SEANCE DU 4 DECEMBRE 2000


M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi concernant l'emploi et la solidarité : I - Emploi.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Gérard Braun, en remplacement de M. Joseph Ostermann, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à vous présenter les excuses de M. Ostermann, qui, à cause d'un empêchement majeur de dernière heure, n'a pu être présent aujourd'hui et m'a demandé de le remplacer, ce que je fais bien volontiers.
Les crédits de l'emploi et de la formation professionnelle sur lesquels nous sommes appelés à nous prononcer aujourd'hui s'élèvent à 111,83 milliards de francs, dont 90 % de crédits d'intervention, alors qu'ils s'établissaient à 122,07 milliards de francs en 2000. Cette diminution de 1,9 %, après une progression de 2,3 % l'année dernière, montre que le budget de l'emploi, en raison de l'amélioration conjoncturelle du marché du travail, ne constitue plus une priorité pour le Gouvernement.
Sans m'appesantir sur les données chiffrées, pour lesquelles je me permets de vous renvoyer au rapport écrit, je souhaiterais vous faire part des quatre observations que m'inspirent les dotations allouées à l'emploi pour 2001 et qui constituent autant de questions que j'adresse à Mme la ministre.
Première observation : le budget de l'emploi ne retrace plus l'ensemble des crédits alloués à la politique de l'emploi.
Alors que la réduction du temps de travail est présentée par le Gouvernement comme sa principale mesure en faveur de l'emploi, le coût des 35 heures, soit 85 milliards de francs en 2001 - c'est-à-dire plus que les investissements civils de l'Etat, qui s'établiront à 78 milliards de francs l'année prochaine - n'apparaît pas dans le budget de l'emploi.
Il est en effet supporté par le fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale, le FOREC, dont nous avions dénoncé l'année dernière la grande complexité en parlant d'« usine à gaz », ces propos étant du reste plus que jamais d'actualité. Il convient, en outre, de rappeler que le FOREC n'a pour l'instant qu'une existence virtuelle, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 qui l'a créé étant toujours, sur ce point comme sur beaucoup d'autres, privée de décrets d'application. Le Gouvernement rétorquera sans doute qu'il n'y est pour rien et que les décrets sont en cours d'examen au Conseil d'Etat. Quand cet examen sera-t-il terminé et quand les décrets seront-ils publiés ?
Je rappellerai que, l'année dernière, le budget de l'emploi versait une subvention au FOREC tandis que les crédits alloués à la loi Robien y étaient inscrits. Or, pour 2001, la subvention du budget de l'Etat est supprimée et les dotations de la loi Robien sont affectées au FOREC.
En fait, seuls 280 millions de francs seront inscrits en 2001 au budget de l'emploi au titre des aides au conseil dans le cadre des 35 heures, ces crédits devant notamment servir à aider les petites et moyennes entreprises à réduire le temps de travail de leurs salariés. Le budget de l'emploi supportera donc seulement 0,3 % du coût total des 35 heures !
Cette débudgétisation massive, dont l'objectif mal dissimulé est de limiter la progression des dépenses de l'Etat, se traduit par l'illisibilité du coût de la politique de l'emploi en France. En effet, le coût de la réduction du temps de travail comme celui des allégements du coût du travail n'ont plus aucune signification à la lecture du budget de l'emploi, alors que ce sont précisément ces mesures qui, au cours des dernières années, ont été à l'origine de la très forte croissance de ce budget, aujourd'hui le deuxième budget civil après celui de l'éducation nationale.
Ainsi, je considère que le budget de l'emploi n'est plus sincère et que le véritable coût de la politique de l'emploi doit prendre en compte non seulement les dotations du ministère, mais aussi celles du FOREC, soit un total de près de 200 milliards de francs.
Deuxième observation : l'amélioration de la situation de l'emploi connaît de réelles limites.
Il convient de se réjouir de la nette amélioration du marché du travail, le taux de chômage étant passé de 12,6 % de la population active au milieu de l'année 1997 à 9,6 % au milieu de cette année. Toutefois, le Gouvernement aurait bien tort de se vanter de cette embellie du marché de l'emploi et devrait faire preuve d'humilité quand il évoque la perspective du plein-emploi, sur laquelle il est, du reste, beaucoup moins disert depuis quelque temps.
Cette réelle amélioration de l'emploi est en effet fragile et tient uniquement à la bonne tenue de la conjoncture.
Sans entrer dans le détail, je rappellerai simplement que le chômage français reste à un niveau élevé : 9,6 % contre 9 % dans la zone euro, 8,3 % dans l'Union européenne, 2,5 % aux Pays-Bas, 4,1 % aux Etats-Unis. En outre, l'amélioration de la situation de l'emploi est inégale, les femmes, les jeunes, les non-diplômés ou peu diplômés, les salariés précaires, les chômeurs de longue durée continuant d'être touchés plus sévèrement que la moyenne nationale par le chômage.
Surtout, la possibilité d'enregistrer un recul important du chômage se heurte au niveau élevé du chômage structurel dans notre pays. La Caisse des dépôts et consignations a évalué à 8 % de la population active en France le taux de chômage structurel, alors qu'il est de 3 % aux Etats-Unis, si bien que la progression de l'emploi actuellement observée, au-delà de facteurs conjoncturels, ne pourrait guère faire baisser le chômage sous le taux de 8 %.
Les pénuries de main-d'oeuvre constatées dans certains secteurs confirmeraient cette analyse, ce phénomène étant du reste accentué par la loi sur les 35 heures, qui pénalise l'environnement économique des entreprises et réduit le nombre d'heures travaillées tout en rendant plus difficile le recours aux heures supplémentaires.
Enfin, l'incitation au travail reste trop faible et le coût du travail trop élevé. Il existe en effet un phénomène dit de « trappe à inactivité » qui dissuade certaines personnes de chercher du travail en raison de gains de revenus trop faibles, voire nuls, par rapport au montant des minima sociaux dont elles peuvent bénéficier : il est financièrement plus intéressant pour certains de rester au chômage.
Plutôt que de porter atteinte aux principes de la contribution sociale généralisée, il aurait été bien plus souhaitable que le Gouvernement accorde davantage d'attention aux propositions du Sénat, qu'il s'agisse de la proposition de loi présentée en son temps par le président Christian Poncelet ou de celle de nos collègues Alain Lambert et Philippe Marini, qui tend à instituer un revenu minimum d'activité, le RMA, permettant de rompre le cercle vicieux de l'assistance et de promouvoir l'insertion par l'activité dans le secteur marchand.
Madame la ministre, quelle est la position du Gouvernement sur cette proposition de loi ? Je vous interroge solennellement sur ce point, car vos services ont laissé cette question sans réponse dans le questionnaire budgétaire... Rompre avec la logique purement quantitative du RMI, qui a clairement montré qu'elle était un échec, est indispensable pour promouvoir l'emploi et en finir avec le cercle vicieux de l'exclusion.
Troisième observation : seule la conjoncture permet au Gouvernement de dégager des économies sur les crédits de l'emploi.
Le Gouvernement se targue de réaliser des économies sur les crédits de l'emploi, mais cette situation résulte en réalité de la seule amélioration de la conjoncture, comme le montre la forte baisse des flux d'entrée dans les dispositifs de la politique de l'emploi : ainsi, le nombre de contrats initiative-emploi a diminué de 41 % depuis 1997, celui des contrats emploi consolidé de 47 %, celui de contrats emploi-solidarité de plus de 48 %.
Dès lors, il est logique que des économies apparaissent, mais, faute de réformes structurelles susceptibles de faire reculer le montant du budget de l'emploi, ces crédits ne manqueraient pas de connaître une vive expansion en cas de retournement conjoncturel et de reprise du chômage.
Les députés de la majorité plurielle s'en sont d'ailleurs eux-mêmes émus lorsque votre projet de budget a été examiné à l'Assemblée nationale. La discussion a porté sur les flux d'entrée prévus dans les dispositifs de contrats aidés, trop faibles selon nos collègues députés. Leur inquiétude provient problablement de ce qu'il sont dubitatifs devant l'optimisme affiché par le Gouvernement sur les perspectives de croissance, et donc d'emploi !
Quatrième observation : les échéances se rapprochent pour les emplois-jeunes.
En 2001, le coût des emplois-jeunes s'accroît, une fois encore, de 3,1 %, mais à un rythme moins rapide qu'en 1999 et 2000 en raison du ralentissement de la montée en charge du dispositif : 22 milliards de francs sont inscrit au budget de l'emploi en 2001 pour les emplois-jeunes. Toutefois, il convient de garder à l'esprit que ce budget ne regroupe pas l'ensemble des crédits destinés au financement des emplois-jeunes, les budgets de l'éducation nationale, de l'intérieur, de la justice et de l'outre-mer étant également sollicités. Le coût total des emplois-jeunes en 2001 s'élèvera donc à 24,6 milliards de francs.
A la fin du mois d'août dernier, ils étaient 263 800, le Gouvernement escomptant le recrutement de 280 000 jeunes à la fin de cette année.
En réalité, pourtant, on ne connaît pas vraiment le nombre d'emplois-jeunes. Le Gouvernement, en effet, fausse la présentation des chiffres : il insiste sur les conventions signées, tout en expliquant que les jeunes occupant leur poste sont moins nombreux en raison du délai existant entre le moment de la signature et celui de la prise de fonction effective. Il peut ainsi afficher de nombreuses créations d'emplois, même si elles restent artificielles, tout en limitant le montant des crédits inscrits au budget.
C'est ainsi qu'il peut continuer d'afficher son objectif initial de porter le nombre de jeunes embauchés à 350 000 d'ici à la fin de l'année 2001, alors même que les crédits budgétés s'avéreront très insuffisants. En effet, le coût en année pleine de 350 000 emplois-jeunes s'établirait à environ 37 milliard de francs pour le seul budget de l'Etat, soit un montant bien supérieur aux dotations prévues.
Cela tient aussi au fait que le Gouvernement réalise de très importants reports de crédits sur le chapitre budgétaire concerné : 1,13 milliard de francs en 1997 2,57 milliards de francs en 1998, 1,21 milliard de francs en 1999. Par ailleurs, au 10 octobre 2000, ces crédits n'étaient consommés qu'à hauteur de 64 %, ce qui laisse présager de nouveaux reports sur 2001.
Or la question de l'avenir de ces jeunes est très préoccupante en raison des interrogations qu'il ne manque pas de susciter.
Notre collègue Alain Gournac, au sein d'un groupe de travail constitué par notre commission des affaires sociales, a récemment établi un rapport très intéressant qui dresse le bilan à mi-parcours des emplois-jeunes.
Ce rapport met parfaitement en lumière les limites d'un dispositif né d'un volontarisme gouvernemental consistant à créer, à marche forcée et de manière artificielle, autant d'emplois dans le secteur non marchand : inadéquation ou qualité médiocre de la formation proposée, incertitudes pesant sur le statut juridique, effets pervers pour l'économie, en particulier existence d'une concurrence déloyale à l'égard du secteur privé, ou encore ambiguïté des missions effectivement exercées.
Ces préoccupations semblent, du reste, partagées par le Gouvernement, qui a organisé une réunion interministérielle sur la pérennisation des emplois-jeunes.
Eu égard aux objections qu'elle formule sur ces sujets essentiels, qui me paraissent appeler des réponses de votre part, madame la ministre, la commission des finances a décidé de proposer au Sénat de rejeter les crédits de l'emploi pour 2001. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Souvet, rapporteur pour avis.
M. Louis Souvet, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales pour le travail et l'emploi. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, les crédits du ministère de l'emploi devraient s'élever à 111,8 milliards de francs en 2001.
Compte tenu des différents transferts de charges au fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale, le FOREC, seuls les crédits relatifs à l'aide au conseil, soit 280 millions de francs, devraient, en fait, comme une ombre, subsister dans le projet de loi de finances, pour rappeler le passage des crédits relatifs à la réduction du temps de travail dans un autre budget, celui de la sécurité sociale.
A structure constante, on observe un léger repli - de 1,9 % - des crédits du ministère de l'emploi : ils s'établisent à 119,7 milliards de francs en 2001, contre 122 milliards de francs en 2000.
Cette relative stabilité de l'enveloppe budgétaire ne doit pas dissimuler la poursuite de l'évolution du budget de l'emploi au bénéfice des priorités du Gouvernement, au premier rang desquelles on retrouve les emplois-jeunes. Par ailleurs, on observe de nombreuses diminutions de crédits qui tirent les conséquences de la baisse du chômage.
Cette baisse du chômage est importante et générale. La dernière enquête trimestrielle de la DARES, la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, estime à 492 000 le nombre d'emplois créés entre le 1er octobre 1999 et le 30 septembre 2000, soit une hausse de 3,5 % en un an. Avec 119 000 emplois créés, le troisième trimestre semble confirmer la poursuite de la baisse du chômage. Le taux de chômage était revenu à 9,4 % de la population active à la fin du mois d'octobre.
Ce faisant, la France se rapproche du taux de chômage de la zone euro, qui était de 9 % en septembre dernier.
Cette comparaison avec nos voisins européens nous apporte au moins deux enseignements.
Premièrement, elle « tord le cou » à l'idée selon laquelle les 35 heures et les emplois-jeunes seraient à eux seuls à l'origine de la baisse du taux de chômage français. Si ces deux dispositifs ont créé des emplois - c'est surtout le cas des emplois-jeunes - ils ont aussi coûté très cher et tout laisse penser que, compte tenu des performances de nos partenaires européens, ces crédits budgétaires énormes auraient eu, en termes de créations d'emplois, un rendement tout aussi fort s'ils avaient été utilisés à d'autres fins.
Deuxièmement, la politique de l'emploi du Gouvernement apparaît comme fortement décalée par rapport au cycle conjoncturel. Les principales dispositions - 35 heures, emplois-jeunes - constituent des outils de gestion d'un déséquilibre défavorable à l'offre de travail - les chômeurs - alors que, de toute évidence, les tensions concernent aujourd'hui davantage la demande de travail - les entreprises - comme en témoigne un taux d'utilisation des capacités de production supérieur à 80 %.
L'urgence aurait dû conduire, depuis plusieurs mois, à relancer la formation professionnelle, à assouplir le dispositif de recours aux heures supplémentaires et à encourager véritablement la reprise d'entreprises.
L'inadaptation de notre politique de l'emploi aggrave les risques de pénurie de main-d'oeuvre. Le Sénat aura l'occasion d'examiner cette question la semaine prochaine, lors de la discussion de la proposition de loi déposée par notre collègue Alain Gournas à laquelle se sont associés les présidents de groupe de la majorité sénatoriale, et qui doit permettre de faire face aux pénuries de main-d'oeuvre et de lever les obstacles à la poursuite de la croissance économique.
Concernant les 35 heures, le récent débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale a été l'occasion d'examiner l'étendue des dépenses engagées dans ce dispositif.
Les dépenses du FOREC se sont élevées, en 2000, à 67 milliards de francs ; elles devraient atteindre 85 milliards de francs en 2001. Je ne peux que rappeler les conclusions de notre collègue Charles Descours, rapporteur du projet de loi de financement de la sécurité sociale au nom de la commission des affaires sociales, qui a dénoncé le « bricolage financier permanent » et le financement des 35 heures à travers la « vendange des excédents de la branche famille et du fonds de solidarité vieillesse ».
L'ensemble des accords de réduction du temps de travail signés depuis juin 1998 prévoit, au total, de créer ou préserver 218 000 emplois, dont 115 000 dans le cadre de conventions bénéficiant d'aides de l'Etat.
Comme le reconnaît la DARES, il convient de souligner que les créations ou les maintiens d'emplois ne peuvent être interprétés comme des créations nettes. Il faut, en effet, tenir compte de l'évolution des effectifs qui se serait produite en l'absence de réduction du temps de travail. Par ailleurs, des emplois créés peuvent s'avérer non pérennes si l'équilibre économique des entreprises n'est pas assuré. Enfin, la concurrence et la redistribution des activités entre les entreprises signataires et les autres peuvent conduire à des résultats nets globalement différents de ceux qui sont observés dans le seul champ des entreprises conventionnées.
Ces quelques éléments m'amènent à formuler la conclusion suivante : si l'on connaît à peu près le coût des 35 heures, le plus grand flou demeure quant aux résultats de cette mesure en termes de créations d'emplois. Tout donne à penser que le Gouvernement entretient la confusion en attribuant aux 35 heures des créations d'emplois qui relèvent plus du retour de la croissance générale en Europe et des allégements de charges sociales mis en place depuis 1993.
Le programme « nouveaux services - nouveaux emplois », qui constitue la deuxième priorité du Gouvernement, se présente sous un jour un peu différent. La loi du 16 octobre 1997 vise à aider à la création d'activités d'utilité sociale dans les domaines de la culture, du sport, du secteur social, de l'éducation ou de la police, à travers l'embauche de jeunes.
L'enveloppe consacrée au programme « emplois-jeunes » dans le projet de budget pour 2001 s'élève à 22 milliards de francs.
Vous considérez, madame le ministre, que, à la fin de 2001, 350 000 jeunes auront été recrutés dans le cadre de ce dispositif. C'est du moins ce que vous avez déclaré devant la commission des affaires sociales.
En fait, il convient de distinguer entre le nombre de jeunes qui seront passés dans le dispositif entre octobre 1997 et décembre 2001 et le nombre de jeunes effectivement en poste à la fin de 2001. Compte tenu de la dotation budgétaire et du montant des reports, le nombre de jeunes effectivement en fonction à la fin de l'an prochain ne devrait pas dépasser 250 000.
Le Gouvernement a donné peu d'indications sur l'avenir du dispositif. Les associations pourraient continuer à percevoir de manière temporaire et dégressive des aides, au terme des cinq ans de contrat, afin de favoriser la pérennisation des postes. En revanche, les collectivités locales ne devraient pas recevoir d'aides supplémentaires, sauf peut-être celles qui sont confrontées à des problèmes de quartiers difficiles.
La commission des affaires sociales a mené son propre travail de réflexion concernant le bilan et l'avenir du programme « emplois-jeunes ».
S'agissant de la sortie du dispositif, le rapporteur de cette mission d'information, notre collègue Alain Gournac, a suggéré de mieux associer les entreprises à la professionnalisation des emplois-jeunes et de favoriser leur insertion professionnelle par le développement du tutorat-référent. Il a préconisé une régionalisation du dispositif. Il a proposé le développement du multisalariat en temps partagé. Il a également insisté sur la nécessité de favoriser la création ou la reprise d'entreprises par les jeunes.
Ces propositions, qui ont été largement saluées, constituent une bonne illustration de l'attitude constructive du Sénat.
Elles n'en mettent pas moins en évidence les hésitations du Gouvernement, qui peine à définir de nouvelles frontières pour la politique de l'emploi hors des 35 heures et des emplois-jeunes.
Ce nouveau souffle est pourtant indispensable, car la baisse du chômage modifie les attentes. Certes, le budget pour 2001 tient compte, dans une certaine mesure, de cette nouvelle situation. On observe une baisse de 9,3 % des crédits consacrés à l'insertion de publics en difficulté, crédits qui s'établiront à 23 milliards de francs en 2001.
