SEANCE DU 25 JANVIER 2001


DATE D'EXPIRATION DES POUVOIRS
DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Suite de la discussion d'une proposition de loi
organique déclarée d'urgence

M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi organique, adoptée par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Gélard. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Patrice Gélard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais me livrer à une analyse qui éliminera toute polémique, toute attaque individuelle ou toute attaque à l'égard de quelque formation que ce soit. Je veux simplement essayer, monsieur le ministre, sinon de vous convaincre, du moins de vous ébranler.
La première chose que je voudrais dire, c'est que, dans une démocratie, ceux qui décident, ceux qui ont le droit de faire les choix politiques, ce sont ceux qui composent la majorité. C'est la majorité qui gouverne et qui s'incarne dans le Gouvernement qui détermine la politique de la nation, mais sous deux conditions, sous deux réserves que tout gouvernement et toute majorité doivent impérativement respecter.
La première est l'obligation absolue, pour un gouvernement démocratique et une majorité démocratique, de respecter, dans toutes ses lois, les droits de l'homme et du citoyen. C'est pourquoi le révolutionnaire Saint-Just, quand il disait qu'il n'y a pas de liberté pour les ennemis de la liberté, se trompait lourdement et n'était en aucun cas un démocrate. Je me suis d'ailleurs toujours demandé si l'on pouvait faire confiance, comme démocrates possibles, à ceux qui utilisaient la violence ou le terrorisme pour arriver au pouvoir et défendre leurs idées.
La seconde obligation de tout gouvernement et de toute majorité, c'est le respect de l'Etat de droit. Sur ce point, j'ai toujours des inquiétudes en ce qui concerne certaines réactions.
Nous sommes, je le crains, trop marqués par l'héritage de Marx, qui, en 1848, donc en un autre siècle, disait que le droit et l'Etat sont des instruments de domination, en d'autres termes qu'on pouvait, quand on détenait le pouvoir, se servir de l'Etat et du droit comme on le voulait. Cette analyse marxiste, que nous avons du mal à éliminer, n'est pas du tout celle des constitutionnalistes anglo-saxons.
Pour ces derniers, le droit - dont la Constitution est l'élément essentiel - n'est pas fait pour servir les gouvernants ou les majorités du moment. Il est fait pour protéger le citoyen contre l'arbitraire de l'Etat, car Dieu sait que celui qui détient le pouvoir peut parfois être tenté, au nom d'une certaine conception de l'avenir de l'humanité, d'oublier cette obligation de respecter le citoyen, estimant parfois que l'arbitraire est nécessaire au bonheur des hommes. Trop d'expériences dans le passé nous ont montré qu'en voulant faire le bonheur de son peuple tel ou tel dictateur a, en réalité, conduit celui-ci vers l'enfer, l'enfer étant, comme le dit le proverbe, toujours pavé de bonnes intentions !
M. Pierre Fauchon. Il n'y a pas que cela !
M. Patrice Gélard. Dans l'Etat de droit, il est un élément capital qu'il faut toujours avoir présent à l'esprit : c'est la Constitution, sur laquelle repose l'édifice juridique et qu'il n'est pas possible d'interpréter comme bon nous semble. Le Président de la République en est le garant et les assemblées parlementaires n'ont le droit d'interpréter la Constitution que sous certaines réserves.
C'est la raison pour laquelle il ne peut y avoir d'Etat de droit sans une cour constitutionnelle qui assure la pérennité de l'interprétation et qui arbitre les hésitations de telle ou telle chambre ou d'un gouvernement estimant qu'il est possible parfois de « tordre » le droit.
Non ! je suis désolé, le droit ne peut pas être courbe. J'ajouterai sur ce point que le droit est non pas le fond, mais la forme des choix. Si chacun d'entre nous a adopté des règles constitutionnelles ou législatives, c'est pour apporter à nos concitoyens et aux minorités une garantie, une sécurité en ce qui concerne le déroulement de la vie démocratique.
Si le droit peut être à tout moment bafoué, si l'on peut impunément soutenir : « vous avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaires », alors nous ne sommes pas dans une démocratie, dans un Etat de droit ; nous sommes dans une république bananière, dans une dictature, c'est la tyrannie ! C'est la raison pour laquelle je ressens toujours avec beaucoup d'amertume les critiques que l'on peut entendre, ici ou là, à l'égard du Conseil constitutionnel et qui sont infondées, injustifiées.
Si nous ne sommes pas d'accord avec la composition ou les compétences du Conseil constitutionnel, il appartient aux constituants d'agir et de proposer une révision constitutionnelle qui ferait en sorte que, peut-être, le Conseil constitutionnel devienne autre chose.
Permettez-moi cependant de rappeler que, parmi les 110 propositions du candidat Mitterrand en 1981, l'une d'entre elles visait à transformer le Conseil constitutionnel en une cour constitutionnelle.
Je mentionne toutefois que, pour améliorer peut-être le fonctionnement dudit Conseil, quelques réformes secondaires, qui relèvent non pas de la Constitution mais de la loi organique, pourraient calmer bien des inquiétudes. Je n'en citerai qu'une. A la fin de chaque décision du Conseil constitutionnel, on pourrait faire figurer : « décision adoptée à l'unanimité » ou « décision adoptée à la majorité ». Du même coup, nous aurions deux sortes de décisions du Conseil constitutionnel : celles qui seraient adoptées à la majorité et celles qui seraient indiscutables parce que les membres du Conseil auraient statué à l'unanimité ; chacun sait qu'il y a toujours des gens de droite et des gens de gauche au Conseil constitutionnel.
D'autres attaques contre le droit m'inquiètent : celles du Conseil d'Etat, ou celles qui ont été formulées lors de la rentrée de nos cours d'appel et de nos tribunaux de grande instance, sans oublier celles de la Cour de cassation ou encore celles de l'anonyme Solon - ce dernier, comme chacun sait, était l'un des Sept Sages - qui critique, sur l'internet du Conseil constitutionnel, l'oeuvre du législateur, déclare que nos lois sont mauvaises, mal rédigées, mal compréhensibles, et qu'il faut améliorer profondément notre système de droit.
On peut y réfléchir et je crois même, monsieur le ministre, qu'il serait nécessaire d'organiser une telle réflexion au sein du Parlement sur le point de savoir comment améliorer l'appareil juridique français.
Je citerai un exemple tout simple. L'un des codes qui viennent d'être promulgués par ordonnance, en l'occurrence le code de commerce, a dépassé la mission que le législateur avait donnée au Gouvernement dans cette affaire. Ce n'est pas du bon droit, ce n'est pas de la bonne justice et cela va à l'encontre de l'Etat de droit. Tous les désaccords qui peuvent survenir sur notre droit et notre justice viennent peut-être de cela.
C'est pourquoi je me félicite que nous ayons aujourd'hui ce vaste débat qui touche les problèmes juridiques, mais qui va aussi plus loin puisqu'il nous permet - ce qui nous manque peut-être - d'entamer une véritable réflexion sur l'avenir des institutions de la France.
Je suis l'un de ceux qui pensent que le travail effectué en 1993 par la commission Vedel était un bon travail. Mais je pense aussi que nous n'avons pas été au fond des choses, tout d'abord parce que les révisions constitutionnelles qui sont intervenues n'ont pas tenu compte de toutes les propositions de cette commission.
Il serait peut-être temps, à la lumière du développement des progrès à la fois technologiques et techniques, d'envisager la possibilité d'avoir une seconde commission Vedel. Cela permettrait à tous ceux qui réfléchissent à l'avenir de notre Etat et de notre Constitution de penser de façon dépassionnée et dépolitisée à l'amélioration du fonctionnement de nos institutions, et du dialogue démocratique entre la majorité et l'opposition.
Je me réjouis du débat remarquable qui se déroule depuis quelques jours et je tiens tout d'abord à féliciter M. le rapporteur. Il conviendra par la suite de relire à froid son rapport pour en mesurer toute la portée.
Je tiens également à féliciter la totalité des intervenants, non pas pour tout ce qu'ils ont dit, mais pour une partie de ce qu'ils ont dit parce que leur réflexion permet d'éclairer non seulement le problème de l'inversion du calendrier électoral, mais aussi toute une série de dysfonctionnements inconscients, non voulus de nos institutions, et par là-même elle pourra servir de base à un débat plus vaste et plus large sur l'avenir de nos institutions.
Je tiens également à saluer les cinq universitaires qui se sont rendus devant la commission des lois. Je ferai simplement une remarque : il n'y avait pas cinq constitutionnalistes, il y en avait quatre et, d'ailleurs, celui qui n'était pas constitutionnaliste et pour lequel j'ai la plus grande admiration en raison du rôle de témoin de notre temps qu'il assume a commis malheureusement une grave erreur constitutionnelle dans son intervention en déclarant que le droit de dissolution en 1997 n'aurait pas dû s'exercer.
Je suis désolé, mais l'article 12 de la Constitution précise bien que la dissolution est laissée totalement à disposition du chef de l'Etat et qu'il ne peut pas y avoir de limite ou de contrainte à son usage.
Cette remarque étant faite, je reviendrai sur les quatre autres interventions en soulignant, tout d'abord, qu'il faut les relire attentivement, car il n'y a pas eu deux interventions pour et deux contre l'inversion du calendrier. Bien sûr, il y en a eu deux contre, cela est certain ; mais, dans son intervention, M. Didier Maus, président de l'association française des constitutionnalistes, après avoir déclaré d'emblée son choix personnel en faveur de l'inversion a relevé ensuite toute une série d'anomalies qu'engendre la loi votée par l'Assemblée nationale.
Il va bien falloir que l'on revienne sur ce point parce que ces anomalies, auxquelles on n'a pas porté remède, risquent de nous mettre dans une situation extrêmement difficile dans les années qui viennent.
Mais j'ai aussi un très grande admiration pour Guy Carcassonne, qui est sans doute l'un des plus brillants constitutionnalistes de la génération qui suit la mienne. Relisez bien, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'intervention de Guy Carcassonne : vous verrez qu'il ne prend jamais position sur le plan juridique ! Et je le comprends : j'aurais sans doute fait la même chose à sa place, compte tenu du rôle éminent et largement connu de conseiller qui est le sien. Dans ces conditions, on ne pouvait pas lui demander une analyse strictement juridique.
Son analyse est très intéressante. D'ailleurs, son intervention est peut-être la meilleure motivation de la proposition de loi. Mais il n'est pas allé au fond des choses.
Tout cela pour dire qu'aucun des cinq intervenants que nous avons entendus, si on lit à travers les lignes, n'a réellement défendu l'inversion du calendrier électoral.
M. Jean-Pierre Schosteck. Exactement !
M. Patrice Gélard. Je vais poursuivre ma démonstration en me fondant sur deux éléments essentiels.
D'abord, la proposition de loi qui nous est aujourd'hui soumise est mal motivée et peu réfléchie.
Ensuite, elle n'est conforme ni à la pratique, ni à l'esprit, ni à la lettre de la Constitution.
Premier point : cette proposition de loi est mal motivée et peu réfléchie.
Nous aurions pu en effet trouver d'autres solutions pour éviter le carambolage des élections et pour que les élections législatives ne précèdent pas l'élection présidentielle.
Une première solution était laissée à la discrétion absolue du chef de l'Etat, garant, en application de l'article 5 de la Constitution, du bon fonctionnement de nos institutions.
Rien n'interdit en effet au chef de l'Etat de démissionner au moment qu'il juge le plus opportun, et rien n'aurait interdit au chef de l'Etat de dire : je vais rectifier ce calendrier qui marche sur la tête en démissionnant quelques mois ou quelques semaines avant l'échéance.
Toutefois, cette solution présente un inconvénient : l'opinion publique comprendrait peut-être mal que le chef de l'Etat n'aille pas au bout de son mandat. Et puis, il n'est jamais très bon - bien qu'eût été, à ce moment-là, à la tête de l'Etat quelqu'un que nous admirons et que nous aimons tout particulièrement - il n'est jamais très bon, dis-je, de mettre en place un intérim. En tout cas, c'était une possibilité.
Une autre solution, plus intéressante, aurait pu également être utilisée. Malheureusement, elle n'est venue à l'idée de personne ; je n'en ai pas trouvé la moindre trace dans les débats de l'Assemblée nationale. Il était possible d'agir dans le cadre de la loi relative au quinquennat.
Permettez-moi à ce sujet d'ouvrir une parenthèse. Je pense que notre Constitution comporte une lacune grave : aucune loi soumise à référendum ne devrait pouvoir être considérée comme adoptée si le taux de participation au scrutin n'était pas au moins égal à 50 %.
M. Robert Del Picchia. C'est vrai !
M. Patrice Gélard. Une telle disposition existe dans toutes les grandes démocraties, à commencer par la Suisse, où le référendum est une pratique usuelle et courante. Il en est de même en Italie, ainsi que dans tous les Etats qui ont généralisé le référendum d'initiative populaire.
Je pense que, nous aussi, nous devrions adopter ce système qui, au moins, banaliserait le référendum, dans la mesure où un certain nombre de propositions susceptibles d'être soumises à référendum qui ne « passent pas la rampe » auprès du grand public deviendraient caduques du fait de la non-participation de nos concitoyens.
J'en reviens à mon propos d'aujourd'hui.
Lors du vote de la loi sur le quinquennat, pourquoi nos chers députés n'auraient-ils pu dire qu'après tout la logique voulait que l'on fixe la durée des mandats à cinq ans pour le Président de la République, à six ans pour les sénateurs, comme nous l'avions d'ailleurs proposé, et à quatre ans pour les députés. Du même coup, par le référendum constituant qui a ratifié le quinquennat, on aurait pu établir le « quadriennat » de l'Assemblée nationale, comme cela a été le cas pendant une partie de la IIIe République.
Il y avait encore une autre solution : le Premier ministre, considérant qu'il était absolument nécessaire de modifier le calendrier électoral, aurait pu demander au chef de l'Etat de dissoudre l'Assemblée nationale. Notre Constitution ne prévoit pas le droit d'auto-dissolution de l'Assemblée nationale. J'ai réfléchi un moment à cette possibilité mais elle n'est malheureusement pas applicable parce que seuls les démissionnaires partiraient et qu'il suffirait que quatre ou cinq députés restent pour qu'on ait recours à des partielles. Mais rien n'aurait interdit à la majorité parlementaire de s'adresser au Premier ministre pour lui demander de saisir le Président de la République. Cela n'a pas été fait !
Je voudrais m'arrêter maintenant sur le problème de l'urgence. Je vais être bref sur ce point parce que tout le monde en a parlé, mais je tenais simplement à relever le côté assez extraordinaire de la procédure suivie, qui me fait penser étrangement à la fable de La Fontaine Le lièvre et la tortue : pendant que le lièvre mange des carottes sauvages, traîne, s'occupe d'autre chose, il laisse passer le temps et la tortue avance.
On nous a traité dans la presse « d'escargots ». L'escargot est comme la tortue : il porte sa maison sur le dos et va son chemin. Il est un peu dommage que, dans cette affaire, le Gouvernement et sa majorité aient plutôt joué le lièvre que la tortue, et je crains que le dépôt à la va-vite du texte, aggravé par la procédure d'urgence n'ait été mal compris par une grande partie de l'opinion publique.
Il est un autre point sur lequel je voudrais attirer votre attention, monsieur le ministre, en reprenant en partie d'ailleurs ce que disait M. Forni à la tribune de l'Assemblée nationale.
Je ne suis pas convaincu que le fait de renvoyer à la loi ordinaire ou à la loi organique l'organisation de nos modes de scrutin soit la meilleure formule ; en matière électorale, on ne peut faire de transformations que sur la base du consensus.
Il est vrai que, dans notre pays le consensus n'est pas toujours facile à trouver. En tout cas, il est dommage - en l'occurrence, je n'attaque ni la droite ni la gauche, nous sommes tous dans le même bateau à cet égard - que, chaque fois que l'on a changé le mode de scrutin, que l'on a modifié les règles du jeu, la majorité nouvelle arrivée au pouvoir se soit empressée de faire le contraire. Il faudrait que l'on ait des règles du jeu sûres, comme nos voisins allemands, qui ont les mêmes règles électorales depuis 1949, comme la Grande-Bretagne, qui a les mêmes règles électorales depuis le xviie siècle, comme les Etats-Unis, qui ont les mêmes règles électorales depuis le xviiie siècle - même si cela leur pose parfois quelques problèmes, comme ce fut le cas lors des dernières élections présidentielles.
Nous devrions donc avoir des règles électorales auxquelles on ne touche pas en permanence et surtout auxquelles on ne touche pas l'année qui précède des élections. A la limite, si l'on veut modifier la règle du jeu, qu'on le fasse dès qu'on est élu, et que l'on n'attende pas trois ou quatre ans pour mettre en place les réformes. J'avoue que, les uns comme les autres, nous avons trop tendance à penser que l'on peut manipuler les modes de scrutin pour servir tel ou tel parti politique alors que, en réalité, on se trompe à chaque fois lourdement : les manipulations ou les manigances se retournent toujours contre ceux qui les ourdissent.
Je soulignerai par ailleurs que, pour ce qui concerne un certain nombre de modes de scrutin ayant fait l'objet de propositions de loi intelligentes déposées tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, on aurait pu faire beaucoup mieux que ce que l'on a fait - je pense aux élections européennes ou aux élections régionales -, ces scrutins se trouvant désavoués par les électeurs, qui ne se reconnaissent pas dans les élus qu'ils ont désignés. (MM. Philippe de Gaulle et Robert Del Picchia applaudissent.)
C'est un véritable appel que je vous lance, monsieur le ministre : il faudrait que nous trouvions un gentlemen's agreement entre toutes les formations politiques pour que l'on ne fasse pas n'importe quoi en matière électorale et que toute modification dans ce domaine fasse l'objet d'un minimum de consensus : on ne pourra pas recueillir une approbation unanime, bien évidemment, mais il ne faut pas manipuler les élections et jouer avec elles.
J'ajoute que je suis assez d'accord avec les propos de M. Forni selon lesquels il n'appartient pas au Sénat de se mêler du mode d'élection des députés.
Cela ne veut pas dire que l'on n'a pas le droit d'en parler. Mais nous n'avons pas à empêcher l'Assemblée nationale de choisir ce qu'elle désire.
Mais, dès lors, l'argument de M. Forni doit jouer dans les deux sens (Applaudissements sur les travées du RPR.)
Je regrette un peu que, récemment, on ait voulu imposer des réformes au Sénat contre sa volonté...
