SEANCE DU 4 DECEMBRE 2000


Par amendement n° II-42, le Gouvernement propose d'augmenter ces crédits de 1 500 000 francs.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Les amendements que vous propose le Gouvernement visent à réformer la Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail, la CNITAAT. Ils sont inspirés par la nécessité, reconnue par tous, d'adapter notre ordre juridique à l'exigence du procès équitable. C'est une question importante qui peut se poser pour d'autres juridictions sociales spécialisées.
Nous avons en effet été récemment informés de l'imminence d'une décision de la Cour de cassation qui risque de priver les accidentés du travail, les invalides et les handicapés des possibilités de recours devant la justice auxquelles ils ont droit. Ces recours sont exercés devant un ordre de juridiction spécifique qui comprend une cour d'appel, la Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail. Or la Cour de cassation est susceptible de considérer que la CNITAAT est mal composée au regard des exigences de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Pour cette raison, toutes ses décisions seraient donc susceptibles d'être annulées.
De fait, la possibilité de rendre justice aux accidentés du travail et aux invalides contestant leur taux d'incapacité serait supprimée jusqu'à l'intervention du législateur pour recréer un ordre de juridiction en état de marche.
C'est justement cette préoccupation qui justifie les amendements du Gouvernement, lesquels sont naturellement motivés par l'intérêt des accidentés du travail.
Sur le fond, les modifications proposées visent à réformer la composition de la Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents de travail afin de la constituer en véritable juridiction. La présidence de la Cour et les présidences de formation de jugement, ainsi que les assesseurs seront désignés selon des modalités conformes à l'exigence d'indépendance requise pour l'exercice des fonctions de jugement. Sera notamment supprimée la présence des fonctionnaires.
Par ailleurs, la procédure devant la Cour sera réformée par voie réglementaire afin d'introduire les garanties du débat contradictoire.
Cette réforme nécessite bien évidemment des moyens nouveaux en vacations et en moyens de fonctionnement. Le coût de la réforme est évalué, en 2001, à 1,5 million de francs, dont 500 000 francs au titre des vacations et 1 million de francs pour le coût de fonctionnement de la Cour.
Nous examinons à l'instant l'article du projet de loi de finances pour 2001 dans lequel doit être prévue cette augmentation de crédits. En outre, un amendement tendant à insérer un article additionnel traitera du fond de la réforme.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jacques Oudin, rapporteur spécial. Je traiterai d'emblée le fond du problème que soulève le Gouvernement à travers ses amendements et je passerai sur les problèmes d'urgence et de droit que vous venez de rappeler, madame le ministre.
Vous nous proposez, par les amendements n°s II-42 et II-45 - l'un portant sur les crédits, l'autre sur le fond - une réforme de grande ampleur puisqu'il ne s'agit pas moins, vous venez de le dire, que de revoir la composition de la Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail.
La commission des finances, dans l'unique matinée qui lui a été laissée par le Gouvernement pour étudier ces amendements - en effet, ils n'ont été déposé qu'à la fin de la semaine dernière -, a remarqué que la réforme supprime les médecins siégant à la Cour, alors même que le Sénat, en 1994 - c'est notre collègue Claude Huriet qui avait rapporté le texte à l'époque -, avait réformé la Cour pour prévoir précisément leur présence.
Par ailleurs, il me semble que l'article additionnel que propose le Gouvernement, malgré l'amendement n° II-42 qui vise à majorer les crédits correspondants, est véritablement un cavalier budgétaire. En quoi cet amendement entre-t-il dans le champ de la loi de finances ?
Certes, vous voulez réformer dès maintenant le droit en vigueur pour éviter la censure de la Cour de cassation. Or, vous nous avez annoncé le prochain dépôt d'un projet de loi sur la modernisation sociale.
La réforme que vous proposez aujourd'hui y trouvera sans doute sa place naturelle, ce qui laissera à tout le monde, tant à la commission des affaires sociales qu'à la commission des finances, le temps d'en examiner les conséquences.
Telles sont mes observations quant au fond, le caractère de cavalier budgétaire étant un argument tout de même très fort pour nous opposer aux amendements n°s II-42 et II-45.
