SEANCE DU 31 OCTOBRE 2000


CONTRACEPTION D'URGENCE

Adoption d'une proposition de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi (n° 12, 2000-2001), adoptée par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relative à la contraception d'urgence.
Rapport n° 49 (2000-2001) et rapport d'information n° 43 (2000-2001).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, en 1975, par la sagesse d'une majorité parlementaire et par le courage de Simone Veil, première femme ministre de la santé, à qui je tiens à rendre un hommage chaleureux, la France a adopté la voie de la justice en refusant que des milliers de femmes continuent à avorter de façon clandestine au risque de leur vie et de leur liberté ou en fuyant à l'étranger dans des conditions dramatiques de précarité et de danger.
Cette voie, le philosophe André Comte-Sponville l'a qualifiée avec beaucoup de finesse : « Nos concitoyens ont préféré la mesure, par nature relative, des risques et des inconvénients. C'était la bonne voie. Elle débouche sur une politique du moindre mal, de la moindre souffrance, de la moindre injustice, bref sur ce que j'appellerais volontiers une politique laïque et profane : une politique du compromis et de la solidarité. »
Au nom de l'ensemble du Gouvernement, je suis heureuse et fière de vous engager aujourd'hui à poursuivre dans cette voie, une voie juste qui nous permettra, en autorisant et en développant la contraception d'urgence, de ne pas ajouter du désespoir à la souffrance, du malheur à ce qui est trop souvent le fruit d'une erreur, et d'une erreur pardonnable lorsqu'il s'agit d'une erreur de jeunesse.
Le Gouvernement félicite les parlementaires qui se sont emparés rapidement de ce sujet qui nous tient à coeur. L'Assemblée nationale a déjà émis un vote favorable à cette proposition de loi le 5 octobre dernier, rassemblant une très large majorité, tous courants politiques confondus. Je ne doute pas que le Sénat s'engage aussi dans cette voie.
Cette mobilisation s'est décidée à la suite de l'annulation par le Conseil d'Etat, le 30 juin dernier, du protocole mis au point par Ségolène Royal, alors qu'elle était ministre déléguée à l'enseignement scolaire, permettant l'administration de la pilule du lendemain en cas de besoin aux adolescentes par les infirmières en milieu scolaire.
Ce protocole, visant à protéger les toutes jeunes filles des risques de grossesses précoces non désirées, suite à des rapports non protégés, s'inscrivait dans une politique globale de prévention des situations à risque, de diffusion de la meilleure information possible aujourd'hui en matière de contraception et de maîtrise de la fécondité des femmes.
Faciliter l'accès aux nouveaux produits contraceptifs disponibles pour lutter contre la survenue de grossesses non désirées, éviter ainsi les situations de grandes difficultés qui en découlent - et notamment les interruptions volontaires de grossesse précoce - cela constitue une priorité de santé publique.
Pour la plus grande part d'entre nous, mettre un enfant au monde est l'un des moments les plus importants dans la vie d'une femme : il doit le rester et, surtout il doit le devenir pour toutes. Ce moment exceptionnel, porteur d'espoir dans l'avenir, facteur d'équilibre et d'épanouissement, nous avons le devoir de le préserver en permettant à nos filles d'éviter une grossesse non désirée.
Ces grossesses non désirées sont encore beaucoup trop nombreuses dans notre pays, notamment chez les adolescentes, et la majeure partie d'entre elles se concluent par une interruption de grossesse, dont on sait le traumatisme qu'elle peut représenter.
Les dernières statistiques ne sont guère rassurantes : 10 000 grossesses non désirées chaque année chez les mineures, dont 7 000 aboutissent à une IVG ; un taux de recours à l'IVG qui a plutôt tendance à augmenter chez les quinze - dix-huit ans ; il est passé de 6 à 7 entre 1990 et 1997.
Selon l'Institut national d'études démographiques, les adolescentes constituent aujourd'hui la principale population à risque de grossesse non désirée.
Il s'agit là d'une situation dont nous ne pouvons nous satisfaire en termes de santé publique, ni, bien sûr, en termes de liberté et d'accès aux droits fondamentaux des femmes à disposer de leur corps, à maîtriser leur fécondité. Cela justifie que les mesures les plus complètes soient prises pour faciliter l'accès de toutes les femmes, y compris les mineures, aux progrès réalisés récemment en matière de contraception.
C'est le sens de la politique active que nous avons engagée depuis plusieurs mois en faveur de la contraception. J'aimerais vous en rappeler les principaux éléments.
Alors qu'il n'y en avait pas eu depuis 1982, nous avons lancé en janvier dernier une vaste campagne d'information sur ce sujet. Cette campagne de plus de 20 millions de francs a ciblé en priorité les populations les plus vulnérables : les jeunes, les femmes en difficulté d'insertion sociale ou économique, les populations françaises d'outre-mer.
Le slogan majeur de cette campagne était : « La contraception... A vous de choisir la vôtre ». Un tel slogan signifie que la contraception est désormais une évidence, que l'heure n'est plus à se poser la question non plus de « la contraception », mais de « quelle contraception ? », puisqu'il y a maintenant un moyen de contraception différent et adapté à la situation de vie de chacune et de chacun.
Cette campagne s'est accompagnée d'une déclinaison spécialement adaptée aux départements d'outre-mer, déclinaison apparue nécessaire face au déficit majeur d'information sur la contraception dans ces départements, spécialement chez les jeunes.
Cette campagne dans les médias, qui a été relayée par plus d'un millier d'initiatives locales, a pour objet d'organiser une information de proximité sur la contraception, à partir d'un guide de poche diffusé à plus de 12 millions d'exemplaires, notamment dans les collèges et les lycées.
Enfin, exprimant sa volonté de continuer dans ce domaine, le Gouvernement a décidé de poursuivre l'effort engagé en rediffusant d'ici à l'été prochain les spots télévisés, en rééditant le guide de poche et en soutenant la valorisation et l'aide aux actions locales.
Surtout, M. le Premier ministre, conscient de la nécessité de réitérer, année après année, l'information sur la contraception, notamment pour qu'elle puisse toucher les nouvelles générations d'adolescents qui arrivent à l'éveil sentimental et sexuel, a adopté le principe d'une campagne régulière en faveur de la contraception.
Nos efforts en faveur de la contraception ne se résument pas à cette seule campagne d'information. Nous voulons en effet faciliter l'accès de toutes les femmes à tous les contraceptifs disponibles sur le marché à travers plusieurs dispositions.
Tout d'abord, Martine Aubry a fermement incité à la mise sur le marché des premières pilules du lendemain : le Tétragynon, en décembre 1998, et le NorLevo, en juin 1999.
Par ailleurs, nous avons récemment interpellé publiquement le laboratoire fabriquant le NorLevo, qui avait décidé d'augmenter le prix de ce médicament de 20 %, pour le convaincre de revenir au prix antérieur.
Nous avons encore décidé, il y a quelques semaines, d'encadrer le prix de vente public du stérilet, et fixé le remboursement à hauteur de ce prix de vente. Désormais, la somme restant à la charge des femmes achetant un stérilet en cuivre n'est plus que de 49,70 francs, au lieu de 255 francs préalablement.
Nous avons également fait en sorte qu'un dossier de mise sur le marché d'un générique de pilule de troisième génération remboursable par la sécurité sociale soit prochainement soumis à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, l'AFSSAPS. Si l'agence conclut positivement sur ce dossier - ce qui n'est pas encore totalement assuré, car les experts s'interrogent sur la balance coût-avantage de ce médicament - une pilule de troisième génération remboursée par la sécurité sociale devrait pouvoir être disponible dès le premier trimestre de 2001. Elle répondra à l'attente de nombreuses femmes qui sont persuadées de la supériorité du service médical rendu par ces pilules généreusement promues par des laboratoires, mais pour lesquelles ils n'ont jamais sollicité le listage, conservant ainsi la liberté de prix et de publicité.
Rendre plus facile l'accès des adolescentes à la contraception d'urgence dans les établissements scolaires procède de la même volonté politique.
Nous avons donc voulu répondre au désarroi de nombreuses jeunes filles cherchant dans leur environnement quotidien une personne adulte à qui demander conseil et assistance en cas de conduite imprudente. Les infirmières scolaires, par leur disponibilité, par leur capacité d'écoute et par leur proximité, par leur aptitude à évaluer la réalité des risques, par la possibilité qu'elles ont d'éclairer la perspective d'une contraception ordinaire, régulière et responsable, se sont imposées comme l'adulte de référence dans cette situation.
C'était le sens du dispositif d'accès au NorLevo dans les collèges et les lycées prévu par Ségolène Royal. C'est aussi celui de l'instruction que Jack Lang vient d'adresser à tous les recteurs, inspecteurs d'académie, directeurs départementaux de l'éducation nationale et chefs d'établissements publics locaux d'enseignement, dans l'attente que l'ancien protocole puisse s'appuyer sur une base légale incontestable, à la construction de laquelle nous nous employons aujourd'hui.
C'est le sens de la proposition de loi dont nous sommes appelés à débattre aujourd'hui.
La contraception d'urgence est une innovation récente en matière de contraception.
Dans ce champ, le fait d'avoir recours à un dispositif contraceptif d'urgence est une réelle innovation, qui est susceptible de faire reculer de manière significative le nombre de grossesses non désirées et, par suite, le nombre d'IVG.
Cette contraception d'urgence est une « pilule du lendemain » susceptible de réduire considérablement le risque de grossesse qui suit un rapport sexuel non ou mal protégé. Elle permet de réduire les conséquences d'une situation mal évaluée, mal maîtrisée, et de s'inscrire dans une réflexion de responsabilité sexuelle et de contraception régulière.
Il y a encore quelques mois, aucune pilule du lendemain n'était disponible en France. La situation est différente aujourd'hui, puisque deux d'entre elles sont désormais sur le marché : d'une part, le Tétragynon, association oestro-progestative, qui comporte des contre-indications, notamment cardio-vasculaires, identiques à celles de tous les produits comprenant des dérivés oestrogéniques, et, d'autre part, le NorLevo, progestatif pur, à ce titre beaucoup mieux toléré et sans aucun danger pour la santé.
Ces deux produits peuvent être pris sans examen gynécologique préalable.
Il faut surtout insister sur le fait qu'ils sont d'autant plus efficaces qu'ils sont pris le plus précocement possible après le rapport non protégé. En effet, leur efficacité diminue avec le temps : ainsi, le NorLevo, par exemple, est efficace à 95 % s'il est pris dans les vingt-quatre premières heures et à 58 % seulement s'il est pris entre la quarante-huitième et la soixante-douzième heure.
Ce sont ces deux caractéristiques tout à fait particulières du NorLevo - son innocuité, d'une part, son efficacité « temps-dépendance », d'autre part - qui nous ont conduits à décider, conformément à l'avis de l'AFSSAPS, qu'il pourrait y être accédé sans prescription médicale.
Plus de cinq cent mille boîtes de NorLevo ont été vendues à ce jour, alors que ce médicament n'est en vente que depuis quelques mois, ce qui confirme qu'il y avait une réelle attente des femmes à l'égard de la contraception d'urgence. Le recul n'est pas suffisant pour savoir quelles en seront les conséquences sur le recours à l'IVG, mais nous en espérons les mêmes résultats que ceux qu'ont obtenus nos voisins.
