SEANCE DU 4 DECEMBRE 2001


M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi de finances concernant la sécurité.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dispose que, parmi les droits naturels et imprescriptibles de l'homme, figure la sécurité.
Elle prévoit aussi que la garantie des droits de l'homme et du citoyen requiert une force publique, pour l'entretien de laquelle une contribution commune est indispensable. Ces références permettent de replacer la discussion des crédits du ministère de l'intérieur dans leur cadre constitutionnel.
Le droit à la sécurité fonde l'existence de l'Etat, dont la première mission régalienne est de protéger les citoyens. A cette fin, il est accordé au Gouvernement des moyens de l'utilisation desquels il doit rendre compte aux représentants du peuple.
La sécurité constitue aujourd'hui la principale préoccupation des Français, puisqu'elle a été élevée au rang de priorité du Gouvernement. C'est à l'aune de cette priorité que la commission des finances a examiné les crédits qui lui sont consacrés.
Comme en 2000, le ministère de l'intérieur a dû faire face en 2001 à des sinistres exceptionnels. Les inondations, les évacuations de population, la catastrophe de Toulouse en sont les exemples les plus marquants. Je tiens à saluer ici l'engagement exemplaire des personnels du ministère de l'intérieur.
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Merci !
M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur spécial. Cependant, de trop nombreux fonctionnaires de police, pompiers et démineurs paient leur dévouement de leur vie.
L'inquiétude de nos concitoyens, la capacité de réaction à des événements dramatiques, le mécontentement proclamé par tous les fonctionnaires, la présence effective de la République partout sur notre territoire, voilà ce que recouvrent les crédits que nous examinons aujourd'hui.
Ce projet de budget répond-il aux besoins, aux attentes ? Tire-t-il les conséquences des drames constatés chaque année ? L'argent public est-il utilisé au mieux ? Prépare-t-il l'avenir ? Hélas, sur aucun de ces points, la commission des finances n'a été convaincue.
Mes chers collègues, pour vous éviter une présentation chiffrée qui serait trop aride, je vous suggère de lire mon rapport, qui vous donnera la répartition par agrégats. Cela me permettra de consacrer mon propos aux principales observations de la commission.
Le budget du ministère est extrêmement rigide. Ce n'est pas de votre fait, monsieur le ministre. Cela tient au poids des dépenses de personnel et de pensions. La hausse mécanique des unes et des autres correspond à l'équivalent de 4 500 policiers supplémentaires, d'une part, 6 000 policiers supplémentaires, d'autre part. La conséquence de cette rigidité se traduit automatiquement par le sacrifice de l'investissement, seule variable d'ajustement pour dégager des moyens de fonctionnement supplémentaires.
Pour ce qui concerne les crédits de l'administration territoriale et centrale, en cette année d'adoption de la nouvelle loi organique relative aux lois de finances, je me réjouis de la réussite de l'expérience menée dans les préfectures et des avancées intéressantes que constitue l'application comptable ACCORD. Votre ministère possède, de ce point de vue, une avance technique. Mais, parallèlement, il vous faut travailler d'ores et déjà à l'élaboration des indicateurs de performance qui structureront la future discussion budgétaire. Il ne pourra, en aucun cas, s'agir seulement des indicateurs d'activité qui figurent aujourd'hui dans le « bleu ».
Cependant, cette avance laisse demeurer des pratiques extrêmement critiquables du point de vue des droits du Parlement. Je veux parler du programme d'emploi des crédits et des emplois budgétaires.
Le programme d'emploi des crédits est un document élaboré au début de l'annnée. Il notifie à chaque service les moyens mis à sa disposition : dotations budgétaires, reports, fonds de concours. Cela représente un outil de gestion efficace, monsieur le ministre, puisque vos services savent de combien ils disposent. Mais ce document ne tient pas compte des votes émis par le Parlement. En effet, les priorités des services et la répartition de leurs moyens sont déterminés non plus avant la discusison budgétaire, mais après.
Par exemple, la police nationale disposera en 2002 de 615 millions d'euros de crédits pour son fonctionnement. Je ne puis, mes chers collègues, vous en dire plus ! Attendez le mois de janvier ! Quelle est la part réservée à la mise en place de la police de proximité ? Personne ne le sait puisque personne, au ministère, n'a pu me répondre ! Quels crédits sont reconduits et lesquels correspondent à des priorités nouvelles ? Là aussi, absence de réponse ! Quelle sera l'évolution des crédits de chaque service ? On l'ignore !
Monsieur le ministre, le corrolaire de la globalisation, c'est l'énoncé d'objectifs, et non pas le silence.
Autre sphère d'obscurité budgétaire : les emplois.
Il n'est pas normal que votre administration centrale soit créditée de 219 emplois qui, en réalité, sont mis à la disposition de diverses entités comme des mutuelles ou un organisme de sécurité sociale. Ces entités sont ainsi anormalement subventionnées.
Il n'est pas normal non plus que le ministère de l'emploi et de la solidarité ne vous rembourse pas le coût des 40 emplois mis à la disposition du service central des rapatriés, qui dépend de ce ministère.
De même, s'agissant des emplois de policiers, et du seul point de vue de la régularité budgétaire, vous fonctionnez avec 2 160 policiers en surnombre. Chaque surnombre constitue une atteinte grave portée à l'autorisation parlementaire : d'abord, parce que vous vous affranchissez du concept d'emploi budgétaire ; ensuite, parce que vous cachez les sommes qui vous permettront de rémunérer ces surnombres. A partir du moment où votre ministère a les moyens de rémunérer par économies 2 160 personnes, comment croire les chiffes qui nous sont présentés ?
Enfin, il n'est pas normal que les adjoints de sécurité, sans lesquels la police nationale ne pourrait plus fonctionner, ne soient pas considérés comme des emplois budgétaires. C'est, pour le Gouvernement, un moyen de minorer la fonction publique dans notre pays.
Permettez-moi de vous rappeler qu'en 2006 ces pratiques devront avoir disparu. En dehors de toute éthique budgétaire, c'est donc pour vous une obligation technique d'y mettre fin.
J'en viens maintenant à la sécurité civile. Elle vit dans l'attente, notamment des hélicoptères BK 117, devenus depuis EC 145, qui devaient constituer l'apport principal du budget de 2001 à la sécurité civile et dont aucun ne sera livré avant avril 2002.
Parallèlement, après les drames survenus, après la succession des missions et des rapports, après l'énumération des problèmes constatés lors de ces événements, nous étions en droit d'attendre que, le diagnostic ayant été fait, des réformes interviennent. Or, vous n'avez corrigé ces dysfonctionnements sur aucun point.
Le budget pour 2002 n'est que reconduction. Vous reportez sans cesse le dépôt du projet de loi annoncé par vous-même l'année dernière pour l'automne 2001, et promis par le Premier ministre pour le début de l'année prochaine. Une chose est sûre, il ne pourra pas être adopté avant la fin de la législature. Et la sécurité civile attendra encore ! Pourtant, à votre prise de fonctions, vous parliez de la sécurité civile comme d'« un axe fort de votre action à la tête du ministère de l'intérieur ». Votre second projet de budget ne démontre certainement pas la validité de cette assertion, pas plus que celui de l'année dernière.
La police nationale concentre tous les regards. La priorité budgétaire qui lui est donnée est une réalité. Je ne conteste pas l'effort budgétaire réalisé, même si la part des crédits consacrés à la police dans le produit intérieur brut stagne : 0,34 % en 1997, 0,33 % aujourd'hui.
