SEANCE DU 16 JANVIER 2001


DATE D'EXPIRATION DES POUVOIRS
DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Discussion d'une proposition de loi organique
déclarée d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi organique (n° 166, 2000-2001), adoptée par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
Je tiens à vous informer que, durant la discussion de cette proposition de loi organique, deux collaborateurs de la chaîne publique Sénat se déplaceront, avec la plus grande discrétion possible, dans l'hémicycle, caméra à l'épaule, pour réaliser des plans de coupe des intervenants, afin de rendre plus vivant l'enregistrement de nos débats.
Mes chers collègues, j'ai le plaisir, et je pense traduire un sentiment unanime, de saluer la présence dans l'hémicycle du président Jacques Larché. (Applaudissements.)
Au nom du Sénat, je forme le voeu que les épreuves qu'il vient de traverser ne soient plus qu'un mauvais souvenir.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Même si, en arrivant au Sénat - avec retard, ce dont je vous prie de m'excuser, mais je répondais à la question d'une de vos collègues député à l'Assemblée nationale -, j'ai eu l'occasion de saluer, en mon nom personnel, le président de la commission des lois, M. Jacques Larché, je le refais publiquement au nom du Gouvernement en lui adressant tous mes voeux de prompt rétablissement.
M. le président. Je vous remercie, monsieur le ministre, de ces paroles de sympathie à l'égard de M. le président de notre commission des lois ; nous y sommes très sensibles.
Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le 20 décembre dernier, l'Assemblée nationale a examiné les propositions de loi organique modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale et a adopté un texte qui vous est soumis aujourd'hui.
Ces propositions de loi, déposées par des parlementaires de plusieurs familles politiques, faisaient suite à un débat qui s'était engagé entre constitutionnalistes et qui avait donné lieu à plusieurs interventions marquantes. Je pense notamment à l'article publié en commun le 18 novembre 2000 par deux anciens premiers ministres, MM. Raymond Barre et Michel Rocard, qui invitaient les Français à « voter la tête à l'endroit ». M. Valéry Giscard d'Estaing, ancien président de la République, est également intervenu en faveur d'une telle réforme.
M. Josselin de Rohan. C'est une référence !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Le débat sur les institutions qui a eu lieu en présence du Premier ministre, le 19 décembre dernier, à l'Assemblée nationale a clarifié les enjeux et mis en évidence la nécessité de rétablir un calendrier électoral cohérent.
Comment se présente aujourd'hui cette question ?
Le 24 septembre dernier, le peuple français a décidé, par la voie du référendum, de réduire à cinq ans la durée du mandat du président de la République.
Cette révision constitutionnelle a provoqué un débat sur l'ordre dans lequel les électeurs devaient élire leur président de la République et leur Assemblée nationale. En effet, le calendrier électoral concernant les deux élections les plus importantes, celles qui déterminent la politique de la nation, est la conséquence fortuite de la dissolution de l'Assemblée nationale, le 21 avril 1997.
M. René-Pierre Signé. Jolie manoeuvre !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. La dissolution de 1997 conduit, en application de l'article LO 121 du code électoral, à ce que les pouvoirs de l'actuelle Assemblée nationale expirent le premier mardi d'avril de la cinquième année suivant l'élection, c'est-à-dire le 2 avril 2002. Si le calendrier reste inchangé, l'élection de la prochaine Assemblée nationale devra donc se dérouler au mois de mars 2002 sur les listes électorales arrêtées au dernier jour de février.
C'est donc à quelques semaines d'intervalle que seraient élus, en 2002, l'Assemblée nationale d'abord, le Président de la République ensuite, si la législation restait en l'état.
Cette conjoncture n'est pas propre à 2002. L'instauration du mandat de cinq ans pour l'élection du président de la République crée les conditions d'une situation dans lequelle les dissolutions de l'Assemblée nationale devraient devenir plus rares. (Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Josselin de Rohan. C'est nouveau cela !
M. Adrien Gouteyron. C'est très intéressant ce que vous dites !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Le calendrier de 2002 a donc une forte probabilité de se reproduire en 2007, 2012 et au-delà.
M. Josselin de Rohan. Proposez de le supprimer, ce sera plus honnête !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Il s'agit donc non pas d'aborder un problème ponctuel, mais d'examiner une situation durable et d'apporter une solution en rapport avec cette situation.
M. Hilaire Flandre. Ce n'est pas convaincant !
M. Adrien Gouteyron, C'est un aveu !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Cette discussion devait avoir lieu, car le calendrier actuel des deux échéances électorales pose un problème institutionnel sérieux et de réelles difficultés d'organisation.
M. Josselin de Rohan. M. le Premier ministre a dit le contraire.
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Le problème institutionnel est celui qui a été souligné par de nombreuses personnalités. Depuis la réforme constitutionnelle de 1962, l'élection présidentielle est incontestablement l'élection majeure.
Cette réforme n'a pas, à l'époque, emporté l'adhésion générale, ni dans la formation politique à laquelle j'appartiens...
M. Josselin de Rohan. Ralliement ?
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. ... ni dans la majorité d'alors du Sénat, mais elle a été ratifiée par l'expression de la souveraineté populaire et personne - en tout cas peu le font - ne propose de revenir au système antérieur.
M. Jean-Pierre Schosteck. Ce n'est plus le coup d'Etat permanent !
M. Claude Estier. Ecoutez l'orateur ! Vous êtes vingt-cinq à intervenir ensuite !
M. le président. Je vous en prie, mes chers collègues.
Un sénateur du RPR. Nous sommes fascinés !
Un sénateur socialiste. Ils n'écoutent pas : ils ne peuvent pas comprendre !
M. Adrien Gouteyron. Il n'y a rien à comprendre !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Le Gouvernement est, pour sa part, très attaché au respect des prérogatives du Parlement ; il en a fait, lui, la démonstration depuis le début de la législature. (Exclamations sur les travées du RPR.) L'initiative parlementaire n'a jamais été aussi forte, sous la Ve République, qu'au cours de ces dernières années ; les textes législatifs sont, pour un tiers d'entre eux, d'origine parlementaire, et quand les textes sont d'origine gouvernementale,...
M. Adrien Gouteyron. Dans l'urgence !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. ... le droit d'amendement s'exerce pleinement, ce qui est la règle constitutionnelle.
MM. Adrien Gouteyron et Josselin de Rohan. C'est bien le moins !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Le Gouvernement n'a jamais employé, depuis 1997 - c'est le plus, monsieur de Rohan ! - les dispositions de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution pour imposer ses vues à l'Assemblée nationale. Et cela, c'est vrai que c'est nouveau, monsieur de Rohan ! (Très bien et applaudissements sur les travées socialistes.)
Enfin, les commissions d'enquête ont permis et permettent mieux que jamais au Parlement d'assumer son rôle de surveillance du fonctionnement de l'Etat.
M. Adrien Gouteyron. Ce n'est pas nouveau !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Cette lecture parlementaire de la Constitution ne conduit cependant pas à négliger une réalité, celle de la logique de nos institutions, qui impose de restituer une cohérence que les circonstances ont fait perdre au calendrier électoral.
Cette cohérence avait été fort bien résumée par Michel Debré, qui définissait ainsi la logique des institutions : « un chef de l'Etat et un Parlement séparés, encadrant un gouvernement issu du premier et responsable devant le second ». Cette conception clairement exprimée n'est guère compatible avec une chronologie qui verrait l'élection d'une assemblée et la désignation d'un nouveau gouvernement quelques semaines avant l'élection présidentielle.
M. Claude Estier. Absolument !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Dans notre pays, la logique institutionnelle fait de l'élection du Président de la République le moment le plus fort de l'expression des citoyens. Il est donc incohérent de l'organiser quelques semaines après les élections législatives.
Outre la question de l'équilibre et de la logique institutionnelle, il faut souligner que, si l'ordre logique du calendrier électoral n'était pas rétabli, les difficultés techniques du calendrier actuel, soulignées par le Conseil constitutionnel, seraient pérennisées et aggravées.
Dans ses observations sur l'élection présidentielle, publiées au Journal officiel du 23 juillet 2000 - c'est tout récent - le Conseil constitutionnel, tirant les conséquences du calendrier électoral de 2002 tel qu'il est prévu par les textes en vigueur, a souligné qu'il importait que les citoyens habilités à présenter les candidats puissent le faire après avoir pris connaissance des résultats de l'élection à l'Assemblée nationale. Il en a tiré la conclusion que le deuxième tour des élections législatives devrait avoir eu lieu lorsque s'ouvrira la période de recueil des présentations des candidatures à l'élection présidentielle, que l'on appelle plus couramment les « parrainages ».
L'observation du Conseil constitutionnel tend naturellement à assurer la clarté politique des choix des élus auprès desquels cinq cents signatures doivent être recueillies par les candidats.
La conséquence d'une telle exigence est de réduire la durée de la période au cours de laquelle ces élus pourront présenter des candidats pour des raisons qui tiennent à la combinaison des textes en vigueur. Ainsi, en 2002, la période des « parrainages » s'étendrait du 18 mars au 2 avril et durerait seize jours, soit quatre jours de moins que lors de l'élection présidentielle de 1995.
Cette conséquence ne constitue pas une difficulté insurmontable, mais le législateur se doit d'avoir une vue à long terme et d'envisager la perpétuation d'un tel calendrier électoral. Il doit prendre en compte le fait que cette difficulté technique, mineure en 2002, je vous l'accorde, ne fera que s'aggraver ensuite parce que la date de passation des pouvoirs entre le nouveau président et le président sortant s'est toujours faite avant la date d'expiration des pouvoirs de ce dernier.
Cette pratique entraîne une remontée dans le temps de la date de l'élection présidentielle. Ainsi, le second tour de l'élection présidentielle a eu lieu le 19 mai en 1974, le 10 mai en 1981, le 8 mai en 1988, le 7 mai en 1995 et il aura lieu au plus tard le 5 mai en 2002.
Cette remontée de la date dans le temps ne permettra pas, à terme, de respecter les exigences de clarté des « parrainages » affichées par le Conseil constitutionnel, sauf à réduire, de plus en plus, le délai laissé aux élus pour effectuer les présentations des candidats, ce qui finira par causer une difficulté insurmontable.
L'articulation de la Constitution et les textes actuels, qui n'ont pas été prévus pour un calendrier aussi atypique, doit donc conduire, de toute façon, à plus ou moins long terme, à une remise en ordre des échéances électorales.
Quelle est la bonne solution à ces difficultés ?
La proposition de loi organique votée par l'Assemblée nationale ouvre la possibilité de résoudre le problème d'un calendrier électoral qui n'est pas viable, tant pour les raisons techniques que je viens d'exposer que pour les raisons qui tiennent à la logique de nos institutions.
Ce texte prévoit, dans la rédaction issue de l'amendement de M. Blessig, de fixer l'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale au troisième mardi de juin de la cinquième année qui suit son élection.
Cette formulation permet de séparer les opérations électorales des deux scrutins tout en obéissant aux impératifs de clarté politique qui veulent que, dans une telle configuration, les candidats aux élections législatives connaissent, au moment du dépôt des candidatures, le résultat de l'élection présidentielle.
Dans la rédaction initiale proposée par la commission des lois de l'Assemblée nationale, l'expiration des pouvoirs de l'Assemblée était fixée au 15 juin de la cinquième année suivant son élection. Ainsi, en 2002, si le second tour de l'élection présidentielle avait lieu à la date la plus tardive parmi les deux qui sont envisageables, c'est-à-dire le 5 mai, les élections législatives auraient lieu les 2 et 9 juin. Les candidatures aux élections législatives pourraient, en application des dispositions du code électoral, être déposées dans les préfectures à partir du 6 mai, c'est-à-dire le lendemain du jour du second tour de l'élection présidentielle, lorsque sont connus les seuls résultats officieux de ce scrutin avant que le Conseil constitutionnel ne proclame le résultat de l'élection.
L'amendement de M. Blessig a permis d'améliorer la rédaction en fixant l'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale au troisième mardi de juin de la cinquième année suivant l'élection. Le choix d'une date mobile, qui est d'application constante depuis le début de la Ve République, est préférable à celui d'une date fixe parce qu'il facilite l'installation de la nouvelle Assemblée en évitant que l'entrée en fonctions des nouveaux députés ne coïncide avec un samedi ou un dimanche.
Surtout, cette rédaction présente l'avantage de permettre l'organisation des élections législatives une semaine plus tard que dans la rédaction précédente, soit, pour 2002, les 9 et 16 juin. Ce décalage se répercuterait sur les dates de dépôts de candidatures qui pourraient alors s'effectuer non seulement après que seraient connus les résultats officieux de l'élection présidentielle mais également après la proclamation officielle du résultat par le Conseil constitutionnel.
Il en irait de même pour les échéances ultérieures de 2007, 2012 et au-delà. La rédaction de l'Assemblée nationale présente donc toutes les garanties d'efficacité.
Le Sénat doit délibérer d'un texte d'une bonne qualité technique et dont l'ambition est de rétablir une cohérence institutionnelle face à un calendrier issu d'un concours de circonstances.
A défaut d'intervention du législateur, seules de nouvelles circonstances accidentelles pourraient rétablir la logique du calendrier.
Le rôle du législateur ne peut se résumer à attendre que des événements extérieurs dénouent une incohérence dans le fonctionnement de nos grandes institutions.
Le temps qui nous sépare encore des élections de 2002 rend possible la mise en oeuvre d'une solution sans que l'on sache, au stade où nous en sommes aujourd'hui, à qui profiterait tel ou tel calendrier. (Exclamations sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.) En tout cas, ce n'est pas l'objet de la proposition qui vous est faite.
M. Jean Chérioux. Aimable plaisanterie !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Le débat qui s'est engagé doit donc conduire à une décision de bon sens, et je rappelle que l'initiative en est de surcroît pluraliste.
J'espère que le Sénat, dans sa sagesse, saura rejoindre l'Assemblée nationale sur la voie du bon sens pour assurer un fonctionnement normal de nos institutions. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - M. Loridant applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Bonnet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, parlementaire confirmé, esprit fin s'il en fût, M. le président de l'Assemblée nationale a cru, lors d'une interview donnée au Journal du Dimanche le 31 décembre dernier, pouvoir avancer que « le Sénat aurait quelque audace à retenir un texte qui ne le concerne pas directement, puisqu'il s'agit des élections à l'Assemblée nationale ».
M. René-Pierre Signé. Il a raison !
M. Christian Bonnet, rapporteur. De son côté, M. le ministre chargé des relations avec le Parlement, et donc avec le Sénat, n'a pas hésité à déclarer publiquement : « Je ne vois pas une chambre se mêler de manière intempestive des pouvoirs qui concernent l'autre assemblée. »
M. Adrien Gouteyron. C'est intéressant !
M. Christian Bonnet, rapporteur. Ces assertions sont d'autant plus surprenantes que votre rapporteur n'a pas souvenance que l'Assemblée nationale ait fait preuve, lors de l'examen au Palais-Bourbon du projet de loi relatif au mode d'élection des sénateurs,...
M. Jean-Claude Gaudin. Eh, oui !
M. Christian Bonnet, rapporteur. ... de la retenue à laquelle semble nous inviter son président. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste et du RDSE.)
M. Jean-Claude Gaudin. Retour à l'envoyeur, monsieur Signé !
M. Christian Bonnet, rapporteur. Aussi, s'agissant d'un texte de caractère institutionnel, la commission des lois vous convie, mes chers collègues, à examiner sereinement, conformément au rôle de chambre de réflexion qui est celui du Sénat, la proposition de loi organique relative à la modification de la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
Avant tout examen au fond de ce texte, la procédure retenue, celle d'un examen en urgence, ne laisse pas de surprendre, car le calendrier électoral de 2002 est connu depuis quatre ans, car il était loisible au Gouvernement de profiter de l'occasion que lui offrait, suite à l'avis interprétatif du Conseil constitutionnel du 23 juillet, le projet de loi organique relatif à l'élection du Président de la République, actuellement encore en discussion au Parlement, pour y inclure une disposition relative à la date des scrutins, car enfin, le 19 octobre dernier, le Premier ministre indiquait que, « à défaut d'un consensus »,... « toute initiative serait interprétée de manière politique, voire politicienne ».
Or, ce consensus, ce très large accord, disiez-vous de votre côté, monsieur le ministre, le 10 octobre, si ma mémoire est bonne, à l'Assemblée nationale à l'occasion de la discussion d'un amendement présenté par M. Georges Sarre, ne ressort ni de l'analyse du scrutin intervenu à l'Assemblée nationale ni des enquêtes d'opinion qui ont donné des résultats pour le moins partagés.
Sans doute, dans un pays volontiers porté au soupçon, le revirement grenoblois de M. le Premier ministre...
M. René-Pierre Signé. Il n'y a pas eu de revirement ! (Oh ! oh sur les travées du RPR.)
M. Christian Bonnet, rapporteur. ... a t-il nourri, sur son origine, certaines supputations renforcées par le fait que l'annonce en a été faite ex abrupto lors du congrès d'un parti.
Quant à la marche forcée imposée à la représentation nationale pour débattre d'un tel texte, elle donne toute sa saveur à une phrase prononcée, le 19 décembre, par M. Lionel Jospin devant les députés : « Pour l'avenir, disait-il, je suis favorable à un rééquilibrage des pouvoirs en faveur du Parlement. » « Pour l'avenir » certes, car, s'agissant du présent, cette marche forcée imposée à la représentation nationale n'en porte guère témoignage !...
M. Jean Chérioux. Très bien !
M. Christian Bonnet, rapporteur. Le décor ainsi planté, venons-en au fond de l'affaire.
Six propositions de loi avaient été déposées ; trois d'entre elles visaient à reporter du premier mardi d'avril au 15 juin la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale ; trois autres avaient un objet légèrement différent l'une d'entre elles, celle de M. Bernard Charles, allant jusqu'à proposer une concomitance des élections présidentielles et législatives.
Au terme de ses travaux, l'Assemblée nationale a adopté une proposition de loi organique qui, en son article 1er, modifie l'article LO 121 du code électoral pour reporter du premier mardi d'avril au troisième mardi de juin la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale et, en son article 2, prévoit l'application de cette modification à l'assemblée élue en 1997.
Si cette proposition, car proposition il y a, n'a été de ce fait examinée ni par le Conseil d'Etat ni par le conseil des ministres, si elle n'est pas susceptible de faire l'objet d'une demande de référendum,...
M. Marcel Charmant. C'est le droit des parlementaires de déposer des propositions de loi !
M. Christian Bonnet, rapporteur. ... elle se caractérise par sa brièveté. Tout aussi brefs, et souvent différents, sont les exposés des motifs des six propositions précitées.
Aussi bien convient-il de se reporter aux travaux de l'Assemblée nationale pour mieux cerner les raisons invoquées pour justifier une inversion des deux consultations survenant en 2002.
M. le Premier ministre a évoqué la situation d'inégalité sur la ligne de départ dont pourrait souffrir tout candidat face à un président sortant décidant de se représenter.