En Finlande, par exemple, où le taux de recours à l'IVG était particulièrement élevé dans les années quatre-vingt - il était supérieur à vingt femmes pour mille - il a diminué de plus de 50 % sur les dix années qui ont suivi la mise sur le marché de la pilule du lendemain et, en 1997, moins de neuf femmes sur mille ont eu recours à l'IVG.
Quant au taux de recours aux contraceptifs classiques, alors qu'il n'est que de 80 % chez nous, il s'élève aujourd'hui à 95 %, tous âges confondus, en Finlande.
Ce bon score est en partie lié, disent les experts, au fait que l'accès à la pilule du lendemain favorise l'efficacité de la politique globale en faveur de la contraception. Dans les pays où elle est disponible, elle n'a jamais diminué le recours à la contraception classique, bien au contraire. Elle favorise la prise de conscience que la contraception est un instrument de liberté et de maîtrise de son destin. Elle favorise aussi le dialogue : à l'occasion du recours à la contraception d'urgence, les femmes parlent de leur angoisse d'une grossesse non désirée, de leur soulagement d'y échapper et de leurs interrogations sur la contraception.
Le texte qui vous est proposé vise à introduire trois exceptions à la législation actuelle sur les contraceptifs, et ce en faveur du seul NorLevo.
D'abord, il réaffirme qu'une prescription médicale n'est pas nécessaire à son obtention.
Cette explicitation est nécessaire tant que nous n'aurons pas révisé l'ensemble de la loi de 1967 relative à la régulation des naissances.
Est-il besoin de rappeler, dans cette enceinte, à qui nous devons cette loi, qui a constitué une étape si importante dans la lutte pour le droit des femmes ? Il s'agit de M. le sénateur Neuwirth, que je salue et auquel je tiens à dire une fois encore combien les femmes lui sont reconnaissantes de sa clairvoyance et de son courage à une époque où il fallait pour cela bousculer bien des préjugés.
Mme Nelly Olin. Bravo !
M. Alain Gournac. Bravo Lucien !
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Cette loi a été véritablement « révolutionnaire ». (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen. - M. le président de la commission applaudit également.)
Cependant, plus de trente ans après, elle nécessite d'être quelque peu actualisée. En effet, elle confère notamment un statut particulier aux contraceptifs qui n'a plus lieu d'être puisque nous disposons maintenant d'une législation d'ensemble sur les médicaments. Il faut donc que nous harmonisions notre système législatif sur ce point, ce que le Gouvernement proposera dans quelques semaines.
En attendant, la dérogation qu'introduit la proposition de loi d'aujourd'hui mettra en conformité l'accès du NorLevo avec notre droit commun du médicament : elle permettra que la décision prise par le Gouvernement sur proposition du directeur de l'agence en charge du médicament s'applique de plein droit, c'est-à-dire que le NorLevo soit accessible sans prescription médicale, vendu librement en pharmacie.
Le NorLevo est du reste à ce jour le seul contraceptif accessible sans prescription médicale. Au-delà de son effet contraceptif d'urgence, il est innovant également à ce titre. Nous suivrons les conséquences de cette décision avec intérêt, car, pour la première fois, ce sont les femmes qui vont décider elles-mêmes de « s'auto-prescrire » une contraception.
Or, toutes les études le disent, plus l'accès à la contraception est libre, plus les femmes s'approprient la responsabilité de son contrôle, et moins il y a d'IVG.
L'intérêt de cet accès libre, rapide et sans ordonnance n'est donc pas seulement d'éviter les délais liés à l'obligation de prendre rendez-vous chez un médecin, il est aussi de rendre les femmes plus autonomes et donc responsables vis-à-vis de la maîtrise de leur sexualité et de leur fécondité.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Les deux autres exceptions introduites par ce texte sont qu'il autorise, d'une part, l'accès libre des mineures au NorLevo et, d'autre part, son administration par les infirmières en milieu scolaire.
Comme en témoigne le protocole conçu voilà quelques mois par l'éducation nationale à cette fin, le Gouvernement est très favorable à ces dispositions.
Aujourd'hui, la législation ne permet pas l'accès sans autorisation parentale des mineures aux contraceptifs hormonaux en dehors des centres de planification familiale.
Je vous l'ai dit, notre objectif est de parvenir à faire reculer la fréquence, beaucoup trop élevée à l'heure actuelle, des grossesses non désirées chez les jeunes adolescentes. Or, celles-ci représentent une population particulièrement vulnérable à cet égard, du fait de leur grande fertilité, d'une part, et de leur fréquente méconnaissance des risques qu'elles encourent en ayant des relations sexuelles non protégées, d'autre part.
Combien croient que le premier rapport est infertile! Combien savent que le préservatif, rigoureusement conseillé et utilisé pour prévenir des maladies sexuellement transmissibles, est aussi une prévention de grossesse et ignorent que tout abandon de l'usage du préservatif sitôt leur situation amoureuse stabilisée, les expose immédiatement au risque d'une grossesse non désirée !
M. Alain Vasselle. C'est la faute de l'éducation nationale !
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Le premier argument qui incite à ouvrir la possibilité pour les infirmières d'administrer le NorLevo aux adolescentes dans les établissements scolaires tient aux conditions de son efficacité. Je vous l'ai dit, le NorLevo est d'autant plus efficace pour éviter le risque de grossesse qu'il est pris précocement. Son administration en urgence par une infirmière intervenant en milieu scolaire peut permettre de gagner plusieurs heures sur le délai qui serait nécessaire à la jeune fille pour se procurer ce médicament.
Un deuxième argument plaide dans le sens de cette initiative législative ; il tient au déficit manifeste de notre politique d'éducation à la santé et à la sexualité.
M. Alain Vasselle. Eh oui !
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Les experts ne cessent de nous le répéter, le nombre de grossesses non désirées tient d'abord à l'absence de connaissance en matière de sexualité, y compris chez les adultes, qui véhiculent encore beaucoup d'idées fausses.
Mme Claire-Lise Campion. Absolument !
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Les enquêtes et les témoignages des infirmières scolaires témoignent que les adolescents sont demandeurs d'un dialogue sur ces questions avec les infirmières des collèges. Ces enquêtes indiquent aussi combien le dialogue sur ces questions est devenu plus fréquent depuis la mise en place du protocole de Ségolène Royal visant à faciliter l'accès au NorLevo dans les établissements scolaires, même en l'absence de demande précise de contraceptif d'urgence.
Là encore, la pilule du lendemain sert de vecteur à l'information sur la contraception, à l'éducation sexuelle et à l'éducation pour la santé.
Ce dispositif n'affaiblit en rien la responsabilisation des parents. A l'évidence, ceux-ci demeurent en première ligne sur ces sujets et c'est une mauvaise querelle de prétendre que cette disposition affaiblirait leur autorité. Car, quelles que soient leurs opinions, quand les parents encouragent le dialogue, font preuve d'écoute et de compréhension, diffusent les informations sur ces questions au sein de la famille, nous voyons bien que les enfants n'éprouvent pas le besoin d'aller parler avec l'infirmière du collège ou du lycée.
M. Roland Courteau. C'est exact !
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Mais, nous le savons, il y a des familles dans lesquelles les conversations sur ces questions sont moins faciles et même impossibles. Il y a des familles qui ont des références morales et religieuses que heurte le principe même de la contraception et dans lesquelles tout échange sur la sexualité est proscrit.
Nous avons une responsabilité à l'égard de ces enfants. Il ne nous appartient pas de leur inculquer des valeurs qui seraient différentes de celles qu'ils entendent choisir ; mais il nous revient de les aider à surmonter les épreuves et à éviter la détresse. C'est en particulier envers eux que l'école a une obligation d'éducation sexuelle.
En conclusion, je souhaite vivement que ce texte recueille un vote largement positif. Nous saurons l'accompagner des mesures nécessaires à sa pleine efficacité. Pour cela, nous mettrons notamment en place les actions de formation à la contraception d'urgence en direction des professionnels de la santé les plus concernés, en particulier, mais pas seulement, les infirmières qui travaillent en milieu scolaire. Un projet de formation est en cours d'élaboration avec la collaboration du Planning familial.
Vous le voyez, le Gouvernement ne cesse de poursuivre son effort pour faire progresser le droit à la contraception et manifester son soutien à toute initiative qui va dans ce sens. Dans ce domaine aussi, nous avons le sentiment de faire progresser l'idéal des droits de l'homme en permettant à chacun d'être pleinement responsable de ses actes et de son corps.
M. Roland Courteau. Tout à fait !
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Cette responsabilité, nul ne la possède de façon innée ; chacun l'acquiert à travers son histoire, en surmontant les erreurs qu'il commet, en les comprenant, en évitant de les reproduire.
Dans nos débats, je souhaite que nous gardions toujours à l'esprit le souci de celle pour qui cette loi est faite, cette jeune fille qui, peut-être, se laissera aller à commettre une erreur, mais que nous ne voulons pas voir punie par ce qui devrait être une joie : une grossesse par inadvertance qu'elle ne pourrait pas assumer parce qu'elle ne l'aurait pas voulue ou parce qu'elle serait trop jeune.
Au désespoir de celle qui ne croit plus en l'avenir, sachons opposer et offrir la possibilité de lendemains qui chantent ! (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Lucien Neuwirth, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je voudrais dire en préambule que ce débat n'est pas anodin ; il ne doit pas être l'arbre qui cache la forêt.
La question est de savoir si nous avons la volonté de regarder les conditions dans lesquelles nous abordons ce nouveau siècle envahi par de nouvelles technologies inimaginables il y a seulement un quart de siècle. On peut se demander alors où est l'homme, où sont la femme, l'adolescent, l'enfant, au moment où l'ordinateur entre dans les maternelles de certains pays.
Ce texte d'apparence modeste, qui tend à éteindre un incendie que nous n'avons pas su prévenir, doit nous inciter à revoir collectivement, et dans chaque famille, la façon dont nous préparons nos enfants, nos adolescents, à affronter les difficultés du monde telles qu'elles ont toujours été, mais qui ont été insuffisamment prises en compte.
L'examen par le Parlement de la présente proposition de loi trouve son origine dans l'annulation par le Conseil d'Etat, le 30 juin 2000, des dispositions d'une circulaire du 29 décembre 1999 autorisant la distribution de la pilule contraceptive NorLevo par les infirmières scolaires.
Le texte adopté par l'Assemblée nationale s'articule autour de trois dispositions bien distinctes.
La première a trait à la suppression de l'obligation d'une prescription médicale pour la délivrance des contraceptifs d'urgence qui ne sont pas susceptibles de présenter un danger pour la santé dans des conditions normales d'emploi ; cette mesure donne une base législative à la mise en vente libre du NorLevo, seul médicament contraceptif aujourd'hui concerné par cette disposition.
La deuxième disposition prévoit la possibilité, pour les médecins, de prescrire et, pour les pharmaciens, de délivrer ces contraceptifs d'urgence aux « mineures désirant garder le secret », c'est-à-dire sans autorisation parentale.
Enfin, la troisième disposition introduit la possibilité, pour les infirmières scolaires, d'administrer ces contraceptifs d'urgence aux élèves mineures et majeures.
