SEANCE DU 7 DECEMBRE 2001


M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi concernant l'emploi et la solidarité : I. - Emploi.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Joseph Ostermann, rapporteur spécial de la commision des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les crédits du ministère de l'emploi s'élèvent, dans le projet de loi de finances pour 2002, à 16,78 milliards d'euros, alors qu'ils s'établissaient à 17,05 milliards d'euros en 2001 : cette diminution de 1,6 %, après une baisse de 1,9 % l'année dernière, montre que le budget de l'emploi ne semble plus constituer une priorité budgétaire pour le Gouvernement, en dépit de ses déclarations, probablement liées à l'inquiétude sur les perspectives de l'évolution du marché du travail.
Ces crédits sont consacrés aux moyens de fonctionnement à hauteur de 10,6 % et aux dépenses d'intervention pour 88,9 %. Il convient donc de constater que les services du ministère de l'emploi - que j'avais été amené à contrôler l'année dernière avec notre collègue Gérard Braun, rapporteur spécial des crédits de la fonction publique - ont été renforcés tout au long de la législature sans que leur gestion en ait été notablement améliorée.
Je vous ferai part des quatre observations que m'inspirent les dotations allouées à l'emploi pour 2002.
Première observation : l'amélioration de la situation de l'emploi semble terminée.
Alors que, depuis juin 1997, la situation du marché du travail s'est nettement améliorée, le taux de chômage étant passé de 12,3 % à cette date à 8,8 % en juin dernier, le Gouvernement, probablement grisé par ces bons résultats de nature conjoncturelle, s'était fixé comme objectif de parvenir au plein emploi au cours des prochaines années. Les attentats survenus aux Etats-Unis le 11 septembre dernier ont mis en évidence le caractère présomptueux de ces déclarations, la situation s'étant dégradée avant lesdits événements.
En effet, depuis le mois de mai dernier, les chiffres du chômage se détériorent régulièrement, le nombre de chômeurs ayant progressé de 104 700 en six mois. Cette évolution a porté le taux de chômage à 9 % de la population active, c'est-à-dire au même niveau qu'à la fin de l'année 2000.
Je m'interroge donc sur les effets mirifiques sur l'emploi qui étaient attendus de la réduction du temps de travail ! Pourquoi une telle dégradation de l'emploi, alors que les 35 heures auraient dû créer des centaines de milliers d'emplois ? Le Gouvernement s'étant par ailleurs proclamé responsable du recul du chômage, quelle décision a-t-il bien pu prendre pour provoquer un tel retournement du marché du travail ?
En réalité, une analyse plus fine de la situation de l'emploi montre que le Gouvernement n'avait pas de véritables raisons de se « gargariser » de la diminution du chômage.
Sans entrer dans le détail, je rappelle simplement que le chômage français reste à un niveau élevé, puisqu'il touche 8,5 % de la population active, contre 8,3 % dans la zone euro, 7,6 % dans l'Union européenne, 5,1 % au Royaume-Uni, 3,8 % en Irlande, 2,2 % aux Pays-Bas, 5 % au Japon et 4,6 % aux Etats-Unis. Or ces pays n'ont ni emplois-jeunes ni 35 heures, et ils ne s'en portent pas plus mal, au contraire !

En outre, l'amélioration de la situation de l'emploi est relativement inégale, les femmes, les jeunes, les non-diplômés ou peu diplômés, les salariés précaires, les chômeurs de longue durée continuant d'être touchés plus sévèrement par le chômage que la moyenne nationale.
Surtout, un recul important du chômage se heurte au niveau élevé du chômage structurel. Si le taux de chômage a reculé de plus de trois points depuis 1997, ce mouvement se heurte visiblement au socle du chômage structurel, évalué à 8 % de la population active en France par la Caisse des dépôts et consignations, mais seulement à 3 % aux Etats-Unis. Notre pays se trouve donc dans une situation délicate puisque, hors les effets de la conjoncture sur l'emploi, qu'ils soient positifs ou défavorables, le chômage ne diminuerait plus guère en France, le seuil du chômage structurel ayant été globalement atteint.
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. C'est n'importe quoi !
M. Joseph Ostermann, rapporteur spécial. Qu'a fait le Gouvernement pour sortir de cette situation ? Rien ! Il n'a par exemple engagé aucune réflexion sur le revenu minimum d'activité, le RMA, dispositif proposé par le président et le rapporteur général de la commission des finances. Si le Gouvernement s'est rallié au crédit d'impôt qu'est la prime pour l'emploi, c'est de façon contrainte et tardive, mais heureusement aiguillonné par le Sénat !
En revanche, il propose des mesures qui, à l'exemple de celles que contient le mauvais projet de loi de modernisation sociale, vont accroître les rigidités du marché du travail français et engendrer incontestablement une progression du chômage.
Deuxième observation : le projet de budget pour 2002 s'avère paradoxal et adresse un message brouillé aux agents économiques.
Depuis 1998, le budget de l'emploi n'a porté aucune réforme structurelle susceptible d'avoir un impact sur son montant. Au cours des dernières années, des économies importantes avaient été réalisées sur les crédits de l'emploi, mais il s'agissait de simples économies de constatation résultant d'une conjoncture favorable. Ainsi, le nombre total d'entrées dans les dispositifs de la politique de l'emploi a diminué de plus de 45 % depuis 1997.
Or la conjoncture est actuellement nettement moins bien orientée, et le projet de budget de l'emploi continue de diminuer.
Pourquoi une telle contradiction apparente ? Parce que la prévision de croissance retenue pour 2002 est irréaliste, avec les conséquences que cela implique, notamment sur le niveau de l'emploi l'année prochaine.
La budgétisation des crédits pour 2002 est donc tout simplement erronée, la diminution affichée de certaines dotations budgétaires apparaissant peu crédible. Il est dès lors probable que le retournement conjoncturel en cours se traduira in fine par une hausse des crédits de l'emploi, notamment du traitement social du chômage, comme vos récentes annonces sur l'ouverture de contrats aidés supplémentaires, madame la ministre, le laissent entendre.
A ce propos, je considère que le Gouvernement, avec ce projet de budget de l'emploi, adresse aux salariés et aux entreprises un message brouillé.
Il prend en effet un pari risqué sur la poursuite de l'amélioration de la situation de l'emploi en inscrivant des crédits à la baisse. De plus, il a lui-même ôté toute crédibilité à ce message en présentant, quelques jours après le conseil des ministres, un plan qui renoue avec le traitement social du chômage : Mme la ministre a en effet annoncé des entrées supplémentaires pour 2001, pour un coût de 180 millions d'euros devant être supporté par le prochain collectif.
Au regard de ces annonces, il me paraît probable que les dotations pour 2002 ne seront pas suffisantes - à moins que leur budgétisation ait été, une fois encore, volontairement faussée.
Troisième observation : le budget de l'emploi a progressivement perdu sa cohérence au cours de la législature.
La forte croissance des crédits de l'emploi depuis plusieurs années résulte essentiellement de la politique de réduction des charges sociales engagée en 1993, et de son corollaire, leur compensation par le budget de l'Etat auprès des organismes de sécurité sociale. Or, depuis 1999 surtout, le budget de l'emploi a vu son périmètre subir de multiples modifications, portant sur des montants considérables, qui en ont fortement restreint la cohérence et qui obligent à procéder à un calcul consolidé afin d'obtenir une vue d'ensemble à peu près sincère du coût de la politique de l'emploi.
La compensation des exonérations de charges sociales a ainsi quasiment disparu du budget de l'emploi, notamment depuis la création du fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale, le FOREC, destiné à financer les 35 heures et les allégements de charges qui leur sont liés. Avec cette débudgétisation massive destinée à dissimuler l'augmentation des dépenses, le budget de l'emploi a vu son montant diminuer de façon artificielle. Surtout, il reflète de moins en moins le principal axe de la politique de l'emploi et reste muet, notamment, sur le coût réel des 35 heures.
En fait, seuls 39,3 millions d'euros sont inscrits en 2002 au budget de l'emploi au titre des aides au conseil dans le cadre des 35 heures, alors que les dotations du FOREC devraient s'établir à 15,55 milliards d'euros : le budget de l'emploi supportera donc seulement 0,25 % du coût total des 35 heures !
Je considère par conséquent que le coût total de la politique de l'emploi en 2002 doit prendre en compte les crédits du budget de l'emploi, mais aussi ceux du FOREC, soit un total de 32,33 milliards d'euros, en progression de 2,3 % par rapport à 2001.
J'observe enfin que, comme le Sénat l'avait pressenti, les 2,29 milliards d'euros de l'UNEDIC ne seront pas affectés à l'emploi.
Je rappelle que, dans le cadre de la nouvelle convention d'assurance chômage, l'UNEDIC doit procéder au versement à l'Etat de 2,29 milliards d'euros, soit 1,07 milliard en 2001 et 1,22 milliard en 2002.
Ce versement, qui devrait désormais être effectif, après de multiples rebondissements, sera toutefois traité comme une recette non fiscale de l'Etat venant abonder le budget général : il ne sera donc pas spécifiquement affecté à des dispositifs de la politique de l'emploi, en dépit des déclarations rassurantes, mais délibérément floues, du Gouvernement sur ce point.
Quatrième observation : les emplois-jeunes constituent un dossier que le prochain gouvernement devra traiter.
En 2002, le coût des emplois-jeunes diminue de 3,6 %, pour la première fois depuis le lancement du dispositif, s'établissant à 3,23 milliards d'euros.
Il convient toutefois de noter que ce chapitre budgétaire fait traditionnellement l'objet d'une importante surdotation, puis d'une régulation non moins importante en cours d'exercice, comme l'a d'ailleurs relevé la Cour des comptes dans son rapport relatif à l'exécution des lois de finances pour 2000.
En outre, environ 230 millions d'euros n'auraient pas été consommés - à ce jour - en 2001.
Le Gouvernement a donc beau jeu d'affirmer qu'il réalise des économies ! Ces prétendues économies ne sont que la conséquence d'une budgétisation des crédits initiaux volontairement mal calibrée à des fins d'affichage politique. Je m'étonne d'ailleurs que le Gouvernement utilise les crédits de l'emploi comme une source d'économies potentielles.
Cette surdotation récurrente suscite une double interrogation, la première sur la capacité du Gouvernement à atteindre les objectifs qu'il s'est fixés en matière d'embauches d'emplois-jeunes, la seconde sur le nombre réel de ces derniers.
Le Gouvernement a en effet régulièrement modifié ses objectifs en ce qui concerne les emplois-jeunes. Il s'agissait d'abord de parvenir à recruter 350 000 jeunes à la fin de 2002, puis cet objectif a été avancé à la fin 2000, avant d'être de nouveau repoussé !
Par ailleurs, il a changé de nature : il ne s'agit plus de mesurer le dispositif en stock mais en flux, le nombre de jeunes ayant bénéficié de ce programme depuis sa création devant s'élever à 360 000 à la fin de 2002.
Il convient également de garder à l'esprit que le budget de l'emploi ne regroupe pas l'ensemble des crédits destinés au financement des emplois-jeunes, les budgets de l'éducation nationale, de l'intérieur, de la justice et de l'outre-mer étant également sollicités. Le coût total du dispositif s'établira donc à 3,67 milliards d'euros en 2002. Sur l'ensemble de la législature, il s'est établi à plus de 13 milliards d'euros.
Enfin, la question de l'avenir des emplois-jeunes n'est toujours pas réglée, en dépit de l'annonce, le 6 juin dernier, du plan gouvernemental de « consolidation » du dispositif : si les emplois sont pérennisés, on ne sait toujours pas ce que deviendront les jeunes qui les occupent.
En conclusion, la commission des finances a estimé qu'elle ne pouvait cautionner un projet de budget incomplet, globalement mal géré et entièrement subordonné à une politique de l'emploi archaïque, reposant avant tout sur un interventionnisme étatique qui nous isole de plus en plus de nos voisins et partenaires. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Souvet, rapporteur pour avis.
M. Louis Souvet, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, pour le travail et l'emploi. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'examen du projet de budget du ministère de l'emploi revêt cette année une importance particulière puisqu'il s'agit du dernier budget de la présente législature.
A cette occasion, j'ai souhaité, avec le concours de l'ensemble des partenaires sociaux, effectuer un bilan de la politique de l'emploi conduite depuis plus de quatre ans.
Qu'il s'agisse de l'évolution de l'emploi, des 35 heures ou du budget pour 2002, vous observerez, madame la ministre, que les conclusions des partenaires sociaux et de la commission des affaires sociales convergent très fortement, de même d'ailleurs que celles de la commission des finances.
J'évoquerai, en premier lieu, l'évolution du chômage.
De prime abord, le bilan sur le front du chômage apparaît encourageant, puisque le taux de chômage est passé de 12,3 % en juin 1997 à environ 9 % aujourd'hui. Pourtant, rien n'est acquis, et cela pour une raison au moins : le chômage remonte.
Après avoir atteint un plancher au printemps - il s'élevait à 8,7 % en mars 2001 -, le taux de chômage n'a cessé depuis lors d'augmenter : plus 5 500 demandeurs d'emploi en mai, plus 8 500 en juin, plus 39 600 en juillet, plus 11 100 en août, plus 13 100 en septembre et plus 28 000 en octobre.
