissement du climat social, qui n'en a pas besoin.
Ce texte est avant tout le rendez-vous manqué de la concertation. Comme l'a dit le président de la CFTC, que l'on ne peut pas accuser d'être un syndicat gauchiste : « Le projet de loi va permettre aux entreprises de faire travailler les personnels de 35 à 43 heures par semaine sans préavis, sans planification, avec une augmentation de salaire minime. La distorsion de situation entre les salariés d'entreprises différentes s'accentue, notamment entre les grandes et les petites. » - je reviendrai sur ce point tout à l'heure - « Ce premier dossier social du Gouvernement nous apparaît comme un rendez-vous manqué. »
Vous deviez relancer le dialogue social prétendument mis à mal. Or, l'on constate une succession de décisions prises unilatéralement. Ce projet de loi lui-même est entaché d'un défaut initial : les syndicats n'ont été consultés que sur un avant-projet qui, ensuite, a été modifié sans qu'ils en soient informés. Ils n'ont donc pas été consultés sur la version définitive du texte, contrairement à l'accoutumée.
M. Claude Domeizel. Absolument !
M. Jean-Pierre Godefroy. Vous vous prévalez de leur accord « au-delà des critiques convenues ». J'ai noté, comme mon ami Gilbert Chabroux, la formule que vous avez utilisée en commission des affaires sociales. Pourtant, lors des auditions organisées par la commission, tous les syndicats - sauf un - ont multiplié les critiques à l'égard de votre texte et des conditions de son élaboration.
Par ailleurs, monsieur le ministre, est-ce conforme à votre conception du dialogue social que de signer le décret sur la hausse du contingent d'heures supplémentaires alors que le débat ne fait que s'ouvrir au Sénat ?
Les lois Aubry, elles, ont bien permis un renouveau du dialogue social dans les branches et les entreprises. Depuis 1998, plus de 35 000 accords ont été signés chaque année concernant 8,6 millions de salariés.
Que dire, monsieur le ministre, de l'amendement voté, avec votre assentiment à l'Assemblée nationale concernant les astreintes ? Il ne s'agit certainement pas d'un exemple de dialogue social !
Que dire encore de votre argument relatif aux techniques modernes de communication, aux portables ?
On peut, dans ces conditions, légitimement s'interroger sur la notion de repos du salarié, qui ne doit pas seulement permettre la reconstitution de la force du travail au bénéfice de l'entreprise, comme il en allait au xixe siècle, mais qui doit aussi favoriser l'épanouissement personnel du salarié. Est-il dès lors pensable qu'une personne en situation d'astreinte puisse aller au cinéma, au théâtre, pratiquer un sport, garder les enfants si le conjoint travaille, le portable à portée de main, avec l'obligation de tout laisser sur le champ si une intervention s'impose ? Sa liberté est limitée. La question de la dépendance du salarié à l'égard de l'entreprise est alors clairement posée. Il nous semble tout à fait inacceptable dès lors de considérer ce temps comme du repos, même s'il n'y a pas intervention.
Nous espérons, monsieur le ministre, que la répétition des critiques de bon sens qui ont été émises au cours de ces derniers jours aura eu quelque effet sur vous. J'ai eu un espoir en écoutant votre propos liminaire. Je vois qu'il me faut faire machine arrière. Je pense pourtant que cette disposition devra être revue.
A propos de cette disposition, un représentant syndical a dit : « Le MEDEF en rêvait, l'Assemblée l'a fait. » Monsieur le ministre, pourriez-vous, avec l'appui du Sénat, - certaines voix se sont élevées ici en ce sens -, rectifier ce texte en rétablissant les salariés dans leur juste droit ?
Je ne doute pas que vous ayez conscience du grave problème qui se poserait en cas de confirmation de cette mesure. En tout cas, toute décision législative de cette nature devrait faire l'objet, pour le moins, d'un dialogue préalable et d'un accord avec les organisations syndicales.
Nous ne pouvons que souscrire à l'harmonisation des SMIC. Cependant, nous ne saurions accepter le mécanisme que vous nous proposez. Mon collègue Gilbert Chabroux a déjà évoqué ce point, sur lequel nous défendrons des amendements.
L'impact de la RTT sur l'emploi est loin d'être négligeable.
Vous parlez des 300 000 emplois créés comme si ce nombre valait à peine d'être mentionné. Mais 300 000 emplois, ce n'est déjà pas si mal ! Sans compter les emplois induits dans le secteur du tourisme, de l'hôtellerie-restauration, des loisirs, dont on ne parle pas assez. Nombre d'entreprises du secteur du tourisme attribuent en effet leurs bons résultats en moyenne saison à la mise en place de la réduction du temps de travail.
M. Henri Weber. Très juste !
M. Jean-Pierre Godefroy. Certes, le débat reste ouvert sur la question de savoir ce qui, de la RTT ou de la conjoncture économique, a joué le plus dans la réduction du chômage. Mais une chose est certaine : les mesures prises aujourd'hui pour revenir de fait aux 39 heures, ainsi que la nouvelle conjoncture, risquent d'avoir un résultat tout autre, qu'il nous appartiendra d'appréhender en son temps, en attribuant sa véritable part à l'un et à l'autre.
Nous ne pouvons, aujourd'hui, que prendre rendez-vous, mais nous sommes sceptiques.
En effet, monsieur le ministre, avec la suppression des emplois-jeunes, la diminution des CES, l'abandon du programme TRACE et la création, par cette loi, de deux catégories de salariés - ceux qui sont déjà passés aux 35 heures et qui craignent à juste titre un retour sur ce progrès social, d'une part, et ceux qui, travaillant dans une petite entreprise, n'en bénéficieront jamais, d'autre part -, la France du travail se trouve divisée en deux : c'est la France du travail à deux vitesses.
Cela ne manque pas d'inquiéter les entreprises artisanales, qui ont déjà des difficultés pour trouver du personnel qualifié. Et ce ne sont pas les contrats-jeunes n'intégrant pas une obligation de formation, qui permettront de répondre aux besoins de ces entreprises. Celles-ci nous ont clairement fait savoir qu'elles avaient besoin de personnels formés. Ces PME étaient pourtant expressément désignées comme la cible de votre dispositif avant qu'un amendement du Sénat, accepté par le Gouvernement, ne l'étende aux grandes entreprises.
Sur ce point, la conjugaison des deux lois risque de poser de redoutables problèmes.
On ne pourra pas reprocher aux salariés d'être plus enclins à se faire embaucher dans une grande entreprise déjà passée aux 35 heures et ayant un comité d'entreprise dynamique !
Ces deux mesures risquent de peser très lourdement sur les PME et sur les artisans en ce qui concerne l'embauche et la durée de présence des salariés dans l'entreprise. En fait, ces deux mesures conjuguées risquent de faire du salariat des PME un réservoir pour les grandes entreprises.
Qui plus est, la logique inquiétante suivie par différents ministères en matière d'emploi ne peut laisser indifférent. Je veux parler, en particulier, de cette logique qui consiste à créer des vacations accessibles aux retraités.
Ainsi, la fonction de juge de proximité est créée essentiellement pour des retraités qui ont eu une carrière professionnelle leur assurant pourtant une retraite satisfaisante. De même, le ministère de l'éducation nationale envisage, pour pallier la suppression de postes d'aide-éducateur et de surveillant, de faire appel à de nouvelles recrues, notamment des jeunes retraités, selon une note adressée aux recteurs d'académie. C'est aussi le secrétaire d'Etat aux transports et à la mer qui, lors de son audition par le groupe sénatorial d'étude de la mer, fait part de son idée de recruter des retraités navigants pour des vacations d'inspecteur des affaires maritimes.