Au-delà des chiffres, il est essentiel de juger l'utilisation des moyens supplémentaires accordés à la police nationale, aux résultats dans la lutte contre la délinquance. Or, il y a eu 16 % de faits de délinquance supplémentaires entre 1998 et 2001.
Le développement de la violence dans notre pays atteint un niveau tout à fait inadmissible. Cette violence est une réalité que nos concitoyens ne supportent plus, et ils ont raison. Elle est le fait d'individus de plus en plus brutaux, quoique de plus en plus jeunes, craignant de moins en moins les forces de l'ordre. Ils ne s'exposent qu'à un simple rappel à la loi et viendront souvent narguer leurs victimes et les policiers qui les ont interpellés.
Les victimes ont perdu toute illusion sur la capacité de l'Etat à les protéger. Quant aux policiers, ils ajoutent le ressentiment à la liste de leurs doléances, a fortiori après les prétendus « dysfonctionnements » qui sont en réalité des fautes graves.
Le chômage a baissé et vos crédits ont augmenté, mais la délinquance n'a cessé de croître.
Une des raisons de ce constat imparable se trouve dans les réformes que subit la police. Celle qui est relative à la police de proximité est-elle un succès ? Il ne le semble pas, à lire les extraits des rapports d'évaluation parus dans la presse, et dont l'accès m'est lui aussi refusé, monsieur le ministre. Il font apparaître de lourdes contradictions : contradiction entre plus d'accueil du public et plus de présence sur la voie publique, contradiction entre des policiers polyvalents et des réformes procédurales demandant toujours plus de spécialisation des fonctionnaires ; contradiction, enfin, entre le besoin de policiers supplémentaires, bien formés et expérimentés, et l'octroi d'adjoints de sécurité peu formés et ayant besoin d'être en quelque sorte « maternés ».
J'insiste à nouveau sur notre impossibilité d'évaluer le coût exact de la police de proximité, faute de responsabilisation des gestionnaires - ainsi, un commissaire ne peut réaffecter les économies qu'il a pu réaliser - faute de distinction entre reconduction et moyens supplémentaires, faute de schéma directeur immobilier lié aux nouveaux besoins.
Autre sujet, autre réforme particulièrement contestée : les nouvelles contraintes procédurales.
Est-il étonnant que la délinquance croisse alors qu'augmentent les contraintes pesant sur les policiers ? J'ai pu, comme tous, le constater : la loi sur la présomption d'innocence est venue aggraver une situation déjà critique. Les policiers dénonçaient des magistrats absents, lointains, pointilleux. Ils critiquaient les charges inutiles, qui, d'après la Cour des comptes, représentent 25 % de leur temps de travail. A toutes ces contraintes s'en sont encore ajoutées d'autres : des délais de procédure strictement surveillés, l'invitation au silence avant tout interrogatoire. Et puis il y a cette impression constante de travailler dans la crainte de la faute, toujours traquée par les avocats, jamais pardonnée par les juges.
Monsieur le ministre, soyons pragmatiques : les policiers ont besoin qu'on leur facilite la tâche, non qu'on la leur complique !
Je ne veux pas entrer dans le débat sur l'effectif exact des policiers. Je me contenterai de constater les conséquences des évolutions actuelles pour ce qui est de la présence de policiers sur la voie publique.
Les problèmes s'amoncellent. Ils rendent irréaliste la volonté affichée de ne pas « réduire la capacité opérationnelle des forces de police », selon les termes que vous avez employés, monsieur le ministre, devant la commission des finances.
Je note d'ailleurs que, malgré 3 000 policiers supplémentaires, vous ne parlez pas d'augmenter la capacité opérationnelle des forces de police. La raison en est simple : les 35 heures signifient 10 % de temps de travail en moins. Qui pourra nous faire croire que cela n'aura pas mécaniquement pour effet une baisse de 10 % du temps passé par les policiers sur la voie publique ?
Les 3 000 policiers supplémentaires ne pourront compenser les conséquences des 35 heures ni permettre la mise en place de la police de proximité.
Vous avez une théorie des ensembles originale, monsieur le ministre : le nombre de policiers augmente mais le nombre d'heures travaillées par l'ensemble des policiers diminue ; les crédits de la police augmentent mais l'insécurité progresse. Un pamphlétaire n'hésiterait pas à vous faire rentrer dans l'histoire en parlant du « paradoxe de Vaillant ». (Rires sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants. - Protestations sur les travées socialistes.)
M. Michel Moreigne. N'exagérez pas !
M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur spécial. Monsieur le ministre, vous écrivez dans votre dernier ouvrage : « Je souhaite être jugé sur les résultats. » Vous avez pris un gros risque, car vos résultats, appréciés hors de tout contexte politique et sur les seuls chiffres, ne sont pas bons. J'ajouterai que ces derniers sont sous-estimés car, trop souvent, les victimes, découragées, renoncent à porter plainte.
Ces chiffres se traduisent par le sentiment d'insécurité de nos concitoyens. Ils s'entendent dans les manifestations des policiers. Ils se nourrissent des méandres de la procédure, des retards de la loi sur la sécurité civile, de l'opacité de vos outils budgétaires, de l'absence d'objectifs précis, d'indicateurs fiables ou de recherche de la performance.
Votre budget n'est « pas bon », pour reprendre le qualificatif que lui a attribué mon homologue de l'Assemblée nationale, un de vos amis, un de vos collègues de la majorité municipale parisienne, Tony Dreyfus. Votre budget n'est pas bon, car il concentre à lui seul l'ensemble des observations que l'on peut faire sur la politique budgétaire du Gouvernement : privilège accordé aux dépenses de personnel, sacrifice des dépenses d'investissement, impréparation et flou des 35 heures, qui se traduisent par une moindre qualité du service, absence de réaction aux événements, silence sur la lutte contre le terrorisme et la coopération policière internationale - quel en est le coût ? - transparence budgétaire qui n'est qu'un affichage puisque le Parlement est maintenu dans l'ignorance des affectations, efficacité discutable des moyens supplémentaires accordés et résultats qui se lisent dans le sentiment d'insécurité qu'éprouvent aujourd'hui nos concitoyens.
Les citoyens sont mécontents. Les policiers sont mécontents. Les citoyens ont peur. Les policiers ont peur aussi puisqu'ils ne se rendent plus, en uniforme ou en voiture non banalisée, dans des portions du territoire qui sont devenues des « zones de non-droit ».
Monsieur le ministre, j'en suis convaincu, vous êtes conscient de la situation déplorable que j'ai décrite.
Je ne me suis pas contenté d'auditionner les hauts fonctionnaires du ministère de l'intérieur, les syndicats, de m'en référer aux médias. Je me suis rendu sur le terrain, dans les zones sensibles, en Seine-Saint-Denis, à Toulouse, au Mirail, à Empalot, à Bagatelle. Après plusieurs heures passées en compagnie de policiers, au commissariat ou dans les voitures de la brigade anticriminalité, ils vous parlent, ils vous disent ce qu'ils ont sur le coeur. J'ai côtoyé des fonctionnaires qui aiment leur métier, qui le vivent intensément, mais qui sont découragés.