Avec 2 168 000 demandeurs d'emploi, notre pays est, hélas ! encore loin du plein emploi. Le chômage de masse reste même une réalité, ce qui invite à s'interroger sur les fondements de la politique que nous pouvons mener pour le combattre.
Outre la fragilité de nos résultats en termes de baisse du chômage, dont témoigne la récente - et, je l'espère, provisoire - hausse du nombre de demandeurs d'emploi, c'est l'idée même selon laquelle nous aurions eu des résultats exceptionnels en matière de lutte contre le chômage qui est aujourd'hui remise en cause.
En effet, notre taux de chômage demeure, après quatre années de forte croissance, supérieur à celui de la zone euro, qui, je le rappelle, est de 8,3 %. Nous nous situons à l'antépénultième place derrière l'Espagne et la Finlande, dont les taux de chômage sont respectivement de 13 % et de 9 %. La plupart des autres pays obtiennent de meilleurs résultats : le Royaume-Uni a un taux de chômage de 5,1 %, la Belgique de 6,8 % et les Pays-Bas de 2,2 %.
Si notre taux de chômage ne descend pas durablement en dessous de 9 % et s'il dépend aussi étroitement de la conjoncture, cela ne peut signifier qu'une chose : la baisse du chômage que l'on a connue s'explique, pour l'essentiel, par la croissance et non par la politique menée par le Gouvernement.
C'est d'ailleurs l'opinion déclarée de l'ensemble des partenaires sociaux et des organismes que j'ai auditionnés. Pour la chambre de commerce et d'industrie de Paris, par exemple, « les performances françaises ne sont pas si extraordinaires comparées au reste de l'Europe ». Pour les artisans de l'Union professionnelle artisanale, l'UPA, « les 250 000 emplois créés dans l'artisanat depuis 1998 n'ont rien à voir avec les 35 heures » . La CFTC confirme le rôle déterminant de la conjoncture en estimant « qu'une entreprise n'embauche pas si elle n'a pas besoin d'un salarié ».
Seule Force ouvrière reconnaît une place importante aux dispositifs mis en place par le Gouvernement, mais c'est pour ajouter qu'ils se sont traduits par le développement de l'emploi précaire, sous la forme, en particulier, de contrats à durée déterminée et d'emplois à temps partiel contraint.
Ce rapide tour d'horizon illustre l'état d'esprit des partenaires sociaux, marqué par un réalisme certain quant à l'impact des dispositifs mis en oeuvre par le Gouvernement.
Le bilan est encore plus sévère lorsqu'on les interroge sur la mesure phare du Gouvernement, les 35 heures. Les résultats en termes de créations d'emplois leur apparaissent impossibles à évaluer compte tenu des effets d'aubaine et de la comptabilisation des emplois « préservés ».
Pour ma part, je rappellerai que la seule estimation fiable, fondée sur l'étude des faits par le Commissariat général du Plan, évoque le nombre de 200 000 emplois effectivement créés grâce à la réduction du temps de travail, de 1996 à 2000. Or, sur la même période, Jean Pisani-Ferry, dans son rapport sur le plein emploi, estime que les allégements de charges sociales décidés en 1995 ont permis de créer de 400 000 à 490 000 emplois, soit deux fois plus que la réduction du temps de travail.
Par ailleurs, les partenaires sociaux, ainsi que les autres organismes que j'ai auditionnés, s'accordent pour déplorer la méthode retenue par le Gouvernement - le recours à des dispositions législatives autoritaires - ainsi que le caractère insuffisant des aménagements apportés récemment par voie réglementaire.
Ainsi, le MEDEF constate que seule la moitié des entreprises de plus de vingt salariés sont passées aux 35 heures et que 93 % de l'ensemble des entreprises n'y sont toujours pas. La Confédération générale des petites et moyennes entreprises, la CGPME, estime que les trois quarts des entreprises de moins de vingt salariés sont incapables de mettre en place les 35 heures. L'Institut français des experts-comptables, l'IFEC, a relevé que 45 % des chefs d'entreprise n'avaient pas même envisagé de passer aux 35 heures.
Pour la chambre de commerce et d'industrie de Paris, le bilan des 35 heures est globalement négatif, car seules les entreprises qui pouvaient passer à 35 heures l'ont fait.
De son côté, FO déplore le « triste bilan » des 35 heures et s'interroge sur leur coût très élevé - 100 milliards de francs par an - au regard du nombre limité d'emplois créés ou préservés.
Pour la CGC, les 35 heures ont, certes, permis aux cadres d'obtenir des jours de congés supplémentaires, mais au prix d'une dégradation de leurs conditions de travail.
La CFDT et la CFTC sont un peu moins sévères, mais regrettent également le choix du recours à la loi et s'inquiètent du coût du dispositif.
Quant au décret du 15 octobre dernier, qui fixe de nouvelles règles pour les contingents d'heures supplémentaires, on constate qu'il fait l'unanimité contre lui. Comme le soulignent - notamment - la CGPME, l'UPA, la CGC, la chambre de commerce et d'industrie de Paris et les experts-comptables de l'IFEC, le caractère transitoire et limité des aménagements comme la discrimination selon la taille des entreprises renforcent les inégalités entre salariés et entre entreprises. Ces aménagements n'apportent pas de réponse au problème de l'application des 35 heures au-delà de la phase transitoire.
Je rappelle, à cet égard, que la commission des affaires sociales avait elle-même fait des suggestions pour assouplir les 35 heures sous la forme d'une proposition de loi relative aux pénuries de main-d'oeuvre, présentée par notre collègue Alain Gournac.
Aujourd'hui, le contexte a toutefois changé et il exige désormais des aménagements d'une tout autre ampleur : alors que la croissance permettait aux entreprises d'amortir le choc des 35 heures au prix d'une modération salariale et d'une flexibilité accrue, le retournement conjoncturel place de nombreuses entreprises dans une impasse.
C'est pourquoi l'ensemble des partenaires sociaux que j'ai interrogés - à l'exception de la CFTC - reconnaissent la nécessité d'une révision des lois Aubry permettant de déroger au régime général à travers la négociation de branche, et donc de tenir compte des difficultés propres à chaque secteur d'activité et de lutter contre les pénuries de main-d'oeuvre qui subsistent.
En réalité, la seule réforme importante réalisée depuis 1997 est à mettre au crédit des partenaires sociaux : il s'agit du nouveau dispositif du PARE, le plan d'aide au retour à l'emploi. Il n'est d'ailleurs pas neutre que le Gouvernement ait cherché à empêcher cette réforme, ou, en tout cas, à en réduire la portée.
Cette attitude, difficilement compréhensible, est à rapprocher de la préférence marquée par le Gouvernement pour le secteur non marchand et ce qu'il faut bien appeler le « traitement social » du chômage par rapport au secteur productif, qui - faut-il le rappeler ? - est le seul à créer des richesses. Les partenaires sociaux et les organismes que j'ai rencontrés partagent la même analyse. Aussi bien la CGC, le MEDEF et l'IFEC dénoncent ainsi la hausse de l'emploi public, le fait que les emplois-jeunes sont, en large partie, de faux fonctionnaires et le recours abondant aux contrats emploi-solidarité, ou CES.
C'est en fait l'ensemble de la politique de l'emploi menée depuis 1997 qui, selon la plupart de mes interlocuteurs, devrait être réexaminée afin de favoriser la création de vrais emplois pérennes.
A l'évidence, le projet de budget du ministère de l'emploi pour 2002 ne s'inscrit pas dans cette perspective.
L'importance des crédits affectés au secteur non marchand - CES, CEC et emplois-jeunes - comme la baisse des crédits des rares dispositifs favorisant les emplois pérennes dans le secteur marchand - les contrats initiative-emploi - confirment la préférence constante du Gouvernement pour le « traitement social » du chômage.
Que penser enfin de la débudgétisation des allégements de charges au profit du FOREC, sinon qu'elle enlève une grande partie de sa cohérence au budget de l'emploi sans pour autant, si j'en crois nos collègues rapporteurs de la loi de financement de la sécurité sociale, clarifier le financement des 35 heures ?
Les partenaires sociaux ne disent pas autre chose. La CGPME et l'UPA considèrent que les dépenses sont sous-estimées. La CFTC va plus loin en s'inquiétant de la « bombe à retardement » que constituent les 35 heures. Le MEDEF estime que le présent projet de budget retombe dans les errements des encouragements au secteur non marchand.
Enfin, le dernier mot pourrait revenir à la CGC, selon laquelle « le budget est adapté si l'objectif est de limiter la hausse du chômage grâce au traitement social mais il ne répond pas à un objectif de baisse du chômage structurel ».
Pourtant, d'autres choix étaient possibles, comme en témoignent les propositions faites par les partenaires sociaux.
Tous s'accordent en effet pour promouvoir le maintien dans l'emploi des salariés de plus de cinquante ans. Pour le MEDEF, FO et la chambre de commerce et d'industrie de Paris, il est urgent d'adopter des mesures permettant de lutter contre les pénuries de main-d'oeuvre. La CGPME, le MEDEF et la chambre de commerce et d'industrie de Paris proposent à cet égard de renforcer l'attractivité du territoire et la fluidité du marché du travail, en favorisant par exemple la mobilité géographique et les nouvelles formes de travail comme le multisalariat.
Il ne s'agit là que de pistes, mais elles sont fort instructives puisqu'elles semblent faire l'objet d'un accord entre les partenaires sociaux. Malheureusement, elles ne sont pas reprises par le Gouvernement.
Ces propositions illustrent, elles aussi, la nécessité de changer de politique de l'emploi en mettant « à plat » l'ensemble des dispositifs en vigueur. Le jugement des partenaires sociaux rejoint ainsi celui de la commission des affaires sociales sur le caractère inadapté de ce projet de budget, et celle-ci a donc émis un avis défavorable quant à l'adoption des crédits relatifs au travail et à l'emploi pour 2002. Elle a également adopté deux amendements de suppression - nous y reviendrons -, l'un de l'article 68, l'autre de l'article 70 bis . (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur pour avis.
Mme Annick Bocandé, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, pour la formation professionnelle. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la formation professionnelle a été au coeur du débat public en 2001, année qui a été marquée par l'entrée en vigueur de la nouvelle convention d'assurance chômage, laquelle fait des actions de formation le vecteur principal d'un retour rapide à l'emploi.
Surtout, toute l'année a été rythmée par la négociation interprofessionnelle sur la réforme de notre système de formation continue.
Certes, cette négociation est suspendue depuis le 23 octobre dernier. Je porte pourtant un jugement positif, bien qu'un peu teinté d'amertume, sur les discussions : elles ont d'ores et déjà permis d'explorer des approches novatrices de la formation professionnelle. Reste à en préciser les modalités d'application, et je ne peux que souhaiter que les partenaires sociaux aboutissent dans les meilleurs délais à un accord.
Cela me paraît d'autant plus nécessaire que l'environnement de la formation professionnelle paraît aujourd'hui sérieusement fragilisé. J'en veux pour preuve plusieurs indices dont la conjonction me paraît préoccupante : l'effort global de la nation en faveur de la formation est en diminution relative depuis plusieurs années ; l'emploi non qualifié continue de se développer ; l'accès des salariés à la formation reste encore difficile ; la participation des entreprises, bien que toujours largement supérieure aux obligations légales, tend à fléchir ; la négociation collective sur la formation est en cours d'essouflement ; enfin, un ralentissement de l'activité des organismes de formation se dessine.
Dans ce contexte quelque peu dégradé, la commission des affaires sociales aurait souhaité que le projet de budget de la formation professionnelle s'inscrive dans une démarche ambitieuse. La réalité est, hélas, bien différente !
Les crédits de la formation professionnelle devraient, en effet, diminuer de 2,8 % en 2002, pour ne plus atteindre que 4,6 milliards d'euros. Mais, au-delà de cette baisse déjà préoccupante en elle-même, le projet de budget se caractérise par trois évolutions bien plus inquiétantes : la suppression des incitations fiscales au développement de la formation, la fragilisation des formations en alternance et le désengagement accéléré de l'Etat de la formation des demandeurs d'emploi.
Notre première crainte concerne la non-reconduction du crédit d'impôt pour dépenses de formation.
La commission des affaires sociales ne peut en effet que s'élever très fermement contre la disparition subreptice de ce dispositif souple et efficace qui permet d'encourager l'accroissement de l'effort de formation des entreprises, ce pour un coût fiscal très modeste.
Pourquoi supprimer aujourd'hui ce crédit d'impôt que le Gouvernement avait pourtant décidé, voilà trois ans, de proroger en en vantant alors les qualités ?
On nous dit que le dispositif actuel est compliqué. Cela est vrai, mais n'a pas empêché plus de 32 000 entreprises de toutes tailles et de tous secteurs d'y recourir l'année dernière.
On nous dit aussi, et Mme la ministre y est revenue lors de son audition par la commission des affaires sociales, que les partenaires sociaux auraient envisagé, dans le cadre de la négociation sur la formation, de le remplacer par un nouveau dispositif. Cette explication me paraît un peu courte.
