SEANCE DU 7 NOVEMBRE 2001


M. le président. « Art. 7. - I. - Il est inséré, dans la section 4 du chapitre II du titre Ier du livre III de la deuxième partie du code de l'éducation, un article L. 312-11-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 312-11-1 . - La langue corse est une matière enseignée dans le cadre de l'horaire normal des écoles maternelles et élémentaires de Corse.
« II. - 1. L'article L. 4424-14 du code général des collectivités territoriales devient l'article L. 4424-5.
« 2. Le deuxième alinéa du même article est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :
« L'Assemblée adopte, dans les mêmes conditions, un plan de développement de l'enseignement de la langue et de la culture corses, dont les modalités d'application font l'objet d'une convention conclue entre la collectivité territoriale de Corse et l'Etat.
« Cette convention prévoit les mesures d'accompagnement nécessaires et notamment celles relatives à la formation initiale et à la formation continue des enseignants. »
Sur l'article, la parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc. Avec l'article 7 du projet de loi, nous abordons un point particulièrement sensible de notre débat.
En effet, la langue constitue un lien essentiel entre le passé et l'avenir, et elle permet de bien appréhender la réalité d'un pays, d'une région, d'une contrée.
La langue corse est, à cet égard, tout à fait emblématique. Elle est la fierté de ceux, malheureusement de plus en plus rares, qui la parlent, mais aussi de ceux, de plus en plus nombreux, qui la comprennent.
La France continentale a découvert les sonorités mélodieuses du corse, notamment, avec les polyphonies. Dans l'île, la langue se marie avec la beauté du paysage, la chaleur de l'été et la force des liens qui unissent les Corses.
Personne ne peut nier le rapport particulier, si vif, qui lie cette île - et l'insularité revêt à cet égard une grande importance - et sa langue.
Les communistes corses et continentaux interviennent depuis longtemps pour placer l'enseignement du corse comme l'une des priorités de l'éducation nationale.
Les langues régionales, toutes les langues régionales, constituent une richesse pour le pays tout entier, et elles ont toutes un caractère culturel.
Nous estimons que ce serait une grave erreur que de craindre la généralisation de cet enseignement. Chaque enfant doit pouvoir accéder à ce qui constitue une part de notre histoire.
Cela est d'autant plus vrai que, de l'avis de nombreux pédagogues, l'apprentissage d'une langue régionale est un facteur de réussite et, même pour les familles d'origine étrangère, d'identification.
Nous sommes donc tout à fait favorables à l'idée d'un développement significatif de l'accès aux langues régionales.
Reste à définir - et c'est là que le débat devient difficile - le caractère de cet enseignement. Doit-il demeurer facultatif ou devenir quasiment obligatoire ? Les avis sont évidemment partagés, les personnes auditionnées par la commission spéciale nous en ont fourni l'illustration.
Autant certains prônent l'enseignement du corse - au demeurant, en Corse, le bilinguisme est déjà une réalité dans un certain nombre d'établissements, comme M. le recteur l'a expliqué à la délégation qui s'est rendue sur l'île - autant d'autres, enseignants ou parents d'élèves, redoutent des difficultés, par exemple pour les enfants de familles non corsophones. D'autres encore s'inquiètent d'une éventuelle obligation pour les enseignants exerçant en Corse de parler la langue locale.
Pour dédramatiser le débat, je dirai que les chiffres cités dans le rapport écrit sont rassurants. Là où l'enseignement de la langue corse est proposé, les enfants le suivent dans leur quasi-totalité.
La grande question est donc celle de la généralisation de l'enseignement du corse et, par là même, celle des moyens dévolus à cet enseignement. La question du caractère obligatoire ou facultatif des cours paraît en fait subsidiaire.
Cela dit, à mes yeux, la langue officielle de la France étant le français, l'apprentissage d'une langue régionale doit rester de l'ordre de la démarche volontaire, quitte à être facilitée. Nous rejoignons là notre discussion plus large sur la place de la Corse dans la République.
Sa spécificité doit être reconnue avec le développement le plus large possible de l'enseignement du corse, mais il doit être rappelé que celui-ci ne saurait se substituer à l'enseignement du français.
C'est pourquoi nous avons déposé un amendement visant à clarifier le texte de l'Assemblée nationale, qui instaure en fait une quasi-obligation de recevoir l'enseignement du corse puisque les parents qui y seraient hostiles devraient manifester leur volonté. Nous suggérons la démarche inverse : c'est l'apprentissage du corse qui doit être l'expression d'une volonté.
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Je partage le lyrisme de Mme Luc sur l'intérêt des langues régionales.
Mon grand-père était breton bretonnant ; il me racontait comment la IIIe République traitait, à l'époque, ceux qui parlaient cette langue à l'école. Au fronton des écoles, il était écrit : « Interdit de cracher et de parler breton ».
Mais je ferme cette parenthèse et j'en viens à l'état du droit tel que le Conseil constitutionnel l'a établi, dans sa décision du 9 mai 1991 relative à l'enseignement des langues régionales : l'enseignement du corse « n'est pas contraire au principe d'égalité », mais sous une réserve : « dès lors qu'il ne revêt pas un caractère obligatoire ; qu'il n'a pas davantage pour objet de soustraire les élèves scolarisés dans les établissements de la collectivité territoriale de Corse aux droits et obligations applicables à l'ensemble des usagers des établissements qui assurent le service public de l'enseignement ou sont associés à celui-ci ».
Le Conseil constitutionnel admet donc l'enseignement du corse - nous sommes dans le cadre du statut de 1991 - mais il émet deux réserves : son caractère facultatif, et le fait que cet enseignement ne crée pas une inégalité par rapport aux autres élèves de métropole.
A cet égard, le texte de l'article 7 me paraît inquiétant, surtout après les déclarations qu'a faites M. le ministre de l'éducation nationale devant la commission spéciale.
Ainsi, on nous dit que cet enseignement sera dispensé dans le cadre normal des horaires. Dans ces conditions, quelle place sera laissée à la langue corse par rapport aux autres matières enseignées, dans la mesure où les horaires, dans le primaire et à l'école maternelle, sont les mêmes pour tous ? Si l'on prévoit une heure et demie ou deux heures, ce sera au détriment d'autres matières, ce qui porte atteinte au principe d'égalité dont je parlais tout à l'heure. Si l'on ajoute ces horaires à ceux des autres matières, cela portera également atteinte au principe d'égalité. Il y a là une première interrogation à laquelle M. le ministre de l'éducation nationale n'a pas apporté de réponse.
Ma seconde inquiétude est la suivante : il ne faudrait pas que l'enseignement de la langue corse aboutisse à une discrimination entre les élèves qui souhaiteraient accéder ultérieurement à la fonction publique. En effet, le grand absent, dans ce projet de loi issu des accords de Matignon, c'est le statut des fonctionnaires exerçant en Corse. Ainsi, ces derniers craignent que la corsification des emplois souhaitée par certains n'aboutisse à réserver les emplois publics à ceux qui manieront et le français et le corse. Là encore, monsieur le ministre, je n'ai pas obtenu de réponse sur cette question.
Par ailleurs, je partage totalement l'inquiétude de M. le rapporteur lorsque j'entends certains des propos de M. le ministre de l'éducation nationale : ce dernier ne nous a-t-il pas annoncé qu'il envisageait de mettre en place de véritables structures d'immersion dans la langue corse ? Y aura-t-il, dans ces conditions, des écoles où toutes les matières seront enseignées dans la langue corse au détriment de la langue française ? A cet égard, la récente décision du Conseil d'Etat me paraît extrêmement importante et il convient de mettre le holà à de telles pratiques.
