SEANCE DU 27 NOVEMBRE 2000


M. le président. L'article 4 a été supprimé par l'Assemblée nationale.
La parole est à M. Badré.
M. Denis Badré. Madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il n'est pas facile d'intervenir sur un sujet aussi passionnel que l'ISF. Je choisis pourtant de le faire avec beaucoup de sérénité en souhaitant nous voir abandonner quelques instants les approches idéologiques qui vouent généralement à l'échec un débat sur cette question, ce qui est, à mon sens, bien dommage.
Je pense en effet qu'une analyse objective s'impose, analyse que nous n'avons pas le droit, que nous avons de moins en moins le droit d'éluder. Acceptons donc, pour quelques instants, de regarder les choses en face, sans a priori , avec le bon sens et le sens des responsabilités qui font l'honneur de notre assemblée.
Je précise que j'interviens, en l'occurrence, avec le regard de président de la mission d'information sur l'expatriation des compétences, des capitaux et des entreprises, qui a été mise en place par notre assemblée, et que je le fais évidemment sous le contrôle de mes collègues membres de cette mission.
Les travaux déjà réalisés par cette mission, les auditions nombreuses et très variées auxquelles nous avons pu procéder jusqu'ici m'ont beaucoup impressionné. Je suis notamment frappé par la réalité de ce qu'on appelle couramment « la fuite des capitaux », par les changements de domiciliation fiscale ou les migrations de sièges sociaux, autant de mouvements qui représentent bien des pertes fiscales.
En effet, en matière d'ISEF, lorsqu'on place le curseur, il est un moment où apparaît un point de non-retour au-delà duquel les contribuables s'en vont pour ne pas revenir : pour avoir voulu obtenir un tout petit peu plus, on perd tout ! Ici, comme dans beaucoup de domaines, il faut savoir ne pas aller trop loin.
On me dit qu'on ne sait pas situer ce point de non-retour, encore moins évaluer la perte fiscale correspondante. Bien sûr ! Nous ne pouvons pourtant pas nous contenter d'une telle réponse, dans laquelle je ne veux pas voir une marque de mauvaise volonté sinon la crainte de voir apparaître le coût de l'idéologie, ce qui serait encore plus fâcheux.
Un autre élément accroît ma perplexité et ma grande inquiétude. Aujourd'hui, ce ne sont plus principalement des retraités ayant réussi qui essaient de protéger le fruit de leur réussite ; de plus en plus, ce sont des jeunes parmi les plus dynamiques et les plus entreprenants.
Fuite des capitaux rime alors avec fuite des cerveaux, avec émigration du dynamisme.
Les Etats-Unis n'auraient pas poussé à partir, ni même laissé partir Bill Gates à ses débuts, alors qu'il n'était encore qu'un informaticien doué parmi d'autres. Son génie n'est pas apparu d'emblée ; il s'est révélé à ses actes de la manière éclatante que l'on sait. Mais c'est aux Etats-Unis, dans son pays, qu'il a trouvé à l'exprimer. Il a ainsi servi l'économie américaine en se soumettant à ses lois, même si ce fut quelquefois - et encore récemment - dans la douleur. A ma connaissance, il n'a jamais imaginé de partir exercer ses talents et exprimer son génie ailleurs.
Mes chers collègues, ne condamnons pas à l'émigration les Bill Gates français encore anonymes, encore contribuables - petits ou moyens - mais qui comprennent vite, parce qu'ils sont doués, ce qui les attend ! Ils sont nombreux, ce qui est encourageant. Mais notre responsabilité sera d'autant plus lourde si nous les condamnons à l'émigration.
On peut, certes, porter toutes sortes de jugements sur cette forme d'émigration. J'aimerais qu'avant de juger ceux qui font ces choix nous essayions de comprendre et surtout que nous soyons nous-mêmes capables d'abord de juger notre système. On doit pouvoir concilier justice et préparation de l'avenir !
Mes chers collègues, madame le secrétaire d'Etat, nous savons que le monde est ouvert, que la libéralisation totale des capitaux et la mondialisation de l'économie ont imposé des contraintes d'harmonisation fiscale auxquelles la France comme les autres devra se soumettre. Elle devra s'y soumettre comme ses concurrents et comme ses partenaires, sinon elle risque de « perdre gros ».
