SEANCE DU 17 AVRIL 2001


M. le président. Je suis saisi par M. Bonnet, au nom de la commission, d'une motion n° 1 tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
« Considérant que les conditions d'examen par le Parlement de la proposition de loi organique, marquées notamment par la brusque volte-face du Gouvernement, l'exclusion d'un éventuel référendum, l'usage de la procédure d'urgence et la convocation d'une commission mixte paritaire sur un texte organique relatif au Sénat, ne sont pas acceptables ;
« Considérant que le mandat des députés n'a été prorogé qu'à deux reprises au cours du xxe siècle, en 1918 et 1940, dans des circonstances historiques que contrastent avec les motifs invoqués à l'appui de la proposition de loi organique ;
« Considérant que le choix du troisième mardi de juin comme date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale pourrait conduire à la convocation systématique de sessions extraordinaires du Parlement les années d'élections législatives et perturber le processus d'élaboration du projet de budget ;
« Considérant que la proposition de loi organique, contrairement à l'objectif que semblait se fixer le législateur, n'est pas à même d'éviter de nouveaux bouleversements du calendrier électoral en cas de dissolution de l'Assemblée nationale ou d'interruption prématurée du mandat d'un Président de la République ;
« Considérant que l'adoption de la proposition de loi organique compromettrait l'application des règles du code électoral relatives au financement des campagnes électorales et à l'organisation d'élections partielles en cas de vacance d'un siège de député ;
« Considérant que la prolongation, par sa seule volonté, de la durée du mandat de l'Assemblée nationale élue en 1997 ne repose sur aucun motif d'intérêt général comparable à ceux qui ont pu justifier par le passé la prolongation de la durée du mandat d'assemblées locales ;
« Décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi organique modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture (n° 225, 2000-2001). »
Je rappelle que, en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. le rapporteur, auteur de la motion.
M. Christian Bonnet, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte retourné - c'est le terme qui convient en l'occurrence, puisqu'il s'agit de la même rédaction que celle qui nous avait été soumise en première lecture - au Sénat par l'Assemblée nationale ne saurait être adopté par notre assemblée, en raison d'un certain nombre de difficultés d'ordre tant pratique que juridique qu'il m'a été donné de souligner tout à l'heure.
Ce retour ou ce renvoi, si vous préférez ce terme, du texte primitivement adopté par l'Assemblée nationale valait rupture de tout dialogue entre les deux assemblées. C'est pour cette raison que la commission des lois préconise l'adoption de la motion tendant à opposer la question préalable dont je vais maintenant vous donner lecture :
Considérant que les conditions d'examen par le Parlement de la proposition de loi organique, marquées notamment par la brusque volte-face du Gouvernement, l'exclusion d'un éventuel référendum, l'usage de la procédure d'urgence et la convocation d'une commission mixte paritaire sur un texte organique relatif au Sénat, ne sont pas acceptables ;
Considérant que le mandat des députés n'a été prorogé qu'à deux reprises au cours du XXe siècle, en 1918 et en 1940, dans des circonstances historiques qui contrastent avec les motifs invoqués à l'appui de la proposition de loi organique ;
Considérant que le choix du troisième mardi de juin comme date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale pourrait conduire à la convocation systématique de sessions extraordinaires du Parlement les années d'élections législatives et perturber le processus d'élaboration du projet de budget ;
Considérant que la proposition de loi organique, contrairement à l'objectif que semblait se fixer le législateur, n'est pas à même d'éviter de nouveaux bouleversements du calendrier électoral en cas de dissolution de l'Assemblée nationale ou d'interruption prématurée du mandat d'un Président de la République ;
Considérant que l'adoption de la proposition de loi organique compromettrait l'application des règles du code électoral relatives au financement des campagnes électorales et à l'organisation d'élections partielles en cas de vacance d'un siège de député ;
Considérant que la prolongation, par sa seule volonté, de la durée du mandat de l'Assemblée nationale élue en 1997 ne repose sur aucun motif d'intérêt général comparable à ceux qui ont pu justifier par le passé la prolongation de la durée du mandat d'assemblées locales ;
Décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi organique modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture. » (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, ainsi que du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Badinter, contre la motion.