Cette évolution, qui consiste à repousser de fait l'âge de la retraite, à substituer des compléments de retraites à des embauches de jeunes - lesquels ne trouveront pas d'emploi - entraîne une rupture totale avec la volonté du gouvernement précédent de faire entrer, dans les meilleures conditions, les jeunes dans la société du travail.
J'entends beaucoup parler de la valeur du travail. Les salariés, eux, savent ce que cela signifie, car c'est leur vie, c'est leur existence. Il faut voir la mobilisation des salariés quand des pans de restructuration d'une entreprise mettent en péril leur avenir. Ils veulent travailler !
Le cataclysme que nous avons connu en Basse-Normandie avec Moulinex n'était pas dû aux 35 heures : c'est la mauvaise gestion de l'entreprise qui était en cause.
Pour toutes ces raisons, qui ne sont pas dogmatiques, mais très pragmatiques, monsieur le ministre, nous avons plus qu'un doute sur la politique qui nous est proposée par le Gouvernement. En conséquence, vous l'avez compris, nous ne pouvons que nous opposer à l'ensemble de ces mesures. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. René Trégouët.
M. René Trégouët. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en moins de dix ans, c'est la quatrième fois que nous avons, au Sénat, un débat de fond sur la durée du travail.
A chacune de ces étapes, j'ai tenu à apporter à ce débat fondamental la modeste mais pragmatique contribution du chef d'entreprise que je suis.
Le 3 novembre 1993, lorsque nous fut présenté par M. Michel Giraud, ministre des affaires sociales dans le gouvernement de M. Balladur, le projet de la loi quinquennal sur l'emploi, j'avais dit non. Or nous n'étions pas nombreux, alors, à repousser ainsi la proposition qui nous était faite, après les élucubrations de M. Larrouturou, de permettre à des entreprises de réduire, à titre expérimental, à 32 heures la durée hebdomadaire du travail, et ce avec l'aide de fonds publics.
Après avoir avancé de très nombreux arguments, je motivais ainsi mon vote négatif : « Nous avons beau répéter que la semaine de 32 heures n'est mise en place qu'à titre expérimental, très vite va cheminer dans l'esprit des Français que le processus est maintenant inexorablement lancé. » Et je concluais mon intervention par ces mots : « Dès les prochaines années, cette réduction du temps de travail va devenir un thème majeur de société, sur lequel les Français risquent de se diviser dangeureusement. »
Je n'imaginais pas, alors, à quel point la réalité allait, hélas ! rejoindre mon intuition.
Le 21 mai 1996, devant M. Jacques Barrot, ministre du travail, venu défendre, au Sénat, ce que nous appelions la « loi de Robien », j'ai réitéré mon avis négatif en affirmant : « Laisser croire aux Français que, en travaillant moins, notre pays a plus de chances de préparer son avenir n'est pas le meilleur message qu'on puisse leur délivrer, surtout dans un contexte particulièrement défavorable et dans une compétition qui se mondialise de plus en plus. »
J'ajoutais, en conclusion, qu'il est très difficile, en proposant de diminer la durée du temps de travail, de donner confiance au pays.
Le 2 novembre 1999, la discussion sur la réduction du temps de travail revenait devant notre assemblée, et c'est Mme Aubry qui, cette fois, occupait le banc du Gouvernement.
En raison du caractère dogmatique et massif du dispositif proposé - la « loi de Robien » semblait bien timide, sinon artisanale, en comparaison ! -, la majorité du Sénat fut unanime pour s'opposer à ce projet de loi.
Voulant m'exprimer face à un ministre de gauche avec la même franchise, sinon la même brutalité, que je l'avais fait quelques années auparavant face à deux ministres de droite, je déclarai alors à Mme Aubry : « Si vous aviez voulu, madame le ministre, faire une loi qui regarde vers l'avenir et qui vous aurait fait entrer dans l'histoire, vous auriez dû nous proposer un texte qui protège les plus démunis et les plus exposés dans le terrible combat qui s'annonce. Or, loin de cela, le texte que vous présentez aujourd'hui, par son uniformité, par sa rigidité, par l'intervention des pouvoirs publics dans le contrat privé, va pénaliser davantage encore les plus faibles. »
La sanction est tombée au printemps dernier : le peuple a jugé. (M. Weber s'esclaffe.)
Nous voici donc, pour la quatrième fois en moins d'une décennie, réunis à nouveau pour discuter un texte relatif au temps de travail. Mais, cette fois-ci, contrairement à ce que j'ai fait en 1993, 1996 et en 1999, j'approuverai complètement le texte, monsieur le ministre, parce que la logique qui vous guide est fondamentalement différente de celles, bien proches les unes des autres, qui ont mené vos prédécesseurs sur une voie sans issue.
A l'encontre de la démarche choisie par Mme Aubry, qui pensait sincèrement, sans aucun doute, apporter le bonheur en réduisant le temps de travail de chacun, vous nous proposez un texte équilibré et subtil. Tous les acteurs, que ce soient les salariés, les entreprises ou les partenaires sociaux, sont traités avec respect ; ils pourront faire beaucoup de chemin ensemble, sans l'aide ni l'intervention des pouvoirs publics, s'ils utilisent avec intelligence toutes les potentialités de ce texte.
Ainsi, en apportant beaucoup plus de liberté dans la fixation des temps de travail, définis après négociation et avec responsabilité dans chaque branche, le Gouvernement reconnaît enfin que les besoins en temps de travail ne sont pas les mêmes dans une usine où sont fabriquées des chaussures, chez un maçon ou dans une banque. Cette différenciation liée au métier devra être reconnue au niveau des branches et se répercuter sur les salaires.
Pour compenser les pertes de pouvoir d'achat imposées aux revenus les plus faibles par le gouvernement socialiste, vous proposez de faire fortement évoluer le SMIC et de faire disparaître tous ses clones dès les prochaines années.
Mais, avec ce sens de l'équilibre qui caractérise fondamentalement votre texte, vous proposez aussitôt de diminuer substantiellement les charges des entreprises qui emploient ces smicards, afin que le coût du travail non qualifié, en particulier dans les entreprises de production soumises à forte concurrence, n'augmente pas.
En traitant ainsi globalement de la condition du salarié dans notre pays et en abordant, outre la question du temps de travail, celles des salaires des plus démunis et du coût du travail, vous entreprenez, monsieur le ministre, de sortir le char de l'Etat du bourbier dans lequel, il faut le reconnaître, il s'était enlisé, non pas depuis 1999, mais depuis dix ans.
M. Henri Weber. Quel poète ! (Sourires sur les travées socialistes.)
M. René Trégouët. Oh, mais vous serez sûrement meilleur que moi, monsieur Weber !
Tous les acteurs, salariés, entreprises ou partenaires sociaux, y trouveront leur intérêt.
Il était grand temps, car la dérive de la France dans la compétition mondiale aurait été irrattrapable.
J'apprécie beaucoup l'humilité et le pragmatisme avec lesquels le gouvernement de M. Raffarin remplit sa difficile mission.
Ainsi, contrairement à votre prédécesseur, vous reconnaissez, monsieur le ministre, ne pas détenir la vérité. Vous faites confiance aux partenaires sociaux, et je suis convaincu que votre secret espoir est de les voir, après réflexion et expérimentation, choisir les voies les plus pertinentes, ce qui vous dispensera d'imposer, au nom des pouvoirs publics, une solution forcément moins bonne que celle qui aura été mûrement réfléchie par l'ensemble des partenaires.
Cette voie du pragmatisme et de l'humilité est la bonne. Même si, à certains moments, des vents contraires se lèvent, il vous faudra maintenir le cap. Vous avez pour cela, monsieur le ministre, à la fois la compétence et la volonté nécessaires. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Joly.