M. Alain Gournac. Tout à fait !
M. Patrice Gélard... alors que celui-ci n'était pas hostile à une amélioration des règles qui concernent sa désignation. (Très bien ! sur les travées du RPR.)
D'autres éléments méritent quelques commentaires.
Premier élément : le choix de la troisième semaine de juin ne me paraît absolument pas raisonné. Il est vrai que nous avons fait, nous, une erreur en 1995 quand nous avons modifié la Constitution. Lorsqu'a été établie la session unique, nous aurions dû, alors, modifier le calendrier des élections à l'Assemblée nationale. Dans l'ancien système, nous avions deux sessions parlementaires l'une commençait le 2 avril et l'autre, le 2 octobre. A ce moment-là, l'Assemblée nationale était normalement élue avant le début d'une session.
J'attire votre attention sur les conséquences assez dramatiques du nouveau calendrier : l'année prochaine, en 2002, si la date de juin est maintenue, la vacance parlementaire durera sept mois, ce qui est considérable. En effet, le Parlement ne pourra pas siéger pendant l'élection présidentielle, ni pendant les élections législatives, puis viendront les trois mois d'été. Cela fera sept mois d'arrêt.
Je ne peux, pour ma part, admettre que le Parlement soit en vacances pendant sept mois.
Une autre solution, préconisée d'ailleurs par M. Didier Maus, consistait à reporter au mois de septembre l'élection des députés. Le mois de septembre me semble en effet préférable au mois de juin, qui est le mois de vacances des retraités...
M. Alain Gournac. Exactement !
M. Patrice Gélard. ... le mois des examens et des concours, c'est-à-dire un mois pendant lequel une grande partie des Français est indisponible. Et tant que nous conserverons notre législation complètement absurde sur le vote par procuration, nous ne parviendrons pas à intéresser les électeurs, pour qui les vacances, les examens et les concours passent avant le vote.
En revanche, en septembre, tout le monde est là. Il aurait donc été bien préférable de retenir le mois de septembre plutôt que le mois de juin, d'autant que cela aurait permis de faire en sorte que la rentrée parlementaire s'effectue dans les huit jours suivant l'élection des députés.
Monsieur le rapporteur, je me permettrai de formuler une remarque sur le texte que vous proposez pour compléter l'article LO 122. Vous prévoyez un intervalle d'au moins trente jours entre le second tour des législatives et le premier tour de la présidentielle. Pour ma part, je proposerai, par amendement, de ramener ce délai à vingt-huit jours, soit quatre semaines.
En effet, prévoir trente jours, c'est donner au Gouvernement la tentation d'organiser des élections en milieu de semaine. Au demeurant, je ne suis pas hostile à une telle formule. Peut-être faudra-t-il d'ailleurs un jour envisager la possibilité d'organiser, comme cela se fait dans d'autres pays, les élections non pas le dimanche mais en semaine. Peut-être les électeurs y trouveraient-ils davantage leur compte, à condition, bien entendu que cela s'accompagne des aménagements leur permettant de s'absenter de leur lieu de travail pendant une heure ou deux pour aller voter.
Cela étant, trente n'est pas un multiple de sept. Trente jours, cela ne fait pas un nombre entier de semaines. Il faut donc soit vingt-huit, soit trente-cinq jours, mais sûrement pas trente jours.
Venons-en maintenant aux motivations qui ont été avancées par les défenseurs de la proposition de loi.
Je peux comprendre, je l'avoue, le point de vue des uns ou des autres.
J'ai écouté avec beaucoup d'attention M. Raymond Barre, qui m'a paru d'une grande franchise dans la défense de l'inversion du calendrier. Ce qu'il en a dit correspond en fait parfaitement à la philosophie qui aurait été la sienne s'il avait été élu Président de la République.
Je peux comprendre aussi les légitimes ambitions de tel ou tel qui pense pouvoir accéder un jour à la magistrature suprême et qui considère que, après tout, la modification de la règle du jeu lui est plus favorable.
Je peux le comprendre, mais à condition qu'on ne joue pas à une sorte de poker menteur, en inventant les règles du jeu au fur et à mesure que l'on progresse dans celui-ci.
Néanmoins, je suis assez effrayé de la faiblesse des motivations.
On nous a parlé de la nécessité de remettre les pendules à l'heure. On nous a parlé de rationalité. On nous a dit qu'il était anormal que les boeufs soient après la charrue et qu'il convenait donc de remettre la charrue derrière les boeufs. Cela étant, je ne sais pas, en l'espèce, qui est la charrue et qui sont les boeufs...
On nous a dit aussi que l'inversion était conforme au quinquennat. Là, je n'ai pas compris ! Le quinquennat n'a rien à voir avec l'inversion du calendrier ! En effet, comme je le démontrerai tout à l'heure, la proposition de la loi ne résout rien du tout. Elle risque, au contraire, de nous entraîner dans des dérives inacceptables pour tout parlementaire digne de ce nom.
On nous a dit qu'il ne fallait plus marcher sur la tête. Mais, pour un Australien, nous marchons sur la tête ! (Sourires.) Et puis on nous a dit que c'était la logique constitutionnelle.
Moi, je voudrais attirer votre attention sur l'absence totale d'étude d'impact de la proposition de loi. Il est vrai que, si l'on fait obligation au Gouvernement, quand il dépose un projet de loi, de l'assortir d'une étude d'impact, on ne peut pas demander la même chose à un parlementaire qui dépose une proposition de loi : sinon, dans les faits, nous serions privés du droit d'initiative législative.
Il n'en reste pas moins qu'il aurait été judicieux de réfléchir à un certain nombre des conséquences de la révision du calendrier.
La première conséquence, c'est que l'année 2007 sera véritablement calamiteuse puisqu'elle verra nos malheureux concitoyens obligés de se rendre aux urnes pour les municipales, les cantonales, les législatives, la présidentielle, sans ouiblier les grands électeurs pour qui s'ajouteront les sénatoriales, le tout entre le mois de mars et le mois de septembre ! Il y a fort à craindre que ce maelström électoral n'ait des effets dramatiques sur la participation à ces différents scrutins.
Mais, monsieur le ministre, il est un certain nombre d'autres lacunes dans l'analyse des conséquences de la proposition de loi par ses promoteurs.
Ainsi, que se passerait-il en cas de décès d'un candidat peu de temps avant le premier tour ou entre le premier et le second tour de l'élection présidentielle ?
L'article 7 de la Constitution précise que, quand un candidat décède avant la date limite du dépôt des présentations de candidatures, le Conseil constitutionnel peut reporter l'élection. Il est certain que le Conseil constitutionnel la reportera s'il s'agit d'un candidat éminent, issu d'un grand parti, afin de laisser aux instances de ce parti, qui sera momentanément « orphelin », le temps de se ressaisir et de proposer un autre candidat.
Mais le décès peut aussi frapper un candidat obscur n'appartenant pas à un grand parti, qui a réussi non sans mal à obtenir les signatures nécessaires, comme il y en a toujours eu dans chacun de nos scrutins présidentiels. A partir du moment où il était effectivement candidat avant son décès, le Conseil constitutionnel doit reporter l'élection.
Dans les deux hypothèses que je viens d'évoquer, les élections législatives se dérouleront nécessairement avant l'élection présidentielle.
Cela montre bien que ce dispositif ne tient pas la route !
J'évoquerai une autre hypothèse, aux conséquences encore plus graves.
Je crains que, dans les années à venir, les résultats du second tour des élections présidentielles ne soient extrêmement serrés. En effet, la vie politique se dépassionne, se « désidéologise » et le choix de l'électeur va tendre à se proter sur le candidat qui, tout simplement, lui « plaît » le plus. Je ne veux pas jouer les prophètes mais, dès lors, rien n'interdit de penser qu'un jour, à l'issue du second tour, seules cent voix sépareront les candidats.
Or, monsieur le ministre, lors de chaque élection présidentielle, le Conseil constitutionnel a annulé les résultats de deux, trois, quatre ou cinq bureaux de vote, soit parce que la fraude y est traditionnelle, soit parce qu'il s'y est produit une quelconque anomalie dans le déroulement des opérations de vote.
Que pourra faire le Conseil constitutionnel dans cette hypothèse-là. Inverser le résultat des élections serait évidemment terriblement mal ressenti. Il ne va pas proclamer élu l'un ou l'autre des candidats si l'annulation des résultats de ces quatre ou cinq bureaux de vote modifie le résultat d'ensemble. Dès lors, il va annuler l'élection présidentielle et déclarer qu'il faut organiser un nouveau scrutin.
Là encore, le calendrier qui nous est proposé ne tient pas la route puisque les élections législatives auront lieu à un moment où un Président de la République par intérim sera à la tête de l'Etat. Bien sûr, nous pouvons, ici, en éprouver une certaine fierté puisque le Président par intérim est nécessairement un des nôtres, mais il faut bien reconnaître que ce n'est pas l'idéal, pour la République, d'avoir à sa tête un Président par intérim alors que se déroulent des élections législatives.
Je crois avoir montré, dans cette première partie de mon intervention, en quoi cette proposition de loi organique est à la fois mal motivée et insuffisamment pensée.
Je souhaite maintenant expliquer en quoi ce texte, non seulement n'est pas conforme à la pratique constitutionnelle, mais déroge tant à l'esprit qu'à la lettre de la Constitution.
Je me suis demandé quels étaient les Etats qui, depuis 1945, avaient prolongé la durée d'une Assemblée parlementaire.
Certains Etats l'ont fait parce que le chef d'Etat a oublié de convoquer les électeurs. Ce fut le cas de Staline, par exemple. Ce fut également le cas du maréchal Kim Il Sung : à plusieurs reprises celui-ci a oublié de convoquer les électeurs et le peuple de Corée du Nord n'a pas pu s'exprimer non plus lorsqu'il a dû respecter les quatre années de deuil confucéen.
A Taïwan, après 1949, le maréchal Tchang Kai-shek a décidé de ne pas organiser d'élections tant que la Chine ne serait pas libérée. Cela pouvait durer longtemps ! Il a fallu que les Taïwanais imposent eux-mêmes un vote afin de remplacer progressivement une assemblée composée d'octogénaires désignés par une assemblée composée de personnes plus jeunes et élues par la population.
Le roi de Jordanie a fait de même lors de l'annexion de la Cisjordanie par Israël. Il a déclaré expressément qu'il n'y aurait pas d'élections dans son pays tant que n'aurait pas été restituée cette partie du royaume. Après cinq ou six ans, le roi de Jordanie a compris qu'il fallait renoncer à une telle résolution.
On ne peut pas dire que ces exemples de prolongation d'une assemblée parlementaire témoignent en faveur d'une telle opération, au regard de la faiblesse des bases démocratiques des pays que j'ai cités.
Qu'en est-il de l'expérience constitutionnelle française ?
Je constate d'abord que, au cours de notre histoire constitutionnelle, deux assemblées n'ont pas eu de durée de mandat.
Il s'agit, d'une part, des Etats généraux, transformés en Assemblée nationale, qui se sont séparés d'eux-mêmes en estimant que l'oeuvre législative accomplie permettait de mettre en place des institutions qui géreraient l'avenir. Ils se sont un peu trompés ! Chacun sait que la Constitution de 1791 n'a guère duré que ce que durent les roses.
Il s'agit, d'autre part, de l'Assemblée nationale qui a été élue en 1871. Elle avait deux missions. La première était de signer la paix avec la Prusse, ce qui a été fait en « deux coups de cuillère à pot » au mois de mars 1871. Personnellement, je le regrette parce que ce traité a été bâclé. C'est ce qui a abouti à la Commune de Paris, avec ses conséquences. Sa seconde mission était d'élaborer une Constitution. Là, les choses ont traîné jusqu'en 1875, lorsque, grâce à un député du Nord, Henri Wallon, a été véritablement instituée la IIIe République, à une voix de majorité.
Ces faits ne sont pas convaincants.
Quant aux précédents historiques de prolongation au sens strict, ils sont au nombre de trois.
Le premier, c'est celui de la Convention, théoriquement élue pour deux ans, mais qui s'est maintenue par décision du Comité de Salut public jusqu'à ce que les envahisseurs étrangers aient quitté le territoire national. Nous étions donc en guerre, et contre tous nos voisins : contre l'Autriche, contre les principautés italiennes, contre les principautés allemandes, qui voulaient restaurer la monarchie.
Les deux autres cas ont été cités de multiples fois.
En 1918, tout d'abord, nous étions presque à la fin de la guerre et il fallait permettre à tous les soldats - près de 2 millions ! - qui se trouvaient au front de réintégrer leur foyer pour pouvoir aller voter.
En 1940, l'Assemblée nationale élue en 1936 a décidé de prolonger son mandat de deux ans. En l'occurrence, c'était un peu court !
Dans ces trois cas, la prolongation de la durée du mandat de l'Assemblée nationale était légitime dans la mesure où, compte tenu de circonstances exceptionnelle - la guerre -, il y avait impossibilité absolue d'organiser des élections. Par conséquent, j'estime que la prolongation des mandats en 1793, en 1918 et en 1940 était juridiquement fondée.
Cela signifie que la pratique constitutionnelle ne nous donne pas d'exemple permettant de justifier la prolongation du mandat de l'Assemblée nationale qui nous est proposée.
Si l'on examine maintenant ce qui se passe chez nos partenaires de l'Union européenne, on ne voit aucun Parlement prolonger son mandat. Cela n'existe pas !
Autrement dit, ni en France ni à l'étranger, la pratique constitutionnelle ne vient appuyer cette proposition de loi organique.
Pour ce qui est de l'argument invoquant l'esprit de la Constitution, je dois dire qu'il faut faire preuve de beaucoup d'imagination pour y trouver dans la justification de l'inversion du calendrier.
Tout d'abord, il n'y a pas un esprit de la Constitution. Il y a la lettre et il y a la pratique : la pratique, je viens de vous l'indiquer, elle est contraire ; la lettre, nous le verrons tout à l'heure, elle est rigoureusement hostile à l'inversion du calendrier. Quant à l'esprit, il y en a eu plusieurs.
Il y a eu l'esprit initial, celui de 1958. Or, je vous le rappelle, en 1958, l'élection législative s'est déroulée quelques semaines avant l'élection présidentielle. Mais, il est vrai qu'il ne s'agissait pas d'une élection présidentielle au suffrage universel direct et qu'il fallait d'abord désigner les représentants du peuple français pour procéder à l'élection du chef de l'Etat. A l'époque, on disait bien que chaque élection était importante : l'une ne primait pas l'autre.
Le chef de l'Etat, quant à lui - le général de Gaulle - avait une conception simple, qui est celle que partage en réalité M. Raymond Barre. Il estimait qu'il était « le » responsable devant le peuple français et que tout vote qui dénoterait une censure à son égard justifierait son départ immédiat.
Le général de Gaulle n'aurait jamais accepté la cohabitation. Il aurait estimé que l'élection législative était un désaveu de son action, et il serait parti.
Le général de Gaulle, à chaque élection, remettait en cause son mandat et, dès lors, il n'y avait pas de problème de calendrier !
Le Président Georges Pompidou serait sans doute resté dans la même logique, bien qu'au moment des élections de 1973 il n'ait pas eu des paroles très nettes quant à son attitude si une majorité hostile avait gagné.
Pour le Président Giscard d'Estaing, les choses sont claires, il a dit qu'il accepterait n'importe quelle cohabitation, et il en a été de même de François Mitterrand et de Jacques Chirac.
Par conséquent, il n'y a pas un esprit de la Constitution qui obligerait à organiser telle élection avant telle autre. Je reprendrai sur ce point une phrase du Président Georges Pompidou déjà citée par l'un des orateurs : on ne peut pas toucher à la clé de voûte, parce que c'est elle qui tient le tout. Si l'on retire une pierre, l'édifice s'écroule ! De la même façon, on ne peut pas modifier le calendrier électoral sans remettre en cause tout l'édifice.
A cet égard, je salue notre collègue Pierre Fauchon, qui a dit tout au long de son exposé qu'il s'agissait non pas d'une simple proposition de loi mais d'une révision constitutionnelle, à laquelle nous procédions sans recourir à l'article 89 de la Constitution, c'est-à-dire en utilisant des voies tortueuses.
J'ai dit que l'esprit de la Constitution n'interdisait pas que les élections législatives se déroulent avant l'élection présidentielle. Si l'on se réfère aux précédents historiques de la Ve République, on constate d'ailleurs que les élections législatives ont la plupart du temps précédé l'élection présidentielle. Ainsi, l'élection présidentielle de 1969 avait été précédé par des élections législatives intervenues en 1968, soit un an auparavant. L'élection présidentielle de Valéry Giscard d'Estaing en 1974 avait été précédée par les législatives de 1973. L'élection présidentielle de François Mitterrand en 1981 avait été précédée par les législatives de 1978, sa réélection en 1988 par les législatives de 1986. Quant à l'élection présidentielle de Jacques Chirac en 1995, elle avait été précédée par les législatives de 1993. Dans tous les cas, ce sont donc les élections législatives qui ont précédé l'élection présidentielle, à un ou deux ans près.
J'en viens maintenant à la péroraison : il y a plus grave, la révision constitutionnelle qui nous est en réalité proposée est fondamentalement contraire à la Constitution, et j'attire d'ores et déjà l'attention du Conseil constitutionnel puisqu'il devra se prononcer sur la conformité à la Constitution de la loi organique.
Bien sûr, on nous a opposé les quatre décisions bien connues du Conseil constitutionnel, mais ces précédents concernait des élections municipales et départementales ou une élection dans un territoire d'outre-mer.
Je voudrais savoir depuis quand les conseillers municipaux, les conseillers généraux ou les conseillers territoriaux sont investis de la souveraineté nationale ! La souveraineté nationale, le Parlement en est le détenteur, le Président de la République le représentant. Ce ne sont pas les assemblées locales ! Dès lors, le Conseil constitutionnel a pu reconnaître que des raisons objectives acceptables justifiaient la modification des calendriers. Mais cette jurisprudence relative à des élections locales est totalement inapplicable à des élections nationales.
Ensuite - mais on l'a déjà trop dit - la présente proposition de loi constitue une remise en cause du droit de dissolution du chef de l'Etat. Modifiera-t-on le calendrier électoral à chaque dissolution de l'Assemblée nationale ? Nous l'avons dit et répété, la dissolution de l'Assemblée nationale est une prérogative du chef de l'Etat à laquelle on ne peut pas toucher sans remettre en cause tout l'édifice constitutionnel. C'est la raison pour laquelle le quinquennat, sur ce point, ne résout rien : il n'empêchera pas plus que le septennat les cohabitations.