Ces baisses de crédits se retrouvent dans l'évolution du nombre d'entrées dans chaque dispositif.
Le nombre d'entrées en stages d'insertion et de formation à l'emploi, les SIFE, baissera de plus de 18 %, s'établissant à 90 000. Le nombre d'entrées en CES devrait baisser de 27 % pour revenir à 260 000 en 2001, contre 331 000 en 2000.
De même, on devrait assister à une baisse de 62 % du nombre des nouveaux bénéficiaires des allocations spéciales du Fonds national pour l'emploi, le FNE. En fait, seuls les contrats emplois consolidés devraient bénéficier de crédits en hausse de 4,7 %, pour un montant de 5,57 milliards de francs en 2001.
Le débat à l'Assemblée nationale a néanmoins montré l'inquiétude des rapporteurs de la majorité, MM. Gérard Bapt et Jean-Claude Boulard, devant cette évolution. M. Gérard Bapt, en particulier, a proposé la mise en place d'un « parcours individualisé, concrétisé par une convention individuelle d'engagement et utilisant les instruments disponibles », afin de permettre une prise en charge globale des personnes les plus éloignées de l'emploi.
Cette inquiétude des rapporteurs de l'Assemblée nationale est légitime. Elle traduit un sentiment partagé par votre rapporteur pour avis, selon lequel ce projet de budget ne va pas assez loin dans « l'activation des dépenses passives ».
Bien sûr, il comporte quelques dispositions en ce sens. Je pense en particulier à l'augmentation de 8,7 % des moyens affectés à l'ANPE, qui devraient passer de 6,4 milliards de francs en 2000 à 6,9 milliards de francs en 2001 et permettre la création de 433 nouveaux postes budgétaires. De même, les moyens de l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes, l'AFPA, devraient augmenter de près de 4 %, pour s'établir à 4,9 milliards de francs, et la collaboration renforcée entre ces deux acteurs essentiels du service public de l'emploi devrait se poursuivre.
Mais je constate que ce projet de budget ne prend pas véritablement la mesure des changements intervenus sur le marché du travail ni de ceux qui sont consécutifs à l'adoption d'une nouvelle convention d'assurance chômage.
Cette nouvelle convention d'assurance chômage constitue une avancée décisive dans la lutte contre le chômage structurel. Elle devrait se traduire, dès le 1er janvier 2001, par une baisse des cotisations sociales de 0,38 point.
Je rappellerai que la nouvelle convention d'assurance chômage prévoit, par ailleurs, d'affecter des moyens importants, près de 6 milliards de francs, à la mise en place de parcours individualisés définis dans le cadre du nouveau « projet d'action personnalisée », le PAP.
Ces moyens serviront à améliorer les formations des chômeurs indemnisés, à favoriser leur mobilité et à inciter les entreprises à les recruter.
Aujourd'hui, nous constatons que le Gouvernement n'a pas prévu de fournir un effort comparable en faveur des chômeurs non indemnisés.
Il y a, certes, le programme TRACE - trajet d'accès à l'emploi -, dont les crédits augmentent de 8,4 %, passant à plus de 501 millions de francs. Mais ce que je regrette, de concert avec le rapporteur spécial de la commission des finances de l'Assemblée nationale, c'est que le projet de budget ne présente pas un programme TRACE à destination des adultes qui, à partir d'outils existants comme le contrat de qualification adulte, ou à travers des dispositifs nouveaux, aurait pu constituer une vraie politique de lutte contre le chômage structurel.
Concernant la « clarification » des relations financières entre l'Etat et l'UNEDIC, vous savez que les partenaires sociaux ont accepté de rétrocéder à l'Etat 15 milliards de francs en deux ans : 7 milliards de francs en 2001 et 8 milliards de francs en 2002. Par ailleurs, le régime d'assurance chômage ne recevra pas en 2002 la subvention de 5 milliards de francs prévue pour financer une partie du remboursement de prêts contractés dans les « mauvaises années ». Enfin, l'Etat ne devrait plus, à terme, participer au financement de l'allocation de formation reclassement, ou AFR, ce qui devrait représenter un transfert de charges évalué à 10 milliards de francs.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Louis Souvet, rapporteur pour avis. J'ai presque terminé, monsieur le président.
Au total, la nouvelle convention d'assurance chômage se traduira donc par un effort financier du régime d'assurance chômage correspondant à 30 milliards de francs.
En conclusion, et après avoir à nouveau rappelé le caractère inadapté de la politique de l'emploi menée par le Gouvernement aux nouveaux enjeux de la croissance, la commission des affaires sociales vous proposera, mes chers collègues, de rejeter les crédits consacrés au travail et à l'emploi dans le projet de budget pour 2001. Concernant les quatre articles rattachés, elle vous proposera de supprimer l'article 58. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à Mme Bocandé, rapporteur pour avis.
Mme Annick Bocandé, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales pour la formation professionnelle. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les crédits budgétaires de la formation professionnelle pour 2001 atteindront 34,3 milliards de francs, en diminution de 0,3 % par rapport à cette année. Le projet de budget de la formation professionnelle doit, en première analyse, s'interpréter comme un budget de continuité.
Or le contexte dans lequel il intervient est résolument nouveau. La reprise importante de l'emploi se traduit en effet par l'apparition de réelles difficultés de recrutement dans certains secteurs, mais aussi par le maintien d'une exclusion durable de l'emploi pour de trop nombreuses personnes.
Dans ce nouveau contexte, la commission des affaires sociales en a la ferme conviction, la politique de formation professionnelle a un rôle important à jouer.
Ainsi, il importe prioritairement d'adapter l'offre de formation au marché du travail pour limiter les tensions que celui-ci connaît actuellement. En outre, dans cette conjoncture plus favorable, une réelle formation des personnes les plus éloignées de l'emploi, qu'elles soient jeunes ou moins jeunes, chômeurs ou entrant pour la première fois dans la vie active, pourrait sans conteste faciliter leur insertion durable dans le monde professionnel.
Mais cette dynamique vertueuse tarde à se mettre en place, en raison de trois obstacles principaux.
Premièrement, la reprise de l'emploi se fait parfois au détriment de la formation. De nombreuses personnes préfèrent en effet refuser des offres de formation ou arrêter des programmes en cours pour trouver directement un emploi. Ces démarches, bien compréhensibles, risquent néanmoins de se révéler à « courte vue » en cas de retournement de la conjoncture. La formation doit être en effet un investissement de long terme.
Deuxièmement, l'effort global de la nation en faveur de la formation tend aujourd'hui à marquer le pas. Les dépenses globales de formation ont, certes, augmenté de 2 % en 1998, pour atteindre 143 milliards de francs, mais celles-ci ne représentent plus que 1,67 % du PIB, en décroissance continue depuis 1993.
Troisièmement, la nécessaire réforme en profondeur de notre système de formation professionnelle, sans cesse annoncée, est toujours reportée. Le projet de loi de modernisation sociale, qui ne devrait pas pouvoir être adopté avant la fin de l'année prochaine ouvre certes quelques pistes intéressantes avec la réforme du financement de l'apprentissage et celle de la validation des acquis de l'expérience, mais le projet de loi visant à instituer un droit individuel à la formation tout au long de la vie reste dans les limbes. Seules interviennent ponctuellement, de manière désordonnée mais avec une constance remarquable, des mesures que j'avais qualifiées l'an passé de « malthusiennes », avec la réduction des aides à l'alternance et des ponctions opérés sur les fonds de la formation professionnelle, notamment.
Dans ces conditions, on ne peut que se féliciter de ce que les partenaires sociaux aient pris l'initiative d'engager une négociation nationale afin de réformer la formation professionnelle.
C'est donc dans ce contexte finalement en demi-teinte pour la formation qu'il nous faut replacer le projet de budget que nous examinons aujourd'hui.
Or, face à ces enjeux importants, le projet de budget proposé est un énième dispositif de transition avant une réforme dont la perspective se fait sans cesse plus lointaine. Plus grave, les mesures que votre commission avait dénoncées les années passées se retrouvent à nouveau dans ce projet de budget.
Ainsi, les formations en alternance sont fragilisées, les actions de l'Etat en faveur de la formation professionnelle manquent de cohérence d'ensemble et les fonds de la formation professionnelle sont encore mis à contribution.
J'articulerai mon propos sur ces trois points.
Le poste le plus lourd du budget reste celui du financement des formations par alternance. Les crédits consacrés à l'alternance s'élèvent à 13,1 milliards de francs, en progression de 7 %.
Cette progression est cependant en trompe-l'oeil et ne peut laisser croire que le Gouvernement fait du développement de l'alternance une réelle priorité.
L'apprentissage constitue quantitativement le principal volet des formations en alternance ; près de 10 milliards de francs y seront consacrés en 2001. Je rappelle que l'Etat assure un peu moins de la moitié du financement de l'apprentissage, le reste relevant des entreprises, des régions, mais aussi des crédits européens.
Le projet de budget est fondé sur la perspective de 230 000 entrées dans le dispositif, soit un simple retour au niveau constaté en 1999. Mais il prévoit surtout, dans son article 57, la suppression de la prime à l'embauche des apprentis dans les entreprises de plus de vingt salariés, afin d'économiser 83 millions de francs.
Une telle décision ne fait que s'inscrire dans le prolongement des mesures restrictives visant à limiter l'attractivité de l'apprentissage. Déjà, la loi de finances pour 1999 avait opéré un « recentrage » des primes sur les jeunes ayant les niveaux de qualification les plus faibles.
La commission des affaires sociales ne peut que déplorer ce nouveau mauvais coup porté à la prime d'apprentissage. Il risque, en effet, d'amoindrir considérablement l'attrait d'un dispositif pourtant très apprécié par les entreprises concernées, qui recrutent près de 30 % des effectifs d'apprentis.
La commission ne peut, bien évidemment, accepter une telle disposition, que l'Assemblée nationale avait d'ailleurs elle-même initialement rejetée, avant de l'accepter, légèrement modifiée, à l'occasion d'une seconde délibération demandée par le Gouvernement. Elle vous proposera donc un amendement de suppression de cet article.
S'agissant des autres formations en alternance, le projet de budget se révèle tout aussi restrictif.
Or, après deux années de hausse sensible des entrées en alternance, l'année 1999 a été marquée par un net ralentissement des embauches pour le contrat de qualification et par un recul sensible du contrat d'adaptation.
Le projet de budget risque d'accentuer cette tendance en prévoyant non seulement une diminution de 2 000 personnes pour les entrées en contrat de qualification, mais aussi et surtout la suppression de la prime des contrats de qualification en faveur des jeunes, pour réaliser une économie de 152 millions de francs.
La commission des affaires sociales estime qu'une telle mesure pourrait porter un coup fatal à un dispositif utile, mais encore fragile. Les dernières études sur le contrat de qualification montrent en effet que, après un démarrage relativement lent, celui-ci atteint son régime de croisière, avec 118 000 jeunes embauchés en 1999. Elles soulignent également que ces contrats permettent d'assurer non seulement une formation aux jeunes les plus en difficulté, mais aussi une qualification reconnue et une insertion durable dans le monde du travail.
Aussi, je persiste à croire que ce serait une erreur grave que de vouloir s'entêter dans la voie initialement envisagée.
M. Jean-Claude Carle. Très bien !
Mme Annick Bocandé, rapporteur pour avis. J'en viens maintenant aux « autres actions de formation à la charge de l'Etat », qui constituent le second volet de ce projet de budget.
Ces actions sont très diverses, mais témoignent, en définitive, d'un pilotage à très court terme des crédits de la formation professionnelle, sans réel souci de cohérence d'ensemble ou d'anticipation.
Je prendrai quatre exemples.
Premier exemple, le programme national de formation professionnelle, qui a pour vocation de mettre en oeuvre diverses mesures en faveur des publics les plus en difficulté - illettrés, détenus, réfugiés - mais aussi d'assurer la formation des militants syndicaux ou de subventionner certains organismes de formation. Au total, 1,3 milliard de francs y seront consacrés en 2001, soit une augmentation de 3,7 %.
J'insiste sur la nature pour le moins diversifiée de ce programme. Sa cohérence est loin d'être évidente. Aussi, je ne peux que souhaiter que le débat budgétaire puisse être chaque année l'occasion d'un réel examen de ce programme et d'une définition concertée de ses priorités.
Deuxième exemple, la politique contractuelle de formation des salariés. C'est un dispositif très intéressant, bien intégré dans le dialogue social, qui vise à anticiper les besoins de compétences et à développer l'effort de formation continue des entreprises. Or, malgré tout son intérêt, les crédits inscrits au titre de ce dispositif diminuent de 15 %. Le Gouvernement donne ici, une fois encore, la preuve du peu de cas qu'il fait du dialogue social.
Troisième exemple, le financement de l'allocation formation reclassement, l'AFR. Je vous rappelle que l'Etat verse chaque année à l'UNEDIC une contribution destinée à prendre en charge une partie de l'AFR, 41 % précisément, afin de participer à la rémunération des demandeurs d'emploi entrant en formation. En 1999, 180 000 chômeurs en ont ainsi bénéficié.
En 2001, la participation de l'Etat diminuera de 1 milliard de francs, pour atteindre 1,5 milliard de francs, l'Etat anticipant la suppression à compter du 1er juillet 2001 de la contribution prévue par la nouvelle convention UNEDIC.
Il reste que, à partir de cette date, la nature de la participation de l'Etat au financement de la formation des chômeurs n'est ni définie ni budgétisée. Il semble bien qu'il faille voir là l'amorce d'un désengagement de l'Etat au regard d'une responsabilité qui lui appartient pourtant directement au titre de la solidarité nationale. C'est regrettable.
Dernier et quatrième exemple, l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes, l'AFPA. La subvention de fonctionnement de l'Etat augmentera de 4,2 % en 2001, pour atteindre 4,5 milliards de francs. Cette augmentation s'inscrit dans le cadre du contrat de progrès 1999-2003, qui prévoit notamment, un recentrage de l'AFPA au bénéfice des personnes les plus en difficulté.
L'exécution du contrat de progrès apparaît aujourd'hui satisfaisante, même si l'on peut parfois constater un très léger décrochage par rapport aux objectifs fixés.
Cependant, l'AFPA est maintenant confrontée à un nouveau contexte, caractérisé par la reprise de l'emploi et par la nouvelle convention UNEDIC. Il va lui falloir s'adapter de nouveau.
Il est donc nécessaire de réviser le contrat de progrès, pour partie caduc, afin de prendre en compte ces deux évolutions. Ce serait aussi l'occasion de réfléchir à une meilleure décentralisation de l'Association, décentralisation qui reste encore le parent pauvre de la réforme de l'AFPA. Il serait ainsi utile d'étudier « une réorganisation territoriale de l'AFPA en agences régionales placées sous la responsabilité des régions », comme le proposait récemment la mission commune d'information du Sénat sur la décentralisation.
Je souhaiterais enfin revenir sur l'importante question des prélèvements opérés par l'Etat sur les fonds de la formation professionnelle.
De 1996 à 2000, plus de 4 milliards de francs auront été prélevés sur les fonds disponibles en matière de formation, qu'il s'agisse des fonds finançant l'alternance ou des fonds finançant le congé individuel de formation ou le capital de temps de formation.
Le projet de budget pour 2001 se situe, sur ce point, dans la continuité de ses prédécesseurs. Un nouveau prélèvement de 150 millions de francs est en effet prévu sur les disponibilités du comité paritaire du congé individuel de formation, le COPACIF, fonds national habilité à recueillir les excédents financiers des organismes collecteurs paritaires agréés, les OCPA, au titre du congé individuel de formation et du capital de temps de formation.
Cette année, cependant, un tel prélèvement n'a pas à être autorisé par une disposition législative spécifique, car la loi de finances pour 2000 a prévu, en son article 131, que les excédents du COPACIF peuvent « exceptionnellement concourir aux actions de l'Etat en matière de formation professionnelle ».
En ce domaine, l'exception est devenue la règle. Je le regrette très vivement, d'autant plus vivement que les conséquences de ces prélèvements successifs sont graves pour le développement de la formation professionnelle que prétend vouloir favoriser le Gouvernement.
Ainsi, la situation financière de l'association de gestion du fonds des formations en alternance, l'AGEFAL, et du COPACIF est très préoccupante. Selon les dernières projections, leurs trésoreries devraient être nulles, voire déficitaires à la fin de l'année 2001.
Dans ces conditions, il est à craindre que les flux d'entrées en formation par alternance ne se restreignent, car les OCPA ne seront plus en mesure de garantir leur financement, compte tenu de la situation de trésorerie de l'AGEFAL, qui est chargée de la mutualisation des fonds de l'alternance.
Il en va de même pour le congé individuel de formation. A l'heure actuelle, seule la moitié des demandes, soit 30 000 environ, peut être effectivement financée. Les prélèvements opérés sur le COPACIF ne font alors qu'amplifier cette contrainte. En 2000, 5 000 demandes ne pourront être satisfaites à cause de la ponction de 500 millions de francs sur les excédents du COPACIF. En 2001, ce seront encore 1 500 demandes supplémentaires qui ne pourront aboutir.
Ainsi, au moment où le Gouvernement clame haut et fort son souci de mettre en place un droit individuel à la formation tout au long de la vie, sa politique strictement comptable de la formation professionnelle se résume en réalité à l'érection de nouveaux obstacles au développement du congé individuel de formation.
M. le président. Il vous faut conclure, madame le rapporteur pour avis !
Mme Annick Bocandé, rapporteur pour avis. Au total, l'examen des crédits montre bien que la formation professionnelle n'est pas réellement une priorité du Gouvernement : les réformes sont retardées ; les aides en faveur du développement de l'alternance sont supprimées ; les fonds de la formation professionnelle sont siphonnés.
Aussi, la commission des affaires sociales a émis un avis défavorable à l'adoption des crédits relatifs à la formation professionnelle. Elle vous proposera également d'adopter un amendement de suppression de l'article 57 qui leur est rattaché. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 20 minutes ;
Groupe socialiste, 16 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 20 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 12 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes.
Je vous rappelle que, en application des décisions de la conférence des présidents, aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix minutes, temps que je vous invite à respecter rigoureusement, mes chers collègues.
Par ailleurs, le temps programmé pour le Gouvernement est prévu au maximum pour quarante minutes.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Gournac.
M. Alain Gournac. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les observations et sur les analyses pertinentes de nos excellents rapporteurs. Comme eux, je constate l'illisibilité des coûts de la politique de l'emploi menée aujourd'hui par le Gouvernement, alors que je croyais qu'il avait fait de la transparence un de ses mots d'ordre.
La réduction du temps de travail est présentée par le Gouvernement lui-même comme sa principale mesure en faveur de l'emploi. Or son coût n'apparaît pas dans le budget de l'Etat. Pourquoi une débudgétisation de dotations aussi considérable ?
A cette illisibilité des coûts s'ajoute un grand flou.
Il suffit d'avoir entendu ces dernières semaines les déclarations quelque peu divergentes du Gouvernement pour comprendre sa difficulté à dessiner les contours d'une politique de l'emploi.