M. Bernard Joly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les dispositions contenues dans le projet de loi que nous examinons aujourd'hui permettront, en mettant la négociation collective au sein de l'aménagement du temps de travail, de repartir sur de nouvelles bases. Celles-ci sont indispensables pour montrer qu'il existe un autre système économique que le modèle anglo-saxon, dont la fragilité prouve les limites. A raisonner exclusivement en termes de placements, de profits et de retour sur investissements, on débouche sur les plans de restructuration dévastateurs dont l'actualité plus ou moins récente fournit de tristes exemples.
Sur le Vieux Continent, l'économie dite « rhénane » s'appuie sur l'homme, le produit, le service et la redistribution. Elle ne peut se développer que si les partenaires sociaux sont mis en mesure de négocier et de trouver des accords qui fondent à la fois la justice sociale et l'efficacité économique.
Le nouvel équilibre mondial, avec l'émergence d'une Union européenne très élargie, constituant un bloc en parfaite équivalence avec les Etats-Unis d'Amérique en termes de population, de puissance de production et de commercialisation, implique que l'on restaure en France une liberté d'entreprendre garantissant les droits fondamentaux du travail. Les organisations au sein desquelles siègent les démocraties les plus puissantes vont intégrer des pays jusqu'alors mis à l'écart, pour des raisons évidentes de violation des droits de l'homme. Les défis de demain, pour ne pas dire d'aujourd'hui, ne peuvent être relevés si la présence de l'Etat est trop pesante ou si des mesures obligatoires sont appliquées uniformément. Les propositions contenues dans ce projet de loi, elles, tiennent compte de ces défis.
Qu'on le veuille ou non, les indicateurs économiques n'incitent pas à un enthousiasme immodéré. L'incidence de la réduction du temps de travail n'a été que très relative sur un marché de l'emploi essentiellement soutenu par une activité dynamique.
Le ralentissement général repousse l'espoir d'un retour au plein emploi et les entreprises ne voient aucune raison d'investir. Les prévisions sur le taux de croissance laissent sceptique une population « échaudée » par les analyses de commentateurs financiers, forcément avertis, qui n'ont pas vu venir l'effondrement de valeurs pourtant sûres. Cependant, il est indispensable de rétablir la confiance.
Privilégier la démarche selon laquelle il est toujours préjudiciable de changer des règles à peine entrées en vigueur me paraît réaliste et sain. Néanmoins, il convient d'avoir présent à l'esprit que 90 % des entreprises employant un peu moins de la moitié de l'effectif national des salariés n'ont pas souhaité avoir recours à la réduction du temps de travail. Parce que les PME, qui n'emploient souvent que quelques dizaines de personnes, se trouvent dans l'impossibilité d'appliquer une loi complexe qui ne tient pas compte des réalités, elles ne peuvent supporter la hausse du coût du travail générée par le dispositif et elles sont menacées de disparition. Donc, 35 heures il y a, et le postulat est conservé.
Le Gouvernement a entendu les entrepreneurs demander un assouplissement de cette durée légale maintenue. Le desserrement des heures supplémentaires est à la fois une variable d'ajustement indispensable pour la fluctuation de l'activité et un apport de rémunération apprécié des salariés. C'est par la négociation que les partenaires sociaux parviendront à l'ajustement nécessaire.
J'ai souhaité, par voie d'amendement, compléter le dispositif qui nous est soumis, notamment avec une disposition qui, me semble-t-il, a parfaitement sa place dans ce texte : effectuer ou non des heures supplémentaires, éventuellement lors des ouvertures de magasin le dimanche - ce qui est encore sujet tabou pour certains -, relève de la liberté individuelle, chacun devant pouvoir gérer sa vie comme il l'entend. On a trop souvent voulu faire croire que la pression du patronat s'assortissait du repérage des récalcitrants, qui écopaient alors de sanctions. Mais on peut aussi choisir de travailler pour obtenir ce que l'on privilégie, et la rémunération est, dans nos sociétés qui ne sont pas fondées sur le troc, le moyen d'y parvenir !
Par ailleurs, l'adhésion au dispostif proposé en matière de temps de travail supplémentaire négocié et accepté ne sera acquise qu'au prix du respect d'un équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle. Cette recherche d'adéquation suscite chez les cadres quelques inquiétudes si le forfait jour est proposé sans discernement à toutes les catégories. Certaines ne doivent pas être lésées du fait de leurs conditions de rémunération ! Or ce serait notamment le cas pour 23 % de la population des cadres rémunérés en dessous du plafond de la sécurité sociale, et il faut aussi parler de ceux dont l'implication dans la recherche, dans l'aboutissement de travaux non sécables ou dans la négociation de marchés extérieurs génère une accumulation de jours de RTT impossibles à prendre accolés, ou même isolément.
L'harmonisation des SMIC est une mesure incontournable. Il est inconcevable, pour une démocratie, de mettre de côté ceux dont le niveau de vie est le plus vulnérable. La référence de base a été perdue, la complexité des niveaux a généré une multiplication des taux ; finalement, ce sont les plus modestes qui ont vu leur pouvoir d'achat diminuer. Il faut quand même le dire, car les responsables de gauche sont très manichéens.
M. Jean Chérioux. Très bien !
M. Bernard Joly. A eux le monde de la générosité, du désintéressement et de la défense des démunis, à la droite le soutien du pouvoir de l'argent asservissant l'individu.
M. Henri Weber. Mais non !
M. Bernard Joly. Il faut rompre cette utopie. La gauche a fait du mal aux plus vulnérables d'entre nous !
C'est pourquoi l'allégement des charges sur les emplois les moins qualifiés constitue un instrument majeur. Ce n'est pas un cadeau aux entreprises, c'est une chance donnée à ceux qui ont le plus de difficultés à rejoindre une communauté active et un atout pour le pays afin d'accéder dans de bonnes conditions à une Europe dont la crédibilité et le poids dépendent de la solidité de ses composantes.
Vous avez indiqué, monsieur le ministre, que le surcoût pour les finances publiques serait intégralement compensé pour les régimes de sécurité sociale. Pourrait-on en savoir plus ?
Je souhaite très sincèrement, monsieur le ministre, que cette nouvelle orientation de la politique économique et sociale de notre pays porte ses fruits. Notre Haute Assemblée, par ses apports, espère y contribuer avec vous. C'est dans cet esprit que j'ai déposé un certain nombre d'amendements, et un avis favorable du Gouvernement à leur encontre me serait particulièrement agréable. (Sourires.)
Il convient de rompre le cycle actuel. En effet, l'économie se venge toujours des mauvaises décisions politiques. Les trois fautes graves qui ont marqué ces récentes années - l'instauration des 35 heures, le maintien en l'état du régime des retraites et la création des emplois-jeunes - ont laissé des traces, créé une fragilité et constitué des contentieux dont l'activité du pays traînera encore longtemps les handicaps. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean Chérioux. Hélas !
M. le président. La parole est à M. Henri Weber.
M. Henri Weber. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme un certain nombre d'entre nous, j'ai participé, en mars 1998, au débat sur ce qui allait devenir la première loi Aubry, et je me souviens des propos que nos excellents collègues de la majorité sénatoriale ont tenus du haut de cette tribune.
M. Jean Chérioux. C'était prophétique !
M. Louis Souvet, rapporteur. Cela s'est révélé exact !
M. Henri Weber. Selon eux, la loi sur les 35 heures allait casser notre croissance économique,...
M. Eric Doligé. C'est le cas !
M. Henri Weber. ... compromettre durablement la compétitivité de nos entreprises,...
M. Jean Chérioux. C'est le cas !
M. Henri Weber. ... détourner les Français du travail et de la valeur « travail » au profit de l'oisiveté, mère de tous les vices,...