Outre qu'un tel argument est étranger au droit, ce pourquoi la commission des lois n'a pas eu à en débattre, l'élection de 1981, qui a consacré la victoire de François Mitterrand, alors seulement député, sur le président Giscard d'Estaing, en démontre l'inanité.
Demeurent alors des motivations susceptibles d'être regroupées sous deux rubriques : en premier lieu, l'esprit des institutions, leur logique ; en second lieu, les difficultés que pourraient connaître les citoyens habilités à présenter un candidat à l'élection présidentielle. Ces deux raisons, mes chers collègues, je vous propose de les examiner tour à tour, comme l'a fait M. le ministre, voilà un instant.
Tout d'abord, qu'en est-il de l'esprit des institutions, dont successivement M. le Premier ministre, vous-même, monsieur le ministre, et le président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, en l'occurrence rapporteur du texte, se sont, en quelque sorte, curieusement institués les exégètes ?
A en croire notre excellent collègue M. Bernard Roman, le calendrier actuel ne serait rien d'autre qu'« un coup de force du hasard portant atteinte à l'esprit, à la logique des institutions ». M. le Premier ministre, lors du débat préliminaire sur l'avenir des institutions, l'a pour sa part qualifié de « fortuit », se fondant, pour ce dire, sur « l'effet conjugué de l'aléa d'une vie et d'une décision politique inattendue », évocation élégante du décès prématuré du président Pompidou et de la dissolution de 1997.
Sans doute la précipitation avec laquelle a été organisé le débat explique-t-elle qu'ait été perdu de vue le fait qu'en l'absence, depuis 1958, de tout aléa, de toute décision politique inattendue, les élections législatives eussent, en 1993, précédé le scrutin présidentiel : élection présidentielle en décembre 1958, décembre 1965, décembre 1972, décembre 1979, décembre 1986 et décembre 1993 ; élections législatives en mars 1963, mars 1968, mars 1973, mars 1978, mars 1983, mars 1988 et mars 1993. Ainsi, en l'absence de tout aléa, les secondes auraient-elles précédé la première.
Mais l'histoire de notre pays est prodigue - l'aurait-on oublié ? - en événements susceptibles de modifier les plus savants des ordonnancements. Et le calendrier institutionnel peut connaître des bouleversements, dus soit aux aléas de la vie, soit à une décision politique inattendue.
M. Claude Estier. A une fausse manoeuvre !
M. Christian Bonnet, rapporteur. Je vous en prie, monsieur Estier !
Aléas de la vie ?
Depuis l'avènement de la IIIe République, douze des dix-neuf présidents qu'a connus notre pays n'ont pas achevé leur premier ou, parfois, leur second mandat : douze sur dix-sept au cours des cent une années - de 1873 à 1974 - qui ont suivi l'élection de Mac Mahon !
Mieux : dix de ces présidents ont vu leur mandat interrompu de façon fortuite au cours des cinq premières années de celui-ci, et cette remarque est d'importance après l'instauration du quinquennat.
M. Jean-Claude Gaudin. Louis-Napoléon !
M. Christian Bonnet, rapporteur. Décision politique inattendue ? Qui d'entre nous mes chers collègues, n'a gardé mémoire des dissolutions de 1955, de 1962, de 1968, de 1981, de 1988 et, enfin, de 1997 ?
Contre ces accidents de l'histoire, la proposition de loi organique qui nous vient de l'Assemblée nationale serait aussi efficace qu'un sabre de papier !
Seule une révision constitutionnelle, emportant à la fois la création d'un vice-président à même d'assurer, comme aux Etats-Unis, l'achèvement du mandat interrompu d'un Président de la République et la suppression du droit de dissolution, serait de nature à conjurer toute perturbation du calendrier.
Vaste programme, eût dit le général de Gaulle ! (Bravo ! et applaudissements sur certaines travées des Républicains et Indépendants et sur celles du RPR.)
L'évocation de ce grand homme d'Etat nous conduit tout naturellement à nous poser la question de savoir si, comme croit pouvoir l'affirmer M. le Premier ministre, au regard de l'esprit des institutions, le calendrier actuel constituerait - j'emploie ici à dessein un terme qu'il paraît affectionner - une « anomalie ». (Rires sur les mêmes travées.)
Il est apparu à votre rapporteur, mes chers collègues, que la méthode la plus rationnelle pour en juger consistait à se référer à l'un des pères de la Constitution, auquel vous vous êtes d'ailleurs vous-même référé en une courte phrase, monsieur le ministre : nous nous retrouvons au moins dans nos lectures ! Je pense, bien sûr, à Michel Debré, plus qualifié que quiconque, chacun en conviendra, pour en connaître.
Il s'est montré particulièrement explicite à la page 417 du tome II de ses Mémoires, et nul ne m'en voudra ici de lire ce passage éclairant :
« Il y a deux "lectures" de la Constitution. L'une fait du Président de la République le "guide" - c'est ce qu'a entendu dire le général de Gaulle dans sa conférence de presse de 1964 -, l'autre qui débouche sur un régime parlementaire "à la britannique", c'est-à-dire assure l'autorité du Premier ministre, fait du Président un garant de la Constitution, ce qui, compte tenu de ses pouvoirs, revêt une importance déterminante en certaines circonstances. La première lecture est la règle (qui peut comporter des exceptions) quand Président de la République et Assemblée nationale tiennent leur légitimité de la même majorité. La deuxième lecture sera la règle, quasiment sans exception, en cas contraire (...). La valeur d'une Constitution n'est pas dans le fait qu'elle évite les crises, mais qu'elle permet de les trancher dans le respect des exigences de la démocratie, de l'Etat et de la Nation. »
On ne saurait être plus net : il existe deux lectures de la Constitution, et nous vivons actuellement le second cas de figure.
Or M. le Premier ministre, pour sa part, a fait choix d'une analyse fort différente.
Soucieux de ce qu'il appelle la « dynamique de la cohérence », il en vient à préférer que l'élection présidentielle précède les élections législatives.
A ses yeux - je le cite, car, en ces matières, la rigueur s'impose à un rapporteur -, « la cohabitation doit être conçue comme une parenthèse ».
Singulière « parenthèse », mes chers collègues, que celle qui, depuis le printemps de 1986 jusqu'au printemps 2002, aura, sauf accident à venir de l'histoire, couvert neuf des seize années courues ! Parenthèse que, au demeurant, aucun calendrier électoral n'est à même d'éviter, comme le prouve à l'envi l'expérience des Etats-Unis, où les électeurs ont bien souvent porté leur choix sur un président démocrate et un congrès républicain, ou, plus rarement, l'inverse.
Certains, par ailleurs, ont cru pouvoir arguer de précédents pour justifier la prorogation du mandat des députés.
De fait, sous la Ve République, des mandats électifs, par six fois, ont été prolongés. Mais, dans tous les cas, étaient concernées des assemblées locales et, chaque fois, les dispositions législatives avaient un fondement objectif, reconnu tel par le Conseil constitutionnel dans les quatre circonstances où il avait été saisi, un consensus authentique s'étant dégagé sur les deux premiers textes, à propos desquels les Parlementaires n'avaient, en tout état de cause, pas la possibilité de présenter un recours devant le Conseil constitutionnel. Il reste que, quatre fois sur six, le Conseil constitutionnel a avalisé ces prolongations du mandat d'assemblées locales.
Le Conseil constitutionnel avait, au demeurant, saisi l'occasion que lui offraient les recours pour poser trois principes dont, là encore, je me dois de reprendre les termes exacts : « le choix du législateur ne doit pas être manifestement inapproprié aux objectifs poursuivis » ; « les dispositifs proposés ne doivent revêtir qu'un caractère exceptionnel et transitoire » ; « le législateur peut déroger à l'égalité pour des motifs d'intérêt général, à condition que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit ».
Qu'il me soit permis de faire ici justice d'un rapprochement que vous avez cru pouvoir faire, à l'Assemblée nationale, monsieur le ministre, entre la prorogation des élections municipales de mars à juin 1995 - stigmatisée, ici même, et avec quelle vigueur, soit dit en passant, par plusieurs de vos amis ! - et le texte de la proposition de loi organique qui a votre faveur.
Comparaison n'est pas raison !
Là encore, la précipitation - nous y revenons toujours ! - qui a présidé à la mise en orbite du changement de cap ne nous a pas donné le loisir d'observer qu'en 1995, si les élections municipales avaient eu lieu en mars, plus de 36 000 maires de France n'auraient disposé que d'une seule et unique journée pour user éventuellement de leur droit de présenter un candidat à l'élection présidentielle comme la loi les y autorise !
En fait, au cours du siècle écoulé, la prorogation du mandat des députés n'est intervenue que deux fois : en... 1918 et en... 1940 !
N'est-il pas saisissant le rapprochement entre le poids de ces circonstances historiques et la légèreté d'une motivation susceptible d'ouvrir fâcheusement la voie (Protestations sur les travées socialistes. - Applaudissements sur certaines travées des Républicains et Indépendants ainsi que sur celles du RPR)...
M. Claude Estier. C'est une comparaison indignes !
M. Josselin de Rohan. C'est vous qui êtes indignes !
M. René-Pierre Signé. C'est honteux ! C'est nul !
M. Christian Bonnet, rapporteur. N'est-il pas saisissant, dis-je, le rapprochement entre le poids de ces circonstances historiques et la légèreté d'une motivation susceptible d'ouvrir fâcheusement la voie à des supputations où l'esprit public, déjà ébranlé par la médiatisation de ce qu'il est convenu d'appeler « les affaires », n'a - qui pourrait en douter ? - rien à gagner ?
Le temps est maintenant venu d'aborder les difficultés pratiques auxquelles se heurterait, à vous en croire, monsieur le ministre, le maintien du calendrier en son état actuel.
Qu'il me soit d'abord permis d'observer que, si difficultés il y a - et elles sont, on le verra dans quelques instants, aisées à dissiper - le calendrier actuel n'en a pas le monopole.
Pour professer des opinions différentes, plusieurs des personnalités hautement qualifiées entendues au Sénat mardi dernier sur l'initiative de la commission des lois ont mis en lumière certaines complications qui n'étaient pas, je l'avoue, venues à l'esprit de votre rapporteur.
Est-il logique que l'Assemblée nationale entame ses travaux le troisième mardi de juin pour les interrompre presque aussitôt, ce qui pourrait conduire à la convocation de l'une de ces sessions extraordinaires dont l'instauration de la session unique avait précisément pour objet de faire l'économie ?
M. René-Pierre Signé. A condition que l'on siège le soir !
M. le président. Je vous en prie, monsieur Signé !
M. Christian Bonnet, rapporteur. Est-il, mêmement, de bonne administration que le projet de budget pour l'exercice à venir commence d'être élaboré par un gouvernement - en juin, on est déjà depuis des semaines attelé à la tâche - et que les lettres de cadrage aient été adressées aux ministres avant des élections législatives susceptibles de modifier radicalement la donne ?
Croyez-m'en, mes chers collègues, le choix du premier mardi d'avril ne devait, lui, rien à l'improvisation.
Tout bien pesé, à supposer que le calendrier électoral pose difficulté, n'est-ce pas, comme le suggérait, dans une contribution remarquée à la Revue de droit public, le professeur Guy Carcassonne, au demeurant favorable aujourd'hui à l'inversion du calendrier, la date de l'élection présidentielle qui mériterait d'être réexaminée ?
Depuis 1958, élection du Président de la République au suffrage universel, élections européennes, élections régionales sont venues enrichir régulièrement un calendrier déjà bien pourvu. Finalement, celui-ci ne mériterait-il pas, dès lors, de faire sereinement l'objet d'une réflexion approfondie, d'autant que, si le calendrier proposé devait être retenu, une difficulté réelle - et de taille, celle-ci - se présenterait dès 2007. Or 2007, c'est demain, mes chers collègues !
En 2007, comme en 1995, des élections municipales, couplées avec des cantonales, doivent avoir lieu avant la présidentielle. Mais à la différence de 1995, il serait difficile de les remettre à juin si des élections législatives avaient lieu le même mois. Et un report en septembre 2007 se heurterait, cette fois, à l'organisation d'élections sénatoriales !
M. Jean-Louis Carrère. Cela aussi pourrait changer ! (Sourires.)
M. Christian Bonnet, rapporteur. Cette seule évocation suffit à condamner la méthode consistant à modifier périodiquement et partiellement, par petites touches successives, les règles de nos institutions.
M. Patrick Lassourd. Très bien !
M. Jean Chérioux. Voilà !
M. Christian Bonnet, rapporteur. Plus que d'exception française - terme un peu péjoratif - sans doute serait-il plus indiqué d'évoquer à ce propos une singularité française, pour mieux en dénoncer les maléfices.
Or, et je vais maintenant m'efforcer de le démontrer en terminant, il existe un disposition très simple de nature à éviter tout bouleversement de nos règles institutionnelles.
Le Gouvernement a tenté de s'appuyer sur l'une des recommandations du Conseil constitutionnel datant du 23 juillet dernier pour justifier la modification de l'ordre des consultations. Cette recommandation est ainsi formulée :
« Pour des raisons de principe autant que pour des motifs pratiques, il importe que les citoyens habilités à présenter les candidats en application de l'article 3 de la loi du 16 décembre 1962 puissent le faire après avoir pris connaissance des résultats de l'élection à l'Assemblée nationale.
« Le deuxième tour de cette élection devrait donc avoir eu lieu lorsque s'ouvrira la période de recueil des présentations par le Conseil constitutionnel. »
Une telle recommandation ne remet nullement en cause l'ordre des scrutins prévus en 2002, et il est aisé de s'y conformer. Une difficulté dans l'organisation des parrainages ne saurait surgir que si le Gouvernement retenait, parmi les dates possibles, la plus éloignée pour les législatives - 24 et 31 mars - et la plus proche pour la présidentielle - 14 et 28 avril.
Tel est bien évidemment le schéma retenu par notre excellent collègue le président Bernard Roman pour la commodité de sa démonstration. Mais encore et toujours précipitation aidant, celui-ci n'avait manifestement pas pris le temps de consulter l'agenda civil de l'année 2002.
M. Josselin de Rohan. Allons bon !
M. Christian Bonnet, rapporteur. S'il en avait eu le loisir, il se serait alors avisé qu'aucun gouvernement, d'aucune sensibilité, soucieux de favoriser la participation des citoyens au tour décisif d'un scrutin législatif, ne saurait envisager de la fixer le jour de la fête de Pâques ! (Sourires sur certaines travées des Républicains et Indépendants, ainsi que sur celles du RPR.)
A dire le vrai, il n'existe aucune difficulté - aucune ! - de conciliation entre le fait de donner satisfaction à la recommandation du Conseil constitutionnel et celui de maintenir l'ordre établi pour les deux scrutins.
Dans l'hypothèse où les élections législatives - possibles, rappelons-le, depuis les premiers jours de février - seraient fixées aux 10 et 17 mars 2002 et l'élection présidentielle aux 21 avril et 5 mai, sachant que les présentations doivent être adressées au Conseil constitutionnel dix-neuf jours au moins avant le premier tour de l'élection présidentielle, les personnes habilitées à parrainer un candidat disposeraient de seize jours de réflexion - seize, deux fois huit ! - et ce serait leur faire injure que de les imaginer incapables de se déterminer dans un tel délai !
Après avoir constaté qu'il est bien, comme l'écrivait Michel Debré, deux lectures de la Constitution, nous voici donc conduits à affirmer que nul ne saurait se prévaloir d'une quelconque difficulté pratique, d'un quelconque motif d'intérêt général pour justifier une modification de la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale, dès lors que peut aisément être prise en compte la très sage observation du Conseil constitutionnel.
Aussi bien votre commission des lois vous propose-t-elle, dans le droit-fil des traditions du Sénat, une solution de sagesse.
Pour éviter un nouveau et inutile bouleversement de nos règles institutionnelles, elle a adopté, ce matin même, un simple amendement visant à compléter l'article LO 122 du code électoral par un alinéa de nature à garantir aux citoyens habilités à présenter un candidat à l'élection présidentielle le plein exercice de ce droit.
La disposition, qui ne s'appliquerait bien évidemment pas aux situations exceptionnelles que sont la vacance de la présidence de la République ou l'empêchement constaté par le Conseil constitutionnel, emporterait que « lorsque des élections législatives sont organisées avant une élection présidentielle, le second tour ne peut précéder de moins de trente jours le premier tour de l'élection présidentielle ».
Pourquoi, mes chers collègues, faire compliqué quand on peut faire simple ?
Pourquoi courir le risque de rééditer, à quelque vingt siècles de distance, la dérive que, dans un ouvrage sobrement intitulé Du temps , décrivait un sociologue allemand de renom, Norbert Elias, en ces termes : « Cependant, dans les derniers temps de la République, en tant que régulateur des relations sociales, le calendrier n'était plus à l'abri des luttes de pouvoir et de leurs conséquences » ? (Très bien ! et applaudissements prolongés sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. de Rohan. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Josselin de Rohan. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en ce début d'année, de quoi devons-nous discuter, toutes affaires cessantes ? De l'insécurité qui affecte tant de nos concitoyens sur leur lieu de vie, dans leur travail et dans leurs déplacements ? De l'avenir de notre système de retraite, qui nous préoccupe tous et pour lequel aucune solution durable n'a été trouvée ?
M. René-Pierre Signé. Vous l'avez déjà dit !
M. Josselin de Rohan. De la réforme de l'Etat qui, chaque jour, paraît plus nécessaire et qui est chaque jour davantage différée ? De l'adaptation aux mutations de l'économie et des changements de société de notre système éducatif ? D'une refonte de notre fiscalité devenue obsolète, excessive et contraignante, de la diminution des prélèvements obligatoires ?
De rien de tout cela ! L'urgence absolue, c'est l'inversion du calendrier électoral qualifiée de « rétablissement » par ses partisans, terme en effet consacré pour définir certains mouvements acrobatiques ou de gymnastique. (Rires sur les travées du RPR et sur certaines travées des Républicains et Indépendants.)
Cette hâte à redéfinir le calendrier en 2002 a conduit l'Assemblée nationale à un débat précipité avant Noël. Elle est cause que le Gouvernement précipite la discussion dans notre assemblée et nous invite à la conclure au plus vite.
Pourtant, le 19 octobre dernier, le Premier ministre, interrogé par M. Poivre d'Arvor sur TF 1, estimait que l'initiative d'un changement de calendrier électoral incombait au chef de l'Etat, et comme l'a très bien dit M. le rapporteur, que toute intervention de sa part serait « interprétée de façon trop étroitement politique, voire politicienne ». Pour qu'il changeât d'attitude, il aurait fallu que s'esquisse un consensus. Un consensus ou une collusion ! (Sourires sur les travées RPR.)
Le consensus ne provient pas de la majorité plurielle, puisque les Verts et le parti communiste, pour des raisons diverses, sont hostiles à la modification proposée. Il n'existe pas davantage, à ma connaissance, dans l'opposition ; on l'a vu au moment du vote à l'Assemblée nationale et on le verra sans doute dans cette enceinte.