Certes, je sais gré au Gouvernement d'être attentif aux préoccupations des partenaires sociaux. Cette célérité toute récente, qui fait contrepoint aux longues hésitations ayant précédé l'agrément de la convention d'assurance-chômage, ne saurait d'ailleurs surprendre puisqu'il s'agit avant tout ici d'augmenter les recettes fiscales.
En l'espèce, le Gouvernement anticipe des décisions qui restent pour l'instant à l'état de simples propositions dans l'optique d'une discussion encore inaboutie et désormais suspendue.
Nous aurions, pour notre part, jugé plus opportun de proroger le dispositif actuel dans l'attente d'une éventuelle réforme. Cette décision aurait, en tout cas, été plus pertinente que la demi-mesure insérée à la va-vite, mercredi soir, à l'Assemblée nationale, dans le collectif budgétaire pour 2001. Un amendement vous sera d'ailleurs présenté en ce sens, mes chers collègues.
Notre deuxième crainte concerne les formations en alternance.
Les crédits qui leur sont consacrés diminueront de 0,7 %, alors même que les prévisions budgétaires annoncent une croissance de 6 % du nombre d'entrées en formation en alternance.
Certes, cette évolution divergente du nombre des contrats et du montant des crédits n'affecte pas l'apprentissage. La commission des affaires sociales considère pourtant qu'il n'est pas exclu que les crédits inscrits à ce titre se révèlent insuffisants en gestion, comme ce fut le cas en 2000, si la dynamique de l'apprentissage se confirme en 2002. Pourriez-vous nous rassurer sur ce point, madame la ministre ?
Pourriez-vous aussi nous rassurer sur votre conception de l'application de l'ordonnance du 22 février 2001, qui prévoit de limiter le temps de travail des jeunes de moins de dix-huit ans à sept heures par jour et trente-cinq heures par semaine à compter du 1er janvier 2002 ? Ces dispositions sont plus exigeantes que celles de la directive européenne du 22 juin 1994 que l'ordonnance est censée transcrire, dispositif des 35 heures oblige, et surtout elles poseront des problèmes de fonctionnement aux toutes petites entreprises artisanales, qui ont besoin d'une grande souplesse en matière d'horaires de travail, y compris pour les apprentis, totalement intégrés dans les équipes, sur les chantiers. Le risque est donc grand de voir les petites entreprises artisanales renoncer à l'embauche d'apprentis.
Cependant, nos craintes les plus vives touchent aux contrats de qualification.
Ainsi, le financement des contrats de qualification-jeunes n'apparaît plus garanti pour 2002.
En effet, la dégradation de la situation financière de l'association de gestion du fonds des formations en alternance, l'AGEFAL, qui est chargée de réguler le financement de la formation en alternance, ne permet plus à cet organisme d'assurer la couverture de tous ses engagements. La trésorerie de l'AGEFAL risque d'être négative à hauteur d'environ 200 millions de francs en 2002, ce qui fragilisera encore plus le financement des contrats de qualification, notamment dans certains secteurs structurellement déficitaires, comme l'artisanat ou le bâtiment.
Cette situation me paraît d'autant plus regrettable qu'elle est largement imputable aux initiatives du Gouvernement. Je pense ici aux prélèvements effectués sur la trésorerie de l'AGEFAL depuis 1997 et qui représentent un total de 2,4 milliards de francs.
L'année passée, le Gouvernement s'était engagé à « prendre toutes les dispositions (...) pour assurer la couverture effective des engagements pris par l'AGEFAL ». Or rien n'indique, dans le présent projet de budget, que l'Etat soit disposé à tenir ses engagements.
Voilà pourquoi la commission des affaires sociales présentera au Sénat un « amendement de précaution » destiné à garantir le financement de ces contrats en 2002.
Les difficultés de financement touchent aussi les contrats de qualification-adultes.
Les partenaires sociaux, aux termes de l'accord paritaire du 6 juin dernier, ont décidé non seulement de pérenniser ce dispositif jusqu'à présent expérimental, mais aussi d'en étendre la portée. De plus, dans le cadre de la nouvelle convention d'assurance-chômage, l'UNEDIC s'est engagée à participer à hauteur de 1 milliard de francs par an au financement de ces contrats.
Ces évolutions me paraissent très positives et devraient enfin permettre de relancer un dispositif utile, mais qui pour l'instant n'a connu qu'un succès bien mitigé. On observe déjà un léger frémissement : sur les neufs premiers mois de l'année, les flux d'entrée ont progressé de 30 %.
Dès lors, on aurait pu espérer que le projet de budget accompagne avec force cette tentative de relance. Hélas ! il n'en est rien, car il se caractérise par une diminution de 54 % des crédits, du fait d'une réforme très inopportune de l'aide de l'Etat. J'y reviendrai tout à l'heure en présentant l'amendement de la commission des affaires sociales.
Toujours est-il que ces deux exemples témoignent en définitive de la vision strictement comptable qu'a le Gouvernement de la formation en alternance. La commission des affaires sociales du Sénat, qui a toujours été favorable au développement de cette dernière, le regrette. La politique du Gouvernement en la matière lui semble non seulement à courte vue, mais surtout bien périlleuse dans un contexte de ralentissement sensible de l'activité. Je constate d'ailleurs que les entrées en formation en alternance, toutes formes confondues, ont diminué de 1,5 % en septembre 2001 par rapport au mois de septembre 2000. Je crains qu'il ne faille y voir l'amorce d'un retournement de tendance.
Notre dernière préoccupation a trait au désengagement de l'Etat du domaine pourtant primordial de la formation des demandeurs d'emploi.
La nouvelle convention d'assurance-chômage a transformé en profondeur le paysage de la formation des chômeurs, grâce à une très large implication des partenaires sociaux. Mais, dans ce nouveau contexte, l'Etat n'a pas su résister à la tentation du repli budgétaire.
Ainsi, alors même que l'Etat économisera chaque année environ 2,5 milliards de francs grâce à la suppression de l'allocation de formation reclassement, l'AFR, le Gouvernement n'a pas jugé bon d'approfondir en conséquence son intervention.
L'action du Gouvernement se résume en effet à un regrettable immobilisme, deux faits me paraissant tout particulièrement significatifs à cet égard.
Tout d'abord, le Gouvernement ne semble pas avoir pris en compte la nouvelle convention d'assurance-chômage pour moderniser les conditions d'intervention de l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes, l'AFPA, au risque de retarder la mise en oeuvre du volet de cette convention relatif à la formation.
La commission des affaires sociales considère, pour sa part, qu'une modernisation de l'AFPA passe aujourd'hui par le développement de formations courtes et « sur mesure », dans une perspective de retour rapide à l'emploi. Elle passe également par une réactivité accrue aux évolutions du marché du travail et donc par une meilleure contractualisation territoriale.
Dans ces conditions, il me semble nécessaire de revoir dès à présent le contrat de progrès, pour partie caduc, afin d'éviter une marginalisation de l'AFPA, qui reste un instrument indispensable de notre politique de formation.
Je souhaite en outre insister sur les conditions désastreuses de mise en place de la nouvelle allocation de fin de formation, l'AFF.
La loi du 17 juillet 2001 prévoyait la création de cette allocation afin de maintenir un revenu de remplacement pour les chômeurs déjà engagés dans un parcours de formation mais ayant épuisé leurs droits à indemnisation. Cependant, le décret d'application n'a toujours pas été publié.
Cette situation n'est pas acceptable, car elle entrave sérieusement l'accès à la formation pour les demandeurs d'emploi.
L'Agence nationale pour l'emploi, l'ANPE, hésite, en effet, à prescrire des formations longues quand elle ne sait si les stagiaires seront rémunérés jusqu'à leur terme. Cela conduit alors soit à reporter les entrées en formation au détriment d'un retour rapide à l'emploi, soit à refuser toute formation longue, même s'il peut pourtant exister de durables pénuries de main-d'oeuvre dans certaines professions : je pense, par exemple, aux infirmières.
Comment le Gouvernement peut-il prendre, de façon délibérée, le risque de mettre en péril l'ensemble du volet relatif à la formation de la nouvelle convention d'assurance-chômage ?
Certes, on nous dira que le projet de budget prévoit l'inscription de 23 millions d'euros de crédits à cette fin, mais j'observe que, sur les huit premiers mois de l'année, plus de 55 millions d'euros ont déjà été dépensés au titre de l'ancien dispositif que constituait l'allocation de formation de fin de stage. Le repli budgétaire est ici évident : les crédits sont réduits de 70 % !
Certes, on nous dira aussi que le décret sera publié dans les jours à venir. Mais pouvez-vous nous assurer, madame la ministre, qu'il ne sera pas restrictif ?
Je crois savoir, en effet, que la nouvelle allocation ne pourra profiter qu'à une partie seulement des chômeurs et pour une durée limitée, alors que l'ancienne allocation était versée à tous les chômeurs sans limitation de durée.
Pourriez-vous alors nous expliquer, madame la ministre, pourquoi le Gouvernement envisage de réduire ainsi son action en la matière, alors même qu'il bénéficie d'une marge de manoeuvre budgétaire substantielle liée à la disparition de l'AFR et que l'on assiste à une nouvelle montée du chômage ?
Au total, ce projet de budget, même s'il peut comporter ponctuellement quelques mesures positives, se caractérise principalement par les trois grandes évolutions que j'ai évoquées, auxquelles la commission des affaires sociales ne peut en aucun cas s'associer. Celle-ci a donc émis un avis défavorable à l'adoption des crédits de la formation professionnelle. Elle présentera, en outre, trois amendements visant à renforcer la portée de ce projet de budget décevant. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR).
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République : 27 minutes ;
Groupe socialiste : 24 minutes ;
Groupe de l'Union centriste : 19 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen : 14 minutes.
Je rappelle que, en application des décisions de la conférence des présidents, aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix minutes.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Muzeau.
M. Roland Muzeau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis 1997, les parlementaires communistes se sont associés, de manière très constructive, parfois critique, aux orientations retenues par le Gouvernement en matière d'emploi et de formation professionnelle.
En cette fin de législature, nous souhaitions que le présent projet de budget témoigne, par des mesures fortes et volontaristes, de la poursuite, voire de l'intensification de nos efforts pour continuer à faire de l'emploi et de la lutte contre les exclusions une priorité, d'autant qu'un certain nombre d'incertitudes pèsent sur la conjoncture.
Même s'il convient de noter que 45 000 créations de poste ont été enregistrées au troisième trimestre dans les secteurs privé et semi-public, la tendance à la hausse des chiffres du chômage observée depuis mai dernier semble se confirmer.
Par ailleurs, les salariés sont inquiets devant les annonces de plans sociaux. Le fatalisme n'est plus de mise ; dans leur grande majorité, les Français souhaitent que l'on puisse développer une politique active contre les licenciements.
Contrairement au MEDEF qui pétitionne contre le projet de loi de modernisation sociale, ou à la droite, qui préconise notamment, en guise de remède au chômage, la suppression des contraintes de tous ordres, fiscales et sociales, pesant sur les entreprises, nous pensons qu'il convient d'agir de façon contracyclique.
Nous devons le faire non pas en allégeant la législation sociale ou en accentuant la baisse du coût du travail, mais en renforçant les garanties offertes par le code du travail et les droits d'intervention des salariés et en faisant porter notre action sur la qualité de l'emploi, ainsi que sur la formation professionnelle tout au long de la vie.
Pour des raisons radicalement différentes de celles qui sont avancées par la majorité sénatoriale, nous pensons que le contenu du projet de budget que nous examinons ce matin, bien qu'il ait fait l'objet d'ajustements pour tenir compte du nouveau contexte économique, reste en décalage au regard de la situation économique et sociale.
Comme vous, madame la ministre, nous persistons à penser que l'objectif du retour au plein emploi dans une perspective de cinq à dix ans demeure accessible. Il convient, toutefois, de s'entendre sur la définition du plein emploi. Sur ce point, je rejoins l'analyse de l'économiste Jean Pisani-Ferry, auteur d'un rapport qui a fait débat et qui considère « qu'il ne faut pas se borner aux taux de chômage, mais prendre en compte toutes les formes de sous-emploi, en particulier des jeunes, des salariés âgés, des femmes (...) De plus, il convient de s'en donner les moyens et c'est peut-être là que nous ne sommes plus totalement en phase ».
Madame la ministre, nous souhaitions un véritable plan de soutien à la consommation, de vraies mesures qui soient de nature à accroître le pouvoir d'achat des Français en stimulant la progression des salaires.
En juillet dernier, nous avions jugé trop faible la hausse du SMIC. En ce qui concerne les négociations, de branche sur les bas salaires, que vous avez entendu redynamiser en mai dernier, quelles avancées concrètes ont été obtenues pour garantir aux salariés dont la rémunération se situe au bas de l'échelle - ils sont de plus en plus nombreux - des revenus supérieurs au SMIC ? Madame la ministre, pouvez-vous nous préciser quelles sont les pistes que vous privilégiez pour abroger le dispositif du double SMIC institué par la loi « Aubry II » relative à la réduction négociée du temps de travail ?