M. Jean Chérioux. Bravo !
M. Henri Weber. ... produire finalement le contraire de l'effet recherché. Cette loi allait accroître le chômage au lieu de le réduire et étendre la pauvreté au lieu de la résorber. Bref, c'était un bel exemple d'effets pervers.
M. Jean Chérioux. Elle n'a pas résorbé la pauvreté !
M. Henri Weber. Cinq ans plus tard, mes chers collègues, force est de constater - et nous nous en réjouissons ! - qu'aucune de ces prophéties de malheur ne s'est vérifiée.
Notre croissance économique n'a pas été entravée : elle s'est révélée, au contraire, avec 3 % par an en moyenne, la plus forte de celle des pays de la zone euro.
La compétitivité de nos entreprises n'a pas été compromise : elle a été, au contraire, améliorée, notamment grâce à l'amélioration de la productivité.
Nos exportations se sont accrues et notre balance commerciale est restée fortement excédentaire,...
M. Jean Chérioux. Elle est « restée » excédentaire !
M. Henri Weber. ... ce qui prouve que la compétitivité a été maintenue.
L'investissement n'a pas été découragé : il a, au contraire, atteint des sommets, avoisinant 8 à 10 % en 1998, 1999 et 2000, pour s'établir à 5,3 % par an sur la législature.
L'attractivité du site « France » n'a pas été ternie : notre pays s'est placé, au contraire, au troisième rang dans le monde pour l'accueil des investissements étrangers directs.
M. Jean Chérioux. Et le rapport Charzat ?
M. Henri Weber. L'emploi n'a pas été plombé : deux millions d'emplois supplémentaires...
M. Louis Souvet, rapporteur. Aidés !
M. Henri Weber. ... ont été, au contraire, créés en cinq ans, dont quatre cent mille sont directement dus à l'application des 35 heures.
Les Français ne se sont pas détournés du travail, au contraire : neuf cent mille d'entre eux y sont retournés en quittant l'ANPE, et la masse des heures de travail a augmenté de 9 %.
Les Français ne se sont pas détournés non plus de la valeur « travail » : ce qui pourrait les détourner de cette valeur, mes chers collègues, ce n'est pas la réduction de la durée du travail, c'est l'expérience traumatisante du chômage de longue durée, des emplois précaires sous-rémunérés et la surexploitation. Voilà ce qui atteint de plein fouet la valeur « travail » ! Ce n'est pas la réduction du temps de travail ! Ou alors il vous faudra, mes chers collègues, revenir sur la conquête des 40 heures pour retrouver les durées ô combien favorables de nos aïeux !
Monsieur le ministre, c'est en faisant reculer ces trois fléaux que sont le chômage de masse et de longue durée, le travail précaire qui s'étend et le travail sous-rémunéré que vous réhausserez la valeur « travail » dans notre pays.
Les Français ne se sont pas davantage appauvris : la consommation des ménages, dopée par la reprise de l'emploi, a augmenté de 3 % par an et elle a constitué l'un des moteurs les plus puissants de notre croissance économique.
La catastrophe annoncée ici même par nombre de nos collègues de l'actuelle majorité ne s'est donc pas produite, bien au contraire.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Demandez à Jospin !
M. Henri Weber. Cela étant, tout bilan honnête doit être contrasté.
Gilbert Chabroux rappelait à l'instant que 59 % des salariés qui sont passés aux 35 heures, c'est-à-dire pratiquement les deux tiers, se déclarent satisfaits. Cela fait tout de même 31 % qui ne le sont pas,...
M. Jean Chérioux. Non, 41 % !
M. Henri Weber. ... dont 13 % se disent carrément mécontents or, 13 % de neuf millions, mes chers collègues, cela fait tout de même beaucoup de monde !
M. Jean Chérioux. Eh oui !
M. Henri Weber. Nous savons que, là où le passage aux 35 heures a été mal négocié du fait de l'absence ou de la faiblesse des syndicats ou pour d'autres raisons, il y a eu des abus et des détournements de l'esprit de la loi et, en effet, quelquefois, une augmentation de la précarité et de la surexploitation.
Nous savons aussi que beaucoup de salariés aux revenus modestes préfèrent souvent faire des heures supplémentaires plutôt que de voir réduire leur temps de travail.
M. Jean Chérioux. C'est vrai !
M. Henri Weber. Mais ce qui leur était proposé, en 1997, face à un chômage massif qui touchait 3,5 millions de nos concitoyens, c'était justement de faire du recul du chômage la priorité des priorités, au prix d'une modération salariale. Ce contrat a été accepté, c'était celui sur lequel Lionel Jospin a gagné les élections législatives de 1997.
M. Louis Souvet, rapporteur. Mais il a perdu l'élection suivante !
M. Henri Weber. Evidemment, lorsque la perspective du plein emploi est apparue à nouveau à portée de main, les aspirations ont changé de nature - c'est un phénomène que l'on connaît bien - et elles se sont déplacées vers les rémunérations, nous en sommes tout à fait conscients. Nous ne sommes pas des dogmatiques, mais des pragmatiques,...
M. Jean Chérioux. C'est un scoop !
M. Didier Boulaud. Il y en a dans tous les camps !
M. Henri Weber. ... et nous avons reconnu très vite la nécessité de certaines adaptations dans l'application des 35 heures, en particulier dans les petites entreprises ; nous avons pris les mesures nécessaires en termes d'assouplissement et d'adaptation, mesures que vous vous contentez d'ailleurs pour l'instant de proroger avant de faire voter les vôtres.
Nous aurions préféré, évidemment, procéder à la réforme du temps de travail par la négociation collective plutôt que par la loi. Mais la négociation sur la réduction du temps de travail était bloquée en France depuis 1982, vous le savez bien.
Ce ne sont pas les maigres résultats de la loi de Robien, rappellés ici même par mon précédesseur à cette tribune - 2 300 accords concernant quelques centaines de milliers de salariés -, qui auront permis de réviser ce constat. Aussi avons-nous dû adopter une démarche en deux temps : d'abord une loi-cadre en 1998, ouvrant une phase de négociation intensive - plus de 100 000 accords ont été signés - puis une loi validant le résultat de ces négociations.
Mais les adéquations et les assouplissements que nous préconisons pour la loi sur les 35 heures diffèrent radicalement de ce que vous nous proposez aujourd'hui. Ils visent à améliorer cette loi, que nous considérons comme une grande conquête sociale de notre peuple, et non à l'abroger, ce qui est la finalité de votre texte, comme Gilbert Chabroux l'a brillamment démontré.
Votre projet cumule trois défauts majeurs.
En premier lieu, il va créer une France salariale à deux vitesses : les neuf millions de salariés qui sont déjà passés aux 35 heures y resteront, car ils sont attachés à cet acquis et sont bien décidés à le défendre. Mais l'autre moitié des salariés, qui n'y est pas encore - essentiellement le salariés des petites entreprises - n'y passera sans doute pas sous votre gouvernement, car vous avez annulé toutes les mesures incitant à ce passage : le repos compensateur, la forte majoration du coût des heures supplémentaires, l'allégement des charges conditionné à la mise en oeuvre des 35 heures.
Cette discrimination entre deux salariats augmentera les difficultés de recrutement de branches entières : je pense aux branches artisanales, aux métiers de bouche, aux entreprises du bâtiment, qui éprouvent déjà beaucoup de difficultés à trouver des jeunes pour travailler dans ces conditions.
En deuxième lieu, votre projet va aggraver la condition des salariés : en majorant de 10 % seulement les heures supplémentaires, vous condamnez les salariés à travailler plus si leur patron l'exige - car ce sont les patrons qui exigent les heures supplémentaires, ce ne sont pas les salariés ! - alors même qu'ils ne seront pas payés davantage.