Quant au statut actuel du CAPES de langue corse, il est totalement dérogatoire à celui des autres CAPES : il suffit en effet de passer des épreuves exclusivement en langue corse, la langue française n'intervient pas, comme c'est le cas pour les autres langues régionales, pour le breton par exemple. Il y a là une anomalie qu'il convient de réparer très rapidement. Il ne faut pas que le CAPES de langue corse soit différent des autres, que les enseignants concernés soient recrutés sans véritables critères objectifs d'évaluation.
Un autre de mes motifs d'inquiétude réside dans le mode actuel de recrutement de ceux qui seront chargés d'enseigner la langue corse. Ainsi, les instituts universitaires de formation des maîtres, les IUFM, pourront recevoir un certain nombre d'enseignants qui n'ont pas d'aptitudes particulières pour enseigner, qui ne sont pas particulièrement doués ni en français ni en mathématiques, mais qui, connaissant la langue corse, seront reçus et deviendront professeurs des écoles alors qu'ils ne rempliraient pas les conditions requises pour les autres disciplines.
Voilà un certain nombre d'interrogations graves, monsieur le ministre, et, comme je n'ai pas obtenu de réponses de la part de M. le ministre de l'éducation nationale, j'aimerais que vous puissiez nous apporter un certain nombre d'apaisements.
M. le président. La parole est à M. Bel.
M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on a beaucoup glosé sur cette question de l'enseignement de la langue corse et, lorsqu'ils se sont rendus sur l'île, tous les membres de la délégation, sans exception, ont cherché avec sincérité à bien comprendre les données du problème avant de se forger une opinion définitive.
Si je peux comprendre les inquiétudes qui viennent d'être exprimées, je suis tout de même étonné par les interrogations qui reviennent sans cesse sur le sens et la portée du texte adopté par l'Assemblée nationale à propos de l'enseignement de la langue corse.
En effet, cet article reprend la rédaction retenue pour les langues polynésiennes, laquelle a été validée par le Conseil constitutionnel, qui en a, à cette occasion, très clairement précisée la portée.
La généralisation de cet enseignement s'effectuera pour l'enseignement du corse comme pour le polynésien, compte tenu des réserves constitutionnelles, c'est-à-dire à condition qu'il ne revête pas de caractère obligatoire pour les élèves et qu'il ne soustraie pas ces derniers aux droits et obligations applicables à l'ensemble des établissements qui assurent le service public de l'enseignement ou sont associés à celui-ci. Ces éléments devraient vous rassurer !
L'amendement de la commission n'apporte rien par rapport à la rédaction que nous a transmise l'Assemblée nationale. Alors, pourquoi ne pas s'en tenir à cette rédaction, puisque, validée par le Conseil constitutionnel, elle est, si je puis dire, parfaitement sécurisée juridiquement ?
Permettez-moi enfin de vous dire, mes chers collègues, tout l'intérêt que représente la maîtrise précoce d'une langue régionale pour nos enfants.
M. Jean-Pierre Schosteck. Et l'anglais, non ?
M. Jean-Pierre Bel. Toutes les études qui ont été menées sur les difficultés rencontrées pour la maîtrise des langues étrangères montrent que celles-ci proviennent du caractère tardif de cet enseignement au cours de la scolarité et de l'aspect trop théorique et pas suffisamment fonctionnel de cet apprentissage dans la vie courante.
L'exercice qui consiste à parler une langue régionale peut développer chez l'enfant des compétences linguistiques et des fonctions intellectuelles qui « irriguent » l'ensemble des disciplines enseignées à l'école.
Savez-vous que la meilleure façon de faire comprendre aux enfants la règle des accords de participe passé, c'est-à-dire de leur apprendre à bien parler et écrire français, c'est, dans ma région de langue d'oc, de les faire parler...
M. Jean-Pierre Schosteck. En latin !
M. Jean-Pierre Bel. ... en occitan, où les accords apparaissent très visiblement ?
Les compétences ainsi développées dans les domaines de la phonologie, de la syntaxe et de la sémantique constitueront autant de ponts favorisant l'apprentissage d'une langue étrangère.
Pourquoi vouloir substituer le mot : « proposée » au mot : « enseignée », alors que cela reviendrait à nier la conception française de l'école publique qui veut que le maître, par sa polyvalence, est garant de la cohérence des savoirs ?
J'attire votre attention sur le fait que l'enseignement optionnel ne prend effet que dans l'enseignement secondaire ! Cela imposera aux maîtres d'école primaire, bien sûr - et nous en sommes conscients - une recomposition des champs disciplinaires pour donner du sens aux apprentissages historique, géographique, technologique et civique qui font partie des programmes de l'école publique.
Dès lors, il nous paraît normal que, si l'on considère l'enseignement de la langue et de la culture corses comme utile et profitable aux élèves, tous puissent en bénéficier.
Pour ce qui nous concerne, nous souhaitons donc qu'il soit enseigné à l'école publique. (Applaudissements sur les travées socalistes.)
M. Jean-Pierre Schosteck. Et obligatoire !
M. le président. La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai eu l'occasion, au cours de la discussion générale, de rappeler l'attachement de notre groupe au développement des langues régionales. C'est particulièrement vrai en ce qui concerne le corse !
Il me paraît légitime qu'une langue régionale soit considérée comme l'un des éléments d'expression de l'identité et du caractère d'une région, et je comprends l'attachement de nos compatriotes corses au maintien de la langue corse.
Je suis persuadé que l'apprentissage d'une langue régionale, que ce soit le corse ou une autre langue, ne porte en rien atteinte à l'unité de la République : la République peut à la fois être unie et s'exprimer dans sa diversité, y compris culturelle.
M. Jean-Pierre Bel. Bien sûr !
M. Daniel Hoeffel. Je suis également persuadé qu'un bilinguisme ou un plurilinguisme, quel qu'il soit, n'est pas un handicap pour l'apprentissage de la langue française. Au contraire, tous les pédagogues savent et nous expliquent que l'apprentissage précoce d'une autre langue, en l'occurrence dès l'école maternelle et élémentaire, ne représente en rien un handicap, ne porte en rien atteinte à un bon enseignement et à un bon apprentissage de la langue française.
L'apprentissage de la langue corse doit cependant être considéré comme une option, et en aucun cas devenir une obligation pour ceux qui ne voudraient pas ou qui ne pourraient pas apprendre le corse. C'est, je crois, un élément de bon sens, un élément de réalisme.
Comme je le disais hier soir, les premières personnes chargées de transmettre et d'apprendre une langue - et c'est particulièrement vrai pour les langues régionales - sont les membres de la famille. Si la famille n'opère pas cette transmission, on ne peut pas demander à l'école ou à l'éducation nationale de se substituer à elle et de jouer un rôle qui devrait être celui des parents !
Voilà pourquoi la solution qui nous est proposée par M. le rapporteur et par la commission spéciale me paraît à la fois prendre en considération l'attachement des Corses à la langue corse et préserver le libre choix des parents et des élèves, l'un et l'autre me semblant parfaitement compatibles. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Peyrat.
Un sénateur socialiste. Le Niçois !
M. Jacques Peyrat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, oui, comme je viens de l'entendre dire, je suis « le Niçois », et je me situe géographiquement à l'opposé de M. Hoeffel sur le territoire. Au demeurant, la ville que je représente est probablement la troisième ville corse sur le continent. En effet, la diaspora corse est importante à Marseille, à Toulon mais aussi à Nice. Je comprends donc très bien la crainte des Corses - elle est légitime - qui redoutent que leur langue ne devienne une langue morte, à l'instar du breton, du basque, du provençal de Mistral, du nissard ou de l'alsacien.