J'aimerais donc que le problème soit considéré avec la plus grande objectivité.
Madame le secrétaire d'Etat, je souhaite que vous demandiez à vos services une analyse précise du problème. On ne peut pas refuser d'examiner si un barème différent, si une taxation qui prendrait en compte avec plus de réalisme la situation de chaque contribuable, ne rapporterait finalement pas plus, rien que du strict point de vue fiscal. Pour ma part, je suis convaincu que cela rapporterait beaucoup plus à notre économie et à notre pays et, bien sûr, pas seulement de ce point de vue fiscal. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président. Par amendement n° I-8, M. Marini, au nom de la commission des finances, propose de rétablir l'article 4 dans la rédaction suivante :
« Le tarif prévu à l'article 885 U du code général des impôts est ainsi modifié :



FRACTION DE LA VALEUR

nette taxable du patrimoine

TARIF APPLICABLE

(en pourcentage)


N'excédant pas 4 770 000 F 0
Comprise entre 4 770 000 et 7 750 000 F 0,55
Comprise entre 7 750 000 et 15 380 000 F 0,75
Comprise entre 15 380 000 et 23 870 000 F 1
Comprise entre 23 870 000 et 46 220 000 F 1,3
Comprise entre 46 220 000 et 101 400 000 F 1,65
Supérieure à 101 400 000 F 1,8





La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. La commission souscrit aux propos de M. Denis Badré. La question de l'impôt sur le patrimoine est toujours abordée de manière idéologique, passionnelle, hors de toute réalité et de tout contexte économique.
La France fait preuve de singularité en la matière parmi les autres Etats d'Europe. L'une de ces singularités est la valse-hésitation à laquelle on se livre chaque année sur l'actualisation du barème. Nous assistons à un petit ballet bien préparé à l'avance. Le Gouvernement se présente avec l'actualisation du barème ; puis, cela « coince » à l'Assemblée nationale : M. Emmanuelli « fait les gros yeux », le groupe communiste formule ses demandes, les Verts font de même, le Mouvement des citoyens également.
Et que sacrifie-t-on sur l'autel de la loi de finances ? L'actualisation du barème, bien sûr, actualisation qui n'est d'ailleurs présentée que pour cela. Vous ne présentez à l'Assemblée nationale l'actualisation du barème que pour y renoncer. C'est votre petit ballet annuel ! (Protestations sur les travées socialistes.)
Ce qui m'étonne, mes chers collègues, c'est que vos partenaires au sein de la majorité plurielle en soient encore dupes !
Moi, si j'étais à leur place, je demanderais bien plus, puisque vous ne proposez cela que pour le sacrifier ! Ce qui fait que, depuis quatre ans, le barème est resté identique.
C'est la raison pour laquelle, sans préjudice de notre conception de fond sur l'impôt de solidarité sur la fortune, nous proposons qu'au moins le barème suive l'évolution économique.
Nous sommes contre les prélèvements rampants et contre tout ce qui conduit des contribuables, à partir de mouvements favorables de la Bourse, par exemple, à amputer leur patrimoine pour payer l'impôt annuel.
Pour nous, c'est de la spoliation. En Allemagne, c'est considéré, depuis déjà un certain nombre d'années, comme anticonstitutionnel. Je suis sûr qu'un jour ou l'autre, à l'échelon européen, ce sera considéré comme contraire aux principes généraux du droit.
M. Philippe de Gaulle. Tout à fait !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Et cela, vous le savez très bien, madame le secrétaire d'Etat ; vos collaborateurs aussi. Néanmoins, vous continuez d'agiter vos petites marionnettes parce que cela peut vous être utile, au moins pour un moment, juste le temps nécessaire pour brandir les symboles et faire bonne figure devant l'opinion publique !
La commission des finances du Sénat est là pour dire la vérité ; elle ne peut pas vous suivre dans ce petit jeu de rôle, et c'est pour cela qu'elle a déposé l'amendement n° I-8. (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Cet amendement, qui a pour objet de rétablir le texte initial aurait pu avoir la faveur du Gouvernement si celui-ci n'avait pas été convaincu à l'Assemblée nationale, à la suite des discussions qui ont eu lieu sur un amendement, de ne pas procéder à une revalorisation, somme toute mineure, du barème de l'ISF.