En supprimant du code du travail toute référence aux 35 heures au profit de la seule mention des 1 600 heures par an, vous favorisez les procédures d'annualisation et la flexibilité du travail, qui est souvent l'autre nom de la précarité du travail.
En dernier lieu, en décourageant le passage aux 35 heures et en encourageant, au contraire, le recours aux heures supplémentaires, votre projet va aggraver le chômage à un moment où tous les moyens de le contenir méritent, au contraire, d'être pleinement mobilisés. Je pense, en particulier, aux contrats emploi solidarité, que vous voulez réduire d'un tiers, aux bourses d'accès à l'emploi, que vous vous apprêtez à supprimer, au programme TRACE, qui a démontré son efficacité mais dont nous ne savons pas quel sort vous lui réserverez, aux emplois-jeunes, que vous arrêtez sans être véritablement assurés de l'efficacité des contrats que vous leur substituez.
Commentant votre politique, M. Ernest-Antoine Seillière.
M. Didier Boulaud. Le baron !
M. Henri Weber. ... le baron - mais un baron qui aime rire - a déclaré : « Ce gouvernement n'avance peut-être pas dans le bon sens ; en tous les cas, il recule dans la bonne direction. »
M. Didier Boulaud. Les yeux fermés !
M. Henri Weber. Vous comprendrez, monsieur le ministre, mes chers collègues, que les socialistes que nous sommes ne souhaitent pas reculer avec vous dans la direction qui sied au président du MEDEF. C'est pourquoi nous voterons contre votre projet de loi. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La parole est à M. le ministre.
M. François Fillon, ministre. Monsieur le président, je voudrais d'abord remercier le Sénat pour le débat que nous venons d'avoir, tout particulièrement M. le rapporteur.
M. Souvet a défendu le projet du Gouvernement en montrant bien qu'il était le fruit d'une concertation avec les partenaires sociaux, qu'un équilibre était né de cette concertation et qu'il ne devait pas être trop profondément bouleversé par la discussion parlementaire sous peine de risquer de nous placer en dehors du contrat qui a résulté de nos discussions.
Ce texte, vous l'avez bien dit, monsieur Souvet, n'est ni celui du MEDEF ni celui des organisations syndicales.
J'ai bien noté aussi les critiques de l'opposition sur le fait qu'aucune organisation syndicale - sauf une - n'aurait donné son accord. C'est une telle conception de la négociation que le gouvernement précédent a tout simplement renoncé à discuter avec les organisations syndicales ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Car si l'on exige de la négociation qu'elle satisfasse les revendications de l'ensemble des partenaires sociaux, on ne peut qu'aller à l'échec !
J'ai écouté les partenaires sociaux. La discussion que j'ai eue avec eux m'a permis de déterminer ce que je crois être aujourd'hui la ligne de l'intérêt général.
Des critiques ont été formulées sur le texte de base - celui que nous avions présenté aux partenaires sociaux - par les uns et par les autres, par les organisations syndicales et par les représentants des entreprises. Nous les avons prises en compte chaque fois que c'était possible, chaque fois que le retrait des dispositions n'entamait pas l'équilibre général du texte, ne faisait pas pencher les choses de manière excessive d'un côté ou de l'autre.
C'est en ce sens que le projet de loi est le résultat d'une concertation, c'est en ce sens que je maintiens mon affirmation selon laquelle derrière le mur apparent des critiques, les dispositions que nous présentons aujourd'hui suscitent, de la part des partenaires sociaux, une attitude qui, certes, est critique sur un certain nombre de points, mais qui est positive sur d'autres, ce qui montre bien que le choix que le Gouvernement a fait ouvre des espaces de négociation, des espaces de dialogue dont, demain, ils se saisiront.
Je remercie aussi M. le rapporteur d'avoir bien voulu appeler à la relance des négociations sur les minima conventionnels, question fondamentale qui reste pendante depuis de nombreuses années et que, évidemment, les lois sur les 35 heures n'ont pas résolue, au contraire. Je compte sur son soutien et sur celui du Sénat pour m'aider à convaincre les partenaires sociaux d'engager les discussions sur ce point.
Je remercie la majorité d'avoir mis l'accent sur la cohérence de notre politique économique et financière et d'avoir remarqué avec nous qu'elle était différente de celle qu'avait conduite le gouvernement précédent.
Oui, nous avons décidé de changer de politique de l'emploi ! Oui, nous avons décidé de changer de politique économique et de politique sociale ! Les critiques que l'opposition a formulées sur ce changement m'amènent à dire quelques mots sur la politique de l'emploi et sur la politique économique du gouvernement précédent.
En dépit d'une croissance inédite, sa politique ne s'est caractérisée ni par une grande originalité, ni par une grande clarté, ni par une grande efficacité.
Elle s'est tout d'abord appuyée sur les recettes traditionnelles, et souvent conjoncturelles, de la lutte contre le chômage : embauches dans la fonction publique, emplois-jeunes, emplois subventionnés et de solidarité.
Contrairement à ce que vous affirmez, mesdames, messieurs les sénateurs de l'opposition - comme si, au fond, vous le souhaitiez pour pouvoir mieux asseoir vos critiques -, le Gouvernement ne réduira pas d'un tiers le nombre des contrats aidés. En fait, il a décidé d'adapter la politique en la matière aux réalités de la situation économique et de la situation de l'emploi.
La conception de la politique de l'emploi du précédent gouvernement a certes quelque utilité, mais n'a rien de très ambitieux puisqu'elle n'augmente pas l'offre d'emplois de l'appareil économique et productif français.
Cette politique s'est appuyée aussi sur une réduction brutale du temps de travail dont les résultats, en termes d'emplois, sont peu concluants : 300 000 emplois créés ou consolidés ! Or nul n'est véritablement en mesure de préciser si ces emplois sont dus à la croissance ou aux allégements de charges. Et nul n'est en mesure non plus d'évaluer le nombre d'emplois qui auraient été créés si la règle des 35 heures n'avait pas été systématisée de façon aussi rigide.
Puisque vous avez de bonnes lectures, je ne résiste pas au plaisir de vous lire le passage du rapport de la DARES sur l'impact de la réduction du temps de travail sur l'emploi de 1996 à 2001 inclus, que vous avez cité tout à l'heure :
« L'observation comparée des entreprises passées à 35 heures et de celles restées à 39 heures sur la base des données de l'enquête trimestrielle... permet d'estimer à 300 000 les créations imputables à la réduction du temps de travail et aux allégements de charges qui l'ont accompagnée, soit une contribution de 18 %... »
« Il n'est sans doute pas indifférent de relever la coïncidence entre les besoins en main-d'oeuvre ressentis par les entreprises au cours des dernières années, qui ont été des années de croissance de la demande, et l'opportunité offerte par l'Etat de soutenir les embauches correspondantes à l'occasion de la mise en place des 35 heures, via les allégements de charges. »
Il est bon également de rappeler que la politique économique et sociale de nos prédécesseurs a aussi beaucoup emprunté au libéralisme, à ce libéralisme qu'on nous oppose tant aujourd'hui. J'en veux pour preuve l'accélération des privatisations : il n'y en a jamais eu autant que sous le précédent gouvernement ! L'enclenchement de la baisse de l'impôt sur le revenu en 2000, l'allégement des charges sociales, que M. Roland Muzeau a critiqués tout à l'heure, sont aujourd'hui vilipendés par une partie de la gauche, alors qu'ils ont été largement - j'ai envie de dire : un peu cyniquement - utilisés par la gauche elle-même pour financer en partie sa politique dite « sociale ».