Pourtant, je partage totalement l'avis de notre rapporteur, M. Paul Girod. En effet, la langue française a mis du temps à s'implanter dans la République. Mon père - comme le vôtre, monsieur Gélard - me racontait que, lors de la guerre de 14, les officiers avaient parfois des difficultés à se faire comprendre car leurs soldats ne parlaient pas le français, mais chacun leur dialecte particulier. Si les cinq années de guerre ont amené des destructions, des morts et des injustices, elles ont donc aussi permis un progrès : les soldats ont désormais parlé le français.
Il est vrai que la conquête du français sur les langues régionales s'est faite au détriment de ces dernières. Alors, que l'on s'y intéresse à nouveau, oui, bien sûr, c'est une bonne chose, mais n'érigeons pas la faculté en obligation, au risque de créer des germes d'inégalité. Au demeurant, si nous cédions sur ce point, d'autres régions françaises - dont la mienne, parce que le nissard est une langue qui vaut à tous égards la langue corse ou toute autre langue - s'engouffreraient dans la brèche ainsi ouverte. Nous avons ainsi prévu un enseignement facultatif de notre langue dans les écoles maternelles et dans les écoles élémentaires, un enseignement dispensé par des professeurs et complété par des cassettes. Si des Corses ont envie de le faire, ce que je comprends parfaitement, qu'ils fassent comme nous !
Ensuite, il serait regrettable que la Haute Assemblée tombe dans le piège. Ce sont les indépendantistes qui demandent l'enseignement obligatoire du corse.
Il ne faut donc pas prêter la main, d'une manière ou d'une autre, à ce qui contrevient à la Constitution.
Même s'il faut favoriser et défendre les langues régionales, pensons, surtout et avant tout, à défendre la langue officielle de la République ! (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Je voudrais d'abord rappeler les propos que j'ai tenus lors de ma première intervention dans la discussion générale de ce projet de loi.
L'article 7 pose le principe d'une offre généralisée de l'enseignement de la langue corse et non d'un apprentissage obligatoire pour chacun des élèves. J'ai déjà souligné son caractère indispensable moins au regard de sa portée normative qu'en considération d'une reconnaissance ainsi solenellement affirmée d'une composante essentielle de l'identité de la Corse.
Je veux insister tout particulièrement sur la portée de cet engagement de la part de l'Etat. Qui ne se féliciterait pas d'une prise en charge de cet enseignement par l'école de la République, garante des principes de laïcité auxquels je suis tout particulièrement attaché.
Qui plus est, c'est un thème consensuel chez tous les élus de la Corse, qu'ils soutiennent ou ne soutiennent pas le projet de loi qui vous est soumis. Un certain nombre d'entre eux sont d'ailleurs ici présents aujourd'hui, et je les salue.
Il n'y a aucune ambiguïté sur le fond, y compris pour les mouvements qui, en Corse, militent pour un apprentissage obligatoire du Corse. Ils ont bien compris que tel n'était pas le choix du Gouvernement.
Aussi la rédaction de l'article 7, telle qu'elle vous est proposée, participe d'un consensus difficilement obtenu, je le répète, avec l'ensemble des élus de l'Assemblée de Corse autour de cette question dont l'importance est majeure. La mettre à mal aurait des conséquences lourdes, dont je souhaite que nous fassions l'économie, puisque nous apportons toutes garanties sur le fond.
J'ai déjà entendu, lors de nos débats au cours de la discussion générale ou à l'occasion de la motion d'irrecevabilité, un certain nombre d'affirmations et de questions auxquelles je souhaiterais répondre.
Les cours de langue corse ne concurrencent aucun des apprentissages fondamentaux qui sont, dans le premier degré, la lecture, l'écriture et le calcul. Ils ne se substituent pas non plus à l'apprentissage d'une langue étrangère. Ce n'est donc pas le corse ou l'anglais. Je veux, apporter à M. Gélard toutes assurances sur ce sujet, au nom du Gouvernement.
Je vous demande de vous référer au texte, à tout le texte rien qu'au texte. Ce qui se pratique pour le corse ne se distingue en rien de ce qui se fait pour les autres langues régionales. L'enseignement du corse dans l'horaire scolaire, mis en place en Corse dès le début des années quatre-vingt-dix, a été, depuis, appliqué conformément à la circulaire ministérielle n° 95-86 du 7 avril 1995 relative à l'enseignement des langues et cultures régionales et qui indiquait que l'enseignement s'intégrait dans les programmes et dans les horaires nationaux selon les aménagements acceptés par l'inspecteur d'académie dans le cadre des projets d'école.
A ceux qui s'inquiéteraient aussi d'un éventuel dysfonctionnement, je rappelle que les parents pourraient immédiatement et naturellement en saisir l'inspecteur de l'éducation nationale de la circonscription concernée ou l'inspecteur d'académie.
Tels sont le cadre et les garanties qu'offre le service public de l'éducation nationale.
D'autres aussi s'inquiètent d'un effet négatif de l'apprentissage d'une langue régionale sur le niveau de culture générale et, plus particulièrement, la maîtrise de la langue française qui est et reste bien évidemment la langue de la République. M. Hoeffel s'est exprimé avec beaucoup de pertinence sur ce sujet.
Je l'ai dit : l'initiation à la langue corse est mise en oeuvre depuis le début des années quatre vingt-dix et son apprentissage est déjà très présent dans le second degré.
J'ai d'ailleurs le plaisir à vous apprendre qu'en Corse le taux de réussite au baccalauréat général, section littéraire, a été de 83,36 % en 2000, quand la moyenne nationale a été de 80,40 %. En 2001, ces résultats ont été confirmés avec un taux de réussite de 84,79 % en Corse, quand la moyenne nationale a été de 82,3 %.
M. Jean-Pierre Raffarin. Nous n'avons jamais douté de leurs capacités !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Enfin, je conclurai en évoquant de nouveau le précédent de la langue tahitienne.
Je rappellerai, d'abord, la validation par le Conseil constitutionnel d'une disposition du même type que celle que nous vous proposons - et même élargie aux établissements du second degré - sans que le Conseil constitutionnel fasse du statut de l'outre-mer un élément discriminant qui nous interdirait de nous prévaloir de sa jurisprudence.
Les débats au Parlement de 1996 peuvent aussi éclairer notre réflexion.
Le ministre chargé de l'outre-mer alors en fonction rappelait tout d'abord, en défendant ce projet de loi, que « l'enseignement des langues de la Polynésie dans le système scolaire devait être favorisé pour permettre, au-delà de l'usage qui en est fait dans la vie courante, de conforter leur statut de langue de culture ».
Il poursuivait en faisant référence à la jurisprudence constitutionnelle de 1991 relative à la langue corse - l'histoire se répète parfois en boucle - pour conclure enfin que « préciser que la langue tahitienne est une matière enseignée dans le cadre de l'horaire normal signifiait qu'à la différence des matières à option dont l'enseignement est relégué en fin d'après-midi ou à l'heure du déjeuner, les horaires des cours de tahitien sont fixés comme ceux de n'importe quelle autre discipline. Cela veut dire aussi et surtout que le tahitien est normalement proposé à tous les élèves sans pour autant que cette discipline ait un caractère obligatoire ». Tels étaient les propos du ministre de l'outre-mer, en 1996.
