SEANCE DU 25 JANVIER 2001


DATE D'EXPIRATION DES POUVOIRS
DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Suite de la discussion d'une proposition de loi
organique déclarée d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi organique (n° 166, 2000-2001), adoptée par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale. [Rapport n° 186 (2000-2001).]
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Fournier.
M. Bernard Fournier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans la course qui place les acteurs potentiels des prochaines élections présidentielles à la recherche d'un brevet de constitutionnalité, qu'il me soit permis, en propos liminaires, d'évoquer le général de Gaulle, à qui, somme toute, et contre toute attente, on se réfère sur toutes les travées de nos assemblées, y compris sur les plus à gauche. Chacun se souviendra de cette exclamation fameuse qu'il prononça et que j'ose reprendre à mon compte aujourd'hui :
« Mais quels sont ces cris péremptoires et contradictoires qui s'élèvent bruyamment au-dessus de la nation ? Hélas ! Rien autre chose que les clameurs des partisans. »
Si j'emprunte à l'auteur du discours de Bayeux ce constat un peu désabusé, c'est parce que je me sens un peu navré de ce que notre vie politique ne soit plus rythmée qu'en fonction du calcul des uns, des équations des autres.
Ce que nous avions voulu éviter, nous citoyens, et nous héritiers gaullistes, ce que nous avions voulu éviter - disais-je - un jour d'octobre 1958 est revenu au galop : ce sont dorénavant les intérêts personnels qui ont pris le pas sur l'intérêt supérieur de la nation.
Ce constat recouvre malheureusement bien plus que des mots puisque le débat qui nous réunit aujourd'hui est à mon sens topique de la dérive que nous redoutions, dérive que tous les démocrates doivent combattre et qui va vers la cristallisation de la dynamique républicaine autour de la seule quête du pouvoir des personnes.
Avant tout, il ne faut pas oublier les notions fondamentales de notre société politique moderne : je veux rappeler que la Constitution doit être non pas une coquille vide mais un texte vivant, devant lequel le législateur ordinaire ou organique ne peut que s'incliner.
Contourner la Constitution par la loi pour éviter de la violer de front est hardi. Tenter de justifier cela par des arguments dilatoires est condamnable, je dirai même que c'est fallacieux.
Par un tour de passe-passe médiatique, le Gouvernement, ou tout du moins une partie de la majorité, laisse croire aux Français que le monde est à l'envers, que le parti socialiste est devenu le défenseur du corps de la Constitution, tandis que la droite gaulliste chercherait à faire céder le texte fondamental sous les coups de boutoir des intérêts de l'Elysée. Il n'en est évidemment rien.
A ce jour, le Président préside et tout le reste n'est que supputation. Il nous a d'ailleurs appelés à une année utile, au lieu de cela, le Gouvernement nous enferme dans des débats stériles dont il entend nous faire porter la responsabilité. Eh bien non ! nous ne marcherons pas dans le sens que M. Jospin a choisi en fonction de ses seuls intérêts politiques, et c'est au Gouvernement qu'incombe la responsabilité du « surplace » du Parlement, puisqu'il a décrété l'urgence sur ce texte.
Un peu de décence ! Ne prenons pas les Français pour les dindons de la farce ! Nos concitoyens d'ailleurs ne sont pas dupes.
Nous, gaullistes, avons mis et continuerons à mettre dans ce débat, aussi longtemps qu'il le faudra, un point d'honneur à être « l'avant-garde éclairée » du respect de la Constitution.
D'ailleurs, cette notion « d'avant-garde éclairée », vous, mesdames et messieurs de la majorité, vous la connaissez bien, pour en avoir fait usage par le passé !
J'aurais aimé éviter les leçons d'histoire, mais l'opposition sénatoriale nous y contraint : faut-il donc vous rappeler, mesdames, messieurs de la gauche plurielle, que, dans un premier temps, vous avez combattu l'adoption de ce texte, puis que vous avez combattu, ensuite, sa démocratisation en 1962 et que, devant le « cartel des non », cartel que l'on pourrait, avec un peu de mauvais esprit, retrouver aujourd'hui, c'est finalement le peuple de France et la volonté éclairée d'un homme qui ont tranché, renvoyant les partis tout penauds dans leurs foyers ?
A tout dire, et pour être francs, nous ne sommes pas surpris des attaques que vous diligentez envers la Constitution. Nous en déplorons le caractère indirect.
Nous ne sommes pas davantage surpris, et je le développerai plus loin, par vos flèches décochées sur les prérogatives de l'institution présidentielle. Mais ce que nous dénonçons, c'est la manière que vous choisissez pour porter atteinte à la loi fondamentale : dans l'obscurité, en tentant de semer le doute et la confusion.
Vous n'organisez pas un débat politique, vous sombrez dans la manipulation, touchant tour à tour au débauchage, au clientélisme électoral, au marivaudage politique et, parfois, au machiavélisme. Le droit d'inventaire est bien loin, la méthode, Jospin oubliée, les vieux démons ont resurgi, la méthode Mitterrand est à l'honneur, avec son cortège de tractations occultes, de majorités contre nature !
Gaullistes, nous ne sommes pas pour autant contre toute adaptation de notre loi fondamentale. Le débat institutionnel doit s'ouvrir, non pas pour affaiblir la Ve République mais, au contraire, pour l'améliorer et la conforter.
Il doit s'ouvrir non pour renforcer le rôle des partis, mais pour redonner la parole au peuple.
Il doit s'ouvrir non pour diminuer le prestige de l'institution présidentielle, mais pour en restaurer l'autorité.
Nous débattons donc aujourd'hui de l'inversion du calendrier électoral pour 2002. Que n'avons-nous pas entendu sur ce sujet ! Les couleuvres se sont mutées en boas et en pythons, mais nous ne les avalerons pas, je crois que le Sénat l'a démontré, hier et avant hier encore, notamment à M. le ministre des relations avec le Parlement.
Au préalable, il convient de rappeler que, malgré les apparences, ce qui nous réunit lors de cette séance n'est nullement un débat constitutionnel : ne nous y trompons pas.
Il en a certes la couleur, l'odeur, le goût, mais ce n'est qu'une mesure de convenance,...
M. François Gerbaud. C'est le Canada dry !
M. Bernard Fournier. ... si c'est du droit constitutionnel, il ne pourra qu'être « allégé ».
Nous sommes les mains dans le cambouis, à modifier la mécanique électorale en fonction des desiderata du fait majoritaire.
Faut-il pour autant se désintéresser de ce débat ?
Je ne le crois pas ; bien au contraire !
Ce texte, inscrit à la hâte à l'ordre du jour de notre assemblée, est à la fois important et dérisoire.
Je m'explique : il est important parce qu'il touche la fonction suprême, la clé de voûte de nos institutions.
Ce qui est contestable, c'est qu'il le fasse par ricochet : dans la mesure où le législateur ordinaire ne peut pas toucher au mandat du Président, que fait-il ? Il allonge son propre mandat !
La ficelle est grosse, mais elle semble ne gêner personne. Enfin, elle aurait dû ne gêner personne ! Mais c'était là sans compter sur l'opposition au Gouvernement.
Cependant, ce débat reste dérisoire pour deux raisons : d'une part, parce qu'il n'aborde pas le fond de la réflexion constitutionnelle et, d'autre part, parce qu'il relègue au second plan des réformes importantes.
En effet, il n'aborde pas le fond de la réflexion constitutionnelle, de sorte qu'il n'apparaît que comme une adaptation à la convenance politique d'un candidat potentiel : citons-le, il s'agit de Lionel Jospin, personne ne le découvre...
Ce n'est pas dit comme cela, mais, là encore, personne ne peut être sérieusement dupe. Or, dans le contexte de cohabitation, une telle initiative apparaît comme superflue et témoigne d'un esprit de calcul condamnable : elle n'est ni nécessaire ni élégante et marque à coup sûr un coup de couteau dans l'équilibre des pouvoirs. D'autre part, le débat sur le calendrier électoral apparaît encore comme dérisoire parce que des questions fondamentales sont reléguées au second plan.
Que penser de l'opportunité de ce débat lorsque la sécurité alimentaire est en danger du fait de l'importation massive de farines animales ?
Que penser de l'opportunité de ce débat lorsque la délinquance augmente en même temps que l'insécurité progresse ?
Que penser de l'opportunité de ce débat lorsque l'incivisme triomphe ?
Que penser de l'opportunité de ce débat lorsque les questions relatives à l'élargissement de l'Europe patinent ?
Que penser de l'opportunité de ce débat lorsque l'euro se met en place dans un silence assourdissant ?
Que penser de l'opportunité de ce débat lorsque le Gouvernement ne met en oeuvre qu'une seule politique d'attentisme électoral ?
Que penser, enfin, de l'opportunité de ce débat lorsque le Gouvernement n'est soucieux que de se prévaloir des fruits d'une croissance alors qu'il n'y est pour rien, lui qui est si prompt à les dilapider dans le financement de mesures dogmatiques.
Mais non ! La France n'est pas une république bananière dont on change les lois électorales au dernier moment.
Que l'on ne nous fasse pas croire que l'on ne découvre le calendrier électoral de 2002 qu'aujourd'hui ; il résulte, d'une part, des conséquences du décès du président Georges Pompidou, en 1974, et, d'autre part, de la dissolution de l'Assemblée nationale de 1997. Tous les intervenants l'ont souligné.
Ce sont des faits, des événements, malheureusement incontestables.
C'est ce qui me conduit à dire que, s'il avait fallu réformer ce calendrier, ou du moins si on avait voulu le faire dans les meilleures conditions institutionnelles possibles, il fallait agir dès l'installation de la dernière législature.
De cela le Gouvernement n'a pas voulu. Il a attendu de voir de quelle manière sa politique était perçue par l'opinion, et maintenant que les choses se dessinent, que l'opinion pourrait défier le Gouvernement, on se livre à des manoeuvres condamnables : il y a le feu au lac !
Aujourd'hui, modifier la séquence de l'élection du Président de la République et des députés ne peut apparaître que comme une manoeuvre politicienne. Et c'en est une ! Personne, je le répète, ne peut être dupe.
Le jeu est risqué pour notre démocratie : je disais à l'instant que cette « adaptation » du calendrier à la prétendue convenance d'un candidat était dérisoire ; j'ajoute qu'elle me paraît inopportune et maladroite. On ne joue pas avec la loi électorale comme on joue avec la loi fiscale, mesdames et messieurs de la gauche plurielle ! Le Gouvernement semble avoir bien vite oublié la leçon cuisante que nos concitoyens nous ont délivrée, à nous tous, à l'automne. Les Français se moquent des « réformettes » institutionnelles.
Faut-il vous rappeler ce qui s'est passé ce beau dimanche de septembre ? Pendant que la classe politique s'agitait sur les débats du quinquennat, les Français s'abstenaient très largement lors du référendum, nous délivraient un message sans appel, que nous nous devions d'entendre.
Comme la majorité semble ne pas avoir entendu ce message, c'est donc à l'opposition de le lui faire entendre. A mon sens, ce message était clair : il signifiait non le désintérêt de nos concitoyens pour la matière constitutionnelle, mais leur désaccord sur la forme de celui-ci.
Ne nous y trompons pas : les Français sont prêts à parler de l'organisation des pouvoirs, mais au terme d'un débat de fond, transparent et permettant à tous de s'exprimer. Ils sont las des demi-mesures, adoptées à la va-vite ou à la sauvette.
J'évoquerai plus longuement un autre point, que je tiens à aborder parce que rien n'est tabou et que nous avons, nous, le mérite de la franchise.
Certes, l'opposition s'est montrée divisée à l'Assemblée nationale, mais c'est parce que le Gouvernement sait bien jouer sur ce terrain. J'ai parlé, à cet égard, de la « génération Mitterrand ». Je dénonçais tout à l'heure le clientélisme dont le Gouvernement fait parfois preuve. Il a beau jeu de souligner les divergences de la droite parlementaire. Sur ce chapitre, je tiens à le rassurer : nous savons très bien nous diviser tout seuls, sans l'aide de personne !
Il faut cependant balayer devant sa porte avant d'aller nettoyer devant celle du voisin : le seul choix de la technique d'une proposition de loi pour nous imposer ce texte a été révélateur de l'impossibilité pour M. Jospin d'obtenir le blanc-seing de son conseil des ministres sur un projet de cette sorte. Qu'auraient dit, en effet, Mmes, MM. les membres communistes du Gouvernement, dont l'opposition à ce texte est connue, si le Premier ministre était passé en force sur ce point ?