D'ailleurs, que se passera-t-il si, en 2002, le Président de la République élu à quelques milliers ou centaines de milliers de voix de son challenger trouve face à lui une Assemblée nationale sans majorité ou avec une majorité relative ? Tôt ou tard, le Président de la République sera obligé de dissoudre cette assemblée, faute de quoi il ne pourra pas exercer son programme, il ne pourra pas l'incarner.
C'est la raison pour laquelle la saine proposition de notre rapporteur est la seule de nature à éviter tous ces carambolages, toutes ces atteintes à l'esprit de la Constitution, à sa lettre ou à la pratique constitutionnelle.
J'en reviens au plus important : la révision constitutionnelle rompt avec un principe démocratique essentiel. En effet, le député est le représentant du peuple. Il dispose d'un mandat qui lui a été confié par le peuple, et ce, pour une durée déterminée. Le peuple français a désigné ses députés pour une période de cinq ans, et non pas pour une période de cinq ans et deux mois ! (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Or, nous sommes en train de détourner le mandat dont disposent les députés, car en modifiant d'eux-mêmes la durée de celui-ci les députés le violent. Dans les pays où le cas est prévu, il existe une procédure : le rappel du député. Nous ne disposons pas de ce rappel, et c'est la raison pour laquelle je dirai - je ne vais pas être très gentil, monsieur le ministre - qu'il est hypocrite de la part du Gouvernement d'avoir utilisé une proposition de loi pour inverser le calendrier et porter ainsi atteinte au principe démocratique essentiel selon lequel on ne peut modifier la durée d'un mandat. (M. Del Picchia applaudit.)
Nous aurions pu accepter cette modification si elle avait fait l'objet d'un projet de loi. En effet, dans ce cas, le Parlement aurait eu le droit de proposer que la prolongation du mandat s'opère par la voie du référendum, alors que le simple fait d'utiliser une proposition de loi le lui interdit. Si un projet de loi avait été déposé, nous aurions demandé le référendum et alors l'équilibre démocratique aurait été rétabli ; le peuple français serait resté souverain et il aurait parfaitement pu accepter de renouveler sa confiance aux députés pour deux mois supplémentaires.
Or cela, vous ne l'avez pas fait et c'est, à mon avis, ce qui vicie l'ensemble du processus, de sorte que la proposition de loi organique dont nous discutons aujourd'hui n'est pas conforme à la Constitution de la République. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Philippe François. Très bien !
M. Georges Gruillot. Bravo ! Belle démonstration !
M. le président. Monsieur Gélard, vos cinquante et une minutes nous ont paru trop courtes !
M. Hilaire Flandre. C'est un hommage !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, M. Gélard a placé son intervention sous le signe du droit ; il a souhaité nous livrer une analyse juridiquement établie, tranchant un peu avec ce que M. Gerbaud appelait ce matin la litanie des interventions. Je souhaite comme lui éviter les arguments ressassés à l'extrême. (Protestations sur les travées du RPR.)
M. Jean-Pierre Schosteck. C'est toujours très désobligeant !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Cependant, son intervention ne m'a pas convaincu.
M. Hilaire Flandre. Cela ne nous surprend pas !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Elle ne m'a pas même ébranlé et je dirai même qu'elle a apporté des arguments en faveur de la proposition de loi que le Gouvernement a inscrite à l'ordre du jour.
M. Hilaire Flandre. Il faut être tordu !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Permettez-moi, monsieur Gélard, de reprendre vos différents arguments et de vous dire pourquoi ils me semblent renforcer la conviction du Gouvernement et celle des parlementaires qui ont déposé les propositions de loi à l'origine - j'y reviendrai - de la présente proposition de loi organique.
Tout d'abord, en ce qui concerne vos observations sur le respect de l'Etat de droit, je crois pouvoir affirmer que nous sommes tous attachés à celui-ci. A cet égard, vous avez évoqué Marx ; j'invoquerai pour ma part Montesquieu et, en tant que socialiste, Jaurès et Blum pour vous dire que, naturellement, nous sommes attachés à l'Etat de droit. Nous n'avons pas une conception marxiste des institutions, selon laquelle celles-ci seraient des superstructures dépendant de l'état des rapports de force ou de production dans la société.
Entendons-nous donc bien sur ce point. Faut-il, comme vous l'avez souhaité, faire évoluer les institutions à partir de réflexions des constitutionnalistes ? C'est probablement vrai, comme le montre l'expérience, de plus de quarante ans de la Ve République. Ainsi, le rapport Vedel, résultat des travaux d'une commission réunie à l'époque par le président François Mitterrand, a avancé des propositions intéressantes. En tant qu'ancien secrétaire d'Etat à l'outre-mer, j'ai pu constater, au moins sur ce point, l'intérêt qu'elles présentaient pour les évolutions juridiques possibles de l'outre-mer.
Cela méritait d'être relevé, et vous savez que nous avons dû réviser la Constitution pour la Nouvelle-Calédonie et que nous étions en train de le faire pour la Polynésie française.
Nous sommes donc bien dans un Etat de droit, soyez-en assuré. Il n'y a pas arbitraire, il n'y a ni écrasement par une majorité d'une opposition ni majorité qui dicte sa loi à l'ensemble du corps social et des citoyens.
Cela étant, je voudrais vous rappeler que M. Carcassonne, à l'intervention duquel je n'ai pas assisté, mais ses propos figurent dans le rapport, a dit, devant la commission des lois que le texte était à ses yeux « constitutionnellement » possible et institutionnellement indispensable.
J'en viens à vos arguments, monsieur le sénateur.
Le premier consiste à dire qu'il s'agit d'une proposition de loi « mal motivée » et « peu réfléchie ».
Vous avez essayé de nous démontrer qu'il y avait d'autres moyens de droit pour y parvenir. Vous en avez cité trois : la démission du Président de la République, une nouvelle dissolution, voire un référendum.
Permettez-moi de vous dire, monsieur Gélard, que vous avez fait la démonstration par l'absurde que nous avons employé non pas la seule voie de droit possible, mais la seule voie de droit crédible.
Qui peut penser que le Président de la République démissionne et installe le président du Sénat à l'Elysée ? Certes, il a la possibilité de le faire. En tout cas, c'est une voie de droit qui lui appartient, à lui seul.
S'agissant de la dissolution - je ne reviens pas sur l'expérience de 1997 - je suis d'accord avec votre interprétation par rapport à M. Maus. Le Président de la République, après avoir procédé aux consultations prévues, décide, et lui seul. Là encore, la dissolution relève de sa propre décision. Elle est simplement encadrée par des règles de consultations.
Quant au référendum, nous venons d'en connaître un. Ce référendum s'est fait sur la base d'un projet de loi constitutionnel, qui établissait le « quinquennat sec ».
M. Henri de Richemont. C'est dommage !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Tout le monde sait que le Président de la République ne souhaitait pas aller plus loin. Ce projet de loi aurait sûrement mérité, à l'époque, d'autres débats, plus amples. En tout cas, ils n'ont pas eu lieu de par la volonté du Président de la République, qui a été confirmée par le Premier ministre.
Le Conseil constitutionnel, qui sera conduit à trancher sur la présente proposition de loi, a toujours déclaré qu'il ne lui appartenait pas de rechercher si l'objectif que s'est assigné le législateur n'aurait pas pu être atteint par d'autres voies. Certes, il pourrait l'être par d'autres voies, mais reconnaissez qu'elles demanderaient chaque fois une initiative, extérieure au législateur, alors que, en l'occurrence, c'est le législateur qui prend lui-même la décision.
Vous estimez que cette décision devrait reposer sur le consensus. A cet égard, je ferai une observation. Qui a déposé les propositions de lois ? Qui s'est prononcé pour cette modification ou, plutôt, ce rétablissement du calendrier. Six propositions de loi ont été déposées : une des Radicaux de gauche, une du Mouvement des citoyens, deux d'origine socialiste, une de M. Barre, ancien Premier ministre, donc praticien éminent des institutions, et une de M. de Charette, qui n'est pas membre de la majorité gouvernementale,...
M. Henri de Richemont. On ne sait pas ! (Sourires.)
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. ... et qui s'inspirait de M. Giscard d'Estaing, ancien Président de la République, qui s'est prononcé dans ce sens. Je l'ai entendu à l'Assemblée nationale.
Donc, admettez aujourd'hui, monsieur Gélard, que ce n'est pas une majorité politique qui vise à imposer une telle modification. Si le consensus n'est pas total, le mouvement s'étend au-delà des frontières classiques entre la majorité et l'opposition,...
M. Hilaire Flandre. La IVe République !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. ... qui sont celles que connaît le Parlement actuel, au moins l'Assemblée nationale actuelle.
« Il n'y a pas les communistes », dites-vous. C'est vrai. Les communistes ont une lecture parlementaire des institutions. C'est leur droit.
Personnellement, ce qui m'étonne vraiment, monsieur Gélard, c'est que les gaullistes n'y soient pas ! C'est là en effet la grande surprise de ce débat.
M. Christian Bonnet, rapporteur. Ce n'est pas la seule !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. A cet égard, j'en appelle à la logique des institutions. Moi, je ne ferai pas parler le général de Gaulle.
M. Hilaire Flandre. Oh, non !
M. Jean-Pierre Schosteck. Surtout pas vous !
M. Jean-Philippe Lachenaud. Mitterrand !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. En effet, je crois que personne ne peut le faire parler. Cependant, il y a eu un acte politique : la révision constitutionnelle de 1962.
Monsieur Gélard vous avez appliqué l'expression « clé de voûte des institutions » au calendrier.
M. Jean-Pierre Schosteck. Ce n'est pas ce qu'il a dit !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. C'est là un cruel contresens pour un constitutionnaliste gaulliste... La clé de voûte des institutions, dans la lecture gaulliste des institutions, c'est le Président de la République, et non le calendrier. C'est ce que l'on m'a appris sur les bancs de la faculté de droit. Le calendrier, c'est un élément.
Monsieur Gélard, je n'adhère pas à cette analyse selon laquelle le Président de la République serait la clé de voûte des institutions. Je dis simplement que l'élection du Président de la République - et j'attends que vous me démentiez sur ce point - est l'acte majeur, déterminant de la vie politique française.
M. Christian Bonnet, rapporteur. Ultime !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Pourquoi est-ce l'acte majeur ? Parce que c'est à ce moment que se produit la rencontre du peuple avec un candidat qu'il se choisit. D'ailleurs, cela est d'autant plus démontré que, si vous regardez la participation électorale, vous constatez que c'est toujours lors de l'élection présidentielle qu'elle est la plus forte. Je crois que, ici, aucun sénateur gaulliste ne pourrait dire l'inverse. Donc, ce n'est pas une affaire de calendrier !
M. Patrice Gélard. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur le ministre ?
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Je vous en prie.
M. le président. La parole est à M. Gélard, avec l'autorisation de M. le ministre.
M. Patrice Gélard. Monsieur le ministre, je n'ai pas dit que le calendrier était la clé de voûte de nos institutions.
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Si, vous l'avez dit !
Mme Nelly Olin. Non !
M. Patrice Gélard. C'est le Président de la République qui est la clé de voûte de nos institutions !
Si on touche à l'édifice, d'une façon ou d'une autre, par des réformes telles que l'inversion du calendrier, on risque de détruire l'ensemble de l'édifice. En effet, la clé de voûte tient l'ensemble de l'édifice. Il suffit que l'on modifie une pierre pour que l'édifice s'écroule.
Mme Nelly Olin. C'est vrai !
M. Patrice Gélard. Or, c'est ce qui risque de se produire. En effet, on va remettre en cause, par l'inversion du calendrier, l'équilibre et la logique de l'ensemble de nos institutions.
En réalité, l'élection du Président de la République, c'est la phase ultime...
M. Christian Bonnet, rapporteur. Voilà !
M. Patrice Gélard. ... qui permet en réalité de terminer le processus du choix des électeurs, et non l'inverse.
M. Jean-Pierre Schosteck. C'est une révélation pour M. Queyranne !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Au moins ce débat pourra-t-il intéresser, je l'espère, les constitutionnalistes, puisque nous avons vu M. Gélard nous dire - je crois que c'est important - que l'élection du président de la République est le point ultime.
M. Christian Bonnet, rapporteur. Comme la clé de voûte en architecture !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Il est vrai qu'en 1958 il y avait deux lectures possibles et Michel Debré l'a très bien dit. Ces deux lectures, on les voit bien dans les travaux du comité consultatif constitutionnel. Il y avait une lecture que l'on peut qualifier de « parlementarisme rationalisé à l'anglaise », qui était portée par Michel Debré, Guy Mollet et d'autres. Il y avait une lecture de tendance « présidentialiste », qui était à l'époque justifiée par les événements d'Algérie et par la crise que connaissaient nos institutions,...
M. Christian Bonnet, rapporteur. Mais qui est contredite par les faits aujourd'hui !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. ... mais qui a été consolidée en 1962, monsieur Bonnet. C'est bien cela la lecture des institutions. On peut ensuite nous dire qu'il s'agit de présidentialisme majoritaire, d'un régime semi-présidentiel, d'une monarchie républicaine, etc. Heureusement, les constitutionnalistes trouvent chaque fois des formulations !
Il demeure que l'élection première de notre système politique, ou alors vous n'êtes plus gaullistes, c'est l'élection du Président de la République. C'est pour cela qu'il s'agit de mettre les élections dans l'ordre, et non pas dans le désordre sur lequel nos concitoyens... (Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.) J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt M. Gélard, permettez-moi de lui répondre, mesdames, messieurs les sénateurs.
Nos concitoyens, c'est vrai, ne se passionnent pas pour ce débat.
M. Hilaire Flandre. C'est le moins que l'on puisse dire !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Cependant, quand ils se trouveront, monsieur Gélard, l'année prochaine devant les scrutins, ils se poseront la question de l'ordre dans lequel ils doivent voter. La logique, pour nos compatriotes, c'est évidemment de voter d'abord pour le Président de la République et ensuite pour les députés, pour essayer de dégager une majorité législative. Cela me semble une logique cohérente.
M. Hilaire Flandre. Une logique socialiste !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Dans votre argumentation, monsieur Gélard, j'ai trouvé la preuve manifeste que nous allons dans le bon sens. En effet, vous nous dites qu'en 1995, quand nous avons instauré la session unique, nous aurions dû repousser les élections législatives. En septembre, avez-vous dit. Pourquoi pas ? Vous rappelez que si, dans la loi, aujourd'hui, l'élection de l'Assemblée nationale est prévue au mois de mars, c'est un héritage des deux sessions. Nous sommes bien d'accord. Ce calendrier était donc lié à l'existence de deux sessions. Permettez que les législatives interviennent en juin, afin qu'elles soient plus proches de l'élection présidentielle !
M. Jean-Pierre Schosteck. Il a donné des raisons !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. A défaut de choisir septembre, opter pour juin montre une cohérence de ce point de vue. Vous avez évoqué l'absence de motivation au sujet de l'étude d'impact. En l'occurrence, il s'agit de propositions de loi que le Gouvernement a accepté d'inscrire à l'ordre du jour, compte tenu du débat qui existait, au moins parmi les hommes politiques, les constitutionnalistes ou dans les médias. En matière d'initiative législative, on n'est pas toujours lié à une étude d'impact, sinon le législateur serait pieds et poings liés aux démarches des experts, qui pourraient, dans ce domaine, mener telle ou telle enquête.
Vous avez également dit, monsieur Gélard, que la Constitution ne prévoyait pas le cas de circonstances exceptionnelles, telles que le décès d'un candidat ou l'annulation de bureaux de vote au moment de l'élection présidentielle. Cette position n'a aucun rapport, si ce n'est indirect, avec le calendrier. Il est vrai que les Etats-Unis ont connu une situation pour le moins particulière. La Constitution prévoit de nombreux cas mais il peut se produire des circonstances exceptionnelles imprévisibles, telles qu'un drame national. Bien évidemment, tout ne peut être prévu à cet égard.
M. Jean-Pierre Schosteck. Il n'a pas d'argument !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Le Conseil constitutionnel sera appelé, en tant que juge du résultat mais aussi de l'organisation des élections, à apprécier ces circonstances exceptionnelles.
J'en viens à votre deuxième point. Cette proposition de loi organique n'est pas, dites-vous, conforme à la règle et à l'esprit de la Constitution. Je ne chercherai pas d'exemples de pays exotiques ou dans lesquels le Parlement n'est qu'une apparence. Dans notre histoire constitutionnelle, rien n'indique que l'assemblée élue ne puisse aller au terme de son mandat. L'article 25 de la Constitution dispose : « Une loi organique fixe la durée des pouvoirs de chaque assemblée, le nombre de ses membres... » La durée du mandat, vous l'avez souligné, monsieur Gélard, est de cinq ans,...
M. Patrice Gélard. Il s'achève en avril !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. ...le terme étant en mars selon la législation actuelle. Admettez tout de même qu'en prolongeant ses pouvoirs par un vote l'Assemblée nationale - donc le Parlement - effectuera un mandat complet, pas plus mais pas moins. Je vous le concède, ce n'était pas prévu en 1997, au moment où les électeurs ont été appelés à voter. Mais rappelez-vous que la dissolution est intervenue très rapidement.
Mme Nelly Olin. Comme toute dissolution !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Elle a tellement surpris les parlementaires, ils ont enregistré une telle défaite qu'ils n'ont pas pensé à la question du terme du mandat de l'Assemblée nationale. Mais nous sommes bien face à un mandat de cinq ans. Je tiens à vous le préciser.
Vous avez égrené les différentes élections qui se sont succédé. Si M. de La Palice siégeait au Sénat, il pourrait dire : il y a toujours une élection avant une autre,...
M. Patrice Gélard. Nous sommes tout à fait d'accord !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. ...sauf à arrêter les horloges, ce que personne ne souhaite ici. Par conséquent, interviendront toujours des élections législatives avant une élection présidentielle et une élection présidentielle avant des élections législatives.
M. Jean-Pierre Schosteck. Et alors ?
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Il n'y a pas de démonstration.
Quand le délai est d'un an, comme en 1973, il est déconnecté de l'élection. Mais, vous le savez bien, le Conseil constitutionnel l'a dit, si les élections législatives avaient lieu au mois de février 2002 se poseraient immédiatement des problèmes d'organisation de l'élection présidentielle,...
M. Patrice Gélard. Non !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. ...en particulier en ce qui concerne le parrainage. Vous le savez, les délais seraient trop courts.