M. Alain Gournac. Ah !
M. Roland Muzeau. La vision négative qu'a la majorité sénatoriale de la politique de l'emploi menée depuis 1997 nie totalement les incidences des actions volontaristes menées par le Gouvernement, qu'il s'agisse de la réduction du temps de travail, de l'instauration des emplois-jeunes ou des mesures en faveur des publics les plus éloignés de l'emploi.
C'est précisément parce que nous souhaitions voir afficher plus nettement encore ces priorités, non pas simplement par le biais d'une accentuation du traitement social du chômage, que notre appréciation sur les crédits pour 2002 est en demi-teinte.
Je mettrai en exergue un premier point majeur de désaccord avec la majorité sénatoriale.
Selon M. Souvet, « le nouveau dispositif du PARE - le plan d'aide au retour à l'emploi - constitue, à l'évidence, la seule réforme d'envergure du marché du travail mise en oeuvre depuis quatre ans et demi ».
Je rappellerai brièvement que, lors de la discussion du projet de loi portant diverses dispositions d'ordre social, éducatif et culturel, j'avais relevé que la dernière version de la convention agréée par le Gouvernement et signée, je le souligne, par des syndicats minoritaires, contenait certes quelques corrections positives telles que la non-dégressivité des allocations chômage et la meilleure prise en compte de la situation des travailleurs précaires, mais qu'elle suscitait surtout un certain nombre d'interrogations, et non des moindres, s'agissant du caractère obligatoire ou non de la signature du PARE, condition sine qua non de l'ouverture des droits à indemnisation.
Je craignais alors que l'imprécision du texte et les différences d'appréciation pouvant apparaître entre vous et les ASSEDIC n'engendrent de nombreux contentieux préjudiciables aux demandeurs d'emploi. Depuis, la justice a tranché, estimant, contrairement à la décision du 11 juillet 2001 du Conseil d'Etat, que le PARE était une condition nécessaire à l'indemnisation. Madame la ministre, quelle est, aujourd'hui, la valeur de l'agrément ?
Par ailleurs, je m'interrogeais sur le devenir des mesures contenues dans le PARE si la conjoncture venait à se retourner. Je regrettais alors vivement la baisse des cotisations d'assurance chômage consentie au patronat, qui compromettait toute amélioration significative, s'agissant notamment du nombre d'ayants droit.
Voilà quarante-huit heures, les signataires de la convention UNEDIC avec le MEDEF ont décidé la baisse d'un dixième de point des cotisations patronales. C'est une mesure dangereuse, de nature à amorcer une autre décision fâcheuse : le rétablissement de la dégressivité des allocations.
Dans les faits, nos craintes relatives à la qualité des formations, à leur adéquation avec les projets personnels des demandeurs d'emploi se révèlent être fondées. Dans un dossier intéressant publié par Libération , le 22 octobre, les journalistes qui ont recueilli un certain nombre de témoignages concluent en disant que « la machine à former du PARE [...] pousse plutôt les chômeurs à consommer de la fast formation , qui colle aux besoins des entreprises mais pas forcément à ceux des demandeurs d'emploi ».
Pour clore ce chapitre relatif à l'indemnisation du chômage, nous demeurons très attentifs à la pérennisation du régime particulier des intermittents du spectacle, régime spécifique que le MEDEF essaie depuis longtemps de torpiller pour le calquer sur celui des intérimaires. Doutant de la volonté du MEDEF de négocier pour régulariser et sécuriser le dispositif en question qui est dépourvu actuellement de toute base juridique en raison de l'entrée en vigueur de la nouvelle convention UNEDIC, j'en appelle au Gouvernement pour que les propositions de loi déposées à l'Assemblée nationale par le groupe communiste et par le groupe socialiste soient effectivement adoptées la semaine prochaine.
Le titre III relatif aux moyens des services connaît une relative augmentation. Il est à noter que la subvention versée par l'Etat à l'ANPE, l'Agence nationale pour l'emploi, progresse de plus de 11 %. Reste à savoir si cette augmentation suffira à calmer le malaise des agents de l'ANPE qui entendent bien obtenir le renforcement de leurs effectifs pour compenser la réduction du temps de travail mais également pour assurer le suivi personnalisé des demandeurs d'emploi.
Autre phénomène qui explique la hausse des crédits, l'accroissement des effectifs du ministère. Concernant plus particulièrement les effectifs des services déconcentrés, le présent budget permet-il de renforcer significativement, comme l'ont demandé certains syndicats, notamment après la catastrophe de Toulouse, les effectifs d'inspecteurs et de contrôleurs du travail ?
Autre question : d'après les chiffres que nous avons eus, il y aurait actuellement 1 inspecteur du travail pour 98 établissements et 1 contrôleur du travail pour 1 615 établissements. Dans ces conditions, aucun suivi attentif des entreprises, tout particulièrement les entreprises à risques, ne peut être mis en oeuvre sérieusement.
J'en arrive au titre IV, qui est l'élément essentiel du budget de l'emploi, le plus lisible politiquement.
Depuis deux ans maintenant, le périmètre du budget a été modifié en raison de la débudgétisation des exonérations de cotisations sociales prises en charge par le Fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale, le FOREC. Je ne rouvrirai pas le débat sur ce fonds. Toutefois, je tiens à rappeler que l'accentuation des exonérations de charges sociales est loin de nous satisfaire, l'effet de ces dernières sur le développement de l'emploi stable, qualifié et correctement rémunéré n'est toujours pas démontré.
Nous avons porté le projet de la réduction du temps de travail, l'objectif étant avant tout la création d'emplois. Nous considérons que les modalités pratiques d'application de la loi Aubry II, qui ne sont pas assez contraignantes et qui permettent, en réorganisant le travail, davantage d'intensification et de flexibilité, n'ont pas permis de faire le plein en emplois.
Contrairement à vous, mesdames, messieurs de la majorité sénatoriale, nous considérons qu'il est important de maintenir le cap des 35 heures. Nous sommes, par conséquent, inquiets quant à l'application de la réduction du temps de travail dans les entreprises de moins de vingt salariés, à la suite de la décision du Gouvernement de leur accorder certains assouplissements en augmentant le contingent d'heures supplémentaires auxquelles elles pourront recourir, à savoir 180 heures en 2002, alors que le droit commun prévoit 130 heures.
M. Michel Husson, économiste à l'Institut de recherches économiques et sociales, y voit « un abandon de l'idée de réduction du temps de travail. [...] En imposant des obligations différentes selon la taille des entreprises qui s'ajoutent aux effets de seuils déjà présents dans le code du travail, on encourage les gros à reporter sur les PME la précarité et les bas salaires ».
Nous jugeons cette disposition d'autant plus regrettable que, comme le souligne la DARES, la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, les projections concernant l'effet final des 35 heures dépendent largement de ce qui se passera dans les petites entreprises.
Autre mesure phare de ce budget que la droite fustige : les emplois-jeunes.
D'après l'enquête du ministère de l'emploi, très majoritairement les jeunes concernés ont eu l'impression d'être utiles. Il nous appartient de réussir la consolidation de ces emplois au profit tant des associations que des collectivités locales.
Concernant une autre grande priorité de ce budget, à savoir la lutte contre les exclusions, la sécurisation des parcours d'insertion des jeunes les plus éloignés de l'emploi, nous prenons acte non seulement du doublement du nombre de bénéficiaires du programme TRACE - 120 000 -, mais aussi et surtout de la création d'une bourse d'accès à l'emploi d'un montant de 200 francs. C'est effectivement un progrès par rapport à l'existant, aux aides allouées par le FAJ, le fonds d'aide aux jeunes. Toutefois, la stabilité des revenus conditionnant en grande partie l'insertion, nous attendons du Gouvernement un effort supplémentaire, après la remise du rapport de la commission chargée d'étudier la mise en place d'une allocation d'autonomie pour les jeunes.
Nous sommes plus que critiques à l'égard des contrats emploi-solidarité et des contrats emplois consolidés, leviers qui sont la source d'une forte précarité et qui sont marqués par un faible résultat en termes d'insertion durable sur le marché de l'emploi, pour les CES notamment. Nous reviendrons sur ce point lors de l'examen des articles rattachés.
Autre fait marquant de ce budget, que nous accueillons positivement : le resserrement des conditions d'accès aux préretraites financées entièrement par l'Etat.
Nous nous accordons tous à dire qu'il convient de remédier à la situation actuelle qui marginalise les salariés de plus de quarante-cinq ans. En revanche, nous divergeons s'agissant des personnes qui sont responsables du faible taux d'activité des « quinquas ». On ne peut pas dédouaner les chefs d'entreprise de leurs responsabilités. Il est inacceptable, d'un côté, de rallonger la durée de cotisation et l'âge de départ, comme le souhaite le MEDEF, et, de l'autre, de pratiquer avec largesse la politique des départs anticipés avec des subventions publiques.
J'en termine avec la formation professionnelle, dont les crédits connaissent une légère baisse, due en partie à la disparition de l'allocation de formation reclassement, conséquence, entre autres, de la nouvelle convention UNEDIC.
S'agissant, enfin, du financement des contrats de qualification, de nombreuses questions se posent en raison de tensions entourant leur financement. Vous vous êtes engagée, madame la ministre, à prendre toutes les dispositions qui s'imposent pour assurer la couverture des contrats d'ici à la fin de l'année en cas de carence de l'AGEFAL, l'Association de gestion du fonds des formations en alternance.
Les discussions entre partenaires sociaux sur le thème du droit à la formation professionnelle ont échoué, notamment sur le point essentiel de la répartition du financement des formations, l'alimentation par les salariés du compte « épargne formation », mais également sur le fait que cet accord interprofessionnel serait facultatif, s'effaçant devant un accord d'entreprise même moins favorable. Autant dire que si nous attendons la réforme de la formation professionnelle nous divergeons du MEDEF, une fois de plus, lorsqu'il s'agit concrètement de la mettre en oeuvre.
En conséquence, madame la ministre, compte tenu de cette appréciation en demi-teinte, le groupe communiste républicain et citoyen s'abstiendra lors du vote des crédits de votre ministère. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Chabroux.
M. Gilbert Chabroux. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, depuis 1997, le nombre de demandeurs d'emploi a diminué, dans notre pays, de près d'un million, 970 000 plus précisément, et un million et demi d'emplois nets ont été créés.
Il n'est pas possible d'aborder ce dernier budget de la législature sans citer d'abord ces chiffres. Ils témoignent de la volonté sans faille du Gouvernement depuis quatre ans et demi, des efforts considérables réalisés par la collectivité nationale et, tout simplement, du premier succès que notre pays a remporté dans la lutte contre le chômage et l'exclusion.
Plusieurs éléments ont concouru à cette amélioration de la situation.
M. Marcel-Pierre Cléach. La croissance !
M. Gilbert Chabroux. En effet ! Depuis 1998, la France, à cet égard, fait mieux que d'autres pays, avec une croissance cumulée de 12,1 %.
Mais, surtout, le Gouvernement s'est donné les moyens d'enrichir cette croissance en emplois. En effet, la croissance seule ne suffit pas. Les emplois-jeunes qui fournissent à de nombreux jeunes, diplômés ou non, la possibilité d'acquérir une première expérience professionnelle, et bientôt une validation de cette expérience, auront concerné, à la fin cette année, 350 000 jeunes.
Les accords de réduction du temps du travail, accompagnés d'importants allégements de cotisations sociales patronales, ont permis de créer ou de préserver 380 000 emplois. On estime qu'en 2000 un emploi créé sur trois l'a été grâce aux 35 heures.
Vous ne pouvez pas vous contenter, monsieur Souvet, pour contester la RTT, de citer, comme vous le faites, des représentants de syndicats de salariés ou du patronat, en choisissant vos citations et en les sortant de leur contexte.
M. Louis Souvet, rapporteur pour avis. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur Chabroux ?
M. Gilbert Chabroux. Bien sûr.
M. le président. La parole est à M. Souvet, rapporteur pour avis, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Louis Souvet, rapporteur pour avis. Monsieur Chabroux, je vous remercie de m'autoriser à vous interrompre. Puis-je vous demander si vous considérez que le rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales que je suis est quelqu'un de malhonnête ?
M. Gilbert Chabroux. Monsieur Souvet, vous avez dit en commission que l'on pouvait tout faire dire aux chiffres.
M. Louis Souvet, rapporteur pour avis. Je n'ai pas parlé de chiffres, j'ai parlé de mots.
M. Gilbert Chabroux. On peut aussi faire dire beaucoup de choses aux citations quand on les choisit bien. C'est vrai pour toutes les citations. Mais je ne dis pas que vous êtes malhonnête.
M. Louis Souvet, rapporteur pour avis. Vous utilisez les chiffres, ce que je ne fais pas !
M. Gilbert Chabroux. Vous utilisez des citations !
M. Louis Souvet, rapporteur pour avis. Mais je n'utilise pas les chiffres !
M. Gilbert Chabroux. Compte tenu d'un certain nombre de choses que nous entendons et que nous avons trop entendues, il y a une vérité des chiffres que j'essaie de rétablir !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Vous avez bien raison !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Chabroux.