Ce qui m'inquiète, c'est donc bien l'implosion constante de la majorité : comment, sur une réforme institutionnelle, mais aussi sur l'élargissement de l'Europe, mais encore sur la politique sociale et, récemment, sur la politique fiscale, le Gouvernement peut-il continuer à gérer ses contradictions ? Comment gérer, au sein d'une même équipe, un PS éclaté, des Verts écartelés, des communistes en rupture de ban ? Comment, par là même, continuer à assumer ses responsabilités exécutives ?
La coalition mosaïcale de la gauche plurielle n'est plus !
Elle a commencé à exploser lors de la campagne référendaire et elle se désintègre à l'occasion de ce débat sur la manipulation du calendrier électoral.
Revenant au coeur du débat, j'axerai mon propos sur deux points : la méthode et le fond.
La méthode est, à mon sens, contestable et lourde d'arrière-pensées.
J'apporterai d'abord quelques précisions sémantiques, car elles sont nécessaires. Je veux dire, après plusieurs de mes collègues, qu'il n'y a pas de « rétablissement » du calendrier électoral, comme on voudrait nous le faire croire. Pour qu'il y ait rétablissement, il faudrait qu'il y ait eu inversion volontaire ! Or il n'en est rien. La situation actuelle résulte simplement du déroulement des échéances politiques.
De plus, nulle part dans la Constitution, la séquence des élections législatives et de l'élection présidentielle n'est abordée. Le constituant de 1958 n'a pas cru bon de préciser ce point de détail, s'en remettant au rythme, à la respiration normale de la vie politique.
Ainsi, ce qui nous est présenté comme un rétablissement calendaire n'est en effet rien d'autre qu'un « tripatouillage » hasardeux, qui trouve sa source dans les arrière-pensées politiciennes des uns ou des autres, quels qu'ils soient.
Le Premier ministre, candidat pseudo virtuel, fait preuve sur ce sujet d'un esprit de finesse destiné à servir son intérêt politique. Cet esprit de finesse est cependant fragile parce que fondé sur des spéculations à long terme tout à fait hypothétiques.
La malignité du raisonnement est poussée à son paroxysme quand M. Jospin semble à la recherche d'un « brevet de gaullisme ». Nous ne le lui accorderons pas, car le gaullisme est l'inverse de ce que nous vivons aujourd'hui. Le gaullisme, c'est non l'intérêt des hommes, mais celui, supérieur, de la nation. Le gaullisme, ce n'est pas le calcul, la politicaillerie : c'est le regard sur l'horizon, avec pour seule perspective la grandeur de la France. (Mme Borvo s'esclaffe.)
Cet esprit de manoeuvre, j'aurais aimé de pas avoir à le dénoncer parce que j'ai du respect pour l'homme, dont nous connaissons la rigueur, et il ne manque d'ailleurs pas de s'en prévaloir. Nous sommes déçus parce que cet esprit de manoeuvre transpire des déclarations faite par le Premier ministre au cours des dernières semaines.
Quelle constance...
M. Jospin doit s'expliquer. Il doit nous faire comprendre comment l'inversion du calendrier électoral, ou son prétendu rétablissement circonstanciel, qu'il qualifiait lui-même de manoeuvre politicienne il y a peu - lorsque d'autres l'appelaient de leurs voeux - est devenue l'une des priorités de son gouvernement, quitte à repousser l'examen d'autres textes et à s'assurer l'adoption de celui-ci au prix de marchandages douteux.
Pourquoi ce qui apparaissait comme une manoeuvre hier n'en est plus une aujourd'hui ?
Par quel miracle spéculatif, fruit de l'imagination débordante des chroniqueurs journalistiques ou des prévisionnistes des instituts d'opinion, une manoeuvre se mue-t-elle en intérêt supérieur de la nation, au point d'inscrire ce texte en urgence à l'ordre du jour du Parlement, renvoyant de ce fait aux calendes grecques d'autres textes, réellement importants, eux, car ils doivent nous permettre de répondre aux attentes fondamentales de nos concitoyens.
M. Jospin est encore est encore recalé dans sa quête de brevet de gaullisme parce que la logique de nos institutions réside non dans le point de détail du calendrier électoral mais dans la réalité des pouvoirs concédés à chacun des organes qui composent la République : Président de la République, Gouvernement, Parlement. C'est le fondement même de notre Constitution, une constitution formelle et, somme toute, grâce à Dieu, assez rigide.
Si le Gouvernement veut respecter l'esprit des institutions de la Ve République, que les formations qui composent la coalition aux affaires ont pourtant longtemps combattue, il doit tout mettre en oeuvre pour veiller au respect des sphères de pouvoir du Parlement, pour les défendre contre les empiètements de l'exécutif, plutôt que de se perdre dans des querelles picrocholines sur l'articulation calendaire.
S'agissant toujours de la méthode, comment ne pas évoquer une nouvelle fois la voie du recours à un texte d'origine parlementaire qui a été choisie ? On nous refait le coût du PACS ! Voilà encore un texte important que le Gouvernement ne reprendra à son compte que s'il obtient une assurance tous risques de la part de sa majorité. Quel courage politique !
Ne nous y trompons pas : il s'agit d'éviter de heurter de front le locataire de l'Elysée. Piètre procédé, qui témoigne d'une bien faible hauteur de vue !
La procédure de la proposition de loi, outre qu'elle permet d'éviter l'examen en conseil des ministres, a le grand avantage de faire l'impasse sur le Conseil d'Etat. En effet, celui-ci dans sa formation consultative, n'aurait certes pas manqué de souligner l'inopportunité du texte et les limites de sa constitutionnalité.
L'absence d'examen en conseil des ministres prive aussi le Président de sa faculté de faire des remarques sur l'opportunité de ce texte.
Quelle élégance ! Quelle belle conception de la dialectique démocratique !
J'entends déjà le Gouvernement s'arc-bouter derrière la mauvaise rédaction d'un texte d'origine parlementaire dans le cas d'une censure par la rue de Montpensier !
Chacun sait bien qu'il s'agit en fait d'une commande de Matignon à la rue de Solférino. Nous ne sommes pas dupes !
Au fond, le Gouvernement ou, plus précisément, le parti socialiste, baigne dans les contradictions. En effet, il se dit soucieux du respect des institutions et de la logique constitutionnelle, mais il fait deux poids, deux mesures, selon les cas de figure. En fonction de l'intérêt de la majorité, la promptitude de la réaction gouvernementale n'est plus du tout la même.
Je veux évoquer ici, et ce n'est pas mon ami M. Gélard qui me contredira, la question des élections sénatoriales, qui n'est pas sans lien avec celle du calendrier électoral.
Rappelons le contexte : le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 6 juillet 2000 concernant la loi relative à l'élection des sénateurs, a reconnu l'obligation, pour le législateur, de modifier la répartition du nombre de sénateurs, et ce pour tenir compte des nouvelles réalités démographiques des collectivités dont le Sénat, est-il besoin de le souligner ici, assure la représentation. Les recommandations du Conseil en la matière constituaient, pour le Gouvernement, une quasi-injonction.
Autorisez-moi, monsieur le ministre, une parenthèse : nous venons de découvrir le peu de déférence de certains membres de la majorité à l'égard de l'autorité - pourtant absolue - de la chose jugée par le Conseil constitutionnel. Il y a de quoi être choqué. L'actualité récente vient en effet de nous en fournir des illustrations, avec les critiques sévères adressées par des personnalités de gauche envers deux décisions embarrassantes pour le Gouvernement.
Quoi qu'il en soit, le juge constitutionnel a encore - et c'est heureux ! - son mot à dire à l'issue du processus législatif, et les sages du Palais-Royal n'ont pas manqué de faire connaître au Gouvernement de quelle façon devaient s'organiser les prochaines élections sénatoriales.
Le ministre de l'intérieur, en l'espèce, a pu rappeler que cette modification n'était pas opportune aux yeux du Gouvernement, qui s'interdit « de modifier les règles relatives à une élection dans la période qui la précède immédiatement ». Cette déclaration a été faite le 25 octobre dernier, soit à onze mois des prochaines élections sénatoriales.
Le texte que nous discutons ne pourra être ni adopté ni promulgué avant la fin du mois de février ou le début du mois de mars, pour des élections normalement prévues pour le printemps 2002.
Finissons-en avec cette hypocrisie et cessons de couper les cheveux en quatre !
Mesdames, messieurs de la gauche plurielle, monsieur le ministre, vous jouez sur quelques semaines pour légiférer en urgence : ce n'est respectueux ni de nos concitoyens ni du Parlement. Vous pouvez vous draper d'indignation, mais c'est notre devoir que de dénoncer de telles manoeuvres, qui ne relèvent pas d'une pratique démocratique moderne.
Il nous appartiendra, lorsque l'Assemblée nationale aura dit son dernier mot sur le sujet, de soumettre ce texte à l'examen du Conseil constitutionnel.
J'en viens au fond.
En droit, il convient, d'abord, de rappeler que la Ve République a pu dégager une nouvelle conception du rôle du Président de la République. En 1958, on a voulu rétablir une autorité morale et politique qui s'était dégradée à la fin de la IIIe République et tout au long de la IVe.
Le rôle du Président de la République est aujourd'hui prééminent dans notre loi fondamentale. D'ailleurs, il fait l'objet du premier titre réellement normatif de ce texte.
Le général de Gaulle a voulu, en 1962, renforcer encore cette autorité en lui conférant une onction démocratique par l'élection du Président de la République au suffrage universel direct. C'est ce que vous n'avez pas manqué d'appeler, je vous le rappelle, mesdames, messieurs de la majorité, le « coup d'Etat permanent ».
Le bénéfice de l'abandon du mécanisme impliquant les grands électeurs n'est plus à prouver - d'ailleurs, nul ne le remet en cause aujourd'hui - de sorte que même les Etats-Unis d'Amérique seraient bien inspirés de nous copier sur ce point.
La réduction à cinq ans du mandat du Président de la République, que le peuple a in fine acceptée le 24 septembre dernier, permettra peut-être d'éviter les accidents constitutionnels que sont les cohabitations et qui ne sont, j'en suis convaincu, ni fertiles ni souhaitables.
Cependant, il conviendrait de revenir à un peu de décence dans nos débats. L'argument qui est avancé à l'appui de la proposition de loi organique que nous examinons est d'ordre politique : il s'agit d'empêcher un nouvel accident institutionnel. Mais ne l'oublions pas, la cohabitation a été prévue par le constituant de 1958 ; le général de Gaulle l'avait lui-même évoquée. Mais il a fallu attendre 1986 pour qu'elle soit testée de façon empirique, lors de la défaite de la gauche aux élections législatives, et sous la présidence de François Mitterrand, pas d'un autre !
Si, à titre personnel, je considère que la cohabitation n'est pas souhaitable parce qu'elle handicape la mise en place d'une politique dynamique, elle n'en demeure pas moins une possibilité que les rédacteurs de 1958 ont prévue.
A ceux - ils existent - qui reprocheraient trop rapidement au Président de la République en poste de n'avoir pas tiré les conclusions des résultats des élections législatives de 1997, je veux rappeler qu'il n'y avait aucune raison pour qu'à deux situations identiques - 1986 et 1997 - soient appliquées des solutions différentes.
Le Président de la République, nous l'avons souligné, est au premier plan de notre système constitutionnel ; il est, aux termes de l'article 5 de notre loi fondamentale, le gardien du respect de la Constitution et l'arbitre en charge du fonctionnement régulier des pouvoirs publics et de la continuité de l'Etat.
Ce terme d'arbitre prend tout son sens dans les périodes de cohabitation. Nos institutions fonctionnent ; il suffit de constater que le rôle présidentiel ne s'est jamais réduit à une seule dimension protocolaire.
Dès lors, l'élection présidentielle est bien la clé de voûte de nos institutions. De sorte qu'une modification législative organique contingente ayant une incidence, fût-elle indirecte, sur les prérogatives de la fonction, fragilise l'institution, car, de fait, l'élection du Président de la République est l'acte fondamental de la vie politique française. Seul le Président de la République peut donc avoir la maîtrise du calendrier dans les circonstances exceptionnelles de l'espèce.
Au surplus, à la lecture de chacune des propositions de loi déposées sur le sujet, on est frappé par les motifs de leurs auteurs, lesquels ne prennent même pas le soin de cacher les arrière-pensées de la majorité. Aucun argument de droit constitutionnel n'apparaît. Il s'agit plutôt d'un catalogue de justifications politiques et de circonstance ne reposant que sur des spéculations d'« observateurs » plus ou moins avisés.