Votre rapporteur ne peut que regretter que le débat sur ce texte soit engagé dans un climat de polémique peu propice au consensus.
Le Gouvernement a, en effet, fait un choix de calendrier quelque peu maladroit, de mon point de vue, en décidant de présenter en conseil des ministres le 4 octobre dernier, soit la veille de l'examen en séance publique à l'Assemblée nationale de la présente proposition de loi, le projet de loi relatif à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception, qui étend notamment de dix à douze semaines de grossesse le délai limite pour la pratique d'une IVG.
Il n'est dès lors pas surprenant qu'une certaine confusion ait pu voir le jour entre une simple adaptation de la législation sur la contraception - qui fait l'objet de la présente proposition de loi - et l'allongement du délai légal pour une IVG, qui soulève, à l'évidence, des questions infiniment plus délicates.
La confusion est encore accrue par l'intitulé et le contenu du texte dit « projet de loi relatif à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception », qui mêle ainsi deux sujets que tout oppose - je tiens à le dire fermement et avec toute ma conviction - l'IVG n'étant pas une forme de contraception !
Votre rapporteur regrette d'autant plus ce mélange des genres que le volet contraception de ce projet de loi, s'il a moins attiré l'attention de l'opinion publique, n'en est pas pour autant anodin.
Il n'en reste pas moins que l'objet de la proposition de loi qui nous est soumise aujourd'hui est de tenter d'apporter une réponse à un problème réel, qu'il nous appartient d'examiner avec attention.
La contraception d'urgence est définie comme l'utilisation d'un médicament ou d'un dispositif permettant d'éviter une grossesse après un rapport sexuel non ou mal protégé.
Depuis la fin des années quatre-vingt, il existe ainsi, à côté des contraceptifs hormonaux classiques, qui sont destinés à une utilisation régulière et préventive, d'autres formes de pilules contraceptives uniquement réservées aux cas d'urgence.
Ces pilules contraceptives, parfois dites « pilules du lendemain », sont destinées à être absorbées après un rapport sexuel. Leur mode d'action est comparable soit à celui d'un contraceptif hormonal classique - puisqu'elles empêchent l'ovulation si celle-ci n'a pas encore eu lieu - soit à celui d'un dispositif intra-utérin, qui empêche la nidation de l'oeuf.
La France dispose aujourd'hui de deux médicaments hormonaux - Mme le secrétaire d'Etat y a fait allusion tout à l'heure - pour la contraception d'urgence. L'un, une association d'oestrogènes et d'un progestatif, est commercialisé sous le nom de Tétragynon. L'autre, composé d'un progestatif - le lévonogestrel - est le NorLevo, qui a obtenu une autorisation de mise sur le marché en France dans l'indication de contraception d'urgence le 16 avril 1999.
Contrairement au Tétragynon, le NorLevo, en raison de l'absence d'oestrogènes et d'une durée d'administration courte, n'a aucune contre-indication médicale. Il empêche l'implantation de l'oeuf fécondé dans l'utérus et doit être absorbé le plus rapidement possible, dans les soixante-douze heures après un rapport sexuel non protégé. Son efficacité décroît fortement avec le temps : elle est de 95 % lorsque la prise se situe dans les vingt-quatre heures, elle diminue à 85 % lorsque la prise a lieu entre vingt-quatre et quarante-huit heures et à 58 % seulement entre quarante-huit et soixante-douze heures.
Compte tenu de l'absence de contre-indication médicale du NorLevo, un arrêté en date du 27 mai 1999, pris par le secrétaire d'Etat à la santé d'alors, M. Bernard Kouchner, a supprimé l'obligation de prescription médicale à laquelle, comme tous les contraceptifs hormonaux, ce médicament était soumis jusque-là. Cette décision autorisait donc la vente libre en pharmacie du NorLevo.
La mise à disposition du NorLevo sans prescription médicale obligatoire visait à permettre aux femmes de recourir à la contraception d'urgence le plus tôt possible après un rapport sexuel non protégé.
La contraception d'urgence constitue en effet un véritable progrès dans la mesure où elle permet de limiter le recours à l'avortement. Elle apparaît en outre très adaptée à la situation particulière des adolescentes.
En effet, la caractéristique des adolescents est de passer rapidement à l'acte, d'avoir des rapports non prévus, sur un coup de coeur. Ces rapports sont alors non protégés. Du fait de l'inexpérience, les adolescents rencontrent de surcroît des problèmes spécifiques quand ils utilisent la contraception : accidents de préservatifs, oubli de pilule, etc.
Dans tous ces cas, la contraception d'urgence peut être d'un grand secours pour éviter les grossesses non désirées et les interruptions volontaires de grossesse.
Naturellement, si la contraception d'urgence répond à des situations de détresse et permet - passez-moi l'expression - de « réparer un accident », elle n'a aucunement vocation à remplacer une contraception classique.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Lucien Neuwirth, rapporteur. L'accent mis aujourd'hui sur la contraception d'urgence, qui devrait rester une méthode d'exception, - de rattrapage, si je puis dire -, est assez révélateur de l'échec relatif des politiques menées depuis trente ans en faveur du développement de la contraception, particulièrement auprès des jeunes.
Il est ainsi frappant de constater - écoutez bien les chiffres ! - que le nombre des IVG reste presque aussi élevé qu'il y a vingt-cinq ans : 220 000 aujourd'hui contre 250 000 en 1976, soit une IVG pour trois naissances ; 30 % des IVG concernent les moins de vingt-cinq ans, 10 % concernent les moins de vingt ans. On recense aujourd'hui 6 000 IVG par an chez les mineures, 10 000 chez les dix-huit-vingt ans. La proportion des mineures enceintes recourant à l'IVG augmente fortement : elle était de 59,7 % en 1985, de 64 % en 1990 et de 71,8 % en 1995.
Ces données témoignent des carences de l'information en faveur de la contraception et des efforts insuffisants menés pour promouvoir son utilisation.
Mme Nelly Olin. Oh oui !
M. Lucien Neuwirth, rapporteur. A l'évidence, la sexualité reste un sujet sensible, souvent difficile à aborder au sein de la cellule familiale ou de l'institution scolaire.
Dans ce contexte, votre rapporteur ne peut que se féliciter que le Gouvernement ait choisi, le 12 janvier dernier, de lancer une campagne d'envergure sur la contraception. Cette campagne était nécessaire. La dernière campagne de communication sur la contraception remontait en effet à 1992 et mettait principalement l'accent sur le préservatif.
J'en viens maintenant à l'origine de cette proposition de loi.
Le statut juridique incertain de la contraception d'urgence nécessitait une intervention du législateur. La décision prise par l'ancien secrétaire d'Etat à la santé, M. Bernard Kouchner, d'autoriser la mise en vente libre du NorLevo reposait en effet sur un raisonnement juridique pour le moins fagile.
La loi du 28 décembre 1967, à laquelle mon nom est parfois associé, soumet, en son article 3, la délivrance des contraceptifs hormonaux à une double contrainte car, voilà trente-trois ans, les contraceptifs hormonaux issus de la fameuse pilule créée par le Dr Pincus étaient très lourdement chargés et présentaient de toute évidence des dangers. C'est pourquoi le Parlement avait imposé, à l'unanimité, une prescription médicale pour leur délivrance.
Si, dans son arrêté du 27 mai 1999, M. Kouchner a choisi d'ignorer cette disposition, c'est sans doute parce que lui-même ne l'avait pas notée.
Pour justifier cette position, le Gouvernement a estimé qu'en soumettant à prescription médicale obligatoire tous les contraceptifs hormonaux, la loi du 28 décembre 1967 dépassait les objectifs de la directive européenne du 31 mars 1992 concernant la classification en matière de délivrance des médicaments à usage humain.
Quelques mois plus tard, en décembre 1999, prenant acte de la décision du secrétaire d'Etat à la santé et considérant que rien ne l'interdisait désormais, Mme Ségolène Royal prenait la décision d'autoriser par circulaire les infirmières scolaires à délivrer elles-mêmes, en cas d'urgences, des comprimés de NorLevo aux collégiennes et aux lycéennes, mêmes mineures.
Si cette décision a été en général bien accueillie par la plupart des professionnels de santé concernés, elle a toutefois suscité le dépôt devant le Conseil d'Etat d'un certain nombre de recours déposés par des associations de défense de la famille et de lutte contre l'avortement visant à annuler pour excès de pouvoir les dispositions de la circulaire relatives à la contraception d'urgence. Il existait une contradiction entre le refus de contraception et le refus d'avortement.
Dans sa décision du 30 juin 2000, le Conseil d'Etat a effectivement annulé les passages litigieux de la circulaire attaquée. Il a estimé en effet que, en confiant le rôle de prescription et de délivrance du NorLevo, contraceptif d'urgence, aux infirmières scolaires, le ministre délégué chargé de l'enseignement scolaire avait méconnu la loi de 1967, qui impose que les contraceptifs hormonaux soient délivrés en pharmacie sur prescription médicale.
Pour le Conseil d'Etat, le NorLevo, qui constitue un contraceptif hormonal au sens de la loi de 1967, ne peut, en application de l'article 3 de cette loi, être prescrit que par un médecin et délivré qu'en pharmacie ou, dans les conditions posées par l'article 4 de la loi, par un centre de planification ou d'éducation familiale.
Il est intéressant de noter, à cet égard, que le Conseil d'Etat ne s'est pas prononcé sur la légalité de l'arrêté du secrétaire d'Etat à la santé autorisant la mise en vente libre du NorLevo, point sur lequel il n'était en effet pas sollicité.
Le soir même de l'annonce de l'arrêt du Conseil d'Etat, le Gouvernement, dans un communiqué de presse, prenait acte de cette décision, dont il entendait « tirer toutes les conséquences ». Il réaffirmait sa « volonté de garantir l'accès libre de toutes les femmes à la nouvelle contraception » - il faut entendre la contraception d'urgence - et annonçait le prochain examen d'un texte par le Parlement.
Ce texte a pris la forme de la présente proposition de loi sur la contraception d'urgence, déposée le 13 septembre 2000 par Mme Danielle Bousquet et les membres du groupe socialiste et apparentés, et adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture le 5 octobre 2000.
Je vais maintenant vous faire part des réflexions qui ont conduit la commission des affaires sociales à vous proposer d'adopter, sous réserve d'un certain nombre de modifications tendant à compléter et à préciser le texte, la présente proposition de loi.
Je considère pour ma part, comme beaucoup d'entre nous, que rien n'est pire pour une jeune fille que de débuter sa vie par une IVG et que notre devoir est de tout faire pour éviter que ne se produisent de telles situations. Personne ne peut rester insensible à la détresse de ces adolescentes menacées par une grossesse non désirée.
Or, la contraception d'urgence - qui n'a pas vocation à tenir lieu d'une contraception classique, je le répète - peut contribuer à préserver ces jeunes filles d'une IVG, événement toujours traumatisant. La notion d'urgence confère dès lors une spécificité très particulière à cette forme de contraception et justifie, pour une large part, un statut législatif adapté.
