SEANCE DU 17 DECEMBRE 2001


M. le président. L'amendement n° 70 rectifié, présenté par M. Charasse et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
« Après l'article 11, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« 1° A compter du 1er janvier 2002 les crédits prévus au chapitre 46-02 du budget des services généraux du Premier ministre et figurant à l'état B annexé au présent projet de loi de finances sont également utilisés pour indemniser, dans les mêmes conditions que celles prévues par le décret n° 2000-657 du 13 juillet 2000 instituant une mesure de réparation pour les orphelins dont les parents ont été victimes, pendant la guerre de 1939-1945, de persécutions antisémites, les orphelins dont les parents ont été victimes, pendant la guerre de 1939-1945, de persécutions en raison de leur race et qui ont trouvé la mort dans les camps de déportation.
« 2° L'intitulé du chapitre 46-02 du budget des services généraux du Premier ministre est modifié en conséquence.
« 3° Les modalités d'application du présent article seront fixées par décret en Conseil d'Etat. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Il s'agit de mettre fin à une injustice que ressentent très cruellement un certain nombre de nos compatriotes.
Le décret du 13 juillet 2000 a institué une indemnité spéciale en faveur des orphelins des victimes des persécutions antisémites pendant la dernière guerre, c'est-à-dire, pour simplifier, des orphelins dont les parents sont morts en déportation, et il a créé une discrimination - involontaire, j'espère - à l'égard des enfants de toutes celles et ceux qui ont été déportés pour des raisons raciales.
Notre amendement vise à préciser que les crédits prévus en 2002 pour mettre en oeuvre le décret du 13 juillet 2000 s'appliquent également à l'ensemble des orphelins dont les parents ont été victimes pendant la dernière guerre d'actes raciaux, qu'ils soient africains, antillais, réunionnais, asiatiques, tziganes, etc.
Notre pays compte, à bien y regarder, deux catégories de déportés : les déportés politiques et résistants, au nombre desquels je place les syndicalistes, les communistes, les francs-maçons, notamment, et les déportés pour raisons raciales.
Que l'on n'applique pas pour le moment une mesure générale à l'ensemble des déportés, je peux le comprendre ; mais que l'on maintienne une discrimination, parmi les déportés pour raisons raciales, entre les victimes de l'antisémitisme et les autres, c'est très mal vécu, j'en ai conscience. Plus vite un terme sera mis à cette affaire, mieux cela vaudra.
M. Michel Pelchat. Très bien !
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. L'avis du Gouvernement nous serait précieux.
M. le président. Quel est donc l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Monsieur le sénateur, aux termes du décret du 13 juillet 2000, que vous proposez d'étendre, a été mise en place une mesure de réparation pour les orphelins dont les parents ont été victimes des persécutions antisémites ; elle répond donc à une situation très spécifique dont le caractère exceptionnel appelait une réparation de la part de la France.
Les lois antisémites ont frappé les orphelins juifs de persécution et de déportation au même titre que les adultes. Ils ont donc connu la difficulté d'être juifs, ils ont dû se cacher, dissimuler leur identité pour échapper à la déportation, et, à la Libération, ils ont découvert le plus souvent qu'une grande partie de leur famille avait été exterminée.
Comme vous le savez, les autorités françaises, par la voix, d'abord, du chef de l'Etat, ont reconnu la responsabilité de la France dans cette situation ; la spécificité en a été mise en évidence par le rapport Mattéoli et confirmée par le Conseil d'Etat, qui a rejeté les recours formés contre le décret du 13 juillet 2000 en rappelant qu'avait été mise en oeuvre une politique d'extermination systématique qui s'étendait même aux enfants. Aux termes de son arrêt, le Gouvernement n'a pas « méconnu le principe d'égalité ni la prohibition des discriminations fondées sur la race, parce que ces mineurs ont été placés dans une situation différente de celles des orphelins des victimes des autres déportations criminelles pratiquées pendant la même période ».
Je ne conteste pas cependant que, par cet amendement, vous vous interrogiez légitimement sur la réalité de l'indemnisation de déportés raciaux autres que ceux qui ont été victimes des persécutions antisémites. Je suis donc tout à fait prête à demander à mon collègue chargé des anciens combattants de faire expertiser la situation d'éventuels autres déportés pour motifs raciaux, et d'examiner s'ils ont été indemnisés après la guerre, notamment parce qu'ils étaient français, ou si certains d'entre eux ont été oubliés.
Les orphelins dont les parents ont été victimes d'une déportation pour des motifs raciaux ont droit à la même réparation que les orphelins victimes des persécutions antisémites. Cependant, il me paraîtrait préférable d'attendre que l'expertise que j'évoquais soit disponible.
Dans cette perspective, je m'en remettrai à la sagesse du Sénat.
M. Michel Mercier. Très bien !
M. le président. Quel est, maintenant, l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Ce sujet est trop douloureux, trop difficile pour qu'il puisse faire l'objet de surenchères de notre part.
L'initiative de M. Michel Charasse...
M. Michel Charasse. Et du groupe socialiste !
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... et des membres du groupe socialiste et apparentés, si je ne m'abuse, vise à traiter de manière identique les orphelins de parents persécutés « en raison de leur race et qui ont trouvé la mort dans les camps de déportation », l'unicité de critère appelant l'unicité de traitement.
La commission est naturellement attachée à ce que l'ensemble du monde de la déportation soit traité de la même façon.
En ma qualité de maire d'une ville par laquelle ont transité 53 000 personnes appelées à être déportées, hélas ! j'ai noué au fil des années de très nombreux contacts avec les associations de déportés de toutes origines. Le monde de la déportation, en quelque sorte, nous révèle à nous-mêmes et, par l'indicible qu'il a vécu, nous renvoie à nos véritables responsabilités. Il est important de se souvenir et d'avoir l'obsession de l'équité sur un tel sujet.
Ayant eu le sentiment que cet amendement tendait à une plus grande équité, la commission a émis un avis favorable.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 70 rectifié.
M. Thierry Foucaud. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Nous avons déposé au cours de la session 2000-2001 une proposition de loi n° 441 dont l'objet, sous de nombreux aspects, est la simple et légitime réparation due par la collectivité nationale à celles et à ceux qui ont souffert de l'oppression nazie.
Nous ne pouvons donc que voter cet amendement, car la proposition qu'il formule va tout à fait dans le sens de ce que nous défendons, de ce que vous défendez, et des propos que vient de tenir M. le rapporteur général.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 70 rectifié, accepté par la commission et pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je constate que cet amendement a été adopté à l'unanimité.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi de finances rectificative, après l'article 11.

Article 12 et état C