Ce n'est pourtant ni à la presse ni à ces observateurs qu'il appartient de rédiger la loi fondamentale ou de l'interpréter, mais au pouvoir constituant lui-même. Le législateur organique ne peut, quant à lui, que la mettre en oeuvre.
Si le constituant de 1958 n'a pas souhaité s'immiscer dans le détail de la séquence des élections, c'est qu'il ne l'a pas jugé nécessaire. La Ve République a fait ses preuves et il n'est nullement besoin de « tripatouiller » le calendrier sous prétexte de la renforcer : la Constitution de 1958 a su, pour le moins, s'adapter aux accidents cohabitationnels. C'est une constitution efficace qu'il convient de laisser respirer d'elle-même.
Plus graves m'apparaissent les conséquences que le texte que nous étudions porte en filigrane, car modifier le rythme du calendrier électoral revient en fait à mettre en cause une prérogative du Président de la République qui n'appartient ni au Gouvernement, ni au Parlement. Je suis en effet persuadé que la présente proposition de loi nie la plénitude du droit de dissolution du Président de la République.
Je m'explique : les avocats de ce texte exposent à l'appui de celui-ci qu'il s'agit de corriger les conséquences de la dissolution de 1997. Sans qualifier ces conséquences, on ne peut que souligner que vouloir s'attaquer aux effets de la dissolution, c'est porter atteinte au droit de dissolution prévu à l'article 12 de la Constitution lui-même.
Si la majorité entend adresser un signal au Président de la République, soit parce qu'elle ne trouve plus sa cohérence - c'est le cas -, soit parce qu'elle est animée par ce fameux « esprit de 1958 » qu'elle semble découvrir, rien n'empêche à son chef de démissionner et donc de revenir devant nos concitoyens en provoquant ainsi des élections législatives anticipées. Il y a là, mes chers collègues, une porte de sortie si l'on veut réellement modifier le calendrier électoral !
Mais mettre ainsi le Président de la République et le Parlement au pied du mur en imposant une réforme qui touche à l'une des prérogatives les plus essentielles du chef de l'Etat conduit nécessairement à la négation d'une partie des pouvoirs et capacités de celui-ci : il s'agit d'un empiètement sans précédent du domaine du Premier ministre et du Parlement sur le domaine présidentiel.
Le droit de dissolution est une prérogative essentielle et traditionnelle du Président ; il fonde la spécificité de notre régime et contrebalance le poids du Premier ministre.
L'originalité de la Ve République réside précisément en ceci : à l'inverse de ses prédécesseurs de la IIIe ou a fortiori de la IVe République, le Président reste libre de décider ou non de dissoudre. Seule une procédure d'avis ou de simple information est prévue. La position du chef de l'Etat est dominante, sa légitimité démocratique exceptionnelle, sans précédent dans notre histoire constitutionnelle.
Cette légitimité conduit à une déférence absolue et nécessaire à l'égard de la fonction présidentielle, qui ne souffre aucune concurrence : la primauté présidentielle est un fait déterminant et incontestable de la vie politique française.
En allongeant le mandat des députés au-delà de ce qui était initialement prévu au motif de contrecarrer les effets de la dissolution, le législateur organique s'apprête à porter un coup symbolique à l'équilibre des pouvoirs. Je ne suis pas convaincu, par ailleurs, que l'opinion publique soit favorable à ce que le législateur proroge son propre mandat. En tout cas, la dérive existe.
On pourra objecter qu'il ne s'agit là que de glose. Cependant, les premières atteintes à une institution, fussent-elles symboliques, manquent rarement de mettre en cause plus fondamentalement son essence, et elles conduisent souvent à en saper l'assise et l'autorité.
En plus de conduire à un empiètement sur les prérogatives du Président de la République, le texte dont nous discutons aujourd'hui semble peu respectueux du corps électoral...
M. Alain Gournac. Ah, ça oui !
M. Bernard Fournier. ... alors que c'est à lui, ne l'oublions pas, que nous devons notre dignité de réprésentant de la nation.
M. Alain Gournac. Tout à fait !
M. Bernard Fournier. Ce texte me semble nier la clairvoyance du corps électoral. Encore une fois, c'est l'esprit de système qui domine. On veut penser pour le peuple, à la place du peuple ! C'est une atteinte majeure à la démocratie. Nos électeurs sont des adultes responsables, oser l'oublier serait indécent.
La présente proposition de loi constitue donc une atteinte à la liberté de choisir et procède de l'infantilisation du corps électoral. Cette infantilisation est typique des majorités qui restent animées par un dogmatisme systématique et archaïque, héritage poussiéreux d'un marxisme-léninisme d'un autre temps, peu respectueux de la maturité et de la majorité civique des électeurs.
Le bon sens du corps électoral est bafoué par les hypothétiques projections des hiérarques de tout poil. On suppute dans les couloirs du pouvoir et les cercles avertis que les Français pourraient reconduire à l'Assemblée nationale la majorité actuelle pour la défier ensuite immédiatement en réinstallant à l'Elysée le contradicteur de cette majorité !
Si quand bien même cela était le cas, le seul enseignement qui pourrait en être tiré serait la fantastique impossibilité pour ladite majorité parlementaire de se fédérer derrière un leader. Ce serait le constat de sa faiblesse. Est-ce cela que l'on redoute ?
Certes, nos compatriotes sont parfois un peu joueurs. Reprenant le propos de l'un de nos chroniqueurs en vue, je dirai que « les Français sont monarchistes mais qu'ils ont l'instinct régicide ». Sur le même schéma de raisonnement, si à quelques semaines d'intervalle les Français décidaient de constituer un exécutif dissonant, faudrait-il y voir les seules conséquences d'un calendrier « dingo » ou, plutôt, une formidable invite à repenser notre démocratie ? Appartient-il à la classe politique d'imposer aux Français son propre rythme ? Ne devrait-elle pas plutôt se « caler » à la volonté nationale, sans modifier tous les quatre matins les règles du jeu en fonction des circonstances du moment ?
M. Jean-Pierre Schosteck. Ce serait plus convenable !
M. Bernard Fournier. Le débat sur la modernisation de la vie politique ne peut pas se faire au détour de lois organiques, il exige une vaste consultation et une réflexion des constitutionnalistes et de nos concitoyens. La constitution de la Ve République n'est pas un texte figé, c'est un texte vivant qui a su évoluer avec chacun des détenteurs du pouvoir présidentiel, qui l'ont marqué de leur empreinte. Le miracle de la Ve République a été de survivre à son inspirateur et de rallier ses plus vifs opposants.
La Ve République n'est pas morte et sa Constitution n'est pas intouchable, elle n'a pas l'inviolabilité des Tables de la Loi. La place du Parlement, le statut du Conseil constitutionnel, la spécificité du Sénat, ne sont pas des sujets tabous, pour autant qu'on les aborde avec science, dignité et neutralité.
Il y a de l'indécence dans la manoeuvre à laquelle on voudrait nous associer. Elle ne prend en considération que d'hypothétiques conclusions qui ne se fondent même pas sur les analyses des instituts d'opinion mais sur les sentiments de gourous. N'oublions jamais cependant que les voix des gourous ne sont pas l'expression de la volonté générale...
Pour conclure, si l'art du politique est de prévoir, ce n'est pas en tentant de prévoir comment garder le pouvoir qu'il trouve sa dignité mais plutôt en tentant de servir l'intérêt du plus grand nombre ! C'est à cela que l'on reconnaît une grande démocratie : le pouvoir est non plus une fonction, mais une mission. Puissions-nous chacun nous en souvenir et ne pas gêner la respiration de notre République pour l'adapter au souffle de tel ou tel. Prenons garde de ne pas abîmer une oeuvre qui a su faire ses preuves. Sinon, soyons prêts a assumer toutes les conséquences !
Pour toutes ces raisons, je ne voterai pas la proposition de loi qui nous est soumise. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Jean Boyer.
M. Jean Boyer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la modification du calendrier électoral serait, de la part du Gouvernement socialiste, un calcul d'intérêt, une manipulation de bas étage, une réforme de circonstance destinée à servir les prétentions du pouvoir socialiste.
Qu'il me soit permis d'en douter car tout calcul, si déplacé soit-il, toute manipulation et toute réforme, si contestables soient-elles, supposent un minimum de réflexion, de cohérence et, finalement, de bons sens. Or, il faut l'affirmer avec force, gouvernance ne rime plus aujourd'hui avec bon sens. Il y a longtemps en effet que les socialistes ne font plus montre ni de cohérence ni de réflexion : depuis qu'ils ont renoncé à bâtir un projet de long terme viable et pertinent, depuis qu'ils ont renoncé à définir pour mieux les servir les intérêts vitaux de la nation, depuis qu'en définitive ils ont renoncé à gouverner dans l'espoir de ne pas se mettre à dos certaines catégories de Français.
Depuis longtemps déjà, dans l'univers sclérosant et appauvrissant de la galaxie socialo-communiste, la lutte des classes a cédé le pas à la lutte des places. Depuis longtemps déjà, dans l'univers marxisant et lénifiant de la constellation socialiste, l'exercice du pouvoir a cédé le pas à l'apparence du pouvoir.
M. Jean-Pierre Schosteck. C'est vrai !
M. Jean Boyer. Cette démission est doublement inacceptable, d'une part, parce qu'elle fait le jeu des intérêts privés, exacerbe les inégalités, creuse le lit de la pauvreté et de la précarité, d'autre part, parce qu'elle n'est pas inévitable contrairement à ce que voudrait nous faire croire le Gouvernement. Celui-ci s'enferme de plus en plus dans un « cybermonde » au confort artificiel pour tenter de justifier une politique que l'on peut qualifier de virtuelle tant elle est éloignée de la réalité et des préoccupations des Français.
Les Etats conservent une capacité d'action et une marge de manoeuvre réelles sur les données les plus élémentaires de la vie économique et sociale, comme les prix, les niveaux d'imposition, les subventions, la politique budgétaire et fiscale.
Les marchés boursiers eux-mêmes restent régis par des conditions qu'il appartient aux gouvernements d'établir : la confiance des investisseurs, qui doit aujourd'hui être restaurée, et la santé financière des entreprises, qui doivent être libérées des charges sans cesse plus lourdes qui, dans notre pays, pèsent sur elles.
Le Gouvernement doit et peut agir sur l'environnement de la croissance. Il lui appartient de donner un souffle nouveau à la recherche et à la technologie. Il est de sa responsabilité de moderniser les services publics, qui doivent devenir plus rentables et plus compétitifs, dans l'intérêt du citoyen et de la nation.
Comment, dans ces conditions, expliquer la démission du Gouvernement ? Ne serait-il plus préoccupé que par les seuls sondages de popularité et l'issue des grandes échéances électorales à venir ? Nous osons à peine le croire. Et pourtant,...
M. Jean-Pierre Schosteck. Eh oui !
M. Jean Boyer. ... ne partageons-nous pas désormais avec nos voisins britanniques une caractéristique essentielle, majeure de la vie politique : le gouvernement fantôme ?
Que pouvait-on espérer d'autre d'un gouvernement si pusillanime ?
Jamais dans l'histoire de la Ve République, en effet, un gouvernement n'a autant « déploré », « regretté », « compati », « gémi » : les grandes catastrophes écologiques ou naturelles ayant affecté notre pays ; l'insécurité sur notre territoire ; la multiplication des agressions à l'encontre des forces de l'ordre et des convoyeurs de fonds ; les classes surchargées de nos écoles ; la démobilisation des infirmiers et des professions de santé ; nos cliniques et nos hôpitaux exsangues, pour cause d'application de la loi sur les 35 heures ;...
M. Jean-Pierre Schosteck. Effectivement !
M. Jean Boyer. ... le manque de représentativité de notre démocratie, l'incapacité du Gouvernement à composer avec les partenaires sociaux, son inaptitude à aborder la question des retraites dans une France vieillissante.
Jamais, dans l'histoire de la Ve République, un Premier ministre ne s'est autant « étonné », « interrogé », déclaré « surpris », « ému », choqué », « révolté » par les affaires qui ont secoué son propre parti, les mises en cause qui ont affecté ses propres hommes de confiance, les révélations sur des comportements douteux dans des dossiers sensibles, qu'ils aient trait à la justice ou à la défense, le mauvais usage des deniers publics. Il faudrait ajouter le caractère exorbitant des sommes dépensées pour compenser le coût de l'application de la loi sur les 35 heures, à savvoir - et ce sont des chiffres que nous devons sans cesse rappeler - près de 64 milliards de francs en 2000 et environ 85 milliards de francs en 2001,...