Les choses, bien entendu, ne sont jamais simples, ni les solutions assurées. Il faut toutefois sortir de l'attentisme et prendre des décisions.
Or le Gouvernement semble moins à l'aise aujourd'hui avec ses deux dispositifs phares que sont les 35 heures et les emplois-jeunes qu'il ne l'a été hier.
En 1997, il fallait coûte que coûte faire réduire le chômage, créer des emplois, tenir des promesses quelque peu intenables.
L'urgence était telle que quiconque s'interrogeait sur les moyens préconisés avait nécessairement tort. S'opposer aux 35 heures ou aux emplois-jeunes aurait été une erreur. S'interroger, comme l'a fait la majorité sénatoriale, sur la méthode utilisée était en revanche, et dans les deux cas, faire preuve d'esprit de responsabilité.
Le pays gagnerait beaucoup, madame le ministre, à ce que votre gouvernement dise la vérité aux Françaises et aux Français. Les 35 heures et les emplois-jeunes ont contribué à la baisse du chômage, c'est un fait.
M. Claude Estier. Quand même !
M. Alain Gournac. Mais, de grâce, présentez-les comme ils doivent l'être ! Donnez-les pour ce qu'ils sont, à savoir une simple contribution à cette baisse du chômage.
Que les Français sachent que le facteur déterminant, le facteur qui joue le rôle essentiel dans cette baisse du chômage, c'est le retour de la croissance.
M. Jean Delaneau. Eh oui !
M. Alain Gournac. Nos éminents collègues l'ont rappelé avec force dans leurs excellents rapports : avec un taux de chômage de 9,5 % de la population active, la France se rapproche du taux de chômage de la zone euro, qui était de 9 % en septembre dernier.
A moins de vouloir faire croire à nos concitoyens que nos 35 heures et nos emplois-jeunes sont à l'origine également des performances de nos voisins européens, je ne vois pas comment on pourrait continuer à aller chercher des explications là où elles ne se trouvent pas !
Près de 500 000 emplois ont été créés en un an entre le 1er septembre 1999 et le 30 septembre 2000. C'est, de toute évidence, au fort développement économique que nous devons ces milliers de créations d'emplois.
Ces deux dispositifs - les 35 heures et les emplois-jeunes - se concevaient hier, lorsque l'offre de travail était insuffisante. Il aurait fallu toutefois les concevoir mieux, c'est-à-dire avec souplesse pour les 35 heures et prudence pour les emplois-jeunes.
Si votre gouvernement, madame le ministre, avait écouté la majorité sénatoriale, il ne se trouverait pas aujourd'hui en porte-à-faux avec ces deux dispositifs.
Le contexte a, en effet, changé...
M. Guy Fischer. Ah, ça !
M. Alain Gournac. ... et les tensions, comme l'a rappelé le rapporteur de notre commission des affaires sociales, Louis Souvet,...
M. Gérard Delfau. Un peu de modestie !
M. Alain Gournac. ... concernent aujourd'hui davantage la demande de travail : 79 % des entreprises de moins de vingt salariés éprouvent des difficultés de recrutement de main-d'oeuvre qualifiée ; on est au-dessus de 85 % pour les autres entreprises.
M. Jean-Claude Carle. C'est tout à fait exact !
M. Alain Gournac. Ces difficultés touchent désormais tous les secteurs, c'est-à-dire non seulement les professions traditionnellement concernées, à savoir le bâtiment et les travaux publics, la restauration, la métallurgie, mais également les secteurs de l'agroalimentaire, du commerce, de l'informatique, de la chimie, de l'habillement, du textile, de l'immobilier, et je pourrais continuer l'énumération.
M. Gérard Delfau. Pas trop tout de même !
M. Alain Gournac. Tous les secteurs souffrent plus ou moins du manque de personnel compétent.
M. Guy Fischer. Parce que vous aviez taillé dans le vif !
M. Alain Gournac. Qu'après des années de récession économique nos entreprises aient du mal à recruter des secrétaires et des technico-commerciaux n'est pas très glorieux. Est-il acceptable qu'elles aient du mal à étoffer leurs forces de vente face à la concurrence ?
Même les bassins d'emploi où le niveau de chômage reste élevé connaissent des pénuries de main-d'oeuvre.
Les causes sont bien entendu multiples, depuis l'inadaptation du système de formation jusqu'à la croissance des nouveaux métiers, en passant par la mobilité transfrontalière.
Devant ces difficultés, il serait temps de mettre en place une politique pour l'emploi ambitieuse.
Il est tout d'abord impératif d'abaisser le coût du travail. C'est une nécessité pour les entreprises, pour la défense de leur compétitivité. C'est aussi, madame le ministre, une recommandation de la Commission européenne.
M. Guy Fischer. Toujours plus !
M. Alain Gournac. Il faut lever l'obstacle à la poursuite de la croissance que constitue, pour les entreprises, la limitation du recours aux heures supplémentaires mise en place par la loi du 19 janvier 2000 relative à la réduction du temps de travail. Nous y reviendrons plus longuement lors d'une prochaine discussion.
Il faut également relancer la formation professionnelle en insistant sur les métiers touchés par la pénurie de main-d'oeuvre.
Il faut généraliser le tutorat afin que les salariés en retraite ou en préretraite à cinquante-six ans et demi puissent transmettre aux plus jeunes leur savoir et les leçons de leur expérience.
M. Jean-Claude Carle. C'est vrai !
M. Alain Gournac. Il faut mettre en place un programme ambitieux d'aide à la création et à la reprise d'entreprises. Leur transmission est un problème crucial pour le devenir de notre tissu économique.
M. André Jourdain. Très juste !
M. Alain Gournac. Il faut également favoriser la professionnalisation des jeunes, notamment de ceux qui sortent, ou, plus exactement, qui sont appelés à sortir du programme emplois-jeunes.
Ce programme est le deuxième dispositif phare du Gouvernement. Il a rencontré un succès incontestable auprès de nos jeunes, mais l'objectif de 350 000 jeunes n'est pas encore atteint.
M. Jean-Claude Carle. Il s'agissait de 700 000 jeunes !
M. Alain Gournac. A ce jour, en effet, seuls 240 000 jeunes sont effectivement en poste.
M. Jean-Claude Carle. C'est vrai !
M. Alain Gournac. Le Gouvernement nous annonce cependant que l'objectif serait atteint à la fin de 2001.
Compte tenu de l'aide forfaitaire de l'Etat de 98 043 francs par an et par poste et de l'enveloppe de 22 milliards de francs inscrite au budget pour 2001, votre objectif est, en réalité, inférieur à 300 000 jeunes.
Comme vous l'avez reconnu devant notre commission des affaires sociales, madame le ministre, le nombre de 350 000 correspond au nombre des jeunes passés par le dispositif. Il ne s'agit pas d'un nombre de postes effectivement pourvus !
Les objectifs fixés par le Gouvernement ne seront donc pas atteints à la fin de 2001, ce qui n'enlève rien aux mérites de ce programme.
M. Claude Estier. Ah ! Tout de même !
M. Jean Chérioux. Voilà qui prouve que M. Gournac est objectif !
M. Alain Gournac. Oui, les jeunes sont généralement satisfaits.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Ils le disent !
M. Alain Gournac. Ils le sont, madame le ministre, mais ils aimeraient une satisfaction durable, et je les comprends. Nous les comprenons tous ici !
Or, s'agissant de leur avenir, ils sont très inquiets. Et ils ont tout lieu de l'être ! En effet, leur contrat est un contrat de cinq ans non renouvelable. Ils sont inquiets, mais nous le sommes tout autant car nous savons que le taux de sortie du dispositif et faible : 16,2 % en moyenne, hors éducation nationale et police nationale.
Si l'effet quantitatif de ce programme est indéniable, l'imprévoyance du Gouvernement l'est aussi. Pourtant, ce n'est pas faute de l'avoir mis en garde ! La majorité sénatoriale avait, lors de l'examen du projet de loi, souligné les écueils d'une réflexion enfermée, emmurée dans le quantitatif. Elle avait mis le doigt sur l'absence de réelle formation, sur les insuffisances du cadre juridique...
M. Jean Chérioux. C'est vrai !
M. Alain Gournac. ... sur le caractère surprenant, voire saugrenu, de certaines activités.
En 1999, M. Louis Souvet, rapporteur pour avis, s'était déjà inquiété, lors de l'examen des crédits du budget pour 2000, du manque d'intérêt du Gouvernement pour ces questions fort préoccupantes.
Le disposition phare de votre politique de l'emploi exprime une évidente générosité dans laquelle nous nous reconnaissons également, mais elle trahit, tout comme votre loi relative aux 35 heures, la méfiance du Gouvernement à l'égard du monde de l'entreprise.
Au fond, vous avez quelque réticence idéologique à admettre que les entreprises sont les forces vives de l'économie d'un pays et que c'est d'elles et de leur bonne santé qu'il faut attendre des améliorations significatives en matière d'emploi.
La baisse actuelle du chômage est de nature conjoncturelle. La croissance permet des créations d'emplois jusqu'au seuil de 8 % de chômage, mais notre pays a besoin de réformes profondes pour pouvoir faire baisser le niveau du chômage structurel.
Je ferme la parenthèse et je reviens sur le bilan des emplois-jeunes. Il ne pourra, bien entendu, être définitivement établi qu'à la fin du programme, mais ce n'est pas être rabat-joie que de constater que la voie est étroite pour réussir la sortie avec succès.
Avec succès, c'est-à-dire en tenant dans une main ferme les deux exigences suivantes : d'une part, assurer l'avenir professionnel des jeunes entrés dans le dispositif au-delà de la fin de leur contrat sans pour autant défavoriser les nouvelles générations entrant sur le marché du travail et, d'autre part, maîtriser la charge budgétaire. Or le coût de celle-ci est élevé.
Notre commission des affaires sociales, reprenant un souhait légitime, a demandé une évaluation par le CODEF, le comité départemental de la formation professionnelle, de la promotion sociale et de l'emploi.
J'ai beaucoup parlé de passerelles, madame le ministre, mais vous ne m'avez pas entendu. Nous devons revenir sur le multisalariat, sur l'approche avec les fédérations professionnelles...
M. le président. Monsieur Gournac, il faut conclure !
M. Alain Gournac. Je conclus, monsieur le président.
Je vous rappelle, madame le ministre, que le Gouvernement n'a pas souhaité inscrire à l'ordre du jour prioritaire de l'Assemblée nationale la proposition de loi de notre collègue André Jourdain, ici présent.
Notre commission suggérait aussi l'étude d'un système de prime dégressive à l'embauche des emplois-jeunes par les entreprises.
Ces propositions, madame le ministre, sont des propositions constructives, qui témoignent du souci du Sénat, d'une manière générale, pour l'emploi des jeunes et, d'une manière plus particulière, pour le devenir des emplois-jeunes.
Il faut une politique de l'emploi ambitieuse si nous voulons désormais nous attaquer au chômage structurel. A la lecture de votre budget, je ne vois pas la volonté du Gouvernement de s'y attaquer. C'est pourquoi, partageant les analyses et les observations de nos rapporteurs, je ne peux voter les crédits consacrés au travail et à l'emploi dans le projet de budget pour 2001. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. Claude Estier. On avait compris !
M. le président. La parole est à M. Jean Boyer.
M. Jean Boyer. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je concentrerai mon intervention sur la formation professionnelle, et plus particulièrement sur l'apprentissage : je voudrais témoigner ici pour une voie de formation encore injustement traitée dans notre pays.
Première réflexion : la situation de l'apprentissage est dévalorisée.
L'apprentissage a longtemps été une voie de formation dénigrée, voire méprisée. Elle reste aujourd'hui dévalorisée. Le simple refus, par les transports scolaires, de véhiculer les jeunes en apprentissage témoigne de ce statut dévalué.
La comparaison avec l'enseignement professionnel est tout à fait révélatrice. On compte 804 000 élèves en lycée professionnel contre 363 000 apprentis, soit plus du double. Les sommes consacrées divergent également fortement. Les crédits de l'enseignement professionnel s'élèveront à plus de 40 milliards de francs en 2001. La dotation de l'Etat pour l'apprentissage sera, quant à elle, de 10 milliards de francs, soit quatre fois moins. L'ensemble des sommes consacrées à l'apprentissage par l'Etat, par les régions et par le fonds spécial atteint 15 milliards de francs, soit moins de 40 % des crédits consacrés à l'enseignement professionnel.
Autre constat : les difficultés de l'emploi ont conduit à relancer l'apprentissage.
La crise économique et la montée du chômage ont cependant montré les limites d'un système éducatif trop monolithique, souvent coupé des réalités du monde du travail, hélas ! Ces limites se traduisent aujourd'hui par la coexistence paradoxale d'un taux de chômage encore élevé et de pénuries de main-d'oeuvre croissantes.
On a ainsi redécouvert les vertus de l'apprentissage. Cette voie de formation épouse les besoins de l'économie. Elle permet d'adapter parfaitement l'offre à la demande d'emplois. Elle va directement à la racine de l'emploi : c'est chaque entreprise, en fonction de son métier et de ses besoins, qui forme le jeune à l'emploi et lui transmet son savoir-faire. Cette méthode permet de répondre à une demande que l'enseignement professionnel, déconnecté du monde de l'entreprise, n'est pas capable de satisfaire.
Les chambres de métiers ont ainsi créé 1,2 million d'emplois en dix ans, tandis que la grande industrie supprimait dans le même temps 800 000 postes.
Je reviens d'un stage très enrichissant que j'ai effectué, à votre demande, monsieur le président, à la chambre de métiers de Meurthe-et-Moselle à la fin du mois d'octobre dernier. Je tiens d'abord à témoigner, ici, du savoir-faire, du dévouement et de la qualité remarquable des actions menées par les chambres de métiers, qui sont pourtant injustement ignorées et délaissées.
Pour faire face à cette situation, nous avons pris depuis 1986 des mesures incitatives pour relancer l'apprentissage.
Le résultat ne s'est pas fait attendre : on comptait 363 000 jeunes en apprentissage au mois de septembre 1998, contre 220 000 en 1992, soit une croissance de près de 70 % en six ans. Cette envolée s'est, en outre, accompagnée d'une revalorisation notable de l'image de cette filière.
Mais cette évolution est récente et reste encore très fragile. Les effectifs d'apprentis atteignent à peine le quart des effectifs étudiants, alors qu'en Allemagne on comptait 1,5 million d'apprentis en 1990 : 45 % des dix-sept - dix-huit ans suivaient cette filière, contre 38 % celle de l'enseignement général. L'effort doit donc être poursuivi et approfondi.
Autre réflexion, le Gouvernement ne va guère dans ce sens et fragilise l'apprentissage.
Sa politique de l'apprentissage est marquée, depuis trois ans, par un relatif désengagement financier et par une action à courte vue, sans perspective.
Depuis trois ans, le nombre de nouveaux contrats d'apprentissage financés diminue. Il est passé de 240 000 en 1998 à 230 000 en 1999, soit une baisse de 4,2 %. Il a été ramené à 220 000 cette année, soit à nouveau une baisse de plus de 4 %.
Il augmentera l'année prochaine, mais de 10 000 seulement. En fait, il revient simplement au niveau de 1999. Roger Fauroux, lorsqu'il présidait la commission de réflexion sur l'école, estimait qu'il « fallait parvenir à un million d'apprentis d'ici à l'an 2000 ». On est encore bien loin du compte !
Voilà deux ans, la loi de finances pour 1999 a réservé le paiement de la prime à l'embauche aux seuls apprentis détenant un faible niveau de qualification. Cette mesure nuit doublement à l'apprentissage : elle en réduit l'attrait pour les entreprises et, en le concentrant sur les formations de faible niveau, elle porte par définition atteinte à son image.
Enfin, cette année, le Gouvernement s'en prend une nouvelle fois à l'apprentissage, en réservant l'aide à l'embauche aux employeurs occupant au plus dix salariés et en la supprimant pour les jeunes recrutés en contrat de qualification.
Le Gouvernement justifie cette mesure, inscrite à l'article 57 du projet de loi, par la baisse du chômage des jeunes. Mais cette diminution, dont je me réjouis par ailleurs, ne signifie en rien que les besoins de formation diminuent : l'apparition d'une pénurie de main-d'oeuvre dans certains secteurs en témoigne amplement.
Le Gouvernement n'a pas de politique de l'apprentissage. Il navigue à courte vue, il supprime telle aide par-ci, il en diminue telle autre par-là, au gré de la conjoncture économique et de l'emploi.
Or, il faut le savoir, l'Etat ne finance que la moitié des sommes consacrées à l'apprentissage. En effet, les régions et les entreprises contribuent pour plus de 8 milliards de francs à son financement. Or, que fait le Gouvernement ? Il alourdit encore leur contribution avec le passage aux 35 heures !
Les régions vont devoir débourser chacune plusieurs millions de francs pour financer la réduction du temps de travail dans les centres de formation d'apprentis, les CFA. Ce transfert de charges - permettez-moi de vous le dire respectueusement, madame le ministre - est inadmissible.
Quant aux entreprises, elles vont devoir payer des heures supplémentaires aux apprentis, et cela me conduit à formuler ma dernière réflexion.
Le Gouvernement a fait le choix idéologique d'un apprentissage a minima. Il préfère privilégier, encore et toujours, l'enseignement professionnel.
Les mesures récentes en témoignent. Un ministère délégué à l'enseignement a été créé en début d'année. Une réforme importante vient d'être mise en place et des moyens supplémentaires importants ont été débloqués : 2 485 emplois nouveaux de professeurs en lycées professionnels sont créés ; plus de 500 millions de francs supplémentaires viendront financer les innovations pédagogiques et revaloriser le traitement des professeurs.
Dans le même temps, rien - je dis bien « rien » - n'est fait pour améliorer la compensation du coût du temps passé par le maître d'apprentissage à la formation de l'apprenti.
Avec une telle politique, vous ne viendrez à bout ni des pénuries de main-d'oeuvre ni du chômage des jeunes. Il est temps de faire de l'apprentissage une voie de formation à part entière.
M. Jean-Claude Carle. Très bien !
M. Jean Boyer. Cela passe : premièrement, par la poursuite de la revalorisation culturelle de l'apprentissage ; deuxièmement, par une meilleure information et orientation des jeunes ; troisièmement, par l'aménagement de filières complètes permettant d'atteindre des qualifications de haut niveau et par la multiplication des passerelles - j'insiste sur ce point - entre les différentes formations ; quatrièmement, par une meilleure compensation du temps passé par le maître d'apprentissage à la formation de l'apprenti.
Puissiez-vous, madame le ministre - je vous le demande respectueusement - mettre ces réformes en oeuvre ! (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec un peu moins de 112 milliards de francs, le budget de l'emploi demeure l'un des trois budgets prioritaires de la nation, et il faut souligner d'entrée de jeu que la spectaculaire décrue du chômage n'a pas conduit le Gouvernement à baisser la garde. C'est un choix politique que je veux porter au crédit de M. le Premier ministre. En d'autres temps, d'autres chefs du gouvernement auraient agi autrement.