Le Gouvernement avait, en conséquence, accepté l'amendement dont nous reprenons aujourd'hui les termes en pleine sécurité juridique et constitutionnelle.
Voilà pourquoi, afin de satisfaire la demande de l'ensemble des élus de la Corse et pour rester fidèles au relevé de conclusions dont je vous ai toujours dit qu'il était un élément important de ce projet de loi - ce projet de loi étant un tout - et ce, en toute sécurité juridique par rapport à la Constitution, je vous demande d'en rester au texte de l'Assemblée nationale.
Tels sont les éléments que je voulais porter à votre connaissance, mesdames, messieurs les sénateurs. Ils me permettent d'indiquer dès maintenant que je serai défavorable aux amendements qui portent sur l'article 7, mais j'aurai l'occasion d'y revenir brièvement. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. Je suis saisi de trois amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 21, présenté par M. Paul Girod, au nom de la commission spéciale, est ainsi libellé :
« Rédiger ainsi le texte proposé par le I de l'article 7 pour l'article L. 312-11-1 du code de l'éducation :
« Art. L. 312-11-1 . - La langue corse est une matière dont l'enseignement est proposé dans le cadre de l'horaire normal des écoles de Corse. »
L'amendement n° 247, présenté par M. Bret, Mmes Luc, Beaudeau, Beaufils, Bidard-Reydet et Borvo, M. Coquelle, Mmes David, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud et Le Cam, Mme Mathon, MM. Muzeau, Ralite et Renar et Mme Terrade, est ainsi libellé :
« Rédiger comme suit le texte proposé par le I de l'article 7 pour l'article L. 312-11-1 à insérer dans le code de l'éducation :
« Art. L. 312-11-1. - La langue corse est enseignée dans le cadre de l'horaire normal des élèves de maternelles et élémentaires à tous les élèves dont les parents ou le représentant légal en ont préalablement manfiesté la volonté ».
L'amendement n° 221, présenté par M. Vallet, est ainsi libellé :
« Après les mots : "est une matière", rédiger comme suit la fin du texte proposé par le I de l'article 7 pour l'article L. 312-11-1 du code de l'éducation : "dont l'enseignement est proposé à côté de l'horaire normal consacré au programme officiel tel que défini par le ministère de l'éducation nationale". »
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 21.
M. Paul Girod, rapporteur. Mes chers collègues, dans le rapport écrit, vous trouverez toute une série de références, de la loi Deixonne à la circulaire de 1995, qui vous démontreront qu'à la limite il n'est point besoin de légiférer en la matière et que le Gouvernement pourrait probablement régler le problème sans avoir à passer devant le Parlement. Pourtant, comme le débat est entré sur la scène publique par une mauvaise porte, peut-être le Gouvernement a-t-il raison de préférer légiférer en la matière.
Si je parle de « mauvaise porte », c'est parce que, comme mon collègue M. Peyrat l'a rappelé, la revendication la plus forte émane de milieux dont nous ne partageons en aucune façon ni les objectifs ni les conceptions. Et certains d'entre nous ont pu se poser la question de savoir s'il était opportun de retenir cette suggestion.
J'ai expliqué dans la discussion générale que, si l'enseignement de la langue corse comportait peut-être une dimension identitaire, il constituait, plus probablement encore, un élément d'ouverture sur l'extérieur.
L'apprentissage du corse par les jeunes enfants peut leur permettre d'être réellement bilingues. Le corse est une langue restée vivante, très proche des langues romanes, de l'italien et de l'espagnol, son étude peut leur permettre de trouver en eux-mêmes les moyens d'échapper à certaines contraintes de l'insularité.
Cette possibilité est une chance à saisir, et peut-être est-ce là l'une des raisons de faire figurer cet enseignement dans la loi.
Nous nous sommes rendus en Corse, sous la conduite du président Jacques Larché. Nous avons visité un établissement scolaire dans lequel le corse est enseigné et un autre où il ne l'était pas. Ce n'est pas une affaire d'Etat ; cela ne déclenche pas une guerre de religion. Là où il est enseigné, 1 % des parents souhaitent qu'il ne soit pas enseigné à leurs enfants. En revanche, là où il n'est pas enseigné, 0,82 % demandent qu'il le soit. Ce n'est franchement pas un sujet majeur de discorde.
Nous avons constaté que les plus demandeurs étaient les immigrés qui voyaient là pour leurs enfants un moyen d'intégration dans la société locale. On peut en déduire que certaines des thèses sur la « corsisation » se sont en la matière quelque peu relativisées.
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission spéciale s'est ralliée à l'idée de l'inscription dans la loi de cet enseignement.
Dès lors, restaient à en définir les termes. Monsieur le ministre, vous nous expliquez qu'il va sans dire que l'enseignement du corse est facultatif. Si cela va sans dire, quel obstacle y a-t-il à le dire ?
Mes chers collègues, j'attire votre attention sur un point : nous écrivons non pas que l'enseignement du corse est proposé mais que la langue corse est une matière dont l'enseignement est proposé, ce qui n'a pas la même signification au regard du code de l'éducation. Nous tenons à considérer que l'enseignement de la langue corse est une matière, mais nous tenons aussi à rappeler que son enseignement est proposé, pour bien rappeler que la liberté des parents reste entière.
Le texte initial du Gouvernement était, permettez-moi de vous le dire, monsieur le ministre, d'une maladresse insigne et il était anticonstitutionnel. Certes, son objet était identique, mais il aboutissait à l'exercice d'une liberté par une voie négative, celle de la volonté contraire des parents, ce qui est parfaitement contraire à la Constitution et à nos traditions républicaines. Une liberté, elle s'exerce, elle ne se revendique pas.
Dans ces conditions, l'Assemblée nationale a certainement eu raison d'écarter votre texte. Elle s'est alors inspirée du texte relatif à l'enseignement de la langue tahitienne, considérant que, comme le Conseil constitutionnel l'a assorti de réserves interprétatives, cela permettrait d'avoir un texte qui instituerait un enseignement facultatif sans qu'il soit besoin de le dire, et que le Conseil constitutionnel, saisi à nouveau - hypothèse au demeurant plus que probable -, ne manquera pas de réitérer les mêmes réserves pour rappeler le caractère facultatif de cet enseignement.
Nous pensons qu'il est préférable d'indiquer clairement dans le dispositif son caractère facultatif. Le plus simple, c'est donc d'écrire que la langue corse « est une matière dont l'enseignement est proposé ». C'est clair, net et précis.
Les parents doivent faire un geste positif pour l'accepter. Je serai d'ailleurs probablement amené à développer cette idée dans quelques instants, au moment où nos collègues du groupe communiste nous présenteront leur amendement. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président. La parole est à Mme Luc, pour présenter l'amendement n° 247.
Mme Hélène Luc. Je ne reviendrai pas sur l'ensemble de notre argumentation, je souhaite simplement préciser que l'amendement n° 247, contrairement à celui qui est proposé par la commission spéciale, exige une manifestation de la volonté des parents ou du représentant légal pour permettre à leur enfant de bénéficier de l'enseignement de la langue corse.
La commission spéciale ne fait pas référence à l'intervention des parents, puisqu'elle indique que « l'enseignement est proposé ».
Le texte de loi doit faire état de l'intervention des parents, qui est importante, car elle permet justement l'implication de tous dans la réussite de cet enseignement, qui a lieu dans l'horaire normal des cours, mais qui commence tout naturellement au sein de la famille puisqu'il trouve ses racines avec les grands-parents.
