SEANCE DU 25 JANVIER 2001


M. le président. La parole est à M. Leclerc. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Dominique Leclerc. Ma question s'adresse à Mme le garde des sceaux.
Le Gouvernement s'enorgueillit des réformes qu'il a réalisées dans le domaine de la justice.
Comme Mme le garde des sceaux, j'ai assisté, la semaine dernière, aux audiences solennelles de rentrée des juridictions de mon département. Alors que j'étais dans l'Indre-et-Loire, elle était, elle, à Morlaix, qui, soit dit en passant, n'était pas vraiment l'endroit où on l'attendait ! J'en veux pour preuve les centaines de magistrats qui manifestaient place Vendôme. Il n'empêche : comme moi à Tours, elle a dû être frappée par ces audiences désertées par les magistrats qui entendaient ainsi exprimer leur découragement.
Ainsi, après les avocats et les greffiers, c'est au tour des magistrats d'être en grève. Que lui reprochent-ils ? Tout simplement d'avoir lancé des réformes sans avoir, au préalable, estimé leurs conséquences financières, sans avoir dégagé les moyens humains et matériels nécessaires à leur application.
Là encore, on me rétorquera que ce Gouvernement a créé plus de postes que tous les gouvernements précédents, les gouvernements Juppé, Balladur,...
M. Christian Demuynck. Eh oui !
M. Dominique Leclerc. ... et donc que les difficultés actuelles, comme toutes les autres, nous sont imputables.
M. René-Pierre Signé. C'est vrai !
M. Dominique Leclerc. Moyennant quoi j'évoquerai la conjoncture de l'époque, les difficultés inhérentes aux années 1990-1995,...
M. Christian Demuynck. Très bien !
M. Dominique Leclerc. ... les contraintes liées aux critères de convergence - Maastricht oblige !
M. Christian Demuynck. Très bien !
M. Dominique Leclerc. Sincèrement, ce n'est pas sérieux. Surtout, sachez-le, ce n'est pas du tout ce que les Français attendent aujourd'hui. Cela ne les intéresse plus. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Devant une telle autosatisfaction, je ne peux m'empêcher de m'interroger : pourquoi, dans ces conditions, n'avoir toujours pas nommé le nouveau directeur des affaires criminelles et des grâces,...
M. Henri de Richemont. Eh oui, pourquoi ?
M. Dominique Leclerc. ... le dernier en poste ayant soudainement été remercié après deux années d'activité ?
Par ailleurs, ce que vous oublierez de me dire, c'est que plusieurs réformes, tant en matière pénale qu'en matière civile, ont été adoptées en 2000, mais seront appliquées en 2001 et que ces réformes, comme celle sur la présomption d'innocence ou celle sur l'appel des décisions des cours d'assises, se traduiront par une aggravation de la charge de travail des magistrats et des fonctionnaires.
M. Christian Demuynck. Eh oui !
M. Dominique Leclerc. Alors, de grâce, assumez votre bilan !
Les magistrats, dont il a été admis que le dévouement et la disponibilité sont sans limite, méritent mieux que d'être les boucs émissaires de réformes faites à crédit.
Ne les rendez pas responsables de l'insuffisance manifeste de moyens humains et budgétaires, qui ne permet en aucun cas de faire face à un fonctionnement normal de la justice dans le respect des textes et des justiciables, non plus que des lenteurs et des dysfonctionnements de la justice, qui ne sont que le fait de l'absence de réflexion et de réalisme de votre majorité.
Aussi ma question sera-t-elle simple : quels moyens entendez-vous vous donner pour mettre un terme à cette situation explosive ? (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, je vous prie, tout d'abord, d'excuser l'absence de ma collègue, Mme Marylise Lebranchu, retenue actuellement par la Commission consultative des droits de l'homme, qui tient sa session annuelle.
Vous connaissez le budget de la justice, monsieur le sénateur. Est-ce à vous que je dois rappeler que, depuis trois ans, pour faire face à la montée des contentieux, mais aussi pour assumer les réformes qui ont été votées par le Parlement 729 postes de magistrat ont été créés entre 1998 et 2001, soit autant que sous tous les gouvernements depuis 1981 ? (Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Hilaire Flandre. Pour quel résultat ?