Si, en masse, le budget demeure à peu près l'équivalent de celui de l'an passé, l'affectation des sommes connaît, elle, de sensibles évolutions, et cela est de bonne méthode. Il aurait été curieux que la forte croissance des offres sur le marché du travail ne se traduise pas par une modification de l'investissement public. Evidemment, ces redéploiements peuvent poser problème et susciter des questions ; je les évoquerai chemin faisant.
Mais, avant d'entrer dans le détail, saluons votre politique de plein emploi et vos succès sur le front du chômage, madame le ministre. C'est à partir de ce constat que se développent mes interrogations, ou même mes inquiétudes.
Les moyens financiers attribués à vos services, à l'ANPE et à l'AFPA, s'accroissent de façon significative, et c'est heureux, dans la mesure où la mise en place des 35 heures a fortement mobilisé l'activité de votre ministère.
Les services déconcentrés du travail ont particulièrement souffert d'une gestion complexe et excessivement centralisée du dossier de l'aménagement et de la réduction du temps de travail, l'ARTT, depuis deux ans.
J'espère que la marge budgétaire retrouvée, prolongeant l'effet positif de votre arrivée, permettra aux directions départementales du travail de reprendre souffle.
Je sais bien que les 35 heures vont encore mobiliser vos services l'an prochain. Il faudrait pourtant, madame le ministre, permettez-moi de vous le dire, qu'un coup de frein soit donné à la « culture de guichetier », à la gestion par trop administrative du budget qui s'est développée dans les services déconcentrés, sous la pression du chômage et en raison des orientations nationales arrêtées depuis une quinzaine d'années.
Il faut retrouver l'esprit d'administration de « mission » qui fit les beaux jours du ministère au début des années quatre-vingt, alors que fleurissaient les initiatives décentralisées et que la mode était au développement endogène, au développement local.
Sans naïveté, à partir de ma double expérience de maire et de président des comités de bassin d'emploi pendant dix ans, permettez-moi de vous dire qu'il est temps de revenir à une conception moins « macro » des politiques de l'emploi.
Vous pourrez, pour cela, prendre appui sur l'ANPE, dont la mutation est remarquable. Ce service public de l'emploi a su s'adapter, et il méritait bien la confiance que lui a renouvelée Mme Aubry dans son bras de fer justifié avec le MEDEF et la CFDT.
Je voudrais dire, au passage, que les partenaires sociaux ne peuvent prétendre se substituer aux élus de la nation - à chacun son rôle ! - d'autant que leurs divisions et la faiblesse de leur représentativité affaiblissent leur légitimité.
En revanche, veillons, nous, Parlement, et veillez, vous, Gouvernement, à ne pas corseter par la loi, le règlement et les circulaires une activité économique qui échappe évidemment à des classifications rigides. A chacun son rôle, en somme, dirai-je une nouvelle fois !
Plus concrètement, qu'en sera-t-il de la mission de l'ANPE dans le contrat de retour à l'emploi appelé PARE - plan d'aide au retour à l'emploi - qui suscite encore bien des inquiétudes ?
Permettez-moi à présent d'en venir à l'un des rares points noirs de votre ministère : le fossé qui s'est creusé avec le corps des inspecteurs du travail.
Ces derniers éprouvent un sentiment d'abandon. Ils s'estiment mal soutenus dans leur mission de « magistrats du social », défavorisés dans le reprofilage de leur carrière, et le conflit malheureux en cours avec l'un de leurs leaders syndicaux achève de dégrader les relations.
J'avais, au printemps, vainement alerté Mme Aubry à ce sujet. Votre nomination, madame la ministre, a déjà détendu l'atmosphère, et je sais que vous faites tout pour restaurer un climat de dialogue. C'est nécessaire, car, reconnaissons-le, la tâche des inspecteurs du travail est ingrate dans un contexte de déréglementation du marché du travail et d'affaiblissement syndical. Ils sont les contrepoids indispensables de la puissance publique et les garants des droits des salariés face au vent du libéralisme économique. Ils méritent notre aide.
Précisément, ne serait-il pas temps, en extrapolant ce sujet, de réexaminer la question du temps partiel et de mieux encadrer les contrats à durée déterminée, qui prolifèrent dans la grande distribution, essentiellement au détriment des femmes ?
Voilà des firmes multinationales en position d'oligopole et qui en profitent pour exploiter leur personnel ! Jusqu'ici, le taux élevé de chômage décourageait de prendre des iniatives pour contrecarrer cette tendance, mais, à présent, le moment n'est-il pas venu de faire quelque chose ?
J'ai dit que j'approuvais les redéploiements de crédits, et pourtant un choix m'inquiète, celui qui consiste à baisser de presque 10 % le financement des actions en faveur des publics en difficulté - chômeurs de plus de cinquante ans, femmes seules, jeunes de moins de vingt-cinq ans.
Tous les élus locaux et toutes les assistantes sociales vous diront - vous le savez, d'ailleurs ! - l'importance des contrats initiative-emploi, CIE, emploi-solidarité, CES, ou emploi consolidé, CEC, sans oublier les stages dits de « remobilisation ». Ils sont un outil irremplaçable de cohésion sociale. Jusqu'ici, malgré la montée en puissance des 35 heures, leur financement avait été préservé. Qu'en sera-t-il demain ?
Venons-en maintenant au sujet le plus délicat, celui du passage aux 35 heures dans les entreprises de moins de vingt salariés en 2002. Je ferai mes observations, là encore, à partir de mon expérience de maire et de président d'une maison des entreprises fondée en 1986.
Le 1er janvier 2002 commence, pour ces TPE - il faut insister sur le « T » -, c'est-à-dire les très petites entreprises, une période de transition durant laquelle s'appliqueront diverses mesures alourdissant le coût du travail et imposant sa réorganisation au sein d'une unité dépourvue de toute souplesse en raison de sa petite taille. Certes, quelques entreprises ont sauté le pas, mais la grande masse hésite.
Paradoxalement, la croissance économique aggrave la situation, en créant des risques de pénurie de main-d'oeuvre - sans doute moins, d'ailleurs, qu'on ne le dit, et que ne le disait, voilà quelques instants, l'un de nos collègues.
Les obstacles sont redoutables. Le chef d'entreprise - artisan, petit commerçant, médecin - doit intégrer une diversité de paramètres qui bouleversent l'équilibre de sa structure et de ses coûts de production. Quant au personnel, en général peu enclin au changement, souvent dépourvu de culture syndicale, peu familier avec la formation professionnelle continue, il voit arriver cette échéance avec beaucoup d'appréhension.
Je n'en déduis pas, évidemment, qu'il faut interrompre l'application de la loi, mais simplement qu'il est urgent de prendre les précautions nécessaires pour franchir sans trop de mal ce cap.
S'agissant du contingent d'heures supplémentaires, du seuil d'obligation d'embauche et du lien entre recrutement et obtention des aides, envisagez-vous un régime assoupli pour les entreprises de moins de vingt salariés, ou pour celles de moins de dix - la barre n'est pas aisée à placer, mais le seuil psychologique existe en termes d'encadrement et de moyens financiers ?
Je voudrais souligner un point crucial : l'absence du syndicalisme à ce niveau d'entreprises.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Eh oui !
M. Gérard Delfau. Comment y suppléer dans le cadre de la négociation : par le recours au mandataire syndical, en faisant appel au délégué du personnel ? Mais encore faudrait-il qu'il existât.
Je suggère, pour ma part, que soit expérimentée une extension du délégué de site, procédure créée par les lois Auroux et qui pourrait retrouver vie sous forme d'un délégué de zone d'emploi, désigné par chaque organisation syndicale volontaire et s'inscrivant dans l'actuelle mise en place des pays. La rencontre entre la législation sur l'aménagement du territoire - la loi Voynet - et la territorialisation de l'effort en faveur de l'emploi serait une bonne nouvelle et représenterait une économie de moyens.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Delfau !
M. Gérard Delfau. Une dernière interrogation, puisque le temps presse ! Le passage aux 35 heures a une dimension technique nécessitant une pratique fine du code du travail. Faute de pouvoir attendre que ces connaissances se généralisent au sein des TPE, celles-ci ont besoin d'un professionnel, d'un spécialiste pour les accompagner dans cette démarche, et pas seulement pour élaborer la méthode et le calendrier de mise en oeuvre. Mais cela a un coût pour la collectivité.
J'aurais voulu parler encore de l'exceptionnelle réussite sur mon bassin d'emploi du programme communautaire ADAPT, consacré à la mise en réseau de jeunes chefs d'entreprise, copiloté par la direction départementale du travail et la DATAR, animé par ma Maison des entreprises, avec l'appui du conseil général, du conseil régional et de la chambre des métiers. Grâce à ce programme, j'ai vu émerger une nouvelle génération de chefs d'entreprise, en phase avec leur époque et capables d'échanges et d'entraide, à la façon des « districts » italiens. C'est une avancée considérable sur un territoire dont le taux de chômage est le double de la moyenne nationale.
Or l'on me dit que le programme qui lui succède, appelé « Equal », ne permettra pas la poursuite de ce type d'initiative. Ce serait consternant !
J'aurais eu d'autres sujets à traiter. Je ne le puis dans le cadre de cette discussion, mais nous trouverons d'autres occasions.
Il me reste, madame la ministre, à confirmer l'appui des sénateurs radicaux à votre projet de budget, à vous renouveler leur confiance et à souhaiter un grand succès au Gouvernement dans sa politique de plein emploi. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Muzeau.
M. Roland Muzeau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant d'aborder les principales lignes budgétaires du projet de budget pour 2001 du ministère de l'emploi et de la solidarité, examinons le contexte social actuel.
Le taux de chômage a significativement diminué, passant, en un an, de 11,1 % à 9,5 %. Le nombre de demandeurs d'emploi continue à baisser. Cette baisse touche toutes les catégories, même les plus fragiles : les chômeurs de moins de vingt-cinq ans, les RMIstes et les chômeurs de longue durée.
Mais pour quels emplois ? La moitié des salariés du secteur privé, soit environ sept millions de personnes, perçoivent des salaires inférieurs à 1,3 SMIC ! L'emploi précaire explose : d'une année sur l'autre, on compte 103 000 postes d'intérim supplémentaires et 83 000 contrats à durée déterminée de plus.
Les résultats pour l'emploi sont très contrastés : on continue à dépenser beaucoup d'argent public pour aider à créer des emplois précaires, fragiles, qui tirent vers le bas les salaires et la demande de qualification.
Il convient donc de mener, d'une manière renouvelée, une politique de retour au plein emploi et de création de vrais emplois, et non de développer encore un peu plus la précarité, comme nous y incite la majorité sénatoriale. Nous avons le devoir de consolider la croissance et d'assurer une juste répartition de ses effets.
C'est au regard de cette situation et des obligations qu'elle entraîne qu'il faut, à mon sens, examiner le projet de budget.
Les crédits s'élèvent à 111,83 milliards de francs, soit une baisse de 1,9 % par rapport à l'exercice 2000, en ne tenant pas compte des 85 milliards de francs de crédits de compensation d'allégements de cotisations sociales désormais pris en charge par le fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale, le FOREC.
Je comprends, madame la ministre, qu'en raison d'une croissance soutenue les crédits d'accompagnement des restructurations économiques soient allégés à hauteur de 1,5 milliard de francs. Mais, lorsque l'on entend le groupe informatique Bull annoncer une « accélération » des restructurations, avec à la clé un nouveau plan de suppression de 1 800 postes, on prend conscience de ce que la croissance n'évite pas les licenciements massifs et on devine que l'argent public sera de nouveau mis à contribution. J'admets que l'on escompte réaliser des économies sur le financement des préretraites et des préretraites progressives, à condition que la contribution des entreprises au financement du retrait de l'activité soit accrue.
Je comprends le recentrage de la politique de l'emploi au profit des personnes les plus éloignées du marché du travail, afin de faire bénéficier les chômeurs de longue durée, les bénéficiaires des minima sociaux et les personnes handicapées de dispositifs spécifiques. Je note d'ailleurs avec intérêt que les crédits consacrés aux handicapés progressent de 4,6 %, ce qui devrait permettre de créer 500 places supplémentaires en ateliers protégés et 1 500 en centres d'aide par le travail.
Cependant, au-delà de la baisse programmée des crédits qui leur sont affectés pour 2001, je m'interroge très fortement sur l'efficacité des dispositifs existants, comme les CES, les CIE et les CEC.
C'est pourquoi je ne fais pas mienne l'idée de créer un dispositif semblable à celui des emplois-jeunes à l'intention des adultes. Pourtant, il y a grand besoin de dispositifs particuliers s'adressant à des publics particuliers qui cumulent souvent plusieurs handicaps, qu'il s'agisse de difficultés psychologiques ou de problèmes de formation, de santé, de logement, etc.
Plus le chômage recule, plus la situation des laissés-pour-compte de la reprise devient insupportable. Mais les dispositifs existants me semblent toujours frappés de la même tare, car la philosophie qui les sous-tend tient en un slogan : a baisser le coût du travail.
Consacrer quelque 130 milliards de francs en 2001 - combien d'argent a été dépensé depuis 1993, depuis que la précarité est subventionnée ? - aux allégements des cotisations sociales pesant sur le travail ou aux contrats d'aide à la création d'emplois non soumis aux normes du code du travail représente un effort financier considérable, mais à qui profite-t-il ? Les salariés ne reçoivent qu'une faible contrepartie, et les conséquences sur leur vie sont lourdes !
Les exonérations de charges au bénéfice des entreprises incitent, en fait, ces dernières à embaucher à temps partiel et à bas salaire. Comment, dans ces conditions, peut-on continuer à regretter, comme le fait notre collègue M. le rapporteur spécial de la commission des finances, « que l'incitation au travail en France reste trop faible, et le coût du travail trop élevé », alors que les interventions publiques au nom de l'emploi entraînent une baisse des charges supportées par l'employeur, qu'il soit privé ou public ?
Comment peut-on continuer à soutenir - je cite toujours le même auteur - que « ce phénomène, connu sous le nom de "trappe à inactivité", dissuade certaines personnes de chercher du travail en raison de gains de revenus trop faibles, voire nuls, par rapport aux montants des minima sociaux dont elles peuvent bénéficier » ? Les chômeurs vont-il devoir remercier nos collègues de la droite libérale de les mettre en garde contre le principal danger qui les guetterait, à savoir celui de tomber dans une « trappe à inactivité » ? C'est étonnant, et cela revient à ignorer la triste réalité.
En effet, travailler ne met pas automatiquement à l'abri de la pauvreté : en France, 1,3 million de salariés se trouvaient ainsi, en 1996, en dessous du seuil de pauvreté, selon les résultats d'une étude publiée ce mois-ci par l'INSEE, l'Institut national de la statistique et des études économiques. Il s'agit là de la pauvreté laborieuse, des « working poor », notion importée des Etats-Unis dans les années soixante-dix. Ce phénomène touche plus tardivement la France, où ces salariés représentent 6 % de la population active.
Ce seul pourcentage suffit à mettre à bas le mythe des chômeurs se contentant de calculer leur intérêt pécuniaire et préférant rester « payés à ne rien faire » plutôt que de retravailler pour un bas salaire. Le total des actifs vivant au-dessous du seuil de pauvreté, en comptant les 515 000 chômeurs pauvres non pris en compte par l'étude de l'INSEE, s'élève à 1 820 000. Avec les conjoints et les enfants, ce sont 3,5 millions de personnes en France qui sont concernées par la pauvreté laborieuse.
Ces actifs touchent des salaires inférieurs aux revenus d'assistance dont ils pourraient bénéficier s'ils ne travaillaient pas. Une minorité seulement de la population raisonne donc en fonction d'un gain immédiat.
La reprise d'un tel emploi à faible salaire, après une période de chômage ou de RMI, s'explique aussi, outre l'apport d'un statut social lié au travail, par le fait que le chômeur espère toujours qu'il débouchera sur un « vrai travail », un emploi stable et normalement rémunéré.
Nous sommes loin, mes chers collègues, de cette provocation que constitue l'information parue cette semaine dans la revue Capital , selon laquelle Liliane Bettencourt, tête de liste des grandes fortunes, s'enrichit de quelque 4 millions de francs par heure : à la fin de mon intervention, cette personne aura gagné 733 000 francs de plus !
M. Guy Fischer. Eh oui !
M. Roland Muzeau. En fait, sauf à vouloir les culpabiliser, le comportement des chômeurs face à l'emploi ne peut être envisagé indépendamment de l'état du marché du travail et de la nature des postes proposés. Nombre de jeunes n'ont jamais connu la stabilité, enchaînant les « petits boulots » avec l'espoir qu'ils se transforment en emploi fixe. Au lieu d'une « trappe à inactivité », ils se rendent compte, avec le temps, qu'ils sont tombés dans une « trappe à précarité ». Très révoltés contre les pratiques des employeurs, certains décident parfois de ne plus accepter de travail précaire, ne misant plus que sur d'hypothétiques contrats à durée indéterminée, seuls susceptibles de leur apporter une stabilité.
Je me félicite, madame la ministre, du renforcement des moyens de l'ANPE, notamment en termes de postes d'inspecteur et de contrôleur du travail. Mais il faudra faire plus encore. Cela permettra de s'attaquer aux abus mais ne réglera pas le fond du problème. Plutôt que de contribuer au développement d'emplois ne permettant pas à leurs titulaires de vivre, les pouvoirs publics doivent au contraire pénaliser ou rendre illégal le recours massif à la précarité. Sinon, l'objectif du plein emploi pourrait bien n'être qu'un miroir aux alouettes.
Il s'agit maintenant de mettre en oeuvre les priorités de la gauche plurielle : pénaliser financièrement le recours aux emplois précaires, développer la reconnaissance des droits des salariés, contrôler davantage l'utilisation des dotations publiques aux entreprises et mettre en place des fonds décentralisés, orientés en priorité vers le financement de la formation, de la création d'emplois et des investissements dans les PME-PMI.
J'ai bien pris note, madame la ministre, de vos engagements relatifs à la future loi de modernisation sociale et devant permettre le passage à un emploi stable. Nous aurons donc l'occasion d'aborder de nouveau ce sujet.
J'ai également relevé que vous nous avez donné l'assurance que sera menée à terme, dans le respect du calendrier prévu, la mise en oeuvre des 35 heures pour tous les salariés, je m'en félicite.
Reste la question de l'avenir des emplois-jeunes : je suis de ceux qui tiennent à ce que ce dispositif aboutisse à une réussite. Il a permis de répondre à une forte attente des jeunes et doit donc être mené à son terme. A chacun de ces jeunes, il s'agit de garantir un débouché professionnel qui ne soit pas « hors norme » au regard du code du travail. Cela vaut pour l'Etat, qui doit donner des signes forts.
