SEANCE DU 23 JANVIER 2001


DATE D'EXPIRATION DES POUVOIRS
DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Suite de la discussion d'une proposition
de loi organique déclarée d'urgence

M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi organique, adoptée par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, voilà quelques jours, à l'occasion de sa cérémonie des voeux à la presse, le Premier ministre déclarait, d'une manière d'ailleurs très dégagée, que pour « le Gouvernement et la majorité, l'année 2001 n'est ni une année d'attente ni une fin de période ».
A entendre ces propos, nous aurions pu nous attendre, pour débuter l'année, à une démonstration plus explicite de la volonté gouvernementale. S'il est des symboles, celui-ci est fort instructif.
Par excès de naïveté, sans doute, je m'étais imaginé que le Gouvernement allait, enfin, s'atteler aux réformes d'envergure, profondes et indispensables, dont notre pays a besoin et que la majorité plurielle reporte d'une année sur l'autre depuis 1997.
J'avais la candeur de penser que le Gouvernement tenterait de tirer profit de la nouvelle donne économique, conséquence à la fois des mesures courageuses prises par les gouvernements précédents et de la reprise de la croissance mondiale, pour réformer notre système éducatif ou pour régler la question des retraites.
J'étais suffisamment crédule pour espérer du Gouvernement des mesures pour lutter contre la montée de la violence et des incivilités, notamment en milieu urbain, pour améliorer la sécurité dans les transports ou encore pour résoudre le malaise de la fonction publique. Eh bien non ! Toutes ces mesures n'ont rien d'urgent ; l'urgence, c'est une réforme purement électoraliste !
Alors que nous étions en droit d'espérer, pour reprendre l'expression désormais consacrée, que 2001 soit une année utile pour la France, vous en avez décidé autrement : voilà qu'on tente d'en faire une année utile pour les socialistes et quelques alliés inopinés et encore, voilà peu, inespérés. Décidément, les débats institutionnels sont toujours le meilleur alibi contre l'inaction.
Une fois de plus, le Gouvernement laisse passer son tour. Il est obsédé par les échéances électorales futures. On attendait de lui une ambition pour la France ; il ne nous propose aujourd'hui qu'une mise en musique de son ambition électorale pour son candidat à l'élection présidentielle.
Loin des grands discours solennels, la véritable nature de l'action gouvernementale apparaît. C'est désormais très clair : le peuple français a aimé, aime et aimera le Premier ministre, qui espère changer de résidence. Tout le reste ne doit être que second et, surtout, tout doit être fait pour que ce postulat perdure.
Pour autant, quels que soient les calculs qui guident l'examen de cette proposition de loi, il n'est pas question, comme cela a pu être dit ici et là, de traîner les pieds uniquement pour contrarier les volontés du Gouvernement.
Il n'est pas question de jouer la montre ou de faire une quelconque obstruction uniquement pour entraver ou pour paralyser, coûte que coûte, le vote de cette proposition de loi.
Non, la conception des membres du groupe du Rassemblement pour la République du rôle du Parlement est tout autre. Et je me suis réjoui de constater qu'un éminent membre du parti socialiste, ancien ministre, ancien président du Conseil constitutionnel, ait contribué lui aussi, méticuleusement, longuement, quitte à en oublier le temps de parole, à la richesse et à la qualité de nos débats. Je ne pense pas que quiconque puisse le soupçonner de se lancer dans une « opération escargot », comme l'a dit, peut-être malencontreusement, le président de l'Assemblée nationale, Raymond Forni.
C'est en effet à nous, ainsi qu'à nos collègues députés, que reviennent la charge et la responsabilité du vote des lois. Pour ce faire, il s'agit de bien comprendre les tenants et les aboutissants du texte qui nous est présenté. Il s'agit simplement, comme l'a rappelé notre honorable collègue et président de groupe, Josselin de Rohan, « de discuter de manière approfondie ».
Et s'agissant d'une question institutionnelle de fond, d'une question touchant à notre Constitution, notre vigilance doit être d'autant plus renforcée.
En 2002 doivent donc se tenir à la fois les élections législatives et l'élection présidentielle, ce que nous savons depuis bien longtemps et ce qui n'est pas une première sous la Ve République.
La question sur laquelle nous sommes invités à nous prononcer est d'une simplicité biblique et peut être ainsi formulée : « Faut-il inverser les dates d'élections pour positionner le scrutin législatif après le scrutin présidentiel ? » Eu égard à la genèse et aux conditions de ce débat, j'aurais tendance, très honnêtement, à remplacer l'expression « inverser le calendrier » par celle d'« établir un calendrier à sa convenance ».
En résumé, la thématique abordée est une sorte de version moderne de la problématique de la charrue et des boeufs. Encore faut-il savoir ce qu'est la charrue, ce que sont les boeufs et, surtout, qui de l'animal ou de l'instrument de labour a l'ascendant sur l'autre.
Chacun conviendra que ce débat sur la séquence calendaire est à mille lieues des préoccupations quotidiennes des Français. Le Gouvernement en a d'ailleurs bien conscience, et c'est sans doute la raison pour laquelle, une fois de plus, il veut agir dans la précipitation, en l'espèce avant les élections municipales, quitte à passer en force et à prendre quelques accommodements avec le fonctionnement régulier de la démocratie.
Car s'il est bien un élément sur lequel les observateurs s'accordent dans cette affaire, c'est l'attitude hégémonique du parti socialiste. Il se fiche, comme d'une guigne, ce qui n'est pas nouveau, de l'avis de l'opposition nationale - le contraire aurait pu nous faire plaisir et nous combler d'étonnement, mais n'en demandons pas trop ! -, mais il se fiche tout autant de celui des communistes, qui vont décidément bientôt devenir l'opposition intérieure d'une majorité à laquelle ils sont de moins en moins associés. Surtout, il se fiche éperdument de l'équilibre de nos institutions et, par là même, du suffrage des Français.
M. Jacques Valade. Nos collègues socialistes le montrent par leur présence...
M. Roger Karoutchi. Dans cette affaire, je viens de le dire, le Gouvernement ne fait pas grand cas de l'opposition nationale, ce qui n'est finalement pas vraiment une surprise. Dans sa grande bonté, il a tout de même fait grâce d'une petite matinée de « micro-débat » à l'Assemblée nationale : trois petites heures pour débattre de l'avenir de nos institutions ! Résultat : un débat escamoté, improvisé, incomplet. Au demeurant, l'objectif n'était d'ailleurs pas tant de réfléchir à l'avenir de nos institutions que de monter un coup politique.
Certains pourraient trouver ce discours sévère car, il faut le reconnaître, le recours à une proposition de loi accompagnée d'une matinée de débat a donné l'occasion à l'opposition à l'Assemblée nationale de s'exprimer sur cette question ô combien importante et passionnante... Mais n'est-ce pas simplement une ruse pour éviter le passage devant le Conseil d'Etat et le Conseil des ministres ? N'est-ce pas, tout bonnement, une astuce pour dissimuler les divergences au sein même du Gouvernement ? N'est-ce pas, en fin de compte, une feinte pour accélérer la procédure et agir en catimini, afin de protéger, à tout hasard, l'instigateur de cette mesure en cas de réaction négative de l'opinion publique ?
Mes chers collègues, le Gouvernement n'a pas fait preuve de beaucoup de considération à l'égard de l'opposition à l'Assemblée nationale. Mais alors, que dire du traitement que l'on nous inflige ici, au Sénat ?
Malgré toutes les négligences et diverses anomalies que j'ai évoquées il y a quelques instants, le traitement auquel ont eu droit nos collègues députés apparaît comme privilégié par rapport à celui qui nous est réservé, au sein de la Haute Assemblée : ni débat sur l'avenir de nos institutions ni droit de réflexion, droit qui fait pourtant partie intégrante de notre démocratie.
Notre excellent collègue Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois, a clairement demandé au Gouvernement un délai de réflexion afin que le Sénat puisse consulter des constitutionnalistes. Le Gouvernement, une fois de plus, n'a rien voulu entendre et il nous a imposé la date du 16 janvier.
A ce sujet, notre collègue Christian Bonnet, rapporteur de la commission de lois, est d'ailleurs très explicite dans ses conclusions : « Les conditions d'examen de la proposition de loi organique par le Parlement ne sont pas acceptables dans la mesure où l'ordre des échéances électorales de 2002 est connu depuis 1997 ; le Gouvernement a brutalement changé de position sur cette question et a dès lors imposé aux assemblées de se saisir de cette question dans la précipitation. »
Comme à son habitude, le Gouvernement passe outre les prérogatives de notre assemblée et n'envisage la vie démocratique que comme une affaire de rapport de force. Bernard Roman, député socialiste, rapporteur de la commission de lois de l'Assemblée nationale sur ce texte, le reconnaît d'ailleurs dans son rapport, où l'on peut lire ceci : « Les institutions de la Ve République sont souvent critiquées. Le Parlement y semble tenu en minorité par un exécutif qui dispose des principaux leviers de pouvoir et impose ainsi continument sa volonté. »
Au moins, les choses sont claires ! Le Gouvernement attend simplement du Parlement qu'il donne son feu vert à l'occasion d'un débat au lance-pierre !
Nous l'avons bien compris, dans le stratagème conçu par les meilleurs esprits du Gouvernement, il n'a jamais été question d'associer l'opposition, ni même les assemblées, à une quelconque réflexion sur nos institutions.
Eh bien, dans cette affaire, le Gouvernement va sans doute trop vite en besogne.
Il ne se montre pas non plus très révérencieux à l'égard de sa propre majorité, mais cela commence à devenir une habitude !...
Devant un Lionel Jospin de moins en moins Premier ministre et de plus en plus candidat à l'élection présidentielle, la majorité plurielle constate ses désaccords de fond, mais, devant les médias, elle dissimule ses divisions, affichant une unité de façade censée contraster avec une droite décrite - nouveau postulat - comme fondamentalement divisée.
Deux des composantes les plus importantes de sa coalition hétéroclite, les communistes et les Verts, sont pourtant hostiles à ce calendrier électoral. Mais peu importe ! Il suffit de trouver quelques soutiens de circonstance en attisant les ambitions, les calculs, les espoirs des uns et des autres.
C'est l'un des leaders de cette majorité plurielle, le secrétaire général du parti communiste, Robert Hue, qui déclarait le 17 décembre dernier : « Je veux simplement dire que je suis résolument opposé à ce projet d'inversion, car il ferait, encore plus qu'aujourd'hui, de la présidentielle l'élection structurante de la vie politique. »
Mme Nicole Borvo. C'est assez rare que vous citiez les propos du secrétaire général du parti communiste !
M. Roger Karoutchi. Mais c'est pour moi un vrai plaisir, ma chère collègue ! Je le citerai d'ailleurs à nouveau tout à l'heure.
Mme Nicole Borvo. Vous devriez plutôt vous occuper des problèmes des partis de droite !
M. le président. Madame Borvo, si vous souhaitez interrompre M. Karoutchi, avec son autorisation, ne vous en privez surtout pas ! (Rires sur les travées du RPR.)
M. Gérard Cornu. Il la donnera ! Il est galant !
M. Roger Karoutchi. En vérité, monsieur le président, je n'en avais pas fini avec cette citation de Robert Hue. Et je ne doute pas que Mme Borvo ne verra pas, dans le fait de citer le dirigeant national de son parti, une agression. Ce n'est rien d'autre qu'un signe de déférence à l'égard des propos extrêmement intelligents d'un homme politique de qualité... (Nouveaux rires sur les mêmes travées.)
Robert Hue poursuivait donc ainsi son propos : « Les législatives seraient réduites à une simple formalité. Permettez-moi de le dire très directement, cette subordination transformerait le Parlement en une « assemblée godillot »...
Robert Hue ajoutait encore : « Et c'est en plus un signe de grave surdité politique... On ressert aux Français une nouvelle astuce politicienne en guise de réponse à des préoccupations qui demandent un large débat citoyen et des mesures inédites, novatrices, à la mesure des bouleversements des rapports humains qui caractérisent notre époque. »
On ne saurait être plus clair et, après tout, c'est à peu près le discours que tiennent les sénateurs ici présents.
M. Gérard Cornu. Tout à fait !
M. Roger Karoutchi. Ce discours n'est pas, loin s'en faut, dénué de fondement, mais il soulève tout de même quelques problèmes à partir du moment où il émane d'un membre de la majorité. Il est vrai que le Gouvernement n'a jamais fait grand cas des composantes non socialistes de sa majorité plurielle !
Mme Borvo me permettra de rappeler qu'en dehors du désaccord sur le texte en discussion aujourd'hui, les exemples de discordances avec le parti communiste sont nombreux, qu'il s'agisse du référendum sur le quinquennat, de la revalorisation des minima sociaux ou encore, plus récemment, des mesures destinées à compenser l'allégement de la CSG.
Autre nébuleuse de la majorté plurielle qui n'a jamais été entendue : le Parti radical de gauche, le PRG. Ses souhaits de voir nos institutions évoluer sensiblement sont toujours restés sans suite.
Avec votre permission, monsieur le président, je citerai non plus M. Robert Hue, mais le président du parti radical de gauche, M. Jean-Michel Baylet.
M. le président. Il est moins connu !
M. Roger Karoutchi. Certes, mais il n'est pas moins respectable.
M. Baylet, donc, déclarait il y a peu : « Après la proposition par Lionel Jospin d'inverser le calendrier électoral, le parti radical de gauche manifeste son désaccord : sur la forme, car une telle annonce aurait dû se faire en concertation avec la gauche plurielle, et le congrès du PS est un lieu mal choisi. Sur le fond, car les radicaux continuent de penser que la bonne solution est la concomitance des deux élections. »
Voilà qui est clair !
Le PRG, cependant, semble aujourd'hui préférer changer d'opinion et s'aligner sur les positions du parti socialiste plutôt que de devoir constater, comme il l'a souvent fait par le passé, que ses messages ont décidément du mal à passer dans la gauche plurielle. Pourtant, la grande tradition radicale, forte de respect républicain, voudrait que nos amis députés et sénateurs radicaux de gauche refusent cette inversion de commodité.
Enfin, le Gouvernement n'a pas fait grand cas non plus des avis émis par les Verts. Ces derniers ne peuvent, eux aussi, que constater l'attitude hégémonique du parti socialiste sur cette question du calendrier. Il est vrai que, en la matière ils ont une solide habitude, et que, après l'uranium enrichi, ou appauvri, après la mise en place du crédit d'impôt pour pallier la suppresion de l'allégement de la CSG par le Conseil constitutionnel, les Verts dénonçaient « les incohérences de nos politiques fiscales qui ne peuvent que justifier des mesures encore plus incompatibles avec l'objectif de lutte contre les inégalités ».
Les Verts sont toujours dans la majorité plurielle, mais ils ne sont décidément pas d'accord avec les socialistes sur grand-chose !
De leur côté, nos amis députés et sénateurs socialistes ont oublié leur sensibilité parlementariste, que, par le passé, ils invoquaient si souvent face à des gouvernements de droite. Très souvent, nous avons entendu des députés ou des sénateurs socialistes rappeler les droits du Parlement face à l'exécutif. Aujourd'hui, il faut les voir - cela peut même être parfois cocasse - s'improviser protecteurs d'une Ve République dont ils étaient souvent les plus grands pourfendeurs, tout en laissant le Parlement dans une position seconde.
Le Premier ministre essaie d'apparaître aujourd'hui comme le grand défenseur de notre Constitution, Constitution qu'il a pourtant combattue tout au long de sa vie politique. Mais, après tout, on a le droit de changer ! Il reconnaît d'ailleurs en toute sérénité ne pas l'avoir approuvée, tant en 1958 qu'en 1962. Dans ces conditions, nous comprenons aisément que, par cette proposition de loi, il se moque de porter atteinte à son article 12, relatif au droit de dissolution du Président de la République :
« Le Président de la République peut, après consultation du Premier ministre et des présidents des assemblées, prononcer la dissolution de l'Assemblée nationale.
« Les élections générales ont lieu vingt jours au moins et quarante jours au plus après la dissolution.
