SEANCE DU 27 NOVEMBRE 2000


M. le président. « Art. 2 bis. - Le 3 de l'article 158 du code général des impôts est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« L'abattement prévu au troisième alinéa n'est pas opéré pour les contribuables pour lesquels le taux prévu au dernier alinéa du I de l'article 197 est appliqué à la fraction supérieure du revenu. »
Par amendement n° I-6 M. Marini, au nom de la commission des finances, propose de supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. J'appelle l'attention de la Haute Assemblée sur cet amendement de suppression de l'article 2 bis , car il s'agit, pour la commission, d'une question importante, tant pour l'épargne, qui est le sujet de fond, que sur le plan des principes.
M. Yves Fréville. Tout à fait !
M. Philippe Marini, rapporteur général. L'article 2 bis est une mesure de circonstance, votée par l'Assemblée nationale, sur l'initiative de plusieurs députés socialistes, en particulier du président de la commission des finances.
Il s'agissait, en quelque sorte, de se faire pardonner la réduction - très faible, presque imperceptible - du taux de la tranche marginale de l'impôt sur le revenu. Cette réduction symbolique étant encore insupportable, il fallait trouver une contrepartie. La contrepartie est donc la remise en cause de l'abattement prévu à l'article 158 du code général des impôts pour les contribuables imposés au taux marginal. Cet abattement est actuellement de 8 000 francs pour les contribuables célibataires et de 16 000 francs pour les contribuables mariés.
La suppression de l'abattement apparaît donc comme une initiative de nature politique que le Gouvernement a acceptée pour ne pas fragiliser son plan de baisse des impôts vis-à-vis de sa propre majorité. En d'autres termes, c'est une façon de reprendre d'une main ce que l'on a donné de l'autre. Donner et retenir ne vaut, disait l'ancien adage.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Le code civil !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Et même le code civil, fruit d'une sagesse immémoriale à laquelle on ferait bien aujourd'hui de se référer, car les choses seraient plus claires !
Madame le secrétaire d'Etat, l'abaissement, décalé et, je le répète, quasi imperceptible de la tranche supérieure est gagé par une augmentation d'impôt qui en est la négation même.
De plus, et à supposer, ce qui reste à voir, qu'il soit concevable de faire un sort particulier aux capitaux mobiliers, on ne peut que souligner les effets de seuil qui vont résulter du critère retenu, c'est-à-dire l'imposition au taux de la tranche supérieure. En effet, le nombre de parts peut varier pour des raisons tout à fait indépendantes de la situation patrimoniale du contribuable, l'impôt sur le revenu étant déterminé par toute une série de critères, notamment familiaux, qui vont eux-mêmes influer sur le passage d'une tranche à l'autre du barème.
Madame le secrétaire d'Etat, nous avons un peu l'impression que le Gouvernement, dans cette affaire, ayant consenti cette concession à ses fidèles, applique, vis-à-vis de toute une catégorie de contribuables, une maxime que je pourrais, de façon ironique, exprimer de la manière suivante : « Vous avez fiscalement tort parce que vous êtes imposable au taux marginal de l'impôt sur le revenu » !
La commission des finances conteste cette façon d'agir et s'interroge d'ailleurs beaucoup sur la rupture d'égalité devant les charges publiques que risque d'entraîner cet article 2 bis .
Pourquoi faire un sort spécifique aux contribuables assujettis au taux marginal, sachant que cet assujettissement est lui-même l'effet de toute une série de facteurs ? Pourquoi faire un sort spécifique aux revenus de capitaux mobiliers lorsqu'il y a toutes sortes d'autres catégories de revenus, les revenus financiers, et d'autres encore ?
L'article 2 bis nous semble donc discriminatoire et d'une constitutionnalité discutable.
Si, par malheur, cette mesure devait être réaffirmée par l'Assemblée nationale et incorporée au texte définitif de la loi de finances, il y aurait donc lieu, de notre point de vue, de vérifier auprès du Conseil constitutionnel s'il y a ou non rupture d'égalité devant les charges publiques.
C'est en fonction de l'analyse que je viens de résumer et dans le contexte que j'ai rappelé que la commission des finances appelle le Sénat à supprimer l'article 2 bis .
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Laissant à M. Marini son analyse, le Gouvernement, pour ce qui le concerne, souhaite en effet que l'ensemble des Français puissent bénéficier d'une diminution de leur taux d'imposition au titre de l'impôt sur le revenu.
Cependant, notre politique d'encouragement à l'investissement en actions n'est pas prioritairement dirigée vers les 260 000 contribuables qui sont imposés au taux marginal le plus élevé.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Ils intéressent beaucoup M. Marini !