M. Gilbert Chabroux. En tout cas, monsieur Souvet, vous devriez aussi interroger les salariés. Vous savez bien que les salariés, qui sont les premiers concernés et sans doute les plus crédibles, reconnaissent, à une très large majorité, que la réduction du temps de travail crée des emplois dans leur entreprise, qu'elle contribue à la résorption de la précarité et qu'elle permet une réorganisation du travail. Et s'il fallait une citation, que je choisis aussi...
M. Louis Souvet, rapporteur pour avis. Ah bon !
M. Gilbert Chabroux. ... sans craindre qu'elle soit démentie, il faudrait reprendre les propos récemment tenus par un responsable syndical...
M. Louis Souvet, rapporteur pour avis. Lequel ?
M. Gilbert Chabroux. Vous l'aurez reconnu ! Ce responsable met en garde « tout candidat » à l'élection présidentielle « qui voudrait revenir en arrière sur la RTT » et lui prédit « des lendemains qui déchantent ». (Rires sur certaines travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Marcel-Pierre Cléach. Evidemment !
M. Alain Gournac. Il ne pouvait pas dire autre chose !
M. Gilbert Chabroux. On constate donc un effet indéniable des mesures phares du Gouvernement sur la création d'emplois. L'impartialité doit conduire à le reconnaître, même si, dans ce domaine, les faits ne vont pas dans le sens souhaité par certains, particulièrement en cette période préélectorale.
Je voudrais ajouter sur ce point qu'il est temps d'en finir avec des propos systématiquement défaitistes qui n'ont d'autre but que de persuader les salariés que les difficultés économiques, qui sont en réalité mondiales, sont de leur fait, ou plutôt de leur faute.
Contrairement à ce que l'on voudrait nous faire croire, la France n'est pas le mauvais élève de la classe. L'investissement industriel, notamment étranger, y est important. Voyez, par exemple, les entreprises japonaises qui créent des emplois par centaines dans plusieurs régions.
Le travail - j'insiste sur ce point - est non pas un coût, mais une richesse. Certains, souvent plus préoccupés de faire des bénéfices sur les marchés financiers que par une réelle création de valeur, prétendent le réduire à une charge, une charge, bien entendu, toujours trop lourde. C'est un discours antédiluvien, incapable de saisir que le progrès social comporte en lui-même la création de nouvelles richesses, y compris matérielles.
J'en reviens au budget proprement dit. J'ai précisé, à propos de la considérable diminution du chômage en France, qu'il s'agissait du « premier succès ». La lutte contre le chômage n'est, en effet, pas un chemin linéaire, sans obstacle. Depuis le mois de mai dernier, la courbe du chômage repart à la hausse, certes encore modestement mais déjà trop. Nous demeurons tout juste en dessous des 9 % de chômeurs.
Cela montre bien que nous ne devons surtout pas relâcher notre vigilance. Telle est d'ailleurs la ligne directrice du budget que vous nous présentez, madame la ministre.
C'est à la fois un budget de consolidation des actions d'envergure entreprises depuis cinq ans et de ciblage sur les publics qui demeurent en difficulté. Vous avez dit avec beaucoup d'honnêteté à nos collègues députés que si en 2000 les politiques de l'emploi ont permis de bénéficier d'une baisse historique du chômage, en 2001, dans un contexte moins favorable, il s'agit de limiter la hausse du chômage.
Dès les prémices de difficultés, vous avez pris les mesures d'urgence qui s'imposaient avec la création de 100 000 contrats et stages de retour à l'emploi.
Des mesures en faveur de la consommation ont été décidées, dont le doublement de la prime pour l'emploi en direction des ménages modestes, qui représente un soutien efficace et juste à l'emploi, et le moral des Français est effectivement reparti à la hausse, comme l'indique un récent sondage.
L'essentiel de l'action du Gouvernement s'est ainsi resserré sur ce qu'il est convenu d'appeler le « noyau dur » du chômage, avec le programme national de lutte contre les exclusions, le programme TRACE, le renforcement des stages et des contrats aidés et le soutien à l'insertion par l'économique.
Manifestement, il s'agit non pas de faire du chiffre avec des stages parkings, mais de cibler les catégories sociales en difficulté pour les réinsérer. Des moyens en augmentation y sont consacrés, par exemple une mesure nouvelle de 56 millions de francs pour les missions locales et les permanences d'accueil, d'information et d'orientation, les PAIO, et une augmentation de 56 % des crédits de fonctionnement du programme TRACE.
Nous approuvons totalement la création de la bourse d'accès à l'emploi, qui permettra aux jeunes de bénéficier d'un revenu entre deux stages. Cette mesure simple, et somme toute peu coûteuse, évitera de nombreux abandons en cours de programme.
Je citerai un autre exemple, celui de l'augmentation des moyens de l'insertion par l'économique, en hausse de 12,5 % avec une augmentation notable de la dotation du fonds départemental d'insertion.
Les salariés âgés ne sont pas oubliés. Ainsi, une allocation équivalent retraite est créée pour ceux qui ont été licenciés avant l'âge de soixante ans et qui disposent déjà de quarante annuités de cotisations.
Il faudra expliquer aux personnes concernées, monsieur Souvet, que vous ne voulez pas inscrire cette allocation dans la loi.
M. Louis Souvet, rapporteur pour avis. Me permettez-vous de vous interrompre à nouveau, mon cher collègue ?
M. Gilbert Chabroux. Je vous en prie !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Il est excellent ! Il est tout le temps interrompu, et il a la courtoisie d'accepter !
M. le président. La parole est à M. Souvet, rapporteur pour avis, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Louis Souvet, rapporteur pour avis. Monsieur Chabroux, ce n'est pas Louis Souvet qui ne veut pas inscrire cette allocation dans la loi, mais c'est la commission, qui a voté dans ce sens. Jusqu'à preuve du contraire, un rapporteur pour avis ne fait qu'exprimer la volonté de la commission !
M. Alain Joyandet. Tout à fait !
M. Louis Souvet, rapporteur pour avis. Vous voudrez donc bien modifier votre propos en conséquence, mon cher collègue !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Chabroux.
M. Gilbert Chabroux. Dont acte, monsieur Souvet : je rends à la commission ce qui est à la commission.
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Quelle courtoisie !
M. Gilbert Chabroux. Mais cela ne change rien sur le fond : nous considérons, tout au contraire, que cette allocation équivalent retraite n'est qu'un premier pas en direction de l'ensemble des salariés qui ont accumulé ces quarante annuités parce qu'ils ont commencé à travailler très jeunes et qu'ils sont aujourd'hui fatigués après une vie de travail.
Je dirai enfin un mot des moyens en personnel. Pour la cinquième année consécutive, ils sont en hausse. Vous prévoyez, notamment, la création de vingt-deux postes d'inspecteurs et de soixante-dix-huit postes de contrôleurs du travail. Cet effort marque la volonté du Gouvernement de rattraper le retard pris auparavant.
A cet égard, l'augmentation du nombre des accidents du travail et de celui des maladies professionnelles nous préoccupe. Nous sommes tous inquiets du risque industriel qui pèse sur les salariés de certaines entreprises et sur nos concitoyens en général. Il y a eu l'accident de Toulouse, l'affaire de l'amiante, puis celle des éthers de glycol.
Compte tenu du peu de temps qui m'est imparti, je me limiterai à deux questions précises : le Gouvernement a-t-il l'intention de poursuivre la politique de renforcement des effectifs de l'inspection du travail, particulièrement en affectant les personnels à des tâches d'inspection ? Je rappelle qu'il n'y a aujourd'hui que mille trois cents agents de contrôle en France, pour treize millions de salariés du secteur privé, soit un pour mille.
Deuxièmement, peut-on envisager une meilleure collaboration entre les services du travail et de l'industrie afin de mieux prévenir les risques industriels ? Peut-on envisager, notamment, un meilleur suivi des entreprise sous-traitantes, qui ne disposent pas toujours d'un CHSCT, qui utilisent souvent des personnels intérimaires et inexpérimentés, et qui font donc peser sur tous un risque parfois important ? Nous avons tous bien présent à l'esprit l'effroyable accident du travail qui s'est produit récemment à Sochaux !
M. Louis Souvet, rapporteur pour avis. C'est un lieu choisi par hasard ! (Sourires sur les travées du RPR.)
M. Gilbert Chabroux. Je n'ai pas choisi cet accident,...
M. Louis Souvet, rapporteur pour avis. Il y en a eu beaucoup d'autres !
M. Gilbert Chabroux. ... qui a été effroyable. Vous en connaissez les circonstances !
M. Louis Souvet, rapporteur pour avis. Mieux que vous, sans doute !
M. Gilbert Chabroux. Sans doute, mais on peut quand même poser ici la question de l'intérim, de la sous-traitance,...
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Bien sûr !
M. Gilbert Chabroux. ... et des conditions dans lequelles on fait travailler ces sous-travailleurs ! (Murmures sur les travées du RPR.)
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Bien sûr !
M. Gilbert Chabroux. Je pense que j'ai raison !
M. Guy Fischer. Oui !
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Chabroux !
M. Gilbert Chabroux. J'ai été interrompu, monsieur le président !
Je vais donc me cantoner à la formation professionnelle et je dirai simplement à ce sujet à Mme Bocandé que le Gouvernement ne peut nous proposer qu'un budget de reconduction, dans l'attente de la réforme globale annoncée depuis plusieurs années. Une nouvelle fois, la négociation entre les partenaires sociaux a échoué, en grande partie en raison de divisions internes au patronat et des exigences du MEDEF.
M. Guy Fischer. Eh oui ! C'est la vérité !
M. Gilbert Chabroux. Pour nous, il est clair que la notion de « formation tout au long de la vie » est très importante et doit être mise en oeuvre, mais cela ne signifie pas qu'elle doive être dévoyée et devenir de la seule responsabilité du salarié.
Nous ne sommes pas opposés par principe au co-investissement, mais il ne peut être question que le temps de formation soit entièrement dissocié du temps du travail effectif, et aboutisse donc à faire disparaître pour le salarié le bénéfice de la réduction du temps de travail.
Il ne peut y avoir, sur ce point comme en matière de financement, désengagement des employeurs, alors que ceux-ci seront les cobénéficiaires de l'effort du salarié.
Dans les entreprises et dans les branches, la négociation sur la réduction du temps du travail a permis de dynamiser d'autres thèmes de discussion, dont la formation professionnelle. Il est regrettable qu'au niveau interprofessionnel, pour des raisons qui n'ont que peu de rapports avec la formation, on ne puisse parvenir à des résultats comparables.
Sur le fond, cette partie du budget marque aussi un resserrement des interventions de l'Etat à l'égard des publics en difficulté. Ainsi, la dotation de soutien aux actions en faveur des jeunes en difficulté augmente, avec une attention particulière pour le milieu rural, à hauteur de plus de 60 millions de francs. La dotation de la lutte contre l'illettrisme passe de 100 millions de francs à 115 millions de francs, et l'Etat assurera 25 % des besoins de financement des ateliers pédagogiques personnalisés. Les interventions de l'Etat sont donc marquées par la volonté de solidarité envers les plus défavorisés, ce qui est son rôle premier et ce à quoi nous souscrivons pleinement.
Le groupe socialiste du Sénat votera donc ce budget, en indiquant son espoir non seulement qu'il porte ses fruits, mais aussi qu'il soit une étape vers davantage de justice sociale pour tous ceux qui vivent et qui travaillent dans notre pays. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Gournac.
M. Alain Gournac. Monsieur le président, madame le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à dire combien j'ai apprécié l'excellente analyse du rapporteur pour avis pour le travail et l'emploi, notre collègue Louis Souvet.
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Cela ne m'étonne pas !
M. Alain Gournac. J'ai suivi son intervention avec attention, et je voudrais le remercier.
Mais j'en viens à mon propos : on a enregistré 92 700 demandeurs d'emploi de plus en cinq mois, le taux de chômage est passé de 8,7 % en mars pour finalement revenir à 8,9 % en octobre 2001, grâce à une heureuse modification des statistiques ; la crise conduit donc aujourd'hui à une détérioration de la situation de l'emploi ; cela confirme que c'est la croissance qui avait permis une amélioration sensible du marché du travail !
L'accroissement du nombre de chômeurs nous préoccupe d'autant plus que le Gouvernement n'élabore qu'un budget pour l'emploi sans ambition et tronqué.
Sur la forme, nous n'examinons effectivement qu'un budget tronqué, puisque la création du FOREC, destiné pour partie à financer les allégements de charges liés aux 35 heures, s'est traduite par une débudgétisation massive.
Ce budget est en outre difficilement lisible et peu transparent. Ainsi, par exemple, les sommes que l'UNEDIC doit verser à l'Etat, soit 15 milliards de francs sur deux ans, viendront abonder le budget général et, dès lors, ne seront pas affectées à des mesures en faveur de l'emploi, contrairement aux assurances du Gouvernement.
Sur le fond, je souhaite limiter mon propos à deux aspects de la politique de l'emploi dans laquelle je considère qu'un gouvernement réaliste et responsable devrait s'engager : la prise en charge de l'avenir des emplois-jeunes et le nécessaire assouplissement de l'application de la législation sur les 35 heures dans un contexte de pénurie de main-d'oeuvre.