Beaucoup plus que de gilets pare-balles, dont on vient de découvrir la nécessité - parce que les policiers sont aujourd'hui des cibles ! - c'est de considération qu'ils ont besoin. Ils ne veulent pas que, lorsqu'un délinquant prétend avoir été malmené, ce soit sur eux que pèsent les soupçons. Ils n'admettent pas, lorsqu'ils poursuivent des braqueurs ou des voleurs, que la consigne soit : « Surtout que les délinquants n'aient pas d'accident ! », « Ouvrez les barrages ! », « Laissez-les passer ! »
Les manifestations de policiers en témoignent, avant tout, ils réclament une véritable politique de fermeté. Ils ont la conviction de ne pas être soutenus politiquement.
Monsieur le ministre, je ne mets pas en doute votre bonne volonté : je pense que c'est votre idéologie qui est en cause. En vingt ans, elle a été au pouvoir quatorze ans. En quatorze ans, elle a fait beaucoup de dégâts !
En 1981, Pierre Mauroy déclarait : « La droite dit : "la première liberté, c'est la sécurité". Nous, à gauche, disons au contraire : "la première sécurité, c'est la liberté". » En 2001, Claude Estier déclare : « Nous votons la loi sur la sécurité quotidienne mais ce n'est pas notre culture. » C'est vrai, vous l'avez démontré, la sécurité n'est pas votre culture !
Mes chers collègues, la commission des finances, soucieuse de transparence et d'efficacité des crédits, vous propose de rejeter les crédits de la sécurité. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Courtois, rapporteur pour avis.
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, pour la police et la sécurité. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'examen de ce projet de budget pour 2002 s'ouvre dans un contexte très particulier.
Après les attentats du 11 septembre aux Etats-Unis, le plan Vigipirate renforcé a été mis en oeuvre. Les forces de sécurité sont appelées à une vigilance de chaque instant. Les moyens juridiques mis à leur disposition ont été renforcés, pour une période de deux ans, par la loi relative à la sécurité quotidienne. Grâce au concours du Sénat - et grâce au travail de Jean-Pierre Schosteck - ces nécessaires mesures ont pu être adoptées dans un bref délai.
Au-delà de la lutte antiterroriste, cette discussion budgétaire s'ouvre alors que les policiers de tous corps expriment un profond malaise à travers le pays.
Les policiers sont les premières victimes de l'insécurité. Depuis le début de l'année, sept des leurs sont décédés en opération de police. Je tiens à exprimer ma solidarité à l'ensemble des personnels, ainsi qu'à leurs familles, parfois durement touchées.
Depuis le 23 octobre dernier, se sont succédé des manifestations de policiers dans tout le pays. Elles ont regroupé plusieurs dizaines de milliers de policiers de tous les corps. Ces manifestations traduisent un malaise général, qui concerne aussi bien les gardiens de la paix que les officiers et les commissaires de police. Et l'attitude provocatrice de certains ou les couvertures de certaines revues syndicales ne sont pas pour apaiser les tensions !
J'ai reçu les principaux syndicats de personnels actifs. Tous m'ont exprimé le profond découragement qui gagne la police. La plupart d'entre eux souhaitent une véritable programmation pluriannuelle des moyens de l'ensemble des acteurs de la sécurité, certains évoquant un « plan Marshall de la sécurité », d'autres un « Grenelle de la sécurité ».
Ils soulignent que la lourdeur des procédures induites par la loi sur la présomption d'innocence décourage l'action des policiers et favorise la libération des prévenus par la justice, développant chez les « voyous » un sentiment d'impunité.
Ils réclament plus de considération et une meilleure reconnaissance financière de leur action, estimant que les risques encourus et leur qualification ne sont pas reconnus à leur juste niveau.
Les pouvoirs publics ne peuvent rester indifférents à un tel malaise. Comment les citoyens pourraient-ils se sentir en sécurité si les forces de l'ordre elles-mêmes se sentent menacées ?
La situation que nous connaissons actuellement en matière d'insécurité est grave pour notre pays. Platon l'exprimait fort bien, affirmant : « Lorsque les pères s'habituent à laisser faire les enfants, lorsque les fils ne tiennent plus compte de leur parole, lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves et préfèrent les flatter, lorsque finalement les jeunes méprisent les lois parce qu'ils ne reconnaissent plus au-dessus d'eux l'autorité de rien et de personne, alors c'est là en toute beauté et en toute jeunesse le début de la tyrannie. »
Ainsi, l'insécurité ne cesse de s'accroître. Avec 3 771 849 faits constatés, l'année 2000 a connu une augmentation de 5,72 % des crimes et des délits. Les chiffres du premier semestre 2001 amplifient ce phénomène puisqu'une augmentation de 9,58 % a été constatée. Cette augmentation concerne l'ensemble des catégories d'infractions.
Le nombre de mineurs mis en cause s'accroît. La part des mineurs dans l'ensemble des personnes mises en cause s'est élevée à 21 %.
La faiblesse du taux d'élucidation, qui s'établit à 26,8 % en 2000, contribue à alimenter l'insécurité et à décourager les citoyens de porter plainte.
Les infractions subies le plus couramment par les citoyens ont donc une chance minime d'être élucidées. Une fois élucidées, elles ont, en outre, plus d'un risque sur trois d'être classées sans suite par les parquets faute de moyens. La commission des lois a fréquemment déploré cette rupture de la chaîne répressive, qui accroît le sentiment d'impunité chez les délinquants et provoque le découragement des citoyens et des forces de police.
Comme la commission des lois l'a souligné les années antérieures, les statistiques officielles de la criminalité sont en décalage avec la réalité. Elles reflètent en effet plus l'activité des services de police ou la propension des citoyens à porter plainte que la délinquance réelle, si bien qu'il est justifié d'évoquer un « chiffre noir de la criminalité ».
Structurellement, la police doit relever des défis multiples tant sur le front de la délinquance de proximité que sur celui des réseaux internationaux impliquant une coopération internationale active.
Ponctuellement, elle subit d'importantes contraintes en raison de la réactivation du plan Vigipirate et de la surveillance des transferts de fonds liés au passage à l'euro fiduciaire.
Dans ce contexte, le projet de budget de la police nationale pour 2002 n'est pas de nature à répondre aux attentes.
Il s'établit à 5,04 milliards d'euros, soit 33,086 milliards de francs, en progression de 3,42 % par rapport à 2001. Ce n'est pas l'augmentation budgétaire obtenue sous la pression, en partie par redéploiement de crédits, qui modifie de façon substantielle les données.
Cette augmentation sera cependant insuffisante pour permettre à la police d'accomplir normalement ses missions et pour poursuivre dans de bonnes conditions la généralisation de la police de proximité.
Ainsi, les recrutements supplémentaires ne suffiront pas. En 2002, les effectifs budgétaires de la police nationale s'élèveront à 132 104 agents, hors adjoints de sécurité. L'accroissement des crédits permet principalement le recrutement de 3 000 agents supplémentaires.
Cependant, les effectifs restent insuffisants pour cinq raisons : les conséquences des départs à la retraite, la récupération des heures supplémentaires, les difficultés de recrutement des adjoints de sécurité, les conséquences prévisibles de la réduction du temps de travail, ainsi que la sous-administration de la police et l'accomplissement de tâches indues.
En outre, les mesures indemnitaires et catégorielles ne répondent pas aux aspirations des personnels.
Il semble que, pour maintenir la capacité opérationnelle des services, la réduction du temps de travail se concrétiserait partiellement par le paiement d'heures supplémentaires. Le taux horaire proposé aux personnels de 8,72 euros - 57,20 francs - semble cependant dérisoire.