Il existe des mots spécifiques à la langue corse qui ne peuvent pas être prononcés dans une autre langue et qui n'ont de signification que dans cette langue. Cette spécificité est vraie aussi pour la cuisine, pour les produits régionaux, pour certaines expressions. Elle doit trouver son prolongement à l'école, en tout cas pour tous ceux qui le veulent. Personne ne doit s'y sentir obligé.
Tel est le sens de notre amendement. M. le recteur Jacques Pantaloni souligne d'ailleurs que l'enseignement du corse, parce que cette langue est proche de l'italien et de l'espagnol, peut être un facteur d'ouverture, et sa remarque me semble tout à fait fondée.
Monsieur le ministre, j'en appelle à vous, car, après que le ministre de l'éducation nationale eut visité plusieurs écoles, il ressort que l'enseignement du corse ne peut, faute de moyens, être dispensé dans deux cent quarante classes. Il est indispensable que des moyens soient accordés pour que cet enseignement soit dispensé partout où les enfants le souhaitent. M. Jack Lang en a pris l'engagement et je ne doute pas qu'il le fera, car il y tient et il a expliqué ses raisons, que je ne vais pas reprendre ici.
Monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur, vous nous avez dit que nous aviez de la sympathie pour notre amendement. Alors j'espère que le Sénat vous suivra en le votant, car je crois sincèrement qu'il est le meilleur ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Vallet, pour défendre l'amendement n° 221.
M. André Vallet. J'ai eu l'occasion de le dire hier, la préservation et la défense des langues régionales est un objectif qui est important, mais qui, de mon point de vue, ne peut pas être intégré au programme officiel, tel que le définit le ministère de l'éducation nationale.
L'apprentissage du corse, comme celui d'une autre langue régionale, a toute sa place dans l'enseignement dispensé en Corse, dès lors qu'il n'est que proposé et qu'il n'a lieu qu'en dehors des horaires officiels.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 247 et 221 ?
M. Paul Girod, rapporteur. Mme Luc, dont on connaît l'habileté, a bien compris l'ouverture que j'avais faite en exposant l'amendement de la commission !
Pour être tout à fait franc, si l'amendement de la commission était repoussé, je me rallierais au sien, car il est vrai que l'amendement de la commission, quoique plus concis, revient à peu près au même. En effet, à partir du moment où une possibilité est offerte, cela suppose nécessairement une réponse ! Etant donné que ce ne sont pas les enfants des classes maternelles ou élémentaires qui répondront, ce sera forcément les parents ou les ayants droit, sauf à se heurter à des problèmes de contentieux qui seraient rapidement délicats ! Par conséquent, votre amendement, madame Luc, est satisfait par celui de la commission, même si celle-ci se rallierait au vôtre dans le cas d'un rejet de l'amendement n° 21.
En revanche, je dois dire à notre collègue André Vallet que la commission ne l'a pas suivi pour plusieurs raisons.
D'abord, la commission a accepté que l'enseignement de la langue corse ait lieu pendant l'horaire normal. Ensuite, vous ne précisez pas, dans votre amendement, le cycle dans lequel serait proposé cet enseignement. On pourrait penser qu'il le sera pendant toute la scolarité ! Enfin, vous ne fixez pas de limite géographique, ce qui signifierait que cette disposition concerne tout le territoire.
La commission comprend les scrupules qui sont les vôtres, monsieur Vallet, mais elle ne peut donc vous suivre, essentiellement pour la question des horaires. A cette occasion, nous souhaitons d'ailleurs attirer l'attention du ministre. En effet, il ne suffit pas de dire que l'enseignement du corse ne nuira en rien à l'apprentissage des autres matières. Pour l'inscrire dans l'horaire normal, qui n'est pas extensible à l'infini, il faudra bien le faire au détriment d'une autre manière. Ou alors il faut savoir de quoi sera exactement composé le programme des écoles en Corse.
Monsieur le ministre, je vous sais suffisamment habile pour nous répondre sans vous engager à la place de votre collègue, qui a été évasif sur ce point devant notre commission.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. J'ai le sentiment que ces amendements n'ont d'autre objet que de faire un texte différent de celui que l'Assemblée nationale, dans sa très grande majorité, a voté car, sur le fond, en fait, nous sommes tous d'accord sur la nécessité d'intégrer l'enseignement du corse dans les horaires normaux, avec toutes les garanties nécessaires. Or c'est précisément ce à quoi tend l'article 7, que nous vous demandons de voter. En outre, il s'agit d'une demande de l'ensemble des élus locaux, quel que soit leur positionnement politique, y compris par rapport au processus, que la référence juridique et constitutionnelle permet de sécuriser !
Par conséquent, tout ce qui apparaîtrait comme une régression est de nature à ne pas entrer dans la logique du processus. Je comprends que ce soit, pour certains élus, le moyen de prendre de la distance par rapport au processus et au projet. Mais on est alors loin de l'intérêt général, que les uns et les autres évoquaient ici !
Madame Luc, à la rentrée des vacances de la Toussaint, comme le ministre de l'éducation s'y était engagé, toutes les écoles ont pu offrir l'enseignement du corse aux enfants.
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Cela prouve bien que l'Etat s'était lui-même fixé l'obligation de proposer et de généraliser l'enseignement du corse à l'ensemble des enfants ! Adopter une autre logique équivaudrait à une régression qui, je le dis très clairement, serait mal perçue par celles et ceux à qui l'on veut précisément s'adresser. Il faut donc que nous fassions preuve de bonne volonté.
Je ne reviendrai pas sur ce que j'ai dit tout à l'heure par rapport à 1996. Monsieur le rapporteur, si c'est à cette période que vous faisiez référence en parlant de « porte d'entrée », je n'y peux rien. Toujours est-il que ce texte a été validé. Vous savez dans quelle condition la discussion a eu lieu et le texte a été voté à l'Assemblée nationale. Je ne peux qu'être défavorable à ces trois amendements visant à modifier le texte et qui s'écartent d'une écriture à laquelle le Gouvernement est attaché, comme l'Assemblée nationale.
Voilà très clairement ce que je voulais vous dire, sans aucun esprit polémique. Je vous demande de tenir compte de la volonté des Corses et des élus corses, dans leur diversité, d'en rester à l'écriture telle qu'elle a été proposée et votée par l'Assemblée nationale.
M. Paul Girod, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod, rapporteur. Monsieur le ministre, j'avoue que je ne vous comprends pas, car en quoi le fait de rendre explicite ce qui est implicite est une régression dans un processus ? Vous inscrivez la logique dans une progression dont je ne vois franchement pas l'aboutissement.
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Qu'est-ce que la logique ?
M. Paul Girod, rapporteur. La logique est une science philosophique !
M. Jean Chérioux. Il y a des arrière-pensées !
M. Adrien Gouteyron. Mais oui !
M. Paul Girod, rapporteur. Ou alors, effectivement, il y a des arrière-pensées. Si tel est le cas, nous sommes d'autant plus tentés d'affirmer la nécessité d'inscrire dans la loi que l'enseignement du corse est « proposé ».
Plusieurs sénateurs du RPR. Bien sûr !
M. Paul Girod, rapporteur. Honnêtement, il n'y a aucune espèce de raison logique de ne pas utiliser le mot « proposé », qui ne figure pas dans le texte, c'est vrai, mais qui revient à dire la même chose ! Vous l'avez d'ailleurs utilisé vous-même tout à l'heure en répondant à Mme Luc que l'enseignement du corse était proposé dans toutes les écoles de Corse depuis la rentrée...