La décision prise par le Gouvernement de changer la loi est donc bien le fruit d'une collusion, c'est-à-dire du rapprochement d'une partie des formations gouvernementales avec des éléments de l'opposition. Nous y reviendrons. Quant aux raisons qui ont amené le Premier ministre, non pas à prendre, mais à laisser prendre des initiatives, nous avons là-dessus notre petite idée.
On comprendra toutefois que, puisque la modification du calendrier électoral nous est présentée comme une affaire majeure qui conditionne l'avenir de nos institutions, nous prenions le temps d'en examiner tous les aspects et toute la portée, et de formuler quelques observations sur notre Constitution et sur son fonctionnement.
Beaucoup d'entre nous ont souhaité s'exprimer dans le débat, et je m'en réjouis. Ce sera l'occasion de témoigner notre attachement à la Ve République.
M. Claude Estier. Ce sera répétitif !
M. Josselin de Rohan. A quoi avons-nous assisté depuis que le débat sur l'inversion du calendrier a été engagé ? A un beau spectacle, à une belle manoeuvre et à un beau trompe-l'oeil !
Le beau spectacle peut se décomposer en plusieurs scènes. Selon les chroniqueurs, la scène 1 s'est déroulée au Parlement européen et pourrait s'intituler La conjuration de Strasbourg .
Des députés européens de sensibilités diverses, incluant Daniel Cohn-Bendit, tantôt français, tantôt germain (Murmures sur les travées socialistes), selon les théâtres se seraient réunis pour dénoncer « le calendrier dingo » et entreprendre une campagne conjuguée pour en demander l'abolition.
La scène 2 voit l'entrée en lice des Burgraves. Un ancien Président de la République, avec solennité et fort de ses anciennes responsabilités, a multiplié les admonestations et les homélies pour convaincre les Français de l'impérieuse nécessité de mettre un terme à une situation funeste, contraire, selon lui, à l'esprit de nos institutions. Deux anciens Premiers ministres nous ont gratifiés d'un long article aboutissant à la même conclusion.
Pour les constitutionnalites, un tel débat est un morceau de roi. Le doyen Vedel est favorable à la réforme ; le doyen Gélard y est opposé. Si l'on veut bien consulter toutes les facultés, on trouvera, sur ce point, des avis aussi contraires que savamment étayés, comme le montre fort bien le rapport de M. Bonnet. « Le droit », dit Hector dans La guerre de Troie n'aura pas lieu , « est la plus puissante des écoles de l'imagination ».
Le tableau suivant met en scène les seconds couteaux. Ils sont chargés de prendre des initiatives dont le Premier ministre ne veut pas directement endosser la paternité. Tel est l'objet de propositions de loi « spontanées » émanant de parlementaires auxquels on a tenu la plume et à qui l'on réservera dans l'ordre du jour prioritaire non point une fenêtre, mais une véritable baie vitrée. Et, comme il faut faire bonne mesure et ne jamais manquer une bonne occasion, on y joindra une proposition ayant un objet identique et émanant d'un bord opposé.
M. Claude Estier. On a tenu la plume de M. Barre ?
M. Josselin de Rohan. La dernière scène se termine en apothéose touchante.
M. René-Pierre Signé. Ce n'est pas très correct !
M. Josselin de Rohan. Tel Félix dans Polyeucte , Lionel Jospin peut s'écrier : « Je crois, je vois, je suis désabusé ». Cédant aux pressions affectueuses et aux sollicitations diverses, le Premier ministre se fait violence. Il se rallie sans arrière-pensées à une proposition dont il n'est pas l'auteur. La route de l'Elysée emprunte le Chemin de Damas. (Sourires sur les travées RPR.)
La proposition de loi est le fruit d'une « belle manoeuvre ». Le terme serait du Premier ministre lui-même, quoiqu'il s'en défende sans conviction. Eh bien, nous en convenons volontiers, la manoeuvre est, sinon belle, du moins manifeste. Nous avons vu se constituer sous nos yeux un axe étrange liant le Premier ministre à un ancien Président de la République, ô combien âprement combattu en son temps par les socialistes. M. Giscard d'Estaing a fait l'objet de beaucoup de prévenances de la part du Premier ministre qui l'a cité, comme il convient, lors des débats à l'Assemblée nationale. Il a donné d'utiles conseils sur l'organisation de la discussion et, peut-être, sur l'argumentation.
Je me demande ce que le défunt président de la République eût pensé de ce patronage ! Enfin, après l'inventaire, voilà le partenaire, les temps changent ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR et sur certaines travées des Républicains et Indépendants.)
Comme dans les comédies de Molière ou de Marivaux, on se plaît à intervertir les rôles, les uns empruntant aux autres leur qualité ou leurs habits.
Mme Hélène Luc. Quelle politique politicienne !
M. Josselin de Rohan. Lionel Jospin invoque l'esprit d'une Constitution qui, selon ses propres termes, n'est pas sa référence. Le parti socialiste, qui aime bien donner des leçons, s'est fait professeur de gaullisme et ne cesse de nous en remontrer dans ce domaine.
M. Marcel Charmant. Ce n'est pas la pensée unique !
M. Josselin de Rohan. Mais, comme le remarque très judicieusement M. le rapporteur, « les références à l'esprit des institutions n'ont été accompagnées d'aucune définition de celui-ci ». Les citations qu'il fait des ouvrages de Michel Debré, qu'on peut, à juste titre, tenir pour l'un des pères de la Constitution, démontrent éloquemment qu'à tout le moins, ni lui ni le général de Gaulle n'étaient favorables à la coïncidence des mandats respectifs des députés et du Président de la République. Et, vous l'avez dit, monsieur le rapporteur, Michel Debré admettait même qu'il y ait deux lectures de la Constitution ; aussi les exégètes qui en ont une vision univoque peuvent-ils être légitimement récusés.
Quant à nous, nous estimons que ceux qui, dès l'origine, ont combattu cette Constitution et ne rêvent que de l'abolir ne peuvent s'en prévaloir sans hypocrisie. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, ainsi que sur certaines travées des Républicains et Indépendants.)
La gauche plurielle a, d'ailleurs, dans ce domaine essentiel une vision plurielle. Jean-Pierre Chevènement se fait le chantre du régime présidentiel quand les communistes et les Verts préconisent un changement de Constitution qui nous ramènerait au régime d'assemblée ou à un régime fort proche de celui de la défunte IVe République.
Dans ce bal costumé que nous donne la gauche, on ne peut identifier les personnes que lorsqu'elles lèvent leur masque.
M. René-Pierre Signé. Que faites-vous de Philippe Séguin ?
M. Josselin de Rohan. Cette situation n'a pas échappé aux commentateurs. Je recommande à votre lecture, mes chers collègues, le récit coloré fait par un journaliste d'un grand quotidien du soir de la préparation des débats à l'Assemblée nationale.
Avec les accents gourmands d'un chroniqueur gastronomique, il détaille le partage des responsabilités. Au ministre de l'intérieur, les contacts avec tels parlementaires de l'opposition, à Matignon les contacts avec les leaders . Il n'est question que de colloques particuliers, de confidences appuyées, de coups de téléphone affectueux entre personnes que tout sépare, mais qu'une cause commune réunit.
Nous nous sentons rajeunis de cinquante ans et ramenés aux temps délicieux de la IVe République, régime béni qui permettait les alliances douteuses, les combinaisons de hasard, les coups fourrés en tous genres, le désordre politique général et fournissait aux journalistes une provision inépuisable de gloses, d'anecdotes et de faits divers. A cette époque, nous nous en souvenons, notre pays n'était guère édifiant : il était distrayant. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR et sur certaines travées des Républicains et Indépendants.)
M. René-Pierre Signé. Balladur !
M. Josselin de Rohan. Les Français, que tout ce remue-ménage rend perplexes ou sceptiques, se demandent sans doute ce qu'il cache. La réponse est qu'il s'agit d'un véritable trompe-l'oeil et que les nobles sentiments invoqués pour justifier le changement du calendrier électoral n'arrivent pas à cacher de moins louables motivations.
M. Daniel Cohn-Bendit...
M. Claude Estier. C'est votre référence ?
M. Josselin de Rohan. ... qui ne s'embarrasse pas de précautions oratoires, l'a dit crûment : l'objectif est de « désarçonner l'adversaire ».
M. Jean-Claude Gaudin. Il dit la vérité !
M. Josselin de Rohan. « Qu'est-ce que nous voulons, nous les Verts ? Nous voulons que Jospin devienne président de la République...
M. René-Pierre Signé. Il le sera !
M. Josselin de Rohan. ... et que nous ayons plus de députés à la prochaine assemblée (...) Faisons de la politique comme Machiavel. » C'est beaucoup s'avancer.
A la place de M. Lionel Jospin, je me méfierais de ce conseiller-là et je me reposerais davantage sur mon inspiration ou sur Machiavel lui-même, selon lequel « les bons conseils, qu'ils soient de qui on voudra, procèdent de la sagesse du prince et non pas de la sagesse desdits bons conseils »...
En l'occurrence, il serait beaucoup plus approprié de chanter, comme le faisait avant-guerre le fantaisiste Milton, « J'ai ma combine ». Nos collègues de l'Assemblée nationale ont tiré de La Revue socialiste de novembre 2000, sous la signature d'un certain Eric Perraudeau, quelques citations fort éclairantes sur les préoccupations tactiques du parti socialiste.
A la lecture de ces lignes, on s'aperçoit que le rédacteur, qui est un impertinent, estime possible une défaite de la gauche plurielle aux élections législatives de 2002,...
M. Jean-Claude Carle. C'est un visionnaire !
M. Josselin de Rohan. ... ce qui ne favoriserait évidemment pas la candidature du Premier ministre à l'élection présidentielle.
M. Jean-Claude Gaudin Quel drame ! (Sourires.)
M. Josselin de Rohan. Notre collègue M. Patrick Devedjian, quant à lui, a relevé sous la plume de M. Jean-Christophe Cambadélis, qui s'est fait discret ces derniers temps mais qui, Dieu merci, écrit encore, que l'opération inversion ne présentait vis-à-vis de l'UDF que des avantages : soit l'UDF s'oppose au texte et, dans ce cas, il n'y aura plus de candidat UDF à l'élection présidentielle ; soit elle le vote et, dans ce cas, il y aura division à droite.
M. René-Pierre Signé. Elle existe déjà !
M. Josselin de Rohan. C'est assez dire que l'ambition du parti socialiste est d'instrumentaliser la formation dont il attend quand même un concours.
M. Paul Masson. Bien sûr !
M. Josselin de Rohan. En politique, il n'y a pas de petits profits !
Le Premier ministre, pour justifier sa prise de position sur le fond du problème, a utilisé deux arguments : d'une part, la nécessaire cohérence entre l'exécutif et le législatif ; d'autre part, le respect de l'égalité entre les concurrents à l'élection présidentielle.
Que la cohérence entre exécutif et législatif soit nécessaire pour rendre efficace l'action politique, c'est une évidence. Que la cohabitation constitue une anomalie peu satisfaisante, nous en convenons volontiers. Mais avant de théoriser, il faut considérer les faits.
Le seul Président de la République, sous la Ve, à avoir immédiatement dissous l'Assemblée nationale à l'issue de son élection a été François Mitterrand. Tous les autres du général de Gaulle au président Chirac inclus, ont vu les élections législatives précéder leur élection et s'en sont accommodés.
M. René-Pierre Signé. Evidemment !
M. Josselin de Rohan. Ajoutons que, en 1988, M. Valéry Giscard d'Estaing s'était employé à convaincre, sans succès, M. Mitterrand de ne pas dissoudre l'Assemblée élue deux années auparavant.
Pas plus que le quinquennat, l'inversion du calendrier électoral n'est une garantie contre la cohabitation. Le chef de l'Etat peut décéder ou démissionner peu de temps après son élection ; il peut également dissoudre l'Assemblée nationale après deux années de mandat. Dans les deux hypothèses, il peut y avoir discordance entre la couleur politique du chef de l'Etat et celle de l'Assemblée nationale ; c'est la situation que nous vivons.
Par ailleurs, en 2002, l'élection présidentielle et les élections législatives se dérouleront à quelques semaines d'intervalle. On peut légitimement penser que, s'il existe un véritable mouvement d'opinion, soit pour reconduire la majorité de gauche, soit pour la censurer, il se manifestera deux fois de la même manière dans un espace de temps aussi resserré. On conçoit que le chef d'une majorité désavouée aux élections législatives puisse éprouver des craintes quant à sa candidature à l'élection présidentielle ; à l'inverse, s'il sort vainqueur du combat, ses chances de victoire seront très sensiblement renforcées.
Si le calendrier était maintenu, dit le Premier ministre, il y aurait rupture d'égalité entre les candidats parce que certains - entendez : lui-même et quelques autres - devront tout à la fois mener campagne pour les législatives et pour la présidentielle. On voit mal où réside la difficulté ! Personne ne fera au Premier ministre l'injure de douter qu'il soit à nouveau candidat depuis mai 1995. Il n'aura pas à se déterminer dans les huit jours !
Ses concurrents sont également tous connus, exception faite des Verts, qui ne se meuvent pas dans une dimension euclidienne et auront plus de candidats que d'électeurs !
Le Premier ministre est en campagne électorale permanente depuis 1997,...
MM. René-Pierre Signé, Claude Estier et André Rouvière. Et le Président de la République ?
M. Josselin de Rohan. Messieurs, vous voulez m'interrompre, je suis à votre disposition !
M. René-Pierre Signé. Il ne faut pas dire n'importe quoi !
M. Claude Estier. Nous vous écoutons avec délice ! (Sourires.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie.
M. Josselin de Rohan. Le Premier ministre étant donc en campagne électorale permanente depuis 1997...
M. André Lejeune. Bien avant !
M. Josselin de Rohan. ... - cela n'a absolument rien d'illégitime ! - nous nous imaginons qu'il ne se fait pas trop de soucis pour son éventuelle réélection dans sa circonscription. Il faut donc chercher ailleurs l'origine de ses motivations.
Outre le fait, que j'ai déjà mentionné, qu'un échec de la majorité sortante aux législatives risquerait d'être fatal à sa candidature, l'inversion du calendrier, en fait, le dégage du poids de la pluralité.
A la tête d'une coalition, il doit prendre en compte et porter les opinions, les contraintes et les intérêts de ses partenaires et, dans le choix d'une plate-forme politique, consentir des concessions. Candidat à l'élection présidentielle, il est libre de choisir les orientations qu'il propose au suffrage populaire. Voilà la raison profonde de l'inversion du calendrier.
Les deux combats sont de nature très différente, mais le Premier ministre, en changeant le calendrier, a surtout en vue sa situation personnelle, et c'est ce qui nous fait penser qu'il s'agit bien d'une réforme de convenance.
Lorsqu'on relit les déclarations du Premier ministre, candidat inavoué à l'élection présidentielle, il y a quelque chose de très frappant : c'est le flou qui entoure sa vision de la Constitution.
Certes, il se déclare en faveur d'une nouvelle limitation du cumul des mandats, du renforcement des pouvoirs du Parlement grâce à la réforme de l'ordonnance de 1959 ou à une révision de l'article 35 de la Constitution relatif à la déclaration de guerre.
En revanche, nous ignorons tout de ses conceptions sur l'avenir de nos institutions. Il nous a dit qu'elles n'étaient pas sa référence mais nous n'avons aucune indication sur ses préférences. Est-il favorable au régime présidentiel, comme M. Jean-Pierre Chevènement et le Mouvement des Citoyens, ou à une constitution instituant un régime d'assemblées, comme le préconisent ses partenaires Verts et communistes ? Préconise-t-il le maintien de l'actuelle constitution, ou une restriction du droit de dissolution, comme le préconisent certains de ses amis ? Nous n'en savons rien !
Ceux qui ont réclamé, à l'Assemblée nationale, un débat d'orientation sur les institutions en auront été pour leurs frais. Ils ne savent pas, à ce jour, ce que le principal candidat de la gauche à l'élection présidentielle propose aux Français. Or la démarche préconisée pour l'inversion du calendrier n'est pas neutre dans l'esprit de ses promoteurs. Elle est la première étape d'un processus qui doit conduire à d'importants changements constitutionnels et peut-être même à des bouleversements définitifs. A moins de seize mois de la consultation, nous ne savons pas qui de M. Roman, de M. Dray ou de M. Montebourg ni de M. Quilès, qui disent des choses contradictoires en proposant des changements fondamentaux, exprime la vision socialiste. Est-ce convenable et digne d'un pays démocratique ?
On ne débat pas des institutions « à la sauvette », on ne révise pas la Constitution à tout propos pour en saper les fondements ou en altérer l'esprit. Les Français ont droit à la franchise. Que leur proposez-vous, où voulez-vous les mener et par quels moyens ? Ce n'est pas en mars 2002 qu'il faut répondre, c'est tout de suite ! (Applaudissements sur les travées du RPR.)
Monsieur le ministre, il est vraisemblable que, grâce à la conjonction des calculs, des intérêts particuliers et peut-être même des rancoeurs, cette proposition de loi trouvera une majorité à l'Assemblée nationale.
M. René-Pierre Signé. Tant mieux !
M. Josselin de Rohan. Votre victoire ne sera pas glorieuse...
M. René-Pierre Signé. Si !
M. Josselin de Rohan. ... car elle aura été acquise non pas avec le concours de vos amis, mais avec le concours d'une fraction de vos adversaires.
M. René-Pierre Signé. Grâce à la dissolution !
M. Josselin de Rohan. Peut-être vous rappellerez-vous un jour que, lorsqu'on émet des créances douteuses, on est parfois payé en fausse monnaie ? (Exclamations sur plusieurs travées socialistes.)
Vous ne nous laissez ni le choix du terrain ni celui des armes, mais soyez assuré que, quel que soit le cadre ou les conditions dans lesquels nous devrons livrer bataille, vous nous trouverez prêts au combat. Nous saurons opposer à vos conceptions notre proposition pour une France moderne, prospère et unie, qui sache conjuguer développement économique et progrès social, maintenir son identité...
M. René-Pierre Signé. La litanie !
M. Josselin de Rohan. ... et contribuer à l'édification de l'Europe, promouvoir les libertés locales et favoriser un Etat fort,...
M. René-Pierre Signé. La litanie !
M. Josselin de Rohan. ... adapter nos institutions aux changements de la société, mais les préserver contre toutes les aventures et les expérimentations hasardeuses.
M. Claude Estier. Hasardeuses ?
M. Josselin de Rohan. Celui qui aura pour tâche de défendre nos idées et notre projet pourra compter sur notre foi et notre adhésion sans réserve. Aussi est-ce avec sérénité et confiance que nous attendons le rendez-vous. Il ne nous fait pas peur ! (Applaudissements prolongés sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et sur certaines travées de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Arthuis.
M. Jean Arthuis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais d'abord saluer la démonstration de M. le rapporteur de la commission des lois. Il a, avec sa commission, accompli une tâche particulièrement difficile compte tenu de la précipitation de nos travaux. Je tiens à l'en féliciter même si je ne le rejoins pas dans ses conclusions.