Dans la ligne des orientations définies au colloque de Villepinte en octobre 1997, la dernière phase de la généralisation de la police de proximité devrait s'achever au cours de l'année 2002. Or face à cet accroissement de l'insécurité, la généralisation de la police de proximité est hypothéquée par le manque de moyens.
La police de proximité va de pair avec les contrats locaux de sécurité, dont le résultat est le plus souvent décevant.
Une réelle politique de proximité exigerait à la fois plus de moyens placés au contact des populations et une meilleure association des élus locaux.
Mais, faute de policiers sur le terrain, la police de proximité repose sur des emplois-jeunes, dont le recrutement apparaît difficile.
Les adjoints de sécurité sont appelés à représenter un cinquième de l'effectif du corps de maîtrise et d'application.
Pourtant, faute d'un encadrement suffisant, il est fréquent de rencontrer sur le terrain des adjoints de sécurité livrés à eux-mêmes ou confiés à un jeune stagiaire.
En outre, leur présence dans les zones sensibles conduit à exposer aux risques les plus élevés des jeunes qui n'y sont pas préparés.
Il convient d'insister à nouveau pour que soit assurée la qualité de la formation et de l'encadrement de ces jeunes peu expérimentés, qui se voient confier des missions parfois dangereuses et qui sont le plus souvent dotés d'une arme.
Enfin, les crédits de fonctionnement et d'équipement seront insuffisants pour répondre aux retards accumulés ces dernières années.
Les crédits de fonctionnement s'établissent à 667,99 millions d'euros - 4,38 milliards de francs - soit une augmentation de 0,89 % par rapport à la loi de finances pour 2001.
Ces crédits, que la commission des lois avait jugés insuffisants l'année dernière, le restent donc à maints égards. Il est à craindre que les sommes consacrées au renouvellement du parc automobile léger ne soient insuffisantes.
Malgré une importante sous-utilisation des crédits ouverts en 2001, les dotations liées au développement du programme ACROPOL de réseau de communications cryptées numériques sont reconduites à leur niveau de 2001, mais le développement de ce réseau est particulièrement lent.
Des essais d'interopérabilité avec le réseau RUBIS de la gendarmerie sont menés en Corse. Je tiens à souligner à nouveau la nécessité de la compatibilité des réseaux employés par les forces de sécurité.
En outre, les crédits d'investissement sont en stagnation. Les sommes consacrées au parc de véhicules lourds se situent à un niveau équivalent à celui de 2001. Ils ne permettront pas de rattraper un retard cumulé de 220 millions de francs dans le renouvellement des matériels.
Les crédits immobiliers stagnent en autorisations de programme et connaissent une baisse importante des crédits de paiement - moins 16,7 % - par rapport au budget 2001.
Les dotations consacrées au logement des policiers sont en augmentation mais restent notoirement insuffisantes si l'on considère que la politique du logement est un élément essentiel de fidélisation des agents à leur poste, notamment en région parisienne.
On constate donc, encore une fois, que l'effort en matière de fonctionnement et d'équipement des services est insuffisant pour permettre à la police d'accomplir normalement ses missions.
D'une manière générale, il conviendra d'élaborer un état des lieux des moyens nécessaires à l'ensemble des acteurs de la sécurité, de se donner enfin les moyens d'une véritable politique de sécurité cohérente sur le long terme et de définir la place de la sécurité dans notre société.
L'aboutissement de ce travail devrait être le dépôt devant le Parlement d'une loi de programmation définissant clairement les objectifs à atteindre et indiquant les moyens financiers à mettre en oeuvre année par année pour les réaliser.
La commission des lois est donc défavorable au budget de la section police-sécurité du projet de loi de finances pour 2002. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Schosteck, rapporteur pour avis.
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, pour la la sécurité civile. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la participation financière de l'Etat à la sécurité civile ne paraît pas à la hauteur de ses responsabilités. Les 462 millions d'euros, soit 3,03 milliards de francs, affectés par l'Etat, dont 1,63 milliard de francs au titre du ministère de l'intérieur, représentant 1,5 % du budget de ce ministère, doivent être rapprochés des 16,4 milliards de francs à la charge des collectivités territoriales.
Certes, la sécurité civile constitue une compétence traditionnelle des collectivités territoriales, mais il est incontestable que, à côté des missions de proximité que celles-ci doivent continuer d'assumer, l'Etat doit prendre une plus large part des moyens importants requis pour affronter les catastrophes de grande ampleur qui se multiplient et pour mettre en oeuvre son obligation de solidarité nationale à l'égard des collectivités et des populations lourdement touchées.
A cet égard, le budget de la sécurité civile pour 2002 ne marque aucune évolution et les crédits sont relativement stables. Il est à craindre que les réformes législatives en cours d'examen et annoncées ne suffisent pas à une indispensable clarification en la matière.
Monsieur le ministre, vous avez indiqué à la commission des lois que le dispositif de vigilance mis en place à la suite des attentats du 11 septembre 2001 conduirait le Gouvernement à proposer 32,32 millions d'euros, soit 212 millions de francs de crédits supplémentaires pour la direction de la défense et de la sécurité civiles dans le prochain projet de loi de finances rectificative.
Vous avez précisé que le plan Biotox était mis en oeuvre par le ministère de la santé et qu'actuellement trente alertes en moyenne étaient réceptionnées quotidiennement, ce qui entraînerait une mise à l'étude de la prise en charge par l'Etat de certains frais de transport assurés à ce titre par les services départementaux d'incendie et de secours, les SDIS.
Je voudrais cependant souligner que le financement du plan Biotox est prévu par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002. L'essentiel du coût en sera supporté sous forme d'avance par la Caisse nationale d'assurance maladie, à hauteur de 200 millions d'euros.
Ces trois dernières années ont été marquées par une progression sensible des crédits de personnel en raison de la professionnalisation des armées, dont le processus s'est achevé en 2001.
Ces crédits permettront en 2002, aux pilotes d'hélicoptères de la sécurité civile de bénéficier de la dernière tranche du programme triennal de revalorisation de leur régime indemnitaire.
Les crédits de fonctionnement permettront, en particulier, la poursuite de la modernisation des matériels d'intervention pour le déminage - soit 3 millions de francs - et des matériels de soutien pour les missions opérationnelles des unités militaires de sécurité civile, soit 2,85 millions de francs.
Les crédits d'investissement, pour leur part, enregistrent une baisse de 3,26 %.
Après plusieurs années de « pause » depuis l'achèvement du marché d'acquisition des Canadair en 1997, le programme de renouvellement de la flotte aérienne a, cette année, enregistré un retard dans sa mise en oeuvre.
Un marché d'acquisition de trente-deux hélicoptères de nouvelle génération a été conclu le 23 juillet 1998, pour remplacer des appareils ayant entre vingt et trente ans d'activité.
La livraison des premiers appareils, initialement prévue pour le printemps 2000 puis en juin 2001, a encore été reportée. Le programme devrait être achevé en 2005, s'il n'y a pas d'autres retards. Pour ce qui concerne les incendies de forêt, les chiffres provisoires de l'année 2001 pour la France entière, à la date du 20 septembre, laissent apparaître 16 000 hectares détruits, au lieu de 12 000 hectares en moyenne à cette époque de l'année. En région méditerranéenne, 13 000 hectares ont été détruits, au lieu de 9 500 en moyenne.
Certes, ces chiffres, supérieurs à la moyenne décennale, restent néanmoins inférieurs à ceux des années précédant la mise en place de la stratégie d'attaque des feux naissants où 35 000 hectares étaient dévastés chaque année. Il faut aussi sans aucun doute tenir compte des facteurs climatiques de risque, la sécheresse exceptionnelle et les vents durablement violents ayant créé un niveau de danger inégalé depuis l'année 1989 au cours de laquelle 50 000 hectares avaient brûlé.