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. J'ai surtout dit qu'il y avait là une obligation pour l'Etat !
M. Paul Girod, rapporteur. Ce n'est pas moi qui ai employé ce terme !
Je ne vois pas du tout en quoi il introduirait une régression, et c'est la raison pour laquelle, cette fois-ci, je demande vraiment au Sénat d'adopter l'amendement n° 21 de la commission. Les débats ultérieurs sur ce terme, s'il y en a, lèveront peut-être certaines ambiguïtés que, pour ma part, je ne peux pas voir et que je ne veux pas concevoir !
M. Jacques Larché, président de la commission spéciale. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission spéciale.
M. Jacques Larché, président de la commission spéciale sur la Corse. Il s'agit, nous le savons bien, d'un débat important, que nous abordons avec un esprit très ouvert, compte tenu de ce que nous avons constaté sur place.
Dans les faits, cette mesure est appliquée avec une très grande souplesse. En effet, dans des écoles situées à cinq cents mètres de distance, on trouve, d'un côté, 0,82 % de parents qui demandent que la langue corse soit enseignée et, de l'autre, 1 % qui souhaitent qu'elle ne le soit pas !
Si nous avions un autre ministre de l'éducation nationale, je vous poserais une question à laquelle vous pourriez peut-être répondre. Mais nous avons été extrêmement inquiets de son comportement au cours de l'audition à laquelle il a bien voulu se prêter. Etait-ce de la légèreté ? Peut-être ! Etait-ce de l'ignorance du dossier ? Je n'en suis pas sûr ! En tout cas, il nous a tenu des propos inacceptables.
Il nous a affirmé qu'il y aurait un enseignement bilingue. Vous savez ce qu'est le bilinguisme. Lorsque je lui ai demandé ce qu'il entendait par enseignement bilingue, il nous a répondu que serait fait en Corse ce qui se fait actuellement dans ce qu'on appelle les « classes européennes », c'est-à-dire que l'on y enseignera certaines matières, comme l'histoire, en corse, et d'autres, les mathématiques, par exemple, en français ! (M. le ministre esquisse une moue dubitative.) Monsieur le ministre, tous les membres de la commission l'ont entendu !
M. Adrien Gouteyron. Absolument !
M. Jacques Larché, président de la commission spéciale. Monsieur le ministre, je vais vous interroger par anticipation - M. le rapporteur voudra bien me pardonner - avant que le vote ne s'engage, et je laisserai ensuite au rapporteur, avec toute la compétence qui est la sienne, le soin de développer le caractère véritablement extraordinaire du texte sur le CAPES corse !
M. Jacques Peyrat. Oh oui !
M. Jacques Larché, président de la commission spéciale. Il est précisé que, pour obtenir ce titre, la seule exigence sera de connaître le corse. Les CAPES qui existent pour d'autres langues régionales, le breton par exemple, sont accordés après des épreuves qui laissent penser, malgré tout, que celui qui sait parler le breton connaît aussi le français ! Monsieur le ministre, prêtez attention à ce que cela signifie !
Que fera-t-on de ces jeunes titulaires d'un CAPES qui auront en tout et pour tout pour seule compétence la capacité d'enseigner le corse ? Vers quoi se dirige-t-on ? Vous savez très bien qu'il y a là une revendication.
Etes-vous prêt à nous dire qu'au nom du Gouvernement une directive de l'éducation nationale rappellera au recteur de l'île que le texte auquel vous tenez ne s'appliquera que compte tenu de l'interprétation qui en a déjà été donnée dans une décision du Conseil constitutionnel ?
Etes-vous prêt à nous dire que le CAPES corse, dans sa formulation actuelle, est nul et non avenu ?
Si vous prenez ces deux engagements, monsieur le ministre, et si, dans le processus de discussion qui se continuera peut-être, vous nous apportez la preuve que le Gouvernement a donné de telles instructions à son ministre de l'éducation nationale - je passe sur l'impression quelque peu fâcheuse qu'il nous a donnée en commission - peut-être serons-nous amenés à revoir la position à laquelle nous allons nous tenir maintenant et dont j'atteste l'importance.
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Il est important que les choses soient extrêmement claires entre nous et que l'on ne s'engage pas dans une querelle de mots prononcés à un moment ou à un autre.
Vous avez bien compris que le terme « proposé » signifie, en réalité, que l'on considère le corse comme une matière venue d'ailleurs, comme une matière à option, ce qui n'est pas l'esprit du texte qui vous est proposé. C'est une matière enseignée, c'est-à-dire un enseignement naturel qui fait partie de l'identité de la Corse et qui est perçu comme tel par l'ensemble des Corses. Il ne faut donc pas méconnaître cette aspiration des Corses et chacun doit prendre, à cet égard, ses responsabilités.
J'ai bien entendu la question posée par le président Jacques Larché. A l'évidence, je n'étais pas présent lorsque la commission spéciale a auditionné le ministre de l'éducation nationale puisque j'ai été reçu juste après lui par la commission. Je souhaite que le processus se poursuive en deuxième lecture à l'Assemblée nationale, après l'adoption, je l'espère, du texte par le Sénat, même s'il ne sera sans doute pas voté dans les termes souhaités par le Gouvernement, mais c'est le principe même des navettes...
M. Paul Girod, rapporteur. Ne préjugez pas la commission mixte paritaire !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Je ne préjuge pas la commission mixte paritaire ! Simplement, au vu du sort qui a été réservé, par exemple, à l'article 1er, permettez-moi, monsieur le rapporteur, de souhaiter vivement que l'on puisse se rapprocher du texte que j'ai présenté hier. Je m'entretiendrai avec mon collègue de l'éducation nationale pour que toute ambiguïté soit levée. J'ai bien dit tout à l'heure, en réponse à M. Gélard, qu'il s'agissait du texte, rien que du texte, qui est de ce point de vue d'une grande clarté. Je pense que l'on sera en état de vous rassurer de manière que, dans le cadre du processus parlementaire, qu'il s'agisse de la commission mixte paritaire ou de la navette parlementaire, toute équivoque soit levée : le texte devrait permettre de répondre à l'aspiration générale de l'ensemble des élus corses et, plus généralement, des Corses eux-mêmes. Encore une fois, madame Luc, la matière est enseignée. De ce point de vue, le Gouvernement a tenu les engagements qu'il avait pris.
C'est là l'essentiel ! Je le répète, chacun doit prendre ses responsabiltés, bien sûr, mais il serait tout à fait dommageable qu'il y ait comme une forme de régression, en tout cas qui serait perçue comme telle, au regard de l'attente forte qui est celle de l'ensemble des élus de la Corse.
Mme Hélène Luc. Notre amendement est plus précis que celui de la commission !
M. Paul Girod, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod, rapporteur. Monsieur le ministre, vous ne pouvez tout de même pas nous dire que nos concitoyens de Corse sont preneurs d'obligations anticonstitutionnelles ! Selon vous, nos concitoyens attendent qu'on leur dise que le corse est une matière enseignée. Je dis que c'est une matière dont l'enseignement est proposé. Donc, elle est enseignée ! Si l'on ne propose pas l'enseignement d'une matière, on ne l'enseigne pas. Mais si l'on en propose l'enseignement, on l'enseigne. Où est la contradiction ?
J'ai l'impression de ne plus rien comprendre ni à la logique ni à la sémantique et je commence, en cet instant, à être un peu angoissé.
Plusieurs sénateurs du RPR et des Républicains et Indépendants. Mais non !