« L'Assemblée nationale se réunit de plein droit le deuxième jeudi qui suit son élection. »
Ce droit de dissolution est, en réalité, un droit de faire en sorte que le calendrier des élections législatives soit aussi dépendant de la volonté du Président de la République, et de lui seul ; et ce n'est pas parce qu'une majorité de rencontre à l'Assemblée nationale décide d'un calendrier et arrête des dates que celles-ci sont définitives ; en effet, si telle est la volonté du Président de la République, ce calendrier peut ne pas être appliqué.
M. Serge Vinçon. Tout à fait !
M. Roger Karoutchi. De fait, c'est le chef de l'Etat qui, par le recours à la dissolution de l'Assemblée nationale, peut fixer de facto les dates des élections législatives et non pas une manoeuvre, aussi habilement montée soit-elle. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
Détourner l'article 25 de notre Constitution n'effraie pas davantage le Gouvernement. Le premier alinéa de cet article est ainsi formulé :
« Une loi organique fixe la durée des pouvoirs de chaque assemblée, le nombre de ses membres, leur indemnité, les conditions d'éligibilité, le régime des inéligibilités et des incompatibilités. »
A aucun moment, cet article ne prévoit de faire varier la durée d'une législature en fonction des velléités de la majorité.
Finalement, il est tout de même surprenant et moralement curieux de proposer aux députés de voter eux-mêmes la prolongation de leur mandat, ce qui remet en cause, sans conteste, le principe de la stabilité du mandat législatif.
Tout le monde admet qu'il est nécessaire de faire évoluer nos institutions, mais sûrement pas de cette manière !
La Ve République a beaucoup changé avec le temps. Les trois cohabitations que l'on a connues depuis 1986 ont petit à petit transformé notre régime. Au total, sur les quinze dernières années, nous avons vécu plus d'une année sur deux sous un régime de cohabitation.
Dans ces conditions, et plusieurs orateurs l'ont souligné ce matin, un vaste débat, associant tous les acteurs de notre démocratie, devrait pouvoir voir le jour si telle était la volonté du Gouvernement. Je parle non d'un micro-débat destiné à « habiller » une décision de convenance et d'arrangement conjoncturel, mais d'un vrai débat de fond, pour savoir ce qu'il en est de l'avenir éventuel de la cohabitation ou du rééquilibrage des pouvoirs.
Il convient en effet, tout le monde en est d'accord, de renforcer les pouvoirs de la représentation nationale pour aboutir à un régime équilibré, modernisé, efficace, qui ne soit ni totalement présidentiel ni totalement parlementaire. Le Parlement doit pouvoir disposer de véritables moyens de contrôle, notamment en matière budgétaire, ce qui, je le rappelle, passe par la réforme de l'ordonnance du 2 janvier 1959.
A ce sujet, j'observe au travers des propos de M. Fabius que la diligence du Gouvernement en la matière est nettement moindre que celle qu'il manifeste aujourd'hui pour une affaire d'éphéméride. Pourtant, tout le monde s'accorde à reconnaître, à commencer par le ministre des finances lui-même, le caractère urgent du dépoussiérage de cette loi organique relative aux lois de finances. Elle n'a jamais connu de véritables réformes, contrairement à notre Constitution dont elle est pourtant le prolongement direct.
L'objectif initial de l'ordonnance, qui était de rompre avec les errements du régime parlementaire précédent, est aujourd'hui atteint. Désormais, il ne s'agit plus de savoir si le budget va pouvoir être voté en temps et en heure ni d'affirmer la prééminence de l'exécutif dans l'élaboration des lois de finances. L'évolution de notre régime confère aujourd'hui à cette ordonnance un caractère suranné. En la matière, les pouvoirs et les responsabilités de la représentation nationale doivent être étendus, ce qui passe par une réflexion globale, tant sur la présentation des lois de finances que sur le débat budgétaire.
Quant aux récentes controverses funambulesques sur le montant de la cagnotte fiscale, elles ne peuvent que nous encourager à conférer davantage de pouvoirs au Parlement. Ce dernier doit disposer d'un droit d'initiative et d'un pouvoir de contrôle. Pour y parvenir, il est indispensable de lui donner la possibilité de proposer des modifications, des amendements, en recettes comme en dépenses, et d'étendre ses moyens de contrôle.
Outre la réforme de l'ordonnance organique, des mesures doivent être prises rapidement, plus rapidement que ne le prévoit le calendrier, afin de conférer au Parlement une réelle autonomie législative et en faire autre chose qu'une simple chambre d'enregistrement des volontés gouvernementales.
Dans le même temps, le Gouvernement serait bien inspiré de mener une grande réflexion sur la décentralisation, sujet dont nous avons débattu ici, il y a quelques jours. Il est à mon sens souhaitable de prendre d'urgence des mesures visant à rapprocher les citoyens des lieux de décision. Il est tout aussi urgent de clarifier l'attitude de l'Etat à l'égard des collectivités territoriales, et en ce qui concerne tant les compétences qui leur sont conférées que les moyens financiers qui leur sont transférés.
Il importe également de mettre en place un véritable statut de l'élu local. Nous aurions d'ailleurs préféré que l'urgence soit déclarée plutôt pour la proposition de loi relative au statut de l'élu local que pour la présente proposition de loi ! L'initiative de plusieurs de nos collègues, parmi lesquels Alain Vasselle, Jean-Paul Delevoye, Serge Mathieu et Jean Arthuis, a pour objet d'accélérer l'élaboration d'un projet de loi très attendu, car nous ne pouvons nous contenter, chacun le sait, du dispositif embryonnaire qui existe aujourd'hui.
Pour en revenir à cette inversion de calendrier dont l'urgence ne nous apparaît décidément pas, nous ne pouvons que constater le peu d'égards dont témoigne le Gouvernement envers les Français : il s'agit, en fait, d'une opération électorale destinée, à tort ou à raison, à conforter la position du candidat socialiste aux élections présidentielles. Je dis « à tort ou à raison », car les sondages, les calculs savants, les prévisions me paraissent bien risqués à quinze mois de l'élection. Ceux qui s'y livrent seraient bien inspirés de faire preuve de davantage de modération !
Il s'agit bien, cela a été dit, d'une opération de convenance et de circonstance, d'une manoeuvre gouvernementale entreprise par pure commodité électorale.
M. Gérard César. C'est vrai !
M. Roger Karoutchi. Depuis 1995, chacun sait que les prochaines élections présidentielles devront se dérouler les 21 avril et 5 mai 2002.
M. Jacques Valade. Eh oui !
M. Roger Karoutchi. Depuis 1997, chacun sait que les prochaines élections législatives devront se dérouler, en l'état actuel du calendrier, en mars 2002 ou, plus exactement, soyons sereins, entre le 3 février et le 24 mars pour le premier tour.
Cela n'avait d'ailleurs pas échappé au Premier ministre lui-même, il est dommage que Mme Borvo soit partie, car je m'apprête à le citer - j'aurai ainsi fait le tour de tous les dirigeants de la gauche plurielle. Le 19 octobre 2000, interrogé en direct par Patrick Poivre d'Arvor dans un journal télévisé, le Premier ministre affirmait en effet qu'il ne prendrait aucune initiative en matière de calendrier...
M. Gérard Cornu. Ah !
M. Roger Karoutchi. ... de crainte que ne soit interprétée de façon étroitement politique voire politicienne la mesure présentée par le Gouvernement s'il y avait inversion du calendrier.
Plusieurs sénateurs du RPR. Et voilà !
M. Roger Karoutchi. Et le chef du Gouvernement concluait en réponse aux questions du journaliste : « moi, j'en resterai là ». (Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Gérard César. Parole d'évangile !
M. Roger Karoutchi. Il eût mieux valu en rester là.
M. Dominique Braye. On en a l'habitude !
M. Roger Karoutchi. Cinq semaines plus tard, à l'occasion du congrès du parti socialiste, le Premier ministre avait changé radicalement d'orientation et déclarait très sereinement : « Ce qu'il faut souhaiter, c'est que le printemps 2002, celui des grands rendez-vous démocratiques dans lesquels le peuple s'exprime et tranche, ne soit pas un printemps de la confusion et des choix de convenance mais un printemps de la clarté. »
Que s'est-il donc passé entre les déclarations du 19 octobre sur le statu quo et le réquisitoire du 26 novembre en faveur de l'inversion ?
M. Patrick Lassourd. Une éclipse !
M. Roger Karoutchi. On murmure, mais je n'ose imaginer que cela puisse être vrai, que le chef du Gouvernement aurait été quelque peu atteint par les déclarations sur les farines animales du Président de la République, qui lui aurait un peu volé la vedette médiatique.
On susurre, que cette sensible reconversion aurait été opérée à la lecture d'une étude approfondie et très fouillée sur les résultats prévisionnels de la gauche française aux élections de 2002, publiée en novembre 2000 dans une revue que mes collègues de la majorité sénatoriale doivent peu lire - mais ils devraient le faire régulièrement -, mais je veux parler de la Revue socialiste. Chiffres à l'appui, l'expert de cette revue, Eric Perraudeau, auteur éclairé, explique que la victoire de la gauche en 1997 ne s'est jouée qu'à une dizaine de milliers de voix bien réparties en faveur de la gauche.
Il observe également, dans cette analyse, que, lors des élections cantonales et législatives partielles qui se sont tenues depuis 1997, les candidats de la droite républicaine l'ont bien souvent emporté. L'auteur de cette étude va jusqu'à qualifier la progression de la gauche depuis 1997 d'évolution « en trompe-l'oeil ».
Il est vrai que si l'on fait un rapide décompte des résultats des scrutins dans les trente-trois cantons renouvelés en l'an 2000, on observe que vingt cantons sont restés à droite, que trois ont été conquis par la droite et que la gauche n'en a gagné qu'un seul.
M. Christian Paul, secrétaire d'Etat à l'outre-mer. Dans la Nièvre !
M. Roger Karoutchi. Un scrutin est particulièrement évocateur et riche d'enseignements, celui - j'aurais ainsi fait le tour - qui a eu lieu dans la circonscription de M. François Hollande, le jour même où se tenait le congrès socialiste de Grenoble, ce qui explique peut-être bien des choses.
Le conseiller général et maire sortant de Lubersac, charmante commune de la Corrèze, étant décédé, s'affrontaient aux élections son fils - de droite - et un candidat socialiste.
La presse et, d'après ce que l'on dit, certains experts électoraux socialistes étaient très sûrs de la victoire du candidat socialiste.
Manque de chance - décidément, le 26 novembre aura beaucoup marqué les esprits - 65 % des électeurs du canton sont allés voter, remarquable performance de mobilisation pour une cantonale partielle, et le candidat de droite a été élu dès le premier tour avec plus de 53 % des suffrages, résultat qui a pu faire pâlir d'inquiétude les experts électoraux du parti socialiste et qui nous aide peut-être à mieux comprendre l'attitude du chef du Gouvernement.
S'ajoutent à cette bonne tenue des candidats de droite aux élections locales l'affaiblissement du Front national et la montée en puissance des partenaires du parti socialiste dans la majorité plurielle. Nous avons tous encore récemment constaté que les demandes en vue de passer des accords pour 2002 étaient de plus en plus pressantes au sein de celle-ci, notamment de la part des Verts.
Les conséquences immédiates de ces reclassements politiques sont, pour la droite, la réduction des risques de triangulaires pénalisant ses candidats et, pour la gauche, de nouveaux handicaps en perspective du fait de la montée de l'extrême gauche et des Verts. Je me permettrai de rappeler qu'un grand nombre de députés socialistes doivent leur élection ou leur réélection en 1997 à la seule existence du Front national et au maintien de ses candidats au second tour des élections législatives.
M. Patrick Lassourd. Quarante-trois !
M. Roger Karoutchi. Il est vrai qu'en cas de défaite aux élections législatives de 2002, le candidat attendu et naturel du parti socialiste à l'élection présidentielle risquerait fort de se retrouver en difficulté dans son propre camp...
M. Gérard Cornu. Ah !
M. Roger Karoutchi. ... quelques semaines avant le scrutin et, qui sait, les hommes n'étant que ce qu'ils sont, cela pourrait sûrement donner des idées à quelques-uns de ses amis, qui, pour son plus grand bien, se sacrifieraient pour le remplacer à l'élection présidentielle.
M. Gérard Cornu. Et il y en a !
M. Roger Karoutchi. Je dois reconnaître que, pour tenter de « vendre » aux Français l'inversion du calendrier comme une mesure nécessaire et indispensable au bon fonctionnement de nos institutions, il faut beaucoup d'aplomb et de présomption. Le Gouvernement et les orateurs socialistes avancent pour ce faire des arguments moins convaincants les uns que les autres.
Le premier est d'affirmer qu'il existe une tradition constitutionnelle qui veut que l'élection présidentielle soit l'élection reine, l'élection majeure, l'élection pivot, et que, par conséquent, elle précède toujours le scrutin législatif. Tout cela est totalement faux si l'on analyse la pratique institutionnelle depuis 1958.
Depuis cette date, en effet, se sont tenues onze élections législatives et sept élections présidentielles. Au total, le pouvoir a donc été relégitimé ou conféré à quinze reprises. Par trois fois, les élections législatives ont eu lieu en premier. Ce fut le cas en 1958, en 1968 et également en 1973.
A six reprises, les élections législatives se sont tenues à mi-parcours d'un mandat présidentiel. Il s'agit des scrutins de 1962, 1967, 1978, 1986, 1993 et 1997.
Enfin, on dénombre seulement deux cas dans lesquels les élections législatives ont suivi immédiatement un scrutin présidentiel : ce sont les élections de 1981 et de 1988.
Cependant - il faut peut-être le rappeler -, en 1981 comme en 1988, ce n'est que grâce à une dissolution de l'Assemblée nationale par le Président de l'époque, François Mitterrand, que cet ordre calendaire a pu être appliqué. Cela me renvoie à mon propos initial, à savoir que le calendrier électoral est, du fait d'abord du droit de dissolution du Président de la République, aux mains de celui-ci et il ne saurait être réglé par une mesure prétendument d'urgence susceptible d'être votée à la sauvette.
Mes chers collègues, revenons, si vous le voulez bien, aux trois cas dans lesquels les élections législatives ont précédé l'élection présidentielle.
En 1958, les législatives se sont tenues les 23 et 30 novembre, et la présidentielle le 21 décembre, soit moins d'un mois après. Même si, comme peuvent le faire remarquer certains partisans de l'inversion, l'élection de 1958 n'a pas eu lieu au scrutin universel direct, vous conviendrez, mes chers collègues, qu'à cette époque, l'influence des partis politiques était sensiblement plus importante qu'aujourd'hui.
En 1968, les législatives se sont déroulées les 23 et 30 juin, et l'élection présidentielle les 1er et 15 juin 1969, soit moins d'un an plus tard. J'observe que, malgré son élection post-législative, le Président Pompidou ne s'est jamais vu reprocher d'être l'otage des députés de sa majorité.
Enfin, dernière en date, l'élection de 1973, qui s'est déroulée un an avant la présidentielle de mai 1974 : au soir du 19 mai 1974, le président Giscard d'Estaing, qui a eu, semble-t-il, un rôle dans l'inversion qui nous est aujourd'hui proposée, n'a pas ressenti le besoin de dissoudre l'Assemblée nationale pour mettre en place une majorité conforme au programme qu'il avait développé tout au long de sa campagne.
Dans ces conditions, il ne fait aucun doute, mes chers collègues, que l'argument avancé par le Gouvernement et le parti socialiste n'a guère plus de valeur que s'il nous était proposé d'inverser par la loi les saisons.
Second prétexte, l'ordre prévu - l'ordre naturel - ne serait pas conforme à l'esprit de nos institutions. Or, je ne vois pas à la lecture de la Constitution comment on peut en arriver à dire que l'élection présidentielle doit avoir la primauté.
Le Gouvernement l'avoue d'ailleurs à demi-mot puisque, la Constitution étant muette dans la lettre, il s'empresse de se rattacher à son esprit. Quand la lettre est muette, l'esprit peut être divers, et on trouvera en l'occurrence autant d'analyses qu'on le souhaite, mais rien ne permet de considérer que les élections législatives sont secondaires - j'estime d'ailleurs que l'Assemblée nationale va un peu vite alors qu'il s'agit de ses propres pouvoirs !
De plus, est-ce au Parlement, qui n'a cessé de souhaiter un rééquilibrage entre l'exécutif et le législatif, d'affirmer lui-même qu'il procède indirectement du pouvoir du chef de l'exécutif et d'une élection mineur par rapport à l'élection présidentielle ?