Le Gouvernement ne règle toujours pas l'avenir des emplois-jeunes. Au contraire, ce qui était provisoire est appelé à durer : les emplois-jeunes s'installent dans le paysage social jusqu'en 2006, pour un coût supplémentaire de 40 milliards de francs sur cinq ans, lourd héritage légué au prochain gouvernement.
M. Guy Fischer. Ce ne sera pas vous !
M. Alain Gournac. Quant aux 350 000 contrats emplois-jeunes dans le privé qui avaient été promis, ils n'ont jamais vu le jour.
Le bilan n'est pas glorieux : aucune création d'emploi pérenne, c'est-à-dire véritablement solvabilisée, n'a été enregistrée, les « nouveaux métiers » attendus n'y sont pas et le prix à payer est bien lourd : entre 1997 et 2006, le coût total, y compris les mesures annoncées au printemps, atteindra 175 milliards de francs.
Rien ne semble de nature à calmer l'inquiétude grandissante des jeunes concernant l'issue de leur contrat. Il me semble pourtant indispensable de se préoccuper au plus vite de l'avenir professionnel des jeunes, notamment de ceux pour lesquels les chances de pérennisation du poste sont les plus faibles.
Les premiers emplois-jeunes ont été créés à la fin de l'année 1997. Les premières échéances arriveront donc en octobre 2002, soit dans moins d'un an.
Lors des débats sur le projet de loi de modernisation sociale, qui se sont déroulés en avril dernier, j'avais, en tant que rapporteur du volet emploi, formulé quelques propositions de bon sens qui permettraient aux jeunes d'envisager l'avenir avec plus de sérénité. Elles étaient le fruit du travail de notre commission des affaires sociales, qui avait publié, en octobre 2000, un rapport d'information consacré au bilan à mi-parcours du programme emplois-jeunes.
Ce rapport présentait un certain nombre de propositions susceptibles de faciliter la sortie du dispositif. Le Gouvernement n'a pas cru bon de le retenir, mais il n'est pas trop tard pour qu'il se ravise ! Les idées, vous le savez, madame le ministre, appartiennent à ceux qui les mettent en oeuvre !
La première de ces mesures consistait à mettre en place le tutorat obligatoire, ou un autre dispositif équivalent, facilitant l'insertion des jeunes.
La seconde de ces mesures visait à instituer une prime dégressive à l'embauche des emplois-jeunes par un nouvel employeur, notamment une entreprise, pendant deux ans.
La troisième mesure consistait à limiter les possibilités de rotation des jeunes sur un même emploi-jeune pour des durées trop courtes. Cette mesure prévoyait ainsi la suspension automatique de l'aide si un nouveau contrat était conclu alors qu'il restait moins d'un an d'aide à courir.
Enfin, la quatrième disposition avait pour objet de garantir au plus près du terrain une évaluation des emplois-jeunes créés dans chaque département. Si cette disposition n'a pas été adoptée, le Gouvernement l'a toutefois reprise dans son train de mesures annoncées début juin.
Voilà les propositions qu'il me semble nécessaire de mettre en oeuvre avec rapidité.
S'agissant des difficultés de recrutement de main-d'oeuvre et de la nécessité d'assouplir le dispositif des 35 heures, notamment pour les petites et moyennes entreprises, le Gouvernement, peut-être à la faveur des différents remaniements ministériels, a heureusement évolué.
Tout d'abord, force est de constater que, contrairement à ce que l'on veut faire croire aux Français, les entreprises ne se sont pas précipitées pour anticiper la loi, car elles en craignent les conséquences.
Selon une étude du ministère de l'emploi rendue publique le 12 septembre, seulement 5 % des très petites entreprises, celles qui comprennent de un à neuf salariés, avaient anticipé l'application de la loi en juin 2000. Ces entreprises, précise le document, ont un « profil particulier » : ce sont en majorité des sociétés de services qui emploient, plus que les autres, des salariés à temps partiel ou en contrat à durée déterminée. De plus, les salaires versés sont moins élevés qu'ailleurs. Ce n'est pas précisément la « tête d'affiche » dont pouvait rêver le Gouvernement !
Treize mois après le premier appel de bon sens lancé par le ministre de l'économie et des finances, qui rejoignait le réalisme de l'opposition, et un mois après son annonce officielle par le Premier ministre, le Gouvernement a établi définitivement son dispositif destiné à « assouplir » les modalités de la réduction du temps de travail pour les petites entreprises. Ce dispositif a fait l'objet d'un décret le 15 octobre dernier.
Il est en retrait par rapport aux ambitions du ministre de l'économie et des finances, qui a longtemps revendiqué un assouplissement plus net pour toutes les entreprises, quelle que soit leur taille. Le virage n'en est pas moins net.
Ainsi, ce décret relève, à titre transitoire, le contingent annuel d'heures supplémentaires par salarié. Les petites entreprises bénéficient d'une période transitoire de deux ans, avec un quota annuel d'heures supplémentaires de 180 heures par salarié en 2002 et de 170 heures en 2003.
Les entreprises concernées reviendront au droit commun de 130 heures en 2004. Les heures supplémentaires seront décomptées à partir de la 38e heure en 2002, de la 37e heure en 2003 et de la 36e heure en 2004. Les cadres bénéficient d'un contingent annuel fixé à 180 heures supplémentaires.
En outre, le ministère a indiqué qu'il « tiendrait compte des situations particulières des petites entreprises dans le maintien des aides à la réduction du temps de travail », qu'il s'agisse de l'aide incitative ou des allégements de cotisations sociales.
Si ce décret, de fait, prend acte de l'inadaptation des 35 heures aux entreprises et va dans le bon sens, il demeure insuffisant, car il ne règle que partiellement les problèmes rencontrés.
Afin de préserver la croissance et les créations d'emplois, le Sénat avait déjà proposé au mois de mai 2000, d'assouplir les modalités d'application des 35 heures pour toutes les entreprises. J'invite le Gouvernement à se pencher sur ces propositions, qui présentaient l'avantage de concerner l'ensemble des entreprises et prévoyaient des assouplissements plus substantiels, relatifs en particulier au prix des heures supplémentaires.
De plus, le contexte économique s'étant assombri, il convient d'agir rapidement.
Il est à remarquer, d'ailleurs, qu'avec la remontée du chômage les difficultés de recrutement d'une main-d'oeuvre adaptée aux besoins des entreprises perdurent.
La réaction du Gouvernement consiste à minimiser le problème : il s'agirait de « simples tensions », de « difficultés de recrutement », sur lesquelles il conviendrait de ne pas insister parce qu'elles seraient amenées à se régler d'elles-mêmes.
Il est donc urgent que le Gouvernement réoriente sa politique.
Le groupe du Rassemblement pour la République, pour sa part, considère qu'il appartiendra au prochain Gouvernement de rompre avec l'archaïsme d'une méthode autoritaire. Aussi devra-t-il proposer aux partenaires sociaux d'adapter la réglementation sur le temps de travail par la négociation de branche, en prévoyant des contreparties en faveur des salariés.
Le manque flagrant d'ambition et d'imagination de ce budget, qui se contente de recourir aux vieilles recettes de l'emploi subventionné, ne peut en aucun cas satisfaire le groupe du RPR, qui en conséquence, votera contre. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Franchis.
M. Serge Franchis. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le 1er janvier prochain, la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail et son adaptation à l'apprentissage va entraîner des conséquences problématiques pour l'emploi, particulièrement dans les petites entreprises, et pour la formation, dans le secteur artisanal notamment.
En effet, la rigidité de la réglementation est susceptible de décourager les entreprises artisanales à embaucher des apprentis. Est-il besoin de rappeler que 80 % des apprentis mineurs du secteur du bâtiment sont formés dans ces entreprises ?
Le secteur du bâtiment a pu bénéficier de certains aménagements, avec la mise en place de modulations prévues dans les accords de branche, ce qui est absolument crucial pour les entreprises travaillant sur chantiers.
Or, compte tenu des textes relatifs aux durées maximales de travail pour les jeunes âgés de moins de dix-huit ans, la modulation n'est pratiquement pas applicable aux salariés mineurs, y compris aux jeunes en contrat d'apprentissage ou d'insertion en alternance. Ils ne peuvent, en effet, être employés à un travail effectif excédant sept heures par jour.
Toutefois, pour la gestion d'un chantier, un chef d'entreprise a besoin d'une certaine souplesse afin de moduler le temps de travail de ses employés, y compris de ses apprentis, sinon tout chantier devrait s'arrêter au bout de sept heures de travail de façon que l'on puisse raccompagner les apprentis mineurs. Cela n'est pas envisageable pour un chef d'entreprise, qui n'aurait alors que deux solutions : soit ne plus former d'apprentis, soit ne pas respecter la réglementation, avec les conséquences qui pourraient en découler.
Il est donc essentiel que les entreprises disposent d'une certaine flexibilité.
Je vous demande, en conséquence, madame la ministre, dans la mesure où l'apprentissage est la filière d'avenir de la formation et de l'insertion professionnelle des jeunes, si vous envisagez une dérogation dans le cadre de la transposition, dans le droit français, de la directive 94/33 du 22 juin 1994, qui a donné lieu à l'ordonnance n° 2001-174 du 22 février 2001.
Une dérogation a déjà été accordée aux centres de formation pour apprentis, qui sont passés à 35 heures et ont organisé leur temps de travail sur quatre jours et demi. Il était apparu dans ces établissements, en effet, que la mise en oeuvre de la limitation quotidienne de la durée du travial à sept heures pour les apprentis mineurs risquait de poser un problème.
Pourquoi la modulation ne pourrait-elle pas être accordée aux apprentis mineurs en contrat d'insertion en alternance ou en apprentissage ?
Madame la ministre, il y va de l'avenir des métiers de l'artisanat, du bâtiment, et de la pérennité des petites entreprises artisanales. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vais m'attacher, à la fois, à répondre aux diverses remarques que vous avez formulées et, en complétant les observations très pertinentes de M. Chabroux, à essayer de vous indiquer à quoi correspond exactement ce projet de budget.
Tout d'abord, nous parvenons à financer 750 millions d'euros de mesures nouvelles ; c'est sans précédent !
Grâce à ces mesures nouvelles, financées certes par des économies, mais des économies indolores pour les usagers, nous pouvons afficher cinq priorités : consolider les emplois-jeunes ; mettre en place un nouveau plan de lutte contre les exclusions ; augmenter le nombre de stages et de contrats aidés ; responsabiliser davantage les entreprises dans le financement des mesures d'âge ; enfin augmenter les moyens du service public de l'emploi.
La première priorité vise donc à consolider les emplois-jeunes. Au total, 21,2 milliards de francs, soit 3 234 millions d'euros, permettront d'assurer le renouvellement de tous les emplois-jeunes de la première génération et de financer 9 000 postes supplémentaires l'année prochaine.
Le succès des emplois-jeunes n'est plus à démontrer. Ils ont d'ores et déjà permis de donner une expérience professionnelle à 340 000 jeunes, et le chiffre de 350 000 devrait être atteint très prochainement.
Sans cette opportunité, ces jeunes n'auraient jamais pu acquérir le savoir-faire qui leur permet d'accéder plus facilement à des contrats durables.
Grâce à cette politique, nous avons pu aussi donner naissance à de nouveaux services et ainsi satisfaire à certains besoins, que ce soit dans le domaine social, dans le domaine culturel ou dans le domaine de l'environnement.
Le plan de consolidation que j'ai présenté au mois de juin vise à poursuivre l'aide accordée aux employeurs des emplois-jeunes, en tout cas à ceux qui n'auront pas pu encore solvabiliser ces emplois.
Nombre de ces employeurs ont en effet réussi à solvabiliser ces emplois faisant ainsi la preuve qu'ils répondaient à des besoins réels des secteurs marchands et semi-marchands. Toutefois, je le répète, certains employeurs ont besoin d'un peu plus de temps, je pense aux associations, dont certaines d'entre elles en effet remplissent quasiment une fonction de service public et bénéficieront par conséquent de contrats triennaux ; je pense aussi aux collectivités locales défavorisées, que ce soit en milieu rural ou en milieu urbain.
Ce plan vise surtout à assurer à chaque jeune un débouché, d'abord en améliorant sa formation, ensuite en permettant à ceux qui le souhaitent de valoriser leur expérience. Un quart d'entre eux ont déjà trouvé un débouché sur le marché du travail. La validation des acquis de l'expérience, qui est incluse dans le projet de loi de modernisation sociale qui va être voté définitivement à l'Assemblée nationale, donnera à ces jeunes qui, souvent, n'ont pas de diplôme, la possibilité de faire valoir les cinq années qu'ils auront déjà passés sur le marché du travail. C'est une très grande réforme que nous avons menée à bien Nicole Péry et moi.
Pour ceux qui souhaiteraient rester ou entrer dans la fonction publique nationale ou territoriale, nous ouvrons un troisième concours adapté, aux programmes calibrés, qui prendra en compte les acquis professionnels. En tout cas, ce sera ainsi dans l'éducation nationale, dans la police, il n'y a pas de problème, les titulaires d'emplois-jeunes, au bout de deux ans, accèdent au concours de gardien de la paix.