Je terminerai mon intervention en évoquant la formation professionnelle, dont l'importance est unanimement reconnue. Pourtant, le montant de la dotation au financement de l'AFR, l'allocation de formation-reclassement, diminue, passant de 2,5 milliards de francs à 1,5 milliard de francs. Est-ce une façon d'anticiper l'application de la future convention relative à l'UNEDIC, que le groupe communiste républicain et citoyen conteste et qui semble devoir être agréée par le Gouvernement, malgré son caractère dangereux et pour le moins ambigu ?
Cette convention, si elle prévoit d'importantes baisses de cotisations patronales, ne permettra d'accroître que très peu la proportion de chômeurs indemnisés et ne débouchera pas sur une amélioration du montant des allocations. Je crains fort que nous ne demeurions enfermés dans la même logique libérale, se fondant sur l'idée fallacieuse qu'un chômeur ne veut pas retravailler et qu'il faut sans répit baisser le coût du travail. L'agrément ne risque-t-il pas d'être compris par le MEDEF comme la validation de sa démarche de « refondation sociale » ?
Il apparaît pourtant crucial d'élaborer des mesures reposant sur l'incitation et la promotion plutôt que sur la contrainte et la sanction, des mesures permettant d'assurer le retour à l'emploi en donnant à chacun le droit à la formation tout au long de sa vie. Face à des pénuries de main-d'oeuvre se manifestant dans certains secteurs comme l'informatique, le bâtiment et les services, une formation qualifiante permettrait d'anticiper les besoins.
Faire progresser le montant des dotations à l'AFPA est une bonne chose ; nous attendons néanmoins la réforme annoncée, qui tarde à venir. J'espère que cette attente sera compensée par un renforcement des investissements de l'Etat et des autres partenaires, les responsabilités de chacun étant clarifiées, afin que la formation professionnelle corresponde aux besoins de l'économie nationale et des salariés.
Ainsi, madame la ministre, mes chers collègues, sur le fondement des remarques que je viens de faire, le groupe communiste républicain et citoyen rejettera les amendements de la droite sénatoriale et s'abstiendra sur ce projet de budget contrasté. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de budget de l'emploi et du travail pour 2001 présente une originalité dont nous ne pouvons que nous réjouir et qu'il s'agit de bien mesurer : il accompagne l'emploi plutôt qu'il n'accompagne le chômage. Il faut mettre en perspective cette évolution et les réponses spécifiques et nouvelles qu'elle appelle.
La décrue du chômage est due à plusieurs facteurs : la croissance, l'action des dispositifs de lutte contre le chômage, une politique volontariste - que symbolisent notamment les emplois-jeunes - et des réformes structurelles visant le financement de la protection sociale, l'ensemble de ces paramètres étant conjugué par le Gouvernement.
Parmi les dispositifs de cette politique qui met la croissance au service de l'emploi, il faut citer les 35 heures. Je sais qu'il y a polémique sur ce sujet, mais les résultats sont là sur le plan de la création d'emplois. Le dialogue social a été relancé dans l'entreprise, ce qui a permis à ses acteurs d'acquérir une meilleure connaissance mutuelle et de mettre en oeuvre une réorganisation profonde et efficace.
Cette décrue du chômage, qui s'est déroulée de manière presque ininterrompue, profite à tous les demandeurs d'emploi, qu'il s'agisse des chômeurs de longue durée, des jeunes ou des femmes. Par ailleurs, en ce qui concerne les personnes âgées de plus de cinquante-cinq ans, l'INSEE a constaté un arrêt de la baisse d'activité.
Par la confiance qu'elle redonne aux ménages et par les ressources accrues qu'elle procure à ceux qui sortent du chômage, cette amélioration de la situation de l'emploi entretient la croissance.
Faut-il pour autant penser que nous sommes entrés dans un cercle vertueux ? Soyons prudents : c'est la perspective qui a changé et qui semble indiquer que nous allons vers le plein emploi.
Toutefois, nombre de nos concitoyens sont encore victimes du chômage ou ont peur de le devenir. Cette angoisse touche leurs proches, ainsi que les responsables politiques et socio-économiques, en particulier dans certains bassins d'emplois. De fait, ce sont les personnes les plus en difficulté et les plus fragiles qui ont le moins de chances de retrouver un emploi grâce à la seule croissance. C'est le noyau dur du chômage qui apparaît maintenant, de façon problématique.
Comment allons-nous nous y prendre pour nous attaquer à ce chômage-là ?
Chacun s'accorde à dire que les moyens de lutte de demain ne devront pas être les mêmes que ceux d'hier. Il faut, pour aider les chômeurs les plus en difficulté, prendre des mesures spécifiques d'accompagnement et d'insertion qui soient appliquées de manière de plus en plus individualisée ; il faut aller vers du « sur-mesure ». On peut, on doit réussir. En effet, les chances que les dispositifs d'insertion puissent maintenant remplir leur fonction sont réelles : le marché du travail est plus accueillant, ce qui est une condition nécessaire mais non suffisante. Il existe même des pénuries de main-d'oeuvre.
Ce budget doit permettre à chacun d'accéder aux emplois que créent l'économie et de nouveaux besoins. Il s'agit, en fait, d'« accrocher » les victimes du chômage à la croissance.
Si ce choix répond évidemment aux aspirations légitimes de nos concitoyens, je suis convaincue qu'il représente davantage : c'est la condition grâce à laquelle la croissance sera durable, parce qu'une économie solide au service de la société se fonde non pas sur l'exclusion, mais sur la participation de tous à la création des richesses, et ce avec un statut et dans des conditions de travail sécurisées, avec des salaires décents et des compétences professionnelles reconnues. J'y reviendrai.
Auparavant, je veux souligner que ce projet de budget comporte des redéploiements révélateurs de cette volonté d'accompagner l'emploi plutôt que le chômage.
La diminution de certaines dépenses nous est proposée. Ainsi, l'amélioration de la situation permet de poursuivre la baisse des dotations accompagnant les restructurations : nous voyons que le montant de l'aide publique au chômage partiel, par exemple, passe à 150 millions de francs, alors qu'il était encore de 686 millions en 1998.
Une baisse sensible des dotations apparaît également dans le domaine des préretraites progressives, dont le dispositif avait été profondément remanié en 1997.
Des moyens accrus sont donc dégagés. Avant de les évoquer, je voudrais marquer ma perplexité s'agissant du cas particulier des contrats emploi-solidarité, les CES.
On constate en effet une réduction de la dotation affectée au financement des CES, ce qui ne peut manquer de nous interpeller. Son montant régresse d'un peu plus de 9 milliards de francs à 6,5 milliards de francs. Cette diminution a été décidée parce que le nombre d'entrées prévues dans le dispositif est en diminution.
Parallèlement, madame la ministre, vous avez la volonté de restreindre le bénéfice de cette mesure aux publics qui en ont réellement besoin dans le cadre de leur parcours d'insertion dans le monde du travail. Cela est d'ailleurs conforme aux dispositions de 1998, qui exigent que, pour obtenir le renouvellement des CES, les employeurs mettent en oeuvre un dispositif d'accompagnement et de formation. Je souscris à cette démarche, qui tend à mieux accompagner les publics concernés, mais cette diminution des dotations inquiète les acteurs de l'insertion.
M. Gérard Delfau. Oui !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Ils ne doivent pas se trouver dans l'embarras alors que l'on attend beaucoup d'eux. En fait, nous sommes face à une transition dans ce dispositif. Madame la ministre, pourriez-vous préciser comment vous entendez appréhender cette transition ?
Dans ce projet de loi de finances, plusieurs mesures seront déterminantes pour vaincre le noyau dur du chômage. Elles permettront de mener des actions plus individualisées qui prendront en charge, dans la durée, le parcours de chaque personne.
Les contrats emplois consolidés, les CEC, qui offrent une possibilité d'insertion sur cinq ans, concernent 69 % des chômeurs de longue durée. C'est le signe d'un resserrement sur les publics prioritaires. Il est bon que leur dotation soit en hausse.
L'attention aux publics prioritaires se lit également dans les crédits consacrés aux contrats initiative-emploi, les CIE. Ceux-ci sont stabilisés, alors qu'ils étaient en baisse depuis 1998.
Dans le cadre du programme TRACE, le projet de budget pour 2001 prévoit un effort important pour soutenir les missions locales et les permanences d'accueil, d'information et d'orientation, les PAIO. Le programme TRACE, institué par la loi de lutte contre les exclusions, est exemplaire par le parcours individualisé qu'il met en oeuvre. Maintenons donc ce dispositif et donnons-lui plus d'ampleur.
Concernant l'effort financier qui est fait pour les missions locales, auquel je souscris, je voudrais souligner que ces missions ont besoin d'indications stabilisées en ce qui concerne les dotations qu'elles attendent, en particulier pour le FSE. Certaines ont en effet des difficultés à établir leur budget par manque d'informations précises, et ce flou pèse sur la bonne mise en oeuvre de leur activité.
Pour les emplois-jeunes, la dotation est en légère hausse. L'effort de professionnalisation doit être renforcé. La question de la pérennisation lui est étroitement liée et devient aiguë.
Madame la ministre, vous avez déjà été interpellée sur ce sujet ; vous avez dressé un tableau de ceux qui sont déjà solvabilisés ou qui vont l'être. Mais vous avez reconnu que des problèmes se posaient, notamment pour les jeunes qui n'avaient pas le niveau bac + 3 et qui sont dans l'éducation nationale. Avez-vous progressé dans la recherche d'une solution ?
Sur un autre plan, on peut noter l'effort qui est fait pour améliorer les moyens en personnels du ministère de l'emploi. Les crédits sont en hausse de 8,4 %. Ils permettront une revalorisation indemnitaire et une régularisation d'agents précaires, ce qui correspond à des objectifs plus généraux de la part du Gouvernement. Des emplois sont créés, notamment d'inspecteur et de contrôleur du travail. Cela montre que le Gouvernement est conscient des besoins. Peut-être faut-il même aller plus loin !
La mise en oeuvre négociée de la réduction du temps de travail a débouché sur de nouvelles conditions de travail, qui nécessitent une vigilance accrue. C'est aussi le cas du travail de nuit, qu'il s'agisse de celui des hommes ou de celui des femmes. Il faut que les salariés soient et se sachent protégés dans leurs droits.
Parmi les efforts importants réalisés, soulignons l'augmentation de la subvention à l'ANPE. Depuis 1997, elle aura progressé de 30 %. Ce sont 4,7 millions de demandeurs qui ont fréquenté l'agence cette année et 3,3 millions d'offres d'emploi qui y ont transité, contre 700 000 il y a dix ans. Ces chiffres révèlent un effort d'efficacité qui est payant, puisqu'il recueille la confiance des entreprises.
L'effort en faveur de l'ANPE apparaît d'autant plus nécessaire que les personnes qui ne parviennent pas à retrouver un emploi sont précisément celles qui ont le plus besoin d'un accompagnement personnalisé et d'une formation. Cela souligne l'intérêt des nouveaux liens avec l'AFPA dont ont bénéficié, en 1999, 96 500 chômeurs.
Je dirai maintenant quelques mots de la formation professionnelle. J'ai conscience qu'il s'agit, dans ce domaine, d'un budget de transition. Pour autant, on ne peut négliger aucune des dimensions de cette grande question.
Dans la perspective qui nous intéresse, pour pérenniser une croissance riche en emplois, il est important de mettre en oeuvre l'ambition d'une formation tout au long de la vie.
Je pense qu'il faut accentuer notre action en ce sens. Il le faut d'autant plus que davantage de personnes auront besoin d'une prise en charge individuelle plus longue et poussée plus loin dans l'entreprise. Nous espérons qu'il en sera question dans le cadre de la future loi de modernisation sociale ! Il faudra permettre des cheminements et renforcer l'articulation des différents mécanismes d'insertion dans le travail. Il le faut d'autant plus que les évolutions rapides des technologies de l'information « casseront » professionnellement ceux qui n'auront pas bénéficié de cette formation continue.
Avec la croissance, d'une part, et un fort noyau dur du chômage, d'autre part, il est par ailleurs important de maintenir les structures d'insertion. Elles retrouvent leur rôle et elles permettent d'éviter l'écueil de l'enfermement sur des publics en difficulté. Comme l'écrivait récemment Jean-Michel Belorgey, « ce n'est pas le moment de lever le pied ». Il faut travailler sur les situations particulières et mettre en place des itinéraires transitionnels.
Ainsi, les plans locaux d'insertion par l'économique constituent un apport important dans cette démarche, en complément de ces structures d'insertion.
De plus, il paraît déterminant de développer significativement la gestion prévisionnelle de l'emploi, notamment dans les petites et très petites entreprises. Cela représente un véritable chantier.
Alors que la baisse du chômage se confirme, il faut, madame la ministre, franchir une troisième étape : il s'agit de rendre le travail plus attractif, à la fois plus valorisé et plus valorisant. Cela signifie concrètement préparer une amélioration du pouvoir d'achat individuel et une sécurisation des conditions de travail.
Il est important d'y penser dès maintenant, pour deux raisons essentielles. En effet, la crise a imposé des sacrifices mettant les salariés en position de faiblesse. Il serait malsain de pérenniser cette situation, alors même qu'il y a des tensions sur le marché de l'emploi et que celles-ci peuvent se résoudre par une amélioration des conditions de travail.
De plus, il faut porter loin la dynamique de la croissance. Cette dernière ne doit pas être seulement encouragée pour elle-même ou pour développer les seuls profits, mais elle doit l'être aussi en faveur des salariés, afin de leur fournir du pouvoir d'achat individuel. Il faut ici souligner que la diminution du chômage permet déjà une augmentation de la masse salariale, donc du pouvoir d'achat collectif.
Qu'il faille agir pour développer l'attractivité du travail, même les instances professionnelles en ont conscience. Si des secteurs tels que l'hôtellerie-restauration ou le bâtiment se heurtent à des difficultés pour trouver de la main-d'oeuvre, c'est parce que les salaires sont faibles pour des horaires qui, eux, ne le sont pas, avec des conditions de travail particulièrement pénibles.
Il faut, en particulier, lutter contre le travail précaire, encore trop important. On constatait, en mars dernier, une augmentation de 11 % des travailleurs précaires. Ils représentent 10 % de la population active.
Par ailleurs, le volume du travail intérimaire augmente, en particulier dans la construction et dans le tertiaire.
Bien qu'il ne soit pas très important chez les cadres, on note là aussi une augmentation de l'intérim. Ces progressions sont d'autant plus frappantes que, comme le notait la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, les tensions sur le marché du travail, d'une part, la souplesse introduite par de nombreux accords sur les 35 heures, d'autre part, devraient concurrencer le recours au travail temporaire. Cette tendance semble, en fait, correspondre à un processus d'externalisation sur lequel nous devons nous interroger.
Pour y faire face, je crois qu'il est nécessaire d'avancer, et je rejoins sur ce point notre collègue Gérard Delfau sur la notion du dialogue social organisé par site.
En effet, dans un bassin d'emploi, ce sont les entreprises pilotes qui sont privilégiées en termes de dialogue social et de syndicalisation. Sur ce plan, les salariés des entreprises sous-traitantes ou les intérimaires sont des laissés-pour-compte. Quelle est, madame la ministre, votre réflexion à ce sujet ?
M. Gérard Delfau. Très bien !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Par ailleurs, il faut être vigilant pour que ne s'aggrave pas le phénomène des travailleurs pauvres. On nous cite souvent les pays anglo-saxons comme modèles. Mais, là-bas, à mesure que la courbe du chômage diminue, celle de la pauvreté augmente. Il serait tragique que cette tendance se développe en France et gagne toute l'Europe !
Fondamentalement, il faut veiller à mettre les travailleurs en situation de faire valoir leurs droits. C'est un aspect important de l'accès à l'emploi.
M. le président. Veuillez conclure, madame Dieulangard !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Je conclus, monsieur le président.
L'amélioration des moyens de la médecine du travail doit participer de cette politique globale. Toute cette politique doit tendre à s'insérer dans les objectifs communautaires qui visent à améliorer qualitativement l'emploi. Nous touchons au coeur de l'Agenda social européen, qui sera proposé sous l'égide de la France, la semaine prochaine, au sommet européen de Nice.
La décrue du chômage est due, certes, à l'action du Gouvernement et à la croissance. Au moins, sur ce dernier aspect, il y a unanimité. L'objectif du Gouvernement est une croissance durable et riche en emplois.
Je crois que cette dernière résulte aussi de la qualité des emplois : il faut des emplois stables, offrant un pouvoir d'achat suffisant, permettant l'expression des salariés, faisant appel aux meilleures qualifications possibles.
Madame la ministre, votre budget pour l'emploi fait cheminer notre pays vers ces objectifs, et les sénateurs socialistes le soutiennent avec conviction. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Jourdain.
M. André Jourdain. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, si l'on ne peut que se féliciter de voir le budget de l'emploi en baisse de 1,9 % cette année, on peut également regretter que cette diminution ne soit pas plus importante. En effet, la croissance exceptionnelle que notre pays connaît actuellement a permis à elle seule de réduire considérablement le chômage, ce qui aurait dû, logiquement, vous conduire, madame le ministre, à réduire fortement votre budget.
Malheureusement, vous n'avez cherché à diminuer que les financements les plus justifiés, ceux de l'apprentissage et de la formation en alternance. En effet, la suppression des aides à l'embauche pour les contrats de qualification est totalement aberrante au regard du pourcentage du chômage des jeunes, hélas encore très élevé en France. En outre, cette mesure va encore affaiblir une filière déjà peu valorisée et accroître la pénurie de main-d'oeuvre dont souffrent certains secteurs d'activité.
Permettez-moi de vous le dire, madame le ministre, je ne comprends pas votre refus de donner un élan pourtant indispensable à ces filières d'apprentissage.
De même, vous diminuez considérablement les crédits du comité paritaire du congé individuel de formation, le COPACIF, destinés à financer le congé individuel de formation, alors que ce type de formation constitue pour beaucoup de salariés, notamment les autodidactes, le seul moyen de se reconvertir ou de faire valider des acquis professionnels lorsqu'ils n'ont pas de diplômes.
Enfin, il serait grand temps de privilégier l'insertion professionnelle des jeunes dans le secteur privé, car si le chômage diminue globalement, l'accès au premier emploi pour les jeunes, y compris pour les plus diplômés, reste encore difficile. Pourquoi ne pas mettre en place un contrat de première expérience professionnelle pour ces jeunes, afin de lever les freins à leur embauche ?
M. Jean Delaneau. Bonne idée !
M. André Jourdain. Vous préférez privilégier les emplois-jeunes et les coûteuses 35 heures, deux mesures à contre-courant de la croissance économique actuelle. Le coût de la réduction du temps de travail, que vous avez cherché à dissimuler au sein du FOREC, est en effet évalué à 85 milliards de francs et nous empêche à plus d'un titre de profiter pleinement de cette conjoncture économique favorable.
En effet, en dehors de son coût, l'application de cette loi entraîne un nombre considérable de problèmes d'organisation, et donc une perte de productivité pour certaines entreprises. Nous voyons bien, sur le terrain, que ce texte n'est pas adapté à la diversité des situations. En touchant aux horaires, vous touchez toute l'organisation de l'entreprise, notamment celle qui repose sur l'utilisation des machines, avec le système, par exemple, du travail par poste.
