SEANCE DU 1ER DECEMBRE 2001


M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi de finances concernant le ministère des anciens combattants.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Jacques Baudot, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le secrétaire d'Etat, avant d'entamer l'examen des crédits pour 2002 de votre secrétariat d'Etat, je tiens à rendre hommage au travail accompli par votre prédécesseur, qui a rejoint nos travées et qui ne manquera pas, j'en suis sûr, de poursuivre ainsi l'action qu'il a si positivement menée en faveur du monde combattant durant les années où il présidait à sa destinée.
J'en profite également, monsieur le secrétaire d'Etat, pour vous souhaiter la bienvenue dans la Haute Assemblée. C'est une première, car, depuis vingt ans, vous avez été plus habitué à siéger au sein de la chambre basse du Parlement, où vous vous êtes spécialisé - comme moi ici - dans la défense du monde des anciens combattants !
Défendant un budget que vous n'avez pas préparé, monsieur le secrétaire d'Etat, c'est en quelque sorte votre baptême du feu, et je vous souhaite sincèrement bonne chance dans cet intérim que vous allez assurer jusqu'en juin prochain. Nous espérons tous que vous ne gérerez pas uniquement les affaires courantes de ce secrétariat d'Etat.
Venons-en maintenant à l'analyse des crédits de votre portefeuille, qui ne me semble, au départ, pas très garni ! Sa perte de valeur est indéniable.
En tout cas, j'ai lu, dans le compte rendu des débats de l'Assemblée nationale paru au Journal officiel, que ce budget avait été sévèrement critiqué par des membres éminents de la majorité plurielle, et particulièrement par l'un de vos amis, je veux parler de M. Georges Sarre, qui s'est exprimé en ces termes : « Ce projet de budget des anciens combattants manque singulièrement d'ambition. Il manque de ce souffle, de cette volonté d'honorer dignement ceux qui, hier, se sont battus pour notre nation ».
Vous me direz que c'est une bonne introduction...
En raison tout à la fois des transferts du budget des anciens combattants vers la défense, de l'intégration, au sein du budget des anciens combattants, de lignes budgétaires relevant antérieurement des charges communes et du passage à l'euro, les crédits du secrétariat d'Etat aux anciens combattants manquent un peu de lisibilité. Rien à voir, de ce point de vue, avec le calcul du rapport constant, me direz-vous !
Je vais donc tenter, sans trop vous abreuver de chiffres, de vous présenter le projet de budget pour 2002 tel qu'il est issu des travaux de l'Assemblée nationale, le 7 novembre dernier et le 19 novembre, pour la deuxième délibération.
Les crédits du secrétariat d'Etat aux anciens combattants prévus au projet de loi de finances pour 2002 s'élèvent à 3,63 milliards d'euros, soit 23,798 milliards de francs, ce qui semble constituer une infime augmentation - 0,02 % - par rapport aux crédits pour 2001.
Ce n'est en effet qu'une apparence, en raison des transferts entre sections dont je viens de parler, auxquels il nous faut ajouter la diminution mécanique du nombre de parties prenantes - à peu près 4 % - sachant que le nombre de pensionnaires diminue, tandis que le nombre de bénéficiaires de la retraite du combattant monte en puissance. Il faut y voir l'effet, d'une part, de l'arrivée en âge des anciens combattants d'Afrique du Nord, d'autre part, de l'extension des conditions d'attribution de la carte du combattant depuis 1997.
Quoi qu'il en soit, le chiffre que nous retiendrons ce soir est celui de 3,63 milliards d'euros. J'y reviendrai ultérieurement, mais, dès à présent, je tiens à insister sur les trois amendements gouvernementaux, adoptés par l'Assemblée nationale, par lesquels vous avez majoré, d'une part, les crédits de l'ONAC, l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre, de 1,52 million d'euros et, d'autre part, le chapitre 46-20 en faveur des ayants cause des anciens combattants des anciennes colonies, pour le même montant, et, enfin, le chapitre 46-40 en faveur, notamment, des actions de mémoire, pour 47 100 euros.
Les crédits d'intervention représentant 98 % du budget global, essentiellement constitués par la dette viagère, je noterai que la subvention de fonctionnement de l'ONAC progresse de 3,5 %, pour atteindre un montant total de 38,7 millions d'euros, et que celle de l'INI, l'Institution nationale des invalides, diminue de 8,6 %, représentant 6,24 millions d'euros.