M. Paul Girod, rapporteur. Pour être tout à fait franc, je me demande si, après tout, l'enseignement que j'ai reçu de la logique et du français quand j'étais jeune était un enseignement optionnel ou non.
Monsieur le ministre, vous n'allez tout de même pas nous dire que si la langue corse est proposée, cela implique que c'est une matière venue d'ailleurs. Honnêtement non !
Il est un vieux principe de logique et de prudence paysanne : « Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras. » Nous verrons quelle sera la suite du processus. En attendant, je souhaite que le Sénat vote l'amendement n° 21 de la commission spéciale. (M. Nogrix applaudit.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 21.
M. Patrice Gélard. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Monsieur le ministre, vous nous aviez dit que vous étiez attaché au texte qui nous a été transmis par l'Assemblée nationale. Vous avez tout de même accepté de changer le vôtre et, en fin de compte, c'est votre texte qui a été, au départ, l'objet des négociations ; il n'y a pas eu de négociations à l'Assemblée nationale.
Je vais vous dire ce que je pense du débat qui vient d'avoir lieu. En réalité, que va-t-il se passer ? Le recteur ou l'inspecteur d'académie signera une circulaire qui sera adressée, dans l'hypothèse prévue par le texte voté par l'Assemblée nationale, à tous les responsables d'école et qui indiquera ceci : « Vous inscrivez tous les élèves au cours de corse, à moins que les parents ne manifestent une opposition. » Le Conseil constitutionnel, qui a bien précisé le caractère facultatif de l'enseignement de la langue corse, n'acceptera pas une telle disposition.
Il faudra donc que les parents expriment la volonté que leur enfant suive l'enseignement du corse qui est proposé.
C'est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, votre texte me paraît ambigu et contraire à la réglementation telle qu'elle découle de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, y compris pour Tahiti et les îles polynésiennes, où l'enseignement est bien facultatif et où les parents font une démarche pour que leur enfants apprennent le polynésien, d'autant plus, vous le savez, qu'il n'y a pas une seule langue polynésienne, mais plusieurs.
Il faut donc que les parents manifestent leur volonté que leurs enfants apprennent le corse, et non pas l'inverse, ce qui aboutirait à rendre l'enseignement du corse obligatoire. A ce moment-là, les parents craindraient d'être montrés du doigt si leurs enfants ne suivaient pas l'enseignement de la langue corse.
C'est la raison pour laquelle, dans l'état actuel des textes, je me rallie pleinement aux suggestions de la commission spéciale et à l'amendement déposé par notre rapporteur.
De surcroît, je suis convaincu que, si le texte actuellement en discussion était soumis au Conseil constitutionnel, ce dernier répéterait ce qu'il a déjà dit, à savoir que l'enseignement doit être facultatif, qu'il revient donc aux parents d'effectuer la démarche nécessaire et qu'en aucun cas il ne doit y avoir de différence entre les élèves qui suivent un tel enseignement et les autres élèves en France.
Le texte de l'Assemblée nationale est ambigu et cette ambiguïté ne peut être levée qu'en suivant les propositions de notre rapporteur.
M. Christian Cointat. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Cointat.
M. Christian Cointat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout le monde a reconnu que les langues régionales faisaient partie du patrimoine culturel, c'est même notre patrimoine national, et il est normal que l'on cherche à le développer, à l'enrichir, à le préserver. C'est la raison pour laquelle nos compatriotes de Corse ont tout à fait le droit de demander, d'exiger que la langue corse puisse être enseignée dans les écoles publiques ; cela est tout à fait légitime et nous devons répondre à cette attente.
Toutefois, nous ne devons pas non plus oublier que la langue est avant tout un vecteur de communication, de rapprochement entre les citoyens. Par conséquent, n'en faisons pas un vecteur de division.
Imaginez la France de demain, si, dans chaque région, on parle la langue régionale : le français sera non plus la langue nationale, mais simplement la langue commune. Prenons garde : il est plus facile de détruire que de construire ! Les mots ont une force. La preuve en est que, tout à l'heure, à l'article 1er, vous avez utilisé la symbolique des termes au lieu de considérer la force du droit. Il faut être extrêmement prudent.
La rédaction proposée par M. le rapporteur est équilibrée parce qu'elle permet à la fois de répondre à la légitime attente de nos compatriotes de Corse et de développer un patrimoine culturel qui nous appartient à tous. Elle ne met pas en péril l'unité nationale, car la langue, je le disais tout à l'heure, peut être un facteur de désagrégation.
Et puis, il est un autre élément que l'on oublie : la France fait partie de l'Union européenne. A l'exception de la Belgique et du Luxembourg, les quatorze autres pays parlent d'autres langues que le français. Nous devons permettre à nos jeunes d'apprendre, aussitôt que possible, les langues de ces pays qui forment l'Union européenne. Pour que cela soit possible, il faut laisser le choix aux parents.
Que nous propose la commission ? Tout simplement de rendre cet enseignement ouvert à tous sous une forme qui laisse le choix de chacun. C'est cela la République ! C'est cela la citoyenneté française et la démocratie, monsieur le ministre ! C'est la raison pour laquelle je voterai la proposition de la commission spéciale.
M. Jean-Pierre Raffarin. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Raffarin.
M. Jean-Pierre Raffarin. Le débat sur cet article révèle, me semble-t-il, l'ensemble de la question qui nous est posée et les différentes positions.
Monsieur le ministre, vous avez raison d'indiquer que nous sommes très proches sur le fond, qu'il s'agisse de ce que vous avez dit tout à l'heure ou de ce qu'a dit M. Paul Girod ou Mme Luc : nous reconnaissons l'importance de cette langue, nous reconnaissons son histoire et nous reconnaissons son avenir.
En outre, je fais partie de ceux qui croient vraiment que la multiplication des langues est plutôt un facteur de progrès. Ayant eu un jour l'occasion de discuter avec Jordi Pujol, le président de la Catalogne, je lui ai demandé si le fait de parler le catalan aujourd'hui constituait véritablement un progrès lorsqu'on faisait partie de l'Europe. Il m'a répondu qu'il était prêt à prendre le pari des jeunes en Catalogne et en Poitou-Charentes : je suis sûr que les nôtres parlent mieux l'anglais que les vôtres, parce que les nôtres, dès qu'ils sont tout petits, jonglent avec deux langues, le catalan et le castillan, et la troisième est encore plus facile à apprendre.
Par conséquent, je n'ai pas peur des langues régionales ! Je crois qu'elles présentent aujourd'hui un véritable intérêt culturel, linguistique et d'ouverture. En effet, si la langue, comme toute identité, peut être vécue de manière féodale et déboucher ainsi sur des attitudes contestables de repli sur soi, elle peut permettre aussi de rencontrer l'autre.
M. Paul Girod, rapporteur. Très bien !
M. Jean-Pierre Raffarin. Pénétrer dans la culture de l'autre, c'est déjà aller vers l'autre. Notre République a donc encore des progrès à faire en la matière.
Monsieur le ministre, vous restez attaché à un texte parce que vous mettez une charge politique là où il devrait y avoir une analyse pragmatique. Ce qui est proposé par la commission c'est un vrai progrès pragmatique. Mais parce que vous êtes lié à une négociation, vous voulez rester attaché aux termes de cette négociation et vous mettez là une charge politique qui rend l'obstacle infranchissable. Vous allez vers la rupture, alors que, sur ces sujets, nous pourrions, les uns et les autres, être très proches.