Il convient néanmoins d'ajouter que le taux d'élucidation des incendies de forêt est évalué par le ministère de l'intérieur à 50 % et que, parmi les cas élucidés, 40 % sont imputés à une imprudence et 45 % à un acte de malveillance.
La commission des lois demande une plus grande surveillance contre les actes criminels et leur poursuite sévère dans tous les cas.
Il faut aussi évoquer pour mémoire la commission d'enquête constituée par le Sénat sur les inondations du printemps dernier dans la Somme. Celle-ci a formulé, comme vous le savez, 33 propositions concrètes qui visent à connaître pour mieux comprendre, à prévenir de manière coordonnée, à anticiper pour mieux gérer la crise, et à réparer de manière équitable en encourageant la prévention.
La question difficile du déminage a fait l'objet d'auditions de la commission des lois en juin dernier. L'unité de déminage, placée sous l'autorité du directeur de la défense et de la sécurité civiles du ministère de l'intérieur, est constituée de 150 spécialistes dont les missions sont triples : rechercher, neutraliser et détruire les engins de guerre laissés sur le sol français au cours des derniers conflits ; lutter contre les engins explosifs improvisés placés à des fins terroristes ; assurer la sécurité des voyages officiels.
Un quart du milliard d'obus tiré pendant la Première Guerre mondiale et un dixième des obus tirés durant la Seconde Guerre mondiale n'ont pas explosé pendant ces conflits.
Au début de l'année 2001, il a été décidé de faire procéder, sur plusieurs sites de déminage, à une étude de dangers et d'impacts. Ces études, confiées à trois sociétés spécialisées, concluaient en mars dernier à la nécessité de procéder à la réalisation de travaux de sécurisation immédiats sur les différentes sites, qui ont été engagés sans délais.
Pour ce qui concerne les opérations entreprises au printemps dernier sur les sites de Vimy et de Châtelet-sur-Retourne, je vous renvoie à mon rapport écrit.
La loi n° 96-369 du 3 mai 1996 relative aux services d'incendie et de secours prévoyait la départementalisation, dans un délai de cinq ans, des services d'incendie et de secours, les SDIS, destinée à leur permettre de faire face, avec une plus grande efficacité, à l'accroissement de leurs activités et à la diversification des risques auxquels ils sont désormais confrontés.
Elle visait à une mutualisation et à une rationalisation des services d'incendie et de secours pour offrir à tous des garanties égales en termes de sécurité.
Là encore je vous renvoie à mon rapport écrit à propos des conditions dans lesquelles celle-ci a été appliquée.
En ce qui concerne les dispositions statutaires prises au cours des derniers mois, je rappelle que la filière des sapeurs-pompiers professionnels a fait l'objet de six décrets et que la loi du 17 juillet 2001 a donné une base juridique à la mise à disposition de l'Etat de sapeurs-pompiers professionnels, suite aux observations de la Cour des comptes.
Dans l'attente du dépôt, avant la fin de la présente année, du projet de loi de modernisation de la sécurité civile que vous avez annoncé, monsieur le ministre, le Gouvernement a inséré dans le projet de loi relatif à la démocratie de proximité un chapitre comportant des dispositions relatives au fonctionnement et au financement des SDIS.
Le Premier ministre a confirmé, le 6 octobre 2001, devant le congrès de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, le dépôt d'un projet de loi de modernisation de la sécurité civile avant la fin de l'année.
Certes, un réexamen des dispositions législatives devrait s'imposer. Il est cependant surprenant que cette révision soit engagée dans deux textes successifs, au lieu de faire l'objet d'un examen d'ensemble.
Le Premier ministre a évoqué plusieurs dispositions qui pourraient figurer dans ce texte.
Il s'agit, d'une part, de la création d'un comité interministériel de la protection civile, placé sous l'autorité du Premier ministre, et, d'autre part, du renforcement de l'échelon zonal pour favoriser la mutualisation des moyens et la coopération civilo-militaire.
J'observe que la pertinence d'un tel dispositif sera liée aux moyens qui seront effectivement déployés, en particulier pour ce qui concerne le financement par l'Etat des futures structures zonales.
Pour illustrer ce point, on remarquera que la zone de défense de Lille n'est toujours pas, contrairement aux autres zones de défense, dotée d'un état-major de sécurité civile et d'un centre interrégional de coordination de la sécurité civile. La date prévue pour doter cette zone des mêmes moyens que les autres, fixée initialement au 1er juillet 2001, a été reportée au premier trimestre 2002.
Le projet de loi devrait aussi, nous dit-on, clarifier et simplifier la législation sur la planification de la gestion des crises. Je pense aux plans ORSEC, aux plans d'urgence, au plan rouge, aux plans particuliers d'intervention et aux plans de secours spécialisés.
Enfin, les gestionnaires des réseaux de services essentiels, tels que l'eau, l'électricité et le téléphone, devraient être tenus de proposer au préfet un plan départemental de sécurité des réseaux dont ils ont la charge, analysant les risques prévisibles et prévoyant les dispositions nécessaires pour rétablir le fonctionnement du service en cas d'interruption.
Il paraît, à ce stade, prématuré de prendre position à partir de la simple annonce de dispositions susceptibles de figurer dans le projet de loi. Je ne peux cependant que m'interroger sur les intentions des auteurs de ce prochain projet de loi quant à son financement : les collectivités locales seront-elles, une nouvelle fois, mises à contribution sans avoir été consultées ?
M. Michel Mercier. C'est une habitude !
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur pour avis. En effet ! Mais peut-être, monsieur le ministre, allez-vous nous donner les apaisements qui seraient nécessaires ?
En tout état de cause, trop de retard, trop de reports, trop d'imprévoyance ont conduit la commission des lois à vous proposer le rejet des crédits de la sécurité civile inscrits au budget du ministère de l'intérieur pour 2002. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 29 minutes ;
Groupe socialiste, 19 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 16 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 13 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 12 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 10 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 6 minutes.
Je vous rappelle qu'en application des décisions de la conférence des présidents aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix minutes.
Par ailleurs, je vous invite, mes chers collègues, à respecter le temps de parole qui vous est imparti si vous ne voulez pas que nous levions la séance à une heure trop matinale.
La parole est à M. Delevoye.
M. Jean-Paul Delevoye. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord de remercier les rapporteurs, MM. de Montesquiou, Courtois et Schosteck, des précisions qu'ils nous ont apportées.
Nous sommes conviés à débattre du budget de la sécurité. L'exercice classique d'un ministre consiste à valoriser son action en dissertant sur l'augmentation sensible des moyens budgétaires mis à sa disposition.
Pour autant, comme l'ont souligné les rapporteurs, les policiers sont dans la rue, des agents administratifs en passant par les agents en tenue, de même que les officiers, les commissaires et, demain, les gendarmes ! Ces mouvements de rue ne sont que le reflet du sentiment de la population. Vous ne cessez de prôner la légitimité de l'autorité de l'Etat quand le citoyen attend des résultats concrets et se fatigue des déclarations de bonnes intentions. Prenez garde : nous qui sommes profondément attachés à l'autorité de l'Etat, nous n'acceptons pas de voir sa légitimité contestée au nom d'une efficacité insuffisante. Il faut, certes, afficher des principes, mais aussi et surtout se donner les moyens de les faire respecter.