Concernant l'ONAC, cette augmentation devrait lui permettre d'entamer la réalisation de son projet « Nouvel élan pour l'ONAC », en poursuivant, notamment, la mise aux normes de ses maisons de retraite qui, je le sais, est en cours.
J'aimerais cependant que vous nous confirmiez ou que vous nous infirmiez, monsieur le secrétaire d'Etat, l'information selon laquelle l'Etat envisagerait de ne pas verser à l'ONAC la subvention de fonctionnement de 60 millions de francs votée dans le cadre du dernier budget. J'ai lu les débats de l'Assemblée nationale et, pas plus que les députés, je n'ai constaté de « oui » franc ou de « non » franc, tout juste un « oui, mais » ou un « non, mais ». Je n'ai pas compris. J'attends donc de vous, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous nous disiez si c'est oui ou si c'est non !
M. Jacques Floch, secrétaire d'Etat à la défense chargé des anciens combattants. C'est un « oui » franc ! (Sourires.)
M. Jacques Baudot, rapporteur spécial. Concernant l'INI, je rappellerai qu'elle est désormais intégrée dans le service hospitalier et qu'elle perçoit, à ce titre, la dotation globale hospitalière.
L'INI, qui s'est, par ailleurs, engagée à améliorer la qualité et la sécurité des soins qu'elle délivre, devrait obtenir prochainement son accréditation hospitalière.
Par un formidable effet d'annonce auquel nous a, certes, habitués votre gouvernement, vous nous proposez, monsieur le secrétaire d'Etat, quatre nouvelles mesures. Personnellement, je n'en dénombre que deux, et je m'en explique.
Premièrement, l'article 61, qui prévoit le relèvement de cinq points du plafond majorable de la rente mutualiste, n'est en fait qu'une simple application de l'indice de référence, à savoir le point de pension militaire d'invalidité, tel qu'il a été décidé dans la loi de finances pour 1998. Je ne vois pas là grand-chose de novateur !
Je voudrais rappeler que, contrairement à l'engagement du Gouvernement - ou, plus précisément, du Premier ministre, Lionel Jospin, alors candidat à l'élection présidentielle - les cent trente points permettant d'accéder au plafond de 10 000 francs ne seront pas atteints avant la fin de la législature. Nous le répétons tous les ans, mais cela reste vrai !
La seconde de ces « nouvelles » mesures vise à rétablir l'unicité du point des pensions d'invalidité. C'est l'objet de l'article 64.
Là non plus, il n'y a pas vraiment de surprise ! Depuis deux ans que s'appliquait l'échelonnement, je dois vous avouer que nous attendions logiquement ce solde. Faute d'être surpris, je dois, en revanche, vous faire part de mon étonnement quant au montant alloué à cette opération. Il me semble, en effet, nettement sous-évalué : 2,59 millions d'euros, soit 17 millions de francs, au lieu des 35 millions de francs considérés comme nécessaires pour solder ce dossier.
Après ces deux fausses nouvelles mesures, j'aborderai les deux réelles ; car il y en a tout de même deux !
Elles concernent les grands invalides et leurs veuves. Monsieur le secrétaire d'Etat, leur cas est prioritaire car, en plus du sacrifice de leur jeunesse sous les drapeaux, ils ont, une vie durant, porté le fardeau d'une blessure ou d'une maladie. Il n'est que justice de tenter d'adoucir leur peine.
L'article 63 accorde aux bénéficiaires d'une pension d'invalidité le droit à la retraite du combattant dès soixante ans. C'est une bonne mesure, et nous nous en réjouissons, tout en déplorant qu'aucun geste, même minime, n'ait été accompli en direction des anciens combattants non pensionnés.
Admettant que l'extension de cette mesure à tous les anciens combattants pesait trop lourd sur le budget, j'avais pourtant proposé, l'année dernière déjà - mais je n'avais pas été le seul - plusieurs pistes de réflexion : elles n'ont pas même été étudiées.
J'avais ainsi proposé un passage progressif, en une ou deux étapes, à soixante ans ou, tout simplement, le relèvement de l'indice, l'indice 33, qui, je vous le rappelle, est bloqué depuis 1977.