En réalité, mesdames et messieurs les sénateurs, c'est surtout la croissance mondiale qui aura permis à nos prédécesseurs d'afficher des résultats en termes d'emplois et de masquer les conséquences d'une politique qui s'est refusée à tout renouveau intellectuel et à toute véritable réforme de structure.
C'est en cela que nous pouvons dire aujourd'hui que la croissance a été mal exploitée. Les résultats sont là.
Vous avez dit tout à l'heure que la France était le pays qui avait le mieux fait en matière de réduction du chômage. La France se situait au douzième rang avant, elle est au douzième rang après ! Comment pouvez-vous dire que nous aurions, avec les 35 heures, avec le retour massif aux emplois aidés, mieux fait que les autres alors que finalement nous occupons toujours la même position ?
En réalité, la performance française en matière de création nette d'emplois marchands ne s'est pas écartée de la moyenne européenne - la France est partie d'une position basse - malgré le recours à des politiques qu'aucun autre pays européen n'a voulu mettre en oeuvre, comme l'a fait remarquer tout à l'heure M. Fourcade.
Les réformes des retraites et de l'Etat n'ont pas été engagées et tout reste à faire ! Nos prélèvements obligatoires continuent de se situer au-dessus de la moyenne européenne et tout reste à faire ! Les déficits ont fortement dérapé en 2002 et tout reste à faire ! Malgré quatre ans de forte croissance, le taux de pauvreté a atteint les 11 % et tout reste encore à faire !
Mais, au-delà de la polémique, les critiques formulées contre ce projet de loi et contre le Gouvernement posent de vraies questions. Comment mieux orienter notre politique de l'emploi ? Quelle orientation privilégier face à l'augmentation continue du chômage depuis un an et demi ?
L'expérience et les chiffres démontrent que les recettes traditionnelles, sans être inutiles, ne sont pas à la hauteur de nos espérances. D'où la nécessité d'agir avec pragmatisme, mais aussi en cherchant à enrichir notre approche, en trouvant d'autres leviers pour combattre le chômage.
Le Gouvernement sait bien que les personnes qui sont éloignées du travail trouvent dans les contrats aidés par l'Etat un moyen de construire un parcours vers l'emploi. Ces instruments de traitement social du chômage seront donc utilisés, mais de façon ajustée.
Oui, donc, à un traitement social du chômage ajusté et ciblé, mais notre principale ambition est bien de soutenir la création de vrais emplois offrant de réelles perspectives professionnelles.
La première illustration de cette ambition, c'est la loi portant création d'un dispositif de soutien à l'emploi des jeunes en entreprise que vous avez soutenue et votée.
Le deuxième volet de notre politique de l'emploi s'appuie précisément sur le projet de loi dont nous débattons aujourd'hui. Il tend à donner plus d'oxygène à notre économie et plus de pouvoir d'achat aux salariés les plus modestes. Il s'inspire en premier lieu de la conviction, étayée par l'expérience, que les baisses de charges patronales, orientées sur les bas salaires, sont efficaces contre le chômage.
Le chômage touche, en effet, principalement les personnes les moins qualifiées. Ce n'est pas anormal, compte tenu des effets de la globalisation de l'économie qui font que, naturellement, les pays en voie de développement aspirent au développement, se construisent progressivement un outil de production industriel et viennent naturellement en concurrence avec nos productions, en particulier dans les secteurs qui emploient une main-d'oeuvre nombreuse et peu qualifiée.
Vous savez que le chômage dépasse aujourd'hui 14 % parmi les personnes dont le niveau d'études est inférieur au second cycle de l'enseignement secondaire, alors qu'il est de 5,7 % parmi celles qui ont suivi un enseignement supérieur.
Lorsque la conjoncture est difficile, les moins qualifiés sont les premiers exposés. C'est la raison pour laquelle nous avons souhaité, avec l'harmonisation des SMIC et la reconfiguration du dispositif d'allégement de charges sur les bas salaires et les salaires moyens, peser à la fois sur le coût du travail et sur le pouvoir d'achat des salariés pour relancer notre machine économique et donner à nos entreprises des moyens de mieux résister à cette concurrence, au moins le temps que notre économie soit capable de s'adapter aux conséquences de la mondialisation.
Bien entendu, celle-ci continuera de produire ses effets, parce qu'elle va dans le sens de l'histoire. Que des pays pauvres veuillent se doter d'appareils de production constitue pour nous un vrai défi à relever, mais personne ne peut contester que cette réalité va dans le sens de l'histoire et du progrès à l'échelle du monde.
La France a été, en 1993, l'un des premiers pays en Europe à expérimenter une réduction générale des cotisations sociales. Depuis, d'autres ont suivi et, que ce soit en Belgique, aux Pays-Bas, en Allemagne ou en Italie, les résultats observés ont toujours été positifs.
Les économistes considèrent que les allégements de charges ont permis d'enrichir la croissance en emplois. Grâce à ces allégements, le seuil de croissance à partir duquel l'économie française est créatrice nette d'emplois serait passé de 2,5 % à 1,5 % dès 1994.
La baisse du nombre d'emplois peu qualifiés a été enrayée et la part des emplois peu qualifiés dans le total des emplois, après avoir baissé de sept points de 1983 à 1994, a recommencé à croître légèrement à partir de cette date. Cette inversion de tendance est un phénomène important, non seulement d'un point de vue économique, mais également pour notre cohésion sociale. Nous ne pouvons pas accepter que les progrès de notre économie laissent les moins armés dans la compétition sur le bord du chemin.
Voilà l'esprit général qui anime notre politique de l'emploi, qui a été à la fois l'objet du soutien de la majorité et des critiques vives de l'opposition. Nous continuerons à avoir ce débat. Mais, pour finir sur ce sujet, je souhaite m'expliquer sur une question qui m'a été posée à plusieurs reprises, notamment à l'Assemblée nationale, et qui recevra toujours la même réponse de ma part. Elle se résume en ces termes : « Combien d'emplois allez-vous créer ? »
Telle est donc la conception que l'opposition a de l'économie. A ses yeux, il appartient au Gouvernement de décider du nombre d'emplois qu'il entend créer.
On l'a bien vu au moment des débats que rappelait à l'instant M. Weber : 750 000 emplois, tel était l'objectif de Mme Aubry grâce à la réduction du temps de travail, 600 000 emplois-jeunes, mais aussi 300 000 dans le secteur public et 300 000 dans le secteur privé, c'était l'objectif.
On a vu le résultat ! L'emploi ne se décrète pas !
Pour ma part, j'aborde cette question avec une grande humilité. Je cherche simplement à redonner aux entreprises les libertés qui vont leur permettre de se développer. Je cherche à redonner à notre territoire de l'attractivité par rapport notamment aux autres territoires européens. Je cherche enfin à redonner aux salariés l'envie de se dépasser, de travailler et de se dire que, s'ils travaillent, ils pourront recueillir les fruits de leurs efforts.
Plusieurs membres du Sénat m'ont interrogé sur le sujet de l'astreinte. Je veux, une nouvelle fois, éclairer votre assemblée sur l'objectif de l'amendement qui a été adopté par l'Assemblée nationale et que le Gouvernement a soutenu.
Cet amendement reprend, mot pour mot - j'y insiste - les termes d'une circulaire signée par Mme Aubry le 3 mars 2000 et prise en application de la loi du 19 janvier 2000. Il s'agissait effectivement, pour le gouvernement précédent, d'expliquer et de préciser l'impact de la loi en matière d'astreinte, alors que se dessinait une jurisprudence qui s'écartait manifestement de la volonté qui avait été celle du Gouvernement.