Il faut en effet faire en sorte que ces adolescentes puissent accéder le plus rapidement possible à cette forme de contraception en autorisant la vente du NorLevo et sa délivrance aux mineures. Eu égard à cet objectif, il n'apparaît pas choquant de confier aux infirmières scolaires la mission d'administrer une contraception d'urgence dans les cas de détresse caractérisée.
Les centres de planification familiale, aujourd'hui seuls autorisés par la loi à délivrer une contraception sans autorisation parentale, sont souvent rares, presque inexistants en milieu rural et mal connus par les adolescents.
En outre, le premier bilan des six mois d'application de la circulaire de Mme Royal apparaît satisfaisant ; les infirmières ont su faire face avec beaucoup de responsabilité à la nouvelle mission qui leur était confiée : en moyenne, il y eu deux administrations de NorLevo pour dix demandes d'élèves.
Sur le fond, le texte de l'Assemblée nationale semble donc pouvoir être accepté. Il gagnerait cependant à être précisé et complété. C'est l'objet de l'amendement que vous propose la commission.
S'agissant de l'autorisation, pour les médecins, de prescrire et, pour les pharmaciens, de délivrer les contraceptifs d'urgence aux « mineures désirant garder le secret », c'est-à-dire sans autorisation parentale, la commission a jugé qu'il convenait de préciser que cette dérogation au principe du consentement parental ne pouvait se justifier que par un impératif essentiel : préserver les mineures d'une interruption volontaire de grossesse.
S'agissant de l'administration, par les infirmières scolaires, d'une contraception d'urgence aux élèves mineures et majeures, la commission vous propose de compléter cette disposition en rappelant dans la loi un certain nombre de principes et en précisant le déroulement de la procédure.
Enfin, je vous proposerai de prévoir que la délivrance d'une contraception d'urgence aux mineures s'effectue à titre gratuit dans les pharmacies. L'objet de cette disposition est d'éviter que le coût du NorLevo en pharmacie - qui est aujourd'hui de 60 francs environ - ne soit un obstacle à la contraception d'urgence pour les jeunes filles issues de milieux défavorisés. (Très bien ! sur certaines travées socialistes.)
La gratuité en pharmacie permet en outre d'apporter une réponse aux situations posées par la fermeture des établissements scolaires lors des vacances. Les modalités de cette délivrance gratuite seront d'ailleurs, pour garantir plus de souplesse et de flexibilité déterminées par voie réglementaire.
Je voudrais vous faire part, mes chers collègues, en guise de conclusion, d'un certain nombre de réflexions.
Peut-on séparer la formation professionnelle, l'apprentissage des règles de l'économie, des sciences humaines, de l'information du jeune citoyen et de la jeune citoyenne sur les réalités de la vie qu'ils auront à rencontrer au cours de leur existence ?
Cela ressortit à la mission éducatrice des parents, qui, pour la plupart d'entre eux, n'ont pas reçu, à cet égard, un enseignement direct de leurs propres parents et sont donc mal préparés à cette mission éducatrice.
Or, nous avons changé de siècle, mes chers collègues. Les adolescents d'aujourd'hui sont les parents de demain. Si, hier, l'attitude de l'éducation nationale consistait à considérer que sa seule mission était l'instruction publique, aujourd'hui elle a compris qu'il en va différemment.
Cette conception allait de pair avec l'attitude de la société vis-à-vis des femmes, destinées principalement à donner des enfants à leur époux et à s'occuper de la famille et du ménage.
Ma génération se souvient des combats, quelquefois homériques, que durent mener les femmes pour voir reconnaître leurs droits et faire entre autres admettre la nécessité de mettre à la portée de toutes, et d'abord des plus démunies, les moyens de maîtriser leur fécondité.
Or, aujourd'hui, des milliers d'adolescentes sont enceintes ou courent le risque de l'être et de recourir à l'IVG. Cherchez l'erreur !
Certes, pendant des siècles, l'infanticide, l'abandon et l'avortement s'étaient établis comme seule régulation des naissances, jusqu'à l'intervention de la contraception.
Aujourd'hui, il dépend de nous qu'une telle situation cesse, et tout de suite.
Oui, transmettre la vie est une responsabilité grave. C'est pourquoi les garçons comme les filles doivent recevoir une information complète sur la transmission de la vie, ses conditions et ses conséquences.
Le problème réside principalement, croyez-moi, mes chers collègues, dans la méconnaissance dans laquelle se trouvent ces jeunes filles des mécanismes et des réalités de la vie à travers les phénomènes naturels que sont la fécondité et la sexualité, désormais maîtrisables grâce à l'éducation, à l'information reçue et à la contraception.
Pouvoirs publics et familles doivent associer leurs efforts, doivent oeuvrer ensemble afin qu'une information crédible, éclairante, permette à l'avenir à chacune et à chacun d'ordonner sa vie personnelle, sa vie affective et familiale, et de découvrir aussi qu'un enfant à naître est non pas un objet mais un être sensible, qui vient au monde parce que d'autres que lui en ont pris la responsabilité.
Oui, liberté et responsabilité vont de pair ! J'espère que le texte auquel nous allons aboutir ensemble aidera à assurer leur pérennité dans notre pays en ce domaine essentiel qu'est la transmission de la vie. (Applaudissements sur certaines travées du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à Mme Bardou.
Mme Janine Bardou, au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la délégation aux droits des femmes a été saisie, à sa demande, par le président de la commission des affaires sociales de la proposition de loi relative à la contraception d'urgence.
La semaine dernière, la délégation a adopté un rapport présentant les raisons qui sont à l'origine de l'examen de ce texte, le contexte dans lequel il s'inscrit et ses conséquences pratiques. Après un intéressant débat, elle a approuvé à l'unanimité, après l'avoir légèrement amendé, le projet de recommandations que je lui avais soumis.
L'histoire de la contraception chimique est encore très récente : la pillule a en effet été inventée dans le courant des années cinquante. Cette histoire est probablement encore inachevée : on espère mettre au point, dans les prochaines années, des vaccins contraceptifs, qui pourraient concerner autant les hommes que les femmes. En tout état de cause, ces progrès, très rapides, à l'aune de l'histoire humaine, constituent une étape fondamentale pour l'émancipation des femmes.
Mme la ministre et M. le rapporteur vous ont présenté, mes chers collègues, le cadre législatif qui régit actuellement, en France, le recours à la contraception, ainsi que les politiques publiques en sa faveur. Je n'y reviens donc pas. Je voudrais simplement signaler combien la délégation aux droits des femmes, de manière unanime, est consternée par la sous-information générale dans laquelle se trouvent aujourd'hui nos concitoyens, jeunes ou moins jeunes, en matière de contraception, et ce alors que la loi Neuwirth, cette loi fondatrice qui a ouvert aux femmes de France la possibilité de maîtriser leur fécondité en posant comme pricnipe le droit à la contraception et à l'information, remonte maintenant à plus de trente ans. Il y a encore dans notre pays beaucoup trop de grossesses non désirées et, par voie de conséquence, d'IVG. Voici quelques chiffres issus des statistiques officielles relatives aux méthodes contraceptives utilisées par nos concitoyens, ainsi qu'aux IVG pratiquées, qui me paraissent particulièrement inquiétants et significatifs : 60 % des premiers rapports des mineurs se dérouleraient sans contraception ; plus de 10 % des femmes de 20 à 44 ans, soit plus d'un million de femmes en âge et en situation de procréer, ne seraient pas protégées par une contraception efficace ; enfin, on compte environ 220 000 IVG chaque année, dont 6 500 chez les mineures.
Tous ces chiffres montrent que le dispositif actuel d'information sur la contraception ne fonctionne pas correctement. Aussi la délégation aux droits des femmes s'est-elle félicitée que la campagne d'information lancée par le Gouvernement le 12 janvier dernier soit recondutie dès l'an prochain et que M. le Premier ministre ait accepté le principe d'une campagne régulière, notamment pour qu'elle puisse toucher les nouvelles générations d'adolescents.
Dans le même ordre d'idées, la délégation est favorable aux initiatives prises en milieu scolaire depuis 1996 pour favoriser l'éducation des collégiens à la sexualité tant il est vrai que le problème révélé par l'importance du nombre des IVG, particulièrement du nombre de celles qui concernent les mineures, trouve ses racines dans la méconnaissance, je dirais même l'ignorance qu'ont les femmes de leur corps et de leurs droits, mais aussi de ce que sont la contraception, ses méthodes, ses effets.
Plus tôt on remédie à cette méconnaissance, plus la sexualité des filles leur appartient, et plus la lutte contre les grossesses non désirées est efficace.
Mais il faut aussi agir en direction des jeunes garçons et des hommes, qui doivent être davantage informés et impliqués.

La proposition de loi fait suite à deux initiatives successivement prises par le Gouvernement pour permettre un accès facile et rapide au NorLevo, ce nouveau contraceptif d'urgence qui ne présente pas de contre-indication médicale, sauf s'il est utilisé comme une méthode contraceptive répétée et régulière ; je veux parler de sa mise en vente libre en 1999 et de sa distribution d'urgence par les infirmières scolaires en 2000.
Le souci des pouvoirs publics, souci que partage la délégation aux droits des femmes, est d'éviter les grossesses non désirées, en particulier chez les jeunes filles, et donc les avortements. Depuis juin 1999, plus de 500 000 boîtes de NorLevo ont été vendues ou distribuées et, actuellement, les ventes mensuelles avoisinent le chiffre de 50 000 boîtes, comme nous l'a signalé Mme la secrétaire d'Etat.
La délégation a longuement débattu de l'administration du NorLevo par les infirmières scolaires, en particulier aux mineures en l'absence d'autorisation parentale.
Nous sommes tous très attachés à la responsabilité des parents. Mais nous savons aussi que, dans de trop nombreuses familles, le dialogue est difficile, notamment durant l'adolescence ; et, en matière de sexualité, bien souvent, c'est une totale absence de dialogue qui prévaut. Il faut certes souhaiter que des relations de confiance puissent être renouées entre parents et adolescents, mais on doit également tenir compte de cette réalité lorsqu'on se fixe pour objectif de préserver la santé et l'intégrité des toutes jeunes filles.
C'est dans cet esprit que la délégation est favorable au rôle reconnu par la proposition de loi aux infirmières scolaires, grâce auxquelles les adolescentes peuvent, sans trop de difficultés, nouer un premier dialogue avec un adulte sur la sexualité.
La délégation est également très attentive à ce que, au-delà de ce rôle essentiel, les infirmières scolaires interviennent, ainsi qu'elles l'ont d'ailleurs fait pendant la période d'application du protocole national - avant que celui-ci ne soit annulé par le Conseil d'Etat, en juin dernier - comme médiatrices entre l'élève et sa famille, et l'encouragent à se faire suivre médicalement par le centre de planification, le médecin traitant ou un médecin spécialiste.
M. Paul Blanc. Très bien !
Mme Janine Bardou, au nom de la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Enfin, il paraît absolument indispensable à la délégation que la jeune fille soit informée de ce que la contraception d'urgence ne peut en aucun cas remplacer la contraception habituelle. Il convient de l'alerter sur le danger qu'une prise régulière pourrait représenter pour sa santé.
Pour en revenir à la proposition de loi, il est apparu à la délégation aux droits des femmes qu'elle ne règle pas toutes les situations, et que ses conséquences positives seront étroitement conditionnées par les mesures d'accompagnement qu'il ne faudra pas manquer d'y adjoindre.