M. Patrice Gélard. M. le rapporteur a démontré le contraire !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Il y a toujours, dans ce cadre, une élection avant une autre.
M. Hilaire Flandre. C'est ridicule !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Le vrai problème posé par le télescopage de ces deux élections dans un délai court tient à la logique institutionnelle.
M. Hilaire Flandre. Non ! Pas pour les candidats !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Je regrette, monsieur le doyen Gélard, que, dans votre intervention à la tribune, vous ne soyez pas entré dans la logique institutionnelle qui aurait pu être la vôtre, et qui aurait pu être une lecture de la Constitution ; certes, vous venez de nous la livrer, en réponse à mon propos, en disant que l'élection présidentielle couronne le tout, c'est-à-dire qu'elle vient à la fin d'un processus.
Pour ma part, je ne partage pas ce point de vue ; je suis plutôt dans la lecture des institutions de 1958, revues en 1962. Vous le voyez, les bons défenseurs ne sont peut-être pas là où on les attend toujours !
Quant aux décisions du Conseil constitutionnel, il est vrai que, jusqu'à présent, elles portent sur des élections qui sont non pas nationales, mais locales. Il y a tout de même là des indications, une jurisprudence établissant le caractère exceptionnel et transitoire. Et c'est bien ce qui est vu à travers cette proposition de loi pour les élections qui nous occupent.
Oui - et j'en termine ainsi sur votre péroraison - il s'agit non pas de priver le peuple de ce qu'il a décidé, mais bien de permettre que cette assemblée soit élue pour cinq ans et qu'elle aille au terme de son mandat, à quelques jours près, au mois de juin. Elle a pris ses fonctions le 2 juin 1997 ; elle les terminera courant juin 2002 : nous sommes bien dans cette logique-là. J'ai très confiance de ce point de vue, et je crois, avec M. Carcassonne, que, constitutionnellement, il n'y a pas de reproche à faire à cette proposition de loi.
Je regrette simplement que les arguments intéressants que vous avez avancés dans ce débat ne soient pas développés par d'autres. Cela permettrait d'aller au fond de cette discussion et, par là, de montrer peut-être aussi que le Sénat fait oeuvre utile en matière législative.
Maintenant, chacun peut conserver son opinion dans ce domaine. Je dirai simplement, pour terminer, que les experts électoraux que vous êtes tous savent bien que ce n'est pas en fixant la date d'une élection que l'on est sûr de l'emporter ! (Vives exclamations sur les travées du RPR.)
M. Alain Gournac. Pourquoi alors la changer ?
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Voyez le précédent de 1997 ! Donc, cela s'applique à tout le monde. C'est bien évident sur ce plan-là. Simplement, nous respectons les institutions, et ce - permettez-moi de vous le dire - peut-être plus que vous ne le faites dans votre interprétation, monsieur le doyen !
M. Hilaire Flandre. Pourquoi ne laissez-vous pas les électeurs décider ?
M. Alain Gournac. Il ne faut pas prendre les électeurs pour des imbéciles !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Votre intervention, qui était construite et, ainsi que vous l'avez indiqué, n'était pas polémique, méritait une réponse au fond. J'ai donc essayé de vous répondre avec vivacité, mais sans polémique inutile.
M. Michel Pelchat. Nous allons faire comprendre au peuple français que c'est une magouille !
M. Christian Bonnet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Bonnet, rapporteur. Mes études de droit romain et de droit public sont hélas ! si lointaines, que, après l'intervention d'un constitutionnaliste, je préfère m'exprimer en paysan - je suis en effet d'origine terrienne - et m'aventurer sur un terrain solide : celui des constatations.
On a parlé de lecture - moi-même j'ai abordé ce point -, et d'interprétation. En cet instant, je ferai une constatation : quelle est l'élection première ? N'est-ce pas celle à partir de laquelle est constitué un gouvernement qui fait ce qu'il veut, quoi qu'en pense un président de la République ?
MM. Alain Gournac et Michel Pelchat. Bravo !
M. Christian Bonnet, rapporteur. Telle est la constatation que je fais ! Le Président Mitterrand n'a jamais pu empêcher les privatisations, oeuvres des gouvernements dits « de droite » qui marquaient une rupture avec la majorité favorable au Président.
De la même façon, aujourd'hui, le Président Chirac n'a pas pu empêcher l'adoption de telle ou telle loi dans la mesure où il ne pouvait rien contre la majorité de l'Assemblée nationale issue de l'élection première face à laquelle nous nous trouvons. Elle est première aujourd'hui, et elle se trouve être la première dans le temps. Dès lors, pourquoi changer puisque, à partir d'une simple constatation, on s'aperçoit que c'est bien elle, qu'on le veuille ou non, qui est l'élection majeure sur le plan des possibilités données à un gouvernement d'agir comme il le veut ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Gournac.
M. Alain Gournac. Monsieur le ministre, si je suis à cette tribune en cet instant, c'est un peu à cause de vous, ou grâce à vous !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Ah bon ?
M. Alain Gournac. J'ai en effet entendu et suivi avec beaucoup d'intérêt l'ensemble du débat, qui était de qualité. Il ne faut jamais refuser le débat, monsieur le ministre, car c'est toujours très intéressant !
Et puis, j'ai eu connaissance d'une dépêche de l'AFP : « Le ministre des relations avec le Parlement ironise mercredi sur une petite troupe... ». J'ai donc tout de suite voulu faire partie de la petite troupe ! (Sourires.) . En effet, mes chers collègues, les petites troupes, dans l'histoire,...
Mme Nelly Olin. ... ont livré de grandes batailles !
M. Alain Gournac. ... ont empêché beaucoup d'erreurs politiques, parfois même au sein de nos assemblées.
Dans ces conditions, je me suis dit, monsieur le ministre, qu'il était impossible que je reste passif à écouter mes collègues et qu'il fallait que j'intervienne, ce que je fais ! Je suis désolé, monsieur le ministre, mais il va vous falloir entendre ma litanie ! (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Je suis là !
M. Jean-Pierre Schosteck. Ecouter sans mépriser !
M. Alain Gournac. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quand le Président de la République souhaite une année utile à la France et aux Français, le Premier ministre entend « utile au parti socialiste. » (Rires sur certaines travées du RPR.)
Voilà, mes chers collègues, la raison pour laquelle le Parlement inaugure l'année 2001 en travaillant sur le calendrier électoral ! « Charité bien ordonnée commence par soi-même », murmure-t-on à l'oreille du Premier ministre. Travailler pour la France ? Certes. Mais d'abord pour soi !
« Comment se maintenir au pouvoir ? » C'est là une question autrement plus intéressante que de savoir, par exemple, comment nos emplois-jeunes vont pouvoir être maintenus dans le monde du travail.
Quand on demande au Gouvernement - c'était en octobre dernier, je crois - ce que deviennent les emplois-jeunes au bout de cinq ans, on a la réponse trois mois après avec une proposition de loi organique modifiant la date d'expiration, cinq ans après,... des pouvoirs de l'Assemblée nationale !
Là aussi, comme lors des voeux du Président de la République, lorsque l'on dit « avenir des emplois-jeunes », le Gouvernement, préoccupé de l'intérêt général, entend « avenir des socialistes » !
Telle est la raison, mes chers collègues, pour laquelle le Parlement inaugure l'année 2001 en travaillant sur le calendrier électoral.
M. Christian Demuynck. C'est le nouvel an chinois !
M. Alain Gournac. Quand on alerte le Gouvernement sur les pénuries de main-d'oeuvre et qu'on lui suggère certaines adaptations de la loi des 35 heures, en particulier dans les petites et moyennes entreprises, il adopte la même attitude et fait preuve de la même surdité : il entend « modification de la loi électorale ».
Peu importe que nos PME aient des difficultés à embaucher ! Il est tellement plus important pour les élus socialistes de limiter autant que faire se peut les risques de mises à pied en 2002, puisque telles sont leurs craintes !
« Charité bien ordonnée commence par soi-même », disais-je. Ne nous étonnons alors pas, mes chers collègues, que nos concitoyens, devant autant de vertu proclamée, boudent les urnes !
Autrefois, tout le monde ou presque s'appelait « camarade » ; c'était l'appellation consacrée, affectueuse et partisane. Aujourd'hui, cela fait plutôt ringard !
Aujourd'hui, « camarade » a été remplacé par « citoyen ». Certes, on ne va pas jusqu'à s'interpeller : « citoyen Untel » ! Les temps ont changé, et la communication a pris le pas sur le courage.
On ne s'appelle pas « citoyen », mais on a tout du citoyen : on a l'attitude citoyenne, on a l'engagement citoyen, on a le vivre ensemble citoyen, on a l'implication citoyenne,...
M. Christian Bonnet, rapporteur. On a le chien citoyen !
M. Alain Gournac. Mais oui, tout à fait ! On a les rencontres ou les journées citoyennes, on a la République citoyenne, la solidarité citoyenne, les valeurs citoyennes, l'éducation citoyenne, la responsabilité citoyenne, l'information citoyenne, la vigilance citoyenne, on a aussi le choix citoyen, le devoir citoyen, la déontologie citoyenne, l'effort citoyen, la politique citoyenne. L'espace est devenu citoyen, l'avenir même est citoyen. Il y a également des démissions citoyennes, des décisions citoyennes, des dialogues et des débats citoyens.
Tout est devenu citoyen dans la bouche citoyenne des politiques, sauf, mes chers collègues,... sauf l'abstention ! Le vote blanc est encore citoyen, mais l'abstention ne l'est pas. L'abstention est la seule chose qui ne soit pas citoyenne,... quoiqu'il faille, depuis quelque temps, distinguer l'abstention active de l'abstention passive. La première serait citoyenne, mais pas la seconde. Et encore, concernant la première, cela dépendrait à coup sûr de qui la prône.
« N'écoutez pas ce que je dis, regardez ce que je fais ! », professait Bergson.
Si nombre de politiques voulaient entendre cette phrase et la mettre en pratique, nos concitoyens ne se détourneraient pas autant de la chose publique.
Et si, en l'occurrence, le Premier ministre ne donnait pas le mauvais exemple, peu citoyen, avec ce texte sur le calendrier, ce n'en serait que mieux pour le pays tout entier, car les Français attendent tout autre chose.
J'ai évoqué les emplois-jeunes, car je m'en suis un peu occupé. J'ai évoqué également les pénuries d'emplois et le silence obstiné du Gouvernement en réponse à nos interrogations ; mais il y a d'autres sujets de grande préoccupation.
Quid de l'avenir de notre système de retraite pour lequel aucune solution durable n'a été trouvée ?
Quid de la nécessité de refondre notre fiscalité inadaptée, pesante et tellement dissuasive pour l'initiative ?
Quid de la réforme de l'Etat qui permettrait à l'administration de notre pays de retrouver souplesse et vigueur ?
Quid du devenir de notre système éducatif dont la question n'est pas tant celle de son poids que celle de sa place dans notre société ?
Quid, monsieur le ministre, de l'insécurité, cette insécurité dont vous découvrez un peu tard la réalité et qui n'était, pour vous, qu'un thème de la droite ? Mais, monsieur le ministre, c'était un thème de la droite parce que c'était la réalité au quotidien des Français dans leur ville, sur leur lieu de travail et dans leurs déplacements.
Comment se fait-il que cela devienne aussi un thème de la gauche ? Serait-ce le thème d'une gauche aux abois ? Non, pas du tout ! C'est le thème d'une gauche en retard de quelques trains électoraux, d'une gauche prenant conscience de sa bévue idéologique d'hier et qui s'inquiète sincèrement de ce qui se passe dans nos banlieues, dans nos campagnes, dans nos écoles, jusque dans nos hôpitaux, et qui n'épargne personne, comme vous le savez, monsieur le ministre.
A ce propos, je voudrais m'interrompre un instant et ouvrir une parenthèse. Je ne sais pas si tous mes collègues sont au courant, mais un grand responsable de ce pays s'est fait détrousser un soir, à Paris, dans un restaurant où il dînait avec deux amis. Deux personnes très sympathiques sont entrées dans ce restaurant et se sont dirigées vers cette grande personnalité, qui a été totalement détroussée : on lui a volé son téléphone portable, sa montre, son portefeuille... Cela permet au moins de se rendre compte de la réalité des choses : ce n'est pas simplement certaines banlieues qui sont concernées ; l'insécurité est partout, aujourd'hui.
M. Christian Demuynck. Eh oui !
M. Christian Bonnet, rapporteur. C'est vrai !
M. Alain Gournac. On essaie de nous faire croire que l'insécurité se limite à certains endroits, mais elle est partout, et ce n'est pas mon éminente collègue Nelly Olin, qui se bat dans une ville difficile et qui vient de vivre un drame dans son département qui me démentira !
Quant à nos services de police, de sécurité, non seulement ils sont confrontés à une pénurie de moyens, mais encore ils ont le moral au plus bas.
Alors, monsieur le ministre, pourquoi autant de discours ? Pourquoi autant de longs discours ? Pourquoi autant de sénateurs inscrits dans cette discussion générale ?
Vous avez parlé d'une « petite troupe » du RPR. J'ai tout de même relevé que les membres de notre groupe n'étaient pas les seuls à s'exprimer, à moins qu'il n'y ait eu de nouvelles et récentes adhésions dont on ne m'aurait pas prévenu ! (Sourires sur les travées du RPR.)
Pourquoi autant de sénateurs pour dire, heure après heure, jour après jour, que l'urgence est ailleurs ? Pourquoi autant de sénateurs pour dire que les Français attendent autre chose ?
Parce qu'il ne faut pas compter sur le Sénat pour se taire et faire comme si de rien n'était. D'autant que le président de l'Assemblée nationale a quelque peu provoqué la Haute Assemblée et les Français (Oui ! sur les travées du RPR) en déclarant, comme l'a rappelé notre rapporteur, que celle-ci aurait « quelque audace à retenir un texte qui ne la concerne pas directement. » J'ose le dire, c'est scandaleux !
Mme Nelly Olin. Oui, scandaleux !
M. Alain Gournac. Il n'y a pas d'autre mot ! Nous sommes le Parlement et aucune différence ne doit être faite entre les deux chambres, même s'il est vrai que l'Assemblée nationale a le dernier mot.
Sans doute le président de l'Assemblée nationale voulait-il dire que ce texte ne concernait ni les sénateurs ni les Français, mais uniquement les députés socialistes.
D'où l'urgence, d'où la priorité accordée aux convenances électorales plutôt qu'à ce qui préoccupe les Français, d'où le revirement du Premier ministre devant le congrès du parti socialiste au journal de 20 heures.
Invité le 19 octobre dernier au journal de 20 heures - on l'a déjà dit, mais je le répète -, le Premier ministre annonce qu'il ne proposera pas de réforme du calendier électoral : « Toute initiative de ma part serait interprétée de façon étroitement politique, voire politicienne » - Eh oui ! « Moi, j'en resterai là, et il faudrait vraiment qu'un consensus s'exprime pour que des initiatives puissent être prises. »
« De ma part », « moi », « je » ! Au Sénat, c'est « nous », et nous sommes nombreux, ce qui montre que, dans le pays comme dans la classe politique, il n'y a pas plus de consensus aujourd'hui qu'il n'y en avait en octobre dernier. Il n'y a pas de consensus non seulement parmi la gauche plurielle mais encore dans toute la classe politique, j'y insiste.
Le Premier ministre est-il dans son rôle quand il divise les uns et les autres, dans son camp comme dans l'autre, sur la question de l'avenir de nos institutions ?
On peut débattre à l'infini et faire se battre les montagnes, entendez les constitutionnalistes, qui sont finalement, en quelque sorte, les merveilleux talmudistes de notre loi fondamentale.
N'étant pas sûr de rassembler demain, le Premier ministre estime, curieusement, que diviser aujourd'hui pourrait être la bonne méthode.
Pourquoi donc a-t-il fait volte-face en décembre dernier ? Pourquoi a-t-il annoncé devant le congrès du parti socialiste son intention de défendre un texte inversant le calendrier et prolongant la durée du mandat des députés, et ce à un an à peine du scrutin ?
Pourquoi, par ailleurs, recourir, à ce procédé consistant à passer par l'initiative parlementaire ? Pourquoi cette gêne à appeler les choses par leur nom ? Pourquoi cacher sous un habillage verbal cette prolongation du mandat que s'octroient tout à fait arbitrairement les députés ?
Notre collègue Serge Vinçon, citant M. Gélard, que je veux féliciter de son propos, l'a rappelé : les seuls précédents historiques de la prolongation de la durée du mandat de député sont au nombre de quatre et ont, à chaque fois, été liés à la guerre. Monsieur le ministre, que je sache - j'ai bien vérifié (Sourires) - nous ne sommes pas en guerre !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Heureusement ! (Sourires.)
M. Alain Gournac. Heureusement, bien sûr !
La Convention, qui avait été élue pour un an, a prolongée son existence pendant quatre ans, la France étant en guerre avec les pays voisins ligués contre nos armées révolutionnaires.
L'Assemblée nationale élue en 1871 pour négocier la paix et élaborer une constitution pour notre pays est restée en place quatre ans.
La Chambre des députés élue en 1914 s'est maintenue jusqu'à la fin de la guerre pour des raisons d'union nationale imposée par les événements.
Enfin, la Chambre des députés du Front populaire s'est prolongée de deux ans à cause de la déclaration de guerre et de l'occupation d'une partie du territoire national par des forces ennemies.
C'est donc bien dans des situations tout à fait exceptionnelles que sont intervenues ces prolongations du mandat des députés.
Quelle crise, aujourd'hui, justifie pareille modification ? Aucune, si ce n'est une crise de confiance du Premier ministre et des siens en leurs propres chances.
Mais sur quoi doit-on s'interroger ? Sur la modification du calendrier ou sur le revirement du Premier ministre ?
Certains ont voulu comparer ce revirement à un autre. Mais comparaison n'est pas raison, et il serait fort difficile de montrer une similitude dans les motivations ayant présidé à ces changements.
Pourquoi - question lancinante ! - une telle volte-face en l'espace de cinq semaines ? Pourquoi cette volonté soudaine de modifier le calendrier électoral, alors qu'il n'y avait pas plus de consensus en novembre qu'en octobre ?
Seraient-ce les sondages d'un jour qui commanderaient que l'on retouche la règle commune ? Seraient-ce les commentaires des analystes politiques qui inciteraient les députés à s'octroyer le droit de modifier la loi électorale ?