M. René-Pierre Signé. Il n'a pas convaincu !
M. Jean Arthuis. Mes chers collègues, c'est un moment essentiel de la vie politique française que nous vivons dès aujourd'hui, à travers le débat qui s'ouvre sur la modification éventuelle du calendrier électoral. Il est essentiel à un double titre. Tout d'abord, parce que, tel que nous l'analysons, il s'inscrit dans le prolongement de la discussion menée en juin 2000 sur la durée du mandat présidentiel. L'aménagement du calendrier des élections législatives et présidentielle est bien la conséquence de l'adoption, voilà maintenant six mois, du quinquennat pour le mandat du Président de la République. Il y a, en l'espèce, l'affirmation d'une cohérence républicaine qu'il convient de préserver et à laquelle le Parlement doit être sensible. Ce moment est également essentiel car il nous donne l'occasion d'esquisser et, je l'espère, de clarifier la vision que nous devons développer de nos institutions, et ce hors de toute considération polémique.
Je déplore cependant que l'occasion d'un véritable débat d'envergure, largement ouvert, non seulement aux représentants politiques, mais également aux acteurs de la société civile, n'ait pas été réellement saisie. D'aucuns reprocheront en effet la perpétuation, en ce début de siècle et de millénaire, de pratiques surannées et pernicieuses de notre vie publique, surtout lorsqu'il s'agit de s'attaquer au marbre de la loi fondamentale, la Constitution : ces pratiques consistent à tergiverser, à brouiller le débat par des arrière-pensées politiciennes et des diatribes publiques, avant finalement de procéder à quelques retouches successives qui ne permettent certainement pas à nos concitoyens de dégager un tableau d'ensemble de l'évolution de leurs institutions. Ce débat n'a toujours pas eu lieu et c'est à déplorer. Néanmoins, il nous appartient aujourd'hui, à travers une discussion en apparence restreinte sur un simple problème de dates, de commencer à dessiner le paysage politique et institutionnel français le plus adapté au xxie siècle.
En juin dernier, lors des débats sur l'adoption du quinquennat, j'avais, à cette tribune, souligné, au nom du groupe de l'Union centriste, notre accord à cette modification de la Constitution. Elle nous apparaissait comme un instrument du progrès républicain, un renforcement de la démocratie participative et un moyen laisssant espérer une diminution des risques de cohabitation. Autant d'avantages qui se heurtaient pourtant ensuite, c'est-à-dire à partir de 2002, à une incongruité, à un anachronisme : l'ordre artificiel, car né de hasards politiques - le décès de Georges Pompidou et la dissolution de 1997 -, des élections nationales, législatives, puis présidentielle.
Le poids de l'histoire, que chacun peut interpréter à sa guise, ne peut d'ailleurs entrer ici en ligne de compte. J'ajoutais à l'époque que nous soutiendrions donc une initiative visant à réaménager ce calendrier électoral afin que le Président de la République retrouve la prééminence de sa fonction : il est bien, dans le régime de la Ve République, le « capitaine » qui exprime la vision et les grandes orientations politiques de notre nation, la clé de voûte de nos institutions. Il doit naturellement être le premier élu par les citoyens.
Depuis juin 2000 - ai-je besoin de le rappeler ? -, des propositions de loi émanant de députés UDF ont été déposées à l'Assemblée nationale, répondant à notre voeu et à celui, exprimé de longue date, du président de notre formation politique. Elles ont suscité de nombreuses réactions, preuve de leur pertinence. Elles ont surtout entraîné l'étonnant ralliement à leur point de vue d'une partie de la majorité plurielle, emmenée - presque par surprise - par le Premier ministre lui-même. S'il faut parler de revirement, il s'est situé à gauche, dans la majorité plurielle, et non à droite, au sein de l'opposition. La constance et la cohérence, dans le respect des institutions, sont de notre côté, ne l'oublions pas ! Il ne saurait être ici question de collusion. Et je ne céderai pas à la tentation de qualifier ainsi les ralliements de points de vue entre les membres de l'opposition et ceux de la majorité, quelle qu'en soit la cause.
M. Philippe Arnaud. Très bien !
M. René-Pierre Signé. La gauche, c'est contagieux !
M. Jean Arthuis. Je ne m'étendrai donc pas davantage sur ce qui apparaît aux yeux des Français comme un épisode mineur et politicien. Peu importent les manoeuvres ponctuelles et dérisoires, traductions de calculs aléatoires. En l'espèce, les augures ont peu de poids, et chacun peut voir dans leurs prédictions la part du rêve... Nul ne sait ce qui se passera en 2002.
M. René-Pierre Signé. Eh oui !
M. Jean Arthuis. Seules comptent aujourd'hui la préservation, la consolidation même de nos institutions. Le reste n'est qu'illusion.
M. René-Pierre Signé. Il y aura quand même un élu, et ce ne sera pas Chirac !
M. Jean Arthuis. Qu'on ne nous objecte pas non plus qu'il est malséant, pour ne pas dire malsain et suspect, de procéder à des modifications avant des échéances électorales : plus d'une année nous en sépare encore. Au demeurant, il ne s'agit en aucune façon de modifier la forme de l'élection mais simplement sa date. Quant au temps, ne le gaspillons pas en arguties, mais agissons. N'inversons donc pas les rôles et ne réduisons pas un débat de fond à des querelles d'arrière-cuisine : la démocratie et les citoyens ne nous le pardonneraient pas.
Nous évoluons depuis 1958 dans un régime enfin stabilisé, celui de la Ve République. Quels que soient ses défauts, il a l'immense mérite de ne jamais avoir été remis en cause par les Français, d'être bien plus souple et adaptable qu'il n'y paraît. Michel Debré lui-même ne rappelait-il pas qu'il fallait savoir « puiser dans les ressources de la Constitution » afin de faire vivre nos institutions au fil du temps ?
La République, qui nous gouverne toujours à l'heure actuelle et que nous acceptons, implique que le Président de la République en soit le pôle central, l'élément moteur. Il définit les grandes orientations politiques qui vont déterminer le destin du pays pour les cinq ans, désormais, qui suivent son élection. C'est sur cette vision que les électeurs se prononcent, en confiant à un homme...
Un sénateur socialiste. Ou à une femme !
M. Jean Arthuis. ... les rênes de la nation pour une période donnée. C'est indiscutablement un moment crucial de la vie civique, de la vie publique ; il s'agit là de la participation la plus flagrante, la plus intense des citoyens. Il est parfaitement légitime, dans ces conditions, que ce Président, qui réunit dans sa fonction une telle confiance et une telle force démocratique, soit élu avant les représentants du peuple.
Ce n'est qu'à cette condition, me semble-t-il, que peut se sceller dans le pays le pacte majoritaire, socle sur lequel repose notre démocratie parlementaire et condition du fonctionnement harmonieux de nos institutions. C'est ce pacte majoritaire qui garantit stabilité politique et latitude d'action au gouvernement chargé de mettre en oeuvre les orientations préalablement définies et approuvées.
M. René-Pierre Signé. Sauf s'il dissout, erreur fatale !
M. Jean Arthuis. C'est donc bien sur le projet, sur la vision du Président de la République que se déterminent les Français. Comment peut-on souhaiter leur retirer, même indirectement, ce pouvoir de décision éminemment républicain ? C'est l'essence même de notre système politique qui est en jeu : l'élection d'un Président autour duquel s'organise une majorité parlementaire apportant son soutien à une stratégie nationale. L'inverse est difficilement envisageable. Peut-on réellement imaginer élire des parlementaires qui n'auront pas pris connaissance des orientations politiques du Chef de l'Etat et auront de grandes difficultés à se positionner vis-à-vis des électeurs ?
Cette situation fragile conduirait - nombreux sont les experts à l'avoir souligné - à un affaiblissement de la fonction présidentielle. Certains peuvent, après tout, le souhaiter, craignant les effets de l'accumulation des pouvoirs entre les mains d'un seul homme, le Président. C'est loin d'être le cas, et ce risque apparaît, dans le contexte actuel de détérioration des pouvoirs, bien hypothétique.
M. René-Pierre Signé. C'est loin d'être le cas !
M. Jean Arthuis. Ce « coup de grâce », comme l'a si bien dit René Rémond, qui serait porté à la fonction présidentielle compromettrait le besoin indiscutable de stabilité et de responsabilité, si nécessaire à l'action politique.
Au contraire, en revenant à l'esprit de la Ve République, nous pouvons espérer limiter encore les risques de cohabitation,...
M. René-Pierre Signé. Dissolution !
M. Jean Arthuis. ... ce dévoiement pervers, devenu insupportable qui corrompt insidieusement nos institutions depuis trop longtemps. Certes, les électeurs peuvent choisir deux options différentes aux élections de 2002. Nul ne peut aujourd'hui prévoir un scénario réaliste. Mais des sondages récents laissent à penser que les Français sont également las des dysfonctionnements de nos institutions, puisqu'une majorité d'entre eux se déclare désormais opposés à une nouvelle cohabitation dans moins de deux ans. Ils aspirent heureusement à une plus grande clarté démocratique. Cette dernière passe, à travers leur vote, par la liberté d'action donnée à un Président et aux parlementaires qui le soutiendront. Dans cet ordre, sinon, la paralysie guette à nouveau notre vie publique.
Ne nous y trompons pas. Je ne me fais nullement l'apôtre d'un régime autoritaire, marqué par la concentration des pouvoirs sur une seule tête. Je suis, chacun le sait ici, particulièrement attentif à l'équilibre des pouvoirs, à la bonté santé du Parlement, qui est garant de la démocratie, à la clarification des compétences et donc à la décentralisation.
Mais un affaiblissement du Président de la République n'entraînerait pas de façon automatique une valorisation du Parlement. Nos réflexions doivent englober un large champ et déboucher sur une démarche politique se déclinant à trois niveaux : local, national, mais aussi, et de plus en plus, européen. Cette mise en perspective doit aussi inspirer notre débat institutionnel aujourd'hui comme demain : nous devons commencer de traduire, à travers l'évolution que nous donnerons progressivement à notre République, notre volonté d'affermir la démocratie de proximité, de maintenir le lien qui soude notre communauté de destins, et de nous intégrer de manière naturelle dans l'Europe politique que nous aurons su dessiner.
D'ici là, nous devons enrayer le processus d'érosion de nos institutions.
Certains objecteront qu'à travers la modification, que l'on veut durable et non ponctuelle, du calendrier électoral de 2002, c'est un glissement vers un régime présidentialiste, déséquilibré, que l'on préfigure. Mais si présidentialisation il y a, elle implique évidemment, en corollaire, le renforcement du rôle du Parlement. En aucun cas, la reviviscence du Parlement ne découlera d'une quelconque modification du calendrier électoral. Ce sont deux problématiques totalement dissociées.
C'est à nous, parlementaires, et à nous seuls, de faire en sorte que le Parlement retrouve ses couleurs, son pouvoir de contrôle et sa fonction de contrepoids aux abus éventuels de la puissance publique. S'il ne se réveille pas, le Parlement continue de participer au dysfonctionnement de l'Etat. C'est à nous d'agir, indépendamment de toute modification constitutionnelle. Je pense, par exemple, à la réforme de l'ordonnance de 1959 concernant l'élaboration et la discussion des lois de finances qui est la constitution financière de la République ; je pense aussi au développement des commissions d'enquête, au contrôle permanent sur pièces et sur place et à bien d'autres actions encore. C'est là une évolution indispensable.
Mme Hélène Luc. Il faut démocratiser l'élection des sénateurs !
M. Jean Arthuis. J'espère, en cette année 2001, que nous allons progresser de façon significative dans cette voie.
Je conclurai en soulignant que nous pouvons nous engager aujourd'hui, en votant ce texte, dans une remise en ordre, un affermissement de nos institutions, celles de la Ve République qui régissent toujours notre vie publique. C'est notre souhait. C'est celui de la formation politique à laquelle nous appartenons.
Pour les différentes raisons que j'ai développées, le groupe de l'Union centriste, qui aurait, dans sa majorité, souhaité voter en l'état la proposition de loi organique modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale, est au regret de ne pouvoir suivre les propositions de la commission des lois. (Applaudissements sur certaines travées de l'Union centriste et sur les travées socialistes.)
M. René-Pierre Signé. Il aura raison !
M. le président. La parole est à M. de Raincourt.
M. René-Pierre Signé. On va changer de musique ! (Sourires.)
M. Henri de Raincourt. Effectivement, monsieur Signé, nous allons changer de musique !
N'en doutons pas : si, par hypothèse, la proposition de loi organique dont nous débattons aujourd'hui était soumise par référendum à l'appréciation du peuple français, alors non seulement elle provoquerait un nouveau record d'abstention,...
M. Gérard Braun. C'est sûr !
M. Henri de Raincourt. ... mais, à l'évidence, le « non », cette fois, l'emporterait. En effet, comment voulez-vous faire croire aux Français que cette proposition de loi vient rétablir clarté, logique et bon sens dans nos institutions, alors même qu'elle ne dispose que pour l'année 2002 ?
Si la mesure préconisée, à savoir la priorité chronologique de l'élection présidentielle sur l'élection législative, était d'intérêt vraiment général, elle aurait fait l'objet d'une mesure générale. Etant d'intérêt circonstantiel, elle fait l'objet d'une proposition de circonstance.
M. Jean-Claude Gaudin. Bien entendu !
M. Henri de Raincourt. Le peuple n'étant pas, cette fois, directement consulté, c'est au Parlement qu'il revient de délibérer et de voter.
Au terme d'étranges marchandages qui, vous le savez, n'ont pas édifié les électeurs, l'Assemblée nationale a voté en première lecture la modification de la date d'expiration de ses pouvoirs.
Quiconque s'est tenu au courant des débats sait que l'Assemblée nationale n'a pas à tirer fierté de son vote. Les raisons invoquées en faveur de l'inversion du calendrier sont tout sauf des raisons d'intérêt général. On a prétexté des raisons d'intendance, sur lesquelles je reviendrai ; il ne fait pas de toute, une fois encore, que ce sont des raisons de pure convenance. On a prétexté des raisons de clarté, de distinction et de priorité ; ce n'est guère convaincant.
On suppose que les Français ne connaîtraient pas la différence entre un député et un chef d'Etat, ou entre un chef d'Etat et un chef du gouvernement dans le cadre d'une cohabitation parlementaire. De peur peut-être que l'électeur ne s'embrouille, le législateur lui mâche le travail, et il le fait pour 2002 seulement. Aussi ai-je envie de dire, avec Tocqueville : « Que ne lui ôte-t-on la peine de voter ? ».
Avant de revenir plus en détail sur les mauvaises raisons d'inverser le calendrier électoral du printemps 2002, je voudrais dire la peine que je ressens à la pensée que notre Parlement aura célébré l'entrée dans le troisième millénaire en manipulant le calendrier des sortants. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
Dans les débats qui ont eu lieu à l'Assemblée nationale, les uns ont parlé d'inversion du calendrier, les autres de rétablissement ou de remise à l'endroit. En dépit de cette diversité de vocabulaire, personne n'est vraiment dupe, de l'aveu même de certaines personnalités qui, pourtant, préconisent ce changement. On ne s'est pas fait faute de les citer longuement au Palais-Bourbon ; je n'en citerai tout à l'heure que deux ou trois.
C'est assez dire que le débat a vite tourné au procès d'intention, d'un côté, et au désir de réalité, de l'autre. Ce qui devait être un élément du débat sur l'avenir des institutions - la durée des mandats, le rythme des consultations électorales, l'enventuel rééquilibrage des pouvoirs, etc. - est devenu, en fait, une dispute sur l'avenir de la candidature présidentielle de M. Lionel Jospin. (M. Marcel Charmant s'exclame.)
Cette manière de faire est détestable. Elle est de ces manoeuvres politiciennes qui accentuent dangereusement l'écart entre le pays réel et ses représentants.
Oui, cette manoeuvre est vraiment regrettable ! Mais est-elle vraiment pour nous surprendre ? Hélas, non, car il y a des précédents.
En 1986, le mode de scrutin législatif a été modifié, avec l'objectif d'atténuer les chances de victoire de l'opposition.
En 1990, la durée du mandat d'une partie des conseillers généraux a été prorogée de façon à regrouper les élections cantonales, dans le dessein de permettre à la gauche de conquérir de nouveaux départements.
Le Gouvernement de M. Jospin n'est pas resté inactif en la matière, puisqu'il a projeté et fait adopter une réforme du mode de scrutin régional qui vise tout simplement à faire basculer la majorité des régions vers la gauche et à donner la main de manière un peu plus forte encore aux partis politiques plutôt qu'aux élus locaux, à ceux qui tous les jours, sur le terrain, oeuvrent pour le bien-être de nos compatriotes.
M. Jean-Claude Gaudin. C'est tout à fait exact, et il faudra balayer tout cela !
M. Henri de Raincourt. Le Premier ministre a également projeté une réforme du mode de scrutin sénatorial pour, tout simplement, conquérir la majorité au Sénat et au Congrès du Parlement. Si donc il y a une anomalie démocratique, elle ne se trouve certainement pas au Sénat !
Il est clair que ces réformes électorales étaient, hier, et sont, aujourd'hui, des manipulations politiques.
Il est vrai que l'on n'a jamais vu un gouvernement prôner un mode de scrutin par définition contraire à l'intérêt de ses membres !
M. Jean-Claude Gaudin. La droite en est capable ! (Rires.)
M. Henri de Raincourt. En voulant changer la règle du jeu de manière aussi intéressée, les auteurs de cette proposition de loi courent le risque de décourager gravement les électeurs.
Il est vrai que la majorité actuelle et le Gouvernement ont probablement beaucoup à craindre des élections législatives de 2002. C'est d'ailleurs si vrai qu'un certain nombre de sondages, non publiés, allant en ce sens ont, comme par hasard, précédé de quelques jours le changement d'attitude du Premier ministre sur ce sujet.
L'opposition nationale doit, certes, s'opposer, mais elle doit aussi préparer l'avenir. A cet égard, les « ateliers de l'alternance » nous permettent d'élaborer un certain nombre de réponses précises, simples, concrètes et appropriées aux préoccupations des Français.
Alors, mes chers collègues, ce ne sont pas des défections que nos collègues socialistes s'évertuent à solliciter qui empêcheront l'opposition de se présenter unie (M. Estier éclate de rire) , avec un projet de société, aux élections législatives de 2002.
M. Claude Estier. Tout va bien, alors !
M. Henri de Raincourt. La seule chance du candidat Lionel Jospin et de sa majorité plurielle, d'ailleurs complètement divisée sur ce sujet (Rires sur les travées socialistes) , c'est de tirer parti d'un affrontement anticipé de présidentiables à droite.
L'éclatement de l'actuelle majorité est latent. On l'a vu à l'occasion, je le répète, de la discussion de cette proposition de loi à l'Assemblée nationale,...
M. Josselin de Rohan. Lors de l'examen du budget !
M. Henri de Raincourt. ... lors de la discussion, c'est vrai, de la loi de finances, et en bien d'autres circonstances encore, par exemple sur le crédit d'impôt, rebaptisé « prime à l'emploi ».