Seconde nouvelle mesure « réelle », l'article 62 prévoit l'augmentation de cent vingts points de la pension des veuves de grands invalides, soit près de 10 000 francs par an. Quoi de plus normal ? Le sacrifice de ces femmes fidèles et courageuses méritait la considération de la société.
Je ne puis, toutefois, m'empêcher de penser aux veuves de combattants qui, si elles n'ont pas partagé le poids d'une invalidité, se retrouvent souvent démunies au décès de leur mari. Heureusement, le 7 novembre dernier, peut-être mu par un remords, vous avez alimenté les comptes de l'ONAC de 10 millions de francs supplémentaires.
L'intervention de l'ONAC, dans sa mission sociale, est fondamentale, tout particulièrement auprès des veuves.
Cela étant, permettez-moi de jeter un regard critique, monsieur le secrétaire d'Etat, sur votre récente initiative de proposer la désignation, dans chaque mairie, d'un interlocuteur chargé d'« écouter » les veuves et les orphelins - on ne voit d'ailleurs pas ce qu'il pourrait faire d'autre, puisqu'il ne disposera pas de crédits - et votre appel aux maires, les priant de leur rendre hommage. Au regard du désappointement et du dénuement de ces femmes, cette idée semble bien dérisoire et sans fondement. Je dirai presque que vous jetez de la poudre aux yeux.
Bien que cette mesure ne soit pas, à proprement parler, budgétaire, je n'oublierai pas l'article 64 bis, voté en deuxième délibération, à la suite d'un amendement de la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale, et visant à présenter au Parlement, avant la discussion budgétaire prochaine, un rapport d'évaluation du coût de la mise en place de centres de soins de proximité adaptés au traitement des psychotraumatismes de guerre.
J'espère que les crédits pour 2003 - je pense que vous allez vous en occuper pendant les six mois qui viennent - concrétiseront les conclusions de ce rapport attendu.
A la fin de ce débat, il nous sera demandé, mes chers collègues, de nous prononcer sur ces mesures. Il est évident que, malgré la modicité de ces avancées, nous ne pourrons que leur accorder notre approbation.
J'aborderai maintenant les dossiers que le projet de budget a totalement passés sous silence.
Il n'est pas dans mon intention de faire un catalogue, comme celui de La Redoute, des multiples revendications du monde combattant. Je mettrai seulement le doigt sur les dérobades de votre gouvernement face à des doléances légitimes.
J'évoquerai, tout d'abord, le problème des anciens combattants d'outre-mer.
Vous savez combien ce dossier me tient à coeur. Je considère, en effet, que le geste symbolique accompli à l'Assemblée nationale ne constitue pas, à proprement parler, un début de solution.
Alors qu'en ces lieux-mêmes votre prédécesseur annonçait, il y a tout juste un an, et dans les mêmes circonstances, la mise en place d'une commission tripartite chargée d'étudier les conditions d'une décristallisation des pensions servies à nos anciens compagnons d'armes, hélas ! il a attendu la semaine de son départ du Gouvernement pour la réunir. Nos anciens combattants d'outre-mer ont attendu un an !
Dans ces conditions, le budget pour 2002, tel qu'il a été soumis à notre approbation à l'issue de l'arbitrage, était, bien entendu, silencieux sur leur sort.
Sous la pression des parlementaires, j'ai moi-même déposé une proposition de loi soumettant l'idée d'un dégel des retraites seules, comprenant que l'effort financier global serait difficilement assimilable en une fois, ce dont nous étions tous conscients. Vous avez donc abondé les comptes du chapitre 46-20 d'une somme de 1,52 million d'euros en faveur de leurs ayants cause. Nous ne pouvons qu'approuver, monsieur le secrétaire d'Etat, ce « repentir ».
De même, nous apprécions la démarche accomplie en direction des harkis : le 25 septembre est désormais une date officielle de commémoration, mais je pense que ces combattants n'ont pas encore obtenu, de la part de la communauté nationale, la reconnaissance qu'ils méritent.
Ne pensez donc pas que cette ébauche de mesure, accordée en fin de débat pour calmer le mécontentement de parlementaires scandalisés par l'ingratitude prolongée du Gouvernement, suffise à nous satisfaire. Un geste en direction des anciens combattants du Maghreb, de loin les plus défavorisés, aurait prouvé une volonté réelle de sortir de ce coupable et durable « oubli ».