Il ne s'agit pas d'assimiler l'astreinte à un temps de repos, ni de revenir sur les accords qui ont été négociés ou qui pourront l'être demain pour faire en sorte que l'astreinte, quelles que soient les conditions dans lesquelles elle se situe, soit rémunérée en tant que telle. Il s'agit simplement de faire en sorte que l'astreinte ne soit pas invoquée, lorsqu'il n'y a pas eu d'intervention, dans le décompte des temps de repos hebdomadaire et journalier. C'est le seul objectif de cet amendement, comme c'était le seul objectif de la circulaire de Mme Aubry, circulaire que je tiens, bien entendu, à la disposition de tous ceux qui souhaiteraient s'informer sur ce sujet.
Plusieurs d'entre vous ont dit, notamment sur les travées de l'opposition, et c'est bien normal, que le décret fixant le contingent d'heures supplémentaires à 180 heures n'avait pas fait l'objet de discussion avec les organisations syndicales et que sa publication en plein débat montrait que le Gouvernement n'avait pas de considération pour le Sénat. C'est évidemment tout le contraire !
D'abord, c'était déjà, dans le passé, un décret et non la loi qui avait fixé à 130 heures le contingent des heures supplémentaires.
Ensuite, le décret a été annoncé aux partenaires sociaux lors d'une réunion de la Commission nationale de la négociation collective, le 6 septembre. Il a été confirmé lors de la présentation du projet de loi en conseil des ministres, le 18 septembre, et il a été remis aux commissions compétentes lors de l'engagement du débat.
Il fallait sortir ce décret rapidement dans l'intérêt général et dans l'intérêt des entreprises et des salariés pour, sans attendre, permettre aux entreprises qui n'ont pas d'accord dans ce domaine de s'engager, si elles le souhaitent, dans la voie de l'augmentation du contingent d'heures supplémentaires, même si - cela va sans dire - la durée de 180 heures n'est pas applicable à l'ensemble de l'année 2002, le décret n'ayant pas d'effet rétroactif. Il convient de proratiser cette durée pour les dernières semaines de 2002, puisque c'est en général à la fin de l'année que l'on fait le décompte des heures supplémentaires.
Enfin, ce décret ne rend pas la négociation caduque, bien au contraire. En effet, c'est en partie en fonction des résultats de la négociation et des discussions dans les entreprises et dans les branches, et après avis du Conseil économique et social, que le Gouvernement fixera de manière définitive le contingent d'heures supplémentaires. Si nous avons annoncé qu'il y aurait une discussion sur ce sujet dans dix-huit mois, c'est bien parce que nous ne voulons pas fermer la porte à la négociation !
Plusieurs intervenants ont, parfois de manière assez goguenarde, évoqué la structure interministérielle que nous mettons en place pour faire face aux conséquences des plans sociaux. Je ne suis pas sûr qu'ils aient été bien inspirés de le faire, d'abord parce que nous avons tous eu à vivre, ces dernières années, les conséquences de plans sociaux.
Tout à l'heure a été évoqué l'exemple de Moulinex. Il se trouve que, en tant qu'ancien président de la région Pays de la Loire et ancien président du conseil général de la Sarthe, j'ai connu deux crises Moulinex. Je suis donc bien placé pour vous dire que l'absence de coordination entre les services de l'Etat, l'absence d'une réponse globale de l'Etat, à la fois sociale et économique, l'absence d'une coordination suffisamment organisée sur le terrain, l'absence de coordination entre l'Etat et les collectivités locales ont eu, bien évidemment, des conséquences sur la mise en oeuvre de ces plans sociaux.
On peut railler la personne que nous avons désignée pour animer cette coordination interministérielle en la traitant de « monsieur licenciement » mais, en cas de crise, nombre d'entre vous seront heureux qu'une structure leur permette d'avoir un accès direct à l'Etat de manière à envisager toutes les conséquences de ces plans sociaux, notamment en termes de reclassement des salariés et de réindustrialisation des bassins d'emplois.
Nous, nous ne voulons pas apporter à la question des restructurations industrielles une réponse sous forme de garanties formelles. Nous ne voulons pas non plus rester impuissants, comme l'avait été M. Jospin, alors Premier ministre, à la suite de l'annonce de la fermeture de l'usine de Vilvorde ou lors de l'affaire Moulinex.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Très bien !
M. François Fillon, ministre. Nous pensons, en effet, que les garanties formelles figurant dans la loi de modernisation sociale n'apportent aucune véritable sécurité aux salariés, et cela se vérifie tous les jours.
Je l'ai dit au Sénat la semaine dernière, les plans sociaux ont augmenté de 40 % au cours seulement des cinq premiers mois de l'année 2002. Nous, nous pensons que c'est aux partenaires sociaux de se mettre d'accord entre eux sur la meilleure façon de gérer les conséquences de ces restructurations industrielles qui sont, malheureusement, vous le savez bien, inévitables.
Une autre critique faite par plusieurs d'entre vous portait sur le fait que ce projet créerait un système à deux vitesses. Mesdames, messieurs les sénateurs de l'opposition, il fallait y penser quand vous avez voté le texte ! Qui pouvait imaginer un instant qu'un jour les artisans, les commerçants, les agriculteurs, les professions libérales, les travailleurs indépendants, les petites entreprises auraient accès aux 35 heures ? Personne ! D'ailleurs, à l'origine, le texte n'avait pas été conçu pour cela. Il n'avait même pas été conçu pour la fonction publique. La France a deux vitesses, dans ce domaine-là, c'est d'une certaine manière vous qui l'avez mise en oeuvre !
M. Alain Gournac. Exact !
M. François Fillon, ministre. Il est vrai que le projet que nous proposons aujourd'hui ne permet pas d'effacer les conséquences de ces décisions !
Il est une mesure que nous avons reprise car nous l'avions trouvée plutôt bonne, c'est celle qui consistait à permettre aux entreprises de moins de vingt salariés de ne pas appliquer le texte sur les 35 heures jusqu'à la fin de cette année. Nous prolongeons de trois ans cette dérogation qui avait été accordée par le gouvernement précédent.
Vous pouvez toujours dire que c'est trop long, mais vous ne pouvez quand même pas aller jusqu'à critiquer, comme vous l'avez fait tout à l'heure, une mesure que vous avez vous-mêmes portée et supportée !
Cela étant dit, peut-on penser que va perdurer une situation dans laquelle les entreprises françaises ont des conditions de travail différentes ? Je ne le crois pas. Pour ma part, je compte sur la négociation dans les branches pour que, progressivement, la situation des petites entreprises se rapproche, autant que possible, de celle des grandes entreprises. Si les petites et moyennes enteprises connaissaient cette situation trop longtemps, alors que les conditions démographiques peuvent provoquer des tensions sur le marché du travail, elles risqueraient de rencontrer des difficultés pour recruter du personnel qualifié.
Mais c'est aux entreprises, dans les branches, de trouver les bonnes réponses à cette question. Rien ne les empêche d'ailleurs de prendre aujourd'hui les mesures qu'elles entendent. Nous leur proposons, simplement, un cadre minimal à partir duquel c'est à elles de décider.
Je voudrais remercier M. Fourcade d'avoir rappelé au Sénat que nous étions en Europe et que nous avions mis en place une monnaie unique. Certains d'entre vous y étaient favorables ; d'autres - dont je faisais partie - étaient plus critiques.
M. Emmanuel Hamel. Et vous aviez raison !
M. François Fillon, ministre. Ils pensaient en effet que l'harmonisation sociale et l'harmonisation fiscale étaient un préalable nécessaire à l'euro.
Nous avons aujourd'hui la monnaie unique. Il nous faut maintenant travailler à l'harmonisation fiscale et à l'harmonisation sociale qui sont indispensables, faute de quoi notre territoire deviendrait de moins en moins attractif en Europe et les comparaisons avec les autres pays seraient de plus en plus rudes à soutenir. Je remarque d'ailleurs qu'aucun autre pays européen, qu'il soit géré par la gauche ou par la droite, ne s'est aventuré sur la voie sans issue que sont les 35 heures.