Sur la forme, je suis surpris par la procédure que vous utilisez. En effet, vous avez connu quelques déboires à l'Assemblée nationale à cet égard, mais vous persistez.
Je rappellerai l'historique de cette affaire : le 17 novembre dernier, l'Assemblée nationale a examiné les crédits de la santé et de la solidarité et le Gouvernement a déposé, au cours de la discussion, cet amendement, en suscitant, je cite, la « surprise » du rapporteur spécial, devant un tel amendement qui n'avait pu être soumis à la commission des finances ni examiné par la commission des affaires sociales. Ce rapporteur spécial a dénoncé « une méthode inacceptable » et, madame Gillot, vous aviez avoué que vous étiez vous-même « surprise par la survenue de ces amendements » et vous avez présenté « vos excuses pour le caractère tardif de ces amendements au regard des exigences d'un bon travail de la commission ». Puis, vous les aviez retirés.
La commission des finances du Sénat a examiné le budget de la santé et de la solidarité le 22 novembre, soit cinq jours plus tard, et nous en discutons aujourd'hui en séance publique, soit dix-sept jours après.
Nous aurions pu penser que ces amendements allaient nous être présentés dès la fin de l'examen du projet de loi de finances à l'Assemblée nationale, c'est-à-dire le 21 novembre, ou après le vote de la première partie du budget au Sénat, qui est intervenu mercredi dernier !
Si je me permets de faire ce rappel, madame le ministre, c'est pour vous dire que nous ne pensons pas que cette méthode de travail soit acceptable. Vous avez déjà été sermonnée par l'Assemblée nationale, comment voulez-vous que nous agissions autrement ? Comment voulez-vous que nous acceptions aujourd'hui cette méthode, après avoir exprimé nos réserves sur le fond, notamment sur le caractère de cavalier budgétaire de ces amendements ?
Cavalier budgétaire, traitement un peu cavalier du Parlement, ce sont les raisons pour lesquelles je vous propose, madame le ministre, de retirer vos amendements, n°s II-42 et II-45, faute de quoi je demanderai au Sénat de les repousser.
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je n'ai pas l'intention de retirer l'amendement n° II-42. Vous avez, monsieur Oudin, émis l'opinion que cet amendement serait un cavalier au regard de l'objet de la loi de finances. Je vous rappelle le caractère indissociable des amendements n°s II-42 et II-45, portant respectivement sur les articles 31 et 35. Nous proposons de renforcer les moyens de la CNITAAT pour faire face à ses obligations nouvelles. Cela forme un tout : les moyens budgétaires, la nouvelle composition de la Cour et les procédures.
Si je ne conteste pas que l'amendement dont nous discutons n'a été déposé qu'à la fin de semaine dernière et si je comprends fort bien que vous trouviez le délai trop bref entre le moment du dépôt et celui du débat en séance publique, je tiens à souligner que votre rapport, monsieur Oudin, fait mention de ce sujet, ce qui montre bien que la majorité sénatoriale avait connaissance de la difficulté créée par la prochaine décision de la Cour de cassation. Ce que nous cherchons, c'est à nous prémunir contre les conséquences d'un possible arrêt de la Cour de cassation qui aboutirait, en rendant nulles les décisions de la CNITAAT, à léser gravement les intérêts des accidentés du travail.
Je vous demande de mettre en balance ce qui est en jeu et - même si je les admets bien volontiers - les questions de forme qui amènent le Sénat à se prononcer de façon précipitée sur un amendement qui vous a été communiqué à la fin de la semaine dernière, certes, mais qui porte sur un sujet qui a déjà été abordé.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° II-42.
M. Claude Huriet. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Huriet.
M. Claude Huriet. Je remercie notre rapporteur spécial d'avoir rappelé la position que le Sénat avait adoptée en 1994.
Il est vrai, madame le ministre, qu'au cours de ces derniers jours ou de ces dernières semaines vous avez pu faire valoir un certain nombre d'arguments qu'il appartient, bien sûr, au Sénat d'apprécier.