M. Alain Gournac. En effet !
M. Jean Boyer. ... tout cela pour financer le remboursement des exonérations des cotisations patronales.
Des affaires, vous n'êtes jamais au courant ! Des réformes, vous n'avez que faire ! Des problèmes, vous avez toujours la même approche : subir ou gémir !
Mais enfin, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce n'est pas en gémissant et en pleurant continuellement que l'on gouverne un pays ! Ce n'est pas en s'étonnant et en s'interrogeant perpétuellement que l'on mène une nation ! Ce n'est pas en exprimant inlassablement ses sentiments et son ressentiment que l'on conduit un peuple !
D'un gouvernement en général, et de son chef en particulier, on est en droit d'attendre autre chose qu'affect et sensiblerie, étonnement ou colère.
On est en droit d'attendre une force de caractère et des convictions sans faille, par exemple pour imprimer une marque à un projet cohérent et viable. On est en droit d'attendre aussi du courage et une détermination sans égal pour donner un souffle au combat politique et conduire les réformes nécessaires au renouveau de l'action politique et publique.
Proposer aux Français un nouveau projet de société, plus humain et plus respectueux des diversités, établir des relations entre les individus fondées sur une plus grande justice et sur le droit, favoriser l'échange, seul facteur de croissance et de richesse, sans s'en remettre à la force coercitive de l'Etat, voilà les vrais défis qu'il faut relever aujourd'hui.
Il est indispensable d'engager une réflexion de fond sur l'Etat. A l'aube du troisième millénaire, quelles doivent être ses attributions ? Quelle est la responsabilité de l'homme public, de l'homme politique ? Comment la puissance publique doit-elle être utilisée ? Telles sont leurs vraies questions dont il faut débattre.
Est-il cohérent, par exemple, de réduire la durée hebdomadaire légale du travail à 35 heures et, simultanément, de revendiquer en Europe le rôle de premier de la classe, alors que nos voisins européens n'ont jamais autant travaillé ?
De la même façon, est-il opportun, dans notre pays, de laisser s'éteindre les maîtres d'apprentissage,...
M. Alain Gournac. Voilà !
M. Jean Boyer. ... alors que tous les acteurs de la vie économique locale plaident pour la revalorisation du travail manuel et plébiscitent le développement de l'apprentissage ?
Comment peut-on manquer de vision à ce point ? Comment peut-on desservir nos institutions et la classe politique dans une si large mesure ? Comment peut-on agir ainsi, en toute conscience et en totale impunité ?
En effet, il ne faut pas s'y tromper, ce sont, au coup par coup, de façon anodine et insidieuse, la grandeur, la viabilité et la cohérence de nos institutions que les socialistes sacrifient sur l'autel de la médiocrité, des intérêts à court terme et des petites ambitions personnelles.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quand le coup d'Etat permanent rejoint le grand rêve de révolution mondiale, la République est en danger !
Dans ces conditions, nous devrions débattre aujourd'hui non pas de l'inversion du calendrier électoral, mais de la responsabilité de la fonction gouvernementale, dans un contexte de cohabitation.
Celle-ci ne devrait-elle pas être étendue, par exemple lorsque le Gouvernement privilégie systématiquement les intérêts personnels sur l'intérêt général et qu'il remet en question, subrepticement, insidieusement, à coup de « réformettes », tout notre édifice institutionnel ?
Comme le soulignait la semaine dernière mon collègue M. Jean-Pierre Raffarin, un gouvernement peut-il aujourd'hui, en toute impunité, sans associer le peuple directement, méconnaître et l'esprit et la pratique de nos institutions, en modifiant l'élection du Président de la République sans associer au débat le chef de l'Etat lui-même, pourtant clé de voûte de notre régime ?
De la même façon, un gouvernement pourra-t-il encore longtemps, en toute impunité, manipuler les institutions à son profit, comme hier le mode de scrutin régional et le mode d'élection des sénateurs ?
Inverser les dates des élections législatives et de l'élection présidentielle en arguant du respect des institutions, c'est non seulement faire preuve de mauvaise foi, mais, ce qui est beaucoup plus grave pour des responsables politiques, c'est aussi et surtout faire preuve d'une méconnaissance totale de notre histoire constitutionnelle.
Comme l'ont rappelé, la semaine dernière, mes collègues MM. Christian Bonnet et Jean-Claude Carle, depuis 1958, en effet, à trois reprises, les élections législatives ont précédé l'élection présidentielle : en novembre 1958, en juin 1968 et en mars 1973.
Depuis 1962, sur les six élections présidentielles au suffrage universel direct que notre régime a connues, deux seulement, en 1981 et en 1988, ont immédiatement précédé les élections législatives.
En réalité, les socialistes cherchent, ni plus ni moins, à mettre à bas, unilatéralement et discrétionnairement, le régime qui a été établi voilà près de cinquante ans par les pères fondateurs de la Ve République.
De ce point de vue, un constat s'impose. Il peut être légitime de débattre officiellement, au grand jour, avec tous les acteurs concernés, de la pertinence de nos institutions et de la nécessité de les reformer. Il est, en revanche, inacceptable de chercher à le faire insidieusement, sans débat public, pour ne pas heurter l'opinion et ne pas associer des acteurs qui pourraient se révéler gênants, nonobstant leur légitimité.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà près de quarante-trois ans, j'ai décidé de consacrer ma vie à la res publica, car je croyais que c'était la meilleure façon de servir la République et mon pays.
Toutes ces années de combat ont été marquées par de grandes joies et de grandes tristesses, par des moments de bonheur rares et par des blessures profondes qui ne se refermeront sans doute jamais. Mais je ne regrette rien.
De tout cela, j'ai retenu deux choses. Consacrer sa vie à la « chose publique » impose, à celui qui s'engage, des devoirs vis-à-vis de son pays et de ses concitoyens. Il est question, ici, essentiellement, de respect. Mais, tout aussi sûrement, consacrer sa vie à la « chose publique » confère également, à celui qui s'engage, des droits. Il est question, ici, principalement, d'honneur, l'honneur de ne jamais transiger et de ne jamais accepter les compromissions, l'honneur de dénoncer tout ce qui dessert les intérêts fondamentaux de notre pays et de nos compatriotes.
Tout cela m'encourage aujourd'hui, avec force et solennellement, à affirmer : c'est une faute de brader un édifice constitutionnel qui a donné à la France sa plus grande stabilité politique depuis 1789 ; c'est une faute de manipuler à des fins personnelles la norme suprême de notre pays, atavisme sacré d'un passé glorieux dont la France peut s'enorgueillir ; c'est une faute, encore, de se poser en défenseur d'un régime que l'on a toujours combattu, avec une force et une violence inégalées ; c'est une faute, enfin, de renoncer à gouverner, en reportant les réformes essentielles, dans l'unique espoir de voir sa popularité intacte et, ainsi, de gagner l'élection présidentielle.
C'est pourquoi, mes chers collègues, je réprouve que le gouvernement socialiste discrédite chaque jour davantage la classe politique, à force de privilégier des intérêts de personnes par rapport à aux intérêts de la nation.
Je réprouve que le gouvernement socialiste trompe les Français, en leur faisant croire qu'il est le garant de nos institutions et qu'il défend les intérêts vitaux de la nation, alors qu'il mène des réformes en total décalage avec les préoccupations et les attentes de nos compatriotes.
Je réprouve que le gouvernement socialiste, à quatorze mois d'échéances électorales décisives, sous couvert d'engager un débat institutionnel de fond et au mépris des règles de courtoisie les plus élémentaires, truque la partie, pipe les dés et change les règles du jeu, dans l'espoir de s'assurer une victoire qui semble lui échapper au regard de son triste bilan.
Je réprouve que le gouvernement socialiste délaisse sciemment les réformes difficiles qu'il faut conduire en priorité, dans l'intérêt de nos concitoyens,...
M. Alain Gournac. Absolument !
M. Jean Boyer. ... parce que ces réformes ne sont pas réputées porteuses sur le plan électoral.
M. Jean-Pierre Schosteck. Pourtant, il ne manque pas de choses importantes !
M. Jean Boyer. Je réprouve, en définitive, que le gouvernement socialiste, englué dans des intérêts de court terme et de personnes, n'ait pas voulu ni su tirer le meilleur parti possible de l'embellie économique exceptionnelle que la France a connue ces cinq dernières années.
M. Allouche disait avant-hier qu'il avait mal au Sénat.
Aujourd'hui, le simple sénateur que je suis souffre pour la France et sa grandeur, pour la République et son prestige, pour ses enfants et leur avenir. Puisque, paraît-il, c'est encore la période des voeux, permettez-moi d'en formuler un dernier. Puisse l' homo politicus retrouver, à l'aube de cette ère nouvelle, courage, intégrité et panache. Puissent nos concitoyens à nouveau faire confiance à nos responsables politiques. En effet, une chose est sûre : seule la confiance en l'homme permettra de faire triompher la conscience de l'homme. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Blanc.
M. Paul Blanc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, énième orateur inscrit dans cette discussion générale, je vais m'efforcer d'être bref, n'étant pas un spécialiste de droit et, a fortiori, de droit constitutionnel. Cependant, c'est l'opinion d'un sénateur de base que je souhaite exprimer ici.
En effet, je voudrais simplement nous rafraîchir la mémoire sur les propos tenus par le Premier ministre, il n'y a pas si longtemps, sur cette question.
Lionel Jospin, qui s'était toujours déclaré défavorable à une telle modification, affirmait au journal télévisé de vingt heures, qui, comme vous le savez, a certainement l'audience la plus grande, le 19 octobre dernier : « Toute initiative de ma part serait interprétée de façon étroitement politique, voire politicienne. Moi, j'en resterai là et il faudrait vraiment qu'un consensus s'esquisse pour que des initiatives puissent être prises. »
Il y aurait donc un consensus aujourd'hui, alors que, à l'Assemblée nationale, il a fallu rassembler une majorité de bric et de broc ? Il y aurait un consensus, alors que, ici même, au sein de la Haute Assemblée, il semble quand même qu'une opposition forte à ce projet de loi s'exprime ?
N'est-ce pas riche d'enseignement ? Cela ne révèle-t-il pas les motivations profondes du Premier ministre ? En effet, Lionel Jospin peut sans outrance être suspecté de faire en ce jour une réforme de convenance. Lui-même nous invite d'ailleurs à le penser puisqu'il reconnaît que « toute initiative de sa part serait interprétée de façon étroitement politique, voire politicienne ».
M. Jean-Pierre Schosteck. C'est la seule réflexion lucide de sa part !
M. Paul Blanc. Nous ne pouvons qu'abonder dans son sens, comme le font d'ailleurs les Français.
M. Jean-Pierre Schosteck. Bien sûr !
M. Paul Blanc. Ils ne sont et ne seront pas dupes. Les Français y verront bien une manoeuvre électorale, pour ne pas dire électoraliste. Cela ne sert pas l'image déjà négative qu'ils se font de la classe politique.
M. Alain Gournac. Ça, c'est sûr !
M. Paul Blanc. Le Premier ministre aurait dû rester fidèle à sa parole lorsqu'il promettait qu'il « en resterait là ». Personne ne peut comprendre un si subit revirement, sauf peut-être les analystes politiques qui ne manquent pas, depuis quelques mois maintenant, de rappeler que les prochaines échéances législatives ne seront pas favorables à la majorité plurielle.
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Paul Blanc. Il s'agit là d'une opinion qui est exprimée de plus en plus dans la presse.
Ce que je déplore - et je pense que c'est également le cas de mes collègues - c'est que cette réforme soit imposée en parfaite connaissance de cause. Si le Premier ministre, par naïveté, n'avait pas perçu à quel point cette réforme était privée de consensus, nous aurions pu éviter de lui faire ce procès d'intention.
Mais compte tenu de ses propos on ne peut plus explicites - « Il faudrait vraiment qu'un consensus s'esquisse pour que des initiatives puissent être prises » -, on comprend que c'est en connaissance de cause que le Premier ministre a choisi de faire passer la réforme en force, alors même que sa propre majorité de circonstance sur ce texte s'émoussait.