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. La suppression d'un des abattements pour 160 0000 d'entre eux est, me semble-t-il, un facteur de plus grande justice fiscale.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a accepté l'amendement de l'Assemblée nationale visant à introduire l'article 2 bis dans le projet de loi de finances, amendement qui est cohérent avec la volonté du Gouvernement de privilégier les revenus du travail.
J'en viens à la question constitutionnelle que vous avez soulevée, monsieur le rapporteur, et du risque éventuel de rupture d'égalité devant les charges publiques qu'engendrerait l'article 2 bis .
Je ne partage pas votre analyse, monsieur le rapporteur général, car je considère que l'on réserve ici un traitement homogène à une catégorie homogène à la fois de personnes et de revenus. Or le bénéfice d'un avantage fiscal peut tout à fait être limité ou réservé à une catégorie de contribuables en fonction de critères objectifs, et c'est bien le cas dans cet article 2 bis .
Pour ces raisons, je demande le rejet de l'amendement n° I-6.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° I-286.
M. Yves Fréville. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Fréville.
M. Yves Fréville. Nous voterons, bien entendu, cet amendement de la commission qui est frappé au coin du bon sens.
Techniquement, en effet, l'article 2 bis est parfaitement insatisfaisant. Le contribuable doit d'abord déterminer s'il relève de la tranche supérieure de l'impôt sur le revenu ce qui, à l'évidence, n'est possible qu'après avoir pratiqué cet abattement de 8 000 francs ou de 16 000 francs. On va s'apercevoir alors que, selon les cas, après abattement, la mesure s'appliquera ou ne s'appliquera plus. Il y a là quelque chose d'insatisfaisant dans le mécanisme !
Vous trouvez, en outre, madame le secrétaire d'Etat, que cette mesure est constitutionnellement satisfaisante, mais, puisque vous parliez tout à l'heure de l'ensemble des Français, je pense que c'est effectivement l'ensemble des Français qui doivent pouvoir bénéficier de cet amendement de 8 000 francs ou 16 000 francs sur les revenus de placements en actions.
Je me permettrai de faire remarquer que vous avez pris soin d'appliquer cette mesure uniquement à ces revenus-là. Notre droit fiscal présente donc toujours cette singularité de défavoriser les investissements à risque par rapport aux investissements en obligations qui, eux, continuent naturellement à bénéficier du prélèvement à 26 %. Lorsque l'Etat a la dette que nous connaissons, il ne peut être évidemment question de rompre cette inégalité entre les actions et les obligations ! Mais nous savons que l'Etat, si endetté, pense d'abord à ses propres besoins en privilégiant fiscalement les obligations.
M. Bernard Murat. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Murat.
M. Bernard Murat. Notre collègue M. Yves Fréville a parfaitement résumé ce que j'avais l'intention de dire. Nous voterons donc, bien sûr, cet amendement.
J'ajoute que, parmi les 160 000 Français qui bénéficient de cet avantage, qu'ils doivent en grande partie à leur travail et à leur talent, nous en comptons autant de gauche que de droite !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Madame le secrétaire d'Etat, vos arguments ne peuvent que susciter des réactions très vives. Vous nous dites que 160 000 ou 200 000 foyers seulement sont concernés, mais vous nous dites aussi, par ailleurs, que le Gouvernement souhaite favoriser la souscription d'actions pour répondre à une vision économique qui rend nécessaire le renforcement des fonds propres des entreprises. A qui ferez-vous croire que les personnes qui ont, par définition, les plus grandes capacités d'épargne pour souscrire des actions doivent être placées dans une situation discriminatoire par rapport aux autres qui, par définition également, sont moins en mesure de tendre à cet objectif que vous estimez souhaitable, à savoir la souscription en titres de fonds propres des entreprises, en particulier des entreprises françaises et européennes ?
C'est la première fois, madame le secrétaire d'Etat, vraiment la première fois qu'est opéré ce mélange des genres entre, d'un côté, le barème de l'impôt sur le revenu et, d'un autre côté, l'applicabilité d'une mesure tendant à inciter à la souscription de produits d'épargne ou de valeurs mobilières.
C'est la première fois que ce court-circuit est fait entre deux éléments de la fiscalité. Il n'est vraiment pas possible d'aller dans le sens que vous nous suggérez. Que signifie, en effet, cette prétendue incitation à la souscription d'actions au détriment d'autres valeurs mobilières, à revenu fixe, par exemple des valeurs du Trésor, si vous excluez du bénéfice de la mesure précisément ceux auprès desquels elle doit être véritablement efficace ? A quoi sert cette législation ? C'est vraiment la question que l'on est amené à se poser.