M. Denis Badré. Il reste à vous laisser convaincre par le Sénat.
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. J'insiste sur le caractère mineur de cette mesure. Tout en rendant hommage aux propos de M. Badré et comprenant les préoccupations qu'il a exprimées, je ne peux laisser dire que la non-revalorisation du barème d'imposition à l'ISF constitue une spoliation. Monsieur le rapporteur général, gardons le sens de la mesure !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je n'ai pas dit cela !
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Je pense que, de manière objective, on peut qualifier de mineure la non-revalorisation du barème de l'ISF.
Par ailleurs, il faut noter que les redevables de l'ISF ont fortement amélioré leur capacité contributive, comme en atteste l'augmentation très forte du rendement de cet impôt : 16 milliards de francs sont attendus pour l'année 2000. Cela reflète d'une part la reprise du marché immobilier, d'autre part la hausse très nette du marché boursier.
Sous le bénéfice de ces explications, je vous demande, monsieur le rapporteur général, de ne pas persister dans la défense de cet amendement.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Après les propos que viennent de tenir M. Badré, M. le rapporteur général et Mme le secrétaire d'Etat, je souhaite dire que j'ai eu à traiter de ce sujet à plusieurs reprises, lorsque j'occupais les fonctions de Philippe Marini. Je dois reconnaître que la précédente majorité n'a pas montré un courage exemplaire sur cette question. Il faut parfois savoir reconnaître ses torts pour rendre crédibles les propos que l'on tient.
M. Paul Loridant. J'allais vous le rappeler !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Par télépathie, je savais que vous alliez formuler cette remarque, monsieur Loridant. (Sourires.) Aussi ai-je préféré vous précéder.
La France a ce génie de s'inventer des tabous et des chimères : dans notre pays, posséder, c'est sinon un péché, du moins un tort. Or, mes chers collègues, si nous avions cette lucidité, si nous avions ce sens élevé de la responsabilité qui consiste à reconnaître que l'existence de capitaux est nécessaire pour faire fonctionner une économie et pour permettre aux Français de trouver un emploi, nous aurions, par rapport à cette question du capital, une position plus sereine.
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Cette question de l'imposition du capital en France est perçue par de nombreux détenteurs comme une punition, madame le secrétaire d'Etat. En effet, il y a les « punis », ceux qui ne peuvent pas se sauver, car leur capital est attaché au territoire. Ils vivent cette situation d'une façon que chacun peut apprécier à sa manière, mais leur ressentiment s'accroît chaque année davantage. Il est à craindre qu'ils ne se défassent de ce capital au profit d'autres détenteurs, parfois étrangers d'ailleurs, qui n'auront pas à l'égard de ces actifs et des personnes dont le devenir en dépend un souci d'avenir, comme pourraient l'avoir les familles qui détiennent ou détenaient ce capital.
Quelles que soient nos sensibilités politiques, nous allons devoir, si nous voulons véritablement assurer l'avenir économique de la France, adopter à l'égard de l'ISF une attitude responsable. Celle-ci passe par le rétablissement du plafonnement que la précédente majorité a supprimé, à tort, mais aussi, je vous le dis sans excès, madame le secrétaire d'Etat, par l'adaptation annuelle du barème. Si vous ne le faites pas, vous continuerez à alimenter l'idée que la détention de capital est coupable.
Par conséquent, sur cette question, nous devons, les uns et les autres, adopter un comportement responsable. Il est le gage de l'avenir de la France et de l'emploi de nombreux Français qui n'admettent plus que, pour des raisons politiciennes, leurs avenir soit menacé. C'est la raison pour laquelle j'insiste pour que le Sénat soit exemplaire et prenne, à l'égard de cet impôt, une position claire, franche et dénuée de toute démagogie. (« Bravo ! » et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° I-8.