Comment comptez-vous, monsieur le ministre, restaurer l'autorité de l'Etat et lutter contre le découragement de toutes celles et de tous ceux qui ont en charge de la faire respecter ?
Je vous plains sincèrement, monsieur le ministre. Comme bon nombre de vos camarades qui vont ont précédé place Beauvau, vous avez dû faire un grand écart permanent entre les sentiments de défiance, pour dire le moins, qui n'ont que trop longtemps prévalu dans vos rangs à l'égard de la police et la réalité du travail des fonctionnaires placés sous votre autorité.
Qu'il est difficile, après tant d'années de méfiance, d'être crédible !
Qu'il est difficile, après avoir soutenu qu'il était interdit d'interdire, de tenir un discours d'ordre et de sécurité !
Qu'il est difficile d'être le premier policier de France quand la police se sent abandonnée et quand il ressort de toutes les réunions que le principal problème est un problème de management !
Les hommes et les femmes qui ont fait le choix de mettre leur vie au service de la sécurité de leurs concitoyens ne doivent plus se sentir méprisés. Ils ne sont pas devenus policiers ou gendarmes pour se voir soupçonnés de « tripatouiller » leurs enquêtes et de prendre des libertés avec les droits de l'homme.
Au contraire, c'est pour préserver les acquis de la République qu'ils ont fait ce choix, allant même parfois, pour un trop grand nombre d'entre eux, ces derniers temps, jusqu'au sacrifice suprême. Je souhaite leur rendre, en votre nom à tous, mes chers collègues, l'hommage qu'ils sont en droit d'attendre des représentants de la nation.
Ne nous y trompons pas, monsieur le ministre, le ras-le-bol des forces de l'ordre n'est pas seulement l'expression de revendications catégorielles à caractère corporatiste. Les policiers ne sont que trop conscients que le problème auquel ils sont confrontés dépasse le simple cadre de leurs statuts.
Certes, ils sont sensibles à l'amélioration de leurs conditions de vie, mais leurs revendications ne portent pas uniquement sur leur feuille de paye. Ils souhaitent être dotés d'équipements leur permettant d'être efficaces dans l'accomplissement de leurs missions. Ils souhaitent pouvoir être épaulés par des personnels administratifs en nombre suffisant et revenir ainsi à leur vocation, qui est d'assurer la sécurité quotidienne des Français.
Surtout, monsieur le ministre, ils vous demandent d'être clairs sur la politique pénale que l'on souhaite mettre en oeuvre dans notre pays.
Nous glissons, ces derniers temps, sans réel débat public et contradictoire, du système inquisitorial, qui a prévalu dans notre droit depuis des lustres, vers un régime accusatoire. Nous sommes actuellement à cheval entre deux systèmes et nous cumulons les inconvénients des deux formules, sans en retirer le moindre bénéfice.
Le sommet a été atteint avec la loi sur la présomption d'innocence, dont les principes sont incontestables et acceptés par tous, mais dont l'application s'est révélée dramatiquement difficile.
Or, monsieur le ministre, les meilleures intentions du monde ne valent rien sans les moyens de les mettre en pratique. Or, ces moyens, le Gouvernement ne se les est pas donnés. Tous vos efforts seront vains, monsieur le ministre, si vous ne vous donnez pas, dans le même temps, les moyens d'avoir des forces de police et de sécurité supplémentaires et les moyens nécessaires pour faire appliquer votre politique pénale.
De cette volonté gouvernementale dépendra votre capacité à rassurer les gendarmes et les policiers sur les intentions du Gouvernement, à les considérer comme des acteurs responsables, dignes de confiance, et à faire taire les mauvais procès à leur encontre.
De plus, comment exiger la responsabilité des forces de police au nom du respect de l'ordre et accepter l'absence de responsabilité du juge ?
En alourdissant la procédure, vous avez contribué à engorger les tribunaux. Par manque de moyens pour les traiter, les parquets abandonnent les poursuites et les petits délits ne sont plus sanctionnés.
Cette situation est extrêmement préoccupante et décourage toutes celles et tous ceux qui sont en charge des délinquants. En ne s'occupant pas de la primo-délinquance, le « pas vu, pas pris » entraîne les individus concernés vers des actes de violence de plus en plus graves. Le fait de n'être condamné qu'au-delà d'un certain nombre de récidives engendre l'aggravation de la faute ; il se développe alors un sentiment grandissant et préoccupant d'impunité. Le vice semble être aujourd'hui plus protégé que la vertu !
Il ne faut pas passer de l'angélisme, que peut caractériser une absence évidente de volonté en matière de politique pénale, à l'absolutisme le plus doctrinal en matière de répression. Il n'est pas question de savoir s'il faut ou non enfermer tous les délinquants. Il faut être en mesure de sanctionner toute faute !
A quoi sert qu'un délinquant soit amené au commissariat si, après avoir constaté qu'il est l'auteur du délit, il n'est pas condamné à exécuter la peine ?
Monsieur le ministre, nos concitoyens ne supportent plus de voir leurs policiers maltraités et insultés par des bandes qui semblent faire la loi sur des territoires que l'Etat leur abandonne.
Mme Nelly Olin. Tout à fait !
M. Jean-Paul Delevoye. Au travers des protestations grandissantes des fonctionnaires placés sous votre autorité, vous vous devez d'entendre les applaudissements et les encouragements du peuple qui rythme leurs cortèges et qui a de plus en plus peur.
La sécurité est la première des libertés et cette liberté est aujourd'hui contestée.
Au-delà du catalogue de bonnes intentions et d'un affichage de moyens, il faut une volonté politique claire. Celle-ci ne peut s'exprimer que par une remise à plat de l'ensemble de la chaîne. Il faudra mettre en oeuvre une grande loi de programmation de la sécurité avec des engagements pluriannuels pour pallier les déficiences constatées.
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Il y a la LOPS !
M. Jean-Paul Delevoye. Il convient de réfléchir aussi au déficit de l'autorité parentale. Un enfant est d'abord et avant tout un projet et non un système d'allocation ou un produit. Il est insupportable de voir l'inégalité se mettre en place dès les premiers mois de la vie. Il n'y a jamais eu autant d'aides publiques et de déresponsabilisation parentale qui, nous devons le constater, nourrissent une délinquance de plus en plus jeune.
Tout cela commence avec ces formules chères à vos amis. « Il est interdit d'interdire ! L'individu est une victime, seule la société est coupable ! » Puisque vos fonctions vous placent en première ligne pour constater les conséquences de ces discours irresponsables, vous vous devez de faire prendre conscience à vos amis du décalage grandissant entre leurs propos et la réalité.
En déstructurant à petites touches cette cellule essentielle qu'est la famille, vos camarades contribuent à l'émergence de générations sans repères, au sein desquelles les rapports de force ont un intérêt.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Delevoye.
M. Jean-Paul Delevoye. Je conclus, monsieur le président.
Au-delà des moyens budgétaires, il faut afficher une volonté politique claire afin de responsabiliser les parents, les travailleurs sociaux, les forces de l'ordre et la justice.
Une politique sans moyens n'a guère d'efficacité, mais des moyens sans objectifs politiques clairs ne servent à rien ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Mes chers collègues, si le temps de parole accordé à un groupe est utilisé par les premiers orateurs de ce groupe, les derniers inscrits ne pourront plus s'exprimer !
Mme Nelly Olin. On s'arrangera entre nous !