Je profite de l'opportunité qui m'est offerte d'aborder le problème des anciens combattants d'outre-mer pour attirer votre attention, monsieur le secrétaire d'Etat, sur ce qui n'est, très certainement, qu'une erreur administrative.
L'année passée, votre prédécesseur avait levé la forclusion qui frappait le droit à la retraite du combattant. Or seuls les anciens d'Afrique ont profité de cette mesure. En effet, les anciens d'Indochine, certes très peu nombreux, ont été exclus du dispositif, mais je sais que vous allez nous en parler.
Je ne doute pas un instant de la bonne foi du Gouvernement dans cette omission, vu la modicité des sommes en jeu, mais il serait souhaitable - nous le demandons même instamment - par souci d'équité, d'y remédier au plus vite.
Venons-en maintenant à ce que je qualifierai de « pirouette » ; je veux parler du dossier récurrent des RAD-KHD. Après avoir sollicité l'engagement conditionnel de l'« entente franco-allemande », qui vous l'a accordé dès 1998, le Gouvernement a alors demandé l'évaluation chiffrée du nombre de bénéficiaires potentiels.
Si, comme vous l'affirmez aujourd'hui, le Gouvernement n'a jamais eu l'intention de verser quoi que ce soit, pourquoi diable ce comptage ? Pourquoi faire naître un légitime espoir chez les intéressés ?
Comment y voir autre chose qu'une manoeuvre dilatoire ? Je m'élève d'autant plus contre votre refus d'apporter une solution à ce dossier - vous y remédierez peut-être d'ici à la fin de notre débat - qu'il appelle une dépense non reconductible, nous le savons, alors que l'utilisation du différentiel budgétaire aurait largement suffi à mettre fin à ce contentieux.
Pis encore, s'il est possible, l'arrêté du 25 juillet dernier, paru au Journal officiel du 27 juillet - la date elle-même est suspecte, c'étaient les vacances ! - et signé par votre prédécesseur peu avant son départ, a pour objet de réduire le montant de l'indemnité d'hébergement versée durant les séjours en cure thermale. Vous connaissez bien ce dossier, vous en avez hérité. Non seulement cette économie de bouts de chandelle est mesquine, mais, en plus, elle est dangereuse, car elle tend à « socialiser » le droit à réparation.
Je ne céderai pas à la tentation de m'engager dans la négociation de marchand de tapis à laquelle incite cette mesure : elle est indigne du monde combattant, pour lequel j'ai trop de respect. Mais je me permettrai de vous rappeler, monsieur le secrétaire d'Etat, que nous ne devons pas nous tromper de budget. Nous ne sommes pas ici pour venir en aide à une catégorie sociale défavorisée ; nous cherchons au contraire comment la nation peut s'acquitter de son devoir à l'égard de ceux à qui elle est redevable. C'est cela, le sens du droit à réparation !
Mais vous allez nous répondre sur ce sujet, monsieur le secrétaire d'Etat, comme sur tous les points mineurs que j'ai évoqués, et nous donner satisfaction, j'en suis persuadé.
J'aborderai enfin une mesure qui, si elle n'est pas financée sur les crédits de votre portefeuille, monsieur le secrétaire d'Etat, est gérée par les services de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre, l'ONAC. Vous aurez tous compris que je veux parler du décret du 13 juillet 2000 instaurant une indemnisation au profit des orphelins dont les parents ont été victimes de persécutions antisémites, et d'eux seuls ! Cette décision a été prise par le Premier ministre et par lui seul, monsieur le secrétaire d'Etat, puisque le secrétaire d'Etat aux anciens combattants l'a apprise presque par hasard, le lendemain. La nouvelle a été lancée à l'issue d'une réunion, et non pas à la fin d'un repas, comme on aurait pu le croire.
Nul n'a contesté le bien-fondé de cette initiative. Mais, en ravivant de douloureux souvenirs et en instaurant une injustice entre les victimes de la barbarie nazie, une telle mesure, qui repose sur un critère confessionnel, ne pouvait que faire renaître des sentiments contre lesquels nous luttons ensemble et que nous pensions disparus à jamais.