Le troisième argument avancé consiste à dire, comme on l'a déjà fait pour l'adoption du quinquennat, que cette proposition de loi est une mesure anti-cohabitation ou, plutôt, permettant d'éviter la cohabitation. Décidément, ce thème de la cohabitation peut faire florès pour à peu près toute argumentation et son contraire. C'est tout juste si le Gouvernement ne l'utilise pas pour expliquer parfois son inaction, notamment en matière fiscale. Plus sérieusement, si l'on veut supprimer tout risque de cohabitation, il faut le dire clairement, ouvrir vraiment le débat et prendre les mesures adéquates.
Non, monsieur le secrétaire d'Etat, nous le savons, l'inversion du calendrier ne réglera en rien les risques de cohabitation, et ce pour deux raisons.
Tout d'abord, rien n'empêchera les Français de voter différemment lors de scrutins proches dans le temps. Un récent sondage nous apprend d'ailleurs que plus d'un Français sur trois souhaite qu'à l'issue des élections présidentielle et législatives de 2002 le Président de la République et le Premier ministre n'appartiennent pas à la même famille politique, considérant ainsi que la cohabitation a fait ses preuves. Je n'en suis pas convaincu. Les Français, pour le moment, ne condamnent pas la cohabitation en tant que telle, mais ils peuvent condamner les calculs qui consistent à faire en sorte ou à croire pouvoir faire en sorte que les prochaines élections législatives et présidentielle auront un résultat uniforme.
Par ailleurs, et c'est un argument évident, la simple application de la Constitution de la Ve République rend le calendrier électoral amovible. Le pouvoir de dissolution du Président de la République peut, s'il est utilisé, décaler complètement les dates de scrutin et faire en sorte que les élections législatives et présidentielle ne coïncident plus. De la même façon, la démission ou le décès d'un Président de la République en exercice peut chambouler complètement les dates d'élections. Par conséquent, on ne voit pas en quoi cette mesure particulière de changement de calendrier peut avoir valeur de référence puisque l'on sait que dès après 2002 le problème pourra se poser à chaque renouvellement. Il existe bien quelques moyens : la suppression du droit de dissolution - mais cela nous renvoie à un vrai débat constitutionnel, et non à un débat dans l'urgence - et la substitution d'un vice-président au poste actuel de Premier ministre - après tout, pourquoi pas, mais, là encore, il faut revenir à un vrai débat constitutionnel approfondi avec le peuple français. Je crains que toutes ces mesures ne soient pas à la portée du Gouvernement, quel que soit, par ailleurs, le talent de ses membres. Nous le voyons bien, si l'objectif est uniquement d'écarter les risques de cohabitation, il suffit de le dire clairement, d'en débattre en y associant l'ensemble de nos concitoyens, et de proposer les mesures appropriées par voie de référendum.
Un autre faux-fuyant est avancé par les contempteurs du maintien de la séquence naturelle des élections : celui qui consiste à dire que l'ordre actuel est confus et place les électeurs dans un embrouillamini électoral. Ces experts en psychologie électorale craignent que les Français ne fassent un amalgame entre les deux scrutins. Merci pour eux ! Ils sont persuadés, disent-ils, que nos concitoyens ne perçoivent pas la différence entre l'élection du Président de la République et l'élection des députés. Dans ces conditions, je crains qu'il ne faille pousser le raisonnement plus loin. On pourrait, par exemple, dire que le fait qu'il y ait des élections un an avant les élections législatives ou présidentielle pose problème. Pis, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'est-ce que le Gouvernement a envisagé pour le tour suivant ? En effet, du fait des municipales et cantonales de 2001, en 2007, c'est-à-dire demain, au terme du quinquennat, nous aurons, la même année, des municipales, des cantonales, des législatives et une présidentielle plus des sénatoriales. Je défie qui que ce soit de me dire quel sera, dans ces conditions, le calendrier de 2007 et si le Gouvernement du moment envisage d'engager des détectives, des sondeurs, des prévisionnistes et des météorologues pour résoudre ce calendrier calamiteux !
M. Patrick Lassourd. La boule de cristal !
M. Gérard Cornu. Eh oui !
M. Roger Karoutchi. Non, vraiment, tous ces arguments sont des arguments de circonstance. Avant ou après, les élections présidentielle et législatives se situeront dans tous les cas à quelques semaines d'intervalle.
Alors, pour défendre cette mesure, le rapporteur de ce texte à l'Assemblée nationale soutient qu'il existe des précédents sur cette question de la prorogation de la durée de la mandature d'une assemblée, en faisant référence à la décision du 6 décembre 1990. Il affirme ainsi qu'il suffit que « le législateur se conforme aux principes d'ordre constitutionnel qui impliquent notamment que les électeurs soient appelés à exercer, selon une périodicité raisonnable, leur droit de suffrage et que les choix du législateur s'inscrivent dans le cadre d'une réforme dont la finalité n'est contraire à aucun principe non plus qu'à aucune règle de valeur constitutionnelle ».
Il poursuit en évoquant les précédents suivants : la loi du 21 décembre 1966, qui a reporté de mars à octobre 1967 le renouvellement d'une série de conseillers généraux ; la loi du 4 décembre 1972, qui a procédé au report d'élections cantonales du mois de mars au mois d'octobre 1973 ; la loi du 8 janvier 1988, qui a reporté de mars à septembre une série d'élections cantonales ; la loi du 11 décembre 1990 ; enfin, la loi de 1994, dont chacun se souvient, qui a reporté au mois de juin les élections municipales de 1995.
Certes, ces reports ont bien eu lieu. Mais en aucun cas, chacun a pu le noter dans les citations que je viens de faire, ils n'ont concerné des élections législatives, à deux exceptions près, et pas n'importe lesquelles. Dans ces deux cas, on ne peut pas dire que les conditions aient été les mêmes qu'aujourd'hui.
Le premier cas, c'est, bien sûr, la Première Guerre mondiale : on n'allait pas faire voter les Français massivement mobilisés sur le front, et les élections législatives ont été décalées en 1919. Le second cas, guère plus facile, c'était en 1940 : là, effectivement, l'assemblée élue en 1936, dont les membres appartenaient majoritairement au Front populaire, a siégé au-delà de son mandat, jusqu'au coup de force de Vichy. Vous voudrez bien reconnaître que dans les deux cas - Première Guerre mondiale, Seconde Guerre mondiale et coup de force de Vichy - les circonstances n'étaient pas uniquement des circonstances de calendrier et d'arrangement électoral. (Très bien ! et applaudissements sur plusieurs travées du RPR.)
M. Gérard Cornu. Et heureusement !
M. Roger Karoutchi. En aucun cas, en temps de paix, une assemblée législative n'a prorogé d'elle-même l'échéance de sa mandature. S'agissant d'élections locales, municipales ou cantonales, il n'est pas choquant, pour des motifs d'intérêt général, que le Parlement, qui n'est pas partie prenante, puisse se prononcer. En revanche, proposer à des députés de proroger d'eux-mêmes la date d'échéance de leur mandat, c'est évidemment un petit peu spécieux, et c'est une autre affaire !
En outre, même dans ces conditions, un éminent constitutionnaliste, Louis Favoreu, observait, lors de son audition par la commission des lois de notre assemblée, que chaque fois que le Conseil constitutionnel avait validé une démarche de prorogation, il l'avait subordonnée « au respect de conditions strictes, à savoir le caractère exceptionnel et transitoire du report et l'existence d'une réelle justification ».
Le codirecteur de la Revue française de droit constitutionnel a aussi rappelé quelques-uns des motifs retenus par le Conseil : « favoriser la participation des électeurs, assurer la continuité de l'administration territoriale, éviter la concomitance des élections avec une réforme sur le statut des élus, ou encore permettre aux électeurs d'être mieux informés des conséquences de leur choix ». Par hasard, l'un de ces éléments serait-il utilisé par le Gouvernement pour expliquer le report ? Le Gouvernement a-t-il l'intention d'informer les électeurs ? Un problème se pose-t-il sur la continuité de l'administration territoriale ? Y a-t-il un problème sur l'existence et la légitimité des parlementaires d'aujourd'hui ? Je ne le crois pas ! Tout cela ne peut donc en aucun cas justifier une mesure d'exception.
Enfin, mes chers collègues, vous me permettrez de dire que nous ne comprenons pas toujours les motifs qui poussent certains experts éminents du parti socialiste, alors qu'ils affirment que cette réforme, n'a pas d'intérêt électoral, à faire réaliser des études approfondies sur les projections des résultats. Soyons sérieux. A-t-on déjà vu - et cela a déjà été dit ce matin - quelqu'un modifier, sans y être obligé par des circonstances dramatiques, un calendrier à son détriment ? Qui peut croire que, en l'occurrence, le Gouvernement et le Premier ministre n'ont été guidés par rien d'autre que l'intérêt général ?
Et puis si, malgré tout ce que je viens d'évoquer, nous pouvions avoir encore quelques doutes, il suffirait de s'en référer à Daniel Cohn-Bendit (Exclamations sur plusieurs travées du RPR) , qui manquait à la panoplie.
M. Patrick Lassourd. Référence notable !
M. Roger Karoutchi. En effet, interprète polyglotte du Gouvernement, il a déclaré récemment, en toute sérénité : « Je suis pour l'inversion du calendrier, parce que je veux que Lionel Jospin gagne la présidentielle ! »
Plusieurs sénateurs du RPR. C'est clair !
M. Roger Karoutchi. Voilà un argument de fond qui a au moins le mérite de la clarté !
A la question : « Quoi de plus limpide que les préceptes de La Fontaine ? » posée voilà un demi-siècle par André Siegfried, l'un des maîtres de la sociologie électorale, nous avons aujourd'hui enfin la réponse : ce qui est plus limpide que les préceptes de La Fontaine, ce sont les déclarations de M. Cohn-Bendit, révélatrices des pensées profondes d'une gauche de plus en plus plurielle !
Nous l'avons bien compris, mes chers collègues, cette proposition de loi vise à guider la main des Français lors des prochains scrutins. Les véritables motivations de ce texte sont inavouées. En 1985, nous avions déjà eu l'instauration de la proportionnelle pour empêcher la victoire de la droite républicaine et favoriser, dans le même temps, le développement et l'expansion de l'extrême droite, censés gêner cette même droite républicaine ; aujourd'hui, la manoeuvre électorale pour déplacer les dates d'élections consiste à préparer une candidature à la magistrature suprême.
Mais, pour être honnête et juste, il faut reconnaître que le Gouvernement n'en est pas à son premier acte de « bravoure », loin s'en faut ; j'en parlais voilà peu avec le président de l'Assemblée des régions de France : la modification des scrutins régionaux et la réforme partielle du mode d'élection des sénateurs visaient déjà ce même objectif, à caractère plus partisan que d'intérêt général. Quelle ardeur à la tâche d'ailleurs quand il s'agit de stratégie électorale ! On a beaucoup plus d'imagination, beaucoup plus de volonté en cette matière que lorsqu'il s'agit d'aborder les vraies réformes, le tout au nom de la clarté des scrutins.
Nous verrons bien ce que sera celle-ci en 2002, mais s'agissant par exemple de la réforme des élections régionales - et je parle ici sous le contrôle de nombreux élus régionaux - en Ile-de-France, dont j'ai le plaisir d'être un élu, la clarté du scrutin se traduit par le fait qu'il n'y aura qu'une liste de 209 noms pour toute la région. Je suis sûr que, pour l'électeur citoyen de l'un des huit départements d'Ile-de-France, la clarté des listes risque de donner plutôt dans la confusion.
M. Jean-Philippe Lachenaud. Eh oui !
M. Roger Karoutchi. La vérité, c'est que toutes ces réformes de circonstance prouvent aujourd'hui que le Gouvernement gère moins qu'il ne calcule, que le Gouvernement ne réforme pas, qu'il aménage, que le Gouvernement ne prépare pas l'avenir des Français et de nos enfants, qu'il se focalise sur son destin et la pérennisation de son pouvoir.
En fait, c'est à l'ensemble de la droite que le défi est lancé. A nous de gagner les élections de 2002, sans changer les règles du jeu, simplement projet contre projet, monsieur le secrétaire d'Etat.
Nous avons, nous aussi, confiance en notre capacité à promouvoir une autre ambition pour la France, une ambition salvatrice, et je suis convaincu que la démarche qui est à l'origine de ce texte ne fera que rassembler tous ceux qui, parmi nous, veulent l'union sans se renier. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR. - MM. Jean-Paul Huchon et André Vallet applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Lassourd.
M. Patrick Lassourd. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous me permettrez d'abord, en préambule à mon propos, de saluer notre collègue M. Bonnet. J'ai en effet vivement apprécié son analyse excellente, la pertinence des jugements et la finesse des interrogations soulevées dans son rapport écrit, lequel, j'en suis persuadé, a grandement contribué à fonder et à enrichir notre débat.
A l'heure où le candidat Jospin à l'élection présidentielle s'avise que l'ordre naturel des élections de 2002 risque fort de lui être défavorable, on comprend l'urgence décrétée pour mobiliser la représentation nationale et pour modifier, toutes affaires cessantes, le calendrier dans un sens plus conforme aux intérêts personnels du candidat socialiste.
Repousser les élections législatives après l'élection présidentielle est la priorité d'un seul homme et d'un homme qui redoute le verdict des urnes. Il lui paraît donc tout à fait normal de retoucher le code électoral, de modifier le fonctionnement des institutions, de provoquer un débat au Parlement, de s'allier avec une fraction de ses adversaires tout en s'aliénant le soutien de ses amis...
M. Roger Karoutchi. Et voilà !
M. Patrick Lassourd. Drôle de conception de la démocratie !
M. Joseph Ostermann. Ce n'est pas beau !
M. Hilaire Flandre. Oh, le vilain !
M. Patrick Lassourd. Parallèlement, à l'heure où les Français s'inquiètent de leur sécurité alimentaire, de l'accroissement des inégalités, du poids de l'impôt, de leur avenir en termes d'emploi et de retraite, de l'éducation de leurs enfants, du fonctionnement de la justice, on comprend que ce débat, totalement étranger à l'intérêt général de nos concitoyens, contribue à creuser davantage encore le fossé qui les sépare du politique et à déconsidérer un peu plus ses acteurs : quel triste décalage entre notre débat et le « pays réel » !
Vous me pardonnerez d'exposer les faits aussi brutalement, mais non sans ironie. Cependant, je suis trop indigné et moralement choqué du procédé pour ne pas dire les choses telles qu'elles sont et parler en vérité.
Nous siégeons certes dans un palais où se déroula jadis la fameuse journée des dupes. Mais vous l'aurez compris, monsieur le secrétaire d'Etat, nous ne serons pas les vôtres, aujourd'hui, dans ce faux débat constitutionnel, véritable « coup politique », où l'intérêt général n'est invoqué, avec hypocrisie, que pour couvrir un profit personnel.
Il est en effet impossible de déceler dans le texte qui nous est soumis autre chose que le fruit d'une manoeuvre électorale ! Tout le prouve.
M. Dominique Braye. Absolument !
M. Patrick Lassourd. Je pense d'abord à l'utilisation de la procédure d'urgence qui est, en l'occurrence, une fois de plus, totalement injustifiée et inopportune.
MM. Dominique Braye et Roger Karoutchi. Tout à fait !
M. Patrick Lassourd. Aucune crise politique ne réclamait une telle réforme. Ce calendrier était connu depuis 1997.
M. Dominique Braye. Absolument !
M. Joseph Ostermann. Tout à fait !
M. Patrick Lassourd. Cette méthode, devenue coutumière au Gouvernement, « force » les élus du peuple à légiférer sans la sérénité nécessaire et permet ainsi de faire adopter de manière commode et rapide des textes de circonstances.
Je pense ensuite au revirement à cent quatre-vingts degrés opéré par le Premier ministre, qui, le 19 novembre dernier, déclarait ceci : « A défaut de consensus, toute initiative de ma part concernant un changement de calendrier électoral serait interprétée de manière politique, voire politicienne ! » Vous avez dit « politicienne » ? Eh bien, nous y sommes ! M. Jospin agit aujourd'hui en totale contradiction avec ses récents propos !