En effet, sur un cas bien précis - il ne s'agit pas d'une objection théorique, comme vous me l'avez reproché en commission des affaires sociales - je voudrais vous donner un exemple des difficultés techniques en dehors des difficultés financières, de l'application de la loi : une entreprise, que je connais très bien, emploie vingt-cinq salariés. Passer aux 35 heures signifie perdre vingt-cinq fois quatre heures, soit cent heures par semaine. Il faudrait trouver trois salariés supplémentaires pour faire ces cent heures perdues !
Or cette entreprise n'arrive pas à trouver ces trois salariés et, même si elle les trouvait, il lui serait impossible de les utiliser sur des postes liés aux machines de fabrication car, par synergie, ces machines doivent obligatoirement tourner en même temps. Alors, cette société envisage, contrainte et forcée, de faire deux équipes avec des horaires décalés, mais combien d'heures l'unique contremaître ou l'unique chef d'atelier sera-t-il obligé de faire ?
Cette loi a pour effet de renforcer les entreprises dont la taille permet d'absorber les 35 heures, mais elle fragilise les PME moyennes qui n'ont pas cette marge de manoeuvre. Pour celles-ci, la loi induit des rigidités supplémentaires, et donc, à terme, des destructions d'emplois. Parallèlement, elle creuse des inégalités en faisant apparaître deux catégories de salariés selon qu'ils travaillent ou non dans des entreprises qui tirent profit de la réduction du temps de travail.
De plus, l'application de la loi provoque des tensions salariales : les entreprises ont du mal à maintenir la politique de modération salariale qui devait accompagner la réduction du temps de travail. Cet exemple illustre bien les conséquences des 35 heures : baisse de la productivité, pénurie de main-d'oeuvre et augmentation du coût du travail constituent désormais le cercle vicieux auquel sont confrontés des pans entiers de l'économie.
Vous comprendrez, dès lors, qu'un assouplissement de la loi est indispensable. C'est d'ailleurs l'avis de M. Fabius. J'attends de connaître le vôtre sur cette question !
Au lieu de cette loi relative aux 35 heures, pourquoi ne pas avoir privilégié l'abaissement des charges, en particulier salariales ? Cela aurait permis une augmentation des salaires nets sans coût supplémentaire pour les entreprises. Les salariés souhaitaient et souhaitent toujours plus de salaire plutôt que plus de temps libre.
J'aimerais maintenant vous rappeler la question que je vous avais posée en commission des affaires sociales au sujet de ma proposition de loi, adoptée par le Sénat, sur le multisalariat.
Cette proposition a pour objet de permettre aux salariés qui le désirent de travailler à temps partagé dans plusieurs entreprises. Cette pratique existe dans les faits. Elle présente de nombreux avantages, tant pour les salariés que pour les employeurs : pour les premiers, il s'agit d'un rapport plus autonome au monde du travail, auquel s'ajoute une répartition des risques de perte de leur emploi ; pour les entreprises, le multisalariat offre un accès à des compétences indispensables, mais qui ne justifient pas un emploi à temps plein.
C'est donc à la fois un atout pour le développement des entreprises ainsi qu'un important vivier d'emplois pour les salariés, à condition qu'ils ne soient pas assimilés à un temps partiel multiple, forme totalement inadaptée à leur statut.
Il convient donc aujourd'hui d'apporter une reconnaissance juridique à ces « multisalariés » objet, je le souligne, de ma proposition de loi. C'est pourquoi je souhaite connaître vos intentions en la matière, madame le ministre, et savoir, notamment, si cette proposition de loi a une chance d'être inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.
Enfin, je me permets de vous rappeler une suggestion présentée par le groupe de travail présidé par notre collègue Alain Gournac sur le bilan à mi-parcours des emplois-jeunes et reprise par la commission des affaires sociales. Il s'agirait de proposer à des jeunes dont on est certain que leurs emplois ne seront pas pérennisés dans le secteur public de travailler en temps partagé et en multisalariat, à la fois dans le secteur public où ils exercent actuellement et dans le secteur privé.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. André Jourdain. Cela permettrait d'assurer une bonne insertion professionnelle dans ce secteur.
Ce que je vous propose, madame le ministre, s'inspire d'abord du terrain, d'une ancienne expérience de président de comité pour l'emploi.
M. Gérard Delfau. Excellente présidence !
M. le président. Quel compliment !
M. Gérard Delfau. Mérité !
M. André Jourdain. Ma proposition émane aussi d'une conception qui en appelle à l'esprit d'initiative et au sens des responsabilités, du côté aussi bien des employeurs que des salariés, et qui s'oppose à la philosophie du « tout Etat » et de l'assistance.
C'est pour cette raison, monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, que je ne voterai pas les crédits relatifs au budget du travail, de l'emploi et de la formation. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Carle.
M. Jean-Claude Carle. Madame le ministre, le budget de l'emploi que vous nous présentez pour 2001 est en légère diminution. Rien de plus normal, si c'était vrai, puisque la conjoncture va mieux. Malheureusement, c'est une fois de plus un trompe-l'oeil, car ce budget ne tient pas compte du gouffre financier des 35 heures.
En réalité, loin de diminuer, ce budget augmente considérablement, si l'on tient compte des sommes consacrées à la compensation du coût de la réduction du temps de travail qui sont camouflées dans les « tuyauteries » monstrueuses du FOREC.
Ces aides passent, d'une année sur l'autre, de 67 milliards de francs à 85 milliards de francs. Elles atteindront 105 milliards de francs en régime de croisière.
Par ailleurs, les frais de structure de votre ministère continuent d'augmenter, avec la création de 135 emplois supplémentaires après les 130 nouveaux de cette année.
Ce budget ne marque pas un tournant. Il s'inscrit, au contraire, dans la continuité de l'inflation budgétaire des années antérieures : les dépenses consacrées à l'emploi ont augmenté de plus de 50 % depuis cinq ans.
On se demande pour quel résultat, puisque l'amélioration de l'emploi n'est pas la conséquence des dispositifs Aubry I et Aubry II, et ne sera sans doute pas la conséquence des dispositifs de Mme Guigou : c'est la conséquence de la croissance économique et du dynamisme de nos entreprises.
Mme Maryse Bergé-Lavigne. Aussi !
M. Jean-Claude Carle. Les entreprises ont d'autant plus de mérite que les contraintes qui pèsent sur elles n'ont jamais été aussi fortes.
M. Guy Fischer. On ne leur a jamais autant donné !
M. Roland Muzeau. On ne leur a jamais fait autant de cadeaux !
M. Jean-Claude Carle. L'OCDE et la Commission européenne ont pointé les graves problèmes structurels qui continuent de se poser dans notre pays : la pression fiscale confiscatoire, le poids exccessif de l'administration, la panne de la formation continue, les ratés dans la lutte contre le chômage de longue durée, l'avenir incertain des emplois-jeunes...
Or ce budget n'amorce aucune des réformes indispensables pour remédier à ces maux. Il privilégie les dépenses courantes à l'investissement matériel ou immatériel, comme c'est d'ailleurs le cas de cette loi de finances dont nous débattons.
Vous ne profitez pas de l'amélioration de la conjoncture pour engager les indispensables réformes de structure.
Vous augmentez encore et toujours ce qu'on appelle les « aides » à l'emploi.
On connaît leur efficacité contre le chômage : en 1989, l'Etat y consacrait environ 80 milliards de francs. En 1997, le rapport Novelli a évalué ces aides à environ 150 milliards de francs. Entre-temps, le chômage avait augmenté de un million de personnes ! Malgré cette inefficacité, vous avez continué sur cette voie. Vos deux mesures phares montrent aujourd'hui leurs limites. Les emplois-jeunes seront dans quelques mois la voie de garage que nous avons dénoncée depuis l'origine. Les aides aux 35 heures compensent à peine l'augmentation du coût du travail. Qui plus est, j'y reviendrai dans quelques instants, les entreprises ne trouvent pas aujourd'hui le personnel qualifié dont elles ont besoin.
M. Jean Boyer. C'est vrai !
M. Jean-Claude Carle. Aujourd'hui, vous êtes en train de gâcher la croissance. Notre pays ne profite pas comme il le devrait de la bonne conjoncture économique.
Les 35 heures augmentent les pénuries de main-d'oeuvre et gaspillent inutilement des sommes qui auraient pu être consacrées à la formation des chômeurs dans les domaines qui connaissent des difficultés croissantes de recrutement : je pense en particulier à l'informatique, aux métiers de bouche, au bâtiment et aux travaux publics, à l'industrie et aux transports.
Ces pénuries apparaissent alors que le taux de chômage reste encore élevé dans notre pays - 9,6 % - et dépasse d'un point et demi la moyenne de l'Union européenne.
Soyons clairs : nous n'avons jamais été opposés à l'aménagement du temps de travail. En revanche, nous sommes persuadés qu'il est absurde et contre-productif d'imposer un moule unique à des entreprises qui ont des métiers, des tailles et des modes d'organisation différents.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Jean-Claude Carle. Alors que les besoins de chaque entreprise nécessitent du sur-mesure, vous imposez le prêt-à-porter, le même modèle à tous.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Jean-Claude Carle. Vous faites la même erreur que vos collègues de l'éducation nationale, qui cherchent à tout prix à mettre les élèves sous la même toise. Le résultat n'est pas fameux là non plus : l'échec scolaire demeure élevé et le taux de chômage des jeunes reste bien supérieur à la moyenne nationale.
A l'heure de la société de l'information et de l'économie de services, la globalisation et l'instantanéité de l'information exigent des entreprises réactivité et souplesse. Vous imposez aux PME un carcan insurmontable, votre collègue Laurent Fabius en est bien conscient. Mais, malgré la multiplication des signaux d'alarme, vous ne faites rien pour leur faciliter la tâche.
Les emplois-jeunes sont une autre source d'inquiétude. Notre collègue Alain Gournac en a dressé le bilan à mi-parcours. Il a parfaitement montré les défauts du système : l'accès tardif et souvent inadapté des jeunes à la formation ; l'existence d'effets pervers et de concurrence déloyale avec le secteur marchand ; l'absence totale de contenu de ces « emplois » ; enfin, l'incertitude grandissante sur l'avenir du dispositif.
La concomitance d'un chômage des jeunes encore élevé et des pénuries de main-d'oeuvre s'explique également par un défaut propre à notre pays : la valorisation excessive de l'intelligence abstraite au détriment de l'intelligence de la main.
Notre système d'orientation, fondé sur une orientation par échecs successifs, est à repenser totalement. Notre système d'éducation donne encore trop la priorité à l'enseignement général de type scolaire et continue de dénigrer les formations en alternance.
Alors que nous avions relancé l'apprentissage en 1986, puis en 1996, depuis trois ans, vous remettez en cause ces acquis encore fragiles.
En 1999, vous avez limité la prime à l'embauche aux apprentis de niveau 5. Cette année, vous persistez dans cette voie en la réservant aux employeurs occupant au plus dix salariés et en la supprimant pour les jeunes recrutés en contrat de qualification.
Au moment où les formations en alternance devenaient la filière de la réussite, vous faites tout pour en refaire la voie de l'échec. Il est vrai que vous êtes sous la pression de certains corporatismes, qui constituent une grande partie de votre base électorale !
Depuis plusieurs mois, vous nous promettez une réforme de la formation professionnelle. Quand donc déposerez-vous le projet de loi ?
J'en viens aux aides proprement dites aux entreprises. Elles sont nombreuses, mais inadaptées et tout aussi inefficaces les unes que les autres.
En réalité, les entreprises ne demandent pas des aides en tant que telles. C'est toujours le parcours du combattant pour les obtenir et, quand elles sont accordées, il s'écoule plusieurs mois avant qu'elles ne soient versées. De deux choses l'une : ou l'entreprise a passé le cap, et l'aide n'était donc pas primordiale, ou elle ne l'a pas passé, et l'aide est alors totalement inopérante.
Ce qu'il faut, ce sont des mesures simples, bien ciblées, en petit nombre et faciles à mettre en oeuvre.
La première aide, c'est la baisse du coût du travail. Il faut baisser les charges qui pèsent sur les salaires (M. Gournac applaudit), en particulier sur la tranche des premiers 5 000 francs. Cela créera beaucoup plus d'emplois que les 35 heures, et ce sera infiniment moins cher et beaucoup plus pérenne !
Il faut, ensuite, alléger les contraintes administratives, juridiques et fiscales trop lourdes qui pèsent sur les entreprises, en particulier les PME.
Un chef d'entreprise passe plus de 30 % de son temps à essayer de s'y retrouver dans le maquis des aides, déclarations et autres impositions. Voulez-vous aussi que la France détienne des records dans ce domaine ?
Mais cela nécessite une autre approche, une autre vision de l'entreprise et de l'entrepreneur. Or vous n'avez toujours pas surmonté votre méfiance instinctive à l'égard des entreprises.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Jean-Claude Carle. Le Gouvernement vit encore sur la vision dépassée de l'entreprise comme champ d'affrontement social et de l'entrepreneur comme personnage suspect : s'il échoue, on le fustige ; s'il réussit, on le suspecte de s'être enrichi frauduleusement. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants.)
Mais peut-être est-ce aussi la conséquence de la représentation politique dans notre pays ! La majorité actuelle est largement issue de la fonction publique. Cette monoculture parlementaire contribue peut-être à cette inertie idéologique !
Vous devriez vous inspirer de l'initiative du président Poncelet, qui propose aux sénateurs des stages d'immersion en entreprise ; je vous assure que c'est infiniment profitable.
M. Guy Fischer. C'est suspect !
M. Alain Gournac. C'est très bien !
M. Jean-Claude Carle. Il est temps, aujourd'hui, de passer d'une attitude de méfiance à une attitude de confiance à l'égard de tous ceux qui contribuent à créer des richesses, et donc de l'emploi dans notre pays. Rien ne changera véritablement tant que cette étape culturelle ne sera pas franchie ! Ce que je dis, ce n'est pas de l'ultra-libéralisme, c'est tout simplement du bons sens.
Il est urgent également de transformer une indemnisation passive du chômage en une incitation active au retour à l'emploi. Ce n'est pas ce qu'a fait votre prédécesseur, Mme Aubry, qui, pendant plus de six mois, s'est opposée à la nouvelle convention d'assurance chômage, qui allait dans ce sens !
Toute votre politique, madame le ministre, est à l'opposé de ce qu'il faudrait faire.
Au lieu d'inciter les jeunes à faire des études longues qui débouchent très souvent sur une voie de garage ou de leur offrir des emplois sans avenir, proposons-leur des parcours plus interactifs entre l'école et l'entreprise afin de mieux les former et de mieux les aider à réussir à s'insérer sur le marché du travail.
Au lieu de maintenir des aides passives aux effets de seuil pervers, transformons ces aides en aides actives, propices au retour à l'emploi.
Au lieu de vouloir sans cesse s'immiscer dans la vie des entreprises et les mettre toutes sous la même toise, créons les conditions favorables à leur développement en réalisant les axes de communication structurants dont elles ont besoin, en formant le personnel qualifié qui leur fait défaut et en construisant les logements nécessaires à l'accueil des salariés.
Passons, en définitive, je le répète, d'une attitude de méfiance à une attitude de confiance envers celles et ceux qui créent des richesse et donc de l'emploi.
Votre politique de l'emploi est donc diamétralement opposée à celle que nous suggérons. En conséquence, le groupe des Républicains et Indépendants votera contre votre budget, madame le ministre. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai présenté à votre commission des affaires sociales le projet de budget du ministère de l'emploi et de la solidarité pour 2001. Je vais m'efforcer, aujourd'hui, de répondre aussi précisément que possible à vos questions. Celles-ci s'ordonnent autour de trois thèmes : l'évolution de la situation de l'emploi, en particulier les effets de la réduction du temps de travail ; les conditions d'utilisation des crédits du ministère pour les politiques en faveur de l'emploi, enfin, la formation professionnelle.
Je commencerai donc par répondre aux questions concernant l'évolution de la situation de l'emploi.
M. Braun et M. Souvet ont indiqué que la baisse du chômage était importante et générale. Ils ont toutefois relativisé la performance de l'économie française en la comparant aux résultats obtenus par les autres pays européens.
Je suis tout à fait d'accord pour comparer les résultats que nous obtenons à ceux de nos partenaires européens. Mais, s'il est vrai que la France bénéficie, comme les autres pays européens, d'une conjoncture économique plus favorable, il est également vrai que notre pays sait mieux utiliser cette conjoncture que les autres, puisque le taux de croissance est plus élevé en France que chez nos principaux partenaires et que, surtout, la diminution du chômage y est plus rapide.
Selon les dernières données statistiques européennes, en effet, en France, le taux de chômage a baissé de 1,6 point en un an, alors que, sur la même période, la baisse a été deux fois moins élevée en Grande-Bretagne et en Italie et trois fois moins élevée en Allemagne et aux Pays-Bas.
Ces chiffres montrent bien que, dans une conjoncture tout aussi favorable, nous avons mis en oeuvre une politique qui a engendré de meilleurs résultats.
Il faut noter également que cette année est une année record en matière de création d'emplois, avec la création de 500 000 emplois : on n'avait pas vu cela depuis cent ans !
En outre, la croissance en emplois est devenue beaucoup plus intensive depuis 1997 et elle est plus intensive en France que dans les autres pays comparables, en particulier l'Allemagne et l'Italie.
Je veux souligner aussi - cela a été peu noté - que, si la baisse touche toutes les catégories de chômeurs, elle concerne plus spécialement les jeunes, les chômeurs de longue durée et les chômeurs de très longue durée. Les dernières statistiques du mois d'octobre montrent en effet que, pour la catégorie des chômeurs depuis plus de deux ans, cette baisse a été de 27 % cette année et qu'elle ne cesse de s'accélérer depuis quelques mois.
Ajoutons que les licenciements économiques ont diminué de 40 % depuis 1997.
Bien sûr, nous avons bénéficié de la croissance, mais on ne peut nier que nous sommes pour quelque chose dans ces bons résultats. On se souvient que nous avons été élus contre une politique qui, justement, massacrait la croissance : je veux parler de la politique menée successivement par les gouvernements Balladur et Juppé. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
C'est parce que nous avons toujours mené notre politique que nous avons réussi à faire repartir la croissance.
M. André Jourdain. Vous le croyez vraiment ?
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Eh oui, et les Français le croient avec nous ! (Protestations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Jean Chérioux. On verra !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Vous persistez à nier l'évidence ! Mais ce sont bien vos politiques, faites de prélèvements fiscaux et de restrictions budgétaires, qui ont fait s'effondrer la croissance, déjà faible il faut le dire !
M. Alain Gournac. C'est faux en ce qui concerne la période 1986-1988 !
M. Jean Delaneau. Et Bérégovoy !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Si nous avons, en effet, bénéficié d'une bonne conjoncture - bonne conjoncture que nous avons contribué à renforcer, n'est-ce pas -, ce sont nos politiques qui ont contribué à la création d'emplois, puisque 261 000 emplois-jeunes ont été créés et que la réduction de la durée du travail qui, comme vous le savez, a donné lieu à 42 805 accords concernant 4 607 585 salariés, a permis la création de 251 915 emplois. Compte tenu des accès directs, on peut estimer à environ 270 000 les emplois créés.