Alors que le Gouvernement crie haut et fort vouloir « gommer les différences », il érige en principe la différence raciale, se fait le chantre de la ségrégation et divise la population. Mon affliction va autant vers les oubliés de cette mesure que vers ceux qui en bénificient, au prix du sentiment de jalousie dont ils sont l'objet.
Avant de conclure mon propos, j'aimerais conjointement à ce débat budgétaire, aborder le problème des emplois-mémoire. Je louerai d'abord le travail remarquable qu'ont accompli ces jeunes, qui ont ainsi trouvé le chemin de l'activité et la satisfaction d'une mission utile. Car la mission qui leur a été impartie, et qui a trouvé tout son sens dans le projet gouvernemental de développement décentralisé de la politique de la mémoire, a su les motiver alors qu'ils désespéraient du monde du travail. Les réalisations, qu'elles portent sur l'information, la communication, la recherche historique ou la pédagogie, ont été appréciées de tous.
A ces louanges, j'opposerai toutefois un bémol et il est de taille ! Ces jeunes, qui ont trouvé une raison d'être à travers cette passionnante mission, sont aujourd'hui déçus, frustrés, de devoir, pour vivre, abandonner un emploi qui les épanouit. Ils ressentent cruellement une impression de travail inachevé. Que ne leur avez-vous offert la possibilité d'obtenir une titularisation au sein de votre administration ? Le Gouvernement voyait-il donc uniquement dans ces emplois un moyen d'abaisser la courbe du chômage ? Je ne le crois pas, mais je regrette vraiment que vous n'ayez pas su les apprécier à leur valeur.
Vous aurez compris, monsieur le ministre, que la commission des finances demeure bien frustrée, comme son rapporteur spécial, devant la modicité des mesures proposées et que dans ces conditions, sauf effort considérable de votre part - dont vous ne manquerez pas de nous faire part - elle se verra dans l'obligation de rejeter votre budget.
Restent les traditionnelles « questions diverses ». J'en ai une, monsieur le secrétaire d'Etat, et elle est d'actualité, même si elle n'a aucune incidence financière à court terme.
M. Gayssot vous a-t-il consulté lorsqu'il a décidé de créer le troisième aéroport international ? Des discussions ont-elles eu lieu ?
Car, vous le savez tous, il y a près de Chaulnes une importante nécropole.
Que deviendra-t-elle ? Telle est la dernière question d'actualité que je vous pose. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Marcel Lesbros, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, notre débat revêt ce soir une importance toute particulière. D'abord, il nous permet d'accueillir et de saluer un nouveau secrétaire d'Etat, M. Jacques Floch, spécialiste des anciens combattants. Ensuite, nous examinons le dernier budget de la présente législature.
Vous comprendrez donc, monsieur le secrétaire d'Etat, que la commission en profite pour dresser un premier bilan de l'action du Gouvernement, j'y reviendrai tout à l'heure.
Permettez-moi de commencer par quelques considérations sur le présent projet de budget. Par avance, je vous demande de bien vouloir m'excuser s'il m'arrive de répéter certains des propos tenus par M. Jacques Baudot dans son excellente intervention. Mieux vaut enfoncer le clou plutôt deux fois qu'une ! Car je reviendrai sur certains problèmes, hélas ! toujours d'actualité.
En 2002, les crédits des anciens combattants diminueront, à structure constante, de 2 %, baisse bien supérieure à celle qui a été enregistrée l'année passée, qui ne s'établissait qu'à 1,2 %.
Cette diminution ne serait pas illégitime si elle permettait de reconduire dans de bonnes conditions les actions actuellement menées et d'apporter des réponses adaptées aux attentes les plus vives et les plus justifiées du monde combattant.
Tel n'est pourtant pas le cas ; car le budget se caractérise avant tout par une évidente fragilisation des dispositifs existants et par la modicité des mesures nouvelles - Jacques Baudot l'a rappelé.
Ce budget consacre ainsi une sérieuse remise en question du droit à réparation. Je fais ici allusion - mais vous l'aurez déjà compris, monsieur le secrétaire d'Etat - aux conditions de remboursement des frais d'hébergement pour les invalides de guerre effectuant une cure thermale. L'arrêté du 25 juillet 2001, dont nous venons de parler, a en effet diminué très sensiblement le plafond de remboursement, qui est ainsi passé de 4 920 francs à 2 952 francs.