Je reconnais, d'ailleurs, qu'en matière de sémantique, nous sommes des amateurs à côté des grands spécialistes que sont les socialistes !
M. Claude Estier. Pas seulement en matière de sémantique !
M. Henri de Raincourt. Mais je rends hommage à ceux qui, sur le plan de la sémantique, font preuve d'une imagination absolument sans limite !
La seule chance de succès du parti socialiste aux élections législatives réside donc dans un démarchage à sa droite. (Rires sur les travées socialistes.)
Mme Danièle Pourtaud. Ce n'est pas très gentil pour ceux qui sont démarchés !
M. Henri de Raincourt. Or, pour fidéliser la clientèle, il faut l'appâter, et, dans cette perspective, la déconvenue sera certainement au rendez-vous !
M. Claude Estier. Soyez heureux, alors !
M. Henri de Raincourt. Dans le cas d'une victoire de la droite aux législatives de 2002,...
Un sénateur socialiste. Il ne faut pas rêver !
M. Henri de Raincourt. ... la manoeuvre dont je viens de parler n'est plus possible, et la course au présidentiable pourrait bien redevenir alors une loyale compétition. Le message électoral reçu lors des législatives pourrait donner une bonne idée du chef de gouvernement souhaitable.
On comprend donc pourquoi les auteurs de la proposition de loi ont intérêt à inverser l'ordre prévu des élections législatives et présidentielles : cette inversion du calendrier laisse entrevoir le lancement d'une candidature socialiste suivie - c'est du moins ce qu'ils espèrent - d'une dynamique de majorité présidentielle.
Toutes ces supputations ont quelque chose de machiavélique. (M. Claude Estier rit.)
M. Jean Delaneau. De malsain !
M. Henri de Raincourt. Elles sous-entendent que le peuple n'y verra que du feu, qu'il sera pris par les apparences, qu'il ne regardera pas aux moyens employés pour parvenir au résultat.
Là, en revanche, il faut répéter que, lorsque la date d'une élection est modifiée en fonction du résultat escompté, on est, si les mots ont un sens, en présence d'une manipulation particulièrement audacieuse.
M. Claude Estier. Comme la dissolution de 1997 !
M. Henri de Raincourt. Veuillez m'excuser, monsieur Estier, mais je ne vois vraiment pas le rapport ! Si vous voulez nous l'expliquer !
M. Jean-Claude Gaudin. Vous seriez peut-être surpris si l'on recommençait !
Mme Danièle Pourtaud. Chiche !
M. Jean-Claude Gaudin. Attention ! Ne le dites pas trop !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur de Raincourt.
M. Henri de Raincourt. Je ne voudrais pas, monsieur le président, que M. Estier soit frustré.
M. Jean-Claude Gaudin. Il n'est jamais frustré !
M. Claude Estier. Je vous écoute avec délice, monsieur de Raincourt !
M. Henri de Raincourt. Ainsi, l'audace et la mauvaise foi n'ont pas manqué dans ce débat organisé à la sauvette et mis à l'ordre du jour prioritaire de nos travaux par le Gouvernement, comme l'y autorise la lettre mais certainement pas l'esprit de la Constitution.
Je veux maintenant donner quelques exemples de cette audace, avant d'examiner de plus près l'argumentation de fond des tenants de la proposition de loi organique.
Lors de la première séance du 19 décembre dernier, M. Ayrault, président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, a interprété « la hausse de l'abstention lors des consultations électorales et, plus récemment, lors du référendum sur le quinquennat... comme les signes d'un vrai malaise qui trouve sa source dans un mauvais fonctionnement de notre démocratie ».
Soit ! Mais M. Ayrault préconise, en guise de remède à ce malaise démocratique, la proposition de loi que l'on connaît. Or, ce remède n'est pas pire que le mal, il est la source même, l'une des sources, du malaise que nous connaissons et qu'il va venir aggraver.
Alors, comme pour mieux faire passer cette potion qui empoisonne notre démocratie, M. Ayrault a brossé devant nos collègues du Palais-Bourbon un tableau mi-idyllique, mi-apocalyptique de la radicalisation. A l'en croire, rien de tel, pour tenir les promesses de la mondialisation ou bien pour conjurer ses menaces que... l'inversion du calendrier ! Pour un peu l'inversion du calendrier pourrait suffire à empêcher le réchauffement de la planète ou le naufrage de l' Erika !
M. Claude Estier. C'est ridicule !
M. Henri de Raincourt. Quant à ceux qui, comme moi, ne se rendent pas à la prétendue évidence que l'inversion du calendrier est la panacée, M. Ayrault leur impute, je le cite encore, « une conception impériale et figée des institutions de la République ».
D'abord, je ne crois pas qu'une conception impériale se confondrait systématiquement avec la République.
M. Adrien Gouteyron. Non !
M. Henri de Raincourt. Mais, surtout, il me semble que traiter, comme les socialistes le font, une élection parlementaire comme le simple corollaire d'une élection présidentielle, c'est précisément ce qui s'appelle renouer avec une conception impériale, super présidentialiste des institutions. Le « Prince-Président » est de retour !
Veut-on un autre exemple ? Dans une interview accordée au Journal du dimanche du 31 décembre 2000, M. Forni, président de l'Assemblée nationale, a déclaré : « Le Sénat aurait quelque audace à retenir un texte qui ne le concerne pas directement puisqu'il s'agit des élections à l'Assemblées nationale ».
M. Jean Delaneau. Il faut du culot !
M. Henri de Raincourt. M. Queyranne, ministre des relations avec le Parlement, a enfourché le même cheval.
Cette affirmation serait éventuellement crédible si, voilà quelques mois, la majorité à l'Assemblée nationale, pour la première fois, contrairement à toute tradition républicaine, ne s'était pas mêlée de modifier le mode de scrutin sénatorial contre la volonté de notre assemblée.
M. Jean-Claude Gaudin. Absolument !
M. Henri de Raincourt. Je rappelle que le Sénat, lui, avait respecté cette tradition républicaine en 1986, car, si mes souvenir sont exacts, pour ne pas se mêler de ce débat qui concernait le mode d'élection des députés, le Sénat avait adopté une motion de procédure, de façon qu'il n'y ait pas de débat sur le fond.
M. Jean Chérioux. C'est vrai !
M. Henri de Raincourt. La courtoisie et la tradition républicaines, de quel côté sont-elles ? Nous le savons. En tout cas, elles s'émoussent et, au-delà du respect que je dois au président de l'Assemblée nationale et au ministre des relations avec le Parlement, je dirai que des motifs de ce genre leur enlèvent tout crédit pour nous inciter à ne pas nous mêler d'un sujet qui, à l'évidence, concerne moins la durée du mandat des députés que l'élection du Président de la République.
Examinons à présent les arguments brandis par l'un des protagonistes de cette affaire, je veux parler de M. Rocard,...
M. Jean-Claude Gaudin. Ah !
M. Henri de Raincourt. ... qui, dans le cadre de l'amicale des anciens Premiers ministres...
M. Josselin de Rohan. Et candidat à l'élection présidentielle ?
M. Henri de Raincourt. ... s'est prononcé en faveur de l'inversion du calendrier électoral de 2002.
« Imaginons, dit M. Rocard, que soit maintenu l'agenda. Au soir des législatives, il est possible que le chef du camp battu se retire de la compétition présidentielle. Son camp disposera de deux semaines au mieux pour choisir un nouveau candidat. Les nouveaux députés, qui ne se seront pas encore réunis, n'auraient que peu de jours pour lui apporter leur parrainage et, vraisemblablement, quelques dizaines d'élus seront soumis aux vérifications de leur compte de campagne et donc de la validation de leurs parrainages. Mieux vaudrait-il alors demander aux députés sortants de fournir leur parrainage ? Mais ceux-là, conclut M. Rocard, n'auront plus de légitimité politique. »
Nous connaissons l'ingéniosité, l'agilité intellectuelle de M. Rocard.
M. Claude Domeizel. Et de M. Barre !
M. Henri de Raincourt. Nous connaissons aussi l'ingéniosité de l'ancien Premier ministre, lorsqu'il anticipe déjà la panique et la pagaille dans les rangs des députés du camp battu.
M. Jean-Claude Gaudin. Et avec quelle gourmandise !
M. Henri de Raincourt. J'admire également sa prévoyance des délais de vérification des comptes de campagne et de validation des parrainages. Il est vrai que, le 23 juillet dernier, le Conseil constitutionnel en a fait l'observation, sans toutefois en tirer les mêmes conclusions.
J'admire aussi son sens civique aigu, qui va jusqu'à dénier toute légitimité politique aux députés sortants. Alors, je voudrais, si cela est possible, le rassurer. (M. Jean-Claude Gaudin s'exclame.)
Le parrainage des députés du camp battu n'a pas grande importance. Tout le monde semble souhaiter un retour à la cohérence entre les deux têtes de l'exécutif. Il n'y aura de panique et de pagaille que si le parti socialiste et ceux qui le soutiennent sont battus. Dans le cas contraire, il n'y en aura pas.
M. Rocard clame que son intervention n'est pas partisane. Il en veut pour preuve le ralliement de personnalités non socialistes à la proposition d'inversion du calendrier. Pourtant, il doit prévoir qu'en cas de victoire de la droite les prétendus inconvénients disparaissent. Seul le renouvellement du Premier ministre sera, à ce moment-là, la priorité. Le candidat naturel à l'élection présidentielle serait tout naturellement celui dont le courage et la ténacité auront permis à la France de tenir et à la droite de redresser la tête.
M. Claude Estier. Ce n'est pas pour demain !
M. Henri de Raincourt. Cela approche : il n'y a plus que 2001, puis, c'est 2002. Je pense que nous allons y arriver, gentiment, calmement et sûrement.
Mais il y a une autre objection. Ici, je redonne la parole à M. Rocard : « Après l'élection législative, le président Chirac nommera un nouveau Premier ministre, pour une durée de deux mois et demi, ce qui veut dire qu'il n'aura le temps de rien faire. Tout cela signifie une paralysie générale de l'exécutif de la France. »
Là encore, j'indique que, si la droite remportait les élections, le Premier ministre désigné pourrait se mettre instantanément au travail.
Quoi qu'il en soit, l'élection du Président de la République après les législatives n'en ferait pas l'otage de l'Assemblée nationale. Il y a même des précédents dans notre Ve République : l'élection de Georges Pompidou, en 1969, après les législatives de 1968, et celle de Valéry Giscard d'Estaing, en 1974, après les législatives de 1973.
M. Jean-Claude Gaudin. On l'avait oublié !
M. Henri de Raincourt. Au total, M. Rocard ne se trompe pas sur toute la ligne.
M. Jean-Claude Gaudin. Cela lui arrive !
M. Henri de Raincourt. Il a décrit un scénario qui serait effectivement fâcheux pour ses amis politiques.
Une manière simple de faire de l'obstruction consisterait à débiter d'interminables phrases, remplies d'expressions redondantes et serties, pour faire bonne mesure, de mots choisis parmi les plus longs de la langue française. Parmi ces mots les plus longs, il en est un que nous avons tous appris. C'est un adverbe de vingt-cinq lettres bien connu : « anticonstitutionnellement ». Si l'on en juge par le nombre d'avis dirimants rendus par le Conseil constitutionnel ces dernières semaines, à propos de mesures adoptées par le Gouvernement et sa majorité, il faut avouer que l'adverbe n'est pas près de tomber en désuétude. (M. Simon Loueckhote s'esclaffe.)
Par une manoeuvre non convaincante, les partisans de l'inversion du calendrier électoral de 2002 tentent, en effet, de faire passer le respect du calendrier établi pour anticonstitutionnel ou, du moins, contraire à l'esprit des institutions.
Cela relève, à nos yeux, d'une campagne de désinformation. En effet, l'inversion des dates des élections présidentielle et législatives ferait, lit-on dans un grand quotidien assez proche de l'actuel gouvernement et de sa majorité, l'unanimité des « constitutionnalistes ».
M. Josselin de Rohan. Non !
M. Henri de Raincourt. C'est au point que, même dans une partie, heureusement minime, de l'opposition nationale, il s'est trouvé quelqu'un pour affirmer que l'on chercherait en vain « un seul professeur de droit » pour soutenir le contraire, c'est-à-dire pour soutenir qu'il convient de respecter le calendrier prévisionnel.
Mon ami Josselin de Rohan y a fait référence tout à l'heure, mais j'y insiste à mon tour, et j'en appelle à l'une des personnalités qui a été reçue ici, au Sénat, M. Louis Favoreu,...
M. Michel Charasse. Ah !
M. Henri de Raincourt. ... directeur de la Revue française de droit constitutionnel , et j'affirme qu'une consultation impartiale des spécialistes de droit constitutionnel montrerait que l'unanimité sur la question du calendrier électoral de 2002 est loin d'être réalisée.
Alors, revisitons avec M. Louis Favoreu quelques arguments qui sont avancés par les partisans de l'inversion, comme s'il s'agissait d'évidences scientifiques incontestables.
Premièrement, « l'inversion des calendriers serait commandée par le respect de la conception gaullienne selon laquelle l'élection présidentielle doit avoir le pas sur les élections législatives, afin de préserver la primauté du président de la République au sein des institutions ».
Je commence par déceler dans cet argument une confusion. En effet, la primauté institutionnelle ne se confond pas avec la primeur chronologique. En aucun cas cette confusion n'est légitime ni bénéfique. En aucun cas on ne peut affirmer qu'elle est conforme à l'esprit ou à la réalité de la Ve République.
J'observe que ce qu'on appelle l'esprit de la Ve République relève, au fond, plus du spiritisme que de la clairvoyance !
M. Jean Delaneau. Absolument !
M. Henri de Raincourt. On l'invoque pour faire tourner les tables de la loi constitutionnelle. On lui fait dire ce que l'on veut et l'on a, d'ailleurs, le même comportement à l'égard du général de Gaulle. Il est devenu une statue au pied de laquelle maints politologues ventriloques voudraient faire dire tout et n'importe quoi.
Au lieu d'invoquer les esprits et de faire parler les morts, regardons les faits.
Comme le rappelle M. Louis Favoreu, « en décembre 1958, l'élection du général de Gaulle à la présidence de la République a eu lieu après l'élection des députés ». On ne peut pas dire que ce calendrier ait compromis si peu que ce soit la primauté du Président de la République au sein des institutions.
M. Claude Estier. Ce n'était pas une élection au suffrage universel !
M. Henri de Raincourt. Bien sûr, mais cela n'enlève rien à l'argument : le général de Gaulle était tout de même Président de la République et, à ma connaissance, sa primauté dans le fonctionnement de nos institutions était assez nettement reconnue. Mais il est vrai qu'à l'époque vous étiez sur une autre ligne !
M. Guy Allouche. C'étaient les députés qui élisaient le Président de la République !
M. Jean-Claude Gaudin. Il avait été élu par un collège électoral de 70 000 Français, quand même !
M. Henri de Raincourt. Et même de plus de 70 000 Français !
Mais ce n'est pas tout. Les élections législatives de 1962, de 1967, de 1968, de 1973 et de 1978 ont eu lieu en dehors de toute préoccupation de calendrier.
M. Michel Charasse. Et celles de 1981 et de 1988 ?
M. Henri de Raincourt. J'y viens.
Il faut le reconnaître : ce sont les situations de cohabitation qui ont conduit à ces ajustements de calendrier. C'est le président Mitterrand qui a innové - ce serait, dit-on maintenant, l'application d'une conception prétendument gaullienne -...
M. Jean-Claude Gaudin. N'est-ce pas, monsieur Signé ?
M. Henri de Raincourt. ... en provoquant, par la dissolution, des élections législatives, comme il en avait le droit, après les deux présidentielles qui l'ont porté à la magistrature suprême en 1981 et en 1988. Je reconnais, d'ailleurs, que c'est le seul cas dans lequel nos collègues socialistes emportent la majorité à l'Assemblée nationale : dissolution en 1981, en 1988 et en 1997 !
Je comprends donc effectivement que l'application du calendrier normal vous fasse un peu frémir, chers collègues !
J'en tire trois remarques. Il me paraît difficile d'invoquer comme précédent « gaullien » la pratique d'un homme qui n'a cessé de combattre les institutions de la Ve République, et avec quelle virulence ! Le fait qu'il ait fini non seulement par s'accommoder de ces mêmes institutions mais par se glisser, et, je pense, avec une certaine satisfaction, dans toute la plénitude de ce que les institutions lui apportaient, ne le rend pas, en tout cas, à nos yeux, dépositaire de l'esprit de ces institutions. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
La Constitution n'appartient pas plus aux professeurs de droit qu'aux anciens Présidents de la République ou aux anciens Premiers ministres. Elle est le bien du peuple souverain et ce n'est pas une interprétation tendancieuse qui doit lui enlever ce bien. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Henri de Raincourt. C'était une première remarque.
J'emprunte la deuxième à M. Louis Favoreu.
M. Claude Estier. Décidément !
M. Henri de Raincourt. Quand on a de bons auteurs, pourquoi se priver d'y faire référence ? (Sourires.)
M. Claude Estier. Vous pourriez citer René Rémond, par exemple !
M. Henri de Raincourt. Non, parce que ce n'est pas la ligne sur laquelle je suis, ce n'est donc pas la peine ! (Rires.)
Mme Danièle Pourtaud. C'est une raison, effectivement. Vous en avez au moins trouvé un allant dans votre sens.
M. Henri de Raincourt. C'est une raison suffisante !
Voici donc la citation promise : « N'est-il pas étrange de voir certains de ceux pour qui l'instauration du quinquennat devait affaiblir l'institution présidentielle nous expliquer aujourd'hui que la primauté de celle-ci exige l'inversion des calendriers ? »
M. Jean-Claude Gaudin. Pourquoi ne pas citer Didier Maus ?
M. Henri de Raincourt. J'ajoute que cette question n'est pas une simple chicane.
Des choix politiques aussi graves qu'une modification du calendrier électoral doivent être soumis à une règle de cohérence. Autrement, ils seront jugés, comme c'est le cas aujourd'hui, comme étant de pure convenance. Encore s'agit-il d'une convenance partisane et égoïste, motivée par une question qui n'a rien d'institutionnel, mais qui est très pragmatique : « Dans quel cas de figure, se dit M. Lionel Jospin, ai-je le plus de chances d'être réélu Président de la République ? »
M. Claude Estier. Vous n'avez pas grande confiance dans votre électorat !
M. Michel Charasse. C'est mesquin !
M. Henri de Raincourt. C'est mesquin, mais c'est la réalité !
Je m'en expliquerai tout à l'heure, parce que j'ai de bons auteurs. (Sourires.)
Ma troisième remarque découle logiquement de la précédente. Si l'on retient comme principe implicite de « l'esprit des institutions » la priorité chronologique de l'élection présidentielle sur les élections législatives, que va-t-il s'ensuivre ?