Pourquoi non pas cette erreur, puisque ce sont les urnes qui détiennent la vérité, mais cette faute ? Pourquoi cette main tendue vers le fruit défendu ? Que la tentation est forte ! Le revirement est une hésitation qui tourne mal.
Daniel Cohn-Bendit. (Exclamations sur les travées du RPR)...
Oui, mes chers collègues, je cite Daniel Cohn-Bendit. J'ai de bonnes lectures, j'écoute la radio, je regarde la télévision.
Daniel Cohn-Bendit, disais-je, avait moins de retenue lorsqu'il déclarait : « Je suis pour l'inversion du calendrier parce que je veux que Lionel Jospin gagne la présidentielle ». Au moins, lui, est clair. (Rires sur les travées du RPR.) Qu'on l'apprécie ou non, il faut reconnaître qu'il dit ce qu'il en est, et il faut lui en rendre hommage.
Daniel Cohn-Bendit dit-il ce qu'il pense ? Je dirai plutôt qu'il dit ce qu'il est, car, souvenez-vous, aux européennes avec quelle fougue il demandait un grand débat démocratique qui lui semblait - c'était tout à son honneur - le chemin normal de Strasbourg !
Aujourd'hui, il souhaite, pour Lionel Jospin, un chemin plus court : le changement de la règle du jeu. Il sait, en même temps, qu'il ne fait que flatter un travers gouvernemental des socialistes, un goût particulièrement prononcé pour la tactique électorale : élections régionales, élections sénatoriales, système électoral des agglomérations et des assemblées départementales !
Comment se maintenir quand le verbe s'use si vite ? Comment conquérir quand l'art de persuader, au fil des ans, vous trahit ?
Sur les six propositions de loi organique qui avaient été déposées, trois visaient à reporter du premier mardi d'avril au 15 juin la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale. Les trois autres avaient un objet quelque peu différent, l'une d'elles proposant même un couplage des élections présidentielle et législatives.
La proposition de loi organique résultant des travaux de l'Assemblée nationale reporte, dans son article 1er, la date d'expiration des mandats des députés du premier mardi d'avril au troisième mardi de juin. L'article 2, quant à lui, prévoit l'application de cette disposition à l'assemblée élue en 1997.
Talleyrand disait à peu près ceci : « La parole a été donnée à l'homme pour qu'il cache ce qu'il pense ». Le titre de la proposition de loi organique soumise à notre examen en est une magnifique, ou déplorable, illustration.
Si l'on veut reporter les élections législatives de telle façon que l'élection présidentielle puisse avoir lieu avant, alors mentionnons-le clairement dans le titre de la proposition de loi organique et amendons le texte en conséquence, afin de garantir la réalité de cet objectif !
Ce qui est parfaitement étonnant, c'est de dénoncer le hasard à l'origine du calendrier actuel et de ne pas, au nom d'une prétendue logique institutionnelle, instaurer dans le texte proposé un dispositif empêchant toute modification hasardeuse du calendrier.
On voit bien en filigrane, dans cette incohérence, l'intention opportuniste, le petit calcul électoral, l'inquiétude qu'alimentent les sondages. On voit le peu de confiance dans la souveraineté populaire, et peut-être le doute quant à ses propres mérites.
Par ailleurs, la méthode utilisée pour faire passer la réforme n'est pas acceptable, et le procédé est peu élégant.
En procédant ainsi, le Premier ministre se dispense de l'avis du Conseil d'Etat, qui aurait été sollicité s'il s'était agi d'un projet de loi organique.
La loi électorale gêne le Gouvernement, le Sénat est une anomalie, le Conseil constitutionnel est critiqué et, maintenant, le Conseil d'Etat est évité !
Mais ce qui est plus inquiétant, c'est la volonté du Gouvernement de se passer du contreseing du Président de la République, qui est à tout le moins - quelle que soit la mauvaise foi déployée par les initiateurs du texte - concerné par le calendrier, c'est le moins que l'on puisse dire !
La moindre des élégances eût été de passer par un projet de loi organique, qui, examiné en conseil des ministres, aurait pu faire l'objet des observations et des réserves du chef de l'Etat.
Que signifient tous ces manques de considération à l'égard de nos institutions ?
Que signifie, au juste, cette confusion entre les institutions et les hommes qui y travaillent, entre les fonctions et les hommes qui en ont la charge ?
Monsieur le ministre, pensez-vous que ces critiques répétées de votre Gouvernement, que cette désinvolture du propos et de l'attitude à l'égard de nos institutions soient un bon exemple, un exemple « citoyen » pour notre jeunesse, que vous appelez à toujours plus de citoyenneté ?
Quand souvent les repères lui font défaut, pensez-vous qu'il soit opportun et responsable de jouer avec la règle commune, de sans cesse attaquer nos institutions ?
Songez à l'école, à la difficulté de plus en plus grande de faire comprendre aux enfants la nécessité de respecter la règle et le bien commun !
On doit un constant respect aux intitutions, qu'elles aillent dans le sens qui nous convient ou en sens inverse.
Ce n'est pas la première fois que notre Haute Assemblée déplore ces manquements ; il me souvient d'une séance de questions d'actualité au Gouvernement où nous avions déjà dénoncé une étrange appréciation d'un membre de votre gouvernement à la suite d'une décision de justice.
Le respect de nos institutions et de la loi électorale est le seul chemin à emprunter en démocratie, et le mieux est de l'emprunter franchement, en marchant au milieu !
Loin de moi, l'idée de contester à quiconque d'avoir sa lecture de la Constitution. Ce serait croire, comme l'écrit le professeur Pierre Avril qu'« un texte aurait normalement un sens vrai, et un seul, indépendamment de la lecture qui en est faite, que ce sens préexisterait à l'application, et que la mission des pouvoirs publics se bornerait à appliquer purement et simplement les dispositions qu'il contient, sauf à interpréter celles qui seraient obscures ».
L'interprétation se réduirait, alors, à une activité intellectuelle, par laquelle « on amènerait au jour des vérités certaines, évidentes, mais qui étaient déjà données - exactement comme l'archéologue ne peut pas trouver, dans le sol de la Grèce, d'autres vases ou statues que ceux qui y étaient lorsqu'il entreprend ses fouilles. »
La théorie moderne de l'interprétation affirme, au contraire, que tout texte comporte virtuellement une pluralité de significations et que ce sont les autorités chargées de l'appliquer qui déterminent celle de ces significations qui sera le droit positif ; l'interprétation juridique est aussi et d'abord un acte de volonté par lequel l'interprète autorisé choisit un sens entre ceux que le texte contient.
Mais, cela étant dit, toutes les lectures n'ont ni même authenticité ni même autorité.
Le Conseil constitutionnel est - je cite toujours Pierre Avril - sans conteste, l'interprète authentique de la Constitution, sinon de toute la Constitution.
Sa compétence est une compétence d'attribution qui ne concerne que la conformité à la Constitution des lois organiques et des règlements des assemblées parlementaires et, sur saisine facultative, celle des lois ordinaires ainsi que la compatibilité des traités et la protection du domaine règlementaire.
En revanche, il n'a pas à connaître des rapports entre les pouvoirs publics, qui relèvent de la seule responsabilité politique.
Mais, dans les limites de cette compétence, il répond à la définition de l'interprète authentique que donne Michel Troper dans son livre Pour une théorie juridique de l'Etat .
En premier lieu, il statue sans appel et souverainement : ses décisions « ne sont susceptibles d'aucun recours. Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ».
En second lieu, il énonce des normes générales, ainsi qu'il l'a lui-même précisé : l'autorité des décisions visées à l'article 62, alinéa 2, de la Constitution « s'attache non seulement à leur dispositif, mais aussi aux motifs qui en sont le soutien nécessaire et en constituent le fondement même. »
Si le Conseil constitutionnel est le détenteur de l'interprétation authentique, le Président de la République est, quant à lui, le détenteur de l'interprétation autorisée.
Cette distinction est d'une extrême importance.
Le chef de l'Etat peut aussi interpréter la Constitution, mais il ne le peut, estime Jean Massot, cité par Pierre Avril, « qu'en tant qu'acteur de la vie publique », tout en convenant que « sa mission d'arbitre du fonctionnement régulier des pouvoirs publics lui fournit de nombreuses occasions d'une telle interprétation in concreto ».
Il ne s'agit donc plus ici d'interprétations de même nature que celles auxquelles procède le Conseil constitutionnel lorsque, en déterminant la signification d'une disposition, il dit « le droit de la Constitution », parce que le Président de la République n'est pas habilité à énoncer des normes générales dotées de cette autorité.
En revanche, à l'occasion des décisions par lesquelles il fait application de ses pouvoirs, il est conduit, implicitement ou explicitement, à les interpréter préalablement. Il s'agit alors de « normes particulières » ou d'« interprétations circonstancielles » dont l'autorité juridique est limitée à la décision que sous-tend cette interprétation.
A travers les précédents qui en résultent et la pratique qu'ils instituent, de telles interprétations définissent cependant la Constitution autant sinon plus que les interprétations authentiques du Conseil constitutionnel.
La décision par laquelle le général de Gaulle refusa, le 18 mars 1960, la convocation d'une session extraordinaire, en offre un exemple, à la fois par l'argumentation qui la sous-tendait et par la postérité qu'elle a eue.
Tout cela est bien connu.
Autrement dit, le sens vivant de la Constitution se trouve à la croisée de l'interprétation théorique du Conseil constitutionnel et de l'interprétation pratique - ou politique, au sens le plus noble qui soit - du chef de l'Etat.
Mais ne changeons pas le vocabulaire précis et éclairant : d'un côté donc, l'interprétation authentique du Conseil constitutionnel, de l'autre - ce qui ne signifie pas à l'opposé - l'interprétation autorisée du chef de l'Etat. C'est pourquoi nos éminents collègues, notamment MM. Jean-Pierre Raffarin et Philippe Marini, ont eu raison de rappeler avec vigueur, chacun à leur manière, que, sous la Ve République, le chef de l'Etat est en charge de l'essentiel. Or le Conseil constitutionnel, dans les observations qu'il a formulées le 23 juillet 2000, n'a jamais, jamais, évoqué l'ordre du calendrier.
Quant au Président de la République, le procédé de la loi organique, en dispensant le texte du passage en conseil des ministres, a révélé une intention scandaleuse et, au fond, anticonstitutionnelle d'éviter son avis « au-to-ri-sé ».
Revenons sur les observations du Conseil constitutionnel. Elles concernaient, comme l'a fort bien rappelé notre excellent rapporteur, les mesures d'organisation des opérations électorales, la présentation des candidats, le déroulement de la campagne électorale et les comptes de campagne. Toutefois, la première de ses observations concerne la date des scrutins prévus en 2002, c'est-à-dire le délai les séparant et non pas leur ordre de succession.
« Pour des raisons de principe autant que pour des motifs pratiques, il importe que les citoyens habilités à présenter les candidats en application de l'article 3 de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 puissent le faire » - j'insiste : puissent le faire - « après avoir pris connaissance des résultats de l'élection à l'Assemblée nationale. Le deuxième tour de cette élection devrait donc avoir eu lieu lorsque s'ouvrira la période de recueil des présentations par le Conseil constitutionnel. »
Ayant rappelé l'ensemble des règles permettant de comprendre cette recommandation, notre rapporteur en a conclu que les élections législatives pourraient être organisées le 3 février et le 31 mars, l'élection présidentielle pouvant être organisée, elle, les 14 et 28 avril ou les 21 avril et 5 mai.
Il a, par ailleurs, démontré de manière irréfutable que les arguments tant du ministre de l'intérieur que du rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale ne « tenaient pas la route » et que la sage recommandation du Conseil constitutionnel pouvait donc être mise en oeuvre sans bouleverser l'ordre d'organisation des consultations électorales.
C'est pourquoi la commission des lois de la Haute Assemblée a tout simplement proposé un amendement visant à faire prendre pleinement en considération la recommandation du Conseil constitutionnel relative à l'organisation des parrainages, et c'est bien normal !
Mais chacun sait que le fond de l'affaire est ailleurs. En effet, il ressort des débats de l'Assemblée nationale que la principale justification de la proposition de loi organique serait la nécessité de respecter « la logique », « l'esprit », « le principe de fonctionnement » des institutions de la Ve République en modifiant un calendrier qui s'apparenterait à « un coup de force du hasard ».
Mes chers collègues, hier, il s'agissait d'un « coup d'Etat permanent » ; aujourd'hui il s'agit d'un « coup de force du hasard » ! Hier, il fallait entraver le chef de l'Etat par la vilenie du propos ; aujourd'hui, il s'agit de l'enfermer dans un calendrier.
Dans les deux cas, mes chers collègues, c'est la fonction présidentielle définie par la Constitution qui n'est pas acceptée. C'est elle, c'est son autorité toute particulière qui n'est pas admise.
Je le répète, mes chers collègues, d'une part, le Conseil constitutionnel est l'interprète authentique de la Constitution.
Or que voit-on ? On voit l'Assemblée nationale, notamment les héritiers des adversaires de notre loi fondamentale, faire référence à l'esprit des institutions et outrepasser les recommandations du Conseil constitutionnel.
D'autre part, le chef de l'Etat est l'interprète autorisé de la Constitution.
Or, que voit-on ? On voit le Gouvernement monter tout un scénario d'une hypocrisie rare pour contourner le Président de la République et éviter son avis ainsi que ses observations, et ce sur un sujet, mes chers collègues, qui le concerne.
Comment qualifier le procédé ?
Disons qu'il est peu glorieux. Mais, surtout, faisons confiance à la sagesse suprême du peuple français, peuple souverain qui, lui, depuis presque un demi-siècle, a compris le génie de notre Constitution et a su toujours apprécier, avec une certaine fierté, l'autorité éminente de la fonction présidentielle.
Non, monsieur le ministre, et je pense que vous l'aurez bien compris, non, vous n'aurez pas mon soutien dans cette affaire. Nous parlions tout à l'heure technique, mais il ne s'agit même plus de technique ici : simplement, on veut mettre en difficulté le Président de la République. Mais vous le savez bien, tout le monde le sait. Alors, parlons franc et disons les choses comme elles sont !
Monsieur le ministre, tout cela est insupportable, et non seulement je ne voterai pas ce texte, comme la « petite troupe », mais, en plus, soyez tranquille, je le combattrai ! (Applaudissements sur les travées du RPR.)
Mme Nelly Olin. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Olin.
Mme Nelly Olin. Monsieur le ministre, écoutant M. Gélard nous donner cette belle et grande leçon de droit, avec son talent, sa compétence, son honnêteté aussi et sur un ton plus que modéré, je m'apprêtais à modifier mon propos. Hélas, votre rejet des arguments de M. Gélard, d'une manière quelque peu inélégante, et, surtout, peu convaincante, et votre référence peu aimable, c'est le moins que l'on puisse dire, aux « litanies » m'incite à ne le modifier en rien.
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. C'est à M. Gerbaud qu'il revient d'avoir parlé le premier de « litanies ».
Mme Nelly Olin. J'en suis navrée, mais vous allez entendre, si vous voulez bien m'écouter, une nouvelle litanie, monsieur le ministre !
M. Hilaire Flandre. Très bien !
M. Alain Gournac. C'est la « petite troupe » !
Mme Nelly Olin. Nous sommes aujourd'hui réunis pour examiner la proposition de loi organique adoptée par l'Assemblée nationale, modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
Une fois encore, et certainement une fois de trop, c'est dans l'urgence que nous sommes amenés à examiner ce texte qui, il faut bien le dire, n'a rien d'urgent. C'est parfaitement inacceptable !
Le Gouvernement l'a inscrit à l'ordre du jour du Sénat seulement huit jours après les congés d'hiver. Je vous rappelle que l'Assemblée nationale a, quant à elle, examiné ce texte les 19 et 20 décembre dernier.
De qui se moque-t-on, sinon des Français mais aussi des sénateurs ?
On fait décidément grand cas de notre Haute Assemblée en voulant nous imposer quelques malheureux jours de réflexion !
De plus, comme l'a justement fait remarquer M. Christian Bonnet dans son excellent rapport, le président de l'Assemblée nationale n'a eu aucun état d'âme à déclarer : « Le Sénat aurait quelque audace à retenir un texte qui ne le concerne pas directement, puisqu'il s'agit des élections à l'Assemblée nationale ». Comment qualifier ces propos ? Ironiques ? Oui. Méprisants ? Oui également !
Quant à vous, monsieur le ministre des relations avec le Parlement, vous avez déclaré sur LCI : « Je ne vois pas une chambre se mêler de manière intempestive des pouvoirs qui concernent l'autre assemblée. »
Permettez-moi de vous dire que de tels propos n'honorent pas le Gouvernement et constituent une véritable provocation vis-à-vis de la démocratie.
Il me semble pourtant - si ma mémoire est bonne et elle l'est encore - que l'Assemblée nationale a bel et bien débattu du mode d'élection des sénateurs Personne, ni au Gouvernement, ni à l'Assemblée nationale, ne s'est alors étonné de voir les députés se « mêler » des affaires du Sénat.
Voilà une bien étrange conception de l'esprit de nos institutions, avec lesquelles vous voulez jouer, mais seulement quand cela vous arrange !
Pour revenir sur les propos de M. le président de l'Assemblée nationale, M. Forni, quelle est la réelle portée du texte ? Je ne pense pas qu'il s'agisse simplement de modifier la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
Le titre même de la proposition de loi est lourd d'hypocrisie. Il ne s'agit pas seulement de modifier la durée d'un mandat, il s'agit de le prolonger.
Cette prolongation n'a qu'un objectif, c'est l'inversion du calendrier électoral de telle sorte que l'élection présidentielle précède les élections législatives.
Je pense que, sur ce point, le Sénat a largement son mot à dire, ne vous en déplaise, monsieur le ministre, et n'en déplaise au Gouvernement !
J'en viens au problème de la prolongation du mandat de député. On l'a dit, sous la Ve République, des mandats électifs ont été prolongés, mais ces prolongations ne concernaient que des assemblées locales et elles n'étaient pas décidées quelques mois avant les échéances.
S'agissant des députés, il faut remonter en 1918 et en 1940 pour trouver des exemples de prolongation de mandat. Je vous rappelle que la France était alors impliquée dans ces conflits armés.
En 1918, c'était l'union nationale qui était en jeu, et il était alors bien naturel que la Chambre des députés, élue en 1914, prolonge le mandat des députés jusqu'à la fin de la guerre qui fut la plus meurtrière de notre histoire.