M. le président. Je tenais à vous prévenir.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Tous les rapporteurs et vous même, monsieur le ministre, avez noté un accroissement de la délinquance. Les statistiques disponibles pour le premier semestre marquent une accélération de ce phénomène et concernent l'ensemble des catégories d'infraction. Les rapports de la commission des finances et de la commission des lois sont très précis à ce sujet.
Sous cette globalité qui donne à nos concitoyens le sentiment que le manque de réponse à la délinquance est de plus en plus grand, les infractions violentes ne cessent d'augmenter et le taux d'élucidation de baisser. Encore faut-il, comme on l'a dit, qu'au bout de la chaîne il y ait une réponse judiciaire !
Ces statistiques, monsieur le ministre, vous l'admettez, masquent la masse des infractions non signalées, qui seraient cinq fois supérieures aux faits enregistrés. Le nouvel Observatoire de la délinquance et la mission confiée à deux parlementaires permettront sans doute d'améliorer les statistiques.
Comment ne pas comprendre l'inquiétude et l'exaspération de nos concitoyens devant cette insécurité au quotidien, qui gagne l'ensemble du territoire, et pas seulement les quartiers dits sensibles. D'ailleurs, monsieur le ministre, l'augmentation de la délinquance est plus importante actuellement dans les zones périurbaines.
Ne revenons pas sur la violence juvénile, dont nous avons longuement débattu à l'occasion d'un projet de loi récent, sans d'ailleurs avoir été entendus.
Face au découragement des policiers et des gendarmes, au mouvement profond qui a surgi à la suite de cafouillages judiciaires et de la mort de policiers victimes d'une violence de plus en plus grave et incontrôlée, le Gouvernement a pris conscience de la nécessité, dans l'urgence, de prendre des mesures supplémentaires en faveur de la police nationale, sans d'ailleurs une cohérence évidente.
Certes, monsieur le ministre, et il faut vous rendre justice sur ce point, vous n'avez jamais, comme beaucoup de vos amis, succombé au « politiquement correct » qui tendait à minimiser la réalité de l'insécurité et taxant de sécuritaires tous ceux qui dénonçaient la montée de la violence.
Votre réponse à cette situation alarmante est la police de proximité. Comment ne pas être d'accord avec ce principe, s'il n'était pas largement contredit par les faits ? Le budget que vous présentez en est l'illustration, même avec ses mesures supplémentaires consenties à la suite des manifestations de policiers.
La police de proximité est-elle une réalité si l'on constate, comme l'a fait un spécialiste, Alain Bauer, en 1998, que, sur 113 000 gradés et gardiens, seuls 5 000 étaient physiquement présents sur la voie publique de jour, et encore moins de nuit, alors que s'y produisent 60 % des délits ?
Il est sans doute nécessaire d'augmenter les effectifs, de recruter toujours plus d'adjoints de sécurité et de leur donner plus de responsabilité ; encore y aurait-il beaucoup à dire sur les limites de cette politique. Il n'en demeure pas moins que la généralisation de la police de proximité suppose une profonde réforme des méthodes de fonctionnement de la police nationale et notamment de la gestion des ressources humaines.
Au risque de paraître répétitif, monsieur le ministre, mais, après tout, ces propositions avaient reçu l'accueil positif du Gouvernement et, semble-t-il, après quelques hésitations, de l'ensemble de la classe politique - pas des élus locaux, ni des syndicats de police, qui ont changé d'avis - qu'il me soit permis de rappeler que j'avais proposé, avec le regretté Roland Carraz, un certain nombre de mesures pour permettre une meilleure efficacité de la police et de la gendarmerie sur le terrain : d'abord, redéploiement des forces de police et de gendarmerie ; ensuite, priorité absolue dans la répartition des effectifs aux régions les plus touchées par la délinquance de voie publique - grande couronne parisienne, grandes agglomérations de province, pourtour méditerranéen ; enfin, nous insistions également sur la priorité à la lutte contre la délinquance de voie publique génératrice du sentiment d'insécurité de nos concitoyens.
Des mesures ont été prises, mais elles sont insuffisantes et le paysage n'a pas profondément évolué depuis 1998. Quelques commissariats ont été supprimés, quelques brigades ont été modifiées - on a même supprimé parfois des brigades en zone urbaine - mais, en fait, on n'est pas allé au bout de la démarche.
En relisant ces propositions, c'est avec regret que nous continuons de déplorer les moyens matériels insuffisants : armement, gilets pare-balles, véhicules, transmissions et immobilier.
Nous proposions d'amplifier l'effort de logement en faveur des policiers, qui est indispensable. Vous l'avez fait, mais nous n'en sommes pas encore aux 500 millions que nous suggérions.
Et ne parlons pas des tâches qui mobilisent trop de moyens opérationnels : les gardes statiques - combien de policiers sont utilisés pour ces gardes statiques ? - le transfèrement des détenus - cela occupe beaucoup de policiers - les tâches administratives ou logistiques. Comme le note le rapport de la commission des finances, notre police, dont les effectifs sont supérieurs en nombre par rapport à beaucoup d'autres pays européens, est en revanche sous-administrée. C'est sans doute ce qui explique qu'il y ait moins de policiers sur le terrain. Le recrutement de trois cents personnels ne comblera pas ce déficit. Il est vrai que cela n'avait pas été fait précédemment, mais vous continuez dans la mauvaise voie en ce qui concerne l'application de la loi d'orientation et de programmaton relative à la sécurité, la LOPS, dans ce domaine.
Enfin, et nous sommes au coeur du débat, nous préconisions de systématiser le partenariat, à l'échelon tant national que local, d'abord entre la police et la gendarmerie, ensuite, et surtout, avec les autres administrations, notamment la justice, ainsi que les élus. C'est en effet l'ensemble du corps social qui doit faire reculer l'insécurité.
Même si de timides engagements ont été pris pour mieux centrer l'action autour des maires, notamment pour l'efficacité des contrats locaux de sécurité, ces engagements sont souvent théoriques. En effet, le plus important, comme le disait Jean-Paul Delevoye, pour que la police n'ait pas l'impression de travailler en pure perte - on l'a vu dans des documents récents très intéressants sur le fonctionnement des BAC, notamment à Paris - est qu'une réponse judiciaire adaptée soit donnée à la montée de la délinquance, notamment des mineurs, mais aussi que les moyens de la police judiciaire soient renforcés. Mais le Sénat en débattra sans doute lundi prochain, lors de l'examen du projet de budget de la justice.
Monsieur le ministre, vous avez déclaré récemment que vous ne pouviez « faire en quinze mois ce qui n'avait pas été fait en quinze ans ». Ce n'est pas très aimable pour vos prédécesseurs. Ils ne sont d'ailleurs pas seulement de droite : deux étaient de droite et trois étaient de gauche, sachant que Charles Pasqua a été ministre de l'intérieur à deux reprises !
Mais il semble que la gestion de crise, aggravée par la lutte contre le terrorisme et l'arrivée de l'euro, ne permet pas de discerner la trame d'un projet cohérent et à long terme. C'est peut-être non pas la priorité du Gouvernement, mais seulement une réponse à courte vue pour calmer la grogne des policiers et tenter de rassurer l'opinion publique. C'est une autre politique que nous attendons en matière de sécurité ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le budget est, cette année, en forte augmentation : c'est une hausse de 3,42 % des crédits, la création de 2 000 emplois et la consolidation des 1 000 emplois créés en surnombre qui nous sont proposées ici ; au total, les effectifs auront augmenté de 11 % de 1997 à 2002.