En ce qui concerne la réduction de la durée du travail, je dirai d'abord à M. Jourdain que le Gouvernement, dans la mise en oeuvre de sa politique, entend respecter la loi en vigueur, et qu'aucun membre du Gouvernement n'a jamais pris position en faveur d'une révision de cette loi.
Le processus des 35 heures est maintenant suffisamment engagé pour que nous puissions y porter un regard objectif, quelles que soient les différences qui nous opposent : vous êtes contre les 35 heures, nous sommes pour, mais je crois que nous pouvons considérer objectivement ce qui s'est passé ces dernières années.
Le premier fait objectif est cette amélioration spectaculaire de la situation de l'emploi, qui n'a absolument pas été anticipée par les différents instituts de conjoncture. Une étude récente de la DARES, la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, montre ainsi une corrélation certaine entre l'amélioration de la situation de l'emploi et la diffusion des 35 heures dans l'économie. Les 35 heures sont l'un des facteurs essentiels du niveau exceptionnel de créations d'emplois en 2000 !
J'observe, à cet égard, qu'il y a quelque contradiction à dénier toute responsabilité à la réduction de la durée du temps de travail dans la diminution du chômage et, dans le même souffle, à imputer aux 35 heures la cause exclusive des prétendues pénuries d'emplois ! (« Très bien ! » sur les travées socialistes.) Je dis bien « prétendues » pénuries d'emplois, parce que, quand l'on compte encore 2 215 000 chômeurs, je trouve indécent de parler de pénurie d'emplois !
M. André Jourdain. C'est pourtant la réalité !
M. Alain Gournac. Allez voir les chefs d'entreprise !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je vais vous répondre sur ce point, ne craignez rien !
Les 35 heures participent de façon importante à la réduction du chômage. Elles n'en sont pas la seule cause, mais elles se combinent avec des réductions de charges sociales qui diminuent considérablement le coût du travail pour les entreprises.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Eh oui !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Bien des craintes s'étaient exprimées quant aux effets néfastes que pourrait avoir la réduction du temps de travail. J'observe qu'ils ne se sont pas produits. Le taux de marge et le taux de profit des entreprises qui sont passées aux 35 heures n'ont pas été affectés, car elles se sont réorganisées. Les pressions inflationnistes restent très limitées et exclusivement liées aux variations des prix du pétrole et des matières premières. Les prétendues pénuries d'emploi sont sectorielles et liées soit aux conditions de travail et aux rémunérations, soit à des problèmes de formation dans des qualifications pointues et évolutives.
Je ne suis, quant à moi, pas choquée que l'amélioration de la situation de l'emploi conduise des branches et des entreprises à réfléchir sur les conditions de travail qu'elles offrent et sur la nécessité de les améliorer pour rester attractives auprès des salariés. L'amélioration de l'emploi doit être un moteur à la résorption de la précarité, à la remise en cause des discriminations et à l'amélioration des conditions de travail.
Nous disposons désormais, sur les tensions sectorielles, d'études de l'ANPE, de la DARES et de l'INSEE. Pour ses sondages, l'INSEE a interrogé les chefs d'entreprises. Ces sondages reflètent donc l'opinion de ces derniers, qui, comme toujours en période de croissance, craignent des difficultés de recrutement. Mais cette crainte n'est pas le fait des 35 heures : à chaque reprise de croissance et de diminution du chômage, les chefs d'entreprise l'éprouvent, et ce pour une raison bien simple. En effet, dès que le chômage diminue, les demandeurs d'emploi peuvent se permettre d'être un peu plus exigeants, notamment en matière de salaires et d'horaires. Et ce sont dans les secteurs où les horaires sont plus élevés et les salaires plus bas que se manifestent traditionnellement ces réactions.
Si l'étude de l'INSEE reflète bien les réactions des chefs d'entreprise, les études de la DARES et de l'ANPE montrent, quant à elles, que des tensions sectorielles en matière d'embauche existent - il ne s'agit pas, bien évidemment, de les nier -, mais qu'elles sont concentrées sur quelques métiers, l'informatique, par exemple, ou sur quelques secteurs, le bâtiment et les travaux publics, l'hôtellerie. On peut toutefois observer une détente pour les informaticiens puisque l'alerte ayant été donnée, des mesures ont été prises.
En tout cas, l'étude de la DARES a souligné l'absence de corrélation entre les tensions sur le recrutement et l'introduction des 35 heures dans ces secteurs ; elle a montré que ces tensions sont, en fait, liées au contexte des bassins d'emploi. Les mêmes professions peuvent d'ailleurs faire l'objet de tensions dans un bassin d'emploi et pas dans un autre, tout dépend de la mobilité professionnelle dans le bassin.
Il est inutile de vous dire, mesdames, messieurs les sénateurs, que j'ai bien évidemment demandé à mes services, mais aussi aux syndicats et aux organisations professionnelles, de m'indiquer très précisément les problèmes observées secteur par secteur, de façon que nous puissions aider les entreprises qui éprouvent des problèmes d'embauche à mieux faire face à leurs besoins de recrutement.
En tout cas, l'amélioration des conditions de l'emploi doit être l'occasion de résorber la précarité et de faire progresser les conditions de travail.
M. Muzeau a beaucoup insisté sur une nécessaire politique contre la précarité.
Monsieur le sénateur, la résorption de la précarité sera l'objet d'une action volontariste du Gouvernement. En effet, si le recours aux différentes formes de travail précaire peut être ligitime lorsqu'il y a surcroît occasionnel d'activité ou lorsqu'il faut remplacer un salarié absent, nous ne pouvons accepter, comme vous l'avez souligné, que des entreprises utilisent l'emploi précaire comme un mode de gestion normal d'emplois permanents. C'est encore moins acceptable dans un contexte de croissance retrouvée et d'amélioration de la situation de l'emploi.
C'est pourquoi le Gouvernement a fait, et fera encore plus, de la lutte contre la précarité une de ses priorités en renforçant le contrôle assuré par l'inspection du travail.
Comme vous le savez, le projet de loi de modernisation sociale permettra également de mieux protéger les salariés en situation précaire et de faciliter le passage vers un emploi stable.
J'en viens maintenant au financement des 35 heures, sur lequel M. Braun a axé une partie de son intervention, considérant que la création du FOREC portait atteinte à la sincérité des comptes publics. J'ai déjà eu l'occasion de m'expliquer longuement sur cette question, tant lors des débats sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale que devant la commission des affaires sociales. Mais, puisque M. Braun le souhaite, j'y reviens.
J'observe, tout d'abord, que la création de ce fonds permet d'avoir une idée précise et complète des exonérations de charges générales dont bénéficient les entreprises. C'est d'ailleurs pour cela que le Gouvernement propose de transférer au FOREC, l'an prochain, le financement des exonérations de charges générales qui restaient sur le budget « emploi » du ministère.
En ce qui concerne le reproche de défaut de sincérité, je dois dire que je ne le comprends pas. Les dépenses du FOREC compensent pour la sécurité sociale la perte de recettes liée aux exonérations de charges décidées au bénéfice des entreprises et des salariés. Il ne s'agit donc pas, à proprement parler, de dépenses de l'Etat au même titre que les crédits dont nous parlerons tout à l'heure : il s'agit de l'individualisation, dans un compte particulier, donc transparent, des modalités de compensation de pertes de recettes pour la sécurité sociale.
Je suis, en revanche, tout à fait prête à considérer avec M. Braun que la politique de l'emploi a une ampleur qui dépasse les seuls crédits ouverts au budget du ministère de l'emploi et de la solidarité et que son coût consolidé doit prendre en compte les allégements de charges décidés par les gouvernements Balladur, Juppé et Jospin. Je conviens également bien volontiers que les allégements de charges réalisés par le gouvernement actuel sont très supérieurs à ceux qui ont été consentis par ses prédécesseurs.
M. Guy Fischer. Eh oui !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Tout le monde le reconnaît !
M. Gérard Braun, rapporteur spécial. La conjoncture est meilleure !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. En effet, l'allégement du coût du travail lié au nouveau barème applicable dans le cadre des 35 heures représente 21 500 francs par an, soit 26 % du salaire au niveau du SMIC, alors que la « ristourne Juppé » représente un allégement de 15 030 francs au niveau du SMIC, soit 18,2 % du salaire ; l'avantage supplémentaire lié aux 35 heures, soit 6 470 francs, équivaut ainsi à près d'un mois de salaire au niveau du SMIC.
Je précise à M. Jourdain que les accords de réduction du temps de travail s'accompagnent d'une annualisation de la durée du travail, ainsi que d'une modulation des horaires, ce qui signifie que les machines peuvent être utilisées plus longtemps.
M. André Jourdain. Pas pendant les périodes de congés !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. D'ailleurs, les entreprises passées aux 35 heures tendent à réaliser plus de gains de productivité. J'ajoute que, globalement, la productivité horaire restait, au début de l'année 2000, sur le rythme d'une croissance élevée, de l'ordre de 2,5 % par an.
M. André Jourdain. C'est de la théorie !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Non, les chiffres sont là : c'est une réalité, mais vous ne voulez pas la regarder en face !
Une étude de la DARES que j'ai mentionnée précédemment montre, en outre, qu'il n'existe pas de corrélation entre des entreprises passées aux 35 heures et les entreprises qui ont des difficultés de recrutement.
J'en arrive aux conditions d'utilisation des crédits du ministère pour les politiques en faveur de l'emploi.
Sur ce point, M. Delfau a mis l'accent sur la nécessité d'une approche « micro », et non plus « macro », pour le traitement de l'emploi et les actions de retour à l'emploi. Monsieur le sénateur, je partage entièrement votre analyse.
J'ai l'intention d'intégrer cette approche dans le dispositif opérationnel que je vais mettre en place afin de traiter les tensions sectorielles du marché du travail, les difficultés de recrutement dans certains bassins d'emploi - le travail avec les professionnels concernés a déjà commencé, notamment dans le BTP et dans le secteur des hôtels, cafés et restaurants - et afin de préparer l'ANPE à la lourde tâche qui va être la sienne du fait de la généralisation du suivi personnalisé pour tous les chômeurs.
C'est, me semble-t-il, l'efficacité de l'action du service public de l'Etat qu'il faut renforcer pour s'attaquer au noyau dur du chômage, comme le souhaite aussi Mme Dieulangard, qui a tenu tout à l'heure de forts propos à ce sujet.
Je souhaite, en outre, privilégier une approche des actions et des moyens de lutte contre les exclusions à partir du terrain. Il n'est pas nécessaire de multiplier encore les dispositifs en francs de l'emploi : il convient plutôt d'étendre les ressorts de l'action publique pour réussir le retour à l'emploi sans compter sur le seul effet spontané de la croissance.
Bien entendu, il nous faut également améliorer les dispositifs d'insertion. Mme Dieulangard a insisté sur ce point et j'y reviendrai tout à l'heure.
Plusieurs orateurs ont fait part de leurs préoccupations en ce qui concerne l'avenir des emplois-jeunes. M. Braun, en particulier, s'est appuyé sur le très bon rapport que M. Alain Gournac a établi récemment dans le cadre d'un groupe de travail.
M. Gournac, qui a d'abord eu le mérite de reconnaître le succès incontestable du programme des emplois-jeunes, a également insisté sur plusieurs points, notamment sur la régionalisation. C'est effectivement par son animation à l'échelon régional que le programme s'est développé, et c'est par une mobilisation de tous les acteurs à ce niveau qu'il se pérennisera le mieux.
De manière plus générale, c'est bien le développement d'activités qui doit être privilégié. De ce point de vue, je partage votre intérêt, monsieur Gournac, pour l'aide à la création d'entreprise par les jeunes.
Dans votre rapport, vous soulignez également que des accords ont déjà été passés avec plusieurs employeurs du secteur privé, par exemple avec le groupe Accor, dans l'hôtellerie, pour prolonger l'insertion des jeunes qui ont bénéficié d'une première expérience professionnelle grâce à ce programme.
Des programmes de tutorat, qui concernent les jeunes souhaitant postuler pour un nouvel emploi dans une entreprise privée, sont en cours. Je précise que ce dispositif intéressant existe déjà à travers le parrainage mis en place par les missions locales, avec l'appui du fonds d'action sociale. Je vois là une piste très prometteuse.
Le Gouvernement considère qu'il est indispensable de donner aux jeunes des perspectives à l'issue de leur contrat de cinq ans. Il faut également définir les conditions du maintien au-delà de cinq ans de l'aide de l'Etat pour les emplois créés, lorsqu'ils ont fait la preuve de leur utilité et qu'ils répondent à des besoins nouveaux.
Mais, je veux aussi vous livrer quelques éléments chiffrés sur les emplois-jeunes, puisque M. Braun m'a interrogée à ce sujet.
Vous avez dit tout à l'heure, monsieur le rapporteur spécial, qu'il faudrait 37 milliards de francs pour les emplois-jeunes, alors que nous leur avons « seulement » consacré 22 milliards de francs : une paille, n'est-ce pas ?
M. Gérard Braun, rapporteur spécial. Par rapport à 37 milliards, cela fait une grosse différence !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Pourquoi « seulement » 22 milliards de francs ? D'abord, ce chiffre de 37 milliards de francs correspond au coût de 350 000 emplois-jeunes occupés sur l'année complète.
Notre objectif est d'atteindre 350 000 jeunes embauchés dans le cadre de ce dispositif, je l'ai déjà dit devant la commission des affaires sociales, mais ce nombre comprend ceux qui sont déjà partis - comment ne pas s'en féliciter pour eux ? - vers des emplois offerts sur le marché du travail. Le dispositif n'a pas été conçu pour que la même personne conserve son emploi-jeune jusqu'à sa préretraite ! Les emplois-jeunes sont des sas de préparation à l'emploi tels que, le plus vite possible - et tant mieux si c'est avant l'échéance des cinq ans ! - les jeunes puissent entrer véritablement sur le marché du travail.
Vous devriez donc vous réjouir que, ayant pris l'engagement d'embaucher 350 000 emplois-jeunes - engagement que nous allons tenir - nous voyions une partie de ces jeunes déjà intégrés dans le marché du travail.
Où en sommes-nous aujourd'hui ? On dénombre 261 000 emplois-jeunes créés et 281 000 jeunes embauchés à ce titre, y compris, je le disais, ceux qui sont partis. Nous visons une soixantaine de milliers d'embauches supplémentaires pour atteindre ou approcher le chiffre de 350 000.
J'en viens à l'avenir des emplois-jeunes, sujet en effet extrêmement important et sur lequel le Gouvernement prendra très bientôt des décisions.
J'ai indiqué à votre commission des affaires sociales que le maintien de la participation de l'Etat au financement de postes occupés par des emplois-jeunes dépendrait du degré de solvabilisation de ces derniers.
D'ores et déjà, 55 % des emplois-jeunes créés dans les associations sont solvabilisés, et ce pourcentage devrait encore augmenter d'ici à la fin de l'année prochaine. Pour les emplois-jeunes non encore solvabilisés, le Gouvernement n'exclut pas de prolonger, de manière dégressive, l'aide qu'il verse aux associations.
Pour les collectivités locales, le problème se pose en termes différents : la plupart d'entre elles ont prévu des débouchés pour les jeunes qu'elles emploient. Des mécanismes spécifiques seront peut-être nécessaires pour certaines communes pauvres ou modestes ; nous y travaillons.
Pour ce qui est des ministères ayant créé des emplois-jeunes, nous menons actuellement un travail avec l'éducation nationale, où l'on compte environ 65 000 de ces emplois. Une partie de ces jeunes sont d'ailleurs déjà intégrés, ou sont en passe de l'être, dans des emplois qui ont été nouvellement identifiés, tels des emplois de documentaliste. Mais nous réfléchissons actuellement avec ce ministère à d'autres débouchés pour ces jeunes, qu'il s'agisse d'emplois publics ou d'embauche dans les entreprises.
S'agissant du ministère de l'intérieur, les emplois-jeunes - au nombre de 16 000 au total - s'intègrent très facilement dans les postes d'adjoint de sécurité.
Je pense qu'il en sera de même au ministère de la justice, où les effectifs sont d'ailleurs beaucoup moins importants : 2 000 jeunes sont concernés.
Le Gouvernement n'est pas en retard dans sa réflexion sur l'avenir des emplois-jeunes, d'autant que la majorité d'entre eux ont été recrutés au cours du deuxième semestre de 1998 et qu'ils peuvent demeurer dans le dispositif au moins jusqu'au milieu de 2003. Il faut cependant dès maintenant se préoccuper de prévoir les formations nécessaires.
Précisément, je ne partage pas la sévérité de votre appréciation, monsieur Braun, quant aux insuffisances de la formation, pas plus que je ne partage votre jugement sur l'utilité des emplois-jeunes.
Les emplois-jeunes permettent de répondre à des besoins nouveaux dans les associations, les collectivités et au sein de l'Etat.
Pour ce qui est de l'effort de professionnalisation, près de 2 milliards de francs sont mobilisés en faveur du financement des actions, comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire devant votre commission des affaires sociales. Par exemple, des filières universitaires spécifiques ont été ouvertes aux aides-éducateurs pour les préparer à des diplômes universitaires de technologie, où à des diplômes d'études universitaires scientifiques et techniques dans les secteurs de l'informatique et de la communication. Des accords-cadres ont, en outre, été passés avec mon ministère et celui de la jeunesse et des sports pour offrir des débouchés et des formations dans le secteur social et dans le secteur du sport et de l'animation.
De la même façon, les organismes paritaires collecteurs de fonds de la formation professionnelle ont signé des accords-cadres nationaux avec l'Etat pour le développement de la formation professionnelle des emplois-jeunes. Cet effort porte notamment sur l'accès à des bilans de compétences et à des modules spécifiques de formation visant à la professionnalisation de ces jeunes. Le Gouvernement va présenter à la Commission européenne une demande de financement à ce titre de 700 millions de francs dans le cadre de la programmation 2000-2006 du Fonds social européen, objectif 3.
A cela s'ajoutent les interventions des conseils régionaux, qui ont répondu positivement et selon des modalités diverses à l'invitation qui leur a été adressée de participer à la formation des jeunes. Certains conseils généraux et communes ont également dégagé, à cette fin, des crédits spécifiques.
Je crois, par conséquent, que le problème n'est pas tant celui du financement - les financements sont là ou seront là lorsque nous en aurons besoin - que celui de l'efficacité sur le terrain, de la coordination des efforts de l'Etat, des collectivités locales et, naturellement, de l'Europe. C'est ce problème-là que je vais dorénavant m'employer à résoudre.
Plusieurs d'entre vous ont évoqué l'évolution des sommes consacrées par le Gouvernement aux dispositifs aidés, en particulier aux contrats emploi-solidarité.
Permettez-moi de dire d'abord que j'ai observé, chez les orateurs de la majorité sénatoriale, une certaine contradiction.