Deuxième priorité : le programme national de lutte contre l'exclusion et la pauvreté.
Evidemment, il ne se substitue pas au plan de lutte contre les exclusions qui a été mis en place par la loi Aubry en juillet 1998 et auquel étaient affectés environ 30 milliards de francs. A ces crédits vont donc s'ajouter 2,2 milliards de francs, dont la majeure partie figure au budget de l'emploi.
Ce deuxième volet nous est apparu nécessaire parce que les jeunes qui sont les plus éloignés de l'emploi, ceux qui bénéficient du programme de trajet d'accès à l'emploi, le programme TRACE, ont besoin d'être encore aidés davantage. A cet effet, l'an prochain, le nombre de bénéficiaires du programme TRACE doublera, passant de 60 000 à 120 000.
En outre, innovation sans précédent, nous instaurons une bourse d'accès à l'emploi qui donnera à ces jeunes, pendant la période de deux années où ils suivent le programme TRACE, pendant la période intermédiaire où ils ne sont pas rémunérés, parce qu'ils ne sont pas en stage ou qu'ils n'ont pas de contrat, la possibilité de percevoir 2 000 francs par mois ; c'est extrêmement important pour eux.
Toujours dans ce nouveau programme de lutte contre l'exclusion, s'inscrit une action beaucoup plus déterminée encore à l'égard des demandeurs d'emploi plus âgés qui ont besoin d'une aide supplémentaire pour se trouver de plain-pied dans le marché de l'emploi. Nous demandons à l'ANPE de financer en leur faveur de nouvelles prestations. Celle-ci bénéficiera évidemment en contre-partie d'une augmentation très importante de ses moyens.
Nous revalorisons les barèmes des stagiaires de la formation professionnelle non indemnisés, ce qui n'avait pas été fait depuis quinze ans, grâce à une mesure nouvelle de 21,4 millions d'euros.
Enfin, nous aidons les structures d'insertion, car ce sont elles qui s'occupent de ces personnes - jeunes ou moins jeunes - très éloignées du marché de l'emploi, avec une aide supplémentaire de 19 millions d'euros.
Troisième priorité : le renforcement des stages et des contrats aidés.
Nous avons, on le sait, à partir de 1998, recentré ces contrats aidés sur les publics les plus vulnérables. Il fallait le faire car, chacun en conviendra, il y avait des abus : des entreprises embauchaient des contrats emploi-solidarité alors que les personnes concernées ne correspondaient pas aux publics à qui ces contrats étaient destinés, dans la mesure où elles pouvaient accéder de manière beaucoup plus normale au marché du travail.
Cependant, compte tenu du ralentissement de la croissance et de la légère reprise du chômage qui, ces derniers temps, a suivi sa forte régression, nous avons décidé d'augmenter le nombre de ces contrats aidés, sachant que ce sont justement les personnes les plus vulnérables, celles qui font de l'intérim, du travail précaire, qui se trouvent évidemment le plus vite hors des entreprises.
Voilà pourquoi nous avons pris la décision - M. Chabroux y a fait allusion - de mettre en place 100 000 CES et stages supplémentaires. Ils seront, bien sûr, maintenus l'année prochaine, ce qui aboutit à un nombre global de 530 000 stages et contrats aidés.
Quatrième priorité : le Gouvernement veut responsabiliser davantage les entreprises sur les mesures d'âge.
En effet, il est inadmissible que notre pays soit celui de l'Union européenne où le taux d'emploi des salariés de plus de cinquante-cinq ans est le plus bas. Il y a une sorte de facilité, pour les entreprises, à se débarrasser des salariés qui ont plus de cinquante ans. Il paraît que, maintenant, c'est même parfois moins de cinquante ans !
M. Guy Fischer. Exactement !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. On ne peut pas dire à la fois que des salariés sont trop jeunes pour partir à la retraite...
M. Marcel-Pierre Cléach. A la SNCF !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. ... et d'autres, du même âge, trop vieux pour rester dans les entreprises !
Il y a, chez certains, cette incohérence de langage que je tiens à dénoncer.
Bien entendu, les mesures d'âge restent cependant nécessaires dans les situations de crise. Par exemple, chez Moulinex, certains salariés ont atteint un âge tel qu'il ne peut que leur être très difficile de se reclasser. Mais il faut les limiter à ces situations de crise et dire à la très grande majorité des entreprises, qui sont - heureusement ! - en bonne santé, qu'il n'est vraiment plus possible de continuer ainsi.
D'ailleurs, lors du conseil d'orientation des retraites qui s'est tenu hier, M. le Premier ministre a dit que ce serait l'une des priorités. C'est à la fois un élément essentiel d'une politique de plein emploi et aussi le socle indispensable d'une bonne réforme des retraites par répartition : il faut absolument augmenter le taux d'emploi des travailleurs expérimentés... Je ne veux pas dire : « des travailleurs âgés de plus de cinquante ans » surtout dans cette enceinte...
M. Alain Gournac. Et ailleurs ! (Sourires.)
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. ... et ailleurs, en effet. Cela vaut même pour nous, chère Nicole Péry ! (Nouveaux sourires.)
M. le président. Nous sommes nombreux ! (Nouveaux sourires.)
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Nous sommes en effet très nombreuses et nombreux, monsieur le président !
Cinquième priorité : les moyens mis à la disposition des services.
Je précise, en particulier à l'attention de M. Muzeau, que sont créés 140 emplois de renforcement et 130 emplois destinés à des régularisations effectives, ce qui est important.
Par ailleurs, nous continuons à augmenter le budget de l'AFPA, qui aura progressé de 12 % depuis 1999, et celui de l'ANPE, qui aura augmenté de 11,3 % au cours de la même période.
Nous veillons ainsi à cet accompagnement personnalisé qui est au coeur de nos politiques s'agissant de la lutte contre le chômage, en particulier contre le noyau dur du chômage.
Ayant fait ces quelques remarques générales, je voudrais maintenant répondre à un certain nombre de questions précises.
Sur l'évolution du chômage tout d'abord, je ferai observer à MM. Ostermann et Souvet que, entre 1993 et 1997, le taux de chômage est resté stable dans l'Union européenne mais que, en France, il a augmenté pour atteindre 12,4 %. Entre juin 1997 et juin 2001, le chômage a diminué dans l'Union européenne, c'est vrai, mais moins que dans notre pays.
Ainsi, tandis que, dans l'Union européenne, le chômage restait stable entre 1993 et 1997, les gouvernements français d'alors ont aggravé la situation dans notre pays et, lorsque la situation s'est améliorée dans l'Union européenne, nous avons, en France, fait mieux que la moyenne des pays européens.
M. Roland Muzeau. Vous entendez, monsieur Gournac ?
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Depuis 1997, même au cours des douze derniers mois et malgré la reprise du chômage depuis six mois, on observe une très forte baisse du noyau dur du chômage. En effet, les chômeurs de longue et de très longue durée ont beaucoup plus profité de l'amélioration de la situation du marché du travail que les autres chômeurs. Ainsi, sur les douze derniers mois, le nombre de chômeurs de longue durée a encore baissé de 13,3 %, et cela bien que la conjoncture récente soit moins favorable. On constate à la fois une forte baisse du chômage et une diminution de la proportion de chômeurs de longue durée.
Je ne peux pas laisser passer les propos catastrophistes qui ont été tenus. Même si nous enregistrons, c'est vrai, depuis six mois, une augmentation globale de 93 000 demandeurs d'emplois, on ne peut oublier que nous avons diminué de 968 000 - y compris les chiffres des derniers mois - le nombre des chômeurs depuis 1997.
Quelles sont les perspectives ? Tous les observateurs s'accordent à dire que nous subissons actuellement un ralentissement très important. A cela s'ajoute, s'agissant de l'emploi, le fait que l'effet direct des mesures de réduction de la durée du temps de travail commence à s'épuiser. De même, pour les emplois-jeunes, nous sommes sortis de la période de montée en charge.
Dans le mois qui viennent, nous allons sans doute voir le taux de chômage osciller légèrement à la hausse ou à la baisse. Globalement, il devrait rester à peu près stable.
Quoi qu'il en soit, tous les analystes conviennent que la reprise devrait intervenir dans le courant de 2002. Quand exactement ? Personne n'en sait rien ! L'essentiel, c'est que la croissance devrait reprendre et la baisse du chômage se poursuivre. Dès lors, les propos catastrophistes qui ont été tenus n'ont aucunement lieu d'être. A moins, évidemment, que la majorité sénatoriale ne se réjouisse de cette légère reprise du chômage...
M. Joseph Ostermann, rapporteur spécial. Loin s'en faut !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. En ce qui concerne l'effet des 35 heures, à l'évidence, les créations d'emplois sont massives.
On peut faire deux sortes d'estimations.
Il y a d'abord les déclarations des chefs d'entreprises qui signent des contrats ; on compte aujourd'hui 380 000 emplois créés à ce titre et déclarés par les chefs d'entreprises. Je ne pense pas, monsieur Souvet, que vous puissiez soupçonner les chefs d'entreprises de mentir lorsqu'ils soumettent ces contrats à l'inspection du travail pour, en contrepartie, obtenir des aides.
On peut aussi se reporter aux estimations que font nos services et qui recensent les emplois effectivement créés à un moment donné. Un décalage dans le temps peut se produire entre les déclarations, la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail et la création effective des emplois. Je tiens évidemment à votre disposition les analyses détaillées de ce phénomène.
S'agissant des emplois-jeunes, je l'ai dit, 280 000 jeunes bénéficient actuellement de ce dispositif. Mais ce sont d'ores et déjà 340 000 jeunes - bientôt 350 000 - qui seront passés par les emplois-jeunes, certains d'entre eux ayant trouvé un emploi stricto sensu.
M. Gournac, qui s'intéresse de très près à ce sujet, et depuis longtemps, a formulé un certain nombre d'observations tout à fait pertinentes.
Monsieur le sénateur, nous avons répondu à plusieurs de vos préoccupations. Nous avons réalisé des bilans annuels. Nous avons présenté, en 2001, le bilan complet de la mise en oeuvre de ce programme depuis 1997. Aujourd'hui, est en cours un diagnostic approfondi réalisé par chaque employeur, au moyen d'un dossier qui lui permet de faire le point sur son activité et sur l'utilité sociale du service rendu, sur les perspectives de financement, sur la professionnalisation et l'avenir du jeune. C'est une opération évidemment importante, accompagnée par l'ensemble des services de l'Etat concernés, en partenariat avec les réseaux associatifs et les élus locaux. Cette méthode permettra de dégager des éléments d'information propres à chaque territoire.
Je pense donc, monsieur Gournac, que nous allons dans le sens que vous souhaitez.
Je veux également indiquer à vos rapporteurs que, bien sûr, nous maintenons l'objectif de plein emploi. Ce n'est pas parce que nous traversons des turbulences pendant quelques mois qu'il faut tout à coup baisser les bras et abandonner cet objectif. Et nous y parviendrons précisément parce que nous accordons une attention particulière à l'emploi des jeunes, à l'emploi des femmes, à la réinsertion dans le travail des chômeurs de longue durée, ce noyau dur du chômage, parce que nous accompagnons de façon personnalisée les personnes qui sont le plus éloignées de l'emploi et parce que nous voulons aboutir à un meilleur taux d'emploi des travailleurs expérimentés.
Quant à la notion de chômage structurel, monsieur le rapporteur spécial, je ne la retiens pas. C'est une notion d'ailleurs très contestée par les plus éminents spécialistes, notamment par le professeur Malinvaud dans le récent rapport qu'il a rédigé pour le conseil d'analyse économique. Nous avons d'ailleurs, me semble-t-il, fait la preuve, depuis 1997, que la prétendue barrière du chômage structurel n'existait que pour ceux qui y croyaient ou faisaient mine d'y croire !
Pour ce qui est du traitement social du chômage, notre politique n'a rien à voir avec ce qui s'est fait dans le passé - aussi bien un passé relativement récent qu'un passé beaucoup plus lointain - sous cette même dénomination.
En effet, nous avons profondément modifié le niveau des programmes, qui sont désormais à la fois beaucoup plus ambitieux et beaucoup plus structurants. Nous avons enrichi nos outils. C'est ainsi que nous avons développé, d'une part, les programmes « nouveau départ » ou les programmes TRACE pour les jeunes et les chômeurs de longue durée et que, d'autre part, nous avons établi, surtout pour le pilotage de ces actions, des partenariats avec l'ensemble des acteurs, notamment l'ANPE et l'AFPA.
En d'autres termes, il ne s'agit plus, comme l'a très bien dit M. Chabroux tout à l'heure, de « stages parkings » ou de « contrats parkings ». Il existe au contraire, pour chacun des contrats aidés, une action personnalisée dont le but est le retour à l'emploi avec l'intervention de tous les acteurs du service public, national mais aussi territorial, puisque beaucoup de collectivités locales participent activement à cette politique, en tout cas celles qui y croient.