Se posent toujours les problèmes du droit de dissolution pour le Président de la République, de sa démission ou de sa disparition. Cela signifie qu'il faudra à chaque fois voter une proposition de loi pour modifier le calendrier de façon à rétablir ce qui nous est présenté aujourd'hui comme fondamental pour la bonne santé de nos institutions.
Mes chers collègues, je suis tout à fait d'accord avec un certain nombre d'entre vous, peut-être les plus nombreux, pour considérer que la cohabitation n'est pas forcément souhaitable ni le meilleur mode de fonctionnement. Mais, dans nos institutions, elle n'est pas interdite. Et le vote des Français ne peut être pris en otage. C'est aux responsables politiques de convaincre les Français qu'ils ont intérêt à restaurer l'unité de projet et d'action entre les deux têtes de l'exécutif. Nous ne pouvons pas nous permettre de forcer la main du peuple souverain - nous n'y parviendrons pas d'ailleurs - en l'obligeant à conformer son choix législatif à son choix présidentiel.
Contrairement à ce qu'on voudrait nous faire accroire, une telle manoeuvre est contraire à la pratique et à l'esprit de nos institutions. Le raccourcissement du mandat présidentiel ne change rien à l'affaire.
Que la durée des mandats ait été ramenée à une commune mesure ne doit pas contribuer à confondre les deux types de mandats. Au contraire, nous allons devoir apprendre à distinguer le Président de la République et le Premier ministre selon d'autres critères que la durée prévisionnelle de leur mandat respectif. Cela résulte de l'application du changement de la Constitution.
Les partisans de l'inversion des calendriers doivent s'expliquer clairement. Souhaitent-ils le retour à un régime d'assemblée ? Qu'ils proposent alors l'abrogation du pouvoir de dissolution présidentiel. Souhaitent-ils conserver la primauté de l'exécutif présidentiel ? Qu'ils ne fassent pas dépendre cette primauté d'une simple priorité chronologique. On ne peut jouer sur les deux tableaux.
On a crié au bonapartisme, au régime présidentiel pour abroger le septennat. Maintenant, j'entends crier au parlementarisme pour exiger la priorité calendaire de l'élection du président sur celle de l'Assemblée. On ne s'étonnera pas que je considère qu'il s'agit là d'opportunisme et d'électoralisme.
Le 19 décembre dernier, monsieur le ministre, vous avez soutenu que la proposition de loi prorogeant la durée du mandat de l'Assemblée nationale « poursuivait indéniablement un objectif d'intérêt général ». Lequel ? Selon vous, il s'agit « de faciliter l'organisation matérielle de l'élection présidentielle, dont la procédure de parrainage serait gênée par la proche antériorité des élections législatives ». On en revient à l'argument avancé par M. Rocard. Il est vrai que dans la bouche auguste du ministre de l'intérieur, à qui incombe entre autres charges importantes, l'organisation matérielle de l'élection, il révèle - cela ne surprendra personne quand on connaît le titulaire de la fonction - une conscience professionnelle digne d'éloges !
M. Adrien Gouteyron. Beau compliment !
M. Henri de Raincourt. Ce qui est moins remarquable, c'est que l'on mette sur le même plan une contrainte matérielle et l'intérêt général.
J'en appelle à la franchise de M. Emmanuelli qui ne nous suprendra d'ailleurs pas non plus. Il a eu l'honnêteté intellectuelle de déclarer, le 27 novembre dernier : « Personne n'est dupe, cela fait des mois que tout le monde sait que ce calendrier tel qu'il existe aujourd'hui n'est pas vraiment favorable au candidat de la gauche ».
C'est aussi le jugement de M. Fabius : « Lionel Jospin aura deux haies à franchir. »
M. Jean-Claude Gaudin. Même plusieurs !
M. Henri de Raincourt. « S'il perd les législatives, la présidentielle aussi sera perdue. »
Alors, restons-en là, comme l'a dit, dans sa déclaration du 19 octobre 2000, le Premier ministre lorsque, à l'époque, il condamnait l'inversion du calendrier électoral. Je cite à nouveau ses propos : « Toute initiative de ma part serait interprétée de façon étroitement politique, voire politicienne. »
M. Jean-Claude Gaudin. Jamais !
M. Henri de Raincourt. « Moi, j'en resterai là. »
M. Henri de Richemont. Une girouette !
M. Henri de Raincourt. A l'inverse, je ne peux en appeler à la franchise de Mme Guigou, à l'époque garde des sceaux.
M. Jean-Claude Gaudin. Ce n'est pas possible !
M. Henri de Raincourt. Lors du débat sur le quinquennat, elle a dit « qu'il ne fallait pas changer les règles du jeu juste avant l'élection, car chaque fois que cela se produit, on peut être accusé de vouloir trafiquer. Il vaut mieux que la présidentielle ait lieu avant les législatives. Il faudra de toute façon, après 2002, revenir à un calendrier plus normal, le quinquennat nous y invitera ». Sur ce point, la discussion est ouverte après 2002.
Un tel engagement dans la bouche de personnes aussi éminentes montre au fond une forme de mépris et de cynisme absolu envers le Parlement et envers les représentants du peuple français. (Exclamations sur les travées socialistes. - Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Hilaire Flandre. C'est vrai !
M. Adrien Gouteyron. C'est tout à fait vrai !
M. Henri de Richemont. Très bien !
M. Henri de Raincourt. Mais oui, c'est vrai ! Nous pouvons vous expliquer. On dira peut-être que les sénateurs Républicains et Indépendants, en refusant de voter cette proposition de loi, mènent un combat d'arrière-garde...
M. Claude Estier. Eh oui !
M. Henri de Raincourt. ... et se livrent à des manoeuvres de retardement. J'observe quand même que, en fait de prolongation, ce sont bien les socialistes...
M. Jean-Claude Gaudin. Encore !
M. Henri de Raincourt. ... qui jouent les prolongations en demandant l'allongement de la durée des mandats des députés à des fins partisanes...
M. René-Pierre Signé. Vous vouliez les raccourcir ?
M. le président. Monsieur Signé, je vous en prie !
M. Henri de Raincourt. ... comme l'a reconnu avec beaucoup de franchise M. Cohn-Bendit. (Exclamations sur les travées socialistes.)
Cela vous ennuie ? Je ne vais pas vous indisposer longtemps. La citation est brève : « ... il faut inverser le calendrier. C'est l'intérêt de M. Jospin. Il faut être franc en politique ». (Murmures sur les travées socialistes.)
Dès lors, on voit bien où est la franchise et l'on voit bien que ce que l'on nous présente au titre de l'intérêt général ne sert en fait que l'intérêt d'un candidat, ce qui, selon moi, ne fait honneur ni à la lettre ni à l'esprit de ceux qui jouent avec les institutions. (M. René-Pierre Signé proteste.)
M. le président. Ne vous laissez pas interrompre, monsieur de Raincourt !
M. Henri de Raincourt. Cela ne me dérange pas, monsieur le président, surtout quand il s'agit d'un éminent collègue bourguignon !
C'est par respect envers le corps électoral tout entier, par respect de la dignité des fonctions parlementaires et par respect de la spécificité du mandat présidentiel que nous nous opposerons à la proposition de loi organique visant à inverser le calendrier électoral de 2002.
Cette inversion constitue, à nos yeux, une perversion de la vie démocratique.
M. Jean-Claude Gaudin. Bravo !
M. Henri de Raincourt. Je voudrais, à ce point de mon propos, dire combien notre collègue et ami Christian Bonnet, à travers tant le travail accompli au sein de la commission...
M. Jean-Claude Gaudin. Excellent !
M. Henri de Raincourt. ... et le rapport que dans l'intervention qu'il a faite devant notre assemblée, a été en tout point remarquable, merveilleux, magnifique ! (Vifs applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, et du RPR.) Nous pouvons être légitimement fiers d'avoir parmi nous un membre aussi éminent qui a su, je l'ai vu sur certains visages, mettre en difficulté bon nombre de nos collègues !
M. René-Pierre Signé. Et Giscard ?
M. Henri de Raincourt. Ce n'est pas la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale qu'il faut modifier. Les Français ont déjà donné toutes les étrennes en échange de calendriers. (Sourires.) Ils ont droit au respect, sans arrière-pensée, du calendrier électoral, qui leur permet d'exprimer leurs préférences en matière de projet de société. Aux Français de choisir ce qui leur semble cohérent !
Vous l'avez deviné, mais je le redis pour que ce soit bien clair : les sénateurs de mon groupe voteront pour les conclusions de la commission des lois et pour les propositions de M. Christian Bonnet, c'est-à-dire qu'ils sont délibérément et définitivement opposés à l'orientation de cette proposition de loi organique telle qu'elle est aujourd'hui débattue au Sénat, parce qu'ils sont favorables au maintien d'un calendrier vraiment républicain et indépendant ! (Applaudissements sur les travées du RPR, ainsi que sur plusieurs travées des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Badinter. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Robert Badinter. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je regardais, avant de monter à la tribune, la liste des orateurs inscrits dans la discussion générale pour en faire le décompte et, constatant qu'il y en avait encore vingt-quatre après moi, je ne pouvais m'empêcher de me rappeler le propos d'un grand orateur républicain : il y a, à coup sûr, un vaincu dans les marathons oratoires, c'est le public ! (Sourires.)
L'exercice étant ce qu'il est, et prêt à y prendre ma part, je commencerai par un rappel.
Lorsque j'ai eu l'honneur, le 29 janvier 2000, au nom du groupe socialiste, de soutenir, devant la Haute Assemblée, le projet de la loi de révision constitutionnelle réduisant à cinq ans la durée du mandat présidentiel, j'avais déclaré que cette réforme, assurément souhaitable, appelait, pour ne pas compromettre l'équilibre de nos institutions, un aménagement du calendrier des élections de 2002.
Je n'étais pas le premier à avoir publiquement pris cette position. M. Bayrou avait en effet déjà demandé un changement de dates des élections législatives...
Un sénateur de l'Union centriste. C'est exact.
M. Robert Badinter. ... pour qu'elles suivent, et non précèdent, l'élection présidentielle. Je ne devais pas non plus être le dernier, tant s'en faut. Des personnalités éminentes, le président Valéry Giscard d'Estaing, les premiers ministres Raymond Barre et Michel Rocard, dès l'automne, se prononçaient à leur tour, avec l'autorité que leur conféraient leurs anciennes fonctions, en faveur d'un report des élections législatives après l'élection présidentielle. D'autres intervenants de qualité, notamment M. Hervé de Charette, ont soutenu le même point de vue.
Tous, d'ailleurs, ont souligné que le calendrier actuel était le fruit d'événements fortuits et non d'une réflexion et d'une décision politique. La date de l'élection présidentielle résulte, on le sait, d'un événement tragique, le décès du président Pompidou, le 2 avril 1974. Chacun reconnaîtra que cet événement malheureux ne peut fonder l'ordre des élections dans la République.
Je le disais devant vous, en juin dernier : que serait-il advenu, si le président Pompidou était mort le 2 juillet ? La campagne présidentielle aurait-elle été amenée à se dérouler pendant les vacances et les Français conviés à élire le Président de la République au coeur du mois d'août ?
La réduction à cinq ans du mandat du Président de la République aurait pu être l'occasion de réfléchir à ce problème et de remédier à une telle éventualité. Mais la révision a été limitée au quinquennat « sec ».
Quant à l'autre terme du calendrier, celui des élections législatives, il résulte, chacun le sait, d'une décision politique parfaitement constitutionnelle du Président de la République : la dissolution de l'Assemble nationale, au printemps 1997, dont le mandat expirait en avril 1998.
Ce sont donc deux événements que l'on est forcé d'appeler « contingents » qui ont fait que, si on laissait les choses en l'état, les citoyennes et les citoyens français seraient appelés à élire leurs députés immédiatement avant de choisir leur Président de la République.
C'est au regard de cette situation singulière que, saisie de six propositions de lois d'origines politiques diverses, quatre émanant de membres de la majorité, deux de membres de l'opposition, l' Assemblée nationale a voté le texte de la proposition de loi organique modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
Ce texte reprend les termes de trois propositions rédigées en termes identiques émanant de M. Raymond Barre, de M. Gérard Gouzes et de M. Jean-Marc Ayrault. Le texte est bref, il comporte deux articles modifiant l'article LO 121 du code électoral : le premier fixe au 15 juin de la cinquième année qui suit l'élection la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale ; le second prévoit l'application de cette disposition à l'Assemblée nationale élue en juin 1997.
La discussion de la proposition de loi organique dont nous sommes aujourd'hui saisis appelle ainsi deux ordres de questions.
Le premier est purement juridique : le texte qui nous est soumis est-il conforme à la Constitution ? Je rappelle que nous sommes en présence d'une proposition de loi organique, qui, par conséquent, se trouvera nécessairement soumise à l'appréciation du Conseil constitutionnel.
Le second est d'ordre moins politique qu'institutionnel : l'aménagement du calendrier des élections ainsi voté favorise-t-il un meilleur fonctionnement de nos institutions ? En préalable à ces deux ordres de questions, l'un constitutionnel, l'autre institutionnel, je voudrais évacuer tout de suite de mes explications un point qui me paraît nourrir des discussions vaines : celui de l'éventuel avantage électoral du choix du calendrier.
M. de Charette disait avec raison que les arrière-pensées politiques sont rarement absentes des réformes institutionnelles.
S'agissant en particulier des modalités électorales, toute l'histoire politique montre que chaque partie, chaque candidat suppute inévitablement ses meilleures chances de l'emporter selon la règle adoptée. Mais l'expérience nous apprend que ces estimations, ces calculs sont très souvent démentis par le suffrage universel. Ce sont les électeurs et non pas les sondages ou les stratégies qui sont les maîtres de la décision. S'agissant en particulier de l'élection du Président de la République, bien illusoire serait aujourd'hui toute prévision sur le résultat, à quinze mois du scrutin.
M. Jean-Claude Gaudin. C'est vrai !
M. Robert Badinter. Je n'ai pas besoin de rappeler qu'ont été annoncés successivement comme vainqueurs probables : en 1974, M. Chaban-Delmas ; en 1981, M. Giscard d'Estaing ; à l'automne 1986, M. Chirac ; en 1995, M. Balladur. On connaît la suite et le résultat des élections. A cet égard au moins, les électeurs paraissent constants !
Ne nous livrons donc pas à ce petit jeu, sauf comme thème de divertissement de politique virtuelle car, comme le dit très bien M. Raymond Barre dans l'exposé des motifs de sa proposition de loi organique : « Personne ne peut raisonnablement dire aujourd'hui si un calendrier avantagerait un candidat et moins encore lequel. Ceux qui afficheraient des certitudes ne seraient pas les plus pénétrants, seulement les plus présomptueux. » N'apprécions donc la réforme qui nous est soumise qu'au regard de ses mérites institutionnels.
Venons-en à la question de la conformité à la Constitution de la proposition de loi organique votée par l'Assemblée nationale.
Je formulerai tout d'abord une observation générale : les modifications de calendrier électoral et, par voie de conséquence, celles des mandats sont une pratique fréquente dans l'histoire de la République. S'agissant notamment du mandat des conseillers généraux, de 1880 à 1987, l'on compte seize changements de calendrier entraînant huit prolongations et huit réductions de mandat.
Il se trouve que, depuis 1987, le Conseil constitutionnel a été amené à se prononcer sur plusieurs textes modifiant les calendriers d'élection. Ces différentes saisines lui ont donné l'occasion de définir d'une façon très précise les principes qui doivent régir ces modifications.
Je laisse de côté la décision de 1987 parce qu'elle n'est pas topique. En effet, à l'époque, le législateur avait voulu, en raison de la proximité de l'élection du Président de la République, porter de trois à six mois le délai dans lequel il devait être procédé à une élection cantonale partielle en cas de vacance d'un siège, sans préciser ni les limites ni les conditions d'application de la mesure.
Le Conseil constitutionnel l'a censurée - je cite le considérant - « parce que le législateur était resté en deçà de sa compétence et avait méconnu la Constitution ». On ne peut donc tirer aucun enseignement d'une décision qui est purement d'espèce.
Ce n'est pas le cas des décisions qui ont été prises à propos de modifications du calendrier intervenues entre 1990 et 1997. Ces décisions ont d'autant plus d'importance qu'elle ont été déférées par des oppositions successives, puisque l'alternance a joué en 1993.
Ce sont donc des modifications émanant de majorités successives qui ont été soumises au Conseil constitutionnel par des minorités politiques différentes.
Pendant cette période, le Conseil a veillé à ce que les mêmes principes soient scrupuleusement appliqués aux saisines présentées afin que, comme il convient, se constitue un corpus et que le législateur soit utilement guidé. C'est ainsi qu'il en doit aller.
La première décision est celle du 6 décembre 1990. Le législateur à l'époque, avec une majorité de gauche, avait entendu assurer une concordance entre le renouvellement, jusque-là partiel, des conseils généraux et le renouvellement intégral des conseils régionaux.
La justification avancée par le législateur était la lutte contre l'abstentionnisme électoral.
Les parlementaires requérants, au nombre desquels figuraient un certain nombre d'entre vous, ont contesté le bien-fondé de l'utilisation du regroupement comme technique de lutte contre l'abstention.
Le Conseil, dans sa décision du 6 décembre 1990, a posé un principe essentiel : il a rejeté le moyen en refusant de contrôler ce qu'il considérait comme relevant du pouvoir exclusif du Parlement, hors le cas de l'erreur manifeste. C'est là une disposition essentielle s'agissant du contrôle de constitutionnalité. Ce rejet du moyen fondé sur la reconnaissance de la souveraineté d'appréciation du Parlement découlait directement d'une jurisprudence, que je considère comme fondamentale, du Conseil constitutionnel et qui trouve son origine dans les grandes décisions du 15 janvier 1975 concernant la loi sur l'interruption volontaire de grossesse, du 20 janvier 1981 concernant la loi « sécurité et liberté », du 25 juillet 1984 concernant la loi sur l'audiovisuel et du 15 novembre 1986 relative au découpage électoral. Cette jurisprudence a encore été rappelée très récemment dans les décisions du 14 janvier 1999 et du 27 juillet 2000 relatives à la liberté de communication.
Voici le considérant sur lequel, depuis 1975, le Conseil constitutionnel fonde ses limites : « La Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation identique à celui du Parlement. Il ne lui appartient donc pas de rechercher si l'objectif que s'est assigné le législateur n'aurait pu être atteint par d'autres voies ». Par ce considérant essentiel, toujours repris depuis 1975, le Conseil constitutionnel a marqué sa volonté de laisser le champ libre au législateur pour que celui-ci use souverainement de son pouvoir de décision pour atteindre les objectifs qu'il s'est fixés.
Bien entendu, ces objectifs doivent s'inscrire dans le champs de la compétence constitutionnelle du législateur. S'ils sortent de cette compétence, la question ne se pose même pas. Bien entendu, la procédure suivie par les assemblées doit être conforme à la Constitution, cela va de soi.