En 1936, la Chambre des députés du Front populaire a prolongé ses mandats de deux ans. Le début de la Seconde Guerre mondiale et l'occupation d'une partie du territoire national par les forces ennemies expliquent très bien cette décision.
Pouvez-vous nous dire quelle est la grave crise nationale qui justifie une prolongation du mandat des députés ? Comme tout le monde, je lis le journal et je regarde la télévision. Hormis, et malheureusement, les inondations et les drames au quotidien, je n'en vois pas.
Vous avez invoqué l'esprit des institutions qui veut que majorité présidentielle et majorité à l'Assemblée nationale soient cohérentes.
Pourtant, l'histoire nous montre que cet esprit-là ne correspond pas toujours à la réalité des urnes. Et cela, nous n'y pouvons rien !
Qui peut aujourd'hui avoir la prétention de se dire le garant de l'esprit de nos institutions ? Je vous rappelle - n'en déplaise au Premier ministre ! - que les réformes institutionnelles sont principalement du ressort du Président de la République.
L'article 5 de notre Constitution le dit bien : « Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'Etat ».
Cette réforme, dont personne ne peut dire qu'elle est nécessaire, devrait dépendre du Président de la République et de personne d'autre.
Permettez-moi donc de m'étonner que le Gouvernement n'ait pas eu le courage - je dis bien le courage - de déposer en son nom un projet de loi. Un texte d'une telle importance, voulu par le Premier ministre, aurait dû émaner du Gouvernement. Cela aurait été courageux et honnête. Encore une fois, le Gouvernement ne prend pas ses responsabilités ; il s'abrite derrière une initiative parlementaire. C'est quelque peu déplorable !
Bien sûr, élaborer un projet de loi nécessitait de demander l'avis du Président de la République, ce que vous refusez. L'adoption d'un tel texte en conseil des ministres, sous la présidence du Président de la République, aurait été laborieuse alors vous avez voulu l'éviter. Le résultat est une dérive indigne.
Vos démarches sont malheureusement pleines de contradictions. Vous nous dites que vous voulez respecter l'esprit des institutions, selon lequel le Président de la République, élu au suffrage universel direct, est le pilote et le garant de la vie politique. Mais il semble que vous fassiez bien peu cas du Président de la République actuel, puisque vous avez décidé de vous passer de son avis.
Pourtant, M. le Premier ministre déclarait en octobre dernier - la méthode Coué est parfois nécessaire ! - s'en remettre à Jacques Chirac, à qui il revenait de prendre ce type de décision en tant que « gardien des institutions ». Mais il est vrai que nous sommes habitués aux contradictions ou aux changements de cap - c'est le cas ! - du Premier ministre. Ce n'est pas la première fois qu'il annonce publiquement une chose et fait le contraire peu de temps après.
C'est pourtant bien le 19 octobre - il y donc peu de temps - qu'il a annoncé qu'il ne ferait rien dans ce domaine sauf s'il y avait un large consensus. C'est comme pour la guerre, que nous ne connaissons pas en France, heureusement. Mais où est le consensus ? Je n'en ai vu aucun. Avec une telle attitude, quelle crédibilité accorder vraiment au Gouvernement et à son chef ?
En tout cas, il n'est pas acceptable d'écarter le Président de la République d'un débat institutionnel. Nous ne l'acceptons pas et nous le disons haut et fort. Après une telle manoeuvre, vous n'aurez plus le droit de parler de démocratie, car vous venez de la bafouer !
Vous voulez éviter l'examen du texte par le Conseil d'Etat parce que vous redoutez son avis et que vous n'êtes pas prêts à accepter un avis contraire à celui du Gouvernement.
Heureusement, vous ne pourrez pas passer outre le Conseil constitutionnel, qui sera obligatoirement saisi et nous lui faisons confiance.
Je rappelle que le Conseil constitutionnel s'est prononcé à quatre reprises sur des textes législatifs ayant pour objet de reporter la date d'élections. Je rappelle également qu'il s'agissait d'élections locales et non d'élections législatives.
Aujourd'hui, aucune décision du Conseil constitutionnel ne justifie la proposition de loi qui nous est présentée, et vous le savez fort bien.
Il est exact que le Conseil constitutionnel, en juillet dernier, a formulé des observations s'agissant de l'élection présidentielle de 2002. Elles ne portent finalement que sur un problème de délai entre les deux élections et donc de présentation de candidats, les candidatures devant être adressées au Conseil constitutionnel.
Aussi, il est bien légitime de s'étonner que, lors de l'examen du texte relatif au quinquennat, le Gouvernement n'ait pas cru bon de faire des propositions s'agissant des dates des élections ! Il est vrai qu'à l'époque le Premier ministre ne pensait pas encore ce qu'il pense aujourd'hui. Le déroulement de sa pensée est bien difficile à suivre !
Je reviens donc sur ce revirement pour le moins étrange qui, si le sujet eut été moins grave, aurait pu nous faire sourire, ou nous laisser indifférents.
Le 19 octobre dernier, M. Jospin déclarait : « Toute initiative de ma part serait interprétée de façon étroitement politique, voire politicienne ». Qu'il se rassure, cette initiative est bien perçue de façon politicienne, et les Français le jugeront pour cela sévèrement !
Aujourd'hui, vous insistez sur le fait que ce revirement ne résulterait nullement d'un choix politique. Soyez au moins décents, car qui peut y croire à part vous ?
Pourquoi le Premier ministre a-t-il choisi de faire une telle déclaration lors du congrès du parti socialiste, instant politique par excellence ?
Pourquoi ce qui n'a jamais suscité de débat depuis 1997 est-il soudain devenu une urgence à un an des échéances électorales ?
Nous savons tous qu'il s'agit d'une bien triste manoeuvre politique visant à se donner toutes les chances de gagner aux prochaines élections présidentielle et législatives.
Après plus de vingt siècles, on se retrouve aujourd'hui dans la situation de la fin de la République romaine, quand des politiciens manipulaient le calendrier en fonction de leur propre intérêt.
Je m'interroge, monsieur le ministre. Est-ce bien honnête de vouloir modifier la Constitution pour servir des ambitions électorales ? Non ! Croyez-vous que les Français seront dupes ? Non ! C'est le peuple qui aura le dernier mot, et il saura faire le bon choix en 2002. Ignorer le peuple, c'est mettre en danger nos institutions, la démocratie et la République.
Je pense sincèrement qu'à quelques semaines de distance les Français voteront dans le même sens, quel que soit l'ordre des élections. C'est leur faire bien peu confiance que de penser le contraire !
Comme je l'ai dit, je regrette que l'urgence soit demandée pour un texte qui sert la politique du Gouvernement. Il est bien dommage que celui-ci ne considère pas comme urgents les problèmes de sécurité, d'éducation ou de justice qui préoccupent à juste titre nos concitoyens. Car les vrais problèmes, eux, vous ne les traitez pas !
Dans ma ville, ce sont trois jeunes âgés de douze et treize ans qui viennent de poignarder un enseignant en pleine classe. Dans nos banlieues, les citoyens n'en peuvent plus, car la vérité et la gravité de la situation sont masquées sous des appellations hypocrites.
Que sont aujourd'hui les incivilités sinon de véritables agressions ? Que sont aujourd'hui les sauvageons, sinon de véritables délinquants ?
Ajoutons à cela le manque d'effectifs de police et de gendarmerie, de magistrats et de greffiers dans les tribunaux, d'enseignants, d'assistantes sociales et de personnel d'encadrement dans les établissements scolaires.
Le tribunal du Val-d'Oise croule sous le poids du travail et aucune mesure n'est prise. Il est dommage que les ministres val-d'oisiens - et nous en avons - qui inaugurent tout et rien dans le département mais que l'on qualifie de ministres à plein temps, ne soient pas venus entendre ce qu'ont dit le procureur et le président sur l'état du tribunal.
Là est l'urgence, et ne pas en prendre conscience est grave de conséquences. Là sont les priorités, car demain il sera trop tard ! (Applaudissements sur les travées du RPR.)
Mais, à ces vérités, à ces réalités, vous préférez faire la sourde oreille et bricoler pour passer en force un texte destiné à vous servir, et vous servir seulement. Avez-vous oublié que c'est la France et les Français qui doivent être servis ?
Dois-je rappeler que, depuis 1958, l'actuelle Constitution a été révisée quinze fois ? Je regrette sincèrement que ces diverses révisions n'aient jamais donné lieu à un réel débat sur les institutions. Ce texte aurait pu nous en fournir l'occasion ; malheureusement, le Gouvernement use et abuse de son droit de déclarer l'urgence.
Les réformes constitutionnelles engagées depuis quelque temps représentent une sorte de bricolage dont on ne connaît pas les conséquences sur le long terme.
Je vous rappelle que, si nous prolongeons les pouvoirs de l'Assemblée nationale, ce sont de nombreuses élections qui seront reportées dans l'avenir. Avez-vous réellement réfléchi à ce que cela risque d'impliquer ?
Pouvons-nous décemment jouer sur les dates d'élections, quelles qu'elles soient ?
Monsieur le ministre, les Français ont élu leurs députés pour cinq ans, ni plus ni moins. Comme l'ont dit mes collègues, personne ici ne leur a demandé leur avis sur la question, qui, entre parenthèses, ne semble guère les mobiliser.
Ainsi, nos concitoyens élisent leur député au suffrage universel direct, ce qui garantit une grande démocratie. Aujourd'hui, le Gouvernement voudrait remettre en cause ce principe : certes, les Français ont choisi, mais, sans leur demander leur avis, on prolonge les pouvoirs de l'Assemblée nationale. Ce n'est ni plus ni moins que du mépris envers nos concitoyens, et je constate, fort tristement d'ailleurs, que, quel que soit le sujet traité, vous avez pour habitude de passer outre à l'avis des Français.
Le Gouvernement détiendrait-il la science infuse ou pensez-vous que, comme il s'agit d'un problème qui n'intéresse pas les Français, mieux vaut ne rien leur demander ?
Quoi qu'il en soit, sachez que les Français suaront faire la part des choses, et je suis certaine qu'ils apprécieront à sa juste valeur le comportement du Gouvernement à leur égard !
Si nous constatons certaines incohérences au sein de nos institutions, ayons le courage d'engager un réel débat à ce sujet. Arrêtons de modifier par petites touches ce qui constitue le pilier de notre République.
Rien ne nous garantit que l'élection du Président de la République avant celle de l'Assemblée nationale nous protégera de la cohabitation. Encore une fois, ce sont les Français qui prendront la décision en toute conscience.
Au demeurant, vouloir, à tout prix, placer l'élection présidentielle avant l'élection législative, c'est, après le quinquennat, franchir un nouveau pas vers le régime purement présidentiel.
Sans être favorable à un retour au régime des assemblées, je pense qu'il serait bon de trouver le bon équilibre entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. il n'est pas possible de fonder la politique d'un pays sur l'élection d'un seul homme.
Une nouvelle fois, comme mes collègues, je ne peux que constater la volonté du Premier ministre non seulement d'affaiblir le Parlement mais également de passer outre à son pouvoir de décision. Les récentes ordonnances témoignent d'ailleurs de l'importance que revêt le Parlement aux yeux de M. Jospin.
Enfin, une modification de la Constitution ne saurait être légitime si elle n'est pas dictée par l'intérêt général ou si elle ne repose pas sur le constat que nos institutions telles qu'elles existent aujourd'hui ne fonctionnent pas.
Or, je l'ai dit, l'inversion du calendrier ne répond en aucune façon à un motif d'intérêt général.
S'agissant du dysfonctionnement de nos institutions, la proposition de loi qui nous est présentée ne répond pas au problème que peut poser une éventuelle dissolution de l'Assemblée nationale ou le décès d'un Président de la République.
Pour revenir au fond du problème, je ne vois rien dans la Constitution qui implique que l'élection présidentielle doive précéder les élections législatives.
Comme mes collègues l'ont souligné, si votre principale préoccupation était bien l'ordre des élections, il aurait fallu élaborer un texte visant à ce que toute nouvelle élection présidentielle entraîne l'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale, celle-ci étant ainsi renouvelée après chaque nouvelle élection d'un Président de la République.
Cette réforme aurait conduit nos concitoyens à se prononcer par voie de référendum et aurait donné lieu à un large débat sur nos institutions.
La réforme qui nous est proposée est tout à fait ponctuelle et, comme je l'ai dit, ne règle en rien les problèmes qui risquent de se poser dans l'avenir.
Rien ne justifie l'adoption d'une proposition de loi organique qui ne résout pas les futures difficultés éventuelles de calendrier.
L'examen de ce texte a donné lieu à un débat portant sur le régime présidentiel ou le régime parlementaire.
Il est bien évident que nos institutions sont de nature présidentielle ; l'élection du Président de la République au suffrage universel direct en est la preuve. Mais nos institutions sont également de nature parlementaire puisque le Premier ministre est le chef de la majorité parlementaire et que l'Assemblée nationale a le pouvoir de renverser le Gouvernement.
S'il est vrai que certaines incohérences apparaissent parfois, en cas de cohabitation par exemple, il n'en est pas moins vrai que la Constitution telle qu'elle est actuellement est garante de la continuité de l'Etat.
Cette continuité de l'Etat est ainsi assurée par la mixité des pouvoirs du Président de la République et du Parlement. Et cette mixité nous garantit une meilleure démocratie.
Placer l'élection présidentielle avant les élections législatives pour assurer au futur Président de la République la plus forte majorité possible, c'est remettre en cause cette mixité et donc remettre en cause la démocratie.
Une telle volonté ne correspond que trop bien à l'esprit du Gouvernement, qui nous a prouvé à plusieurs reprises quel mépris il éprouvait pour l'opposition à l'Assemblée nationale et quel mépris il éprouvait pour la majorité sénatoriale.
Quoi qu'il en soit je rappelle que les élections de 2002 ne permettront pas forcément au futur Président de la République d'avoir une forte majorité à l'Assemblée nationale pendant cinq ans. Une cohabitation est toujours possible et la balance penchera alors vers l'Assemblée nationale quand il s'agira de mener la politique de la nation.
M. le Premier ministre se plaît à préciser continuellement qu'il a voté contre la Constitution de 1958. Aujourd'hui, se réclamer des institutions de la Ve République me semble donc quelque peu osé de sa part ; je dirais même inconvenant.
Les convenances personnelles poussent certains à adopter un esprit gaullien de la Constitution, et je le déplore.
Aujourd'hui, vous semblez vous réclamer du gaullisme. Pour légitimer cette proposition de loi, vous avancez comme argument que, selon l'esprit de nos institutions, c'est un président fort qui dirige la politique de la France.
Il me semble pourtant que le général de Gaulle n'a jamais fait preuve d'ingérence dans l'action du Gouvernement.
Aussi est-il indécent de se reférer au général de Gaulle pour trouver des arguments en faveur d'un tel texte, surtout de la part de ceux qui n'ont eu de cesse de le combattre, parfois d'une manière lamentable.
Il n'y a en fait aucune légitimité à vouloir modifier le calendrier et il est inconvenant de le faire alors que la partie est pratiquement engagée. Nous voyons bien que M. Jospin est divisé entre son rôle de Premier ministre et son rôle, enfin dévoilé, de candidat à la présidentielle.
Je le répète, l'esprit des institutions est une fausse excuse, une bien mauvaise excuse, qui ne fait pas honneur au Gouvernement.
Si nous sommes divisés sur la question de l'inversion du calendrier électoral, votre majorité plurielle l'est également, monsieur le ministre.
A moins que vous ne restiez éternellement au Gouvernement, que se passera-t-il lorsqu'il y aura un changement de majorité ? Et il y en aura un ! En effet, ignorer les préoccupations prioritaires des Français comme vous le faites depuis que vous êtes au pouvoir, c'est sans aucun doute la chute assurée ; et c'est parce que vous craignez cela qu'en cours de route vous changez la règle !
Je ne peux terminer cette intervention sans évoquer le comportement du Gouvernement. Jamais nous n'avons constaté de sa part tant d'arrogance envers le Président de la République ou le Sénat, et si une preuve de cette arrogance était encore nécessaire aujourd'hui, ce serait bien ce texte, qui voulait ignorer et le Président de la République et le Sénat, qui nous la donnerait.
Nous n'acceptons pas - je l'ai dit et je le redis - de telles attitudes, et nous refuserons de voter ce texte, qui joue avec nos institutions et qui est un véritable camouflet à la démocratie. (Applaudissements sur les travées du RPR, ainsi que sur certaines travées des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Lachenaud. M. Jean-Philippe Lachenaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, succédant à cette tribune à ma collègue Mme Olin, vous comprendrez que je m'arrête un instant sur la situation qu'elle a évoquée, celle du Val-d'Oise.
Nous sommes tous les deux sénateurs de cet important département de la région d'Ile-de-France, qui compte 1 200 millions d'habitants, qui a connu une croissance démographique exceptionnelle, une croissance économique tout aussi remarquable et qui se caractérise par un équilibre harmonieux entre des zones rurales et des zones urbaines.
Ma chère collègue, vous administrez une commune importante, mais difficile. Vous avez, au cours de ce dernier mandat, mené une action tout à fait remarquable d'équipement de la ville et, plus encore, de pacification de toute la communauté de Garges-lès-Gonesses. Je suis certain que, lors des prochaines élections municipales, celle-ci saura reconnaître votre valeur, celle de votre équipe et vous donnera les moyens de poursuivre votre mission.
En cet instant, j'imagine les Pontoisiens ! Peut-être suivent-ils nos débats, peut-être liront-ils demain dans la presse le compte rendu de ces débats. Ils se diront alors que, vraiment - restons polis ! - nous nous occupons de choses très minimes et de peu d'importance ! Les vrais problèmes qui les touchent, ce sont les problèmes d'environnement, de nuisances aéroportuaires, les lacunes de la justice, le projet de tribunal toujours reporté, les difficultés de la politique urbaine. Tels sont les grands enjeux d'un département comme le Val-d'Oise, qui, à l'image de la France d'aujourd'hui, éprouve des problèmes d'équilibre et de développement économique et social et doit trouver sa voie, à la veille du troisième millénaire, pour promouvoir une société plus juste, plus équitable, mais en même temps, plus ouverte sur l'extérieur et progressant de manière dynamique.