Lionel Jospin a déclaré à l'Assemblée nationale, pour se justifier, que les prochaines échéances étaient trop éloignées pour savoir si cette inversion du calendrier jouerait en faveur de tel ou tel candidat ou en faveur de tel ou tel camp.
Dans ces conditions, comment ne pas être surpris d'entendre Henri Emmanuelli déclarer en marge du congrès du parti socialiste, à Grenoble, que ce débat sur le calendrier était « disproportionné »,...
M. Jean-Pierre Schosteck. Voilà !
M. Paul Blanc. ... que « personne n'était dupe » et que « cela fait des mois que tout le monde sait que ce calendrier n'est pas favorable au candidat de gauche ». (M. Gournac rit.)
Ainsi, je comprends mal - et, dans ma circonscription, les électeurs de base sont comme moi - que Lionel Jospin fasse passer en force et en vitesse une proposition de loi organique censée n'être favorable à personne, alors que ses partenaires se frottent simultanément les mains en rappelant qu'il est patent depuis des mois que le calendrier actuel ne leur est pas favorable.
Le procès d'intention ne peut être considéré comme injuste. Celui-ci, en effet, ne me semble de fait pas totalement dénué de fondement.
Cette réforme est effectivement une réforme de convenance et, encore une fois, il n'est pas sain, dans une démocratie moderne, de procéder à de tels changements à des fins purement électoralistes. Les électeurs ne manqueront pas d'en juger par eux-mêmes. Et ces manoeuvres, selon le vieux principe de l'arroseur arrosé, seront, à n'en pas douter, sanctionnées par le peuple.
M. Hilaire Flandre. C'est évident !
M. Paul Blanc. Le Premier ministre aurait dû s'en remettre au Président de la République, puisque c'est à ce dernier qu'il revenait de prendre une décision de cet ordre, la Constitution lui conférant le rôle de gardien des institutions.
Puisque cette réforme touche, sans le dire, à l'élection présidentielle - il s'agit bel et bien d'inverser le calendrier électoral et de faire intervenir l'élection présidentielle avec les élections législatives - il me semblait que la moindre des politesses aurait bien évidemment été de procéder par la voie d'un projet de loi organique, examiné en conseil des ministres, lequel, en vertu de l'article 9 de la Constitution, est présidé par le Président de la République.
Le Président de la République aurait ainsi pu - cela semblait la moindre des choses - formuler au moins des observations, voire des réserves, quant à l'inversion du calendrier électoral.
Cela aurait relevé non pas simplement de la plus évidente des courtoisies mais également de l'esprit même de nos institutions que certains croient défendre aujourd'hui, après avoir été ses plus ardents détracteurs, en plaidant pour cette inversion du calendrier.
En effet, si personne ne peut se prévaloir d'être garant de l'esprit de nos institutions, et surtout pas ceux qui, héritiers spirituels de l'auteur du livre Le Coup d'Etat permanent, le combattaient encore très récemment, une seule chose reste cependant certaine : les réformes institutionnelles relèvent de la compétence du Président de la République. D'ailleurs, permettez-moi de rappeler les propos de M. le rapporteur, qui a bien fait remarquer que, dans l'interprétation même de la Constitution, il y avait au moins deux doctrines ; mais je n'y reviendrai pas, car cela a déjà été brillamment démontré.
Effectivement, personne ne peut se prévaloir d'être habilité à dire si l'inversion ou le maintien du calendrier est le plus conforme à l'esprit de nos institutions.
J'en veux pour preuve les avis différents des éminents constitutionnalistes auditionnés par la commission.
En revanche, il y a une chose que personne ne peut nier : c'est que la réforme, si elle devait avoir lieu, devrait être du ressort du Président de la République.
MM. Alain Gournac et Jean-Pierre Schosteck. C'est sûr !
M. Paul Blanc. Permettez-moi de citer encore une fois la Constitution, qui est déjà malmenée en ce jour et qu'il est donc salutaire de ne pas oublier. L'article 5 de la Constitution est on ne peut plus précis : « Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'Etat. » Il me semble qu'il est difficile d'être plus explicite.
De quel droit le Président de la République a-t-il donc été écarté, d'une part, d'un débat institutionnel et, d'autre part, de l'élaboration d'un texte de loi le concernant au premier chef ? Cette question mérite, il me semble, une réponse nette et précise monsieur le ministre et c'est ce que j'attends de vous.
M. Alain Gournac. Il y a peu d'espoir !
M. Paul Blanc. Votre réponse est d'autant plus attendue par mes collègues et par moi-même que le Premier ministre semblait pourtant, lui aussi, extrêmement clair sur la question.
Or c'est avec étonnement que, quelques semaines plus tard, j'ai appris, comme l'ensemble des Français, qu'au cours d'un congrès du parti socialiste - entre nous, est-ce la meilleure tribune pour obtenir un consensus ? - Lionel Jospin annonçait son intention de défendre un texte inversant le calendrier électoral et prolongeant la durée du mandat des députés, et ce à peine un an avant la date prévue du scrutin.
Par ailleurs, était-il vraiment nécessaire de déclarer l'urgence sur ce texte ? Etait-il à ce point essentiel qu'il soit adopté au plus vite, pratiquement en catimini, au nom de je ne sais quelle impérieuse urgence nationale ?
M. Jean-Pierre Schosteck. Heureusement que le Sénat veille !
M. Alain Gournac. La « petite troupe » veille !
M. Paul Blanc. Chez moi, les gens s'étonnent que nous ayons à « plancher » sur cette proposition de loi, alors qu'ils appellent de leurs voeux bon nombre d'autres réformes autrement plus urgentes pour eux.
Je pense notamment à la réforme de nos impôts. La répartition de la fameuse « cagnotte » n'aurait-elle pas mérité un grand débat au Parlement ?
M. Alain Gournac. Certes !
M. Paul Blanc. N'était-ce pas mieux que de laisser les gens de Bercy trancher ?
Je pense à l'avenir de nos retraites.
M. Alain Gournac. Aussi !
M. Paul Blanc. Aujourd'hui, une grève est lancée. A ce véritable problème, aucune réponse n'est apportée.
Je pense à la sécurité,...
M. Alain Gournac. Petit problème !
M. Paul Blanc. ... au moment où, dans ma région, le Languedoc-Roussillon, les gendarmes et les policiers se font tirer comme au ball-trap,...
M. Jean-Pierre Schosteck. Comme à la chasse !
M. Paul Blanc. ... où, à Strasbourg ou ailleurs, on commence à trouver tout à fait normal que les voitures brûlent,...
M. Alain Gournac. Il n'y en a pas eu beaucoup, cette année ! (Rires sur les travées du RPR.)
M. Paul Blanc. ... où, même dans les plus petites communes, les personnes âgées n'osent plus sortir, de crainte d'être victimes d'une agression à la sauvette.
M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement, tout récemment, et avec raison, s'est félicité, dans les étranges lucarnes, de la diminution du nombre de tués sur les routes en France au cours de l'année 2000.
Il nous a montré ce qu'il fallait faire, car, en même temps qu'il parlait, on voyait des gendarmes et des policiers en train de procéder à des contrôles routiers, après quoi confirmation nous était donnée que des consignes très strictes avaient été transmises aux parquets pour sanctionner sévèrement les contrevenants, notamment en cas de délit de grande vitesse ou de conduite en état d'ivresse ou sous l'emprise de la drogue. Ces mesures, tous les citoyens de France les acceptent, ou finissent par s'en accommoder.
Pourquoi ne donne-t-on pas la consigne aux parquets de traiter les délinquants avec la même sévérité ? C'est ce que les Français, aujourd'hui, demandent.
M. Jean-Pierre Schosteck. Très bien !
M. Paul Blanc. Si certains de nos ministres étaient victimes d'agressions, nul doute qu'il en irait ainsi, pour autant que l'on arrive à prende - ou reprendre ! - lesdits délinquants !
Encore une fois, pourquoi ce que le ministre de l'équipement, des transports et du logement a fait en matière de sécurité routière, le ministre de l'intérieur ne le ferait-il pas pour la petite délinquance quotidienne ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
Le financement de la sécurité sociale est un autre grand sujet de préoccupation des Français.
M. Jean-Pierre Schosteck. Mais non, il n'y a pas d'urgence !
M. Alain Gournac. Ce n'est pas pressé ! (Rires sur les travées du RPR.)
M. Paul Blanc. Certes ! Si ce n'est que, chaque année, on nous annonce que les pourcentages d'augmentation qui avaient été prévus dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale sont dépassés. Si ce n'est qu'aujourd'hui même les professions médicales et paramédicales vont être reçues au ministère en raison du véritable malaise qui règne dans la santé publique et du déséquilibre des comptes de la sécurité sociale.
Pas plus tard que la semaine dernière, j'ai posé, ici même, une question à Mme le secrétaire d'Etat à la santé pour savoir si le pôle de santé de la petite commune de Prades, que j'ai l'honneur d'administrer depuis douze ans, allait être maintenu. S'il ne l'était pas, c'est un maillon de plus qui sauterait, et ce parce que l'on ne donne pas à l'hôpital local et à la clinique les moyens de fonctionner dans de bonnes conditions.
Autre sujet de préoccupation de nos compatriotes : la construction de l'Europe et, surtout, le passage à l'euro, dans moins d'un an.
M. Jean-Pierre Schosteck. Il n'y a pas urgence !
M. Paul Blanc. Chez moi, les gens se font du souci ; ils se demandent comment cela va se passer.
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Paul Blanc. En effet, à partir de janvier prochain, les prix seront affichés en euros, notre nouvelle monnaie.
Mes chers collègues, vous vous souvenez sans doute des problèmes qu'a occasionnés le passage des anciens francs aux nouveaux, à tel point qu'aujourd'hui encore, chez nous, dans les campagnes - mais, évidemment, c'est la France profonde ! - il y a des gens qui comptent en anciens francs. Qu'en sera-t-il, demain, quand il faudra compter en euros !
M. Georges Gruillot. Et l'ESB ?
M. Paul Blanc. J'allais y venir, avec la protection de l'environnement et la sécurité alimentaire.
On parle beaucoup de l'effet de serre. Mais quelle est, aujourd'hui, en définitive, l'énergie électrique la moins polluante à cet égard ? L'énergie électronucléaire, énergie électronucléaire sur laquelle on est en train de faire une croix au motif que quelques membres du Gouvernement ont fait de sa suppression leur cheval de bataille ! Ce faisant, on ne se préoccupe pas de l'avenir de notre pays, de la façon dont va être produite son électricité, alors que c'est pour nos compatriotes un grand sujet de préoccupation.
S'agissant de la sécurité alimentaire, que n'a-t-on pas entendu sur la « vache folle » ? Heureusement que le Sénat, dans sa grande sagesse, a décidé de constituer une commission d'enquête, aux travaux de laquelle, avec certains collègues ici présents, j'ai l'honneur de participer. Là encore, nos visites sur le terrain témoignent de l'intérêt que les Français portent à cette question.
M. Alain Gournac. Evidemment !
M. Paul Blanc. Dès lors, ce débat sur l'inversion du calendrier paraît totalement surréaliste, en décalage absolu avec les préoccupations et les attentes légitimes des Français.
En réalité, le parti socialiste n'est pas du tout sûr de gagner les élections législatives,...
M. Hilaire Flandre. Il est même sûr de les perdre !
M. Paul Blanc. ... malgré l'autosatisfaction de ses dirigeants.
J'en veux pour preuve l'analyse d'Eric Perraudeau, dans la Revue socialiste de novembre 2000, que je cite textuellement pour ne pas trahir sa pensée : « On oublie trop souvent que la défaite de la droite en juin 1997 ne s'est jouée qu'à un très petit nombre de voix. Il aurait suffit, pour que le résultat final soit inversé et que la gauche soit actuellement dans l'opposition, qu'à l'échelle nationale moins de 1 % des électeurs modifient leur comportement.
« On ne saurait non plus minimiser les 76 triangulaires que la gauche gagna à 47 reprises. Si, comme l'a montré plusieurs fois Jérôme Jaffré » - une référence ! - « le calcul de la droite se révèle faux et empreint d'une certaine mauvaise foi, il n'en reste pas moins qu'une dizaine de circonscriptions auraient pu passer à droite sans le maintien du Front national au deuxième tour. »
M. Jean-Pierre Schosteck. Tout à fait !
M. Paul Blanc. Quant à l'évolution du rapport de forces politiques depuis 1997, la Revue socialiste la résume en une formule implacable : « Une progression électorale de la gauche en trompe-l'oeil. »
Voilà, sans doute, la réelle explication de ce changement !