M. Dominique Braye. Comme toujours !
M. Patrick Lassourd. Ce revirement est d'autant plus suspect de politisation qu'il a surgi lors du congrès de Grenoble du parti socialiste, occasion manquant singulièrement de la neutralité requise pour une mesure constitutionnelle et d'intérêt général, comme vous en conviendrez ! En réalité, M. Jospin change non pas tant d'avis que d'état : est-il encore le Premier ministre de la France ? Il est désormais davantage dans la peau du candidat à l'élection présidentielle que dans celle de chef de gouvernement ! L'intérêt et le calcul électoral priment ainsi, à quatorze mois des échéances, sur les attentes des Français. Et ce débat marque une véritable entrée en campagne électorale.
Autre indice de manoeuvre : la multiplication d'alliances incongrues suscitées par le projet. Lâché par les communistes et les Verts, qui sont les partenaires traditionnels du gouvernement socialiste auquel ils appartiennent, je le souligne, le Premier ministre a, sur cette réforme, dévoilé les divisions de sa majorité et été contraint d'aller chercher des appuis à droite en débauchant quelques membres de l'UDF. Ainsi, un ancien Président de la République, que vous avez toujours combattu, est-il devenu une inédite caution morale dont on exploite sans trop d'efforts les nostalgies et les rancoeurs, ainsi les socialistes versent-ils dans le gaullisme le plus affiché...
On aura tout vu ! Ces combinaisons douteuses avec des alliés de rencontre ne nous échappent pas et ne grandissent pas ce débat ! Choisir l'appui d'adversaires faute d'obtenir celui de vos amis, voilà, monsieur le ministre, de quoi faire douter de la sincérité de vos intentions, comme de la force de vos convictions !
Autre preuve : le calcul électoral tout simple évoqué avec une franchise un peu primaire mais louable, car révélatrice, par Daniel Cohn-Bendit, Jean-Claude Gayssot ou Henri Emmanuelli. Tous reconnaissent en effet que le prochain scrutin présidentiel, avec le calendrier tel qu'il est, a toutes les chances d'être défavorable à Lionel Jospin. Une possible défaite de la gauche plurielle aux élections législatives de 2002 risquerait en effet d'être fatale à la candidature de M. Jospin à l'élection présidentielle.
L'affaiblissement du Front national, dont l'émergence fut tant favorisée par les socialistes qui y trouvaient leur compte... électoral, va réduire bon nombre de triangulaires, favoriser ainsi la droite traditionnelle et réduire la base électorale, déjà de coalition et, pour le moins, hétéroclite, du Premier ministre. Le candidat Jospin, pour se gagner les suffrages, aurait à consentir des concessions, à composer avec les diverses sensibilités de sa majorité ; bref, il perdrait indépendance et latitude, et s'affaiblirait. Or, le candidat Jospin ne souhaite pas être comptable du bilan du Premier ministre Jospin...
Pour conjurer la crainte des urnes et la peur de perdre, M. Jospin cherche à assurer ses arrières par cette mesure tactique de pure stratégie personnelle !
La volonté du Gouvernement de se soustraire au contrôle prévu par les institutions constitue un dernier signe de manipulation électorale. Tout d'abord, le choix de présenter le texte sous forme d'une « proposition de loi », fort peu spontanée et tout à fait « dictée », méthode habituelle du Gouvernement pour se défausser sur sa majorité de projets sensibles ou embarrassants, permet d'échapper à l'avis du Conseil d'Etat, qui est requis pour un projet de loi organique. La forme de la proposition de loi dispense également le Gouvernement de soumettre le texte au référendum. Enfin, elle évite l'examen en conseil des ministres, où le Président de la République, directement concerné, aurait pu légitimement émettre réserves et remarques sur un texte qui règle son propre avenir !
Ce dernier point a beaucoup choqué le parlementaire respectueux de la Constitution que je suis. Ecarter injustement le Président de la République, c'est faire fi de l'article 5 de la Constitution, qui dispose : « Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'Etat. » Autant dire que cet arbitrage a été totalement et soigneusement occulté !
En dépit de toutes ces évidences tacticiennes, on a voulu habiller en hâte le débat de respectabilité juridique. Ainsi ont été auditionnés d'éminents constitutionnalistes, professeurs émérites, plutôt dubitatifs et pas du tout unanimes sur les conséquences de cette inversion du calendrier. En effet, personne ne peut garantir que la modification du calendrier, pas plus d'ailleurs que le quinquennat, permettra de réduire la durée de la cohabitation. Le texte proposé constitue donc un aveu d'impuissance constitutionnelle mais un gage d'efficacité politique. Voilà la vérité !
M. Joseph Ostermann. Et voilà !
M. Patrick Lassourd. Le calendrier électoral dépend en fait de trois éléments échappant à toute loi organique : la dissolution, la démission du Président de la République et son décès. Sur ces trois points, personne ne peut agir. Le nouveau calendrier n'est donc pas à l'abri d'une remise en cause, malgré le vote de la proposition de loi. On comprend ainsi les lacunes, les fragilités et les dangers de la réforme qui nous est proposée.
M. Louis Grillot. Très bien !
M. Patrick Lassourd. A la lumière de ces éléments, où est, monsieur le ministre, la force de vos convictions ?
M. Dominique Braye. Ils en ont eu !
M. Patrick Lassourd. Comment nous faire croire que vous y croyez vous-même ?
Comment ne pas vous soupçonner de faire preuve d'une magistrale hypocrisie ? Le masque ne tient pas, et notre indignation est grande de participer à un « débat » qui devrait être abordé avec sincérité et honnêteté, et qui est, en définitive, confisqué par des calculs peu dignes, gagnés d'avance.
Je relèverai trois motifs d'indignation.
En premier lieu, notons un manque manifeste d'honnêteté intellectuelle concernant la lecture de la Constitution. Vous n'avez eu de cesse, monsieur le ministre, de combattre le général de Gaulle et les institutions de la Ve République, pour, aujourd'hui, vous en prévaloir ! Curieux paradoxe... Vous vous posez en défenseur de l'esprit d'une constitution que l'auteur du Coup d'Etat permanent parait de tous les méfaits... avant d'en faire son profit, en l'appliquant à la lettre, notamment lors de la première cohabitation de 1986 !
Ce ne sont pas tant nos institutions qui méritent d'être montrées du doigt que plutôt l'usage que l'on en a fait, et que vous en faites, avec la banalisation de la cohabitation. Vous invoquez la tradition, la nécessité d'affirmer la prééminence de l'élection présidentielle. Il n'y a aucune tradition en la matière ; nombre de mes collègues ont rappelé les précédents où les élections législatives ont eu lieu avant l'élection présidentielle. Notre tradition, à nous, consiste à mettre les institutions et le calendrier électoral à l'abri des calculs de convenance personnelle !
C'est plutôt sur la pratique que nous devons nous pencher. Grand pourfendeur de la présidentialisation du régime, avant d'accéder au pouvoir, le Président Mitterrand a, par la suite, nettement favorisé une lecture « présidentielle » de la Constitution... (M. Braye s'exclame.)
Vous avez bien retenu la leçon, en cherchant à « accommoder » nos institutions au gré de vos intérêts. C'est vraiment indigne !
Le vrai débat consiste non pas à modifier le calendrier, mais à s'interroger sur le devenir de nos institutions, sur l'équilibre des pouvoirs législatif et exécutif, sur la nécessité ou non de passer à une République plus moderne. C'est cela, le vrai respect d'une constitution écrite pour tous, dans l'intérêt d'une nation.
Vous comprendrez donc combien nous condamnons cette lecture univoque que vous cherchez à imposer, dans le seul intérêt d'un homme et d'un parti !
Mon deuxième motif d'indignation tient à cette méthode socialiste, contre laquelle je m'élève, et qui consiste à retoucher constamment la Constitution. On ne ravaude pas ainsi perpétuellement un texte constitutionnel, par petites touches, comme un vieux vêtement emprunté qu'on ne se résout pas à ajuster une bonne fois pour toutes.
Une dizaine de modifications de la Constitution ont lieu depuis 1922, sans compter la tentative avortée de modification du Conseil supérieur de la magistrature. Cette action au cas par cas a fini par faire perdre toute vision globale du texte.
M. Dominique Braye. Eh oui !
M. Patrick Lassourd. Vous en portez l'entière responsabilité. Un débat sur les institutions est, certes, tout à fait légitime, mais, alors, que ce soit un vrai débat, c'est-à-dire un débat de fond, avec une réflexion d'ensemble !
Parallèlement, tous les projets de réforme des modes de scrutin décidés par la gauche ont obéi à des motivations électoralistes. Déjà, en 1986, le mode de scrutin législatif avait été modifié de manière à limiter les chances de victoire de l'opposition. En 1990, c'était au tour des conseillers généraux de faire les frais des ambitions électorales de la gauche.
M. Dominique Braye. Déjà !
M. Patrick Lassourd. Récemment, les élections régionales ont également été visitées par l'esprit réformateur du Gouvernement Jospin.
M. Dominique Braye. Encore !
M. Patrick Lassourd. Il en va de même pour le mode de scrutin des sénateurs, dont la modification n'a pas d'autre visée que de gagner quelques sièges au Sénat, « anomalie » tout de même utile !
M. Dominique Braye. C'est un comble !
M. Patrick Lassourd. Aujourd'hui, vous faites des émules au sein de la majorité plurielle, puisque les Verts réclament à grands cris une dose de proportionnelle pour les prochaines législatives, afin d'augmenter le nombre de leurs représentants.
Comment éviter, au regard de toutes ces manipulations, notre écoeurement devant tant de cynisme et de mépris des choix réels des électeurs ? Comment voulez-vous que nous vous fassions confiance ? Les exemples que je viens de citer reflètent des manoeuvres de mauvais joueurs et de mauvais perdants, où l'honneur est totalement absent.
M. Hilaire Flandre. Absolument !
M. Patrick Lassourd. Enfin, ce qui me choque profondément, c'est le caractère non démocratique de votre méthode. Vous spéculez sur les motivations des électeurs, grands absents du débat. Il n'a pas été question un instant, en effet, de solliciter leur accord et de les consulter par la voie du référendum, ce qui aurait été justifié. Car il ne faut pas perdre de vue - M. Badinter s'est plu lui-même à le rappeler à cette tribune - que ce sont eux les maîtres des scrutins et de notre démocratie !
Le peuple souverain a choisi le calendrier actuel, avec ses aléas. Ce n'est donc pas lui qui aurait, dans un grand élan national, inspiré votre réforme ! Au vu des sondages, ce serait même plutôt le contraire, et ils seraient très déçus de voir leurs attentes et leurs besoins si mal et si peu pris en compte !
En tout cas, ce n'est pas cette « magouille » qui va les réconcilier avec la politique ! L'abstentionnisme galopant est bien la preuve de cette désaffection. Il est donc temps de les faire juges, directement, des grandes questions qui intéressent leur avenir.
Je ne veux pas terminer...
M. Joseph Ostermann. Déjà !
M. Patrick Lassourd. ... sans une note positive, sans esquisser les traits du vrai débat de fond que nous aurions dû avoir depuis quelques jours.
Entrons donc de manière nette et globale dans une république modernisée ! Opérons un toilettage de fond de nos institutions adapté aux évolutions de notre pays !
La constitution de 1958 est née d'un contexte particulier. Il est aujourd'hui indispensable de moderniser nos institutions et de les reconstruire dans une perspective d'ensemble.
En effet, quels sont les grands enjeux qui doivent présider à notre réflexion ?
C'est, d'abord, la position de la France au regard de la mondialisation et de l'Union européenne.
Il faut affirmer la place de la France dans l'Union européenne, en la dotant d'institutions stables, moderniser l'Etat, en revivifiant les libertés locales, promouvoir une démocratie de proximité, en rendant effective la décentralisation, faire en sorte que les décisions soient prises au plus près du terrain, élaborer un projet économique et social orienté vers le dialogue et la solidarité, établir des relations de confiance entre le peuple souverain et la classe politique, notamment en élaborant un statut de l'élu.
Pour s'adapter, dans ces conditions, nos institutions doivent s'affranchir de l'étatisation et de la concentration actuelle du pouvoir entre les mains de l'autorité centrale et de la haute administration.
Il faut donc rééquilibrer et mieux séparer le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, renforcer le pouvoir de contrôle du Parlement, affirmer le rôle du citoyen, établir un juste équilibre entre le pouvoir central et les collectivités locales grâce à une régionalisation accrue.
Ce débat sur nos institutions permettra de poser les vraies questions : faut-il ou non continuer à vivre des cohabitations, faut-il ou non se diriger vers un régime présidentiel ou vers un régime parlementaire ?
Pour ce qui concerne la cohabitation, l'expérience a montré qu'elle correspondait à un espace de temps qui n'est pas profitable à la France. Nos institutions, une fois modernisées et toilettées, devront donc limiter au minimum le risque de cohabitation, voire l'empêcher totalement. Avec la cohabitation, nous avons gagné en paralysie, nous avons perdu en crédibilité auprès de nos partenaires européens et mondiaux.
M. Georges Gruillot. Très bien !
M. Patrick Lassourd. Si nous nous dirigeons vers un régime présidentiel, il faudra poser les vraies questions : celle du droit de dissolution, qui ne pourra pas être conservé, celle de l'existence du Premier ministre, celle de la création éventuelle d'un vice-président, celle de la responsabilité du Gouvernement devant le Parlement, mais aussi celle de la nature des scrutins.
A considérer le régime présidentiel des Etats-Unis, bien connu, on note qu'il y a une négociation permanente entre le président et le Congrès. Mais cette négociation est facilitée par le fait qu'il y a deux formations politiques au Congrès. Chez nous, notamment depuis l'émergence du pouvoir socialiste, nous sommes face à un émiettement des formations politiques. Il n'est qu'à voir la gauche plurielle !
Rappelons-nous le machiavélisme inouï du président Mitterrand pour faire émerger une formation politique dont on connaît les idées extrémistes à seule fin de diviser la droite à son profit personnel !
M. Hilaire Flandre. Scandaleux !
M. Patrick Lassourd. Comment, avec de tels comportements, aller vers un régime présidentiel, dans lequel le président est obligé de négocier avec le Parlement, si l'on compte une dizaine de formations politiques, certaines n'étant présentes que grâce au machiavélisme d'un président soucieux d'assurer sa majorité et son élection ?
Actuellement, on voit certains partenaires de la majorité dite plurielle, les Verts, demander l'adoption du scrutin proportionnel.
Je vous le dis, mes chers collègues, un régime présidentiel ne peut coexister avec un scrutin proportionnel, car la présence d'un trop grand nombre de formations politiques au Parlement empêchera toute négociation entre ledit Parlement et le président.
Pour ce qui est du régime parlementaire pur et dur, il n'y a pas de surprise. Nul besoin de faire de la fiction. De la fin de la guerre, en 1946, jusqu'en 1958, nous avons eu, en France, un régime parlementaire pur et dur. C'étaient les délices de la IVe République.
Nous y avons perdu notre crédibilité, nous y avons perdu la force de notre monnaie. Nous n'avons pas eu le développement économique que nous aurions pu avoir. Nous avons collectionné un nombre incroyable de gouvernements. Nous ne pouvons donc pas aller dans cette direction.
Dès lors, quelle est la bonne réponse ? La bonne réponse, c'est la Constitution de la Ve République. Arrêtons de dire que c'est une anomalie parce que c'est une constitution qui existe peu ou pas du tout en Europe et dans le monde. Ce n'est pas une anomalie, c'est notre spécificité : elle convient à notre identité, à notre culture, à notre façon de penser, de régler les affaires de l'Etat.
Mais ce ne sont pas les petites retouches permanentes, comme le quinquennat, le cumul des mandats, la parité, les changements de scrutin, notamment le scrutin sénatorial, qui répondent au souci réfléchi de moderniser de façon pérenne et harmonieuse les institutions.
Et s'il y a un gouvernement qui est vraiment très mal placé pour mener à bien cette rénovation des institutions, c'est bien, monsieur le ministre, celui auquel vous participez !
En conclusion, la mesure proposée contient, nous l'avons vu, davantage d'arrière-pensées que de pensées tout court ! Elle nous a plongés dans un débat strictement politique, dans le plus mauvais sens du terme, ce que nous déplorons.
Ce n'est qu'au prix d'un vrai débat, que j'ai brièvement évoqué, que nous pourrons reconquérir la confiance des Français, seuls comptables de votre action.
