SEANCE DU 7 FEVRIER 2002


M. le président. L'amendement n° 11, présenté par M. Schosteck, au nom de la commission, est ainsi libellé :
« Après l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Le dernier alinéa de l'article 145-1 du code de procédure pénale est complété par trois phrases ainsi rédigées :
« A titre exceptionnel, lorsque les investigations du juge d'instruction doivent être poursuivies et que la mise en liberté de la personne mise en examen causerait pour la sécurité des personnes et des biens un risque d'une particulière gravité, la chambre de l'instruction peut prolonger pour une durée de quatre mois la durée de deux ans prévue au présent alinéa. La chambre de l'instruction, saisie par ordonnance motivée du juge des libertés et de la détention, statue conformément aux dispositions de l'article 207. Cette décision peut être renouvelée deux fois dans les mêmes conditions. »
« II. - L'avant-dernier alinéa de l'article 145-2 du même code est complété par trois phrases ainsi rédigées :
« A titre exceptionnel, lorsque les investigations du juge d'instruction doivent être poursuivies et que la mise en liberté de la personne mise en examen causerait pour la sécurité des personnes et des biens un risque d'une particulière gravité, la chambre de l'instruction peut prolonger pour une durée de quatre mois les durées maximales prévues au présent alinéa. La chambre de l'instruction, saisie par ordonnance motivée du juge des libertés et de la détention, statue conformément aux dispositions de l'article 207. Cette décision peut être renouvelée deux fois dans les mêmes conditions. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. La loi sur la présomption d'innocence avait institué des délais butoirs en matière de détention provisoire.
Je rappelle que le Sénat a plaidé tout au long du débat - cela a été rappelé lors de la discussion générale - en faveur de ce que notre collègue Charles Jolibois, alors rapporteur, avait qualifié de « soupape », mesure de sagesse qui aurait permis d'éviter la remise en liberté d'une personne dangereuse. Mais il n'a pas été entendu.
Le présent amendement, issu encore de la proposition de loi de M. Hubert Haenel, tend à prévoir une prolongation exceptionnelle par la chambre de l'instruction de la durée de la détention provisoire lorsque l'instruction doit être poursuivie et que la libération de la personne entraînerait un risque.
Je me permets de rappeler que, lors de son audition par la commission des affaires étrangères, le juge Jean-Louis Bruguière avait souligné que la durée maximale de deux années de détention provisoire posait de sérieuses difficultés aux magistrats instructeurs en matière d'infraction d'association de malfaiteurs.
Rappelons d'ailleurs que la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que l'on a beaucoup citée, à juste titre d'ailleurs, ne prévoit pas de délai butoir, mais fait référence à « un délai raisonnable ». Le présent amendement ne fait donc que reprendre mot pour mot les positions du Sénat lors de la discussion précédente.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Le Gouvernement n'est pas favorable à cet amendement.
Une telle prolongation ne me paraît ni nécessaire ni conforme à l'exigence de « délai raisonnable » prévue par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Je précise que les délais actuels - deux ans, ou quatre ans dans les cas les plus graves ou lorsqu'il s'agit de criminalité ou de délinquance internationale - sont en pratique suffisants, même s'ils exigent une modification de certaines pratiques judiciaires. Ainsi, les juges d'instruction ne doivent pas hésiter, quand la loi le permet, à renvoyer devant la juridiction de jugement les personnes pour les faits qui sont en état d'être jugés, le cas échéant en ordonnant la disjonction de la procédure, pour continuer à instruire sur les faits non encore élucidés.
Auparavant, l'absence de délai butoir conduisait les magistrats à prolonger leur procédure de façon excessive, ce qui a valu à la France plusieurs condamnations par la cour de Strasbourg. C'est pourquoi j'émets un avis défavorable sur l'amendement n° 11.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 11.