M. Jean-Pierre Schosteck. Evidemment !
M. Paul Blanc. Cela nous éloigne considérablement de la prétendue philosophie de cette réforme : revenir à l'esprit de la Constitution, remettre le calendrier dans l'ordre.
M. Jospin a toujours combattu la Constitution de la Ve République.
M. Jean-Pierre Schosteck. Toujours !
M. Paul Blanc. Et voilà qu'aujourd'hui il en découvre l'esprit et s'en proclame le défenseur !
Je regrette que M. le Premier ministre ne soit pas là ce matin, lui qui est l'élu du canton de Cintegabelle, près de Toulouse, dans ce Sud-Ouest où, chacun le sait, le rugby est roi. Si, comme je le suppose, il suit de très près le championnat de France de rugby, que penserait-il si, en cours de saison, on changeait les règles du jeu ?
M. Jean-Pierre Schosteck. Voilà !
M. Paul Blanc. Imaginons qu'en début de saison on décide que l'équipe en faveur de laquelle est sifflé un coup franc botté en touche et bénéficie de qu'on appell une « pénal-touche », c'est-à-dire se voit rendre la balle pour jouer la touche - c'est la règle aujourd'hui, elle n'était pas la même il y a deux ans. Qu'aurait pensé le Premier ministre si, en cours de championnat, on avait changé cette règle ?
M. Jean-Pierre Schosteck. Il aurait trouvé cela scandaleux !
M. Paul Blanc. Imaginons la réaction des équipes qui auraient basé une bonne partie de leur entraînement sur cette phase de jeu ! Croyez bien qu'en pays de rugby ça ne se serait pas passé comme ça !
Aujourd'hui, avec cette inversion de calendrier, on ne fait rien d'autre que de changer la règle du jeu en cours de match. C'est totalement inadmissible.
M. Jospin, je l'ai dit, a combattu la Constitution et, aujourd'hui, il en découvre l'esprit. Peut-être les vocations tardives sont-elles les plus belles et les plus émouvantes ! En l'espèce, permettez-moi d'en douter ! Nous autres, dans les campagnes, nous sommes naïfs, mais jusqu'à un certain point : nous ne le sommes surtout pas assez pour y croire.
M. Jean Chérioux. Il y a plus de joie dans le ciel pour un pécheur qui se repend que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui persévèrent !
M. Paul Blanc. Saint Jean, chapitre 23 ! (Rires sur les travées du RPR.)
M. le président. Ne serait-ce pas plutôt « Saint-Jean-Chérioux » ?
M. Paul Blanc. Vous l'aurez compris, et je tiens à l'affirmer très solennellement du haut de cette tribune, je ne voterai pas ce texte. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Gerbaud.
M. François Gerbaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en montant à cette tribune, j'ai une pensée particulière pour Edgar Faure. Dans un temps assez lointain, où nous siégions, M. le rapporteur et moi-même, à l'Assemblée nationale, Edgar Faure, à l'époque ministre de l'agriculture, pour caractériser un débat qui jetait à la tribune quatre-vingt-seize orateurs, eut ces mots : « litanie, liturgie, léthargie ». (Sourires.)
Notre débat pourrait effectivement ressembler à cela aujourd'hui, mais j'apporterai à cette formule un correctif.
Litanie, oui, parce que chacun d'entre nous a la volonté de dire ce qu'il en pense. Liturgie, oui, parce qu'il y a, dans l'infini respect que les uns et les autres nous avons de la Constitution, quelque chose de rituel et de sacré. Léthargie, non, car le sujet est trop grave pour qu'on puisse l'aborder sans fortes polémiques.
A mon tour, dans ce débat, je voudrais donner mon intime conviction. Intime, parce que, bien entendu, il va de soi que ce que je vais dire, je le crois ; intime aussi, au sens plus particulier du terme, car nous vivons aujourd'hui dans cette assemblée une certaine intimité, du fait de notre petit nombre, mais, après tout, qu'importe le nombre, pourvu qu'on ait la foi ! (Nouveaux sourires.)
Adressant des voeux à mes amis, il y a quelques semaines, j'ai souvent exprimé, comme beaucoup d'entre nous, le souhait que cette très symbolique année de tous les commencements - ce n'est pas n'importe quoi : un an, un siècle et un millénaire en même temps - réponde à leurs attentes, à leurs préoccupations et à leurs projets, ce qui est l'espérance, je pense, partagée par tous les Français.
Je ne suis pas certain que modifier le calendrier des grands rendez-vous politiques de 2002 soit très précisément au coeur de leurs préoccupations d'aujourd'hui : la rue, à Paris, en témoigne.
Aucun incendie ne s'étant déclaré, ni à l'Elysée, ni à l'Assemblée nationale, l'urgence d'en débattre au Parlement leur semble aussi insolite que d'appeler le SAMU pour un modeste éternuement ! (Sourires sur les travées du RPR.)
A dire vrai, les Français, et on les comprend, ont la tête ailleurs. En 1968, et nous siégions, M. Bonnet et moi-même, à l'Assemblée nationale, avant les événements que l'on sait, on a dit : la France s'ennuie. Et les Français s'ennuyaient. On peut dire aujourd'hui qu'ils s'interrogent sur la conception et l'ordre des priorités du Gouvernement.
Sans être exagérément pessimiste, il est à craindre que ce débat que nous livrons à leur indifférente observation...
M. Jean-Pierre Schosteck. Pas si indifférente que cela !
M. François Gerbaud. ... ne suscite chez eux autant d'intérêt que le récent référendum sur le quinquennat « sec » où, à l'évidence, ils ne se sont guère mouillés d'enthousiasme ! (Rires sur les mêmes travées.)
Indifférence hier ; indifférence inquiète et gravement désinvolte sans doute aujourd'hui : comment, en vérité, pourrait-il en être autrement à un moment où des revendications de toute nature - pouvoir d'achat, retraites, licenciements annoncés - peuplent les rues de Paris et des grandes villes d'un incessant cortège de manifestants, la rue aujourd'hui en témoigne, à Paris et ailleurs ?
Comment pourrait-il en être autrement à un moment oppressant où les étals des bouchers saignent d'inquiétude et les étables des éleveurs d'interrogations, terrible constat d'un monde agricole partagé entre l'incertitude, la colère et le désarroi sans compter le scepticisme des consommateurs, auxquels on ne cesse de promettre une rigoureuse sécurité alimentaire, sans compter aussi ceux que la maladie frappe ou guette et qui comprennent mal que systématiquement l'on encadre les dépenses de santé dans une rigoureuse gestion comptable ?
M. Alain Gournac. Bien sûr !
M. François Gerbaud. Certes, elle peut avoir la vertu de la rigueur, mais dans certains cas, elle peut être un ralentisseur d'espérance.
Est-il besoin de rappeler - là aussi, la rue en témoigne - l'urgence d'une authentique politique de santé qui, jusqu'à présent, n'existe pas ?
M. Alain Gournac. Très bien !
M. François Gerbaud. Comment pourrait-il en être autrement en ces jours où, dans de nombreux endroits de nos villes, dans nos lycées, dans nos collèges et même parfois dans nos écoles communales, vivre au quotidien, c'est vivre à haut risque dans un monde frappé, hélas, par la leucémie sans rémission de l'insécurité, de la délinquance et de la violence, une violence désormais affichée depuis quelques jours par des attentats qui peuvent nous faire craindre le pire, tragédie d'une haine sans frontière qui blesse au coeur les Français, lesquels attendent de toute urgence qu'on les prémunisse contre les drames annoncés ?
Oui, comment pourrait-il en être autrement et différemment, en cette période d'application difficile des 35 heures qui pose aux artisans et à de nombreux secteurs de l'activité nationale plus de problèmes que de réjouissantes satisfactions ?
M. Alain Gournac. Oh oui !
M. François Gerbaud. Comment pourrait-il en être autrement, alors que, dans ce même temps de compétition sans merci, l'Europe n'en finit pas d'imposer ses directives dans notre droit et la mondialisation de faire peser les contraintes d'un impitoyable marché international ?
En dépit des bonnes nouvelles de notre économie, d'une meilleure situation de l'emploi qui laisse cependant sur le bord de la route du travail 2 300 000 chômeurs, l'espérance semble cependant avoir perdu sa carte vitale dans un monde où, pour beaucoup, la vie a cessé d'être un long fleuve tranquille, si tant est qu'elle le ne fût jamais.
M. Paul Blanc. Très bien !
M. François Gerbaud. Répondre à ces inquiétudes panoramiques, légitimes et récurrentes en demandant au Parlement le sceau de son aval pour que, contrairement aux dates constitutionnellement fixées, l'élection du Président de la République précède les législatives, c'est en vérité ouvrir un très grave débat, et non pas souscrire à une simple formalité. Que le peuple souverain s'en désintéresse, lui qui est détenteur de la souveraineté nationale est, hélas, un fait ; que le Parlement en discute en est un autre.
Chacun d'entre nous, en effet, ne fût-ce que par délégation du peuple souverain, s'y trouve impliqué, et par conséquent démocratiquement soucieux de donner son sentiment, même au prix d'un débat où certains esprits malins nous accusent de traîner les pieds et de nous livrer à je ne sais quel « harcèlement textuel ». Il y a cependant des circonstances où le silence n'est pas d'or.
Permettez-moi d'ouvrir une brève parenthèse pour préciser que l'expression « harcèlement textuel », nous l'avons mise au point un certain jour avec Robert-André Vivien ; elle a été employée à l'Assemblée nationale dans un débat qui ressemblait étrangement à celui-ci, puisque, à l'époque, les vôtres, monsieur le ministre, faisaient également ce que nous faisons et que vous nous reprochez aujourd'hui. (Rires.) Vous voyez les réciprocités !
M. Jean Chérioux. C'est cela la démocratie. Ils ont tous les droits !
M. Alain Gournac. Et nous, aucun !
M. François Gerbaud. En tout cas, je tenais à rendre à Robert-André Vivien la primeur d'une expression dont nous avions discuté sous le bronze de l'Assemblée nationale. Mais je ferme la parenthèse sur ce souvenir que je me plais à rappeler.
Il est légitime, donc, que, dans un débat aussi important, aussi inopportun qu'insolite, l'explication un instant l'emporte sur toutes les impatiences, les imprécations et les suspicions c'est ce que nous faisons présentement à notre manière, avec plus ou moins de bonheur et de séduction, après que notre excellent rapporteur, M. Christian Bonnet, a donné le coup d'envoi de cette discussion où, à dire vrai, les redites ont une vertu au moins, celle de fédérer les préoccupations pour bien montrer l'urgence.
Et, comme ne le dirait pas Boileau, tout n'a pas été dit depuis qu'il y a des orateurs et qu'ils causent. (Sourires.)
M. Jean Chérioux. C'est La Bruyère, pas Boileau !
M. François Gerbaud. Mille excuses !
M. Jean Chérioux. C'est très important pour le débat ! (Rires sur les travées du RPR.)
M. François Gerbaud. J'avais hésité, mais je rends volontiers à La Bruyère ce que, naturellement, les racines de son histoire lui permettent d'avoir ! (Nouveaux rires sur les mêmes travées.) Je voudrais, parmi les orateurs, citer M. Cornu et ses propos non alambiqués, ainsi que M. Hérisson dont nous avons apprécié... les pointes !
Je remercie M. Bonnet de l'infinie patience dont il fait preuve dans une écoute héroïque, alors même que, de son propre aveu - qu'il me permette cette confidence - la patience n'est pas une de ses inclinations naturelles. Mais après tout, à chacun son héroïsme, vous en avez vous aussi fait preuve, monsieur le ministre, d'une certaine manière : cela méritait bien un coup de chapeau !
Plus sérieusement, nous avons le droit de dire que nous ne pouvions pas accepter un texte qui est une sorte d'OVNI politique ; je veux dire par la un « objectif véritablement non identifiable ». (Sourires.)
En effet, si les calculs qui l'inspirent sont politiquement connus et même affichés, les grandes raisons qui le justifient restent aux « abonnés absents ».
Comme de nombreux spécialistes de la Constitution, je suis convaincu que l'inversion du calendrier ne se justifie par aucun motif fondamental, si ce n'est la convenance, et, peut-être faut-il un instant le regretter, la connivence dans l'addition en francs et en euros des précautions électorales et des acrimonies inavouées ! (M. le ministre sourit.)