Une telle mesure, prise subrepticement, sans la moindre consultation, me paraît doublement inacceptable. D'une part, elle touche prioritairement les pensionnés les plus modestes, qui n'auront plus les ressources suffisantes pour partir en cure. D'autre part, elle constitue surtout une remise en cause très grave du droit à réparation, lézardant ainsi tout l'édifice issu de la loi du 31 mars 1919. Vous le savez, monsieur le secrétaire d'Etat, ce droit à réparation est sacré pour les anciens combattants.
J'observe d'ailleurs que cette mesure ne fait que reprendre pour partie une récente proposition de la Cour des comptes, proposition à laquelle votre prédécesseur avait pourtant répondu en ces termes : « La dérogation permanente accordée pour la prise en charge des cures thermales des pensionnés constitue un dispositif lié au droit à réparation, auquel le monde combattant est particulièrement attaché. Il n'est pas envisagé de l'abroger. »
Aussi ne puis-je que regretter que le Gouvernement ait si brutalement changé d'avis. Je vous invite très solennellement, monsieur le secrétaire d'Etat, à revenir sur cette décision inutile et vexatoire.
Une de mes craintes concerne la politique de solidarité, qui est le parent pauvre de ce budget : les crédits qui lui sont consacrés diminueront de plus de 15 % l'an prochain.
La commission des affaires sociales regrette notamment que le Gouvernement n'ait prévu aucun dispositif de solidarité alternatif pour faire face à l'extinction programmée du fonds de solidarité, si ce n'est une majoration bien tardive et bien modeste des crédits sociaux de l'ONAC.
Or de nombreux anciens combattants se trouvent dans des situations de grande précarité lorsqu'ils cessent de bénéficier du fonds de solidarité : ils doivent fréquemment se contenter du minimum vieillesse et de secours individuels accordés par l'ONAC. Un redéploiement des dotations du fonds de solidarité en leur faveur nous aurait semblé plus justifié que les mesures d'annulation de crédits qui se multiplient.
Ma dernière préoccupation touche à la politique de la mémoire.
La commission attache une importance toute particulière aux sépultures des Morts pour la France, car elles ont vocation à incarner et à représenter l'hommage et la reconnaissance de la nation à ses morts. Or l'Etat n'accorde aujourd'hui - et ce depuis 1980 - que 8 francs par tombe et par an pour l'entretien des tombes des Morts pour la France dans les carrés communaux, alors que le coût annuel de leur entretien est de 38 francs. La charge financière repose alors sur les collectivités locales et sur le Souvenir français. Elu local, je suis bien placé pour le savoir.
Nous considérons qu'un tel financement n'est pas satisfaisant, et je regrette le désengagement de l'Etat, dans un domaine pourtant lourd de symboles. A titre de comparaison, il faut savoir que là où l'Etat français verse aujourd'hui 8 francs par an, le Royaume-Uni en verse 48. Il me semble donc légitime d'augmenter la participation de l'Etat à cette charge. Cela me semble, en outre, réaliste d'un point de vue budgétaire, car le taux de consommation des crédits de mémoire reste bien faible. Une augmentation pourrait, là encore, passer par un redéploiement des crédits.
A ce propos, je souhaite, après M. Jacques Baudot, attirer votre attention, monsieur le secrétaire d'Etat, sur les conséquences sans doute imprévues du choix du Gouvernement pour l'implantation de la troisième plate-forme aéroportuaire du Bassin parisien. En effet, sur la zone retenue sont implantés de vastes cimetières militaires qui abritent les tombes de milliers de victimes des terribles combats de la Somme en 1916. On imagine mal tout déplacement de ces sépultures, qui ne constituerait qu'une atteinte supplémentaire à la mémoire de ces combattants, qui ont déjà payé de leur vie leur dévouement à la nation. Nous aimerions donc savoir comment, sur ce cas concret, sera mise en oeuvre la politique de la mémoire.
La fragilisation des dispositifs actuellement en vigueur n'est, hélas ! pas compensée par des mesures nouvelles réellement ambitieuses.
Deux des mesures nouvelles ne font que prolonger les budgets précédents.
Ainsi, l'article 61 prévoit de relever le plafond majorable de la retraite mutualiste pour faire passer l'indice de référence de 110 à 115 points. Cette revalorisation, identique à celle des années précédentes, reste relativement faible et a pour conséquence de reporter la réalisation de l'objectif de 130 points, qu'il me semble souhaitable d'atteindre dans des délais raisonnables.