Ce sont ces préoccupations qui constituent le fil conducteur des recommandations que la délégation a adoptées, je vous le rappelle, à l'unanimité, et dont je vais à présent vous livrer la teneur.
Tout d'abord, la délégation s'est déclarée favorable au dispositif de la présente proposition de loi, car elle est convaincue de la nécessité de diminuer le nombre des grossesses non désirées et, par conséquent, celui des IVG, qui demeure considérable dans notre pays. Trop de jeunes filles sont encore confrontées à cette situation, alors même que le recours à la contraception a été libéralisé il y a plus de trente ans et que des progrès scientifiques significatifs ont été, depuis, accomplis en la matière.
Sur un plan global, la délégation estime donc qu'il est impératif de donner plus d'informations à la population en général, mais plus particulièrement aux adolescentes et adolescents sur les droits en matière de contraception, sur les méthodes contraceptives, ainsi que sur les structures d'accueil et sur les professionnels qui peuvent faciliter les démarches à entreprendre.
La délégation considère que les pouvoirs publics doivent délivrer un puissant message en direction des familles afin que celles-ci fassent preuve d'une meilleure écoute et d'une plus grande compréhension à l'égard des enfants ; pour l'essentiel, les situations de détresse résultent en effet d'une absence de dialogue dans le cadre familial en ce qui concerne la sexualité, et une amélioration durable de la situation ne saurait advenir sans l'établissement d'un tel dialogue.
Quant à l'efficacité de la présente proposition de loi, votre délégation, mes chers collègues, considère qu'elle ne pourra être obtenue que dans la mesure où un certain nombre de préoccupations auront été prises en compte.
Il faut que les médecins scolaires soient pleinement associés aux dispositifs mis en oeuvre dans les établissements.
Il est indispensable que des moyens supplémentaires en personnels - infirmières scolaires, notamment - et en crédits budgétaires - s'agissant en particulier, de la formation initiale et permanente de tous les intervenants éducatifs et médico-sociaux dans les établissements scolaires - soient dégagés pour faire vivre les différentes initiatives prises ces dernières années en matière d'éducation à la sexualité et d'accompagnement des situations d'urgence. La réussite est à ce prix.
Il sera aussi nécessaire de favoriser de véritables partenariats entre les établissements scolaires et les centres de planification ou d'éducation familiale.
Enfin et surtout, des solutions adaptées devront être recherchées pour permettre aux jeunes filles en situation d'urgence ou de détresse d'accéder rapidement et facilement à la contraception d'urgence, notamment, comme le rappelait M. le rapporteur, pendant les périodes de vacances scolaires.
En conclusion, la délégation aux droits des femmes recommande que des bilans soient régulièrement effectués en ce qui concerne tant l'application du présent dispositif législatif que le respect, par les autorités scolaires, des instructions ministérielles relatives à la politique d'éducation à la sexualité. (Applaudissements sur certaines travées des Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Mme Ségolène Royal, ministre délégué à la famille et à l'enfance. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Ségolène Royal, ministre délégué. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je crois, comme M. Lucien Neuwirth, que ce débat n'est pas anodin.
En effet, de quoi parlons-nous ? Nous parlons d'adolescence, de responsabilité parentale, de droit à l'erreur, de détresse, de naissances non désirées, d'interruption volontaire de grossesse chez de toutes jeunes filles ; nous parlons aussi de violences sexuelles.
Il me paraît utile de rappeler en quelques mots pourquoi j'ai pris, dans mes précédentes fonctions, cette décision concernant le système scolaire, et pourquoi, aujourd'hui, en tant que ministre de la famille et de l'enfance, je reste déterminée à poursuivre ce que je considère comme un combat pour l'accession des adolescentes à la dignité.
Cette décision, je l'ai prise en novembre 1999, à l'occasion d'une réunion qui rassemblait près de 500 infirmières scolaires, et en réponse à l'une des questions qu'elles me posaient. Cette décision, contrairement à ce qui a pu être dit ici ou là, je l'ai mûrement réfléchie.
Je rappelle qu'elle est intégrée dans un protocole nationale de soins auquel j'ai travaillé pendant deux ans et qui a été publié au Bulletin officiel de l'éducation nationale le 6 janvier dernier. Elle fait partie d'une remise à niveau de l'ensemble des services des infirmières scolaires, intéressant tous les collèges et lycées, à travers tout le territoire.
C'est la première fois qu'un tel protocole national de soins a été mis en place. Auparavant, les comportements étaient très hétérogènes, nul ne savait quels types de médicaments pouvaient être détenus dans les infirmeries scolaires, nul ne savait précisément quel comportement il convenait d'adopter au regard des soins d'urgence que les infirmières scolaires devaient prodiguer pour sauver des vies humaines, pour sauver des élèves.
Il existe donc maintenant un dispositif spécifique sur la délivrance de la contraception d'urgence aux élèves des collèges et lycées.
Cette décision que j'ai prise s'intègre donc dans une démarche éducative globale et, plus spécialement, dans une politique d'éducation à la santé.
Pendant trois ans, je crois avoir beaucoup oeuvré pour la santé scolaire, et cette décision fait partie d'un ensemble de chantiers qui ont été ouverts et menés à bonne fin dans le système scolaire.
Au cours de ces trois années, j'ai accru le nombre des infirmières scolaires et des assistantes sociales comme il ne l'avait jamais été pendant les dix années précédentes.
Au cours de ces trois années, j'ai réintroduit l'éducation à la santé dès l'école maternelle en diffusant une instruction officielle afin qu'on enseigne aux élèves le respect du corps, qu'on leur explique que le corps n'est pas un jouet.
S'agissant de l'école primaire, j'ai intégré au programme officiel, outre l'éducation au respect du corps, la lutte contre les violences entre élèves, l'apprentissage de l'interdit de l'inceste. Cela doit s'apprendre très tôt, je pense, de manière que les élèves soient les acteurs de leur propre protection contre un certain nombre de violences sexuelles.
Dans les collèges, j'ai créé les modules d'éducation à la santé.
J'ai également instauré, dans chaque collège et chaque lycée, le comité d'éducation à la santé et à la citoyenneté, qui réunit désormais autour d'une table non seulement les équipes pédagogiques mais aussi des intervenants extérieurs du quartier, les personnels médico-sociaux compétents, pour que les élèves soient formés, en particulier, à la prévention des conduites à risque.
J'ai, par ailleurs, fait diffuser des instructions officielles très précises pour redonner un contenu à l'éducation à la sexualité et à la vie. Des programmes pédagogiques spécifiques ont été rédigés. Une mallette d'éducation à la sexualité et à la vie a été fabriquée ; je l'ai récemment présentée officiellement avec Jack Lang. C'est l'aboutissement d'un travail très approfondi, en particulier pour recadrer l'éducation à la contraception dans une logique d'éducation à la responsabilité, à la vie affective, à la lutte contre toutes les formes de violence.
Autrement dit, la possibilité qui a été donnée aux infirmières scolaires s'inscrit dans un projet éducatif global, car il vaut mieux prévenir que guérir et, dès lors, il est essentiel de surmonter les difficultés d'accès à l'information.
Bien entendu, cette décision supposait une confiance absolue envers les infirmières scolaires. Celles-ci ont prouvé qu'elles savaient jouer ce rôle fondamental de médiatrices entre les élèves et leurs parents.
La première obligation qui leur est faite dans ce protocole est d'ailleurs de contacter les parents, en accord avec les jeunes filles mineures, de tout faire pour obtenir cet accord. L'expérience prouve que, dans trois cas sur quatre, elles parviennent à renouer ce fil avec les parents.
Le bilan qui a été rendu public, après six mois d'application, fait apparaître que, sur un peu plus de 7 000 demandes, les infirmières scolaires ont délivré 1 600 contraceptions d'urgence. Autrement dit, il n'y a pas eu ce déferlement que certains prédisaient. Dans tous les autres cas, l'infirmière scolaire a réussi soit à faire prendre en charge le problème par les parents, soit à orienter les élèves vers un service médical de proximité pour la prise en charge médicale d'une contraception responsable.
Le protocole fait en outre obligation aux infirmières scolaires d'accompagner psychologiquement et médicalement les élèves.
Il s'agit, par conséquent, d'un dispositif qui n'a été mis en place qu'après une ample réflexion et qui a d'ores et déjà fait ses preuves dans le système scolaire.
Le Conseil d'Etat a, certes, annulé une partie de ce protocole. Mais il faut s'en féliciter, car cela permet au Parlement d'en débattre. Or il s'agit là d'affaires éminemment politiques.
Ce qui est en cause, en effet, c'est notamment l'approche que l'on peut avoir des difficultés de l'âge adolescent, qui est à la fois celui de toutes les demandes et de tous les refus, l'âge des hésitations et des erreurs. Il nous revient de réfléchir à la façon dont nous pouvons au mieux accompagner les responsabilités éducatives face aux adolescents.
C'est pourquoi je me réjouis d'avoir entendu à l'instant M. Neuwirth, puis Mme Bardou orienter leurs réflexions dans un sens positif.
Je voudrais maintenant, en fonction de l'expérience que j'ai acquise dans mes responsabilités passées et présentes, réagir aux propositions de M. Neuwirth.
Vous souhaitez, monsieur Neuwirth, que la pilule du lendemain soit gratuite. Qui pourrait être hostile à un accès à la contraception d'urgence encore plus facile que je ne l'avais imaginé ?
Je tire de cette prise de position une leçon politique. En effet, au moment où j'ai pris la décision que j'évoquais à l'instant, j'ai été assez vivement attaquée et je me suis trouvée plutôt seule. J'observe qu'aujourd'hui les mentalités ont évolué. L'opinion publique est parfois très en avance sur les responsables politiques.
Je retiens surtout que, lorsqu'une décision semble juste, il faut savoir braver les résistances. C'est ce que j'ai fait, et je suis heureuse qu'à l'Assemblée nationale puis au Sénat mon action ait en définitive été reconnue par des parlementaires appartenant à des horizons politiques divers.
Faut-il aller jusqu'à la gratuité ? Vous me trouverez toujours à vos côtés pour faciliter encore davantage les choses, mais la gratuité ne constituerait-elle pas au fond une réponse partielle à une véritable question ? Derrière la gratuité se cache en effet la question de savoir comment faciliter l'accès à la contraception. Rendre gratuite la pilule du lendemain, n'est-ce pas risquer de la banaliser, alors que nous sommes tous d'accord pour considérer qu'il ne s'agit pas d'un mode de contraception régulière ? N'allons-nous pas faire l'impasse sur le vrai débat, qui devrait porter sur les moyens de faciliter l'accès à la contraception préventive aux jeunes filles, mais aussi aux femmes en général ?
On le sait bien, la véritable révolution est la « démédicalisation » de la contraception. Peut-on réellement soutenir aujourd'hui que les nouvelles pilules présentent plus de risques que la pilule du lendemain ? Pourquoi les unes nécessitent-elles une prescription médicale mais pas l'autre ? C'est un débat qu'il nous faudra aborder un jour, mais je crains la précipitation. Pourquoi décider aujourd'hui de la gratuité de la pilule du lendemain ? Pourquoi pas celle des préservatifs, ou celle de la contraception préventive, que l'on sait être la meilleure et la plus responsable ?