Nous n'avons pas, monsieur le ministre, la même notion de la représentativité. M. Jospin exerce ses fonctions dans l'impunité ; nous, nous concevons notre mandat dans la responsabilité, sous le contrôle de la souveraineté populaire. C'est là toute la différence. C'est pourquoi, avec mes collègues du groupe du RPR, je ne voterai pas votre texte en l'état. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Cornu.
M. Gérard Cornu. « Une constitution, c'est un esprit, des institutions, une pratique. »
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà ce qu'affirmait le général de Gaulle lors de sa conférence de presse du 31 janvier 1964.
L'esprit ? C'est l'interprétation qui permet de faire prévaloir certains principes sur d'autres, lorsqu'un choix est à faire. Les institutions ? Elles constituent ce qu'il y a de descriptif dans une constitution. La pratique ? C'est l'application de la Constitution, les règles que l'on arrête pour savoir comment seront exercées concrètement les compétences, les textes ne prévoyant pas tout. A cet égard, c'est l'esprit qui doit diriger la pratique, car tout ce qui est juridiquement possible n'est pas politiquement acceptable.
Le général de Gaulle déclarait encore, lors de la même conférence de presse, que, comme l'épreuve des hommes et des circonstances l'avait montré, l'instrument répondait à son objet, non seulement pour ce qui concernait la marche ordinaire des affaires, mais encore pour ce qui avait trait aux situations difficiles, auxquelles la Constitution offrait les moyens de faire face. Et le général de citer le référendum, la dissolution de l'Assemblée nationale et les pouvoirs de crise.
Il m'a semblé qu'il n'était pas inutile de rappeler d'emblée ce que celui qui avait en quelque sorte « passé commande » du texte constitutionnel avait précisément en tête alors que, aujourd'hui, de notoires opposants aux institutions de la Ve République entendent le relire sous un éclairage qui leur est favorable, n'hésitant pas à lui prêter un sens qu'il n'a pas.
Nous touchons là, en effet, mes chers collègues, le coeur du sujet qui nous préoccupe.
Les pères constituants ont en effet vu, dans le droit de dissolution dévolu par l'article 12 au Président de la République, une véritable compétence d'arbitrage. Rappelons-nous, au passage, que le droit de dissolution était, sous la république précédente, l'apanage du président du Conseil.
La dissolution de 1997 étant présentée comme l'un des deux événements qui, avec le décès du président Pompidou, ont contribué à faire du calendrier électoral de 2002 ce qu'il est, il est loin d'être hors de propos de se pencher quelques instants sur le concept.
Certains qualifient ce calendrier de « fortuit » pour mieux faire adhérer à leur théorie celle du « rétablissement ». M. le ministre de l'intérieur a même parlé de « rétablissement cohérent ».
Le terme « rétablir » est, à lui seul, tout un aveu. Le dictionnaire lui donne pour synonyme : « remettre en place ». Or je ne crois pas commettre un abus de langage en affirmant que « remettre en place », en somme remettre de l'ordre, ce n'est pas le rôle du ministre de l'intérieur. Mais, ici, remettre de l'ordre dans les échéances électorales devrait avoir pour corollaire un ordre préétabli inscrit dans notre loi fondamentale.
Du reste, si ordre établi il devait y avoir en la matière, le général de Gaulle l'aurait prévu dans le référendum constitutionnel de 1962. Or, pas un mot ! En effet, il était facile d'instaurer une date fixe pour l'élection du Président de la République, comme cela existe pour les élections législatives.
En ce qui me concerne, je dirai plus volontiers de ce calendrier qu'il n'est que la résultante de circonstances, de cas de figure prévisibles et inscrits dans le texte constitutionnel qui, ne l'oublions pas, a été approuvé par 80 % des Français lors du référendum du 28 septembre 1958.
Dans la discussion générale, monsieur le ministre, vous avez conclu en ces termes : « Le rôle du législateur ne peut se résumer à attendre que des événements extérieurs dénouent une incohérence dans le fonctionnement de nos grandes institutions. » J'en déduis que, à l'inverse, on attendra de nous, au moindre accident de parcours - nouvelle dissolution, disparition du chef de l'Etat - que nous adoptions d'autres lois organiques, au coup par coup, que je vous suggère de rebaptiser « lois de convenance ».
Le principal atout de la Ve République reste incontestablement la continuité et la stabilité des institutions. Ces mêmes institutions ont pourtant permis 1981 et la première cohabitation, au grand étonnement de nombreuses personnes, notamment d'éminents juristes qui avaient pu, à juste titre, redouter que la Constitution de 1958 ne permette pas d'alternance politique sans que ses fondements soient remis en cause.
Lorsque, en septembre 1962, le général de Gaulle annonce qu'il lui apparaît souhaitable, pour renforcer la stabilité des institutions, que le chef de l'Etat soit élu directement par les Français au suffrage universel direct, 62 % des Français font le choix de lui donner raison. Toute la vie politique va, à partir de là, être axée sur l'élection présidentielle.
D'aucuns voudraient aujourd'hui nous faire croire que l'esprit des institutions commanderait de faire précéder les élections législatives par l'élection présidentielle. Mieux : on nous dit que ce calendrier ne résulte ni de la volonté du constituant, ni de celle du législateur.
Qu'indique, au juste, le texte de la Constitution sur ce point ? Rien ! Les pères constituants n'ont, à aucun moment, estimé souhaitable d'instaurer une sorte de protection du Président de la République en imposant que les élections législatives aient lieu après son élection. Or la discrétion du texte constitutionnel n'empêche visiblement pas certains de considérer quelques-unes de leurs prescriptions comme autant d'acquis.
En dépit de virulentes critiques formulées en 1964 contre les institutions de la Ve République, notamment dans son livre Le Coup d'Etat permanent , le président Mitterrand, à son arrivée au pouvoir, adopte le régime tel qu'il est. Tout au plus, dans un entretien au journal Le Monde , le 2 juillet 1981, évoque-t-il la nécessité de réformer, à certains égards, la Constitution, tout en affirmant que le train constitutionnel ne comprendrait que quelques wagons qui ne seraient mis en marche « qu'après qu'auront été abordés les problèmes urgents de la nation ». Il citait, alors, la situation économique.
Aujourd'hui, c'est l'inverse. Les problèmes urgents de la nation restent sans réponse et le Gouvernement travaille principalement à un « tripatouillage » des élections. Quid des préoccupations des Français ? Quid du dossier des retraites ? Quid de l'application des 35 heures dans les entreprises ? Dans le contexte de forte croissance économique que connaît actuellement la France, les petites et moyennes entreprises sont confrontées à une importante pénurie de main-d'oeuvre qualifiée. Ainsi, 800 000 à 900 000 offres d'emplois ne seraient pas pourvues. Les difficultés de recrutement touchent tous les secteurs de l'artisanat, plus particulièrement le bâtiment et l'hôtellerie. Quelles mesures concrètes, qui soient adaptées à un contexte de reprise économique, nous propose-t-on ? On ne saurait se contenter du leitmotiv que nous sert Mme Guigou : « On ne touche à rien du dispositif relatif aux 35 heures. »
Les gouvernés ne décident pas de tout, mais ils décident de l'essentiel, à savoir de qui gouvernera. Du coup, ce ne sont pas toujours les mêmes qui gouvernent. Le peuple consulté exprime une volonté qu'un camp perde le pouvoir, que le camp adverse l'exerce à sa place. C'est cela, la démocratie.
Dans un ouvrage consacré aux démocraties, Olivier Duhamel rend ainsi compte de la décision des gouvernés : « Quelles que soient les modalités électorales ou institutionnelles, le principe du système politique majoritaire se résume dans la désignation de la majorité gouvernementale par le peuple. En dépit de virulentes critiques formulées en 1964 contre les institutions de la Ve République, notamment dans son livre Le Coup d'Etat permanent , le président Mitterrand, à son arrivée au pouvoir, adopte le régime tel qu'il est. Tout au plus, dans un entretien au journal Le Monde , le 2 juillet 1981, évoque-t-il la nécessité de réformer, à certains égards, la Constitution, tout en affirmant que le train constitutionnel ne comprendrait que quelques wagons qui ne seraient mis en marche « qu'après qu'auront été abordés les problèmes urgents de la nation ». Il citait, alors, la situation économique.
Aujourd'hui, c'est l'inverse. Les problèmes urgents de la nation restent sans réponse et le Gouvernement travaille principalement à un « tripatouillage » des élections. Quid des préoccupations des Français ? Quid du dossier des retraites ? Quid de l'application des 35 heures dans les entreprises ? Dans le contexte de forte croissance économique que connaît actuellement la France, les petites et moyennes entreprises sont confrontées à une importante pénurie de main-d'oeuvre qualifiée. Ainsi, 800 000 à 900 000 offres d'emplois ne seraient pas pourvues. Les difficultés de recrutement touchent tous les secteurs de l'artisanat, plus particulièrement le bâtiment et l'hôtellerie. Quelles mesures concrètes, qui soient adaptées à un contexte de reprise économique, nous propose-t-on ? On ne saurait se contenter du leitmotiv que nous sert Mme Guigou : « On ne touche à rien du dispositif relatif aux 35 heures. »
Les gouvernés ne décident pas de tout, mais ils décident de l'essentiel, à savoir de qui gouvernera. Du coup, ce ne sont pas toujours les mêmes qui gouvernent. Le peuple consulté exprime une volonté qu'un camp perde le pouvoir, que le camp adverse l'exerce à sa place. C'est cela, la démocratie.
Dans un ouvrage consacré aux démocraties, Olivier Duhamel rend ainsi compte de la décision des gouvernés : « Quelles que soient les modalités électorales ou institutionnelles, le principe du système politique majoritaire se résume dans la désignation de la majorité gouvernementale par le peuple. L'électorat choisit lui-même un parti ou une coalition formée avant l'élection ; il choisit lui-même un chef, le leader du parti ou de la coalition, ou celui qu'il a choisi pour diriger le gouvernement ; il choisit un projet politique, la plate-forme électorale qui, toujours, fixe au moins quelques objectifs et quelques moyens prioritaires pour les atteindre. Le système politique majoritaire laisse au peuple le double choix de l'orientation politique et de la personne qui la mettra en oeuvre. »
Ce système, s'il réduit le choix de l'électeur entre le candidat A et le candidat B, lui confère le pouvoir considérable de changer d'avis et donc, par là même, de changer le cours des choses. L'opposition d'aujourd'hui est la majorité de demain, l'unique incertitude pesant sur la date de ce « demain » ! En France, deux élections ont une portée gouvernementale : celle du Président de la République et celle de l'Assemblée nationale. Il en résulte une dualité des majorités, parlementaire et présidentielle.
L'avènement d'une nouvelle majorité peut se produire à l'une ou l'autre de ces deux élections. Disposant du droit de dissolution, le Président peut renvoyer l'ancienne majorité et demander au peuple d'en désigner une nouvelle, plus conforme à son choix présidentiel. C'est ce que fit François Mitterrand à deux reprises, en 1981 puis en 1988.
A l'inverse, l'Assemblée nationale ne peut révoquer le Président, ce qui implique que la nouvelle majorité parlementaire doit composer avec le maintien du Président en place et donc cohabiter.
Or personne sur ces travées ne saurait contester la réussite de la Ve République, pour les raisons déjà évoquées plus haut, à savoir la stabilité gouvernementale, la libre expression de l'électorat et le respect de ses choix.
Nous avons pu traverser des crises de diverses natures avec succès, ce qui n'exclut pas une réflexion critique, un régime ne survivant que s'il s'adapte.
Cette affirmation ne saurait toutefois ouvrir la brèche à toutes les réformes, lesquelles doivent corriger mais ne pas détruire.
Que nous propose-t-on, au fond, aujourd'hui ? De faire précéder les élections législatives par le scrutin présidentiel ; en somme, cela revient à fixer une date ! Est-ce là véritablement une rénovation politique majeure ? Y a-t-il là un véritable enjeu institutionnel ? En agissant de la sorte sommes-nous censés apporter une solution à toutes les questions qui se posent ?
On voudrait nous convaincre du fait que le calendrier électoral de 2002 est en quelque sorte illégitime, voire illégal, au motif que les élections législatives n'ont jamais précédé le scrutin présidentiel. Ce fut pourtant le cas à trois reprises - cela a été souligné - pour des variables d'écart allant de un à quatorze mois : rappelez-vous 1958, 1968-1969 et 1973-1974.
En contestant l'ordre des scrutins, le Gouvernement et ceux qui font leurs affaires d'une pareille théorie semblent remettre en cause le droit de dissolution, responsable de la concomitance des deux élections la même année. Ne pas laisser les élections intervenir à leur échéance naturelle a quelque chose de choquant, car cela donne à croire que l'on se refuse à respecter les conséquences d'un choix exercé librement par le Président de la République, en conformité avec la lettre de la loi fondamentale.
Il va de soi que je ne conteste à aucun moment l'idée même d'un aménagement de la Constitution. Il ne faut pas verser dans le fétichisme au point d'en être esclave. Il est normal qu'elle s'adapte aux nouvelles aspirations des gouvernés ou bien à une modification dans les rapports politiques. Le général de Gaulle lui-même, en bon pragmatique, voulait cette latitude, l'essentiel étant pour lui de ne pas bouleverser l'économie de la Constitution. Le peuple ne l'avait-il pas, en effet, choisie ?
Ce qui est beaucoup moins respectable, c'est de conférer au texte constitutionnel un esprit qui ne lui est pas conforme, cela pour mieux brouiller les pistes et, finalement, se présenter comme ses défenseurs, alors même que l'on est mû par des intentions peu avouables, d'autant moins avouables que le Premier ministre irait presque jusqu'à tenter de nous faire croire qu'il ne fait que se ranger à l'avis exprimé au travers de six initiatives parlementaires, desquelles, je le suppose, se dégage le fameux consensus qu'il a cru bon d'évoquer dans son interview télévisée du 19 octobre dernier.
Cette coalition de forces est, vous l'avouerez, pour le moins inattendue dès lors qu'elle rassemble des personnalités qui appartiennent notoirement à des camps adverses et que l'on voit se rapprocher pour des causes peu avouables, voire un peu troubles. C'est ce qu'on pourrait qualifier de « cuisine électorale politicienne » et, je dois le dire, nauséabonde.
De là à ce qu'on nous dise que le Premier ministre, en acceptant cette démarche, fait montre de sa volonté de respecter les prérogatives du Parlement, notamment son pouvoir d'initiative, il n'y a qu'un pas que certains n'ont pas hésité à franchir !
Pour ma part, j'y verrai toutefois une incohérence avec l'objet de ces propositions de loi qui visent à donner la priorité au scrutin présidentiel et à faire des législatives un rendez-vous mineur tout juste bon à conforter le candidat élu. S'il est quelqu'un pour m'expliquer la logique de tout cela, je suis preneur !
Je me rangerai plus sérieusement du côté de ceux qui pensent que le chef du Gouvernement a sciemment fait le choix de ne pas déposer de projet de loi afin d'éviter le cap du Conseil d'Etat et du conseil des ministres. M. le rapporteur l'ayant dit mieux que moi, il n'est pas utile d'y revenir.
Je m'étonnerai, à l'instar de M. Christian Bonnet et de bien d'autres collèges, que la procédure d'urgence soit de rigueur pour régler une situation qui est connue de tous depuis 1997...
M. Louis de Broissia. Eh oui !
M. Gérard Cornu. ... et que le Premier ministre jugeait pourtant tout à fait acceptable il y a encore trois mois, mes chers collègues !
Comme la majorité d'entre vous, même à y regarder de très près, je ne vois toujours pas d'où ressort le très large consensus « posé comme préalable à toute réforme ! Sous prétexte d'une anomalie calendaire, le Gouvernement ne cherche-t-il pas à faire dire au peuple ce qu'il veut entendre ?
A ce stade de ma réflexion, et en dehors de toute considération qui pourrait être aisément qualifiée de politicienne, je me pose deux questions.
La première est d'ordre technique. L'acte qui consiste à repousser la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale remettra-t-il définitivement le calendrier « à l'endroit », pour autant que l'on s'accorde sur l'endroit et l'envers ? Objectivement, non ! Rien ne nous permet d'affirmer qu'aucun « fait du hasard », pour reprendre les termes chers à Lionel Jospin, ne viendra de nouveau perturber l'ordre des choses soudainement préconisé par le Gouvernement, sauf à rayer de notre Constitution l'article 12 et à en écrire un nouveau interdisant au chef de l'Etat d'avoir le mauvais goût de décéder pendant l'exercice de ses fonctions !