Cela peut vous faire sourire, monsieur le ministre. Au cas où il en serait ainsi sachez qu'à gauche, si vous vivez, comme vous le dites, votre diversité dans une communauté souvent réduite aux aguets, il nous arrive parfois, et c'est un peu le cas aujourd'hui, de vivre notre propre union dans l'adversité. (Rires sur les travées du RPR.)
Pour ce qui nous concerne, aucun tremblement de terre n'est en vue. Quelle que soit leur sensibilité, les volcans du Massif central, si chers à M. Giscard d'Estaing, ne sont pas en train de se réactiver. Bref, ce n'est pas encore Apocalypse now !
On pourrait, à la limite, dans un excès de crédulité ou d'optimisme, se réjouir de cette réaffirmation solennelle du rôle prééminent que la Constitution donne au Président de la République.
Certains esprits chagrins n'hésitent d'ailleurs pas à penser - ni à dire - que cette éclatante et soudaine preuve de l'attachement à la fonction présidentielle peut être interprétée comme une sorte de repentance de ceux qui, par les coups d'éclat permanents de leurs critiques, ne furent jamais les ardents prosélytes de la Ve République dans ce qu'elle a d'essentiel. Heureuse vocation tardive, qui va finalement de « l'aversion » à « l'inversion » ! (Sourires sur les mêmes travées.)
Reste que l'inversion du calendrier électoral, telle qu'elle sera, en fait, votée par les députés, qui ont le dernier mot, ouvre, comme je l'ai dit, un très grave débat institutionnel.
Lorsqu'à Grenoble, devant le congrès du parti socialiste, le Premier ministre estimait que l'ordre actuel des élections, qui résulte des hasards de la vie et de la politique, n'était pas cohérent, il donnait ainsi le feu vert aux siens pour adapter, recopier et s'inspirer de la proposition de loi déposée à l'Assemblée nationale par d'éminents députés de l'opposition. Ainsi étaient-ils les têtes de pont de ce que j'appelle la « connivence ».
C'était, comme au temps récent du quinquennat, tirer très habilement parti, par un effet boomerang , d'inspirations venues fort opportunément de l'autre camp.
Ainsi corrige-t-on aujourd'hui, de surcroît, dans l'urgence, une situation dont on sait qu'elle existe depuis la dissolution de 1997.
Il aura donc fallu aux inspirateurs et acteurs de cette inversion du calendrier électoral presque quatre années pour s'apercevoir que ce calendrier de 2002, dans l'ordre prévu, élections législatives puis élection présidentielle, échappait à toute logique et qu'il convenait au plus vite d'y remédier, au prix contestable, et naturellement contesté, d'une modification des règles du jeu à l'approche d'une échéance électorale. Paul Blanc a dit ce qu'il en pensait s'agissant du rugby !
M. Paul Blanc. Merci, monsieur Gerbaud !
M. François Gerbaud. L'électrochoc qui a ainsi bousculé l'ordre des choses tient - cela a été dit, mais je le redis - à deux évidences.
Première évidence : aucune élection n'est jamais gagnée d'avance et, quand elles se suivent, même si elles ne sont pas de même nature, le peuple souverain nous a montré, et peut-être nous montrera, que, le quinquennat compris, il peut « zapper » en élisant deux majorités différentes à quelques semaines d'intervalle. En ce domaine, la « contiguïté » n'est pas forcément la « continuité ». Les prochaines élections, et elles seules - je parle de celles de 2002 -, diront si oui ou non, comme on peut l'envisager, le quinquennat va en quelque sorte risquer d'institutionnaliser la cohabitation.
M. Jean-Pierre Schosteck. C'est en effet un risque !
M. François Gerbaud. Un spécialiste a dit que le zapping à la télévision, c'était le chewing-gum des yeux. Le zapping en matière électorale, tout aussi possible d'ailleurs que l'autre, peut être considéré, lui aussi, toute révérence gardée, comme le chewing-gum de la démocratie ! C'est dire qu'il est terriblement audacieux même parfois, si les sondages peuvent nous y encourager, de compter les oeufs dans le derrière de la poule. C'est peut être en ce domaine qu'il n'y a pas la preuve par l'oeuf ! (Sourires.)
Seconde évidence : perdre les législatives, lorsque l'on est candidat challenger à la présidentielle, c'est courir un risque et ne pas mettre toutes les chances de son côté. Il fallait donc, disent les partisans de l'inversion, ne rien laisser au hasard. Et c'est très précisément cette référence faite au hasard de la vie et de la politique qui constitue, comme l'a indiqué M. le rapporteur, une très grave atteinte à la Constitution, à son esprit et à sa lettre.
En réalité, le calendrier proposé au peuple français ne tient en rien du hasard ; il résulte de la Constitution. Elle a expressément prévu un droit de dissolution confié au Président de la République et organisé le déroulement du mandat de ce dernier. La Constitution règle, avec précision, l'hypothèse d'une vacance du pouvoir résultant du décès du Président.
Prétendre aujourd'hui que le calendrier électoral résulte du hasard, c'est nier le droit du Président de la République de dissoudre l'Assemblée nationale et, en conséquence, l'aménager. C'est nier le fait que la Constitution a prévu la mort comme l'une des causes de la fin du mandat présidentiel.
Considérer l'analyse de certains, hostiles à confier les rênes du pouvoir à ce qui serait donc un coup du sort, relève du calcul politique et n'a pas d'incidence dans la vie de nos institutions.
Considérer que la survenance d'une dissolution ou le décès du Président de la République nécessite un aménagement de nos institutions conduit inévitablement à poser ces questions, que tout le monde a d'ailleurs posées, me semble-t-il.
En premier lieu, le Président devra-t-il consulter, outre le Premier ministre et les présidents des assemblées, l'ensemble des forces politiques du pays avant de recourir à la dissolution ?
En second lieu, qu'aurions-nous dû faire à la mort de Georges Pompidou ? Assurer la permanence du pouvoir par le recours à je ne sais quel prince héritier ?
Déjà, de manière implicite, les partisans de l'inversion sermonnent le Président de la République en lui disant : « Monsieur le Président, pour l'amour du ciel, n'utilisez votre pouvoir de dissolution qu'avec discernement, car vous nous obligeriez à inverser le calendrier électoral ! »
La volonté d'aménager le droit de dissolution du Président de la République en en rejetant les effets et d'ériger la fin du mandat présidentiel en un caprice du hasard, en quelque sorte un « caprice de Marianne » (Rires sur les travées du RPR), le refus d'affronter sereinement le cours constitutionnel du calendrier électoral, alors que la Constitution nous a appris à y faire face, tout cela contribue indiscutablement à l'affaiblissement des institutions de notre Ve République.
Avec le quinquennat, on a ouvert la boîte de Pandore et nous nous trouvons pris dans l'engrenage d'une adaptation irréfléchie, peut-être, des institutions pour des raisons d'opportunité politique en fonction des chances et des résultats escomptés de chacun.
Le débat politique ne sort pas grandi de cette grave affaire et, en dépit de mon attachement personnel àTalleyrand, je ne le suivrai pas lorsqu'il dit : « On ne va jamais aussi loin que lorsque l'on ne sait pas où l'on va » (Sourires sur les travées du RPR) - c'est le cas aujourd'hui -, convaincu que le chemin politique n'est pas un chemin de randonnée, où l'on découvre à chaque virage un nouveau paysage.
En revanche, j'adhère à cette réflexion de Talleyrand : « Pire que le mensonge, la vérité. » Acceptez, monsieur le ministre, que vous ayons dit notre vérité, même si elle vous blesse. Le texte que vous soumettez à notre jugement est un fait politique et juridique. L'important n'est peut-être pas seulement le fait lui-même ; il est dans le temps et les incertitudes du temps, ses redoutables ombres portées. Il n'est jamais bon de redouter les grands rendez-vous de l'histoire !
Pour terminer, je citerai un propos qui nous ramènera au temps où M. Bonnet et moi-même étions dans la maison à laquelle je faisais tout à l'heure allusion. J'avais un jour parlé devant le Premier ministre Georges Pompidou de la façon dont je souhaitais que l'on modifiât peut-être la Constitution. Il avait répondu ce qu'il répondait toujours : « Gerbaud, ne touchez jamais à la Constitution. Sachez-le, on n'enlève jamais une pierre dans une clé de voûte ; l'édifice peut s'écrouler. » (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. Monsieur Gerbaud, je vous remercie. Démonstration est faite que l'on peut parler de choses sérieuses avec beaucoup d'esprit et de talent. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)
La parole est à M. Gruillot.
M. Georges Gruillot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans un contexte riche en actualité parlementaire, il peut apparaître à nos concitoyens - et je partage tout à fait leur opinion - complètement inapproprié de débattre dans l'urgence de la proposition de loi organique visant à proroger la durée du mandat en cours des membres de l'Assemblée nationale en reportant la date d'expiration des pouvoirs de cette assemblée du premier mardi d'avril au troisième mardi de juin.
Au moment où nos concitoyens sont confrontés quotidiennement aux problèmes d'insécurité, de précarité, de chômage, de violence scolaire, où l'on s'interroge sur l'avenir du système de retraite, où l'on prépare l'arrivée de l'euro, il semble anachronique de se préoccuper de petits problèmes d'organisation d'élections pour les convenances personnelles de quelques personnalités.
Changer les règles du jeu est un aveu de faiblesse du pouvoir politique, rien d'autre qu'une excuse pour ne pas affronter au fond les vrais problèmes de notre société.
Il y a en effet d'autres sujets plus urgents et importants, mais le Gouvernement en a décidé autrement.
Il a opté délibérément pour l'urgence absolue. La nécessité exclusive à l'entrée de ce nouveau millénaire est devenue l'inversion du calendrier électoral. Ainsi, le Parlement français marquera son entrée dans le troisième millénaire par la priorité accordée à ce qui peut apparaître comme un simple problème d'intendance ou d'intérêt personnel.
C'est un débat purement politicien et déconsidérant l'ensemble de la classe politique qui s'est engagée.
Comment s'étonner alors du désintérêt sans cesse croissant des Français pour les consultations électorales ? La classe politique, aux yeux de nos concitoyens, se discrédite chaque jour davantage avec de telles méthodes.
Les Français ont d'autres préoccupations et ce débat est trop loin de leurs soucis quotidiens. Ne creusons pas davantage le fossé qui sépare le citoyen du monde politique. Le taux d'abstention des dernières élections a pourtant donné, dans ce domaine, une leçon suffisamment claire.
Après avoir évoqué le contexte dans lequel cette proposition de loi est examinée, venons-en maintenant aux conditions d'examen de ce texte par le Parlement.
Ces conditions, je les trouve particulièrement contestables dans la mesure où l'ordre des échéances électorales de 2002 est connu depuis 1997 et que ce projet de réforme n'a, à aucun moment, figuré dans le programme annoncé lors du discours d'investiture de M. Lionel Jospin.
Le Gouvernement a brutalement modifié sa position sur la question. En effet, le 19 octobre 2000, M. le Premier ministre déclarait sans ambiguïté que « toute initiative de sa part serait interprétée de façon étroitement politique, voire politicienne ». Cela a déjà été dit par de très nombreux orateurs, mais c'est tellement important qu'il faut le marteler.
Il a même clairement annoncé qu'il « en resterait là et qu'il faudrait vraiment qu'un consensus s'esquisse pour que des initiatives puissent être prises ».
Ce large consensus n'est jamais apparu dans les enquêtes d'opinion, pas plus que dans les assemblées parlementaires.
M. Jean-Pierre Schosteck. Ni même dans la majorité plurielle !
M. Georges Gruillot. Effectivement. En octobre 2000, le Gouvernement semblait donc soucieux du respect des échéances fixées par les lois de la République.
Mais, peu après, le 24 novembre 2000, lors du congrès du parti socialiste à Grenoble, le Premier ministre semblait avoir changé radicalement de position en souhaitant que le « Printemps 2002, celui des grands rendez-vous démocratiques à l'occasion desquels le peuple s'exprime et tranche soit non pas un printemps de la confusion et des choix de convenance, mais un printemps de clarté ».
On peut s'étonner qu'un Premier ministre en exercice choisisse le congrès d'une formation politique, fût-ce la sienne, pour annoncer un tel changement de cap.