Le débat doit être replacé dans une réflexion globale sur les moyens de faciliter l'accès à la contraception, d'autant que nous sommes tous d'accord pour reconnaître que le nombre élevé d'interruptions volontaires de grossesse en France constitue un problème fondamental et - pourquoi ne pas le dire ? - une blessure qui est le symptôme même de la difficulté d'accès à la contraception.
La contraception est trop médicalisée, en particulier pour les adolescentes. On sait en effet que la plupart des premiers rapports ont lieu sans protection parce que le cheminement amoureux est très progressif et que la date du premier rapport sexuel n'est pas programmée. Il n'est pas possible par ailleurs de prendre des décisions qui auraient pour effet d'inciter les adolescents à avoir des rapports sexuels précoces.
C'est pourquoi, dans le cadre de la nouvelle éducation à la sexualité et à la vie, j'ai pris la responsabilité de donner aux infirmières scolaires la possibilité de délivrer ces contraceptifs d'urgence, mais j'affirme dans le même temps que la sexualité précoce n'est pas une conquête et que les jeunes, en particulier les filles, doivent être armés pour résister à l'imposition de rapports sexuels dans la violence, ou dans la norme.
Je pense donc que tout signal qui banaliserait la contraception d'urgence pourrait se retourner contre les adolescentes et que le sujet mérite un débat plus global, même s'il est difficile d'être contre la possibilité que vous ouvrez - encore que vous l'ouvrez à toutes les mineures et pas seulement aux plus défavorisées. Pourquoi ne pas l'ouvrir aussi aux jeunes majeures ?.
Le dispositif que vous proposez ne me semble pas suffisamment « calé » ; il a des effets pervers et fait l'impasse sur la question la plus fondamentale, à savoir : pourquoi ne pas « démédicaliser » la contraception préventive pour en faciliter l'accès ?
La deuxième proposition que vous formulez consiste à re prendre une partie du protocole dans la loi. Elle avait déjà été présentée à l'Assemblée nationale. J'ai fait valoir un certain nombre d'arguments, qui ont été reçus.
Vous reprenez une partie du protocole que j'ai rédigé, ce dont je suis fort honorée. Dans le même temps, vous compliquez les choses pour les infirmières scolaires car, en ne retenant qu'une partie du protocole dans la proposition de loi, vous faites l'impasse sur un certain nombre de points qui sont traités dans le protocole. Les infirmières seront donc confrontées à deux textes, l'un très complet, le protocole, et l'autre partiel.
Surtout vous passez sous silence le rôle de médiation des infirmières scolaires.
Hier, en tant que ministre chargée de l'enseignement scolaire, aujourd'hui, en qualité de ministre déléguée à la famille et à l'enfance, j'ai toujours absolument tenu à ce que la médiation entre l'élève mineur et ses parents reste le rôle éminent des infirmières scolaires.
M. Lucien Neuwirth, rapporteur. Et pendant les vacances ?
Mme Ségolène Royal, ministre déléguée. La vente des pilules est libre dans les pharmacies !
Dans le système scolaire, nous avons voulu introduire un « plus », grâce à la médiation des infirmières scolaires...
M. Lucien Neuwirth, rapporteur. La pilule n'est pas gratuite !
Mme Ségolène Royal, ministre délégué. Certes, mais d'autres médicaments d'urgence ne le sont pas non plus !
Mais, surtout, et Mme Bardou avait posé cette question tout à fait judicieuse en commission, en dehors de la période scolaire, les centres de vacances, les centres de jeunesse ou les centres d'animation peuvent très bien avoir dans leur infirmerie des pilules d'urgence puisque ce médicament est en vente libre. Les associations de jeunesse et d'éducation populaire peuvent donc venir en aide à des jeunes en difficulté pendant les vacances scolaires.
M. Jean-Louis Lorrain. Ben voyons !
Mme Ségolène Royal, ministre délégué. Tels sont les quelques éléments que je voulais livrer à votre réflexion. Je redis qu'il s'agit d'un débat fondamental, qui met en cause certaines convictions, lesquelles, j'en suis sûre, trouveront à s'exprimer pendant la discussion générale.
Il nous faut, mais cela a été bien compris si j'en crois les interventions que nous venons d'entendre, assumer notre responsabilité éducative d'adultes et savoir tendre la main au bon moment à des adolescentes en détresse. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 31 minutes ;
Groupe socialiste, 25 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 19 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 17 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 11 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 10 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 7 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Campion.
Mme Claire-Lise Campion. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le xxe siècle restera sans nul doute marqué de l'empreinte des femmes. Elles y auront acquis leur émancipation juridique, politique, familiale. Ces trente-trois dernières années, l'évolution des moeurs et de la place de la femme dans notre société a déjà amené le législateur à opérer un recadrage, que ce soit au travers de la loi sur la parité ou de la loi relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
Il convient aujourd'hui, grâce à cette proposition de loi sur la contraception d'urgence, de faire progresser un peu plus - et je m'en félicite - les droits spécifiques et fondamentaux des femmes, à savoir le droit à disposer librement de son corps, de maîtriser sa fécondité et de choisir ses maternités. Ces avancées trouveront un écho et un prolongement avec le projet de loi de modernisation sociale dont nous serons amenés à débattre prochainement.
Aujourd'hui, c'est une pierre de plus que l'on nous propose d'ajouter à l'édifice des lois Neuwirth et Veil, adoptées respectivement en 1967 et 1975, afin d'apporter une solution aux trop nombreuses situations de détresse résultant de grossesses non désirées.
En effet, elles sont quelque 10 000 adolescentes à être, chaque année, confrontées à cette angoisse, et près de 7 000 d'entre elles feront, souvent dans la solitude, la douloureuse expérience d'une interruption volontaire de grossesse.
Une prise de conscience était urgente. Selon le rapport sur les grossesses des adolescentes, rédigé en 1998 par le docteur Michèle Uzan, « la sexualité des adolescentes est irrégulière et imprévue ; 50 à 60 % des premiers rapports ont lieu sans contraception ; 70 % des adolescentes n'ont aucune contraception trois mois avant l'IVG et 20 % oublient la pilule ou laissent le préservatif dans la poche. »
Signalons aussi que 40 % des jeunes filles de moins de seize ans vivent leur premier rapport sexuel sous la contrainte ; il est difficile de mener ensuite sereinement une grossesse.
N'oublions pas non plus que les campagnes de promotion sur l'utilisation du préservatif pour la prévention du sida n'ont pas incité les jeunes à une sexualité plus précoce. L'âge du premier rapport sexuel reste dix-sept ans.
Toutefois, les jeunes générations ont souvent confondu contraception et préservatif, ce qui les expose à un risque particulier de grossesses non désirées.
On ne pouvait donc rester plus longtemps insensible à la détresse de ces jeunes filles et ne rien faire pour leur éviter de débuter leur vie de femme par la terrible expérience d'une interruption volontaire de grossesse.
La contraception d'urgence est un progrès considérable en la matière, dans la mesure où elle contribue à limiter le recours à l'avortement. Ainsi, en Finlande, le nombre d'interruptions volontaires de grossesse a diminué de plus de la moitié dans les dix années qui ont suivi la mise sur le marché de la pilule du lendemain.
L'insuffisance patente en matière de prévention et d'accès à la contraception et l'introduction en France d'une contraception d'urgence ont amené la mise en place en janvier dernier, à l'initiative de Mme Ségolène Royal alors ministre déléguée chargée de l'enseignement scolaire, d'un protocole national organisant la délivrance du NorLevo, en cas d'urgence, par les infirmières scolaires. Rappelons que ce protocole national sur l'organisation des soins et des urgences dans les écoles et les établissements publics locaux d'enseignement fit l'objet d'une longue concertation puisque celle-ci dura plus de six mois.
Le NorLevo appartient à la catégorie juridique des contraceptifs hormonaux et/ou intra-utérins. Il ne comporte aucune contre-indication médicale. Son efficacité atteint 95 % si le premier comprimé est pris dans les vingt-quatre heures qui suivent le rapport, et 58 % si la prise a lieu entre quarante-huit et soixante-douze heures après.
Si le Gouvernement, sur proposition de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, a autorisé la vente libre du NorLevo, c'est que, à la différence du Tétragynon, autre contraceptif d'urgence, il ne comporte pas d'oestrogènes : ces hormones peuvent provoquer des nausées et, surtout, elles entraînent des risques de malformation du foetus en cas de poursuite de la grossesse. Le NorLevo, au contraire, est uniquement composé de progestatif. Cette contraception d'urgence peut donc aussi venir en aide aux femmes qui ont pris des risques et qui n'ont pas nécessairement une contraception régulière. Elle permet d'éviter sept à neuf grossesses sur dix.
La délivrance exceptionnelle en milieu scolaire a bien été respectée, puisqu'en six mois ont été recensées 7 074 demandes de NorLevo de la part des élèves, qui ont donné lieu à 1 618 délivrances effectives. Toutes les élèves ont été suivies et orientées vers un centre de planification familiale. C'est dire avec quel professionnalisme et sérieux les infirmières scolaires ont su réagir et engager le dialogue pour inciter ces jeunes à utiliser par la suite une méthode de contraception préventive et à en discuter avec leurs parents.
Le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 30 juin 2000, a annulé les dispositions du protocole national sans en remettre en cause pour autant le bien-fondé.
Il nous appartient donc aujourd'hui de donner une base légale à ces mesures en votant un texte législatif permettant une réelle prise en compte de la spécificité thérapeutique de ce contraceptif, inconnu en 1967.
Je vois dans cette prescription d'urgence non pas, comme certains, une atteinte à un domaine d'intervention jusqu'à présent réservé au médecin, mais un remède pour les jeunes contre l'inégalité dans l'accès à la contraception et à l'éducation sexuelle, inégalité d'autant plus réelle qu'elle est fonction de l'âge, mais aussi de la situation sociale, culturelle ou économique.
La délivrance du NorLevo par une infirmière scolaire, alors que l'école demeure l'endroit le mieux à même de réduire les inégalités, et sa vente libre en pharmacie répondent donc à une nécessité, particulièrement peut-être dans les zones rurales, où les centres de planification familiales, qui sont d'ailleurs eux-mêmes peu connus des adolescents, sont souvent éloignés.
La cohérence de cette proposition de loi passe cependant par une meilleure connaissance des risques encourus par les jeunes lors de leurs premières relations sexuelles, par l'augmentation du temps de présence des infirmières dans les collèges et les lycées, et par une formation adéquate de ces dernières en matière d'éducation à la santé et à la sexualité.
Je me réjouis de constater que les récentes mesures du ministère de l'éducation nationale pour la rentrée scolaire 2000-2001 vont dans ce sens, avec la mise en place à titre expérimental des cours d'éducation à la sexualité pour les élèves des classes de quatrième et de troisième. Cette initiative a d'autant plus de valeur qu'elle ne marginalise pas le rôle des garçons dans cette ouverture à la sexualité. Ils seront eux aussi parents demain.
Toutefois, cet enseignement, souvent jugé trop théorique et trop scientifique, devra être plus pédagogique. Il devra figurer dans la formation initiale et continue des enseignants, ainsi que dans celles des infirmières scolaires et des assistantes sociales. Sur ce point, un projet est d'ailleurs en cours d'élaboration avec la collaboration du planning familial.