Constatant ce décalage entre l'état de l'opinion publique et l'attente de nos citoyens, comprenant combien l'abstention est justifiée, non pas tellement par une critique de notre action ou par une critique de la personnalité des hommes politiques et des femmes politiques qui les représentent, mais du fait du décalage entre leurs sujets de préoccupation et nos discours, les réformes, plutôt les « réformettes » qui nous sont proposées, les modifications incessantes de la Constitution et des règles du jeu qui nous sont imposées par le Gouvernement, je mesure combien ce débat est irréel. Notre collègue M. Marini a déjà traité ce débat d'irréel : il a parlé d'un théâtre d'ombres irréel, surréaliste, en tout cas tout à fait inacceptable si on le rapporte aux préoccupations de nos concitoyens.
En introduction - parce que, finalement, j'ai décidé d'intervenir dans ce débat et de présenter publiquement mon point de vue sur cette question institutionnelle importante - je voudrais m'arrêter un instant sur les raisons qui m'ont conduit à faire cette intervention alors qu'à ce stade du débat je ne pourrai rien ajouter de nouveau, tous les arguments ayant été dits et redits.
Monsieur le président, j'ai bien failli en rester là. Peut-être le débat y aurait-il gagné en concision et cela aurait sans doute fait plaisir à M. le ministre mais, comme de toute façon il n'écoute pas, cela n'aurait pas changé son point de vue, je n'aurais pas réussi à la convaincre.
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Je vous écoute assidûment !
M. Jean-Philippe Lachenaud. Nous le verrons bien par la suite !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Vous me permettrez d'ajouter que je réponds quand les arguments sont dignes d'intérêt et ne sont pas répétitifs : je l'ai montré tout à l'heure !
M. Jean-Pierre Schosteck. Merci pour nous !
M. Jean-Philippe Lachenaud. Je vais donc brièvement commencer par une introduction, comme cela se fait dans tout bon exposé. Nous avons, en effet, appris de nos professeurs à Sciences-Po ou à la faculté de droit que tout bon exposé doit comprendre trois parties et comporter une introduction, un développement et une conclusion. Il faut, de préférence, que l'introduction soit brève, de même que les conclusions. En revanche, le développement mérite d'être nourri par une argumentation développée.
Au Sénat, nous n'avons pas eu la chance qu'a eue l'Assemblée nationale de disposer d'un petit temps réservé à la préparation de ce texte. Il n'était pas prévu que nous ayons du temps pour débattre de la Constitution, de son esprit - très présent dans la discussion - de la volonté de ses fondateurs, de l'évolution de la pratique constitutionnelle depuis 1958 et surtout depuis 1962, étape importante de la Constitution.
Alors, je me suis dit : s'il n'y a pas de débat sur les institutions, il faut en revenir au texte.
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Jean-Philippe Lachenaud. Je vous en prie, monsieur le ministre.
M. le président. La parole est à M. le ministre, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, permettez-moi de vous rappeler simplement que, lors de la conférence des présidents, à laquelle M. Allouche était présent, j'ai justement proposé qu'il y ait un débat organisé, comme à l'Assemblée nationale. Cette proposition n'a pas été retenue. Vous ne pouvez donc pas invoquer cet argument.
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Lachenaud.
M. Jean-Philippe Lachenaud. Mais c'est bien ce que je compte faire, monsieur le président !
De toute façon, qu'un débat ait été prévu ou non, nous avons pris la parole parce que nous avons l'audace de nous exprimer, même sur un sujet à propos duquel on entend avec stupéfaction le président de l'Assemblée nationale, M. Forni, déclarer que nous n'avons pas le droit à la parole et qu'il serait audacieux de parler des institutions. Eh bien, nous parlerons à la fois du texte et des institutions (Très bien ! sur les travées du RPR.)
M. Hilaire Flandre. Il a raison !
M. Jean-Philippe Lachenaud. Revenons au texte. C'est ce qu'a fait M. le rapporteur, se disant : comme cela est normal dans la procédure du Sénat, je vais étudier ce texte de manière approfondie et présenter l'ensemble des arguments techniques, institutionnels et juridiques qui s'y rapportent.
Ce texte, je vais me permettre de vous le lire parce que, à ce stade du débat, après une quarantaine d'intervenants, il se peut que certains l'aient oublié, bien qu'il soit inoubliable.
Tout d'abord, le titre : « Date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale ». Cela laisse présager un contenu très intéressant.
Voici le texte adopté par l'Assemblée nationale :
« Article 1er. - L'article LO 121 du code électoral est ainsi rédigé :
« Art. L.O. 121. - Les pouvoirs de l'Assemblée nationale expirent le troisième mardi de juin de la cinquième année qui suit son élection. »
Article 2. - L'article 1er s'applique à l'Assemblée nationale élue en juin 1997. »
A mon avis, l'article 2 est plus important que l'article 1er. La simple lecture de cet article montre qu'il s'agit d'un texte de circonstance, de pure convenance politique, puisqu'il ne s'applique qu'à la prochaine élection.
Au fond, sous un titre tout à fait anodin, sans importance, sous une apparence d'inexistence juridique, de vanité, de vide absolu, de texte absolument inodore et sans saveur, voilà tout de même des dispositions dont on parle depuis des semaines, qui font l'objet d'articles dans les journaux, de déclarations tout à fait contradictoires du Gouvernement, de prises de position des plus éminents constitutionnalistes. Tout cela à propos de deux articles que je me suis permis de relire en constatant avec vous, mes chers collègues, que, véritablement, ils ne devraient normalement pas avoir de réelle portée politique.
Finalement, quelle est la seule qualité de ce texte, monsieur le ministre ?
Je n'ai pas découvert un seul argument en faveur de ce texte. En revanche, je lui ai trouvé une qualité, une seule : la brièveté. (Sourires.) Vous évoquiez tout à l'heure vos études de droit, monsieur le ministre. Eh bien, un peu antérieurement à vous, malheureusement, quand nous apprenions les articles du code, on nous disait : « Ce qui est bien dans le code Napoléon, c'est la brièveté ! » (Nouveaux sourires.)
M. Christian Bonnet, rapporteur. Portalis, reviens !
M. Jean-Philippe Lachenaud. Et l'on nous citait toujours cet exemple : « Tout condamné à mort aura la tête tranchée. »
Telle est la seule qualité du texte ! Il est aussi bref que cet article du code pénal. Pour le reste, il est franchement mauvais.
M. le président. C'est un peu court !
M. Jean-Philippe Lachenaud. Ne vous inquiétez pas, monsieur le président, je vais développer mon argumentation. Auparavant, je dois néanmoins aller au terme de mon introduction et expliquer quel style de discours j'avais l'intention de faire, même à cette heure de la nuit. Encore que, dans cet hémicycle, il fasse pratiquement toujours nuit, même quand il fait jour dehors, surtout dans l'obscurité de textes juridiques aussi complexes !
Mme Nelly Olin. Nous sommes effectivement dans le noir !
M. Jean-Philippe Lachenaud. Au fond, on a vu se dérouler quelque chose d'extraordinaire à l'Assemblée nationale : l'adoption de ce texte a été un véritable psychodrame, et cela est dû à vos manoeuvres, monsieur le ministre. Comment pourriez-vous nier que le psychodrame et la manière dont le texte a été voté à l'Assemblée nationale aient été le résultat des manoeuvres du Gouvernement ?
Ce dernier n'a pas eu le courage d'assumer le texte, de prendre la responsabilité de présenter un projet de loi qui aurait dû être soumis au conseil des ministres, présenté au Président de la République et passer évidemment devant le Conseil d'Etat, ce qui lui aurait donné une garantie supplémentaire de validité juridique. Car vous courez des risques à cet égard !
Par ailleurs, vous avez montré les plus mauvais côtés de la manoeuvre politicienne, telle qu'elle peut être menée parfois, dans certaines circonstances, par le Gouvernement auprès des parlementaires. Par moments, cela me rappelait la IVe République. Et ce n'est pas un bon souvenir pour ceux d'entre nous qui ont fait leurs études de droit dans les années 1958, 1960.
A cette époque, nous avions d'éminents professeurs - pour certains d'entre eux, lorsqu'ils étaient encore vivants, ont été consultés -, notamment les professeurs Vedel, Prélot, Burdeau. Ces éminents constitutionnalistes nous ont appris à réfléchir sur les textes et à présenter des exposés. Nous étions formés à une réflexion sur la pratique institutionnelle qui nous a conduits à détester la pratique de la IVe République et à souhaiter qu'une nouvelle Constitution soit donnée à la France.
Malheureusement, ce jeu avec quelques parlementaires, ces promesses, ces indications et ces tentations nous ont rappelé les mauvais souvenirs de la IVe République.
Et puis on a vu se succéder des démonstrations brillantes, mais contradictoires et pas du tout convaincantes des constitutionnalistes. Un ancien Président de la République, d'anciens Premiers ministres, des constitutionnalistes ont en quelque sorte monopolisé le débat. C'était insupportable ! Il fallait rendre la parole au Parlement. Au Sénat, nous avons pris la parole et nous avons l'intention de la garder un certain temps encore.
Nous avons donc pris la parole, et le débat au Sénat, grâce à vous, monsieur le rapporteur, a pris enfin toute sa dimension.
Je voudrais rendre hommage au travail tout à fait remarquable qui a été fait par la commission des lois et par vous-même, mon cher collègue. Quel humour, quelle ironie, quelle réflexion historique et, en même temps, quelle sagesse, quelle expérience des affaires de l'Etat !
Toutes ces qualités apparaissent dès la première citation que vous faites figurer dans votre rapport.
Elle est si adéquate que je ne résiste pas à l'envie d'en donner lecture : « Cependant, dans les derniers temps de la République, en tant que régulateur des relations sociales, le calendrier n'était plus à l'abri des luttes de pouvoir et de leurs conséquences. »
Je ne sais pas comment vous avez trouvé cette citation, mais je voulais vous présenter toutes mes félicitations, car elle est, hélas ! particulièrement adaptée aux circonstances actuelles.
Quelle excellente argumentation, technique et institutionnelle ! Quelle sage conclusion !
Là encore, sans vouloir lasser votre patience, ne pouvant pas à ce stade du débat ajouter des éléments complémentaires, je cède au plaisir de relire les conclusions de la commission.
« Le rapporteur a notamment formulé les observations suivantes :
« Les conditions d'examen de la proposition de loi organique par le Parlement ne sont pas acceptables, dans la mesure où l'ordre des échéances électorales de 2002 est connu depuis 1997 ; le Gouvernement a brutalement changé de position sur cette question et a dès lors imposé aux assemblées de se saisir de cette question dans la précipitation.
« Le mandat des députés n'a été prorogé qu'à deux reprises au cours du xxe siècle, en 1918 et 1940...
« Un changement de la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale n'évitera pas à l'avenir que la situation prévue en 2002 se reproduise, sauf à supprimer le droit de dissolution et à prévoir la continuation par un vice-président du mandat du Président de la République en cas de décès ou de démission de ce dernier.
« Rien ne permet d'affirmer qu'un changement de l'ordre des élections contribuera à éviter une nouvelle situation de cohabitation.
« Le choix du troisième mardi de juin comme date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale est loin d'être satisfaisant... »
En résumé, aucun motif d'intérêt général ne justifie la mesure proposée. Voilà une conclusion à laquelle j'adhère complètement.
Dès le mardi 16 janvier, les interventions successives des présidents des groupes de la majorité sénatoriale et de plusieurs autres orateurs ont démonté la manoeuvre du gouvernement socialiste et démantelé toute l'argumentation fallacieuse développée pour défendre ce texte.
J'évoquerai, à titre d'exemple, quelques temps forts de l'intervention du président de mon groupe.
Tout à l'heure, monsieur le ministre, vous avez indiqué que seule « une petite troupe » appartenant au groupe du RPR exprimait une opposition à ce texte. Au demeurant, c'est une opposition fondamentale, qui s'appuie sur des motifs juridiques, techniques et politiques absolument irréfutables, et auxquels, d'ailleurs, nous n'avons jamais entendu apporter la moindre réponse.
Le président du groupe des Républicains et Indépendants - dont M. le rapporteur est lui-même membre - de même que plusieurs de mes collègues de ce groupe, d'ailleurs, a conclu son intervention en précisant bien : « Les sénateurs de mon groupe, et ce sera mon cas, voteront contre la proposition de loi organique. »
Cela me permet d'ailleurs d'annoncer déjà ma conclusion : nous voterons effectivement contre le texte qui nous est présenté.
M. Henri de Raincourt a ajouté que les sénateurs de son groupe étaient « pour le maintien d'un calendrier républicain et indépendant de toute préoccupation politique ». Voilà ce qui devait être dit ! (Mme Olin applaudit.)
Peut-être vais-je renoncer à lire les extraits de l'intervention du président de mon groupe où il avance ses principaux arguments pour évoquer cette phase importante de la discussion qu'est ce jeudi 25 janvier, qui n'est cependant pas le dernier jour de la discussion, ce dont je me réjouis.
Que pouvais-je ajouter comme argument ? Est-il nécessaire d'ajouter une litanie aux autres litanies, comme vous l'avez malencontreusement dit, monsieur le ministre ?
J'avais apprécié l'ironie et la compétence des excellents juristes que sont mes collègues et amis René Garrec et Patrice Gélard. J'avais apprécié la rigueur de la démonstration d'un Philippe Marini et toutes les convictions exprimées fortement, intervention après intervention, par tous mes collègues dans ce débat. Et je me disais : « Quel style, quelle durée donner à mon intervention pour qu'elle soit un peu différente ? »
Vous le voyez, monsieur le président, j'en suis toujours à mon introduction (Mme Olin s'esclaffe) ; je n'en suis pas encore à la phase de développement des arguments ni, évidemment, à la conclusion, même si je l'ai déjà dévoilée tout à l'heure pour bien en marquer la force et la brièveté, et aussi pour souligner la cohérence de la position du groupe des Républicains et Indépendants avec celle de l'ensemble de la majorité sénatoriale, notamment du groupe du RPR. Nous sommes une petite troupe, mais nous sommes tout de même nombreux et nous ne désespérons pas de rallier d'autres parlementaires à notre jugement, à nos convictions sur cette modification du calendrier.
Quel style, quelle durée devais-je donc donner à mon intervention ? Comprenez mes hésitations et mes réticences !
Hier, monsieur le ministre, j'ai constaté que celui de vos collègues qui occupait le banc où vous êtes assis aujourd'hui semblait un peu épuisé ; il avait l'air un peu abattu, et il était assez peu attentif et je craignais fort d'avoir peu de chances de le convaincre. Aujourd'hui, je n'en ai guère davantage de vous convaincre, - il faut quand même être réaliste - mais je me disais que vous seriez peut-être un peu plus attentif. Cependant, il paraît que vous êtes beaucoup plus préoccupé par les élections de Lyon, où déjà, d'après les gazettes, avec vos amis, vous commencez à vous répartir les postes de la mairie de Lyon et de la communauté urbaine. A mon avis, il vaudrait mieux attendre le résultat des élections !
Mme Nelly Olin. Comme à Pontoise !
M. Jean-Philippe Lachenaud. Voilà qui m'offre une transition dialectique avec le Val-d'Oise, département où le décalage entre l'action du Gouvernement et son discours influe justement sur les élections. Monsieur le ministre, vous n'êtes certes pas ministre de l'intérieur - quoique celui-ci ne soit pas chargé d'organiser des élections, tout au plus d'en commenter les résultats devant les télévisions - mais il ne vous a peut-être pas échappé qu'une élection cantonale s'était déroulée dimanche dernier dans le canton de Pontoise.
Mme Olin soulignait tout à l'heure que ce département comptait de nombreux ministres. Nous en avons eu et nous en aurons encore sans doute beaucoup. Ce département est une pépinière extraordinaire : M. Hue, qui a failli être ministre, siège au conseil général ; il y eut M. Strauss-Kahn un temps ; il y a Mme Gillot et M. Richard.
Que font ces ministres ? Du tourisme ! Des inaugurations ! Lorsqu'ils sont dans le département, ils mêlent fonctions ministérielles et politiques. Ils cumulent les mandats et sont présents à toutes les élections ! M. Richard, par exemple, qui est ministre de la défense, est venu soutenir à deux reprises le candidat socialiste aux élections cantonales de Pontoise. Il est d'ailleurs parti au moment des résultats car, à la stupéfaction générale, le vainqueur a été Philippe Houillon, membre du groupe des Républicains et Indépendants et ami du RPR, qui le soutient comme l'ensemble de la majorité républicaine présente au Sénat : il a gagné cette élection avec près de 56 % des voix ! (Applaudissements sur les travées du RPR.)
Voilà ce à quoi conduit le décalage entre le discours et l'action du Gouvernement, entre l'action et la réalité. La réalité, ce sont les conditions de vie très dures, les incertitudes liées aux problèmes réels des retraites, de la santé, de la sécurité alimentaire, de l'environnement, problèmes qui sont particulièrement oppressants dans le Val-d'Oise.
Revenons au texte et à mon projet de discours, discours qui, pour le moment, n'est pas encore véritablement engagé...
M. le président. Monsieur Lachenaud, je me permets de vous rappeler que selon le règlement de notre assemblée aucune intervention ne peut excéder quarante-cinq minutes .
M. Jean-Philippe Lachenaud. J'en suis loin encore !
M. le président. Vous en êtes à vingt-quatre minutes et trente et une secondes. Je vous rappelle d'ailleurs que vous disposez d'un chronomètre.
M. Jean-Philippe Lachenaud. En effet. J'avais d'ailleurs prévu de consacrer un développement particulier au problème de la durée : comme l'a déclaré un illusionniste très célèbre, il faut donner « du temps au temps » ...
M. Philippe de Gaulle. C'était un pléonasme.
M. Jean-Philippe Lachenaud. ... et je vais donc donner du temps à une réflexion sur le temps.
M. le président. Je dois vous rappeler le règlement de notre assemblée !
M. Jean-Philippe Lachenaud. Tout à fait. Le temps n'en est pas moins mesuré de diverses manières - là, il l'est par une horloge électronique - et j'évoquerai tout à l'heure les temps de parole d'illustres orateurs ...
M. le président. Permettez-moi de vous dire que je veux bien concéder du temps aux orateurs, mais je ne veux pas que ce temps me soit imposé.
M. Jean-Philippe Lachenaud. Monsieur le président, je ne dépasserai pas le temps de parole qui a été imparti à M. Badinter.
M. le président. Monsieur Lachenaud, des orateurs de la majorité sénatoriale ont également largement dépassé leur temps. Si vous aviez suivi nos travaux depuis le début, vous vous en seriez aperçu.
M. Jean-Philippe Lachenaud. Je les ai suivis avec beaucoup d'attention, et c'est d'ailleurs ce qui me permettra tout à l'heure, dans le cours d'un développement qui ne saurait intervenir avant très longtemps, de faire une synthèse des arguments contre le texte.