M. Paul Loridant. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant. Je voulais faire une observation à la majorité sénatoriale, mais M. Lambert, président de la commission des finances, a bien senti que, sur ce terrain, la droite conservatrice de ce pays avait quand même quelques reproches à s'adresser. Je vous rappelle, en effet, que c'est sous un gouvernement de droite que l'impôt sur les grandes fortunes a été supprimé. Et l'on veut faire preuve de vertu, de modération... Entre-temps, l'impôt de solidarité sur la fortune a été rétabli et, malgré la nouvelle alternance, cette fois-ci, vous vous êtes bien abstenus de le supprimer.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Je parlais du plafonnement !
M. Paul Loridant. En la matière, les donneurs de leçons sont plutôt de votre côté ! (Protestations sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. Jean Chérioux. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux. Je ne pensais pas prendre la parole parce que, après les explications du rapporteur général et l'intervention du président de la commission tout avait été dit. Cependant, ayant entendu Mme la secrétaire d'Etat au budget développer ses arguments, je me crois obligé d'intervenir.
Mme Parly a tout d'abord reconnu, devant notre souhait de revenir au texte initial du projet de loi en ce qui concerne l'actualisation du barème de l'ISF, que le Gouvernement, convaincu par les discussions qui avaient eu lieu à l'Assemblée nationale, avait accepté un amendement. Il s'agit d'un argument pour le moins étonnant ! Après avoir travaillé sur un projet de loi de finances pendant de nombreuses semaines, il est tout de même extraordinaire d'être convaincu par une assemblée de la non-valeur des propositions que l'on fait !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Convaincu, chaque année !
M. Jean Chérioux. En réalité, madame la secrétaire d'Etat, vous n'avez pas été convaincue, vous avez simplement cédé face à votre majorité plurielle ! Comme le disait très justement M. le rapporteur général tout à l'heure, chaque année, nous assistons à une valse hésitation. Mais ne parlez pas de conviction, car c'est risible.
Ensuite, vous avez prétendu qu'il n'y avait pas spoliation. Si, à la limite, il y a spoliation ! Quand un impôt se superpose à d'autres impôts - l'impôt sur le revenu, la CSG, l'impôt sur les plus-values - il y a, qu'on le veuille ou non, spoliation, car les contribuables doivent vendre une partie de leurs actifs pour payer l'impôt : il s'agit d'une amputation du capital.
Mme Beaudeau, qui avait mis en avant les principes posés par la Constitution lorsque nous avions discuté de la progressivité, devrait penser comme moi, puisqu'elle indiquait que, dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, il est prévu que les citoyens doivent payer en raison de leurs facultés. En l'espèce, non seulement ils sont obligés de donner la plus grande partie de leurs revenus, voire l'intégralité, mais en plus, quelquefois, ils sont contraints d'amputer leur capital. Alors, franchement, ne dites pas qu'il n'y a pas spoliation !
Il s'agit d'un débat que nous avons chaque année et je dois dire que j'en suis d'autant plus étonné que je siégeais dans cette assemblée lorsque l'impôt sur les « grandes fortunes », comme on disait, a été créé.
M. Paul Loridant. Que vous avez supprimé !
M. Jean Chérioux. C'est d'ailleurs le ministre actuel de l'économie, des finances et de l'industrie qui le présentait. A l'époque, il avait bien insisté en disant que c'était un impôt sur les grandes fortunes, et seulement sur les grandes fortunes. En réalité, on voit ce qu'il appelle « grandes fortunes ». A partir de 4 millions de francs, ce ne sont tout de même pas des fortunes énormes ! Il avait d'ailleurs pris l'engagement que cet impôt serait réactualisé chaque année.
M. Philippe Marini, rapporteur général. On voit ce que valent les engagements !
M. Jean Chérioux. Eh bien ! l'engagement des années quatre-vingt a disparu ! Cela permettra aux Français de constater que les engagements qui viennent de votre Gouvernement, comme de ceux qui l'ont précédé - je parle de ceux qui sont du même bord que vous - ne valent pas bien cher.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Les promesses n'engagent que ceux qui les reçoivent !
M. Paul Loridant. Vous êtes donc pour la suppression !
M. Thierry Foucaud. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Je rappelle que, pour la quatrième année consécutive, au vu du projet de loi de finances pour 2001, le barème de l'impôt de solidarité sur la fortune ne sera pas réévalué, ce que notre rapporteur général assimile d'ailleurs à une forme de concession du ministère des finances à l'une des composantes de la majorité plurielle.