Certains ont vu dans la « démédicalisation » du contraceptif d'urgence une atteinte à l'autorité parentale. L'objectif, loin d'être de remplacer le dialogue entre parents et enfants en matière d'éducation à la sexualité, est d'apporter une réponse à des jeunes filles en détresse et non de déresponsabiliser les parents. C'est d'autant plus vrai que l'autorisation parentale n'est déjà pas requise pour la prescription d'une contraception régulière dans les centres de planification.
D'ailleurs, les mineures agissent en toute conscience, sans en informer leurs parents. La loi doit inscrire dans les faits que les adolescentes sont en mesure de gérer leur sexualité, si on leur en donne les moyens. Elles se retrouveront trop souvent seules au terme de leur grossesse face à une décision traumatisante : garder l'enfant ou l'abandonner.
Une vie sexuelle socialement acceptée, c'est une sexualité responsable et une jeunesse responsable et reconnue.
Mais, vous le savez, l'éducation sexuelle a toujours fait l'objet d'un tabou culturel pour les parents. Si des progrès ont été accomplis dans de nombreuses familles, toutes n'ont pas le même accès à l'information et toutes n'ont pas la même approche de la question. Par peur ou par pudeur, les parents sont parfois réticents à imaginer la vie sexuelle de leur enfant, et de leur fille en particulier, ce qui conduit de nombreux jeunes à vouloir conserver le secret sur leur sexualité.
L'écoute d'une tierce personne, en l'occurrence l'infirmière scolaire, est donc parfois plus à même d'apporter le soutien et le conseil nécessaires dans ces situations d'urgence.
Il y a non pas substitution, mais complémentarité dans l'action. N'entrons pas dans la confusion « autorité parentale » et « autorisation parentale ». Déroger ne veut pas dire supprimer.
Mais, s'il s'agit bien de pallier une imprudence ou une ignorance, la contraception d'urgence doit demeurer une exception. Il faudra veiller à ce que le recours au NorLevo ne se banalise pas. N'oublions pas que la sexualité des adolescentes est irrégulière et imprévue, d'où l'importance du travail des infirmières en milieu scolaire et l'urgence à accompagner cette proposition de loi des moyens financiers nécessaires pour une mise en application dans les meilleures conditions.
Je suis sûre que le Gouvernement saura accompagner cette réforme des garanties nécessaires, comme le montrent les différentes actions qu'il a déjà entreprises en ce domaine. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Francis Giraud.
M. Francis Giraud. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, quelque 6 500 interruptions volontaires de grossesse par an chez les mineures mais, surtout, une forte augmentation, en cinq ans, de la proportion de mineures enceintes recourant à l'interruption volontaire de grossesse, qui passe de 59 % en 1990 à 71 % en 1995 : ces chiffres sont tristement éloquents !
Pour tenter de limiter le recours à l'avortement, le Gouvernement a préconisé des mesures qui sont reprises dans l'article unique d'une proposition de loi, déjà votée par l'Assemblée nationale.
Ce texte prévoit d'autoriser la contraception d'urgence, par la délivrance sans ordonnance du NorLevo, « la pilule du lendemain », et l'administration de cette contraception, dans des circonstances exceptionnelles, à des mineures, sans l'autorisation préalable des parents, par des infirmières en milieu scolaire.
Permettez-moi tout d'abord de féliciter nos collègues M. Lucien Neuwirth et Mme Janine Bardou de la qualité exemplaire de leurs rapports.
Un sénateur socialiste. C'est vrai !
M. Francis Giraud. Ce texte aborde un vrai problème de société, une situation dramatique pour les adolescentes, une situation dont nous sommes tous responsables, politiques de droite comme de gauche, parents, enseignants et médecins. Il n'y a donc bien sûr pas lieu de polémiquer ; il convient plutôt de réfléchir et de faire des propositions.
Sur un tel sujet, on pourrait épiloguer sans fin, car ce texte, élaboré dans l'urgence, sans débat de fond, concerne, entre autres points, deux éléments fondamentaux de l'organisation de notre société : la responsabilité médicale et la responsabilité parentale.
Médecin des hôpitaux publics, ayant exercé pendant de longues années dans les domaines de la pédiatrie et de la génétique médicale, je limiterai mon intervention à trois points, à savoir l'aspect médical, l'information et l'éducation.
Oui, dans notre société, une grossesse chez une jeune adolescente est un drame, une détresse - sans doute davantage sur le plan psychologique que sur le plan physique - qui la condamne à un avenir chaotique. La conception d'une vie nouvelle se transforme en désastre.
Oui, il y a urgence après un rapport sexuel non protégé si l'on veut éviter une grossesse.
Oui, le NorLevo, contraceptif à base de progestérone, s'il est ingéré dans les vingt-quatre heures qui suivent le rapport sexuel, est efficace, en empêchant l'ovulation ou la nidation. Il n'a rien à voir avec un médicament abortif, tel que le RU 486.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Très bien !
M. Francis Giraud. Médecin, j'ai été étonné des commentaires concernant un produit chimique qui, en lui-même, n'a pas de valeur morale. Un médicament à la dose voulue est efficace ou non. Celui-ci l'est, à l'évidence.
Son utilisation exceptionnelle n'entraîne pas de conséquences apparentes. Le vrai danger réside dans les utilisations répétées d'une méthode trop facile, qui généreront sans aucun doute des perturbations sérieuses, dont les répercussions ne sont pas encore connues avec précision.
Contrairement à certains de nos collègues qui déclarent que les femmes et les adolescentes sont responsables, je pense, par expérience dans d'autres domaines, que la banalisation est un réel danger.
S'agissant des infirmières scolaires, dont j'ai pu apprécier l'immense dévouement, la compétence, par ailleurs reconnue, la faculté d'écoute, je m'interroge sur deux points. Pourront-elles être présentes dans ces situations de détresse, quand on sait que leur nombre est limité - une infirmière pour 2 500 enfants, certaines ne venant que quelques heures dans un établissement - et que les congés scolaires représentent à peu près un tiers de l'année civile ? Bien plus important encore, au-delà du protocole national qui les guidera dans leur action, a-t-on bien réfléchi à la responsabilité médicale qu'on leur délègue ?
Bien entendu, un jour ou l'autre, un incident, un accident, se produira chez une adolescente. Même si celui-ci n'a aucun rapport avec le NorLevo, les infirmières scolaires ne seront-elles pas inquiétées ?
Sur un plan plus général, la possibilité de prescription sans avis médical ne me paraît pas souhaitable. Il s'agit non pas de corporatisme, mais de bon sens.
Certes, le nombre de médecins scolaires est notoirement insuffisant, le service de prévention maternelle et infantile et les centres de planning familial sont en nombre insuffisant et peu étayés. Cet aspect du problème ne devrait-il pas être révisé en priorité ? Un pays riche comme le nôtre doit-il accepter de telles carences ?
L'exonération explicite de l'autorisation parentale pour les mineures qui désirent garder le secret peut se comprendre, compte tenu de la réalité sociale, des différences de culture et de l'extrême urgence de la décision. Cette porte ouverte, nécessaire en l'occurrence, peut toutefois se révéler dangereuse dans d'autres circonstances.
Il faudra bien, un jour, repenser la place des parents dans le système de santé.
Surtout, le fait de faire entrer la médecine à l'école et de ne plus se limiter à une surveillance médicale crée une ambiguïté dangereuse entre les missions de l'éducation nationale et celles du ministère de la santé. (Applaudissements sur certaines travées du RPR et de l'Union centriste.)
S'agissant de l'information sur la contraception, les chiffres parlent d'eux-mêmes.
Plus de trente ans après la loi Neuwirth, vingt-cinq ans après la loi Veil de 1975, on dénombre 220 000 interruptions volontaires de grossesse par an en France, avec une hausse de 6 % pour la période 1990-1998, qui concerne plus particulièrement les plus jeunes femmes. On compte 20 000 grossesses chez les mineures, dont 10 000 non désirées, et 6 500 interruptions volontaires de grossesse. Par ailleurs, 60 % de premiers rapports sexuels ont lieu sans protection.
Cette attristante situation appelle de notre part modestie et réflexion. Les décisions courageuses prises en 1967 et en 1975 ont abouti de ce point de vue, et ces chiffres le démontrent, à un échec : le recours à l'interruption volontaire de grossesse qui devait, selon la loi de 1975, intervenir exceptionnellement, est devenu, hélas ! une méthode de contraception.
Certes, des campagnes d'information sur la contraception ont été réalisées, des centres d'accueil offrant confidentialité et gratuité existent à l'hôpital et au planning familial. Certes, des programmes d'enseignement pour les jeunes sur la sexualité ont été institués et codifiés par de multiples circulaires émanant de différents ministères. Pourtant, c'est une constatation, cette information se révèle insuffisante, insatisfaisante. Tous les acteurs de terrain sont consternés par l'ignorance abyssale des Français sur la physiologie de la reproduction, sur la régulation des naissances.
Le bilan est lourd. Le droit proclamé pour chaque femme de planifier la naissance de ses enfants n'a pas réellement progressé. En effet, comme M. Lucien Neuwirth l'a rappelé, on dénombrait 250 000 interruptions volontaires de grossesse légales par an en 1976 ; on en compte 220 000 de nos jours.
Une fois de plus, on constate dans notre pays, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, que les intentions sont louables, que les effets d'annonce ne manquent pas ; mais leur mise en oeuvre à travers tout le territoire est déficiente. (Applaudissements sur certaines travées du RPR.)
D'autres pays pourraient servir d'exemple.
Un rapport de l'INSERM, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, constate qu'aux Pays-Bas, où l'enseignement de la santé, et donc de la sexualité, est abordé dès l'école primaire, les taux d'interruptions volontaires de grossesse sont les plus bas d'Europe, soit 6,5 , contre 15,4 en France, tout comme le rapport entre avortements et naissances, qui s'établit à 1 sur 9, contre 1 sur 3 en France.
Quelle que soit la qualité de l'information, celle-ci sera toujours insuffisante sans une éducation des jeunes à la vie.
Cette éducation, bien des enfants la reçoivent dans leur famille, qui a un rôle irremplaçable. La préparation des jeunes à l'âge adulte se fait par l'exemple que l'on donne en tant que parents et adultes, par l'attachement à certaines valeurs et par le sens des responsabilités que l'on manifeste dans sa propre vie. (Applaudissements sur certaines travées du RPR.)
Cette construction s'effectue patiemment depuis la petite enfance grâce à une attention sans cesse renouvelée. Les discussions à l'adolescence, franches et directes, sont indispensables à cette élaboration qui fera d'un adolescent un adulte responsable, respectueux de lui-même et de ceux qui l'entourent.
Il est temps, sur cette question de société et de santé, d'associer tous les acteurs : parents, éducateurs et corps médical.
Il est de notre responsabilité à tous que les jeunes, sans distinction de sexe, soient conscients que l'acte sexuel ne relève pas de la performance, qu'il comporte des risques et engage donc la responsabilité, que le plaisir naît d'un échange respectueux de soi-même et de l'autre.