Quant à l'article 64, il achève enfin le rattrapage de la valeur du point de pension des plus grands invalides, rattrapage qui avait été amorcé, je le rappelle, dès le budget pour 2000.
Les deux autres mesures nouvelles sont plus novatrices, même si leur portée est en définitive relativement modeste.
La première - c'est l'article 62 - concerne les veuves de grands invalides et vise à augmenter la majoration de pension dont elles bénéficient. Je précise qu'il s'agit des seules veuves ayant passé au moins quinze ans à assister leur mari invalide à 85 % et plus. Mais seules 1 400 veuves seraient concernées par cette mesure !
La seconde mesure - c'est l'article 63 - tend à ramener de soixante-cinq à soixante ans l'âge d'attribution de la retraite du combattant pour les titulaires d'une pension militaire d'invalidité. J'observe néanmoins qu'une telle mesure reste très en retrait des attentes du monde combattant, qui espérait un versement anticipé dès l'âge de soixante ans à l'ensemble des titulaires de la carte du combattant et une revalorisation du niveau de la retraite.
Monsieur le secrétaire d'Etat, nous n'avons pas intérêt, à l'égard des anciens combattants, à procéder au « compte-gouttes ». Il est nécessaire de parfois leur donner une satisfaction marquante : il sont très attachés à cette retraite à soixante ans, et je crois que nous avons aujourd'hui la possibilité de le faire.
Toutes ces conditions m'amènent, en définitive, à juger décevant le projet de budget qui nous est soumis. La commission des affaires sociales vous proposera d'ailleurs, mes chers collègues, d'adopter trois amendements, qu'elle a acceptés à l'unanimité, pour en renforcer la portée.
Ces amendements - nous sommes les premiers à le déplorer - restent relativement modestes, mais ils permettront de lever certaines difficultés juridiques particulièrement préjudiciables pour le monde combattant.
Notre déception serait, bien entendu, largement atténuée si le bilan de l'action du Gouvernement depuis près de cinq ans était positif.
La commission des affaires sociales du Sénat s'est donc attachée à examiner celui-ci avec la plus grande objectivité. Il ne s'agit bien sûr pas pour nous de revenir sur l'action personnelle de notre collègue Jean-Pierre Masseret. Je tiens à ce propos à souligner son implication dans le traitement des dossiers, même si je regrette que les arbitrages interministériels lui aient été trop souvent défavorables.
Ce bilan, autant l'annoncer tout de suite, m'apparaît en demi-teinte.
Certes, la commission des affaires sociales se félicite de nombreuses évolutions très positives que le Gouvernement a amorcées ou accompagnées.
Je pense notamment à l'élargissement des conditions d'accès aux différents titres.
Je pense également au souci d'assurer une meilleure reconnaissance à la troisième génération du feu. A cet égard, j'insiste sur l'importance de la loi du 18 octobre 1999, adoptée à l'unanimité par le Parlement, qui a enfin qualifié une guerre restée trop longtemps sans nom.
Je pense encore à la modernisation en cours des institutions du monde combattant : l'ONAC, l'INI mais aussi le secrétariat d'Etat se sont engagés, non sans heurts, dans un louable processus de réforme, avec le double souci d'assurer leur pérennité et d'améliorer la qualité du service rendu.
Je pense enfin à quelques mesures de solidarité, comme l'élargissement de l'accès au fonds de solidarité, ou de reconnaissance, comme la majoration progressive de la rente mutualiste ou la réunification de la valeur du point pour les grands invalides. Ces mesures, longtemps attendues, étaient à l'évidence nécessaires pour conforter la place du monde combattant dans notre société, qui évolue très vite et qui tend à oublier les souffrances que de nombreux hommes et femmes ont endurées pour notre pays.
Je ne m'étendrai pas davantage sur ces indéniables avancées, qui prolongent d'ailleurs bien souvent l'action des gouvernements précédents et qui sont fréquemment d'origine parlementaire. Je suis bien sûr que nos collègues de l'opposition sénatoriale y reviendront très longuement tout à l'heure.
Pour autant, le bilan du Gouvernement est, me semble-t-il, plus marqué par des carences que par des réalisations.