M. Paul Blanc. Ce n'est pas le consensus !
M. Georges Gruillot. Et quel mépris pour la représentation nationale de la part de M. Lionel Jospin !
M. Jean-Pierre Schosteck. Eh oui !
M. Georges Gruillot. S'ensuivit le dépôt de plusieurs propositions de loi tendant à modifier la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale, les affidés ou les amis de circonstance volant au secours d'un Premier ministre qui n'osait pas déposer un texte d'origine gouvernementale.
Ces amis de circonstance viennent d'être interpellés par une lettre ouverte, publiée voilà quelques jours seulement dans la presse. Je ne résiste pas à l'envie de vous en livrer un extrait, tant il me semble correspondre à la réalité.
« Entre les amertumes de ceux qui ont manqué le rendez-vous de l'histoire et les ambitions de ceux qui se verraient bien dans un gouvernement avec les socialistes, il ne manque pas de serviteurs zélés pour servir la soupe à Lionel Jospin et tenter de déstabiliser Jacques Chirac. Comme pour le quinquennat.
« Comment ne pas nous étonner quand le parti socialiste accepte subitement l'idée d'un débat sur les institutions proposé par d'éminents représentants de l'opposition ?
« Comment ne pas nous interroger quand Raymond Barre signe un appel commun dans la presse avec Michel Rocard et dépose, avec le groupe socialiste à l'Assemblée, une même proposition de loi ?
« Les socialistes ont peur de perdre les législatives en 2002 et font machine arrière toute. Ce n'est pas une raison pour les suivre et signer avec la gauche un PACS électoral contre nature. »
Vous le savez, je pense, mais je vous rappelle que ces propos sont extraits d'une lettre publique signée par l'un de nos collègues M. Henri de Raincourt, président du groupe des Républicains et Indépendants au Sénat.
M. Jean-Pierre Schosteck. C'est un papier excellent ! Vous avez raison d'en faire mention.
M. Georges Gruillot. Six propositions de loi organique ont été déposées. Trois d'entre elles visaient à reporter du premier mardi d'avril au 15 juin la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale. Trois autres avaient des objectifs différents, l'une d'entre elles allant jusqu'à prôner la concomitance des élections présidentielle et législatives.
Ces propositions ont été inscrites à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, très rapidement, voire dans la précipitation. Pourquoi cette urgence ?
Le rappel des circonstances de l'inscription de ce texte m'amène à faire plusieurs remarques.
Le calendrier de 2002, connu depuis 1997, date de la dissolution de l'Assemblée nationale, n'a pas fait l'objet de discussions lors des débats parlementaires relatifs au quinquennat. Alors que, depuis 1958, de nombreuses élections, comme l'élection présidentielle au suffrage universel, les élections européennes, les élections régionales, sont venues enrichir un calendrier déjà bien pourvu, il était tout à fait concevable d'étudier plus tôt toute modification afin que le Parlement puisse en débattre dans le calme et la sérénité.
M. Alain Gournac. Tout à fait !
M. Georges Gruillot. Le choix de la proposition de loi organique n'est pas anodin non plus ; il permet au Gouvernement d'accélérer la procédure en supprimant le passage obligé d'un projet de loi devant le Conseil d'Etat et le conseil des ministres.
De plus, la proposition de loi organique, ainsi que l'ensemble des propositions de loi soumises au Sénat comportent des exposés des motifs très succincts et tous bien différents, ce qui ne nous permet pas d'apprécier les motivations précises du changement proposé.
Un projet de loi aurait, quant à lui, comporté un exposé des motifs plus clair permettant au Conseil constitutionnel d'exercer un contrôle, ce qui n'est pas le cas de la proposition de loi organique présente, dont les motifs avancés restent diffus, que ce soit le respect d'une logique institutionnelle de la Ve République ou la mise en cohérence avec la réforme du quinquennat.
Par ailleurs, le Gouvernement fait référence à « l'esprit » des institutions de la Ve République, qui impliquerait que le Président soit élu avant les députés. Le ministre de l'intérieur rappelle les difficultés d'organisation de la présentation des candidats à l'élection présidentielle : cela fait sourire !
M. Jean-Pierre Schosteck. Ce sont des arguties !
M. Georges Gruillot. Autant d'arguments qui ne sont ni légitimes ni crédibles et qui démontrent que les véritables motivations sont totalement inavouables.
M. Alain Gournac. Absolument !
M. Georges Gruillot. En admettant que le calendrier actuel pose un problème, ne serait-il pas plus judicieux de réexaminer plutôt la date de l'élection présidentielle, comme l'a suggéré le professeur Carcassonne ?
Le présent texte ne répond pas à l'objectif poursuivi. Les discussions engagées à l'Assemblée nationale démontrent bien que le législateur souhaite supprimer la notion de hasard.
En somme, pour que la situation prévue en 2002 ne se renouvelle pas, il serait nécessaire, d'une part, que tous les futurs présidents de la République achèvent leur mandat et, d'autre part, que le droit de dissolution ne soit pas utilisé.
De telles conditions ne sont pas envisageables à moins de supprimer le droit de dissolution, prérogative fondamentale du Président de la République, et de créer une fonction de vice-président, celui-ci pouvant achever le mandat du Président en cas d'interruption de son mandat. Il s'agirait alors d'une réforme en profondeur de notre système français, mais cela ne peut se discuter, comme nous le faisons aujourd'hui, à la sauvette.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Georges Gruillot. L'unique argument avancé par le Gouvernement pour justifier la modification du calendrier électoral demeure le respect de l'esprit de nos institutions contrarié par ce calendrier.
Or de l'esprit des institutions ne découle pas un ordre spécifique dans le calendrier des consultations électorales, à moins que le Gouvernement ne souhaite obtenir une majorité présidentielle qui soit la même à l'Assemblée nationale. Il s'agirait, par conséquent, d'éviter toute cohabitation.
De toute façon, même si ces deux élections se déroulaient le même jour, un citoyen pourrait très bien voter pour un député et un Président de la République de tendances opposées.
Une telle modification du calendrier électoral est sans précédent dans l'histoire de la Ve République. Certes, plusieurs mandats électifs furent prolongés mais ils concernaient uniquement des mandats locaux ; ce fut le cas en 1966, 1972, 1988, 1990, 1994 et 1996.
Seuls deux cas de prorogation du mandat de député sont intervenus : l'un en 1918, l'autre 1940, mais cela, reconnaissons-le, dans des périodes tout à fait exceptionnelles. Cela a déjà été dit dans le débat mais méritait d'être rappelé.
Au demeurant, si le texte de l'Assemblée nationale devait être adopté, il faut aussi en évaluer les conséquences immédiates.
L'assemblée nouvellement élue débuterait ses travaux le troisième mardi de juin, pour les interrompre une semaine plus tard. Par conséquent, une session extraordinaire serait obligatoirement convoquée les années d'élections législatives, alors que l'instauration de la session unique a pour objectif de les faire disparaître.
Par ailleurs, dans ce cas de figure, le projet de budget pour l'exercice à venir serait élaboré par le Gouvernement avant les élections législatives, celles-ci pouvant éventuellement bouleverser la tendance politique.
Modifier ponctuellement les règles de fonctionnement de nos institutions est un exercice qui nous révèle donc ses limites.
Par exemple, qu'en serait-il des élections de 2007 ?
A vouloir modifier partiellement et ponctuellement le calendrier électoral pour de simples raisons de convenance d'un Premier ministre candidat à l'élection présidentielle de 2002, on aboutirait à une accumulation d'élections sans aucune cohérence : avant l'élection présidentielle devront avoir lieu des élections municipales couplées avec des cantonales, élections qu'il sera difficile de repousser au mois de juin, puisque ce serait le moment des législatives, voire en septembre, puisque auraient lieu à cette date les élections sénatoriales.
Une telle modification doit impérativement reposer sur un motif d'intérêt général bien précis pour nous démontrer que cette proposition de loi n'est pas un texte de convenance personnelle.
Le droit doit impérativement encadrer la vie politique de la nation, et une réforme des institutions ne peut être utilisée pour réaliser des coups politiques.
M. Alain Gournac. Très bien ! M. Georges Gruillot. A cet égard, le Conseil constitutionnel joue un rôle essentiel dans l'encadrement juridique de la vie politique. Au-delà de la protection des droits et libertés fondamentales, le rôle du Conseil constitutionnel est de clarifier les données du débat politique et de faire en sorte que les décisions soient prises en toute cohérence avec la Constitution de la Ve République.
Dans le cas de figure qui nous intéresse, le Conseil constitutionnel serait saisi obligatoirement de la présente loi organique et pourrait sans doute retenir favorablement certaines des observations soulevées par ce vaste débat.
L'édifice construit par ce texte, si celui-ci était voté en l'état, pourrait en effet se trouver en contradiction avec le droit de dissolution de l'Assemblée nationale, prérogative du Président de la République prévue par la Constitution, puisque toute dissolution entraîne obligatoirement de nouvelles élections législatives entre les vingt et quarante jours qui la suivent.
Les quatre décisions du Conseil constitutionnel sur les reports de dates d'élections, intervenues en 1990, 1994 - par deux fois cette année-là - et 1996, concernaient la prorogation du mandat des membres d'assemblées locales : les conseils municipaux et les conseils généraux pour les trois premières et une assemblée territoriale d'outre-mer pour la dernière. Cependant, les enseignements que l'on peut en tirer s'appliquent a fortiori à la prorogation du mandat de l'Assemblée nationale.
Chaque fois, le Conseil constitutionnel a validé la démarche tout en la subordonnant au respect de conditions strictes, à savoir le caractère exceptionnel et transitoire de la prorogation et l'existence d'une réelle justification.
Cette jurisprudence étant transposable au cas d'une élection nationale, le Conseil constitutionnel sera amené à exercer un véritable contrôle sur la validité des motifs de la modification proposée.
En somme, il n'y a pas de justification technique et, par conséquent, pas de motif à l'inversion des élections ; la seule motivation est d'ordre politique, plutôt floue, car difficilement avouable.
M. Paul Blanc. Ça oui !
M. Georges Gruillot. Le Premier ministre ne nous a d'ailleurs pas dévoilé ses conceptions personnelles sur la Constitution. Ne serait-il pas favorable au régime présidentiel ?
N'est-il pas surprenant de voir certains de ceux pour qui le vote du quinquennat devait amoindrir la fonction présidentielle nous affirmer que la prépondérance de celle-ci exige l'inversion des calendriers ?
M. Alain Gournac. Double langage !
M. Georges Gruillot. Réformer le calendrier électoral sans bouleverser en profondeur le régime de la Ve République apparaît comme techniquement très difficile.
Je regrette, pour ma part, que la révision constitutionnelle relative au quinquennat n'ait pas fait l'objet d'un débat plus appofondi, portant notamment sur ses incidences sur le régime, cette révision constituant l'une des plus importantes de la Ve République depuis une quarantaine d'années, comparable à celle de 1962, relative à l'élection au suffrage universel direct du Président de la République, et à celle de 1974, qui a ouvert la saisine du Conseil constitutionnel à l'opposition parlementaire.
Pour toutes ces raisons, je suis farouchement opposé - mais je pense que vous l'aviez déjà compris -...
M. Alain Gournac. C'était clair ! (Sourires.)
M. Georges Gruillot. ... à l'inversion du calendrier électoral, jugeant même très choquant que le Gouvernement cherche à influencer le résultat des urnes en jouant, pour ne pas dire plus, sur la date des élections. Les Français, soyez-en sûrs, ne l'oublieront pas.
Même Mme Voynet, pourtant membre de ce gouvernement, s'en inquiète.
M. Alain Gournac. Tiens, tiens !
M. Georges Gruillot. Elle doute en effet des résultats de la méthode puisqu'elle vient de mettre en garde Lionel Jospin et le parti socialiste « contre les petits calculs qui peuvent coûter cher sur le terrain de la crédibilité et de l'arithmétique électorale ».
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Paul Blanc. Elle est bien, Mme Voynet !
M. Georges Gruillot. On ne change pas les règles du jeu en cours de partie. Or la partie « élection présidentielle de 2002 » est bel et bien déjà entrée dans une phase active.
Les candidats, officiellement déclarés ou non, se grandiraient à respecter la règle imposée par le calendrier. Ils semblent oublier que la mission suprême qu'ils convoitent requiert davantage de grandeur d'âme et d'honnêteté. Elle est avant tout, permettez-moi de le rappeler, monsieur le ministre, une mission faite de dévouement envers les citoyens, la République et la France. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président. Mes chers collègues, en raison de la réunion de la conférence des présidents, nous allons interrompre nos travaux. Nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures quarante-cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)