Nous ne savons pas si l'on peut gager la fidélité de partenaires pour le moins turbulents sur l'acceptation de 170 millions ou 180 millions de francs de recettes fiscales complémentaires.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Vous devriez demander plus !
M. Thierry Foucaud. Mais force est de constater que, quant au fond, ce qui anime la position de la commission des finances, c'est plutôt une forme d'aversion idéologique à l'existence même de ce prélèvement qu'autre chose.
M. Paul Loridant. Absolument !
M. Denis Badré. Pas du tout !
M. Thierry Foucaud. Parlons un peu des évaluations de recettes, assez déterminantes dans le débat dès que l'on parle de l'impôt sur la fortune.
S'agissant de la loi de finances pour 2000, compte tenu notamment de la valorisation constante de ce que l'on peut appeler le « patrimoine papier », les prévisions de recettes ont été réévaluées, passant en effet de 13,6 milliards de francs en loi de finances initiale à 14,5 milliards de francs en collectif de printemps et à 16 milliards de francs en collectif de fin d'année.
Apparemment, et malgré ce que je viens d'entendre, ces données montrent - ce qui représente le plus grand intérêt - que tous les contribuables de l'ISF n'ont manifestement pas quitté le territoire national et qu'il existe dans ce pays des gens pour qui la croissance veut encore dire quelque chose.
Si les patrimoines imposés suivent la même courbe que le produit de l'imposition, on ne peut que féliciter les contribuables de l'ISF de la justesse et de la qualité de leurs choix d'investissement.
Il convient cependant, à ce stade du débat, de se rappeler de manière récurrente quel est le poids réel de l'impôt concerné quant à la rentabilité des placements en question.
On sait, en particulier, que de douloureuses inégalités, liées à la diversité des composantes de patrimoine - plus on s'élève dans la valeur des patrimoines, plus le caractère immatériel de la valeur de ce patrimoine augmente - et à l'exemption incompréhensible des biens professionnels qui tend douloureusement les choix de gestion dans les PME et les entreprises « dynastiques », pèsent encore aujourd'hui sur l'économie générale de l'impôt.
Pour autant, peut-on ici oublier de souligner que le poids de l'ISF représente environ quatre dixièmes de point de la valeur des patrimoines imposables, c'est-à-dire, au pire, 3 ou 4 % de la rentabilité annuelle de ce patrimoine ?
Dois-je rappeler que, lorsque l'on est actionnaire minoritaire d'une entreprise, on tire encore parti, aujourd'hui, de l'existence de l'avoir fiscal, dont le montant vient souvent « contrebattre » celui de l'impôt sur la fortune ? N'y a-t-il pas dans notre pays des contribuables qui s'acquittent de leur cotisation ISF avec le crédit d'avoir fiscal qui leur est remis par le Trésor public, mes chers collègues ?
De la même manière, le fait que l'impôt soit un impôt de caractère déclaratif n'est pas sans avoir comme conséquence de lier le niveau de recouvrement effectif de la cotisation à la bonne foi du contribuable.
On sait qu'une assez mauvaise habitude a été prise, dans certaines études immobilières ou notariales d'inciter les contribuables à l'ISF à sous-évaluer leur patrimoine immobilier en vue de faire jouer l'effet d'éviction et, monsieur Chérioux, il est bon, à cet égard, d'évoquer les droits de l'homme.
M. Jean Chérioux. Aucun rapport !
M. Thierry Foucaud. Le contentieux de l'ISF le prouve d'ailleurs de manière récurrente.
Le fait que le produit de cet impôt augmente n'est pas, à proprement parler, lié au gel du barème, gel qui a au moins le mérite de permettre de constater que c'est bel et bien la valorisation des actifs imposés - et pas uniquement l'évolution de la progressivité - qui explique la progression du rendement.
Vous l'aurez compris, nous ne voterons pas cet amendement.
M. Jean Chérioux. C'est inattendu !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. La chute est curieuse !
Mme Nelly Olin. C'est un scoop !