Je ne m'attarderai pas sur la baisse très sensible des crédits depuis 1997. Ceux-ci ont diminué de 16 % sur la période en unité monétaire constante, alors que la population combattante dans son ensemble ne s'est réduite qu'à un rythme deux fois moindre.
Cependant, il n'est pas dans mon propos d'alimenter ici je ne sais quelle querelle statistique qui ne pourrait être que stérile. Il me semble plus constructif de rappeler l'insuffisance des avancées obtenues.
Certes, nous sommes bien conscients que tout ne peut pas être fait tout de suite, mais le Gouvernement a néanmoins ignoré de nombreuses questions particulièrement urgentes et sensibles pour le monde combattant.
Je passerai rapidement sur deux revendications au sujet desquelles le Gouvernement a « joué la montre » : la retraite anticipée et l'attribution de la retraite du combattant dès soixante ans. J'insisterai, en revanche, sur plusieurs questions auxquelles s'attache traditionnellement la commission des affaires sociales.
Certaines restent aujourd'hui encore en jachère : l'indemnisation des incorporés de force dans les formations paramilitaires allemandes ou la réforme du rapport constant en sont de bons exemples.
D'autres n'ont reçu qu'une réponse hélas ! trop partielle, qui ne règle pas les problèmes quant au fond. Je pense notamment à l'indemnisation des victimes du nazisme, qui ne concerne que les seuls orphelins des déportés juifs ; je pense surtout à la situation des veuves, pour lesquelles rien n'a été fait depuis 1997, ou à la question de la « décristallisation ».
Voilà deux ans que le Gouvernement nous annonce son intention de « remettre à plat » les dispositifs en faveur des veuves. Il est vrai que leur situation mérite une attention particulière, car nombre d'entre elles ne perçoivent que de très faibles revenus et connaissent des conditions de vie souvent très précaires.
Mais il semble aujourd'hui que la « remise à plat » annoncée soit bien modeste. La large consultation a tourné court et s'est résumée à la simple réunion d'un groupe de travail. Surtout, l'unique mesure prévue par le projet de budget, hormis l'aumône de quelques crédits d'action sociale, ne vise que les veuves des grands invalides. Seules 1 400 veuves seraient concernées, soit environ un millième de la population totale : rien n'est fait pour les veuves de guerre ou les simples veuves d'anciens combattants. La commission des affaires sociales avait pourtant fait des propositions les années précédentes ; elles n'ont pas été entendues, et je le regrette.
La résolution d'un autre problème qui nous tient à coeur, celui de la décristallisation, est également au point mort. Elle ferait pourtant honneur à la France.
En dépit de l'engagement pris par le Gouvernement, voilà trois ans maintenant, d'ouvrir une réflexion sur la base de la comparaison des pouvoirs d'achat, aucune avancée n'est intervenue. La seule mesure prévue l'an passé dans le budget visait simplement à mettre les faits en accord avec le droit, car l'administration refusait d'appliquer la loi. Elle n'a fait, en définitive, qu'attiser des espérances immédiatement déçues.
La commission des affaires sociales avait pourtant, là encore, élaboré des propositions très raisonnables qui pourraient servir de fondement à des améliorations sub-stantielles et constituer enfin un premier pas dans la voie de la reconnaissance et de l'équité.
Le débat à l'Assemblée nationale a permis, semble-t-il, d'ouvrir une première brèche, mais celle-ci reste pour l'instant sans portée juridique. Nous espérons que le débat d'aujourd'hui permettra d'apporter les éclaircissements attendus sur les intentions du Gouvernement en la matière.
Ces considérations me conduisent à dresser un bilan très mitigé de cinq années d'action gouvernementale.
Au terme de ce tour d'horizon bien trop rapide, hélas ! me revient en mémoire une maxime de La Rochefoucauld : « Peu de gens sont assez sages pour préférer le blâme qui leur est utile à la louange qui les trahit ». (Sourires.)
Je suis certain, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous faites partie de cette catégorie d'hommes ! Vous aurez donc compris que mes remarques, parfois très critiques, visent avant tout à vous inciter à accentuer votre effort en faveur des anciens combattants dans les mois qui nous séparent de la fin de la législature.
Dans cette attente, la commission des affaires sociales du Sénat s'est déclarée défavorable à l'adoption des crédits, mais favorable à l'adoption des cinq articles rattachés.

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