Ma seconde question est de nature politique. Pareille pirouette aurait-elle pour conséquence d'annihiler tout risque de cohabitation, cette parenthèse, comme le dit M. Jospin ? Selon lui, la probabilité d'une cohabitation serait moins grande, car « la dynamique de cohérence est la plus forte si l'élection présidentielle précède les législatives ».
Admettons un instant que l'argument ne soit pas inspiré par des intérêts partisans. Pourquoi pas ?
M. Louis de Broissia. Admettons-le ! (Sourires.)
M. Gérard Cornu. Que faisons-nous alors du choix démocratique librement exprimé par le peuple français ?
M. Joseph Ostermann. Et voilà !
M. Paul Blanc. A la poubelle !
M. Hilaire Flandre. Retour à la case départ !
M. Gérard Cornu. Je rappelle que le peuple français n'en est pas à sa première cohabitation ! En neuf années, il a eu le temps de se faire une idée de la question !
Certes, il est acquis sur tous les bancs du Parlement - en tout cas j'ose le croire - que la cohérence entre l'exécutif et le législatif rend plus efficace l'action politique. C'est une évidence. Pour autant, il ne nous appartient pas de forcer la main du destin, en l'occurrence celle des Français, en leur demandant de considérer les élections législatives comme un scrutin visant à plébisciter le Président de la République. Ne prenons pas les Français pour ce qu'ils ne sont pas. Efforçons-nous plutôt de les convaincre de l'intérêt qu'il y aurait à restaurer l'unité de projet et d'action entre les deux têtes de l'exécutif.
Bien sûr, le Gouvernement a cherché à faire triompher les arguments qu'il croyait imparables, tels que les modalités pratiques d'organisation des parrainages en vue de l'élection présidentielle. Oh, là, là !
Il a même cru un temps trouver un allié de taille, le Conseil constitutionnel - excusez du peu ! - lequel, dans sa décision de juillet dernier, recommande que « les citoyens habilités à présenter des candidats puissent le faire après avoir pris connaissance des résultats des élections à l'Assemblée nationale ».
Or, ainsi que l'a très bien exposé notre rapporteur, cette recommandation ne saurait remettre en cause l'ordre des scrutins. Au contraire, il est tout à fait possible de concilier les deux élections. Seize jours de réflexion pour faire le choix de son candidat à l'élection présidentielle, voilà qui ne relève pas de l'impossible. Qui pourrait soutenir le contraire ?
C'est pourquoi il m'apparaît plus raisonnable et plus respectueux de notre Constitution et de l'électorat de suivre la voie ouverte par la commission des lois, qui, dans sa sagesse, suggère que, dans le cas où le calendrier électoral ferait précéder le scrutin présidentiel par le renouvellement de l'Assemblée nationale, un délai d'au moins trente jours sépare le second tour des législatives du premier tour de l'élection présidentielle.
Si l'on en croit un récent sondage, tout porterait à penser que les Français apprécient le double exécutif : plus d'un tiers d'entre eux souhaitent que la cohabitation perdure au-delà de 2002.
Si l'on considère en outre que, depuis 1978, aucune assemblée sortante n'a été reconduite, alors, vous et moi en déduirons aisément que l'intérêt général dont parle M. Jospin n'est pas celui du pays mais qu'il est bien plutôt celui de la gauche et, il faut bien le dire, plus particulièrement son propre intérêt.
M. Jean-Pierre Schosteck. Tout à fait !
M. Louis de Broissia. Personne n'en doute !
M. Gérard Cornu. Aux partisans du « rétablissement », qui auront immédiatement qualifié cette considération de politicienne, je répondrai volontiers et sans esprit querelleur par cette déclaration faite en 1981 par qui vous savez - par François Mitterrand - à un grand quotidien du soir - d'habitude, je ne le cite pas trop, mais là, cela vaut la peine : « Les institutions n'étaient pas faites à mon intention, mais elles sont bien faites pour moi. »
Il est vrai que la Ve République a su montrer qu'elle savait épouser le mouvement démocratique. Alors, dérangerait-elle aujourd'hui parce qu'elle dure ? Si c'est effectivement le cas, il serait plus honnête de nous le dire clairement et de nous proposer une réforme d'ensemble de nos institutions.
M. Paul Blanc. Bien sûr !
M. Gérard Cornu. Ce serait plus respectable et plus conforme à ce qu'on est en droit d'attendre d'un véritable chef de gouvernement.
M. Paul Blanc. Très bien !
M. Gérard Cornu. Au lieu de cela, vous y allez par petites touches successives, tel un impressionniste n'hésistant pas à juxtaposer sur la toile des couleurs réputées ne pas s'entendre.
Si vous contestez la double nature, parlementaire et présidentielle, de notre loi fondamentale, dites-le nous franchement, sans détour ; dites-le aussi au peuple français à qui il appartient de choisir le tour que celle-ci doit prendre. Nous sommes les témoins, pour ne pas dire les victimes, de la conception particulière que vous avez de la légitimité du Parlement.
Si, contrairement à ce que vous affirmez, vous étiez respectueux et soucieux du bon exercice de ses prérogatives, vous ne transposeriez pas par voie d'ordonnance des directives européennes qui mériteraient un vrai débat national, vous n'abuseriez pas, comme vous le faites, sur des textes essentiels, de la procédure d'urgence... D'autres exemples pourraient être cités.
Si vous aviez de l'égard pour le pouvoir législatif, vous ne réduiriez pas l'élection des députés à un rendez-vous accessoire, vous ne les cantonneriez pas dans le rôle de supporters de tel ou tel candidat à la présidence ! Vous n'auriez pas non plus voulu que le dernier débat du deuxième millénaire consistât, pour l'Assemblée nationale, à se voter un sursis de trois mois.
N'y avait-il rien de plus essentiel, de plus déterminant pour nos concitoyens en attente de vraies réformes capables d'améliorer résolument leur vie quotidienne ? Franchement ! (Franchement ! sur les travées du RPR.)
Peut-être vous souvenez-vous de ces quelques mots de notre regretté collègue Hubert Bassot, cherchant à expliquer toute la difficulté de l'action politique : « Saisi par les agitations du jour et les aspirations du siècle, bousculé par l'écrit, trahi par le temps qui dérobe ses évidences et sa durée, placé devant l'inattendu comme un chasseur surpris, voulant et prévoyant loin, pouvant et voyant près, happé par tant d'actions, harcelé par tant de ses compatriotes qui ne sont que ses contemporains d'un instant, lui qui explore l'avenir, eux qui implorent l'immédiat, l'homme politique est l'homme pressé. L'histoire est son désir. Le provisoire est son destin. » (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Permettez-moi de penser que le Premier ministre ne donne pas, pour sa part, l'impression d'être « l'homme pressé » de répondre aux véritables attentes du peuple français. L'ambition, plutôt que l'histoire, semble être son désir, l'art de la convenance, son pain quotidien ! Je doute qu'il faille s'en honorer.
Certes, l'Assemblée nationale aura le dernier mot ! Elle jouera, en toute vraisemblance, les prolongations au nom d'un prétendu intérêt général dont personne, à vrai dire, ne sera dupe.
A tout le moins ne pourra-t-on pas reprocher au Sénat de n'avoir pas dit les choses, de n'avoir pas mis en garde contre la vision constitutionnelle pour le moins floue du Premier ministre.
Certains, bien sûr, ne manqueront pas de redire, après le Premier ministre, que le Sénat est une « anomalie » de notre démocratie. (Protestations sur les travées du RPR.)
Je voudrais insister un peu sur ces propos émis par le Premier ministre - le Premier ministre de la France, mes chers collègues ! - propos qu'il va peut-être regretter. Il a donc déclaré à la presse que le Sénat était une « anomalie » de notre démocratie.
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Ce n'est pas bien de mentir, monsieur le sénateur !
M. Gérard Cornu. Quelle offense pour nous, mes chers collègues !
M. Paul Blanc. Honte à lui !
M. Gérard Cornu. Quelle offense aussi pour le bicamérisme ! Pourquoi voudrait-on que le mode d'élection des sénateurs soit le même que celui des députés ? Pourquoi veut-on porter atteinte au bicamérisme ? A quoi serviraient les sénateurs s'ils étaient élus selon le même mode d'élection que les députés ? J'en parle en connaissance de cause, je peux comparer, comme certains de mes collègues ici présents qui ont également été députés auparavant.
Chacun peut faire des erreurs.... mais là, c'est une erreur vraiment très grave !
Le Sénat a vocation à représenter le territoire, à représenter les multiples communes françaises et, contrairement à certains, je pense que le nombre considérable de ces communes fait la force de notre nation. A la tête de chacune d'elles, se trouvent des maires, des bénévoles qui se consacrent au service de leurs concitoyens ; nous en aurons encore le témoignage à l'occasion des élections municipales.
En tout état de cause, cette manoeuvre orchestrée par Lionel Jospin nous prouve une chose : le Premier ministre ayant peur de perdre les élections législatives, il préfère changer les règles du jeu.
M. Dominique Braye. Eh oui !
M. Gérard Cornu. Du reste, la gauche n'en est pas, à cet égard, à son coup d'essai. En effet, voulant limiter sa défaite lors des élections législatives de 1986, cela a déjà été très justement rappelé par certains de nos collègues, elle avait déjà modifié le mode de scrutin.
Que le Premier ministre arrête donc de nous parler de son droit d'inventaire ! Les méthodes de l'ère Mitterrand perdurent dans l'épisode Jospin. Parce qu'on ne peut parler d'« ère Jospin » ! En tout cas, j'espère que ce ne sera qu'un épisode ! (Sourires sur les travées du RPR.)
M. Patrick Lassourd. Malheureux épisode !
M. Gérard Cornu. Vous me permettrez enfin, et je terminerai par là mon propos... (Lamentations ironiques sur les travées du RPR.)
M. Gérard César. Quel dommage !
M. Gérard Cornu. Il faut bien conclure à un moment, mes chers collègues. Mais j'espère que je vous aurai intéressés. (Oh oui ! sur les mêmes travées.)
M. Gérard Le Cam. C'était effectivement passionnant...
M. Gérard Cornu. Je conclurai donc en m'étonnant du peu de cas qui est fait du rôle dévolu par l'article 5 de la Constitution au Président de la République, garant de nos institutions.
Est-il normal que le Président de la République soit ainsi écarté de ce débat institutionnel qui le concerne plus directement qu'on n'a bien voulu le dire ?
En se dispensant de prendre son avis, le Gouvernement montre sa vraie nature, et l'on ne pourra pas nous convaincre, dès lors, que ce n'est pas Jacques Chirac qu'on cherche ainsi à affaiblir !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Il n'a pas besoin de cela !
M. Gérard Cornu. C'est ce que vous pensez, monsieur le ministre ! Il reste que vous avez peur du Président de la République. (M. le ministre sourit.) C'est bien pourquoi vous avez recours à cette manoeuvre !
Cela prouve surtout que le Premier ministre actuel se comporte finalement plus comme un candidat futur que comme un véritable Premier ministre, ce qui est particulièrement grave,...
M. Dominique Braye. C'est gravissime !
M. Gérard Cornu. ... à nos yeux, mes chers collègues, comme aux yeux du peuple français.
Le peuple français souverain saura manifester cette désapprobation un jour ou l'autre.
M. Louis de Broissia. Il le fait déjà !
M. Gérard Cornu. Le moment venu, j'en suis convaincu, les manipulateurs seront sanctionnés. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. Gérard Cornu. Je n'ai pas encore fini, mes chers collègues !
M. Hilaire Flandre. Ç'aurait pourtant été une belle chute ! (Rires.)
M. Gérard Cornu. Il est clair qu'on cherche à affaiblir le Président de la République. Est-ce là une juste conception de la République et de la démocratie ? Voilà la vraie question, et elle mériterait bien des développements (Sourires sur les mêmes travées.)
M. Jean-Pierre Schosteck. Pourquoi pas ?
M. Gérard Cornu. Mais j'ai pitié de vous, mes chers collègues, car j'ai conscience d'avoir déjà été un peu long. (Mais non ! sur les mêmes travées.)
En tout cas, ce n'est pas l'idée que, moi, je me fais de la République et de la démocratie. Je veux croire que les Français sauront juger un jour ou l'autre, et le plus tôt sera le mieux. Pour notre part, nous rendrons notre jugement tout de suite en rejetant la convenance au profit de la sagesse. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Braye.
M. Dominique Braye. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte dont nous sommes en train de débattre a pour intitulé : « Proposition de loi organique modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale. » Il aurait aussi bien pu s'intituler : « Proposition de loi organique inversant les dates des prochaines élections législatives et présidentielle de 2002 ». Cela aurait eu le mérite d'une plus grande clarté, d'autant que le débat politique et médiatique qui s'est créé autour de cette question porte bien sur ce qu'il est devenu courant d'appeler l'« inversion du calendrier électoral ».
Mais, pour une clarté encore plus grande, cet intitulé aurait également pu être le suivant : « Proposition de loi organique de circonstance visant à inverser un calendrier électoral potentiellement défavorable au Gouvernement et à la composante socialiste de sa majorité ». (Rires et manifestations d'approbation sur les travées du RPR.)
Au moins nos concitoyens auraient-ils été ainsi objectivement éclairés sur les véritables motivations de la majorité nationale, ou tout du moins sur celles de sa composante principale, qui ne cesse de nous rebattre les oreilles avec son souci de transparence et sa prétendue volonté de répondre aux attentes de nos concitoyens.
L'intitulé retenu est évidemment beaucoup plus anodin, mais l'opinion publique n'est pas dupe pour autant et elle sait parfaitement à quoi s'en tenir quant aux motivations profondes qui sous-tendent ce texte.
Ses promoteurs croient certes avoir trouvé un argument irréfutable pour établir leur bonne foi, pour démontrer qu'ils ne nourrissent aucune arrière-pensée politicienne et électoraliste, en affirmant que le seul objectif de ce texte est de remettre à l'endroit le calendrier électoral - puisque celui-ci est, paraît-il, sur la tête - dans un souci de conformité avec l'esprit de la Constitution. Selon eux, la prééminence du rôle du Président de la République au sein de nos institutions implique que l'élection présidentielle ait lieu avant les élections législatives.
Les hasards de notre histoire politique contemporaine ayant abouti à ce que ces deux échéances électorales ne se présentent pas en 2002 dans cet ordre présenté comme idéal et incontournable, il conviendrait donc que le Parlement inverse lesdites élections pour que l'on retourne à l'ordre constitutionnel profond.
Voilà la raison officielle, qui justifie, selon les zélateurs de cette réforme, l'inversion du calendrier. Et qu'on ne se permette surtout pas de laisser entendre que pourrait exister à ce soudain désir de réformer une autre raison qu'une vigilante ardeur à défendre l'esprit de notre Constitution contre un calendrier susceptible d'en saper les fondements mêmes ! Les Français n'en étaient pas en effet suffisamment avertis, mais le désordre institutionnel les guettait et la Ve République était en péril...
Oui, mes chers collègues, rendez-vous bien compte de ce drame qui se jouait en silence : les Français s'apprêtaient à voter en 2002 pour élire d'abord leurs députés et ensuite leur Président ! Inconscients des conséquences gravissimes de cet état de fait, ils allaient peut-être même, les malheureux, voter la conscience tranquille, alors que leur vote, par un hasard maléfique du calendrier, allait saper nos institutions et ébranler, voire mettre à bas notre Ve République ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
Nous avons heureusement échappé de peu à ce drame effroyable, grâce à la vigilance de quelques visionnaires qui n'ont, nous le savons tous, d'autre raison de vivre que la défense de nos institutions, de notre Constitution.
M. Louis de Broissia. Des noms !
M. Dominique Braye. Ces nobles chevaliers blancs de la politique, n'écoutant que leur courage et leur sagacité, se sont donc investis de la haute mission consistant à dénoncer la bête malfaisante qui rampait dans l'ombre et à terrasser ce redoutable dragon. Et de pousser ce cri terrible : « Ralliez-vous à notre panache constitutionnel, et nous allons bouter les législatives loin derrière la présidentielle ! » (Rires et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Louis de Broissia. Quel artiste !