M. Bernard Angels. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Angels.
M. Bernard Angels. Je ne comptais pas intervenir avant la discussion de l'amendement n° 9 mais, comme le débat est lancé, je tiens à le faire dès maintenant. En effet, M. le rapporteur général a abordé le problème de l'ISF dans son ensemble, suivi par M. le président de la commission des finances et M. Badré.
Au sujet de l'ISF, problème que nous abordons, bien sûr, chaque année dans cet hémicycle, je commencerai par faire le point sur le fameux « plafonnement du plafonnement ».
Monsieur le rapporteur général, je préfère à votre position celle de M. le président de la commission des finances, qui rend à César ce qui lui revient.
Il est vrai que, depuis 1997, vous demandez la suppression de ce qu'on appelle « le plafonnement du plafonnement » de l'ISF. Mais ce n'est pas nous qui l'avons instauré ! C'est M. Juppé, et nous n'aurons de cesse de le répéter car, trop souvent, vos amis l'oublient.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. L'ISF a été instauré avec votre soutien, à l'époque.
M. Bernard Angels. Par ailleurs, vous établissez un lien, monsieur Marini, entre la limitation du bénéfice de ce plafonnement et l'accroissement du nombre de contribuables disposant d'un patrimoine très important qui délocalisent. M. Badré s'est longuement expliqué sur ce point.
Il faut être sérieux. On ne peut, aujourd'hui, annoncer de chiffres fiables. Le travail que vous accomplissez actuellement est très utile, mais il faut aller au bout de la recherche et tirer les conclusions des études disponibles, celle de la direction générale des impôts, ainsi qu'une autre, diligentée par notre collègue de l'Assemblée nationale, M. Didier Migaud. A priori, pour ce que j'en ai lu jusqu'à maintenant, la situation n'est pas aussi simple que l'on veut bien le dire. En effet, pour la plupart, les expatriations sont le fait de contribuables moyens et non pas de grands contribuables. Notre raisonnement mériterait donc, à mon sens, d'être affiné.
De quoi parle-t-on quand on parle de l'ISF ? Voici les chiffres.
En 1999, sur les 16 700 000 personnes qui étaient redevables de l'impôt sur le revenu, 212 000 étaient assujetties à l'ISF, 3 000 d'entre elles ayant bénéficié du plafonnement que M. Marini voudrait aujourd'hui modifier. Telle est la réalité en nombre de personnes concernées.
Si l'on s'intéresse maintenant aux montants en jeu, j'indiquerai, pour que ceux qui nous écoutent puissent savoir de quoi il s'agit, que la limitation du plafond toucherait, en 2001, année qui nous occupe, des redevables détenant au minimum 15 380 000 francs de patrimoine ! Chacun peut porter l'appréciation qu'il veut.
Pour ma part, je réponds ici au président de la commission des finances que, si je ne trouve pas naturel que l'on ait honte d'avoir un patrimoine, en revanche, je défends l'idée que les gens doivent, en fonction de ce qu'ils ont, participer à la solidarité nationale. Ce n'est donc pas la hauteur du patrimoine qui m'indispose. Je souhaite simplement que chacun puisse contribuer à proportion de ses possibilités.
M. Philippe de Gaulle. Il faut alors plafonner !
M. Bernard Angels. Nous savons tous que la majorité sénatoriale, et c'est un point de divergence entre nous, estime que le rendement de l'ISF est trop important ; elle le dit chaque année. Il est vrai qu'en regardant les chiffres on constate que, en 1999, le rendement de l'ISF a augmenté de 14,8 % par rapport à 1998, mais c'est avant tout en raison, d'une part, de la forte hausse des cours boursiers - le CAC 40 a progressé, en un an, de 51 % - d'autre part, de la reprise du marché immobilier.
Pour le reste, je crois que nous ne parviendrons pas à nous mettre d'accord sur ce point, car nous sommes vraiment sur un sujet qui nous divise.
En conclusion, je constate que, faute d'avoir pu supprimer cet impôt, ce que vous avez voulu faire il y a quinze ans, avant de vous rendre compte que la grande majorité des Français était défavorable à cette décision, vous ne parlez plus de supprimer l'ISF mais, en revanche, vous essayez chaque année, lors du débat budgétaire, d'affaiblir le rendement de cet impôt.