Mais, je le répète, le Conseil n'a pas un pouvoir général d'appréciation identique à celui du Parlement. Cette barrière, que le Conseil s'est lui-même fixée depuis 1975, ce que l'on appellerait aux Etats-Unis, à la Cour suprême, le self restraint , marque sa volonté de ne pas empiéter sur le pouvoir souverain du Parlement, de ne pas substituer à l'appréciation du législateur sa propre appréciation. Aller plus loin, contrôler aussi bien les motifs du législateur que l'objet de la loi et apprécier l'efficacité des moyens retenus par le législateur pour atteindre son objectif serait franchir la ligne jaune qui sépare le contrôle de constitutionnalité du gouvernement des juges. Cela, le Conseil n'a jamais voulu le faire, quelle que soit sa composition, parce qu'il sait précisément qu'il ne saurait disposer d'un pouvoir identique à celui du Parlement.
S'agissant des dispositions transitoires de la loi de 1990, qui modifiaient les dates de renouvellement des conseillers généraux, le Conseil constitutionnel a donc admis leur conformité à la Constitution en considérant que « les choix ainsi effectués par le législateur - c'est le législateur qui est souverain et c'est lui qui fait les choix - s'inscrivent dans le cadre d'une réforme dont la finalité n'est contraire à aucun principe non plus qu'à aucune règle de valeur constitutionnelle. » Le Parlement est absolument maître de fixer ses objectifs et est maître de ses choix. « Les modalités - il s'agit bien du contrôle des modalités - définies par les articles 1er et 10 de la loi pour permettre la mise en oeuvre de cette réforme revêtent un caractère exceptionnel et transitoire ». Il s'agit bien de dispositions ayant « un caractère exceptionnel et transitoire ». Ces adjectifs seront repris, comme l'a rappelé notre excellent rapporteur.
Les principes étaient ainsi fixés. Le Conseil constitutionnel a eu l'occasion de les appliquer à l'autre « équation » en 1994 - un changement de majorité politique étant intervenu en 1993 - dans sa décision du 15 janvier rendue à propos de la loi votée par la nouvelle majorité - de droite, cette fois-ci - revenant sur la loi de 1990 et rétablissant le renouvellement triennal par moitié des conseils généraux. Le Conseil constitutionnel avait évidemment alors été saisi, selon l'habituel quadrille des lanciers, par des parlementaires de gauche, désormais dans l'opposition. Ceux-ci contestaient la constitutionnalité de l'allongement de six à sept ans de la durée du mandat des conseillers généraux à élire en 1994 Le Conseil constitutionnel rejeta la demande des saisissants de gauche, comme il l'avait fait en 1990, au nom des mêmes principes. Dans son condidérant n° 8, il indiquait notamment que « les modalités particulières relatives au mandat des conseil généraux à élire en 1994 revêtent un caractère exceptionnel et transitoire s'insérant dans le cadre du dispositif d'ensemble adopté par le législateur ».
Les mêmes principes étaient à nouveau rappelés, en juillet 1994, aux députés et sénateurs socialistes alléguant l'inconstitutionnalité de la prorogation de trois mois du mandat des conseillers municipaux, décidée pour éviter, expliquait la majorité de droite, des difficultés de mise en oeuvre de l'organisation de l'élection présidentielle, les parlementaires de l'opposition soutenant, quant à eux, que cette mesure visait en réalité un objectif autre que celui qui était affiché.
Le 6 juillet 1994, le Conseil constitutionnel a rejeté la demande émanant des parlementaires de gauche en déclarant que le régime électoral des assemblées municipales, notamment la durée du mandat, relève du pouvoir du législateur et qu'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de dire si les objectifs recherchés par le législateur auraient pu être atteints par d'autres voies. S'agissant de la prorogation, le Conseil précisait, dans la même décision : « Celle-ci a été limitée à trois mois et revêt un caractère exceptionnel... Le choix opéré par le législateur n'est manifestement pas inapproprié aux objectifs qu'il s'est fixé ».
Enfin, le 6 février 1996, la droite étant majoritaire à l'Assemblée nationale, le Conseil constitutionnel déclarait conforme à la Constitution une loi organique votée par le Parlement sur la proposition de loi déposée par M. Mazeaud, alors président de la commission des lois à l'Assemblée nationale, proposition qui avait pour objet le report du mois de mars au mois de juin 1996 du renouvellement des membres de l'Assemblée territoriale de la Polynésie française. Le Conseil constitutionnel énonçait, à l'appui de sa décision, que « la prorogation du mandat des membres en fonctions a été limitée à deux mois et revêt un caractère exceptionnel et transitoire, qu'elle n'est pas, manifestement, inappropriée aux objectifs fixés par le législateur ».
Ainsi, à quatre reprises en six ans, s'agissant de la fixation d'élections et de la prorogation de mandats, quelle que soit la majorité qui avait adopté le texte et quelle que soit l'opposition qui le saisissait, le Conseil constitutionnel a adopté la même solution en se fondant sur les mêmes principes. Comment, dès lors, ne pas parler à cet égard de jurisprudence constante ?
A partir de là, il suffit de confronter ces principes à la proposition de loi organique adoptée par l'Assemblée nationale pour apprécier la conformité de celle-ci à la Constitution.
S'agissant d'abord de l'article 1er, le changement de la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale du premier mardi d'avril au troisième mardi de juin de la cinquième année suivant son élection, est évidemment conforme à la Constitution. Je dirai même : pourquoi en discuter ?
Le législateur a, en effet, reçu compétence, à l'article 25 de la Constitution, pour fixer, par la loi organique, la durée des pouvoirs de chaque assemblée parlementaire.
C'est bien de cela qu'il s'agit : on modifie le terme des pouvoirs d'une assemblée parlementaire. Cela ne soulève aucune difficulté d'ordre constitutionnel puisque c'est la Constitution elle-même qui confère ce pouvoir au législateur.
Je reprendrai simplement la formule du considérant n° 10 de la décision du 6 décembre 1990 du Conseil constitutionnel : « Les choix ainsi effectués par le législateur s'inscrivent dans le cadre d'une réforme dont la finalité n'est contraire à aucun principe non plus qu'à aucune règle de valeur cosntitutionnelle ».
Quant à apprécier si les objectifs que s'est assigné le législateur auraient pu être atteints par d'autres voies, le Conseil constitutionnel, je le rappelle, s'y refuse dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas entachées d'erreur manifeste par rapport à ces objectifs.
Or comment pourrait-on, en l'espèce, envisager sérieusement la possibilité d'une erreur manifeste ? Il y aurait en effet presque irrévérence à le faire, s'agissant de propositions présentées et d'arguments avancés par des personnalités qui ont exercé les plus hautes charges de l'Etat.
En ce qui concerne l'article 2 de la proposiiton de loi organique, qui prévoit l'applicabilité du calendrier fixé dans l'article 1er à l'Assemblée nationale actuelle, ses dispositions satisfont également parfaitement aux conditions posées par le Conseil constitutionnel dans ses décisions successives.
De quoi s'agiti-il ? Pour réaliser l'objectif voulu par le législateur dès la prochaine élection, c'est-à-dire l'antériorité de l'élection présidentielle sur les législatives, choix qui relève du seul Parlement, le mandat de l'actuelle assemblée est prorogé de douze semaines. C'est là, je le souligne, un délai inférieur à ceux qui ont été acceptés par le Conseil constitutionnel à l'occasion d'autres prorogations. De surcroît, ce délai - j'insiste sur ce point - s'inscrit dans la durée des cinq ans qui est celle du mandat des députés.
Par conséquent, il n'y a pas non plus, à cet égard, la moindre difficulté d'ordre constitutionnel.
En outre, cette prorogation très limitée doit, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, être exceptionnelle et transitoire.
Exceptionnelle, elle l'est puisqu'elle ne vise que la seule Assemblée nationale élue en juin 1997.
Transitoire, elle l'est également puisque cette prorogation ne vaut que pour cette seule assemblée et que, par la suite, les pouvoirs de l'Assemblée nationale expireront régulièrement le troisième mardi de juin de la cinquième année suivant l'élection, conformément à l'article 1er.
Ainsi, toutes les conditions posées par le Conseil constitutionnel se révèlent satisfaites par la proposition de loi organique telle qu'elle a été votée par l'Assemblée nationale.
Après ce long préambule - c'est sans doute une nostalgie, réapparaissant du temps à autre, qui explique que j'aie eu la faiblesse de m'y appesantir - j'en viens à l'appréciation de l'opportunité de cette mesure au regard de nos institutions : est-il préférable, dans la Constitution de la Ve République, que l'élection présidentielle précède les législatives ou doit-on accepter l'ordre inverse, les législatives précédant immédiatement la présidentielle ?
Nous savons tous que l'ordre prévu des élections qui fait se succéder presque sans discontinuer législatives et présidentielles est issu non pas d'une pensée constitutionnelle du Parlement délibérant, mais d'événements fortuits. C'est un ordre qui n'a pas été voulu, qui n'a pas été discuté, qui n'a pas été choisi. C'est le fruit du hasard et non de la nécessité.
On dit qu'il faut s'y résigner parce que les électeurs ne supporteraient pas que l'on touche au calendrier électoral quinze mois avant les élections.
Mes chers collègues, ayons la lucidité - je n'ose pas dire : la modestie - de reconnaître que, plus d'un an avant les élections présidentielle et législatives, la question de savoir dans quel ordre les électeurs voteront, si elle mobilise la classe politique, les constitutionnalistes et les médias, n'intéresse guère nos concitoyens, c'est le moins que l'on puisse dire ! On comprend d'ailleurs que leur attention soit retenue par bien d'autres problèmes qui les concernent concrètement et immédiatement.
Et s'il ne fallait parler que de préoccupation électorale, l'heure, pour eux, est aujourd'hui aux élections municipales. Pour les présidentielles et les législatives, ils verront plus tard !
Je marque d'ailleurs que personne ne s'est aperçu à ce jour des conséquences qu'aura le calendrier électoral sur un autre calendrier qui a, lui, pour nos concitoyens, une importance immédiate : celui des vacances scolaires. A cet égard, tous ceux qui ont eu la curiosité de confronter le calendrier possible de l'élection présidentielle - d'ordre constitutionnel : personne d'autre que le constituant ne peut y toucher - et le calendrier adopté pour les vacances scolaires se rendent compte que, de quelque manière qu'on s'y prenne, il y aura inévitablement un moment où cette élection aura lieu pendant les vacances scolaires, ce qui n'est pas la conjoncture la plus heureuse.
A l'évidence, la question n'a pas encore intéressé les électeurs. Sinon, les parents n'auraient pas manqué de s'en émouvoir.
Dès lors, puisque, à ce stade, cela n'intéresse que nous, pourquoi ne pas s'en remettre à ce calendrier né du hasard et voir ce qui en résultera ?
Comme l'ont si bien montré le doyen Vedel, Guy Carcassonne et Olivier Duhamel, dans un des meilleurs articles - à mon avis - qui ait été écrit sur ce sujet, qui a donné lieu à une floraison abondante, il faut « voter la tête à l'endroit ».
Toute Constitution a une logique interne.
Un éminent juge de la Cour suprême des Etats-Unis - un homme en tous points remarquable - me disait cet été, alors que j'évoquais le caractère sacré que revêt la Constitution américaine pour le citoyen américain, me disait que, à ses yeux, celle-ci était plus modestement la « machine qui sert à conserver les Etats-Unis en marche ». Il n'avait pas prévu, alors, qu'elle aurait quelques ratés à l'automne ! Quoi qu'il en soit, il y a du vrai dans cette remarque.
Toute constitution, disais-je, a une logique interne. On peut décider de passer du régime parlementaire au régime présidentiel. On peut préférer un système semi-présidentiel, puisque c'est ainsi que le nôtre est communément qualifié dans la doctrine. Mais une chose est sûre : on doit respecter la logique du système parce que, à défaut, les institutions risquent de devenir boiteuses. On marchera, certes, mais en claudiquant. Epargnons-nous ce handicap, si nous le pouvons !
Or quelle est en France, depuis 1962, la logique de ces institutions ?
Je ne parle pas ici de l'esprit de la loi constitutionnelle : d'autres ont utilisé ce terme qui, chacun le sait, revêt chez les constitutionnalistes, depuis Montesquieu, un caractère très fort.
M. Arthuis l'a rappelé en termes simples et, je dois le dire, très éloquents, tous les analystes et tous les Français sont d'accord pour considérer que l'événement essentiel de la vie politique française depuis 1962, c'est l'élection du Président de la République au suffrage universel. C'est une vérité à laquelle nul ne peut refuser son acquiescement.
M. Michel Charasse. C'est ainsi !
M. Robert Badinter. A cette occasion, les Français ne choisissent pas seulement une personnalité, un homme ou une femme, ils adoptent aussi un projet dont le Président est porteur.
Si les élections législatives suivent immédiatement l'élection présidentielle, comme en 1981 et 1988, les Français n'étant pas schizophrènes éliront vraisemblablement une majorité de députés, absolue ou relative, qui se réclamera de ce même projet, qu'ils auront approuvé dans le cadre de l'élection présidentielle. Du coup, par la force des choses, se dégagera ainsi une majorité sans doute plurielle dans sa composition - très rarement monopartisane - mais présidentielle dans ses grandes orientations.
A partir de ce moment-là, le caractère absolu ou relatif de la majorité qui en est issue est une indication importante pour savoir ce qui, dans le choix du Président, allait plutôt à l'homme qu'à son projet. En tout état de cause, l'harmonie sera alors établie.
Bien évidemment, les électeurs étant les maîtres, on ne peut pas exclure qu'ils élisent un Président relevant d'une sensibilité et, aussitôt après, dans la foulée, une majorité parlementaire de l'autre sensibilité à l'Assemblée nationale. Ce n'est pas à exclure ! Mais cette hypothèse d'une volonté initiale de cohabitation - disons les choses telles qu'elles sont ! - paraît très peu vraisemblable.
Je ne pense pas seulement à cette quasi-continuité entre les deux élections, d'abord la présidentielle avec le choix du président et de son projet, puis les législatives, avec le choix de la majorité parlementaire évidemment conforme, dans ses grandes orientations, au projet que l'on vient d'adopter.
Je pense à une autre considération, indépendante de la précédente : la cohabitation ne naît pas par hasard. Elle procède toujours d'une sanction par les citoyens de la politique voulue par le Président et appliquée par sa majorité. La cohabitation traduit toujours un échec qui est, à cet instant, proclamé par les électeurs. Cela a été vrai en 1986, en 1993 et en 1997 !
Pour qu'une sanction intervienne, il faut que le président et la majorité aient déjà pu agir. On sanctionne une politique et ses résultats ! Ce n'est certainement pas le cas si les deux élections se succèdent immédiatement, faute, par définition, de résultats à apprécier.
A deux reprises, en 1981 et en 1988, on a offert aux Français la possibilité d'une cohabitation ab initio par la dissolution suivant l'élection présidentielle. Dans les deux cas, ils l'ont refusée. Il reste que, même si ces précédents étaient, par extraordinaire, infirmés, ces pronostics déjoués, l'ordre prévu par la proposition de loi organique serait encore préférable.
En effet, si, après avoir élu leur Président, les Français élisaient bizarrement une majorité opposée, ils choisiraient alors la cohabitation en toute connaissance de cause. En revanche, le même résultat, obtenu dans l'ordre inverse, prêterait à toutes sortes d'interprétations, d'explications, de justifications, de sorte qu'une période déjà très compliquée en elle-même commencerait sous le double signe de l'ambiguïté et de l'incertitude.
Je préfère donc poser la question au regard de la réduction à cinq ans du mandat présidentiel, c'est-à-dire du quinquennat.
Rappelons-nous que, dans l'esprit de ses promoteurs, cette révision, adoptée par voie de référendum, c'est-à-dire par le peuple - ce jour-là, certes singulièrement peu présent auprès des urnes - avait pour objectif principal de lui permettre de choisir le premier responsable de la République à des intervalles moins longs, plus conformes au rythme de notre temps et à la pratique des autres démocraties.
Mais ce que l'on voulait aussi, on l'a assez dit, c'est réduire le risque de cohabitation, qui est une pathologie de la Ve République, laquelle n'a pas été conçue pour s'installer dans cette cohabitation. Dans cette perspective, on a jugé bon de ramener à la même durée les mandats du Président de la République et de l'Assemblée nationale. Cette réforme a été adoptée avec une très large majorité.
Le législateur se doit d'être cohérent avec lui-même. Il faut donc bien que les deux élections aient lieu, sinon simultanément, comme cela se fait aux Etats-Unis, mais cela n'est pas conforme à la tradition française, tout au moins successivement. Ainsi, pour rétablir la logique de nos institutions, il faut faire élire d'abord le Président et, ensuite, l'Assemblée nationale.
Certains préfèrent l'ordre inverse, qui, en donnant la priorité aux élections législatives, assurerait une sorte de rééquilibrage et donnerait ainsi au Parlement un pouvoir plus fort.
C'est une erreur. Il faut absolument, je suis le premier à le dire, renforcer l'autonomie législative du Parlement et sa capacité d'initiative. Il faut reconsidérer certaines dispositions telles que l'article 49-3 de la Constitution.
Il faut que la fonction de contrôle de l'action du Gouvernement par le Parlement, si essentielle dans la démocratie contemporaine, soit mieux assurée par les assemblées et par les parlementaires. Il faut aussi que l'opposition soit appelée à participer à ce contrôle de l'action du Gouvernement dans des conditions plus démocratiques. Il faut enfin lui assurer à la fois un meilleur droit d'initiative et un plus juste partage des responsabilités au sein des commissions.
En bref, nous savons tous qu'il y a là des exigences, M. Arthuis les a également évoquées, pour parvenir à un meilleur équilibre entre un exécutif fort et stable et un Parlement efficace et puissant.
Mais le renforcement du Parlement ne découlera pas de la priorité de l'élection législative, j'oserais presque dire au contraire. Je reviens ici à ce qui me paraît avoir été un peu perdu de vue.
Le principal apport de la Constitution de 1958 a été la stabilité et la force de l'exécutif - que certains trouvent excessive - par rapport aux régimes antérieurs, si souvent dénoncés pour leur instabilité gouvernementale, cette République parlementaire qualifiée de République des partis.
Je vous mets en garde, mes chers collègues, car certains lient la capacité de l'exécutif à agir avec le régime présidentiel : à les en croire, l'exécutif serait encore plus fort avec un régime présidentiel. Et ils évoquent l'exemple américain.
C'est une erreur d'appréciation. Prenons précisément l'exemple américain : le pouvoir exécutif, le Président, jouit certes d'une stabilité indiscutable pour quatre ans - laissons l' impeachment de côté. Mais, quand on connaît bien le fonctionnement des institutions américaines, on s'aperçoit que la capacité réelle d'action du Président dépend, en réalité, de son harmonie politique ou au moins de son harmonie de vues avec le Congrès. Sinon, il est très sérieusement entravé dans son action. On aura l'occasion, je pense, de le vérifier dans les mois ou dans les années à venir, compte tenu de ce qui est advenu au cours des dernières élections aux Etats-Unis... Mais M. Clinton, président sortant, a déjà pu le vérifier largement au cours de ses deux mandats.