M. Jacques Blanc. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Raffarin. Sur ce texte, les membres de la majorité sénatoriale sont à la fois républicains et réformateurs. Il n'y a pas d'ambiguïté sur ce point ! Mais nous proposons une marche constitutionnelle réelle plutôt qu'un palier inconstitutionnel virtuel. Telle est la réalité et c'est vers ce progrès qu'il nous faut tendre aujourd'hui. Ce n'est pas du tout une régression, c'est une avancée ! C'est pourquoi je soutiens l'amendement de la commission. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 21, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, les amendements n°s 247 et 221 n'ont plus d'objet.
L'amendement n° 22, présenté par M. Paul Girod, au nom de la commission spéciale, est ainsi libellé :
« Compléter in fine l'article 7 par un paragraphe III ainsi rédigé :
« Le CAPES de corse est réintégré dans la section des CAPES de langues régionales : il comporte en conséquence, à côté des épreuves de langue corse, des épreuves écrites et orales dans une autre discipline, choisie par le candidat parmi différentes options, selon des modalités comparables à celles qui prévalent dans les autres CAPES de langues régionales. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod, rapporteur. Je souhaite tout d'abord vous livrer une réflexion. Un grand journal du soir, que tout le monde connaît, a écrit, voilà deux jours : « Le Sénat se prépare à supprimer l'enseignement de la langue corse. » ; je crois même que cela figurait dans un titre.
M. Claude Estier. Il ne faut pas croire tout ce qui est écrit dans les journaux !
M. Paul Girod, rapporteur. Je voudrais qu'il soit bien clair que c'est exactement l'inverse que nous venons de faire. (M. le ministre s'exclame.)
Puisque vous ouvrez le débat sur ce point, je vous réponds tout de suite : il a été dit, dans le même journal du soir, que le Sénat dépeçait le texte et le vidait de sa substance. Pour ma part, je prétends que c'est votre article 1er qui n'a pas de substance et que ce sont les mesures que nous proposons qui en ont une ! Par conséquent, j'ai été amené à dire à un certain nombre de journalistes que le Sénat n'avait pas vidé le texte de sa substance, mais que, au contraire, il en avait ajouté à un texte qui n'en avait pas, soit parce qu'il était inconstitutionnel, soit parce qu'il était vide.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. La presse est libre !
M. Paul Girod, rapporteur. Après ce commentaire sur le vote qui vient d'intervenir et sur le fait que nous n'avons pas supprimé l'enseignement de la langue corse, bien au contraire, j'en viens maintenant à l'amendement n° 22.
Monsieur le ministre, nous sommes très surpris ! Nos compatriotes corses ont droit, pour l'enseignement du corse, à des professeurs compétents. Ce n'est pas mettre la langue corse au même niveau que les autres langues régionales que de prévoir un CAPES de corse dérogatoire à tous les autres, dans lequel les candidats ne sont testés que sur des épreuves de langue corse, alors que tous les autres CAPES de langue régionale comportent un certain nombre de matières à options. Cela présente l'avantage, d'abord, de confirmer leur capacité, leur aptitude à enseigner. Cela permet, aussi, d'éviter qu'ils ne soient enfermés pour la suite de leur carrière dans une compétence unique. S'ils doivent vraiment passer la totalité de leur vie professionnelle à enseigner la même matière et au même endroit, je ne suis pas sûr que l'on obtiendra, à terme, des enseignants de la même qualité que pour les autres langues régionales. C'est la raison pour laquelle la commission vous propose de réintégrer le CAPES de corse dans le cadre général des CAPES de langues régionales.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Sans me prononcer sur le fond, il me suffit de relever que les modalités d'organisation des concours relèvent du règlement, et non de la loi, pour émettre un avis défavorable.
M. Jacques Larché, président de la commission spéciale. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission spéciale.
M. Jacques Larché, président de la commission spéciale. Monsieur le ministre, nous n'allons pas nous relancer dans le débat plaisant et habituel sur les domaines respectifs de la loi et du règlement.
Nous savions parfaitement que la disposition proposée était de nature réglementaire. Si nous avions des autorités responsables, capables de prendre des règlements convenables, nous nous garderions bien d'intervenir. Si nous intervenons, c'est parce que nous sommes confrontés à un règlement qui est soit absurde, soit dangereux, voire les deux, d'ailleurs.
Je pense donc qu'il est préférable que vous acceptiez cet amendement. Ce serait une preuve de votre bonne foi.
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Qui est totale !
M. Jacques Larché, président de la commission spéciale. Nous le savons, mais montrez-le !
Si vous acceptez cet amendement, ce sera un pas important dans un processus dont je vous ai indiqué quelques étapes.
Cela étant, je vous laisse libre de votre choix, mais l'amendement est, à mon sens, d'une extrême importance. Je vous assure que ce que M. Lang a fait ou a laissé faire est dangereux à terme, et un terme relativement proche.
J'aimerais donc que vous acceptiez cet amendement ou que vous vous en remettiez à notre sagesse, dont vous connaissez le sens.
M. Paul Girod, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod, rapporteur. M. le ministre est un peu perturbé par le fait que, avec cette disposition relative au CAPES de Corse, nous introduisions dans la loi des dispositions de nature réglementaire. Mais, après tout, les dispositions relatives à l'enseignement de la langue corse que vous nous avez proposées étaient, elles aussi, parfaitement d'ordre réglementaire : à chacun son tour, monsieur le ministre !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 22.
M. Patrice Gélard. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Je me rallie pleinement à la proposition de M. le rapporteur, mais sous réserve de l'adoption d'un sous-amendement ainsi rédigé : « L'accès aux IUFM de Corse ne peut être fondé sur le seul critère de la connaissance de la langue corse. »
En d'autres termes, j'estime indispensable de préciser que l'on ne peut pas fonder la sélection des futurs professeurs des écoles uniquement sur la connaissance de la langue corse. Il s'agit d'un concours de la même nature que le CAPES et il ne faut pas exclure ceux qui ne connaissent pas la langue locale de la possibilité de devenir professeurs des écoles, sauf à vouloir définitivement exclure les fonctionnaires qui ne parleraient que le français.
Puisque nous débattions tout à l'heure de l'apprentissage de la langue, imaginons un fonctionnaire qui, pendant trois ans, serait en poste en Corse : son enfant apprendrait le corse. Si, par la suite, ce même fonctionnaire était muté en Bretagne, en Alsace ou dans un autre pays, le pauvre enfant, de la maternelle à la fin de sa scolarité, aurait à apprendre trois ou quatre langues locales ! Il serait complètement perdu.
Gardons la tête sur les épaules et faisons en sorte que nos professeurs des écoles ne connaissent pas qu'une seule matière, mais en maîtrisent d'autres. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Christian Cointat. Très bien !
M. le président. Je suis donc saisi, par M. Gélard, d'un sous-amendement n° 314, ainsi libellé :
« Compléter in fine l'amendement n° 22 par un alinéa ainsi rédigé :
« L'accès aux IUFM de Corse ne peut être fondé sur le seul critère de la connaissance de la langue corse. »
Quel est l'avis de la commission ?
M. Paul Girod, rapporteur. La commission n'a pas eu l'occasion d'examiner ce sous-amendement, mais il va tellement dans le sens de ses propres réflexions que, si elle avait été consultée, j'imagine qu'elle aurait émis un avis favorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Le Gouvernement ne peut qu'être défavorable à ce sous-amendement.
M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 314, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.

(Le sous-amendement est adopté.)
M. le président. Je mets aux voix, modifié, l'amendement n° 22, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 7, modifié.

(L'article 7 est adopté.)

Sous-section 2

De la culture et de la communication

Article 8