M. Paul Loridant. Très bien !
Mme Maryse Bergé-Lavigne. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Bergé-Lavigne.
Mme Maryse Bergé-Lavigne. M. le président de la commission des finances vient d'affirmer que la détention de capitaux serait aussi, après tout, un gage de créations d'emplois. Je ne partage pas son point de vue. En effet, dans le monde tel qu'il est aujourd'hui, ce n'est plus toujours vrai ; c'est même de moins en moins vrai. Nous constatons, non seulement en France mais à travers le monde, que l'actionnariat exigeant pour ses investissements un taux de rentabilité de plus en plus élevé - de 15 % à 20 % - si ce taux n'est pas atteint, comme on le voit tous les jours, ce sont autant de licenciements massifs qui sont décidés, et alors même que les entreprises marchent bien.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je ne vois pas le rapport !
Mme Maryse Bergé-Lavigne. Dois-je rappeler les exemples de Michelin, en France, de Boeing, aux Etats-Unis, ou encore d'Unilever qui, dernièrement, a indiqué l'imminence de 13 000 licenciements ?
Nous ne portons pas de jugement moral sur la détention de capitaux, mais vous reconnaîtrez, monsieur Lambert, que, si les gouvernements et les contribuables sont concernés, les femmes et les hommes sont aussi concernés par les dégâts sociaux qui résultent des décisions prises. Le capital n'a pas tous les vices, mais il n'a pas non plus toutes les vertus !
M. Denis Badré. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Badré.
M. Denis Badré. Je voudrais ajouter un élément à mon dernier propos. Nous vivons dans un monde ouvert, que nous le voulions ou non. Lorsque le Gouverneur de la Banque de France a été auditionné récemment par la mission d'information sur l'expatriation des capitaux, des compétences et des entreprises, il nous a rappelé lui-même que la libéralisation du marché des capitaux nous conduit à nous accommoder des règles mondiales.
Que nous le voulions ou non, nous devons regarder ce qui se passe dans le monde et nous conformer à des contraintes que nous n'avons pas le choix de refuser. Elles sont là ; nous devons les accepter. Nous sommes appelés aujourd'hui à faire preuve d'un peu de réalisme et de lucidité. C'est tout !
M. Jean Chérioux. C'est évident !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Très bien !
Mme Maryse Bergé-Lavigne. Vous niez la politique !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteurgénéral.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je voudrais revenir sur un mot qui a été évoqué tout à l'heure dans le cours du débat.
Par « spoliation » qu'entend-on ? On veut dire qu'un impôt annuel conduit à un prélèvement sur le capital. Qu'est-ce que l'ISF ? Comme l'a rappelé très justement M. Jean Chérioux, c'est un cumul d'impôts.
M. Jean Chérioux. Exactement !
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est, d'abord, l'impôt sur le revenu, avec une part de plus en plus importante liée au calcul des plus-values. En effet, le fait d'avoir un portefeuille de valeurs mobilières géré et qui, par définition, « tourne » conduit à une taxation importante selon le calcul de l'impôt sur le revenu.
C'est, ensuite, le second impôt sur le revenu, proportionnel, à 10 % - la CSG et la CRDS - qui vient naturellement frapper une deuxième fois les mêmes revenus.
Enfin, sur tout cela, se greffe l'impôt de solidarité sur la fortune, le cas échéant déplafonné.
Lorsque l'on réagit, et lorsque l'on pousse en quelque sorte un cri d'alarme sur les conséquences économiques de cette situation, c'est du cumul de ces taxations que l'on parle, car chacun peut facilement observer aujourd'hui que l'impôt annuel est sorti de son rôle.
Si l'impôt annuel est un prélèvement sur le revenu, il s'inscrit dans un système de progressivité, chacun devant payer en fonction de ses facultés contributives. Mais si l'impôt annuel conduit inéluctablement à prélever au-delà de la trésorerie disponible sur la base du revenu et donc à prélever sur le capital lui-même, nous franchissons un seuil et nous arrivons à une situation franchement critiquable.
Un dernier mot sur ce point. Portons notre regard au-delà du Rhin. Vous savez qu'en Allemagne, la Cour constitutionnelle a déclaré l'impôt sur la fortune non conforme aux principes fondamentaux de la République fédérale.