Il est donc inexact d'affirmer qu'un régime présidentiel est le garant d'un exécutif fort.
Il faut, pour s'en convaincre, regarder non plus de l'autre côté de l'Atlantique, mais de l'autre côté de la Manche, vers l'Angleterre, mère, comme chacun sait, du régime parlementaire. En Angleterre, cette terre d'élection du Parlement, le Premier ministre, parce qu'il dispose d'une majorité parlementaire, est absolument apte à conduire une action ferme et continue.
Une petite anecdote illustrera mon propos. Aux Bahamas, voilà un certain nombre d'années, le Président Kennedy et Harold MacMillan conféraient. Le Premier ministre anglais évoquait certaines dispositions concernant les armes atomiques qui devaient être modifiées. « Encore faut-il que le Parlement les vote », ajouta Kennedy. « Cela va de soi », répliqua MacMillan, et Kennedy de conclure : « Je croyais que c'était aux Etats-Unis qu'existait un régime présidentiel ! » (Sourires.)
Les choses étant ce qu'elles sont, la clé, dans les démocraties modernes, c'est l'harmonie nécessaire entre l'exécutif et le Parlement. Cette harmonie-là permet l'action de l'exécutif ; elle n'interdit ni le contrôle, ni l'initiative, ni le rôle du Parlement, pourvu, mes chers collègues, que les parlementaires aient le coeur de l'affirmer.
Cette harmonie nécessaire entre l'exécutif et le Parlement, la priorité de l'élection de l'Assemblée, loin de l'assurer, risque de la compromettre.
Je vous demande de vous référer à une expérience française, que certains d'entre vous ont bien connue. (M. le rapporteur sourit.) Souvenez-vous de ce qu'il est advenu dans les périodes où la majorité parlementaire élue avant le Président de la République appartenait au même camp politique que ce dernier.
Rappelez-vous ce que M. Barre rapportait à ce sujet. Son expérience est l'illustration de ce que je disais à propos de l'absence d'harmonie. Les difficultés qu'il a connues avec une partie de sa majorité ont sensiblement réduit, je n'irai pas jusqu'à dire altérer, la capacité d'action de son gouvernement et, bizarrement, celle de l'Assemblée nationale elle-même.
A un moindre degré, certes, la situation n'a pas été substantiellement différente en 1995. Dans les deux cas, la majorité parlementaire avait été élue avant le Président de la République. Leur sensibilité était cependant la même.
En France, la majorité parlementaire est généralement plurielle. Dans le cas où l'élection présidentielle précède de très peu l'élection législative, les candidats députés qui sollicitent les suffrages des électeurs se réclament inévitablement du Président de la République nouvellement élu et du programme que le pays vient de choisir. A cette logique, on ne peut se dérober. Ainsi, la majorité plurielle qui naît a pour dimension commune, a presque pour ciment, son adhésion aux grandes options du programme présidentiel que le pays vient de choisir. De ce fait, l'harmonie que j'évoquais tout à l'heure, qui est la condition même de l'action efficace et de l'exécutif et, dirais-je, du législatif, tout en conservant ses pouvoirs de contrôle, existe au départ entre l'exécutif et le législatif. Si d'aventure elle se rompt, si d'aventure il y a en effet rupture sur un sujet essentiel comme en 1962, chacun s'en souvient, à la censure succédera la dissolution, qui est d'ailleurs faite pour cela, rendue nécessaire par une crise grave. A partir de là, on veillera à rétablir l'harmonie nécessaire entre l'exécutif et l'Assemblée nationale.
En revanche, si on retient l'autre formule, les députés sont élus en premier. De qui tirent-ils leur légitimité ? Nécessairement, eux aussi, de leur appartenance à un parti politique et du programme qu'ils auront soutenu devant les électeurs. Les élections législatives, de par leur nature, - et ce n'est pas critiquable car cela n'a rien de péjoratif - sont toujours l'affaire des partis politiques.
M. Christian Bonnet, rapporteur. C'est une interprétation très personnelle !
M. Robert Badinter. Que le président élu après les députés soit issu de l'un des partis membres de la majorité ne constituera pas un élément de renforcement de la solidarité de cette majorité plurielle parlementaire. Je ne suis même pas sûr, au regard des expériences que j'évoquais tout à l'heure, que ce ne soit pas rapidement le contraire qui se produise.
Ajoutons aussi que le résultat des élections législatives déterminerait directement, dans ce cas, le choix des candidats à l'élection présidentielle. Je ne parle pas là des impossibilités de présentation de candidature et des difficultés que vous avez évoquées ; c'est autre chose.
Sérieusement, peut-on imaginer le chef du camp vaincu se portant candidat quelques semaines plus tard à l'élection présidentielle ? Les élections législatives constitueraient dans le calendrier tel qu'il est une sorte de premier tour ou d'éliminatoire de l'élection présidentielle ou, si l'on préfère, l'élection présidentielle serait le match revanche des élections législatives. A partir de là, voyez l'incohérence, pour ne pas dire plus, au regard de la logique de nos institutions, qui serait acceptée, non pas parce qu'on l'aurait pensée, car personne n'aurait jamais osé proposer une révision constitutionnelle pour instaurer ce système, mais parce qu'elle est issue d'événements fortuits.
Disons-le, et je conclurai sur ce point, on peut concevoir une autre Constitution. Très bien ! D'ailleurs, nous sommes de grands spécialistes en la matière. En effet, nous sommes les plus grands producteurs au monde de Constitutions, d'où l'éclat de l'école constitutionnelle française à l'étranger, soulignons-le. Nous en avons « consommé » pas moins de quatorze en deux siècles, ce qui constitue un record historique !
Mais aussi longtemps que la Constitution de la Ve République est notre loi fondamentale à tous - et, heureusement, une fois votée, c'est celle que le pays a choisie ; elle devient la loi fondamentale de tous - il est de l'intérêt général, au-delà de toutes les contingences politiques ou des considérations personnelles, de respecter la logique de cette Constitution.
Je l'exprimerai, si vous me le permettez, sous forme de trois propositions.
La première : l'élection présidentielle est, pour les Français, l'acte politique essentiel. Elles est première dans leur esprit, comme dans nos institutions, et je n'ai pas besoin de rappeler à cet égard que Michel Debré - vous avez fort bien fait de le citer - considérait le président comme la « clé de voûte » de nos institutions. C'est donc l'élection présidentielle, puisqu'elle est première dans l'esprit des Français et dans l'équilibre institutionnel, qui doit intervenir en premier pour que les Français, comme ils le souhaitent, choisissent la présidente ou le président qu'ils veulent ainsi que les grandes options du quinquennat qui s'ouvre.
Ma deuxième proposition est la suivante : l'harmonie - je ne le répéterai jamais assez - souhaitable au sein de l'exécutif et entre celui-ci et le législatif est mieux assurée - je n'ose pas dire garantie - si la majorité parlementaire repose sur les grands choix définis par le Président de la République lors de l'élection présidentielle. La solidarité de cette majorité, grâce à cette harmonie initiale, résistera mieux aux épreuves et aux tensions qui sont inévitables dans la vie politique.
Enfin, ma troisième proposition, qui s'adresse directement à vous, mes chers collègues, est la suivante : au Parlement et aux parlementaire de jouer ensuite, y compris au sein de la majorité, leur rôle d'inititative législative et de contrôle du Gouvernement.
Au regard de ces considérations, qu'il m'a chargé de vous exposer, le groupe socialiste votera, ce qui ne surprendra pas, la proposition de loi organique, parce qu'elle est claire, raisonnable et qu'elle correspond à la logique de nos institutions. (Applaudissements prolongés sur les travées socialistes.)
M. le président. Mon cher collègue, je vous fais aimablement observer que, aux termes du règlement de notre assemblée, en aucune circonstance un orateur ne peut intervenir plus de quarante-cinq minutes. J'ai été tolérant puisque je vous ai laissé parler pendant plus de cinquante-six minutes !
M. Robert Badinter. Merci !
M. le président. Je tenais à faire cette observation pour que si, d'aventure, quelqu'un souhaitait s'exprimer aussi longuement, il puisse bénéficier de la même indulgence.
M. René-Pierre Signé. C'est aussi une question de qualité !
M. le président. La parole est à M. Cabanel.
M. Guy-Pierre Cabanel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai été impressionné par le rapport présenté par notre collègue M. Christian Bonnet, au nom de la commission des lois, ainsi que par les propos de M. Robert Badinter, sur les difficultés qui persisteront s'agissant du calendrier qui résulterait de la proposition de loi organique telle qu'elle est issue des travaux de l'Assemblée nationale.
M. Christian Bonnet a brillamment illustré ses propos d'exemples historiques...
M. Serge Vinçon. C'est vrai !
M. Guy-Pierre Cabanel. ... et a très sérieusement argumenté son rapport au plus près des textes constitutionnels et des articles du code électoral concernant la désignation des députés. J'avoue que je suis ébranlé.
M. Josselin de Rohan. Ah !
M. Guy-Pierre Cabanel. En effet, la question dont le Sénat débat aujourd'hui peut paraître simple. Il s'agit d'inverser le calendrier électoral de 2002. Le mécanisme de ce processus repose sur le renvoi en juin des élections législatives, initialement prévues en mars, donc de les placer après l'élection présidentielle fixée au milieu du mois d'avril.
Pour cela, l'Assemblée nationale a adopté, le 20 décembre 2000, une proposition de loi organique prolongeant les pouvoirs des députés actuels jusqu'au troisième mardi de juin. Petit clin d'oeil à l'histoire, ce troisième mardi de juin, c'est le 18 juin 2002. (Murmures sur quelques travées du RPR.) Après 1918 et 1940, peut-être y a-t-il là un rendez-vous de l'histoire. En réalité, ce n'est pas dans le détail des jours ou dans les détails historiques qu'il faut juger cette proposition de loi organique. Le débat est important, car il touche à la conception même des institutions de la Ve République et peut avoir une influence sur la manière dont ces institutions sont appelées à évoluer.
La France connaîtra effectivement en 2002 une situation particulière, qui n'est pas forcément catastrophique au regard du déroulement des précédentes élections législatives et présidentielle, mais qui est tout de même hypothéquée par la conjonction d'événements aléatoires qui ont modifié la date de l'élection présidentielle et celle des élections législatives. La démission du général de Gaulle, le décès du président Pompidou et la dissolution de l'Assemblée nationale en 1997 font que les deux élections ont lieu la même année et que le choix du Président de la République suit la désignation des députés.
Est-il souhaitable d'échapper au hasard de ce calendrier ? Pourquoi y attacher une si grande importance ? Cette dernière question trouve en partie sa réponse dans l'adoption récente du quinquennat. Avec l'alignement de la durée du mandat présidentiel et celle du mandat législatif, la situation de 2002 est appelée à se reproduire tous les cinq ans, sauf aléas de la vie politique, comme ceux que nous avons déjà connus. La proposition de loi organique qui nous est présentée vise donc à placer les élections législatives après l'élection présidentielle et, si possible, d'une façon durable.
La mesure que nous examinons semble répondre à une certaine logique et à un souci de clarté pour nos concitoyens. Mais à la réflexion, en recherchant un éventuel argument cosntitutionnel en faveur d'un tel changement, on découvre un risque pour l'équilibre des institutions de la Ve République.
En effet, trois éléments caractérisent la Constitution de 1958, et l'élection du Président de la République au suffrage universel direct, décidée en 1962, ne les a pas modifiés.
Le premier de ces principes fondamentaux est le parlementarisme rationalisé ou parlementarisme encadré. C'est la réaction au régime d'assemblées débridé et impuissant de la IVe République. Aujourd'hui, le Parlement continue d'arbitrer les enjeux majeurs de l'élaboration des lois. Cependant, il a perdu l'initiative financière - article 40 - et, en partie, l'initiative législative, puisque l'ordre du jour prioritaire - article 48 - est le fait du Gouvernement. De plus, la procédure solennisée de la motion de censure ou sa forme simplifiée, à savoir l'article 49, alinéa 3, contribuent à la stabilité gouvernementale. A ce sujet, est parfois évoquée la possibilité de donner plus de pouvoirs au Parlement. Ce souhait peut se justifier dans le domaine du contrôle parlementaire sur le fonctionnement de l'exécutif et de son administration, mais je suis conduit à souligner ici que le risque serait grand de toucher imprudemment au parlementarisme rationalisé, qui est l'un des piliers, peut-être le principal, de l'efficacité de la Constitution de la Ve République. (M. Jean Faure applaudit.)
Le deuxième élément caractéristique de notre Constitution est au coeur de la discussion de ce jour : c'est la dyarchie exécutive formée par le Président de la République, élu par le peuple français, depuis 1962, et le Premier ministre, nommé par ce même président mais devant logiquement disposer d'une majorité à l'Assemblée nationale pour faciliter son action. Cette dyarchie complexe fait aussi l'originalité de la Ve République.
Dans le schéma constitutionnel, il n'y a pas de hiérarchie des pouvoirs entre le chef de l'Etat et le chef du Gouvernement. C'est ce que l'on essaie de nous expliquer à travers cette proposition de loi organique. Le premier, le chef de l'Etat, assure par son arbitrage le fonctionnement régulier et la continuité de l'Etat. Le second conduit l'action du gouvernement et assume l'initiative des projets de lois. La réforme électorale de 1962 et la pratique constitutionnelle, même en période de cohabitation, n'ont pas changé fondamentalement la lecture de la Constitution. L'esprit reste le même. Notre Constitution n'affirme nullement que le Président de la République a une prééminence sur le Parlement, même si les articles 15 et 16 et le droit de dissolution le placent en position de recours.
La faculté de dissolution de l'Assemblée nationale est en effet la troisième caractéristique de la Ve République. Il ne faut pas renoncer à cette disposition. C'est un moyen de clarifier les rapports au sein de la dyarchie exécutive et aussi de faire arbitrer par le peuple des situations politiques complexes. L'exemple de son emploi lors de la crise du printemps 1968 ne doit pas être oublié : alors même que le Président de la République proposait un référendum pour une réforme régionale, les manifestations se poursuivaient, et il a fallu la dissolution de l'Assemblée nationale, proposée d'ailleurs par Georges Pompidou, pour arriver à la solution logique du retour à une vie normale de notre pays.
La commission des lois du Sénat a voulu entendre l'avis d'éminents constitutionnalistes. Je citerai M. Louis Favoreu qui, à mon sens, a pleinement éclairci le débat en affirmant ceci : « Il n'est inscrit nulle part dans la Constitution que l'élection présidentielle doit avoir la primauté. » Sur ce point, je suis quelque peu gêné d'être en contradiction formelle avec M. Badinter, compte tenu de l'admiration que je lui porte, mais les propos de M. Favoreu me paraissent correspondre à la réalité.
Il est vrai que d'autres constitutionnalistes regrettent que le passage à un régime présidentiel n'ait pas été la conséquence du référendum du 28 octobre 1962. On aurait pu croire à cette évolution tant que le général de Gaulle était à l'Elysée. Mais les événements de 1968 ont prouvé que la dyarchie exécutive et le droit de dissolution avaient leur intérêt et pouvaient même suppléer une perte de popularité du Président de la République.
La proposition d'adaptation du calendrier électoral de 2002 m'a paru, dans un premier temps, séduisante. Mais, après réflexion, je pense qu'elle n'est qu'une mesure de circonstance fragile. Elle peut en effet être contrariée, voire annulée, par un événement politique imprévisible, tel qu'une dissolution de l'Assemblée nationale, le décès ou la démission d'un Président de la République. Son efficacité est donc douteuse. En revanche, elle présente pour notre pays le danger d'entrer dans un régime présidentiel sans que soit véritablement débattue au fond une décision d'une telle gravité. Un vote de circonstance sur un aménagement de calendrier serait évoqué dans l'avenir pour affirmer un nouveau principe à valeur d'interprétation constitutionnelle qui aurait alors un pouvoir d'hypothèque sur la Constitution.
A l'occasion du vote sur le quinquennat, j'avais appelé de mes voeux, de cette tribune, une vraie réflexion d'ensemble sur nos institutions. Or le président Valéry Giscard d'Estaing, l'un des initiateurs de la proposition de loi organique en discussion, a défini dans deux publications récentes le processus qui devrait permettre, selon lui, une adaptation de notre Constitution au quinquennat. C'est « la possibilité de conclure un pacte de modernisation de nos institutions associant le Président de la République, le Premier minsitre et le Parlement ». Cette méthode a permis au cours des dernières années plusieurs réformes constitutionnelles qui ne sont pas de caractère négligeable.
Il faut souligner que, pour Valéry Giscard d'Estaing, « la solution la plus séduisante et la plus conforme aux exigences de la modernité depuis l'adoption du quinquennat présidentiel serait en réalité de tenir les deux élections, c'est-à-dire celle du Président de la République et celle de l'Assemblée nationale, à la même échéance ». J'ajoute, pour ma part, qu'il faudrait définir les règles d'application générale de cette simultanéité ou de cette concomitance électorale pour éviter tout risque d'aléa ultérieur.
C'est donc un grand débat que Valéry Giscard d'Estaing appelle de ses voeux, tout en reconnaissant qu'une solution intermédiaire permettrait, pour l'heure, d'améliorer le calendrier de 2002.
La simultanéité ou la concomitance des deux élections est, à mon sens, la solution logique et, sans doute, la seule conforme à l'esprit de la Constitution de la Ve République. Les sages constituants de 1958 n'ont pas voulu trancher concernant la prééminence au sein de la dyarchie exécutive. Tel est le sens de ce que Michel Debré appelle « la double lecture » : lecture parlementaire ou lecture présidentielle. Alors, est-ce au hasard d'un texte de circonstance que nous allons porter atteinte à cette dyarchie qui présente un certain équilibre ?
Le risque serait grand, après l'adoption difficile du quinquennat, annoncé comme ne devant avoir aucune conséquence autre que la réduction du mandat présidentiel, de changer subrepticement de régime constitutionnel en adoptant une simple modification de calendrier électoral.
Le vote de la proposition de loi organique sur l'inversion du calendrier de 2002 consacrerait de facto le régime présidentiel. Cette décision donnerait au Président de la République, élu quelques semaines avant l'Assemblée nationale, la possibilité d'influencer le peuple français au moment du choix de ses députés.
La Ve République a ses défauts, certes, mais elle a montré aussi ses vertus. La mesure aujourd'hui proposée présente un danger pour l'équilibre de nos institutions. On ne peut prendre le risque de dénaturer l'esprit de notre Constitution par une loi de circonstance. Pour moi, l'affirmation d'une démocratie élective irréprochable exige la simultanéité ou la concomitance des deux élections.
Dès lors, j'estime la mesure adoptée le 20 décembre dernier par l'Assemblée nationale insuffisante et porteuse d'un risque potentiel. C'est pourquoi je ne voterai pas la proposition de loi organique telle qu'elle a été transmise au Sénat, me réservant de porter jugement lors de l'examen des articles sur les divers amendements déposés. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RDSE et du RPR.)
M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
(M. Jean Faure remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président
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