L'histoire remonte à janvier 1994. En effet, à l'occasion de l'examen de la loi relative à la santé publique et à la protection sociale, deux propositions avaient été adoptées à l'Assemblée nationale puis au Sénat. L'une concernait la dénomination des instances contentieuses et l'autre la composition des tribunaux régionaux et de la Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail.
En tant que rapporteur, j'avais défendu et fait adopter par le Sénat la participation de médecins à un niveau de juridiction auquel ils n'avaient pas accès, à savoir la Cour nationale de l'incapacité. L'Assemblée nationale avait également adopté cette proposition. De ce fait, la composition de ces deux instances aurait dû être modifiée.
Or nous avons constaté qu'aucun texte d'application n'avait été publié avant le 2 juin 1999, c'est-à-dire cinq ans après l'adoption de la loi dans les conditions que je viens de rappeler. La seule modification introduite par un texte réglementaire concernait le changement de dénomination.
En tant que rapporteur de la loi de 1994, j'aurais toutes les raisons de m'opposer à l'amendement n° II-42 du Gouvernement, mais Mme le ministre a fait valoir à l'instant le risque de blocage des recours contentieux que tel ou tel justiciable pourrait intenter.
Néanmoins M. le rapporteur spécial a avancé deux autres arguments. Celui qui me paraît le plus fort est celui du risque d'inconstitutionnalité. Autrement dit, après ce raccourci historique, je me rallie à la position de M. le rapporteur spécial.
Je souhaite, madame le ministre, que le Gouvernement tienne compte de la volonté exprimée par le législateur en 1994. La Cour de cassation met en cause le risque de partialité de ces organismes du fait de la présence de fonctionnaires ; elle ne remet nullement en question la volonté du législateur !
Malgré les enjeux que vous avez fait valoir, madame le ministre, il ne me paraît pas possible, en tant que rapporteur du texte de 1994, d'aller au-delà aujourd'hui. J'espère que, dans les délais les plus courts possibles, à l'occasion peut-être de l'examen du projet de loi relatif à la modernisation sociale, on pourra répondre aux intérêts des justiciables ainsi qu'à la volonté du législateur de 1994.
M. Jean-Philippe Lachenaud. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Lachenaud.
M. Jean-Philippe Lachenaud. Les risques de contentieux sont-ils réels et immédiats ? Le report au projet de loi relatif aux dispositions d'ordre social et sanitaire présente-il un risque réel ? Nous n'avons pas obtenu de réponse sur ces deux questions ! Cela justifie mon abstention.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?
Je mets aux voix l'amendement n° II-42, repoussé par la commission.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Par amendement n° II-44, le Gouvernement propose de majorer ces crédits de 43 277 985 francs.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Le développement de l'ESB suscite une forte inquiétude, en France comme dans l'ensemble des pays de l'Union européenne. Nous avons eu l'occasion d'intervenir longuement sur ce sujet tout à l'heure.
Le principe de précaution a guidé les choix des différents gouvernements et, aujourd'hui encore, nous devons renforcer les moyens consacrés à la lutte contre le développement de l'ESB et la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.
J'ai déjà rappelé le plan qu'a annoncé M. le Premier ministre le 14 novembre dernier, je n'y reviendrai donc pas. Ce matin, vous avez adopté l'amendement gouvernemental qui prévoyait un renforcement pour la section « emplois » avec la création de trente postes, notamment d'inspecteurs du travail et de médecins.
Pour ce qui concerne la section « santé et solidarité », l'amendement qui vous est présenté vise à traduire, au titre de 2001, la création de quatre-vingt-cinq emplois de médecins, de pharmaciens et d'ingénieurs sanitaires, ainsi que le recrutement ou la mise à disposition de praticiens hospitaliers. Cet effort se prolongera en 2002 puisque le Premier ministre a souhaité qu'au total cent quarante-cinq emplois viennent renforcer les effectifs du ministère.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jacques Oudin, rapporteur spécial. Là encore, cet amendement a été déposé samedi. Nous sommes lundi. Les délais sont brefs.
Cet amendement tend à majorer de 43,3 millions de francs les crédits du titre III pour financer quatre-vingt-quinze emplois, soixante-cinq emplois pérennes et trente emplois contractuels afin de concrétiser les annonces de M. le Premier ministre sur le dispositif de lutte contre l'extension des risques de transmission de l'ESB.