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Pour la moitié, ces 729 postes sont affectés aux réformes en cours, l'autre moitié constituant un renfort pour les juridictions.
M. Hilaire Flandre. Tu parles !
M. Alain Gournac. Et pourquoi ne sont-ils pas contents, alors ?
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Cela veut donc dire qu'il y a eu multiplication par trois du rythme d'arrivée des magistrats dans les différentes juridictions. (Exclamations sur les mêmes travées.)
M. Alain Gournac. Mais pourquoi donc ne sont-ils pas contents ?
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. C'est d'autant plus méritoire qu'il faut du temps pour former les magistrats, plusieurs années, vous le savez. De ce point de vue-là, je peux vous dire que l'Ecole nationale de la magistrature de Bordeaux a vu ses contingents annuels augmenter de 30 %, ce qui veut dire que nous aurons 600 magistrats de plus dans les prochaines années.
M. Alain Gournac. Des promesses !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Pour ce qui est des greffiers, monsieur le sénateur, dois-je encore rappeler que le gouvernement précédent, celui de M. Juppé... (Exclamations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Alain Gournac. Toujours lui, alors !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. En oui, madame, messieurs les sénateurs, M. Toubon était alors ministre de la justice.
M. René-Pierre Signé. Le ministre de l'hélicoptère dans l'Himalaya !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Donc, sachez que l'Ecole des greffes est restée vide, faute de concours. C'était en 1997 et aucun concours n'avait été organisé !
M. Alain Gournac. C'étaient les années Mitterrand !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. En conséquence, aucun greffier n'est sorti de cette école en 1998 du fait de l'imprévoyance du précédent gouvernement, un gouvernement de droite.
M. Alain Gournac. Et les précédents, qu'ont-ils fait ?
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. En trois ans, nous avons pourvu 270 postes de greffier. Nous en nommerons 400 cette année et 500 en 2002.
M. Henri de Richemont. Tout va bien !
M. Jean-Pierre Schosteck. Pourtant, les magistrats sont dans la rue.
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Voilà les chiffres, voilà la réalité !
Par ailleurs, 600 postes d'éducateur ont été mis en place en trois ans.
Mme Nelly Olin. Pas dans le Val-d'Oise !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Les effectifs ont augmenté de 30 %, pour les éducateurs, sur le terrain, ainsi que pour les personnels pénitentiaires. Et le recrutement va s'amplifier.
M. Henri de Richemont. En somme, tout va bien !
M. Alain Gournac. Eh oui, tout va bien !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Mesdames, messieurs les sénateurs, un effort sans précédent est fait actuellement, vous le savez, pour la justice. (Exclamations sur les travées du RPR.) Oui, j'insiste, madame, messieurs : un effort sans précédent !
Il faut du temps pour former des magistrats. Admettez que nous payons aujourd'hui, en ce domaine, l'impéritie et l'imprévoyance des gouvernements précédents ! (Exclamations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste. - Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. René-Pierre Signé. Quelle imprévoyance !
M. Henri de Richemont. C'est facile !
M. Alain Gournac. Il fallait retarder l'entrée en application de la loi !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. C'est la réalité et il faut la dire aux Français. Dorénavant, et sur ces nouvelles bases, la justice aura effectivement les moyens de fonctionner. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen. - Exclamations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. René-Pierre Signé. Bravo !
M. Georges Gruillot. C'est sans doute pour cela que les magistrats sont dans la rue !
M. Pierre Fauchon. Et la « rançon » ?
M. Alain Gournac. Oui, et la « rançon » ?
M. Pierre Fauchon. Pour défendre les magistrats, vous les laissez se faire insulter ?
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux quelques instants. Nous les reprendrons pour la lecture des conclusions de la conférence des présidents et la suite de la discussion de la proposition de loi organique modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
M. René-Pierre Signé. Encore ? Cela va durer combien de temps ?
M. le président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de M. Guy Allouche, vice-président.)