M. Robert Badinter. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Je rappelle que l'une des préoccupations majeures qui nous ont animés tout au long des débats sur la loi relative à la présomption d'innocence a été de mettre un terme aux trop longues procédures d'instruction.
Comme le rappelait M. Hyest, hier, en commission des lois, au cours de ses investigations la commission d'enquête sénatoriale sur les établissements pénitentiaires et notamment les maisons d'arrêt s'est aperçue que ce dont on se plaignait le plus était la longueur interminable des procédures d'instruction.
Lorsque l'on considère les statistiques relatives à la détention provisoire, on est frappé non par l'accroissement du nombre de placements - ils n'ont pas cessé de diminuer depuis 1985 - mais par l'augmentation de la durée des procédures d'instruction.
Des délais butoirs ont donc été fixés, et Mme la garde des sceaux a raison de rappeler qu'ils permettent parfaitement de procéder à toutes les investigations, lesquelles doivent absolument, à un moment donné, s'arrêter.
Je pense que la difficulté est née de l'application immédiate des délais butoirs. Un certain nombre de magistrats se sont alors trouvés en difficulté. Pourtant, ils auraient dû s'y attendre ! On en parlait depuis longtemps !
Quoi qu'il en soit, la période transitoire a été difficile et il aurait mieux valu étaler davantage la mise en oeuvre du dispositif.
Maintenant, il n'y a plus aucune raison de revenir sur ce qui a été décidé, et qui a d'ailleurs, je vous le rappelle, mes chers collègues, été décidé sur la base d'un accord intervenu en commission mixte paritaire.
M. Hubert Haenel. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel. A mes yeux, le dispositif qui nous est proposé par la commission des lois offre absolument toutes les garanties.
Il vise des cas tout à fait exceptionnels, ceux à propos desquels on peut parler de bavure judiciaire.
En effet, peut-on admettre qu'à cause d'un dispositif très serré, uniquement pour des raisons de procédure, des magistrats soient obligés de remettre quelqu'un en liberté, en sachant parfaitement que cette personne est particulièrement dangereuse ?
Le dispositif qui nous est proposé offre une soupape, et ce n'est pas moi qui le dis, c'est un éminent avocat, notre ancien collègue M. Jolibois. Il prévoit en effet que, à titre exceptionnel, lorsque les investigations du juge d'instruction doivent être poursuivies et que la mise en liberté de la personne mise en examen causerait pour la sécurité des personnes et des biens un risque d'une particulière gravité, la chambre de l'instruction - donc trois magistrats - à la demande du juge des libertés et de la détention, peut prolonger de quatre mois la durée de détention initalement prévue. Et n'oublions pas le contrôle suprême de la chambre criminelle de la Cour de cassation !
Si ce dispositif ne vous semble pas offrir toutes les garanties, alors je me demande si vous considérez bien les magistrats comme les gardiens de la liberté individuelle, tel que l'affirme notre Constitution.
M. Robert Badinter. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Badinter. M. Robert Badinter. Monsieur Haenel, même si les magistrats sont les gardiens de la liberté individuelle - je me suis plu à le rappeler et cela a fait l'objet de décisions fondamentales du Conseil constitutionnel - ils ont aussi le devoir d'être attentifs au délai.
Or on constate que, pour des raisons diverses, ces délais tendent à se prolonger exagérément en matière de détention provisoire.
En outre, et c'est une raison supplémentaire pour nous de ne pas suivre la commission, je suis très surpris par la procédure retenue. Il ne s'agit plus, dans ce cas, d'une demande adressée au juge, qui la transmet au juge des libertés et de la détention, avec contrôle de la chambre de l'instruction ; en l'occurrence, le juge des libertés et de la détention, par ordonnance motivée, saisit la chambre de l'instruction. Je ne m'explique pas cette procédure particulière, et je redoute, en la matière, les sources de nullité.
Au demeurant, cela n'est qu'accessoire, l'essentiel pour moi n'est pas là.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 11, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 3.

Article 4