Ne prétendez plus que vous menez une politique en faveur de la souscription d'actions, puisque les personnes qui disposent de l'épargne la plus importante seront incitées à souscrire des obligations, notamment des valeurs du Trésor, pour financer le déficit de l'Etat, lequel ne diminue pas assez rapidement, chacun le sait.
Continuerez-vous à prétendre que vous menez une politique favorable à la souscription d'actions ? Tout cela ne devient-il pas un ensemble de faux-semblants particulièrement hypocrites ? Je suis, pour ma part, conduit à poser cette question avec une certaine solennité. En effet, il faut savoir à quoi sert notre législation et s'interroger sur l'utilité d'empiler de nombreux articles dans le code général des impôts ? Il faut également s'interroger sur les objectifs que l'on vise et sur les moyens pour y parvenir. Il vaut mieux être clair. Il serait préférable que vous disiez que vous ne voulez plus inciter les contribuables personnes physiques à souscrire des actions.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. C'est exact !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Ce serait beaucoup plus franc !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Effectivement !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Il est toujours mieux d'adopter la franchise, madame le secrétaire d'Etat, plutôt que de recourir à des démarches tortueuses, qui rendent notre code général des impôts de plus en plus illisible et incompréhensible. En effet, c'est en procédant comme vous le faites que vous parviendrez à un rejet de l'impôt, qui se développe dans notre pays et que vous faites croître par vos initiatives. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean-Pierre Schosteck. Très bien !
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Je voudrais répondre à M. le rapporteur général, puisqu'il m'y a invitée.
Il ne faut pas se tromper de débat. Le projet de loi de finances prévoit certes une baisse générale de l'impôt sur le revenu pour tous ceux qui l'acquittent, mais le Gouvernement a, en effet, une philosophie qui le conduit à ne pas retenir des baisses égales pour tous. Celles-ci dépendent du revenu : elles sont d'autant plus fortes que le revenu des contribuables est moyen ou modeste.
Vous me dites : Que fait le Gouvernement en faveur de l'épargne et de l'encouragement à la souscription en actions ? Il ne s'agit pas de cela. Il s'agit de rééquilibrer un dispositif, qui est favorable à la souscription en actions, en considérant que l'on dénombre cinq millions de petits porteurs d'actions en France et que ceux que nous évoquons ce matin, ce sont les 160 000 foyers parmi ceux qui sont effectivement assujettis au taux marginal le plus élevé de l'impôt sur le revenu.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Raisonnez en montant !
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Ne nous trompons pas de débat. Le Gouvernement n'est pas en train de mettre à bas la politique d'incitation à la souscription en actions. Il mène la politique qu'il a toujours dit qu'il mènerait, c'est-à-dire une politique fiscale juste. (Applaudissements sur les travées socialistes et exclamations sur les travées du RPR.)
M. Philippe de Gaulle. C'est un budget idéologique !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Tout à l'heure, M. le rapporteur général nous a fait « toucher du doigt », me semble-t-il, le véritable enjeu : les gouvernements doivent assumer pleinement, politiquement, leurs responsabilités. Je crois, madame la secrétaire d'Etat, que la précision que vous venez d'apporter le permet.
Lorsqu'on veut clairement et sincèrement soutenir l'investissement en actions, on ne commence pas par trier les souscripteurs. Quand on se fixe un objectif, on le fait clairement. S'il est d'intérêt général pour la nation, il faut se donner les moyens de l'atteindre. On ne jalonne pas d'emblée cet objectif de contraintes telles qu'il finira lui-même par être oublié.
Vous ne m'empêcherez pas de porter un soupçon à l'endroit de la position du Gouvernement. N'ayant plus de majorité, ce dernier est obligé de tendre une sorte de rideau de pudeur pour que certaines fractions de cette majorité ne se froissent pas trop de voir que la politique de soutien à l'investissement en actions soit maintenue par le Gouvernement.
Donc, madame la secrétaire d'Etat, il faut dire devant les Français - et nous, nous prenons nos responsabilités - quelle politique nous voulons pour la France. Nous, nous pensons, en effet, qu'il est de l'intérêt général de notre pays qu'il y ait de l'investissement en actions. Nous ne souhaitons pas que, par des formes détournées, vous affaiblissiez cet objectif, qui est vital pour l'avenir de l'économie française. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
MM. Jacques Machet et Yves Fréville. Très bien !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° I-6, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 2 bis est supprimé.

Articles additionnels après l'article 2 bis