Comment ces principes sont-ils appréciés ? La Cour constitutionnelle estime que le détenteur d'un capital à droit à un certain revenu, et ce revenu normatif est calculé par la Cour. Tout ce qui conduit à amputer non seulement le capital, mais aussi le revenu normatif est considéré - nous en sommes très loin en France - comme une spoliation anticonstitutionnelle.
Je ne dis pas que notre ordre juridique soit le même, il ne l'est pas. Je n'incite pas non plus à aller voir dans les paradis ultralibéraux qui peuvent exister de l'autre côté des mers.
M. Paul Loridant. Heureusement !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je vous parle simplement de l'Union européenne et de notre principal partenaire, sans oublier le droit européen tel qu'il existe aujourd'hui avec les apports de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.
Madame le secrétaire d'Etat, c'est à l'issue d'un très long contentieux - il a duré dix ans - que l'administration a dû admettre la décote de 20 % sur la résidence principale occupée en tant que telle pour le calcul de l'ISF. Il a fallu dix ans de contentieux pour en arriver là. Je suis à peu près certain - c'est du long terme et, après tout, nous sommes ici pour poser des jalons - que l'impôt sur le patrimoine tel qu'il existe en France, avec l'empilement de ses différents niveaux, s'exposera un jour à des censures comparables. Au demeurant, on en trouve le germe dans certaines une décisions du Conseil constitutionnel, la décision de décembre 1981, par exemple, ou une décision plus récente lorsque vous avez voulu vous attaquer à l'usufruit et à la nue-propriété et imposer à des nus-propriétaires des taxations excédant manifestement leurs facultés contributives annuelles.
Voilà l'essentiel du débat, mes chers collègues.
Il n'est pas correct, il n'est pas décent de poursuivre chaque année sur la voie de la non-revalorisation du barème. Il n'est pas décent de refuser de voir les handicaps de compétitivité que se crée notre pays avec une vision idéologique qui se confirme tous les jours. Il n'est pas décent de placer la France en marge de tous les pays à économie de marché, avec un système de taxation de plus en plus inquisitorial, administratif, voire spoliateur. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Permettez-moi de m'étonner un instant des propos qui viennent d'être tenus. Ce n'est un secret pour personne que le Gouvernement souhaite rééquilibrer la taxation entre le capital et le travail.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Que voulez-vous, madame le secrétaire d'Etat, nous ne sommes pas dans la vulgate socialiste !
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Non, nous sommes dans un hémicycle où il est permis d'espérer des débats honorables et sérieux sur des questions sérieuses.
M. Jean Chérioux. A des questions sérieuses, il faut des réponses sérieuses !
M. Marcel Debarge. Laissez parler Mme le secrétaire d'Etat : chacun son tour !
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Cet objectif-là est une constante de la politique menée depuis 1997.
Le fait que le Gouvernement a évolué par rapport à son texte ne me semble pas devoir faire l'objet d'une critique, en tout cas certainement pas dans cet hémicycle, car c'est aussi la marque du respect que Gouvernement a pour le débat parlementaire. Je m'étonne donc qu'un honorable sénateur, M. Chérioux, en l'occurrence, me fasse ce procès. Le Gouvernement a changé de position à la suite d'un débat approfondi qui s'est tenu à l'Assemblée nationale et qui a porté non seulement sur l'ISF, mais aussi sur l'impôt sur le revenu, car toutes ces questions sont liées entre elles, bien entendu.
M. Paul Loridant. Très bien !
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Je ne reviendrai pas sur le barème de l'impôt sur le revenu mais, cela va de soi, le mouvement que le Gouvernement a amorcé sur l'ensemble des tranches du barème doit également être pris en compte quand on examine la question de l'actualisation du barème de l'ISF.
M. Paul Loridant. Très bien !
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Vraiment, ce sont là de faux procès qui sont instruits contre le Gouvernement et je suis vraiment peinée que l'on accuse le Gouvernement d'attitudes risibles, quand il s'agit uniquement de suivre des propositions de l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Jean Chérioux. C'est l'argument qui est dérisoire !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° I-8, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 4 est rétabli dans cette rédaction.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance suspendue à treize heures, est reprise à quinze heures.)