M. Robert Badinter. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je serai d'une brièveté extrême, à l'image du rapporteur de la commission des lois. Tout a été dit en effet, et ce qu'il a à l'instant énoncé n'était que la reprise d'arguments déjà évoqués.
Il aurait peut-être été bienvenu que la question préalable fût déposée avec la même argumentation dès la première lecture, mais on a choisi le chemin long. Quoi qu'il en soit, nous sommes maintenant au terme de cette discussion.
J'indiquerai simplement, au nom du groupe socialiste que nul ne peut dire que, dès le départ, nous n'avons pas souhaité le changement du calendrier. Dès l'origine, en effet, avant même que cette question fût évoquée au plan gouvernemental, j'avais ici même, en juin 2000, lors de la discussion sur le quinquennat, au nom du groupe socialiste, rappelé que l'on devait absolument songer à remédier à la situation que créerait le quinquennat si on ne modifiait pas le calendrier des élections.
Je m'étais alors appuyé sur trois considérations.
Première considération, que l'élection présidentielle est, dans la Ve République, pour tous nos concitoyens, l'élection essentielle et il n'est pas possible de faire de l'élection législative le premier tour des présidentielles.
Deuxième considération également très importante : en faisant se succéder l'élection présidentielle puis l'élection législative, nous avons, au regard de ce que l'expérience a enseigné, infiniment moins de chance d'engendrer une cohabitation qui n'est pas considérée par le constituant comme un régime normal. Il s'agit d'une pathologie de nos institutions.
Troisième considération -, et non la moindre, dans le monde où nous vivons, dans les démocraties contemporaines, à l'exigence première de la séparation des pouvoirs et à l'exigence tout aussi importante de l'équilibre des pouvoirs ajoute une troisième exigence, mal perçue et, à mon avis, déterminante : l'harmonie des pouvoirs. C'est à la mesure de l'harmonie entre l'exécutif et le législatif qu'une démocratie est véritablement efficace à une époque difficile où les problèmes, notamment internationaux, sont complexes. Or, la cohabitation est la dissociation du pouvoir exécutif et, de ce fait, l'absence d'harmonie entre le législatif et l'exécutif.
Tout commande donc, sauf peut-être des intérêts politiques conjoncturels, qu'on remédie à la situation, créée d'ailleurs par des événements fortuits, c'est-à-dire les élections législatives précédant les élections présidentielles. Revenons à la logique de nos institutions, ou alors changeons-les. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l'objet de cette proposition de loi est bien de rétablir le calendrier des élections à l'endroit et de respecter ainsi la logique de nos institutions.
Ce texte relève d'une appréciation souveraine du Parlement sur laquelle le Conseil constitutionnel ne peut porter qu'un contrôle réduit de l'erreur manifeste d'appréciation en vertu d'une jurisprudence constante depuis sa décision du 15 janvier 1975, M. Badinter l'a évoqué. Le choix de la proposition de loi et de la voie organique se justifient, compte tenu de la diversité des auteurs des propositions de loi déposées à l'Assemblée nationale. Pas moins de six propositions de loi ont été déposées, sur lesquelles la commission des lois de l'Assemblée nationale est parvenue à un texte de synthèse.
On ne peut déplorer le manque d'initiative parlementaire dans le domaine législatif et ne pas se réjouir qu'une proposition commune venant de la majorité à l'Assemblée nationale, ainsi que d'une partie de l'opposition, ait vu le jour après un travail approfondi.
Le choix du législateur, qui est souverain, ne peut être contesté dès lors qu'« il s'inscrit dans le cadre d'une réforme dont la finalité n'est contraire à aucun principe non plus qu'à aucune règle de valeur constitutionnelle ». Je cite ici une décision du Conseil constitutionnel, du 11 décembre 1990, lorsqu'a été soumise à son examen la concordance du renouvellement des conseils généraux et régionaux.
Personne ne peut donc sérieusement soutenir que le respect de la logique interne de la vie politique française depuis 1962, c'est-à-dire la primauté de l'élection présidentielle, aurait pour finalité la violation d'un principe constitutionnel.
Assurer par un calendrier cohérent des scrutins la prééminence de l'élection présidentielle me paraît conforme à l'intérêt général parce que cela correspond à la place donnée à cette élection par les citoyens eux-mêmes. C'est pour cela que j'invite le Sénat à repousser la notion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi organique.
En application de l'article 59 de notre règlement, le scrutin public est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 46 :

:
Nombre de votants 297
Nombre de suffrages exprimés 288
Majorité absolue des suffrages 145
Pour l'adoption 170
Contre 118

En conséquence, la proposition de loi organique est rejetée.

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