M. Dominique Braye. De fait, ralliement il y eut... mais aussi défections. Nous y reviendrons.
Tous ces vertueux apôtres de l'inversion du calendrier électoral n'ont jamais eu d'autre intention que de défendre l'esprit de notre Constitution. Ils en veulent pour preuve irréfutable qu'il est de toute façon impossible, à plus d'un an de ces échéances électorales, d'en prévoir le résultat, a fortiori en cas d'inversion. Ce serait donc témoigner d'un très vilain état d'esprit que de les accuser de mesquins calculs électoraux. (Exclamations amusées sur les travées du RPR.)
Pourtant, monsieur le ministre, il se trouve sur les travées de cette assemblée de nombreux esprits chagrins pour oser envisager cette hypothèse, pour considérer qu'une certaine dose de calcul a pu prévaloir dans l'esprit de ces preux chevaliers défenseurs de notre Constitution.
Je dis bien : une certaine dose, car les indices qui pourraient le laisser supposer sont forts ténus. C'est à peine si certains partisans de l'inversion du calendrier ont évoqué à mots couverts une très légère possibilité pour que cette inversion soit fondée sur des arrière-pensées électoralistes.
Ainsi, Daniel Cohn-Bendit, avec la discrétion feutrée qui le caractérise (Sourires sur les travées du RPR) , a dit : « L'objectif est de désarçonner l'adversaire. Que voulons-nous, nous, les Verts ? Nous voulons que Jospin devienne Président de la République et que nous ayons donc plus de députés dans la prochaine Assemblée. »
Comme vous le constatez, point d'arrière-pensée derrière cette opinion !
Point d'arrière-pensée non plus dans les propos de l'ancien Premier ministre et actuel ministre de l'économie et des finances, Laurent Fabius, lorsqu'il dit : « Lionel Jospin aura deux haies à franchir : s'il perd les législatives, la présidence aussi sera perdue. » Quand on connaît les résultats de certains sondages sur les élections législatives de 2002, on comprend que M. Jospin ait décidé de changer l'ordre de ces deux haies !
Point d'arrière-pensée encore chez Henri Emmanuelli lorsqu'il affirmait, le 27 novembre 2000 : « Personne n'est dupe ! Cela fait des mois que tout le monde sait que le calendrier, tel qu'il existe aujourd'hui, n'est pas vraiment favorable au candidat de la gauche. »
Enfin, même si de nombreux orateurs les ont déjà cités, je ne peux m'empêcher de rappeler, je m'en excuse, les propos tenus par le candidat de la gauche, Lionel Jospin, le 19 octobre dernier à la télévision.
M. Paul Blanc. Il faut le faire !
M. Jean Chérioux. Il faut les marteler !
M. Dominique Braye. Lionel Jospin disait alors : « Toute initiative de ma part serait interprétée de façon étroitement politique, voire politicienne. Moi, j'en resterai là et il faudrait vraiment qu'un consensus s'esquisse pour que des initiatives puissent être prises ».
M. Jean Chérioux. Où est le consensus ?
M. Dominique Braye. Comme vous le constatez, mes chers collègues, c'est à peine si une possibilité d'arrière-pensée a été évoquée parmi les partisans les plus éminents de cette gauche plurielle.
De qui se moque-t-on lorsqu'on soutient, la main sur le coeur, que c'est le seul souci de la défense de nos institutions qui est en jeu ? De nous, bien entendu, mais surtout, et c'est beaucoup plus grave, de tous les Français.
M. Paul Blanc. Bien sûr !
M. Dominique Braye. Que les partisans de l'inversion du calendrier électoral pour des raisons électorales aient au moins le courage de leurs opinions, comme l'ont eu MM. Cohn Bendit, Fabius, Emmanuelli et bien d'autres.
M. Jospin, visiblement du même avis, répugnait, il y a encore peu de temps, à cette inversion, car il savait bien qu'elle serait « étroitement politique, voire politicienne » selon ses propres termes. Il faut croire qu'il préfère finalement être étroitement politicien et que le bénéfice qu'il espère retirer de cette étroitesse lui paraît plus important que le reniement de sa parole.
M. Jean Chérioux. Bravo !
M. Dominique Braye. Beau gouvernement pluriel et belle majorité plurielle dont la singularité est de permettre tout et son contraire, simultanément ou successivement ! On peut ainsi y être contre l'inversion ou pour l'inversion. On peut aussi y être pour en affichant les couleurs de sa position, c'est-à-dire en disant clairement que c'est pour gagner les futures élections, mais on peut aussi y être pour en se parant des habits de défenseur de l'esprit de la Constitution. On peut aussi diriger l'ensemble de la gauche plurielle en disant blanc pour ne pas dire noir, puis en faisant noir tout en tentant d'apparaître blanc.
M. Paul Blanc. Compliqué ! (Sourires.)
M. Dominique Braye. Vous avez raison, monsieur Blanc !
M. Jean Chérioux. Répétez !
M. Bernard Plasait. On n'a pas très bien compris !
M. Dominique Braye. J'en suis désolé, mes chers collègues, car c'est un passage important de mon intervention. Je vais donc le répéter.
M. Jean-Pierre Schosteck. C'est bien !
M. Dominique Braye. Au sein de cette belle majorité plurielle, on peut donc aussi être pour l'inversion en affichant les couleurs de sa position, c'est-à-dire en disant clairement que c'est pour gagner les futures élections, mais on peut aussi y être pour en se parant des habits de défenseur de l'esprit de la Constitution. On peut aussi diriger l'ensemble de la gauche plurielle en disant blanc pour ne pas dire noir, puis en faisant noir tout en tentant d'apparaître blanc. (Ah ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Bernard Plasait. C'est beaucoup mieux dit que la première fois ! (Rires sur les mêmes travées.)
M. Dominique Braye. Et vous voudriez, monsieur le ministre, que l'on accorde du crédit aux arguments que vous avancez ? Vous n'en êtes d'ailleurs pas le seul défenseur. Vous et les zélateurs de la présente proposition de loi organique, vous tentez de vous poser en gardiens de la morale politique, républicaine et constitutionnelle. La tâche est d'envergure, monsieur le ministre, et il vous faudrait faire table rase du passé pour avoir ne serait-ce qu'une toute petite chance d'y parvenir !
Lorsque vous prétendez justifier l'inversion du calendrier électoral par des arguments de droit et de pratiques constitutionnelles, faut-il vous répondre, comme l'ont fait avant moi nombre de mes collègues de la Haute Assemblée, à commencer par notre éminent rapporteur Christian Bonnet ? (Bravo ! sur les travées du RPR.)
Leurs démonstrations ont été à mes yeux suffisamment fondées, étayées, brillantes et convaincantes, pour que rien de ce qui relève de l'argumentation juridique n'ait été passé sous silence, et mes chers collègues, je crois très sincèrement qu'il convient de ne pas allonger inutilement le débat, même s'il est très intéressant. C'est une vertu du Sénat - et son honneur - que de compter parmi ses membres des législateurs aussi éminents et pertinents que ceux qui se sont exprimés dans ce débat. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jacques-Richard Delong. Très bien !
M. Dominique Braye. Je reconnais bien volontiers que, parmi les partisans de l'inversion du calendrier électoral, certains n'ont pas manqué de talent pour défendre leur point de vue. Mais je crois qu'ils ne vous ont pas plus que moi convaincus, car leurs argumentations ne sont que l'enrobage parfois difficile et techniquement méritoire de positions dictées par des raisons purement électorales et non par des raisons juridiques.
Puis, cet amour sans borne, cette volonté affichée de défendre l'esprit de la Constitution de la part de ceux qui furent autrefois ses plus féroces adversaires, ou de la part des héritiers de ceux-là, voilà qui semble suspect ! C'est plutôt un exemple de cynisme politique en pleine action. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Jacques-Richard Delong. Très bien !
M. Dominique Braye. Quant à l'esprit de notre Constitution, il a été dit et répété à cette tribune que son principal inspirateur et rédacteur, Michel Debré, a été le premier à reconnaître que deux lectures différentes étaient possibles. Il est donc quelque peu audacieux de se réclamer d'une interprétation univoque du texte fondateur de la Ve République. Que d'éminents constitutionnalistes aient choisi d'en faire néanmoins une lecture propre à soutenir l'inversion du calendrier électoral de 2002 ne confère pas à leur opinion valeur de parole d'évangile. Que ces éminents constitutionnalistes soient en désaccord avec d'autres constitutionnalistes tout aussi éminents relativise d'ailleurs largement leur position.
M. Jacques-Richard Delong. C'est bien vrai !
M. Dominique Braye. En outre, ils ne sont pas les seuls à respecter l'esprit de notre Constitution. Les législateurs que nous sommes, tout comme les citoyens que nous représentons, ont également le droit, si ce n'est le devoir, d'avoir une opinion différente de la leur sur le fonctionnement de nos institutions républicaines.
Alors, oui, notre Constitution n'est pas la perfection absolue - nous l'avons assez constaté au cours des neuf années de cohabitation que nous avons connues en quinze ans - mais elle a néanmoins le mérite de nous assurer depuis plus de quarante ans un régime d'une stabilité et d'une solidité telles que la France n'en avait pas connu depuis fort longtemps.
C'est la raison majeure pour laquelle je pense qu'en l'absence d'un véritable consensus national - et je n'aurai pas la cruauté de rappeler ici les propos de M. Jospin - toute initiative propre à perturber le déroulement normal de la vie de nos institutions ne peut qu'être malvenue. Toutes les justifications juridico-constitutionnelles n'y changeront rien.
Comme le soulignait justement Henri Emmanuelli, personne n'est dupe des motivations réelles des défenseurs de l'inversion du calendrier. Abordons donc le débat honnêtement et reconnaissons que le fond de l'affaire est de créer des conditions plus favorables aux succès électoraux de la gauche. Laissons aux constitutionnalistes le soin de débattre de l'esprit de notre Constitution et revenons sur un terrain beaucoup moins spirituel mais tout aussi intéressant : le terrain concret du combat politique.
La préoccupation de la plupart de nos collègues de la majorité sénatoriale rejoint celle des grands électeurs qui nous ont accordé leur confiance, elle-même issue de celle de nos concitoyens. Nous n'avons pas été élus pour favoriser les destinées électorales de la gauche plurielle et de M. Jospin. Puisque certaines grandes voix de la gauche plurielle ont eu la franchise de reconnaîre que leur arrière-pensée était électorale, nous ne devons pas avoir de complexes à leur répondre que nos pensées sont très claires : nous voulons remporter les prochaines échéancees électorales et nous combattrons logiquement tout ce qui nous éloigne de cette perspective ou risque de la contrarier. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Mais doit-on pour autant, comme le font les socialistes, utiliser toutes les armes sans s'inquiéter des atteintes qui peuvent être portées à nos institutions et à notre pays ? Non seulement je ne le crois pas, mais je suis persuadé du contraire.
De plus, peut-on voter l'inversion du calendrier sur la base de convictions personnelles tout en étant un parlementaire responsable de l'opposition, en risquant par cette manoeuvre électorale, comme le soulignent les socialistes, de favoriser l'élection de M. Jospin à la présidence de la République en 2002 ? (Non ! sur les travées du RPR.)
Pour ma part, je ne le crois pas et les Français que je rencontre sur le terrain sont persuadés du contraire. Vous le savez, mes chers collègues, ils n'ont déjà pas en ce moment une très haute idée des hommes politiques et la tactique de l'inversion du calendrier leur apparaît pour ce qu'elle est réellement, à savoir une manoeuvre politicienne de plus.
M. Gérard Cornu. De bas étage !
M. Dominique Braye. Que des électeurs de gauche approuvent cette manoeuvre qui n'est après tout que l'illustration de l'adage selon lequel la fin justifie les moyens, je l'admets, mais que des électeurs de l'actuelle opposition l'applaudissent, j'en doute fortement ! Croire qu'ils applaudissent leurs élus nationaux qui se prêtent à cette manoeuvre relève selon moi de l'aveuglement complet.
Naturellement, chacun se déterminera en fonction de sa conscience, et c'est très bien ainsi. Il ne faut cependant pas s'étonner lorsque les électeurs se détournent de ceux qui jouent contre leur camp. Les intérêts à courte vue, les calculs revanchards, les querelles de clan doivent s'effacer devant l'intérêt général et devant la volonté d'être enfin cohérents et unis afin de faire triompher nos valeurs et nos idées.
En effet, nous ne parlons pas ici de reconquête du pouvoir, comme les socialistes, obnubilés depuis toujours par l'échéance présidentielle. Nous parlons de son préalable, à savoir la reconquête de notre électorat et, d'ailleurs, de l'électorat en général, qui a trop souvent été désappointé par le spectacle que lui donnent les dirigeants politiques.
Comment ne pas nous rendre compte que ce qui nous rassemble est plus fort que ce qui nous divise ?
M. Jean Chérioux. C'est évident !
M. Dominique Braye. Comment ne pas nous rappeler que ce qui nous divise est aussi ce qui peut nous faire perdre et faire triompher nos adversaires ?
M. Jean Chérioux. Hélas !
M. Dominique Braye. Mes chers collègues de la majorité sénatoriale, à moins d'entraver délibérément le cours du jeu et de vouloir marquer des buts contre notre propre camp, nous devons nous rassembler contre cette proposition de loi.
M. Paul Blanc. Bien sûr !
M. Dominique Braye. Et pourtant, de-ci, de-là, en cours de partie, certains en arrivent à oublier qu'une équipe ne gagne qu'en faisant jouer ses membres et en adoptant une stratégie collective intelligente.
Bien sûr, pour continuer cette métaphore sportive, on peut être excellent dans un sport individuel où l'on n'a rien d'autre à défendre que son intérêt personnel : l'individualisme est alors fortement conseillé, mais ce n'est pas du tout l'esprit qui est requis pour le succès dans un sport collectif.
Il en va de même en politique où les succès personnels ne garantissent pas les succès collectifs. Lorsque, faute d'engagement et de dévouement suffisants au service d'une équipe, les ambitions ou les succès personnels en viennent à contrarier, voire à compromettre les succès collectifs, il faut bien un jour aller s'en expliquer devant les électeurs. Les succès individuels sont alors gravement compromis. Quelque chose me dit que, par les temps qui courent, ces électeurs sont devenus beaucoup moins tolérants et compréhensifs à l'égard de ceux qu'ils ont envoyés remplir certaines missions en les élisant et qui les trompent le moment venu...
Un sénateur du RPR. Ils sont déçus !
M. Dominique Braye. Réfléchissons bien, mes chers collègues, aux conséquences des décisions qui peuvent nous amener à jouer contre nos propres intérêts et, surtout, à décevoir ceux qui nous ont confié nos mandats pour leur permettre de continuer à espérer.
Je ne prétends évidemment pas parler au nom de tous les Français qui se réclament de l'opposition nationale, mais je rencontre comme vous tous, quotidiennement, certains de nos concitoyens qui sont quelque peu déroutés et désabusés devant le spectacle que donne le monde politique, puisque c'est de cela qu'il est question. Leurs sympathies et leurs convictions les poussent à défendre nos valeurs. Que disent-ils ? Ils veulent que ceux qui défendent les mêmes idées - nous tous sur ces bancs - soient davantage unis, moins enclins à se déchirer pour des futilités et des querelles de voisinages.
Surtout, nos concitoyens attendent de leurs élus qu'ils soient exemplaires dans leur morale, leur conduite et leur action. Ils sont prêts, vous le savez, à nous donner ou à nous redonner leur confiance pour peu que nous soyons capables de les écouter et de tout mettre en oeuvre pour faire gagner leurs idées. Ils ont des convictions et ils veulent que nous soyons le relais de celles-ci pour qu'elles soient à nouveau respectées et, surtout, pour qu'elles se transforment en actes.
Pour conclure... (Oh ! sur les travées du RPR.)
M. Jacques-Richard Delong. C'est trop tôt !
M. Dominique Braye. Pour conclure non pas mon intervention mais cette modeste exhortation à respecter nos électeurs, je tiens à dire très sincèrement qu'en dehors des parlementaires je n'ai pas rencontré une seule personne dont les sympathies vont vers le camp de ceux qui souhaitent l'inversion du calendrier électoral.