Ce mode de lutte contre le chômage s'intègre donc en réalité dans une politique structurelle qui vise à un plein emploi de qualité, et vous avez eu tout à fait raison, monsieur Muzeau, de souligner que l'on ne peut pas se contenter de l'objectif quantitatif, qu'il faut aussi aboutir à une meilleure qualité de l'emploi.
J'ajoute que la politique économique que nous avons menée depuis 1997 est une politique que les spécialistes appellent « pro-cyclique » parce qu'elle a enrichi la croissance en emplois, alors que la politique du gouvernement que vous avez soutenu, monsieur Ostermann, a dégradé la situation.
Que s'est-il passé, en effet, sous les gouvernements de M. Juppé et de M. Balladur ? Au lieu de soutenir l'activité par la consommation, ils ont fait exactement l'inverse. On a déprimé l'activité ! Nous, bien entendu, nous allons poursuivre dans la voie que nous avons choisie en 1997.
Mme Bocandé a, comme toujours, fait des remarques extrêmement pertinentes sur la formation professionnelle. Je lui répondrai d'abord que, s'agissant des formations longues, le nouveau régime de formation des chômeurs financé par l'UNEDIC et complété par l'allocation de fin de formation, l'AFF, dont le décret est à la signature, ne sera pas moins avantageux pour les chômeurs.
L'allocation de retour à l'emploi, indemnisation UNEDIC, permet à elle seule de couvrir les formations longues pour les deux tiers des chômeurs. L'AFF, quant à elle, sera concentrée sur ceux qui sont indemnisés moins longtemps, voire étendue à ceux qui ne l'étaient pas avant. Il y a donc une amélioration. Elle sera accordée pour quatre mois. Mais si cette durée n'est pas suffisante, des dérogations seront octroyées par l'ANPE pour couvrir des formations plus longues. Le décret prévoit en effet un dispositif dérogatoire qui permettra le financement de ces formations longues. En outre, un dispositif spécifique pour des formations particulières et de très longue durée sera mis en place, par exemple pour les élèves infirmiers.
Mme Péry reviendra au cours du débat sur l'Associatoin de gestion du fonds des formations en alternance, l'AGEFAL. Je me contente de prendre devant le Sénat, au nom du Gouvernement, l'engagement que l'Etat apportera des garanties par rapport à ses difficultés de trésorerie. Nicole Péry a d'ailleurs reçu récemment les dirigeants de l'AGEFAL pour étudier les engagements qui ont été pris tant par l'Etat que par cet organisme.
J'en viens, monsieur Muzeau, aux intermittents du spectacle. Le Gouvernement a fait savoir très clairement aux partenaires sociaux que le régime actuel ne pouvait être demantelé et que les annexes VIII et X de la convention UNEDIC devaient être sécurisées. Nous avons indiqué à nos interlocuteurs qu'il leur appartenait de négocier et de sécuriser juridiquement ce dispositif.
Si les partenaires sociaux n'assument pas cette responsabilité comme ils nous ont dit ces derniers jours y être prêts, le Gouvernement assumera alors les siennes. Une proposition de loi a été inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale le 12 décembre, la semaine prochaine, donc. J'ai cependant bon espoir que les partenaires sociaux, qui souhaitent éviter que nous légiférions sur ce sujet, parviennent au même résultat en négociant entre eux.
Enfin, 140 créations d'emplois vont venir renforcer les effectifs des services déconcentrés. Ce sont donc des postes de contrôleur du travail, d'inspecteur du travail, d'ingénieur de sécurité et de médecin qui vont y être créés. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur certaines travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Joseph Ostermann, rapporteur spécial. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Joseph Ostermann, rapporteur spécial. Madame la ministre, en ce qui concerne le chômage structurel, tout est question de terminologie, du moins je le pense. L'année écoulée a été marquée par une forte progression de l'activité économique. Alors que le chômage touchait 8 % à 9 % de la population, certaines entreprises n'ont pourtant pas trouvé d'employés : cela signifie que ces derniers sont soit mal formés, soit indisponibles. Quoi qu'il en soit, nous sommes en présence d'un chômage que l'on peut qualifier de « structurel », toute autre dénomination étant possible.
A cet égard, madame la ministre, nous avons mené une politique aux antipodes de la vôtre durant la période 1993-1997 comme durant la période 1986-1988, pendant laquelle, à ma connaissance, 700 000 emplois ont été créés.
Par la suite, un nouveau pouvoir politique est passé par là, et, plus tard, il nous a fallu tout reprendre à zéro. Je ne souhaite pas qu'il en soit de même l'année prochaine.
Des dossiers ont été déposés par les chefs d'entreprise, une loi ayant été votée. Comment les chefs d'entreprise pourraient-ils - hélas ! - faire autrement que de supplier et de déposer des dossiers relatifs à la réduction du temps de travail ?
Rassurez-vous, nous ne sommes pas assez naïfs pour croire qu'un employé auquel on offre de travailler 35 heures moyennant la même rémunération qu'avant n'est pas satisfait ! C'est normal et humain. Le problème, c'est le coût. Nous nous situons par rapport à un coût international du travail. Si la France avait réussi à persuader tous les pays européens de passer aux 35 heures, cela nous aurait certainement confortés dans notre position. Mais tel n'est pas le cas puisque aucun pays européen n'a accepté les 35 heures.
M. Gilbert Chabroux. Ce n'est pas vrai !
M. Joseph Ostermann, rapporteur spécial. J'ai pu me rendre compte des difficultés qu'éprouve l'Etat à appliquer les 35 heures. Pour le président d'un petit hôpital, c'est tout simplement catastrophique.
M. Alain Gournac. Catastrophique, oui !
M. Joseph Ostermann, rapporteur spécial. Faute de candidats, les postes ne sont pas créés. Les services de l'Etat - DDE, DDA, perceptions - ne suivent pas. Partout, il leur manque du personnel. Il est plus facile pour l'Etat d'imposer des créations de postes aux entreprises que d'y parvenir dans ses propres services...
M. Alain Gournac. Pour les DDE, c'est une catastrophe !
M. Gilbert Chabroux. Et les emplois-jeunes, c'est bien l'Etat !
M. Joseph Ostermann, rapporteur spécial. Les emplois-jeunes coûtent 13 milliards de francs, qui sont pris en charge par les contribuables. Comme ils dépendent de la fonction publique, il faudra bien un jour les pérenniser.
M. Gilbert Chabroux. Si les entreprises voulaient les créer, ces emplois-jeunes, ce serait plus facile !
M. Joseph Ostermann, rapporteur spécial. Cela étant, madame la ministre, j'ai failli oublier de le dire, nous avons quand même relevé 857 millions de francs d'annulations de crédits sur les emplois-jeunes !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Et 22 milliards de francs, maintenant !
M. Joseph Ostermann, rapporteur spécial. Je crois que vous avez parlé tout à l'heure de « poncifs ». C'est une vérité qui dérange. Elle est là, elle est inscrite dans le projet de la loi de finances et c'est la raison pour laquelle je souhaitais la rappeler.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je compléterai les propos de Mme Guigou en évoquant la formation professionnelle.
Madame Bocandé, je répondrai à vos questions et, par là même, à certaines autres observations qui ont été émises.
Je commencerai par « la panne des partenaires sociaux », en matière de négociation sociale. Comme chacun d'entre vous, je l'ai regrettée. Je reconnais néanmoins - et je m'adresse à Mme Bocandé, mais aussi à MM. Muzeau et Chabroux - que des avancées ont pu être obtenues tout au long de ces mois de négociations.
C'est ainsi que le plan de développement concerté et le projet professionnel individuel étaient des innovations importantes, qui respectaient les droits des salariés et s'inscrivaient dans une dynamique de l'entreprise. Par malheur, nous savons pertinemment que tout a échoué faute de parvenir à assurer l'équilibre financier de l'ensemble de ces dispositifs. Il n'était pas possible de demander aux salariés une contribution trop importante par rapport à celle des employeurs.
Il faut avoir le courage de reconnaître que cette « panne » du dialogue social ne sera pas sans conséquence. J'ai toujours respecté, vous le savez, le rôle des partenaires sociaux, que je trouve primordial dans le domaine de la formation professionnelle. Mais qu'allons-nous faire maintenant ? Nous ne pouvons pas en rester à la loi de 1971. Il reviendra donc à tous les acteurs, y compris aux régions et à l'Etat, de reprendre cette négociation dans les prochains mois.
La structure du budget ayant changé, elle rend la comparaison des chiffres quelque peu superficielle. Je tiens néanmoins à donner une idée exacte de son volume global : avec 34,2 milliards de francs, ce budget est arithmétiquement stable, à 0,4 % près.
Plusieurs orateurs sont intervenus sur l'alternance. Ma réponse sur ce sujet sera plus précise pour apaiser les inquiétudes qu'expriment les nombreuses lettres que Mme Guigou et moi-même recevons à ce sujet.
Nous souhaitons, bien évidemment, poursuivre la dynamique de l'alternance au travers du projet de loi de finances pour 2002. C'est ainsi que nous avons inscrit 240 000 contrats d'apprentissage contre 230 000 en 2001 et 135 000 contrats de qualification contre 120 000 en 2001. Encore faut-il assurer le financement de l'ensemble de cette dynamique. A cet égard, dans quelques mois, nous ne pourrons pas faire l'impasse sur le 0,4 % de la masse salariale des entreprises. Cette négociation devra bien sûr avoir lieu avec les partenaires sociaux.
Si la dynamique actuelle se poursuit, nous nous heurterons, à moyen terme, à un problème de financement, qui n'existe pas aujourd'hui.
Le bureau d'AGEFAL, réuni le 16 novembre dernier, a décidé d'accorder 240 millions de francs supplémentaires aux organismes collecteurs paritaires. Pourquoi envisage-t-il tout à coup une trésorerie plus importante que prévu ? Parce que la croissance a dégagé à son profit des disponibilités excédentaires, versées en 2001 de 18 % par rapport à la masse globale. Cette opportunité apaise donc, à court terme, les inquiétudes.
J'en prends l'engagement devant le Sénat, comme je l'ai fait à l'Assemblée nationale : l'Etat assumera ses responsabilités si, malgré ces 240 millions de francs, une inquiétude se faisait jour, tout à coup, au printemps, ce que je ne pense pas. Nous garantirions alors une ligne de credit, ouverte auprès d'un établissement bancaire. Des dispositions de même nature ont déjà été prises au cours des années quatre-vingt.
N'hésitons pas à le rappeler, avec 13,6 milliards de francs, l'alternance représente 40 % du budget de la formation professionnelle. Ces crédits témoignent de la priorité accordée par le Gouvernement à ces politiques. Je souligne au passage que sur ces 13,6 milliards de francs, 8,4 milliards sont consacrés à des exonérations de charges sociales que l'Etat assume.
M. Franchis a centré son propos sur les apprentis de moins de dix-huit ans. La Haute Assemblée a voté récemment, je vous le rappelle, un amendement qui autorise la transposition de la directive européenne du 22 juin 1994. Les dérogations que vous avez accordées - jusqu'à cinq heures par semaine - sont le maximum autorisé pour rester dans les limites imposées par cette directive. Nous ne pouvons pas - est-ce d'ailleurs souhaitable ? - aller plus loin.
Je travaille beaucoup avec les entreprises, le monde de l'artisanat, les chambres de métiers et les chambres consulaires sur l'apprentissage, notamment des niveaux V. Nous sommes tous d'accord pour améliorer les conditions de vie et de travail des apprentis, pour éviter les ruptures de contrat. Aujourd'hui, dans les branches qui pratiquent l'apprentissage de métiers difficiles et fatigants - n'ayons pas peur de le dire - comme le bâtiment, la restauration ou l'hôtellerie, le taux de rupture des contrats atteint 50 %. Or, ces filières ont besoin de ressources humaines qualifiées.
Il faut donc que par rapport au nombre d'heures, elles aient la souplesse nécessaire exigée par la nature même du métier, sans perdre de vue la nécessaire amélioration des conditions de vie et de travail qui les prémunira contre les ruptures de contrat.
J'en viens à l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes. C'est un outil de service public auquel nous tenons beaucoup et dont nous avons toujours soutenu l'évolution et la nécessaire modernisation. Les contrats de progrès que nous avons signés nous engagent les uns et les autres.
Je n'ai pas cessé, du moins durant les exercices budgétaires que j'ai assumés, de demander une augmentation des ressources de l'AFPA, qu'il nous fallait accompagner financièrement dans ses efforts de modernisation et de réorganisation. Au cours de ces derniers exercices, son budget a augmenté de 12 %. Cette année. il progresse encore de 2,3 % pour atteindre un total de 4,620 milliards de francs.
J'ai eu l'occasion d'aborder ces sujets hier à Toulouse où j'ai rencontré les salariés et les syndicats de l'AFPA dont le siège a été complètement détruit par l'explosion de l'usine AZF : 420 stagiaires et 80 salariés sont concernés et 125 personnes ont été blessées, dont 5 très grièvement. Je leur ai témoigné notre solidarité en leur indiquant que nous nous engagions à faire reconstruire le centre AFPA où ils travaillent. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures quinze.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quinze heures quinze, sous la présidence de M. Daniel Hoeffel.)