Cet effort budgétaire permettra de parachever la phase de généralisation de la police de proximité. Il était rendu nécessaire pour compenser les retards pris par les gouvernements précédents en matière de départs à la retraite - mais vous semblez l'oublier aujourd'hui, mes chers collègues de la majorité sénatoriale - et pour mettre en place la réduction du temps de travail. C'est un pas de fait dans le sens d'une revalorisation salariale très attendue.
C'est donc globalement un bon budget que vous nous présentez cette année, monsieur le ministre, et nous le voterons.
Avec la rallonge annoncée de 400 millions d'euros, cette hausse notable des crédits représente un geste significatif en direction des personnels de police, particulièrement éprouvés cette année. Et l'année suivante n'apparaît guère plus facile avec la mise en place de l'euro et le fonctionnement du plan Vigipirate, qui mobiliseront 80 % des effectifs. Et il y a fort à craindre que la mise en place de la réduction du temps de travail n'en soit d'autant plus compliquée.
Ces efforts budgétaires, importants et nécessaires, visent principalement au renforcement de la police de proximité, dont les principes essentiels, tels qu'ils ont été définis lors du colloque de Villepinte en 1997, sont plus que jamais d'actualité.
Alors que nous sommes entrés dans la troisième phase de la généralisation de la police de proximité, avec 528 contrats locaux de sécurité mis en place et 199 en préparation, il convient de rappeler les apports fondamentaux de cette démarche inédite qui rapproche la police du citoyen, sans pour autant se dissimuler les problèmes qui subsistent.
Ces « rappels » apparaissent d'autant plus nécessaires que le contexte actuel est propice à l'inflation des propositions les plus démagogiques et irréalistes : la droite parlementaire se surpasse en la matière en multipliant dépôts de propositions de loi, colloques et autres initiatives à mesure que les élections se rapprochent.
Tout d'abord, la police de proximité n'a de sens que dans un cadre républicain réaffirmé. Le mouvement en faveur d'une municipalisation de la sécurité est, de ce point de vue, extrêmement préoccupant, parce qu'il risque de mettre en péril ce principe d'égalité, en faisant dépendre la sécurité de nos concitoyens du potentiel fiscal de la collectivité.
La sécurité doit rester une responsabilité de l'Etat. C'est une règle et un fondement républicains ; c'est aussi l'assurance de l'efficacité. D'ailleurs, les maires ne s'y sont pas trompés : ils se sont majoritairement prononcés contre une extension de leurs responsabilités en matière de sécurité alors que l'on avait voulu la présenter ici même, il n'y a pas si longtemps, comme une revendication forte et partagée par l'ensemble des élus.
Ensuite, cette police de proximité se fonde sur une approche partenariale de tous les acteurs de la sécurité, réaffirmée au travers du principe de coproduction tel que systématisé dans la loi relative à la sécurité quotidienne.
Elle implique une mobilisation collective de la société, absolument fondamentale pour apporter une réponse de fond à la montée de l'insécurité.
A Marseille, la mise en place de la police de proximité, à titre expérimental en 1999 et définitivement le 16 octobre 2000, a conduit à repenser les missions de police dans le sens d'un service de meilleure qualité à la population, en étant plus à l'écoute de ses besoins. Elle a nécessité une adaptation constante en termes de redéploiement des effectifs, afin d'assurer une affectation permanente par quartier et pour mettre en place des points de contact opérationnels.
La police de proximité a également mis en lumière l'intérêt d'une politique globale. Sur le plan de la sécurité des transports collectifs, par exemple, elle a permis de démontrer le caractère protéiforme de la question : manque d'effectifs, problèmes de circulation et d'accès des bus, isolement du chauffeur, dangerosité des quartiers desservis, incivisme des passagers, peur... C'est sur l'ensemble de ces aspects que nous travaillons, par exemple, dans le cadre des contrats locaux de sécurité des mairies d'arrondissement des xiiie et xive.
Pour autant, la hausse générale de la délinquance, et principalement de la délinquance de voie publique, en augmentation de 15,4 % pour la ville, montre que les efforts sont loin d'être suffisants.
En particulier, on ne saurait se dissimuler les importantes difficultés qui subsistent, spécialement en termes de recrutement, et qui menacent, à terme, de fragiliser l'édifice.
Plus que jamais, nous avons besoin d'un plan pluri-annuel en la matière, comme nous le réclamons depuis plusieurs années. Le recrutement massif d'adjoints de sécurité, les ADS, qui s'étiole aujourd'hui puisque l'objectif des vingt-mille ne sera pas atteint, ne peut, à lui seul, résoudre la question des départs à la retraite.
Dans un contexte où la reconnaissance sociale des fonctionnaires de police apparaît déterminante, il faut également dénoncer les risques de nivellement par le bas que génère l'augmentation continue des responsabilités des ADS.
Les mesures relatives au personnel devraient être encore renforcées, non seulement du point de vue des salaires, mais également des inadmissibles conditions de travail - le journal Libération s'en est fait à nouveau l'écho ce matin - sans parler du logement des fonctionnaires de police, sur lequel nous attirons l'attention depuis plusieurs années.
Par ailleurs, il faut dénoncer la pénurie des moyens d'investigation qui ne permettent pas de lutter contre les infractions de bandes et les trafics locaux. Elle accentue l'impression qu'aujourd'hui la lutte se concentre essentiellement sur la partie la plus visible de la délinquance - la délinquance de rue - au détriment d'un travail de fond contre le grand banditisme et les trafics liés à l'économie souterraine.
Cette situation ne peut que renforcer la fracture sociale ; elle alimente le sentiment d'injustice et brouille l'échelle de gravité des comportements : d'un côté, on constate une certaine tolérance à l'égard de ces différents trafics, comme moyen de régulation économique et sociale d'une société incapable d'offrir d'alternative à l'argent facile ; de l'autre, on sanctionne lourdement des comportements incivils, certes répréhensibles mais pas forcément « délinquants », tels que l'occupation des halls d'immeubles ou la fraude répétée dans les transports publics, désormais passible de six mois de prison.
Chers collègues, quels repères donnons-nous alors ?
De telles situations ne contribuent-elles pas à aiguiser la violence plutôt qu'à la combattre ? Entendons-nous bien : je ne veux ni déresponsabiliser les délinquants ni excuser les comportements violents. Mais la stigmatisation à laquelle on assiste aujourd'hui en direction des jeunes des cités m'apparaît tout à fait irresponsable.
Les parlementaires communistes considèrent, pour leur part, que la lutte contre l'insécurité nécessite une politique globale autant sociale qu'économique, éducative et politique. Tant que nous cloisonnerons les réponses, en estimant que l'insécurité ne relève que d'une stratégie répressive, on ne pourra pas avancer.
C'est dans cette perspective qu'il faut penser le doublement des moyens de la sécurité : renforcement des services publics de proximité, non seulement police et justice, mais aussi poste, banques, commerces, des lieux d'écoute pour les parents, des relais avec l'école. Tous ces services contribuent à éviter que ne se créent des zones d'exclusion dont on sait qu'elles favorisent le développement de l'économie souterraine et génèrent les comportements délinquants.
L'éducation, la politique de la ville, la politique d'intégration, la lutte contre les exclusions sont autant de moyens de réduire durablement la violence dans notre société. Toute politique de lutte contre la délinquance ne peut être, en effet, que globale.
C'est en ayant à l'esprit tous ces éléments que nous voterons le budget de la sécurité. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Adrien Gouteyron.)