Chacun est conscient de l'importance du sujet et des problèmes que vivent nos concitoyens. Les Français sont inquiets. Les risques sanitaires sont certainement importants. Nos agriculteurs, nos industriels, j'en parlais avec quelques collègues à l'instant, sont très soucieux pour leur avenir. Dans ces conditions, la commission s'en remettrait plutôt à la sagesse favorable du Sénat.
Toutefois, l'examen du détail comme du contexte global de la politique d'emploi sur laquelle se greffe cet amendement nous inquiète. Tout à l'heure, madame le ministre, vous avez tenté de nous rassurer en nous donnant des informations sur l'ensemble de la politique de résorption des mises à dispositions. Je rappelle toutefois que, dans les services déconcentrés, trois cent treize emplois sont mis à dispositions dans des conditions parfois critiquables, comme l'a souligné la Cour des comptes.
Avant de créer des nouveaux emplois, peut-être aurait-il fallu régulariser la situation !
Par ailleurs, pourquoi inscrire dans le budget de l'Etat soixante-cinq emplois pérennes alors qu'il s'agit d'une crise qui, nous l'espérons, est plutôt conjoncturelle ?
Ensuite, pourquoi cinquante emplois de contractuels hors catégorie rémunérés à l'échelle C ? Cela revient à créer pour les services déconcentrés l'équivalent de trente postes de directeurs d'administration, qui sont d'ailleurs davantage rémunérés que les directeurs régionaux des affaires sanitaires et sociales les mieux payés.
On peut s'interroger, enfin, sur le fait que cet amendement nous a été transmis vingt jours après la conférence de presse de M. le Premier ministre. Des mesures avaient-elles déjà été prises ? Sommes-nous maintenant au bout du compte en termes de créations d'emplois ?
Tout cela, comme pour l'amendement précédent, respire une certaine improvisation, que nous critiquons et que nous regrettons.
Compte tenu de l'importance des enjeux, notamment au regard de l'inquiétude de nos concitoyens, je m'en remets donc, je le confirme, à la sagesse du Sénat.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° II-44.
M. Claude Huriet. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Huriet.
M. Claude Huriet. Monsieur le président, pour les motifs qui viennent d'être évoqués à l'instant par M. le rapporteur spécial, je voterai cet amendement.
Madame le ministre, j'attire votre attention sur la pénurie - ancienne, d'ailleurs - en médecins inspecteurs et en pharmaciens inspecteurs. Je suis intervenu à de nombreuses reprises sur ce sujet en raison de l'accroissement des tâches qui leur sont confiées, mais aussi en raison de la diversité des sujets sur lesquels ils doivent désormais intervenir.
A cela s'ajoute, à l'évidence, une question qu'ils n'éludent pas, celle de leur formation.
Mais, ainsi que des pharmaciens inspecteurs de santé publique m'en ont informé, il y a aussi le problème de la revalorisation de leur statut qui n'est toujours pas traité, alors que votre ministère s'était engagé à boucler ce dossier pour la fin de l'année.
Le vote positif que s'apprête, semble-t-il, à prononcer la Haute Assemblée va de pair avec les explications que nous vous demandons d'apporter, madame le ministre.
M. Bernard Cazeau. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Cazeau.
M. Bernard Cazeau. Nous sommes, bien sûr, très favorables à cet amendement, qui va tout à fait dans le sens de la volonté marquée à tous les échelons - plus particulièrement par le Gouvernement - de lutter contre l'encéphalopathie spongiforme bovine et ses conséquences sur l'ensemble de la population.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° II-44, pour lequel la commission s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je vais mettre aux voix les crédits figurant au titre III.
M. Jacques Oudin, rapporteur spécial. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Jacques Oudin, rapporteur spécial. Conformément à ses délibérations, la commission des finances demande le rejet de ces crédits.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix, modifiés, les crédits figurant au titre III.
M. Guy Fischer. Le groupe communiste républicain et citoyen s'abstient.

(Ces crédits ne sont pas adoptés.)
M. le président. « Titre IV : 3 826 976 780 francs ».