M. Gérard Cornu. Ce n'est pas leur préoccupation !
M. Dominique Braye. Je me garderai bien de dire à aucun de mes collègues de notre Haute Assemblée les leçons qu'il doit tirer de mon expérience personnelle. Je dirai simplement que nous devons tous rester à l'écoute de nos électeurs car nous n'aurons jamais raison contre eux. Lorsque nos concitoyens et nos électeurs ne nous fustigent pas - car il leur arrive aussi d'être très aimables envers nous puisque nous le méritons probablement souvent - que nous disent-ils ? Ils nous font souvent part de leur incompréhension et de leur mécontentement en ce qui concerne les grandes orientations de l'actuelle politique gouvernementale.
Qu'entendons-nous quotidiennement, mes chers collègues ? Que le chômage a certes diminué en France - il a beaucoup moins baissé que dans les autres pays européens -...
M. Emmanuel Hamel. C'est vrai !
M. Dominique Braye. ... mais que, hélas ! chez M. Martin, le fils cadet n'a toujours pas trouvé de travail, que telle entreprise écrasée par les taxes et les charges sociales est en difficulté - ce qui pourrait mettre en péril l'emploi de plusieurs personnes et occasionner des pertes de recettes fiscales pour la commune où elle est installée -, que M. Dupont est très inquiet pour l'avenir de sa retraite,...
M. Jean Chérioux. Il y a de quoi !
M. Louis de Broissia. Et M. Dupont n'est pas le seul à être très inquiet à cet égard !
M. Dominique Braye. ... que Mme Durand a du mal à payer son impôt sur le revenu et qu'elle estime injuste qu'un Français sur deux n'en paie pas, que M. et Mme Dupuis envisagent d'inscrire leur enfant dans une école privée car ils trouvent que la qualité de l'enseignement dispensé à l'école publique voisine est en baisse constante et que, de surcroît, les violences y deviennent de plus en plus fréquentes.
Mme Nelly Olin. Ils ont raison !
M. Dominique Braye. Et je pourrais continuer encore longtemps sur ce registre !
M. Louis de Broissia. Continuez ! (Sourires.)
M. Dominique Braye. Bref, nous sommes quotidiennement confrontés, notamment ceux d'entre nous qui sont en contact direct avec nos concitoyens, à leurs inquiétudes et à leur crainte de l'avenir.
Certes, globalement, la reprise aidant, nous entendons aussi des propos plus optimistes, et il n'est pas question pour moi de brosser l'image d'un pays pessimiste, frileux et désabusé. Mais il n'en reste pas moins vrai, justement parce que nous traversons une phase de reprise - nous savons bien qu'elle ne sera pas éternelle -, que nos concitoyens, souvent, ne comprennent pas - et à juste titre ! - pourquoi nos gouvernants ne tirent pas suffisamment parti de cette période faste pour prémunir notre pays contre les conséquences prévisibles d'un prochain retournement de conjoncture.
M. Jean Chérioux. Cela peut arriver, hélas !
M. Dominique Braye. Plus cigale que fourmi, le Gouvernement dispense en effet des largesses qui grèvent lourdement le budget de l'Etat et son déficit. Le passage aux trente-cinq heures de travail hebdomadaire...
Mme Nelly Olin. C'est un désastre !
M. Dominique Braye. ... et les emplois-jeunes sont les meilleurs exemples de mesures en apparence populaires mais dont le coût commence à peser lourdement sur les entreprises et les contribuables.
Mme Nelly Olin. C'est vrai ! Très bien !
M. Dominique Braye. Et que dire d'ailleurs de cette fiscalité pesante, qui deviendra vite asphyxiante dès que la reprise commencera à s'essouffler ?
Les baisses d'impôts annoncées à grand renfort de clairons médiatiques, pour certaines qu'elles soient, restent néanmoins très en deçà de ce dont a besoin notre économie pour maintenir sa compétitivité dans un contexte de concurrence mondiale chaque jour plus difficile.
Il ne s'agit pas de nier les succès de nos entreprises les plus dynamiques, il s'agit plutôt de rappeler que celles-ci seraient encore plus performantes si les différentes taxes et charges qui pèsent sur elles étaient ramenées à un niveau similaire à celui que connaissent les pays qui sont nos principaux partenaires mais aussi nos principaux concurrents économiques.
Quant aux entreprises en difficulté, notamment parmi les PME et les PMI, il est évident que le maintien d'une fiscalité trop élevée ne peut qu'aggraver leurs problèmes et compromettre leur avenir.
Ce niveau d'imposition et de charges pesant sur les entreprises ne se contente pas de pénaliser nos entreprises nationales, il décourage aussi l'implantation d'entreprises étrangères dans notre pays, ce qui nous fait perdre des ressources fiscales et des créations d'emploi.
Quant aux contribuables qui ont la chance de disposer de revenus importants grâce à leur sens de l'initiative et à leur ardeur créative, ils en arrivent à être découragés par les ponctions fiscales records qu'ils subissent. La fuite à l'étranger, vers des cieux fiscaux plus cléments, de certains de nos jeunes entrepreneurs et de nos informaticiens ou chercheurs hautement qualifiés est, hélas ! une illustration des effets pervers de la gloutonnerie de notre système fiscal.
M. Jacques-Richard Delong. Très bien !
M. Dominique Braye. Les ménages français, quant à eux, consomment certes plus actuellement du fait de l'embellie économique, mais ils pourraient le faire encore davantage si le niveau des prélèvements obligatoires leur était plus favorable. Cela serait d'ailleurs une façon efficace de conforter et de pérenniser la reprise, nos entreprises étant évidemment les premières bénéficiaires d'un regain de consommation.
Nos concitoyens et nos entrepreneurs attendent des signaux forts quant à de réelles baisses de tous les prélèvements obligatoires. Je crois, sans risque de me tromper, que cette attente est beaucoup plus forte que celle du résultat de notre vote sur l'opportunité d'une inversion du calendrier électoral.
M. Jean Chérioux. Bien sûr !
M. Dominique Braye. La montée du sentiment d'insécurité chez nos concitoyens, leur inquiétude devant la dégradation de notre système scolaire, leur angoisse face à l'incertitude qui pèse sur l'avenir de leur retraite et plus encore sur celle de leurs enfants, voilà des sujets de fond qui les préoccupent à juste titre ! (Applaudissements sur plusieurs travées du RPR.)
Mme Nelly Olin. Voilà !
M. Gérard Cornu. C'est vrai !
M. Jacques-Richard Delong. Remarquable !
M. Dominique Braye. Vous en conviendrez, cette liste des problèmes urgents à résoudre n'est, hélas ! pas limitative.
Que peuvent penser nos concitoyens lorsqu'ils voient la représentation nationale davantage accaparée par des débats « étroitement politiciens », selon la formulation de M. Jospin, que par le désir de résoudre les problèmes qui hypothèquent leur avenir ? Ils sont certainement peu enclins à partager, et encore moins à applaudir, les états d'âme du microcosme politique si celui-ci pratique plus le nombrilisme et le calcul électoral que la défense de l'intérêt général et de l'intérêt national. (Très bien ! sur plusieurs travées du RPR.)
Franchement, monsieur le ministre, mes chers collègues, les Français attendent-ils de nous que nous nous occupions prioritairement, toutes affaires cessantes, de l'inversion du calendrier électoral, alors que tant de questions vitales pour leur avenir restent en suspens ? Nous pourrons toujours commenter tel ou tel sondage nous communiquant les résultats de leur opinion sur la nécessité d'inverser ou non les échéances électorales. Mais ce faisant, nous passerons toujours à côté de l'essentiel, à savoir qu'ils n'en ont cure. Si les Français sont interrogés par voie de sondage sur un sujet dont la réponse se limite à être pour ou contre, cela ne nous renseignera pas pour autant sur leur avis quant à l'opportunité du débat.
Le seul sondage intéressant consisterait à poser à nos concitoyens la question suivante : estimez-vous urgent de débattre du calendrier des élections de 2002 ou pensez-vous qu'il existe des débats plus importants à traiter par la représentation nationale ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
Mme Nelly Olin. La sécurité !
M. Gérard Cornu. C'est une très bonne question qu'il faudrait développer ! (Sourires.)
M. Dominique Braye. La réponse que les Français apporteraient à cette question serait certainement très édifiante pour ceux qui pensent que l'inversion du calendrier électoral passionne nos concitoyens, ou tout au moins qu'il s'agit là d'un débat à trancher dans l'urgence, comme a décidé de le faire le Gouvernement.
D'ailleurs, ce sont probablement les zélateurs de cette réforme qui déploreront, lors des prochaines consultations électorales, la désaffection confirmée, je n'ose dire croissante, des Français pour les élections.
Il faut être cohérent et savoir ce que l'on veut. Si l'on s'inquiète réellement de la montée de l'abstentionnisme électoral et du désintérêt croissant de nombre de nos concitoyens pour les questions politiques, il faut cesser de donner à ceux-ci matière à renforcer leur défiance envers certaines pratiques de la classe politique, comme vous le faites aujourd'hui, monsieur le ministre.
Les Français attendent de leurs gouvernants et de leurs élus nationaux la même écoute de leurs préoccupations que celle qu'ils trouvent plus aisément auprès de leurs élus locaux.
S'il est évident, par exemple, que le lien de proximité et de confiance est plus facile à établir entre les électeurs et les élus municipaux, ce ne peut être une raison suffisante pour les autres élus, notamment pour les élus nationaux, de s'abstenir de rechercher, eux aussi, à rétablir ce lien de confiance entre les électeurs et eux-mêmes, lien qu'ils ne pourront recréer que s'ils s'attaquent véritablement aux problèmes essentiels de leurs électeurs.
Il en va de même pour le Gouvernement, qui affiche un souci permanent du sort de nos concitoyens tout en s'évertuant à faire l'impasse sur leurs réelles inquiétudes, en leur jetant de la poudre aux yeux et en pratiquant la politique du trompe-l'oeil. Cette proposition de loi organique visant à inverser le calendrier électoral constitue d'ailleurs bien un trompe-l'oeil, puisque l'on tente, sans grand succès il est vrai, de nous cacher les véritables motivations qui ont présidé à son élaboration et puisque l'on essaie, dans le même temps, de détourner l'attention de l'opinion publique des débats de fond que mériterait notre société. Mais, comme pour tout trompe-l'oeil, l'illusion ne peut guère durer et les Français sont rarement longtemps dupes de ce type de manoeuvre.
Ce que M. Jospin craignait de ne voir apparaître comme une initiative « étroitement politique, voire politicienne » apparaît en effet réellement comme telle.
Il s'agit bien, aux yeux de nos concitoyens, de faire adopter une loi de circonstance par une majorité de circonstance, comme cela a déjà été excellement dit ici même, à plusieurs reprises.
Il fallait d'ailleurs bien trouver, à l'Assemblée nationale, une majorité de circonstance pour contrebalancer la défection des deux députés Verts et des députés communistes, lesquels sont d'ailleurs en l'occurence parfaitement en conformité avec leur hostilité traditionnelle à toute évolution du régime de la Ve République vers une présidentialisation.
M. Robert Bret. Ça c'est vrai !
M. Dominique Braye. On conçoit aisément que certains des alliés du parti socialiste aient eu des états d'âme à emboîter le pas à ce qui leur est apparu comme une pure manoeuvre de tactique électorale...
M. Paul Blanc. Bien sûr !
M. Dominique Braye. ... au profit du Premier ministre et du parti socialiste, et dont eux-mêmes seront d'ailleurs demain les grands perdants. (Applaudissements sur les travées du RPR.) Je parle bien sûr des autres composantes de la majorité plurielle, lesquelles commencent à le comprendre.
Cette manoeuvre électoraliste est d'ailleurs énorme, non seulement sur le fond mais aussi sur la forme. Le revirement spectaculaire de la position de M. Jospin est tellement difficile a expliquer à l'opinion publique que le seul moyen d'en atténuer les effets médiatiques négatifs a été d'avoir recours à l'initiative parlementaire. Cela permet maintenant au Gouvernement de nous exposer benoîtement que lui-même ne fait que se conformer au « consensus » qui se serait spontanément créé sur l'urgence de cette réforme, alors que tous nos concitoyens ont assisté en direct aux agissements politiciens des auteurs de cette manoeuvre. Même les quotidiens locaux - et pas seulement ceux du Puy-de-Dôme ! - s'en sont fait l'écho.
Singulier consensus que celui qui regroupe une majorité de 300 députés en faveur de l'inversion du calendrier, mais en y intégrant 25 députés de l'opposition nationale qui compensent opportunément le désaccord de 36 députés de la majorité plurielle.
Ce consensus relatif est étrangement fondé sur des motivations à la fois convergentes et divergentes de la part de ceux qui l'ont soutenu et de la part de ceux qui s'y sont ralliés.
M. Jacques-Richard Delong. Centrifuge ? (Sourires.)
M. Dominique Braye. Convergentes et divergentes, mon cher collègue, je préfère ces termes. (Nouveaux sourires.)
Convergentes car, pour certains, tout faire pour compromettre la réélection du Président de la République semble être un sujet d'accord, mais aussi divergentes car s'il est légitime de vouloir faire gagner son camp, il est en revanche plus étrange de vouloir faire perdre le sien, et pas seulement, soit dit en passant, pour l'élection présidentielle.
Les petits calculs d'aujourd'hui ne peuvent pas déboucher sur les grandes victoires de demain. (Applaudissements sur certaines travées du RPR.) Comprenne qui pourra (Sourires sur plusieurs travées du RPR), mais cela me semble surtout beaucoup plus affligeant qu'incompréhensible.
Puisque ce relatif consensus de circonstance semblait s'esquisser dans les coulisses et puisqu'il ne fallait pas faire apparaître le revirement du Premier ministre comme un reniement, le procédé de l'initiative parlementaire permettait aux socialistes de sauver un tantinet la face avec la complicité d'alliés bien peu regardants sur la méthode.
MM. Paul Blanc et Gérard Cornu. Eh oui !
M. Dominique Braye. Ce procédé présentait aussi l'avantage d'éviter le passage du texte devant le Conseil d'Etat et le conseil des ministres, permettant aussi d'empêcher le Président de la République de se prononcer sur son opportunité,...
M. Patrick Lassourd. Tout à fait !
M. Dominique Braye. ... ce qui n'empêchait pas en revanche le Premier ministre, qui n'en est décidément pas à une contradiction près, ou plutôt à un reniement près, d'affirmer que cette initiative ne pouvait être prise sans l'accord du Président de la République, comme il l'a dit à plusieurs reprises.
Mes chers collègues, comment voulez-vous dans ces conditions que les Français retrouvent une bonne opinion de leur classe politique devant le spectacle de pareils tours de passe-passe à l'arrière-goût de combines policitiennes, certains de mes collègues ayant même parlé de « magouilles politiciennes » ?
Ceux qui les prennent pour des avaleurs de couleuvres incapables de déceler un bidouillage électoral, pour reprendre les termes que j'ai entendus et qui, manifestement, sont fort exacts,...
M. Gérard Cornu. Absolument !
M. Dominique Braye. ... l'année précédant des échéances électorales capitales prennent le risque de s'exposer à de sévères déconvenues.
Les Français n'aiment pas que l'on change les règles du jeu au profit d'un des joueurs, quel qu'il soit, juste avant le début de la partie, et ils ont bien raison.
M. Gérard Cornu. Même les enfants n'aiment pas cela !
M. Dominique Braye. C'est non seulement faire peu de cas de l'équité des chances des adversaires, mais aussi faire insulte à l'intelligence des arbitres du jeu démocatique que sont tous nos concitoyens, que sont les Français.
M. Gérard Cornu. Oui !
M. Dominique Braye. Mes chers collègues, je crois que nous honorerons le Sénat, notre fonction et le mandat que nous ont confié nos électeurs en nous conformant conclusions de notre excellent rapporteur Christian Bonnet...
M. Jacques Valade. Oui !
M. Dominique Braye. ... et en refusant de voter une loi de circonstance, une loi de complaisance...
Mme Nelly Olin. Oui !
M. Dominique Braye. ... qui se pare du masque de la vertu constitutionnelle alors qu'elle n'a d'autre visage que celui d'une grossière manoeuvre préélectorale. (Très bien ! et vifs applaudissements sur les travées du RPR. - M. Hérisson applaudit également.)

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