L'écart dans le temps de travail entre les différents pays européens pose aujourd'hui un vrai problème économique.
M. Henri Weber. Et la productivité ?
M. François Fillon, ministre. En Grande-Bretagne, pays qui n'est pas passé à la monnaie unique, le temps de travail moyen est supérieur à 45 heures, comme me le disait, voilà quelques jours, le ministre britannique du travail - un ministre de gauche -, qui était de passage à Paris. Bien entendu, je souhaite une diminution du temps de travail - il pensait la même chose d'ailleurs. Pourrons-nous éternellement connaître une monnaie unique et un espace économique européen avec des différences aussi importantes en ce qui concerne le temps de travail ? Je ne le crois pas.
J'essaie, à la place qui est la mienne, de faire en sorte que la Convention pour l'avenir de l'Europe, présidée par M. Valéry Giscard d'Estaing, prenne en compte la dimension sociale dans la construction européenne. Il y a là un équilibre à trouver avec l'ensemble des acteurs économiques.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je n'ai pas encore fait référence, et vous me le pardonnerez, à l'intervention de M. Chabroux. Pourtant, elle m'a posé plusieurs problèmes.
M. Alain Gournac. C'est intéressant !
M. François Fillon, ministre. J'ai d'abord commis l'erreur d'interrompre M. Chabroux : je me suis rendu compte assez rapidement que c'était ce qu'il cherchait !
M. Gilbert Chabroux. Non !
M. François Fillon, ministre. Son intervention a été non seulement provocatrice, voire parfois quelque peu insultante à l'égard du Gouvernement, notamment du ministre qui défend ce texte, mais surtout truffée d'erreurs manifestes et de caricatures. Je n'en citerai que deux pour éclairer la Haute Assemblée.
Emporté par son élan, M. Chabroux a souligné que nous avions décidé de baisser à 10 % le taux de bonification des quatre premières heures supplémentaires. On sait ce qu'il en est puisque c'est une décision que vous aviez appuyée en son temps, monsieur le sénateur. Vous avez même ajouté pour que la coupe soit pleine : « Et les suivantes » ! Eh bien non, monsieur Chabroux, parce que, au-delà des quatre premières heures, c'est de nouveau la règle des 25 % qui s'applique.
Vous avez dit ensuite qu'on pourrait faire travailler les gens sept jours sur sept. Non, monsieur Chabroux : la loi relative aux 35 heures prévoit un repos obligatoire et continue de s'appliquer.
M. Gilbert Chabroux. Je n'ai pas dit cela ! J'ai parlé des astreintes !
M. François Fillon, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, plutôt que de répondre à toutes les critiques émises par M. Chabroux, je préfère laisser à la gauche le soin de le faire. Je citerai simplement quelques interventions de ses amis sur les 35 heures.
En juillet dernier, M. Lang s'emportait contre « les risques d'une législation trop rigide et d'une application trop rapide ».
En juin 2002, M. Kouchner, avec beaucoup de franchise, précisait : « La façon dont les 35 heures ont été mises en place et ressenties a été l'une des causes fortes de l'échec de la gauche. »
M. Alain Gournac. Tiens !
M. François Fillon, ministre. « Dans la campagne, personne n'a jamais défendu devant moi les 35 heures, sauf les cadres supérieurs (...). Les autres ont surtout mis en avant les inconvénients de leur mise en place, les délais, les obstacles, les complications. Aménager le temps de travail, concluait M. Kouchner, c'est une affaire qui aurait dû être discutée sur plusieurs années. »
M. Henri Weber. Plusieurs sondages y sont favorables !
M. François Fillon, ministre. En mai 2002, Mme Royal estimait que « les 35 heures ont dégradé encore un peu plus les conditions de travail du monde salarié défavorisé ». (M. Alain Gournac se réjouit.)
En juin 2002, Henri Emmanuelli déclarait pour sa part : « Quand nous avons adopté la seconde loi Aubry, les salariés moyens ou modestes ont constaté des baisses de salaire. »
M. Henri Weber. Procédé misérable et stalinien !
M. Alain Gournac. Ça les gêne !
M. René-Pierre Signé. Il appelle la gauche à son secours !
M. François Fillon, ministre. « Qu'elles soient dues à la diminution du tarif des heures supplémentaires ou du salaire, ça revenait au même pour eux ! »
M. René-Pierre Signé. Ce n'est pas une bonne argumentation !
M. François Fillon, ministre. Je suis désolé de citer Marie-Noëlle Lienemann : « Les 35 heures, qui devaient être l'une des belles avancées de la gauche, ont vite tourné au vinaigre ».
M. René-Pierre Signé. Il manque d'arguments personnels !
M. François Fillon, ministre. Evoquant la multiplication des SMIC, elle déclare : « Le mécanisme des cinq SMIC mérite de figurer dans le Livre des records. » (M. Alain Gournac rit.) « Une artillerie lourde, complexe, a été inventée,...
M. René-Pierre Signé. Il manque vraiment de souffle !
M. François Fillon, ministre. ... rompant avec l'idée fondamentale : à travail égal, salaire égal. »
Je pourrais aussi évoquer Maxime Gremetz (Exclamations amusées sur les travées du RPR), qui réclamait, le 7 septembre 1999, « une augmentation de 11,4 % du taux horaire du SMIC,...
M. Roland Muzeau. M. Fourcade l'a presque proposée !
M. François Fillon, ministre. ... car le système mis en place n'est pas satisfaisant du tout » ! Je reconnais à M. Muzeau la cohérence des positions du groupe communiste sur ce point.
M. Allègre avoue, lui, en 2002 : « Je n'étais pas, à l'origine, un fana des 35 heures, car je préfère la diversité. Le même temps de travail pour tous, cela a quelque chose de bizarre et d'un peu systématique. »
M. Alain Gournac. Tiens !
M. François Fillon, ministre. Je ne sais pas si je peux citer, sans déclencher l'ire de l'opposition, M. Jean-Pierre Chevènement, qui affirmait, pour sa part, au printemps 2002,...
M. Henri Weber. Cela prouve quoi ?
M. François Fillon, ministre. ... qu'il était partisan « d'une mesure générale d'assouplissement des 35 heures ».
M. Henri Weber. De tels procédés rappellent l'école stalinienne de la falsification !
M. François Fillon, ministre. Enfin, car je le gardais pour la fin, en novembre 2000, M. Laurent Fabius observait que « les situations des entreprises ne sont pas toutes les mêmes ».
M. Henri Weber. Très juste !
M. François Fillon, ministre. Il disait encore : « Pour certaines entreprises, les 35 heures ne posent pas de problème, pour d'autres, c'est plus difficile. »
M. René-Pierre Signé. Et alors ?
M. François Fillon, ministre. « Des lois ont été votées, on ne les annulera pas, mais nous devons certainement traiter les situations diverses avec souplesse. » (Exclamations amusées et applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Alain Gournac. Vive la souplesse !
M. François Fillon, ministre. Eh bien, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est précisément ce que fait aujourd'hui le Gouvernement, qui laisse la conclusion de ce débat aux partenaires sociaux, parce que c'est eux qui démontreront, avec le temps, la capacité du corps social à utiliser les espaces de liberté que vous allez leur donner,...
M. René-Pierre Signé. Que vous supprimez !
M. François Fillon, ministre. ... grâce au projet de loi que vous allez voter, pour adapter, assouplir, améliorer à la fois les conditions de développement de notre économie et la condition des salariés. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Motion d'ordre