Tout d'abord, le texte n'est pas présenté par le Gouvernement. On peut se demander pourquoi. La réponse est cependant claire : le Gouvernement n'est pas courageux et il n'a pas eu le courage d'assumer la responsabilité de ce texte.
Pourquoi n'est-il pas courageux ? Pour deux raisons : premièrement, par nature ; deuxièmement, parce que la majorité plurielle existe.
Les communistes ont l'intention de voter contre.
Les Verts ? Ce débat est un théâtre d'ombres et, de surcroît, les Verts ne sont pas représentés au Sénat, mais ils sont présents dans la majorité plurielle. Ils auraient pu, par exemple, faire des observations si le texte avait été présenté en conseil des ministres, car ils ne sont pas du tout absents de ce débat institutionnel. J'en veux pour preuve deux articles parus dans un journal du soir généralement bien informé, articles que je ne vais pas vous lire en entier, je vous rassure, bien qu'ils soient significatifs du poids des Verts.
Le titre du premier de ces deux articles juxtaposés est complètement inexact, mais tout à fait dans l'esprit du Monde : « Le Sénat poursuit son opération escargot sur le calendrier électoral. » Comment Le Monde a-t-il pu titrer ainsi ?
Le second s'intitule : « Les Verts maintiennent leur pression en faveur de la proportionnelle en 2002. » Tiens, une modification institutionnelle pourrait-elle - comme les trains - en cacher une autre, voire plusieurs autres ? C'est là toute l'ambiguïté du texte. Je la dénoncerai tout à l'heure ; pour l'instant, je laisse la parole aux Verts.
Je ne résiste pas au plaisir de lire quelques paragraphes particulièrement savoureux. « Le docteur Voynet, qui aime les posologies exactes, ressent un malaise devant l'expression "dose de proportionnelle" ; en faut-il une pincée, une louche ? » Cela ne vous rappelle-t-il pas le débat sur l'« instillation » de la proportionnelle ?
« Mme Voynet s'était laissée aller à quelque scepticisme quant aux gains électoraux. » C'est quand même cela l'essentiel : si l'on modifie le calendrier électoral ou les règles électorales, c'est bien pour obtenir des gains électoraux ! Je continue ma lecture : « Mais les Verts ne peuvent admettre l'idée qu'il s'agirait d'un bricolage ou d'un mécano pour la défense de leurs intérêts. » Bricolage, mécano, on croirait la description du texte qui nous occupe !
« Ce qui est en jeu, c'est la nécessité d'un profond renouvellement démocratique dont ce mode de scrutin me paraît inséparable. »
M. Yann Gaillard. Bien voyons !
M. Jean-Philippe Lachenaud. Ensuite, les Verts, très fidèles à leurs idées, s'attaquent aux socialistes, ce qui vous a peut-être échappé, monsieur le ministre : « Les petits calculs pour différer la prise en compte de la réalité peuvent coûter cher sur le terrain de la crédibilité et de l'arithmétique électorale. Avec ironie, Denis Beaupin a démonté un à un les arguments du PS avancés pour renoncer à la proportionnelle pourtant promise dans les accords de 1997 : le retour de l'extrême droite, l'instabilité politique, le refus de changer les règles avant des élections, l'absence de place dans le calendrier parlementaire ou le risque d'accusation de magouille invoqué par le PS ne tiennent plus, a fait valoir le porte-parole des Verts, ajoutant que « si l'on ne connaissait la bonne foi proverbiale de nos amis socialistes, on dirait que ce sont des prétextes. » (Mme Nelly Olin sourit.)
La bonne foi, l'absence de contradiction dans les déclaration successives sur la proportionnelle, comme la bonne foi et l'absence de contradiction dans les déclarations successives des responsables socialistes sur la modification du calendrier... J'avais cependant cru entendre le Premier ministre lui-même dire qu'il ne s'engagerait pas dans une modification du calendrier !
Voilà quelle est la position des communistes, voilà quelle est la position des Verts, voilà quelle est la position de la majorité plurielle : toute une série de contradictions, toute une série d'incohérences !
Vous avez parlé tout à l'heure de litanie, moi, je parlerai de palinodie à propos des déclarations du Premier ministre !
La situation dans la majorité plurielle, il est vrai, ne nous étonne pas trop, puisqu'il y a eu souvent des changements à propos des réformes institutionnelles. Les Verts, on peut les comprendre, n'aiment en outre pas trop les élections où il faut obtenir la majorité des voix. C'est peut-être démocratique, mais c'est difficile, et les Verts ne savent pas le faire.
M. Hilaire Flandre. Heureusement !
M. Jean-Philippe Lachenaud. Il me fallait définir la forme de mon discours. C'est fait. Je n'ai certes pas l'espoir de figurer dans l'anthologie des grands discours politiques, où l'on trouve par exemple un excellent discours de Victor Hugo sur la peine de mort, qui avait duré trois heures.
Je vais pour ma part essayer d'être bref. Je vais tout de même parler de Jaurès, à qui, monsieur le ministre, vous vous êtes référé.
Quand on s'interroge sur la durée des discours, on pense évidemment d'abord aux Catilinaires de Cicéron. Plusieurs clepsydres s'écoulaient avant la fin du discours.
Puis on pense à l'un de vos amis, le dictateur Castro, qui fait des discours de sept heures devant plusieurs centaines de milliers de personnes, ce qui paraît-il commence à lasser.
Jaurès - peut-être ignorez-vous ce point, monsieur le ministre - était, lui, un orateur d'une extraordinaire qualité. Il faisait des discours passionnés et dépassait toujours, monsieur le président, le temps qui lui était imparti, parlant souvent deux ou trois heures.
Dans un ouvrage intitulé A la manière de, écrit par deux écrivains souvent donnés en lecture dans les khâgnes ou à l'Ecole normale supérieure, MM. Reboux et Muller, quelle n'a pas été ma stupeur de trouver un pastiche d'un discours de Jaurès.
A la première heure, Jaurès parle des origines de l'humanité. A la troisième heure, il parle des origines du socialisme, avec Cabet et Proudhon. A la quatrième heure, il annonce qu'il va engager la conclusion de son discours. A la huitième heure, il conclut !
Ne vous inquiétez pas, je ne vais pas faire de même et je vais maintenant entrer dans le vif du sujet.
Mon intervention s'articule en trois parties. La première partie sera consacrée à la thèse, la deuxième partie à l'antithèse, la troisième partie non pas à la foutaise (sourires) mais à la synthèse.
Dans la thèse, je développerai vingt et un arguments contre la proposition de loi ! Je comptais en trouver trente-six mais je n'en ai trouvé que vingt et un.
Deuxièmement, l'antithèse : zéro argument favorable, et je peux vous annoncer que je serai vraiment très bref dans cette deuxième partie de mon discours.
Troisième partie, la synthèse, très brève aussi : rejet, je l'ai déjà dit, du texte.
Je vais maintenant vous lire les vingt et un arguments, mais je ne crois pas que j'aurai le temps de les développer. Je vais finalement devoir y renoncer pour rester dans le temps qui m'est imparti par la présidence et par les règles de ce débat très bien organisé.
Les arguments sont les suivants.
Premier argument : le débat est irréel, voire surréaliste, et ne répond pas aux attentes des Français. Cela ne mérite pas de développement.
Deuxième argument : la procédure d'urgence n'est pas justifiable. C'est évident.
Troisième argument : l'initiative parlementaire est le camouflage d'un projet du Gouvernement. Là aussi, chacun l'a dit, c'est évident. D'ailleurs, M. le ministre n'a pas répondu sur ce point.
Quatrième argument : les droits du Parlement à un débat complet sont ignorés, bafoués. C'est indiscutable aussi.
Cinquière argument : le texte, à l'apparence juridique anodine, révèle une volonté de modifier l'équilibre des institutions.
Sixième argument : le texte n'a pas, puisqu'il s'agit d'une proposition de loi, été soumis au conseil des ministres ni au Conseil d'Etat, ce qui diminue sa valeur politique et sa garantie juridique.
Septième argument : il est trop tard pour modifier les règles du débat démocratique en bouleversant un calendrier connu depuis longtemps, à savoir 1997.
Huitième argument : le texte proposé ne répond à aucun motif d'intérêt général. Il est de circonstance et de convenance politique. C'est clairement une manoeuvre de M. Jospin pour renforcer ses chances à l'élection présidentielle et écarter le risque, tout à fait réel, de perdre les élections législatives.
Neuvième argument : le mandat des députés n'a été prorogé à deux reprises que dans des circonstances dramatiques rappelées par M. le rapporteur, en 1918 et en 1940.
Dixième argument : l'effet du texte n'est assuré que pour 2002, et non pour l'avenir. Cela aussi est évident.
Onzième argument : le choix du mois de juin pour le terme des pouvoirs de l'Assemblée nationale présente des inconvénients importants par rapport à celui du mois d'avril.
Douzième argument : l'inversion du calendrier électoral est contraire aux déclarations initiales du Premier ministre, ce qui démontre à l'évidence la manoeuvre politicienne.
Treizième argument : modifier insidieusement la pratique institutionnelle sans engager les procédures de révision constitutionnelle, et donc éventuellement procéder à un référendum, n'est pas démocratique. La méthode est loin d'être démocratique.
Quatorzième argument : le calendrier inversé n'est pas dans la logique ou l'esprit de la Constitution de 1958, contrairement à ce qui a été affirmé ici et là.
Quinzième argument : le calendrier inversé ne pourrait être respecté qu'en supprimant ou en limitant le droit de dissolution, dont la légitimité est ainsi contestée.
Seizième argument : l'inversion du calendrier, en y ajoutant le quinquennat, ne garantit en rien qu'il ne pourrait plus y avoir de cohabitation.
Dix-septième argument : l'inversion du calendrier risque de pousser à une présidentialisation du régime.
Dix-huitième argument : ce texte comporte aussi des risques de retour aux excès du parlementarisme.
Là est l'ambiguïté du texte. Il recèle les deux risques, qui ont été soulignés parfois de manière qui aurait pu être jugée contradictoire. En effet, suivant les étapes ultérieures et les propositions de réforme constitutionnelle, la présente réforme peut amorcer plus de présidentialisation ou des risques de retour aux excès du parlementarisme. Rappelant que 1851 c'était voilà cent cinquante ans, M. de Raincourt faisait observer que l'on voulait peut-être ainsi commémorer en 2001, par une perspective d'ultra-présidentialisation, l'arrivée de Napoléon III au pouvoir.
Il y a donc une ambiguïté dans ce texte. C'est pourquoi on peut affirmer aujourd'hui sans se contredire qu'il recèle un risque de présidentialisation et des risques de retour aux excès du parlementarisme.
Dix-neuvième argument : le texte présente des risques réels d'anticonstitutionnalité. Il appartiendra au Conseil constitutionnel d'en débattre.
On peut d'ores et déjà observer qu'il y a un réel problème entre ce gouvernement socialiste et le Conseil constitutionnel. En effet, des députés ont critiqué violemment les décisions récentes du Conseil constitutionnel, ce qui est regrettable dans le fonctionnement des institutions. Si nos avis de sagesse avaient été écoutés, le Gouvernement aurait tout de suite mesuré le risque d'anticonstitutionnalité des textes sur la contribution sociale généralisée et sur l'écotaxe.
Il est affligeant d'avoir vu certains parlementaires du groupe socialiste exprimer des critiques personnelles à l'égard de tel ou tel membre du Conseil constitutionnel, dénoncer la dérive soi-disant politique du Conseil constitutionnel, déclarer que le Conseil constitutionnel ne s'était pas limité à une appréciation de la constitutionnalité par rapport au bloc constitutionnel, c'est-à-dire non seulement la Constitution de 1958, mais aussi les principes généraux du droit exprimés et développés depuis 1789, tels qu'ils ont été inscrits dans la Constitution de 1946 et son préambule.
Ainsi, ils ont noté que l'effet de serre était une invention du Conseil constitutionnel. C'est une caricature des raisonnements du Conseil constitutionnel. C'est aussi une attaque très vive contre un des éléments fondamentaux de l'équilibre des pouvoirs. C'est également une attaque très vive contre la situation que nous souhaitons tous pour la France, à savoir un Etat de droit qui soit à l'instar de celui que connaissent les pays les plus développés, notamment les Etats-Unis et certains pays européens. En effet, ces pays ont su développer un contrôle constitutionnel qui, tout en respectant la légitimité démocratique des différentes autorités, assure la régularité de leurs décisions et la conformité de celles-ci à la Constitution et aux principes généraux du droit. Donc, selon moi, le texte comporte de réels risques d'anticonstitutionnalité. Il appartiendra au Conseil constitutionnel de se prononcer.
Vingtième argument : les difficultés pratiques invoquées pour l'organisation successive des deux scrutins peuvent très facilement être surmontées. Le dispositif spécifique sur les délais présenté par M. le rapporteur et la commission des lois permet de résoudre le problème très simplement.
Vingt et unième et dernier argument : les Français, au nom du respect de la démocratie, ont droit au respect du calendrier électoral.
J'en viens à la deuxième partie : l'antithèse. Je serai beaucoup plus concis. En effet, je n'ai trouvé aucun argument en faveur du texte.
Me voici donc parvenu à la conclusion. Les sénateurs du groupe des Républicains et Indépendants dénoncent la manoeuvre politique de M. Lionel Jospin. Les sénateurs de notre groupe et toute la majorité sénatoriale récusent l'aventure institutionnelle et dénoncent l'ambiguïté de ce texte, malgré son apparence juridique anodine. Nous voulons garantir la cohérence et l'équilibre des pouvoirs. C'est la raison pour laquelle nous voterons le maintien d'un calendrier républicain et indépendant. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président. Monsieur de Richemont, votre tour est venu mais je dois vous indiquer que, selon la décision de la majorité de la conférence des présidents, je devrai impérativement lever la séance à dix-neuf heures trente. Or il est dix-neuf heures vingt-cinq. De deux choses l'une : ou bien vous parlez cinq minutes, ou bien vous reportez votre intervention à mardi prochain.
M. Henri de Richemont. Mon intervention durera cinq minutes, monsieur le président.
M. le président. Soit ! Je me devais de vous informer de la décision de la conférence des présidents. Je l'ai fait contre mon gré, à plus d'un titre, mais j'étais tenu de le faire.
M. Christian Bonnet rapporteur. C'est vrai !
M. le président. Vous avez donc la parole, monsieur de Richemont.
M. Henri de Richemont. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après l'intervention passionnante de notre collègue M. Lachenaud, je mesure la difficulté que représente le fait de ne disposer que de cinq minutes.
Tout à l'heure, je m'étais réjoui, monsieur le président, car vous m'aviez dit que je pourrais parler le temps que je voudrais. Pour une fois, à cette tribune, il était possible de parler le temps qu'on voulait ! Or, à l'instant, vous venez de me dire que je disposais de cinq minutes, et pas plus. Toutefois, je me console car, comme le disait un grand parlementaire de ma région, Michel Crépeau, un bon discours, c'est comme la jupe d'une jolie femme : il faut que ce soit suffisamment long pour couvrir le sujet et suffisamment court pour retenir l'attention. (Sourires.) Je ne sais pas si je serai suffisamment long pour couvrir le sujet. En tout cas, je suis sûr que je serai suffisamment court pour retenir votre attention.
Monsieur le ministre, je vous ai écouté avec un grand intérêt tout à l'heure lorsque vous parliez des litanies. L'ancien élève des jésuites que je suis croit aux litanies parce que, en invoquant les saints du paradis, l'Esprit saint vient. Mais l'expérience m'a montré que celui-ci inspire ceux qui veulent l'entendre, ce qui n'est pas toujours le cas.
En tout état de cause, tout a été dit et l'excellent rapport de M. Bonnet contient les points essentiels du débat. Tout à l'heure, lorsque vous avez répondu à M. Gélard, j'avais le sentiment que vous aviez employé le mot juste. Vous avez déclaré en effet que l'essentiel c'est la primauté du Président de la République, clé de voûte de nos institutions. Nous pourrions soutenir avec vous qu'à partir de ce moment-là il faut une majorité parlementaire pour soutenir le Président de la République. Dans ces conditions, il est souhaitable que l'Assemblée nationale soit élue après le Président de la République.
Au fond, monsieur le ministre, on peut approuver les propos que vous teniez tout à l'heure, mais le vrai problème n'est pas là. Le problème, c'est le moment où cette réforme nous a été proposée. Je ne comprends pas en effet pourquoi nous n'avons pas eu ce débat de fond avant, ni pourquoi on n'a pas consacré de manière pérenne la primauté du Président de la République. J'étais un peu d'accord avec M. Jospin. Nombre d'orateurs l'ont cité en disant que toute initiative de sa part serait considérée comme politicienne et qu'il devait attendre un consensus.
Un mois plus tard il a effectué un revirement de position. En effet, après l'épisode des farines animales, il a déclaré qu'il était temps de procéder à cette réforme.
Comme cela a été dit tout à l'heure, le consensus qui, selon lui, était la justification d'initiatives de sa part n'existe nulle part. Le débat constitutionnel nous l'a montré. Les éminents juristes que nous avons entendus nous ont indiqué que rien dans la Constitution ne nous impose l'élection du Président de la République avant ou après les élections législatives, et que le problème n'est pas d'ordre constitutionnel.
Le problème est avant tout politique. Finalement, je comprends que M. le Premier ministre ait demandé à des parlementaires de sa majorité de déposer une proposition de loi, car il était conscient qu'il n'y avait pas de consensus. En effet, l'accord entre le parti socialiste et une partie de l'opposition nationale ne peut constituer un consensus dans notre pays.
La Revue socialiste, en 1997, a résumé la situation ainsi : une progression électorale de la gauche en trompe-l'oeil. Vous avez considéré que si les élections législatives avaient lieu avant l'élection présidentielle, vous risquiez de les perdre, ce qui enlèverait à M. Jospin toute chance d'être élu Président de la République. Le vrai problème est là. Pour que M. Jospin puisse être élu Président de la République, il ne faut pas qu'il perde les élections législatives. Or il risque de les perdre si elles ont lieu avant l'élection présidentielle. Dans ces conditions, il est préférable que l'élection présidentielle ait lieu avant les élections législatives.
C'est la raison pour laquelle, vous le comprendrez, monsieur le ministre, nous voterons contre l'inversion du calendrier. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président. La suite de la discussion de la proposition de loi organique est renvoyée à la prochaine séance.

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