Si M. Braun considère que les économies faites sur les crédits de l'emploi sont de simples économies de constatation liées à la bonne tenue de la conjoncture, M. Souvet, lui, s'inquiète de la diminution trop rapide des dispositifs aidés, et en particulier des contrats emploi-solidarité. Je note que la critique faite l'an dernier par la Haute Assemblée au budget du ministère était exactement inverse, puisque vous considériez, alors, que les crédits ne diminuaient pas malgré l'amélioration de la situation de l'emploi. Mesdames, messieurs les sénateurs, il faudrait savoir !
La position du Gouvernement, elle, est cohérente. Notre démarche constante a été de recentrer les dispositifs aidés en faveur de ceux qui en ont le plus besoin. Nous n'avons pas hésité à supprimer les outils qui créent des effets d'aubaine importants, comme les exonérations Madelin ou, en 2001, les aides au passage à temps partiel dans le cadre des restructurations d'entreprises. Nous n'avons pas hésité non plus à recadrer les dispositifs, notamment par la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions. L'objet de ces dispositions n'est pas de moins aider, c'est de mieux aider en concentrant les moyens sur les réelles nécessités.
MM. Muzeau et Delfau, ainsi que Mme Dieulangard, notamment, ont souligné la diminution du nombre de contrats emploi-solidarité pour s'inquiéter de la gestion de cette diminution. C'est là une vraie question.
Cette baisse, je l'ai dit, s'explique par la politique de recentrage sur les publics prioritaires, dont la proportion est d'ailleurs passée de 55 % en 1997 à 82 % en septembre 2000.
A cela s'ajoute, pour 2001, le fait que l'amélioration de la situation économique touche maintenant toutes les couches sociales de la population, y compris celles qui éprouvent les plus grandes difficultés. Bien sûr, ce recul de l'exclusion se traduit avec un décalage, en touchant d'abord seulement une partie des populations concernées.
Il se manifeste tout de même par une diminution, cette année, du nombre d'allocataires du revenu minimum d'insertion, le RMI. Pour la première fois depuis la création du RMI, nous enregistrons une diminution du nombre d'allocataires,...
MM. Gérard Delfau et Guy Fischer. C'est vrai !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. ... alors même que les mesures d'intéressement ont un effet mécanique sur l'augmentation des statistiques.
Mme Maryse Bergé-Lavigne. C'est vrai !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Ce résultat est d'autant plus remarquable.
Nous constatons aussi, depuis quelques mois, une baisse du chômage dans les quartiers qui concentrent toutes les difficultés.
Les 260 000 contrats emploi-solidarité prévus en 2001 constituent, du point de vue du Gouvernement, un volant suffisant qui pourra être adapté - j'insiste sur ce point - en fonction des besoins locaux par les services déconcentrés du ministère, monsieur Delfau, dans le cadre de la globalisation du programme de lutte contre le chômage de longue durée.
Ce volume doit également s'apprécier en prenant en compte la progression continue du nombre des bénéficiaires des contrats emplois consolidés, avec encore 50 000 entrées supplémentaires l'année prochaine.
Mme Dieulangard et M. Muzeau ont, à juste raison, insisté sur l'apport du programme TRACE à la lutte contre le chômage, notamment en direction des jeunes qui ont le plus de difficulté à accéder à l'emploi.
Ce programme d'accompagnement personnalisé vers l'emploi, d'une durée maximale de dix-huit mois, en faveur de jeunes qui sont spécialement confrontés à de graves difficultés sociales et familiales ou qui n'ont pas reçu, dans le système éducatif, une formation suffisante, me paraît extrêmement utile. La montée en charge du dispositif a été, il est vrai, moins rapide que ce qui avait été initialement prévu, en raison des délais nécessaires au recrutement des opérateurs externes ainsi qu'à la sensibilisation des jeunes.
Cela étant, je veux souligner que les crédits prévus pour ce dispositif sont en forte progression. En effet, une augmentation de 10,7 millions de francs est prévue pour la création de quarante postes dans le réseau des PAIO, les permanences d'accueil, d'information et d'orientation, et des missions locales. Nous avons également prévu 9 millions de francs pour les opérateurs externes.
Cette augmentation des moyens est évidemment le corollaire de la mise en oeuvre du protocole signé le 20 avril dernier avec M. Raffarin, président de l'Association des régions de France, et M. Destot, président du Conseil national des missions locales, lors des assises nationales des missions locales et des PAIO.
Sur les autres moyens de lutte contre le chômage, notamment les moyens du service public, je remercie les différents orateurs de la majorité sénatoriale comme de la gauche qui ont souligné la forte progression des moyens affectés à l'Agence nationale pour l'emploi : ils passeront de 6,4 milliards de francs en 2000 à 6,9 milliards de francs en 2001 et permettront ainsi la création de quatre cent dix nouveaux postes budgétaires.
Comme vous le savez, cette augmentation des moyens de l'ANPE vise essentiellement à permettre d'offrir un nouveau départ aux jeunes qui entrent dans leur sixième mois de chômage, aux adultes qui entrent dans leur douzième mois de chômage, ainsi qu'aux publics qui sont menacés d'exclusion.
Il n'est par conséquent pas exact de dire que le Gouvernement n'aurait pas prévu de fournir un effort en faveur des chômeurs non indemnisés comparable à celui que les partenaires sociaux souhaitent mettre en oeuvre pour les chômeurs indemnisés.
S'agissant de la nouvelle convention d'assurance chômage, vous savez que le Gouvernement a présenté jeudi dernier au Conseil supérieur de l'emploi le rapport prévu par la loi - c'est un document précis - en réponse aux observations et aux questions des partenaires sociaux.
Les projets d'actions personnalisés que les partenaires sociaux envisagent de créer dans le cadre de cette nouvelle convention visent à introduire, pour les nouveaux chômeurs, des prestations individualisées d'accompagnement pilotées par l'ANPE, et seulement par l'ANPE.
Il va de soi que les prestations offertes aux chômeurs du régime de solidarité seront toujours d'une qualité au moins équivalente à ces prestations financées par le régime d'assurance chômage.
Ainsi, depuis le lancement du programme Nouveaux départs, en octobre 1998, plus de 1,7 million de chômeurs du régime de solidarité ont reçu une offre adaptée à leur situation, après un diagnostic individualisé. Pour près de 1 million d'entre eux, cette offre a pris la forme d'un appui pour relancer la recherche d'emploi : 400 000 ont bénéficié d'un accompagnement personnalisé vers un emploi ; 200 000, d'un accès à la formation ; pour 140 000, enfin, l'accompagnement a été complété par un appui social.
Les résultats obtenus en matière de chômage de longue durée sont positifs, puisque, je le disais tout à l'heure, il a diminué de 27 % en un an.
Permettez-moi quelques remarques complémentaires sur le grave sujet des travailleurs pauvres. Le SMIC a progressé de 3,2 % en juillet dernier, ce qui le porte à 7 100 francs mensuels ; et, grâce à la réduction négociée du temps de travail, le pouvoir d'achat des salariés sera maintenu au SMIC.
Par ailleurs, la suppression de la contribution sociale généralisée jusqu'à 1,4 SMIC, mesure adoptée, en deuxième lecture, à l'Assemblée nationale dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, conduira en trois ans à revaloriser de près de 10 % le revenu net des salariés rémunérés au SMIC, leur donnant l'équivalent d'un treizième mois.
Indépendamment de ces dispositions, qui ont été décidées au mois de juillet ou dans le cadre de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale - donc récemment - je rappelle que, depuis juin 1997, le SMIC a progressé de 10,8 %, alors que les prix n'ont augmenté, au cours de la même période, que d'environ 3,5 %, et que le gain de pouvoir d'achat du SMIC a été presque deux fois plus élevé entre 1997 et 2000 qu'entre 1993 et 1996.
Je tiens également à répondre à la proposition du Sénat concernant le revenu minimum d'activité. Il est vrai que le Gouvernement l'a repoussée, lors de la première lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Il s'agissait de substituer au mécanisme de ristourne dégressive de CSG et de CRDS proposé par le Gouvernement un système de complément de revenu d'activité, s'inspirant des mécanismes d'impôt négatif en vigueur dans plusieurs pays anglo-saxons.
Ces deux propositions ont en commun de favoriser le retour à l'activité professionnelle des bénéficiaires de minima sociaux, mais le Gouvernement a estimé que la proposition du Sénat comportait trois inconvénients majeurs.
D'abord, elle se traduirait par un alourdissement des dépenses sociales, alors que le Gouvernement souhaitait intégrer une mesure en faveur des bas revenus d'activité dans son plan d'ensemble de baisse des impôts. Le Gouvernement va ainsi diminuer de 24 milliards de francs les impôts supportés par ceux qui perçoivent les plus faibles revenus, alors que la majorité sénatoriale proposait, curieusement, d'alourdir les dépenses sociales d'autant, mais je n'insiste pas.
Le deuxième inconvénient de la proposition sénatoriale réside dans le fait que les mécanismes d'impôt négatif créent de véritables trappes à bas salaires. Comment ne pas voir, en effet, que les employeurs seront incités à créer des emplois précaires à durée réduite s'ils sont assurés que l'Etat complétera les faibles revenus d'activité tirés de ces emplois ?
La proposition du Gouvernement ne s'expose pas à ce reproche, puisque la réduction dégressive de CSG et de CRDS est proratisée en fonction de la durée hebdomadaire du travail : à salaire horaire égal, elle sera pour un salarié à mi-temps deux fois moindre que pour un salarié à temps complet. Elle ne crée donc pas d'incitation à la multiplication des emplois à durée réduite.
Enfin, troisième inconvénient, le mécanisme d'impôt négatif a le défaut essentiel d'être « aveugle ». Il importe, au contraire, d'accompagner les personnes privées d'emploi, et d'abord les bénéficiaires de minima sociaux, dans des trajectoires personnalisées qui puissent inclure des bilans de compétences, des mesures d'accompagnement, afin qu'elles reviennent vers le marché du travail, toutes choses que les mécanismes du type impôt négatif ne permettent pas.
Tel est le sens des mesures d'intéressement, d'incitation et de retour à l'emploi prises pour les RMIstes que nous avons mises en oeuvre.
Le Gouvernement réfléchit à de nouvelles dispositions pour faciliter la réinsertion, sujet en effet très important.
Concernant la formation professionnelle, je concentrerai mes réponses sur quelques sujets évoqués par Mme Bocandé.
J'aborderai d'abord la formation en alternance et, en premier lieu, la professionnalisation des jeunes.
L'effort de l'Etat en matière de contrats d'apprentissage et de qualification se poursuit. Il est inexact de soutenir, comme le fait M. Jean Boyer, que les contrats d'apprentissage ont diminué. Ils ont, au contraire, augmenté de 3,25 % en 1998, de 4,4 % en 1999 et, sur les dix premiers mois de l'année 2000, de 3,6 %.
Afin d'accompagner la progression du nombre de ces contrats, qui s'est confirmée, j'ai souhaité que les cohortes d'entrées en contrats d'apprentissage et de qualification soient portées respectivement à 230 000 et 123 000, au lieu de 220 000 et 121 000 en 2000.
L'augmentation importante de cette ligne budgétaire m'a conduite à revoir, dans le contexte de croissance actuel, certaines des primes incitatives pour les entreprises. Je pense à celles qui sont liées à la signature des contrats.
Le Gouvernement a proposé que les aides forfaitaires à l'embauche introduites au plus fort de la crise, dans le cadre des mesures d'urgence, soient supprimées s'agissant de l'apprentissage, exception faite pour les très petites entreprises, de dix salariés et moins. D'ailleurs, à l'Assemblée nationale, ce seuil a été porté à vingt salariés. En conséquence, près de 80 % des entreprises accueillant des apprentis bénéficieront de primes à l'embauche.
J'ajoute que les aides à la formation relatives au contrat d'apprentissage et les exonérations de charges sociales liées à la fois aux contrats d'apprentissage et de qualification sont, bien sûr, maintenues, et 13 milliards de francs sont ainsi affectés aux formations professionnelles en alternance dans le budget, dont 8 milliards de francs d'exonérations de charges sociales.
S'agissant, ensuite, des prélèvements de trésorerie sur les organismes paritaires, il faut noter que les fonds du congé individuel de formation gérés par le FONGECIF, le fonds de gestion du congé individuel de formation, résultent d'un versement des entreprises correspondant à 0,2 % de la masse salariale. Ces prélèvements successifs opérés ces dernières années sur les fonds mutualisés par les entreprises résultent des excédents de trésorerie de ce fonds. Le prélèvement de 150 millions de francs sur le COPACIF, le comité paritaire du congé individuel de formation, prévu au budget pour 2001 correspond aux prévisions de trésorerie du fonds à la fin de l'année 2001.
Il faut également noter qu'en 1999 et 2000 le FONGECIF disposait d'une trésorerie confortable ; malgré cela, beaucoup de demandes de financement ont été refusées, parce que le comité paritaire a porté une appréciation négative sur les projets déposés.
Contrairement à ce qu'a affirmé Mme Bocandé, il ne devrait pas y avoir d'incidence sur la gestion du congé individuel, puisque le montant de ce prélèvement correspond aux perspectives de trésorerie de fin d'année 2001 du COPACIF. Je note que, malgré une trésorerie relativement abondante ces deux dernières années, les commissions paritaires du FONGECIF ont refusé de nombreux projets. Ces refus résultent non seulement de l'insuffisance de financement, mais aussi de la qualité des projets qui ont été présentés.
Mme Annick Bocandé, rapporteur pour avis. Nous en reparlerons !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je voudrais également rappeler que le projet relatif au financement de l'apprentissage sera débattu dans le cadre du projet de loi de modernisation sociale, au début de l'année prochaine. Ce projet permettra d'introduire plus de transparence et moins d'inégalités dans la répartition des moyens.
Par ailleurs, sur la formation des demandeurs d'emploi, Mme Bocandé a fait état de la baisse des crédits affectés à la formation des demandeurs d'emploi de longue durée. Cette orientation tient compte de la diminution très rapide du nombre de chômeurs de longue durée, que j'ai évoquée tout à l'heure.
Toutefois, l'Etat ne peut se désengager de ces formations. En effet, une rénovation du système de formation des demandeurs d'emploi apparaît aujourd'hui comme une composante essentielle du droit individuel à la formation tout au long de la vie. Des fonctions de conseil et de prescription ont commencé à se construire au sein du service public de l'emploi, par le rapprochement entre l'AFPA et l'ANPE. Il convient de consolider ce rapprochement.
Il est d'autant plus urgent de se saisir de ce dossier que les dispositifs de formation des demandeurs d'emploi sont toujours peu adaptés pour répondre aux besoins de recrutement que rencontrent les entreprises dans certains secteurs, nous en avons déjà parlé.
Le contrat de qualification adulte est, je crois, une excellente réponse à ces difficultés de recrutement. L'article 59 rattaché au présent budget en proroge la période d'expérimentation jusqu'au 30 juin 2002. J'espère que les partenaires sociaux se saisiront de cette opportunité pour négocier les modalités d'une pérennisation de ces contrats, comme les y invitait la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions !
J'en viens à la politique contractuelle. Les engagements de développement de la formation professionnelle et les contrats d'études prospectives constituent deux volets importants de la politique de contractualisation entre l'Etat, les branches professionnelles et les entreprises.
La réduction des crédits sera largement compensée par la contribution qu'apportent désormais les crédits du Fonds social européen dans la conduite de cette politique contractuelle. Les priorités définies dans le cadre de la programmation du FSE sont en effet largement concordantes avec celles que nous avons tracées, en lien avec les partenaires sociaux, pour la politique contractuelle.
L'action du Gouvernement a permis de construire les premières étapes de la réforme de la formation professionnelle autour de sujets dont il avait la maîtrise. Je viens d'en mentionner quelques-uns. Nous poursuivrons cette action avec le projet de loi de modernisation sociale, qui est déposé au Parlement.
Je dirai quelques mots sur l'insertion. Mme Dieulangard se demande comment nous allons nous y prendre s'agissant de la situation transitoire du dispositif. Nous devons nous attaquer, en effet, à un problème plus difficile qu'avant, dans le domaine de l'insertion professionnelle, car les exclus du marché du travail sont de plus en plus les chômeurs les plus en difficulté.
Avant de renforcer, de recentrer nos dispositifs pour les mois à venir - parce que nous aurons à établir le programme français dans le cadre du programme d'action communautaire -, j'ai le souci de faire tourner à plein les programmes en place avec le concours des professionnels de l'insertion, des grandes associations de lutte contre l'exclusion.
Le programme EDEN va pleinement se déployer en matière de création d'entreprises par les jeunes chômeurs. Les comités départementaux d'insertion par l'économique sont maintenant tous en place. Ce sont des lieux de synthèse et de coordination. Je vais m'employer à écouter et recevoir les grandes associations pour examiner comment adapter les instruments d'accompagnement de parcours d'insertion à la réalité d'aujourd'hui, qui est différente, en effet, de celle que nous connaissions voilà deux ou trois ans.
Je terminerai par quelques mots sur les personnels du ministère, et d'abord sur les inspecteurs du travail. M. Delfau les a mentionnés et je crois qu'il faut leur rendre hommage pour le travail qu'ils réalisent.
M. Gérard Delfau. Très bien !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Il faut souligner que, grâce à la réforme du corps, entrée en vigueur le 1er août dernier, ils bénéficient d'une revalorisation sensible et d'un déroulement de carrière beaucoup plus satisfaisant.
Les inspecteurs du travail jouent un rôle évidemment très particulier en matière de santé au travail pour lutter, notamment, contre les risques liés à l'ESB, l'encéphalopathie spongiforme bovine. C'est pourquoi, en application du plan annoncé le 14 novembre dernier par M. le Premier ministre, le Gouvernement a déposé un amendement afin de créer vingt-cinq postes d'inspecteur du travail et cinq postes de médecin-inspecteur.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard et M. Gérard Delfau. Très bien !
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. En conclusion, je souhaite remercier vos rapporteurs, Mme Bocandé, M. Braun et M. Souvet, pour leurs rapports. Leurs analyses sont intéressantes, même si, chacun a pu s'en rendre compte ce matin, nous n'avons pas le même point de vue.
L'action conduite par le Gouvernement a permis, dans une conjoncture porteuse, de réduire fortement le chômage et de remettre sur le chemin de l'emploi des personnes qui se considéraient il y a encore peu comme définitivement exclues.
Le budget que je vous présente nous donne les moyens nécessaires à la poursuite de l'amélioration de la situation de l'emploi et à une plus grande solidarité avec les exclus. Je vous demande donc de le voter et je remercie les porte-parole du groupe socialiste, Mme Dieulangard, du groupe communiste républicain et citoyen, M. Muzeau, et du groupe du RDSE, M. Delfau, d'avoir apporté leur approbation à ce budget. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Gérard Larcher remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER
vice-président

M. le président. Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits figurant aux états B et C et concernant l'emploi et la solidarité : I. - Emploi.

ÉTAT B

M. le président. « Titre III : 874 384 357 francs. »