Ces réflexions peuvent vous sembler irréalistes, car il est vrai que l'organisation de notre société ne se prête pas à ces échanges fructueux entre parents et adolescents. Il est par ailleurs incontestable que la cellule familiale est menacée, de plus en plus sujette à dislocation.
Mais ces réflexions, je les crois justes, et je le dis.
La responsabilité doit être le maître mot de nos débats après le constat d'une si dramatique situation : responsabilité des jeunes, des parents, des éducateurs, des professions médicales, des médias et des décideurs politiques.
A ce propos, je suis étonné que, durant ces débats, l'on n'ait pas davantage insisté sur la responsabilité des garçons. Ce sont bien sûr les filles qui subissent les conséquences de rapports sexuels non protégés. Bien souvent, elles les assument seules. On continue à leur faire croire que la contraception est de leur unique reponsabilité. Il n'est prévu nulle part que leurs partenaires masculins soient davantages impliqués.
Madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, devant cette situation qui atteint la jeunesse de notre pays, quels moyens financiers entendez-vous utiliser pour augmenter encore, car vous l'avez déjà fait, le nombre des médecins et des infirmières scolaires ? Chacun sait le nombre extraordinaire de collèges et de lycées qui, sur le territoire, ne sont pas pourvus normalement et suffisamment de médecins et d'infirmières. Quels moyens financiers entendez-vous utiliser pour améliorer une information insuffisante et insatisfaisante ? Vous avez parlé d'une campagne médiatique. C'est très bien ; mais les chiffres prouvent que toutes ces campagnes, toutes ces actions, aussi louables soient-elles, n'ont pas produit l'effet escompté.
M. Roland Muzeau. Il n'y en a pas eu assez !
M. Francis Giraud. Quels moyens entendez-vous utiliser pour responsabiliser les jeunes dans leur éducation à la vie ?
Je suis certain que tous, ici, nous sommes désireux du plein épanouissement des jeunes de notre pays.
Au-delà de ce texte, que je voterai, sans enthousiasme, pour répondre à des situations de détresse comme le serment d'Hippocrate m'y engage, conjuguons nos efforts pour améliorer dans notre société la situation délicate des adolescents. (Très bien ! et applaudissements sur les travées RPR et du groupe de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du groupe du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Nogrix.
M. Philippe Nogrix. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il a fallu attendre le 1er juillet 1967 pour que la proposition de loi sur la régulation des naissances de Lucien Neuwirth, alors député, soit adoptée par le Parlement. Je profite d'ailleurs de cette intervention pour remercier notre collègue : le rapporteur qu'il est a su de façon magistrale orienter les débats et les travaux de la commission des affaires sociales. L'éclairage apporté par Mme Bardou, au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, nous a également été très utile. Merci, madame.
A une époque où environ 300 000 avortements étaient pratiqués chaque année et où seules les femmes ayant un bon réseau relationnel et les moyens nécessaires pouvaient accéder à des produits contraceptifs à l'étranger, à une époque où des moyens plus ou moins dangereux d'éviter une grossesse étaient en circulation, l'autorisation et la vente, sur prescription médicale, d'une molécule contraceptive ont annoncé une véritable révolution culturelle pour l'ensemble des Françaises et des Français.
Trente-trois ans plus tard, que constatons-nous ? Nous observons que l'utilisation de la contraception, en France, relève d'un paradoxe : la contraception féminine s'est généralisée, mais le taux d'IVG reste stable, comme nous l'a rappelé M. le rapporteur.
La France détient le record du monde de l'utilisation de la pilule et du stérilet : 57 % dans notre pays contre 30 % en Grande-Bretagne et 15 % aux Etats-Unis. (Mme Pourtaud s'exclame.) Cependant, si l'on peut penser que la diffusion de la connaissance et de la pratique de la contraception est aujourd'hui assez forte parmi les femmes, il reste que près de 220 000 interruptions volontaires de grossesse sont encore pratiquées chaque année en France.
Malheureusement, on constate également une augmentation des IVG chez les jeunes filles de quinze ans à vingt-quatre ans, la progression la plus importante se situant dans la classe d'âge des dix-huit - dix-neuf ans : plus 26,7 % entre 1992 et 1995.
Les études montrent que la plupart des IVG chez les adolescentes sont dues à l'absence de contraception, en premier lieu, à une mauvaise utilisation du préservatif et à l'oubli de la pilule, en second lieu. La sexualité des adolescentes se caractérise par un nombre important de rapports non protégés, puisque 50 % à 60 % des premiers rapports ont lieu sans aucune contraception.
Que peut-on donc constater si ce n'est la pauvreté de l'éducation sexuelle dans notre pays, aboutissant à ce que la moitié des grossesses des adolescentes ne soient pas désirées et que près des deux tiers de ces grossesses conduisent aujourd'hui à un avortement ?
La proposition de loi qui nous est aujourd'hui soumise s'avère être une mesure nécessaire au regard du nombre encore important d'IVG chez les adolescentes. Il s'agit d'une mesure nécessaire pour accompagner l'évolution de la société, évolution que l'on peut regretter, voire rejeter, je le conçois. Mais ne soyons pas hypocrites : ne vivons pas dans un monde virtuel, regardons la réalité et adaptons nos décisions aux nouveaux comportements.
La diffusion de la contraception d'urgence nécessite un accès rapide et facile pour les mineures. C'est pourquoi il semble effectivement nécessaire que cette contraception soit délivrée par les infirmières scolaires et disponible dans les pharmacies.
Quant à sa délivrance, elle ne doit constituer qu'une mesure d'urgence, destinée à répondre à une situation de détresse dans la mesure où l'efficacité du NorLevo est liée à son absorption rapide. Elle doit être rattachée à une procédure très particulière et rigoureuse.
Si les parents jouent un rôle irremplaçable dans l'éducation de leurs enfants, leur apportant leur soutien et leurs conseils dans les situations difficiles, il n'est cependant pas toujours possible à l'adolescente de créer l'occasion de se livrer à eux, de s'informer auprès d'eux et de les informer de ce qui lui arrive. Elle veut éviter une situation de crise, pour préserver tout simplement son intimité, et c'est légitime. Il est donc essentiel que l'anonymat soit préservé, si la jeune fille le demande.
Ne pas exiger l'autorité parentale, c'est aussi faire preuve de réalisme. En effet, il y a longtemps que les mineures utilisent la contraception sans en parler à leurs parents. Ne vaut-il pas mieux que, dans des circonstances difficiles, une adolescente ait affaire à une infirmière scolaire, qui l'écoute, plutôt que d'être livrée à elle-même et à la seule écoute de ses copines ?
Quels parents peuvent se targuer de savoir trouver, à tout moment, les mots qu'il faut pour parler à leur fille ? L'adolescence est l'âge des refus et des oppositions, et, s'il est une chose dont les adolescents ne parlent pas librement avec leurs parents, c'est le plus souvent, hélas ! de la sexualité.
Les infirmières ont, depuis longtemps, un rôle d'écoute et de conseil auprès des adolescentes. Elles sont parfois le seul interlocuteur adulte, dont les adolescentes ont besoin, avec lequel elles se sentent en confiance. Enfin, la grande majorité d'entre elles avaient accueilli très favorablement la circulaire du 27 décembre 1999, d'autant qu'elles avaient déjà dû faire face à de telles situations sans pouvoir y répondre.
Il faut reconnaître, après six mois d'application de cette circulaire, que les infirmières scolaires ont fort bien su suivre le protocole très précis qui leur était imposé. Elles sont conscientes de leurs responsabilités, qu'elles assument pourtant dans des conditions bien difficiles, d'autant plus qu'il y a, en moyenne, une infirmière pour 2 500 élèves.
S'agissant de l'éducation sexuelle, elle ne doit pas se limiter, comme c'est trop souvent le cas, aux aspects biologiques ni à des conseils de prévention, mais elle doit donner toute sa place à la dimension affective, culturelle, sociale de la sexualité, et faire davantage appel, pour cela, à des intervenants extérieurs qui sauront expliquer la valeur du partage, l'importance du don de la vie par décision mutuelle et non par accident d'ignorance.
Vous avez parlé, madame la ministre, de « leçon politique ». Mais nous aurions aimé que, lorsque vous étiez en charge des collèges, vous mettiez en place une véritable éducation sexuelle, que nous réclamons aujourd'hui avec vigueur.
Les adolescents, qui éprouvent souvent de grandes difficultés à aborder le sujet de la sexualité avec leurs parents, sont peu informés et peu réceptifs à un enseignement qu'ils estiment trop théorique.
Méditons sur les chiffres donnés par notre collègue Francis Giraud : un avortement pour trois naissances en France, un pour neuf aux Pays-Bas. Si une bonne éducation sexuelle dès l'enseignement primaire permet véritablement un tel résultat, mettons-la tout de suite en oeuvre chez nous !
Le rôle des infirmières scolaires a aujourd'hui toute son importance, puisque, à chaque fois qu'elles ont pu établir un dialogue avec l'adolescente, elles ont réussi à la conduire à envisager une contraception régulière.
La commission des affaires sociales souhaite que la contraception d'urgence soit délivrée gratuitement, aux jeunes filles mineures, par les pharmaciens.
Je suis, comme une grande majorité des membres de mon groupe, tout à fait favorable à cette mesure, car je n'en connais pas d'autre qui pourrait éviter une discrimination entre les jeunes mineures, entre celles qui habitent en ville et celles qui habitent dans les petites communes rurales, entre celles dont le collège a une infirmière et celles dont le collège n'en a pas. Il est nécessaire qu'il y ait une équité totale entre toutes ces élèves afin qu'elles puissent toutes bénéficier de la même contraception d'urgence à titre gratuit.
Il me paraît raisonnable de faire confiance aux pharmaciens comme on fait confiance aux infirmières scolaires. Ils font partie du réseau des professionnels de santé, qui, en France, est fiable et responsable. Reconnaissons-le et renforçons-le.
Pour toutes ces raisons, je voterai, avec la grande majorité des membres de mon groupe, cette proposition de loi qui donne un fondement juridique à l'arrêté et à la circulaire de Mme Royal.
On peut certes rêver d'un autre monde, d'un monde idéal où régnerait, au sein de toute famille, un esprit de dialogue, d'ouverture, de tolérance et de pardon. Mais la réalité est tout autre, et il faut être lucide.
Enfin, comme mon collègue Francis Giraud, je voudrais qu'on cesse de faire porter le lourd fardeau de la responsabilité de l'acte sexuel aux filles. La « faute » rejaillit toujours sur la fille ; c'est toujours elle qui est culpabilisée, c'est toujours elle qui doit faire attention, c'est toujours elle qui supporte les risques. Le garçon, lui, reste aux abonnés absents. Il ne se sent plus concerné.
Malgré tout cela, je fais confiance à nos jeunes ; ils réfléchissent, ils se posent des questions, ils sont en quête de la société qu'ils souhaitent : celle de demain. Nous leur avons légué une société de consommation, une société de réalisation du soi. Aidons-les à s'informer, à se former, à se responsabiliser, à accepter toutes les conséquences de leurs actes. C'est dans cet esprit que nous voterons le texte amendé par la commission. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Seillier.
M. Bernard Seillier. Madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, monsieur le président, mes chers collègues, j'ai beaucoup écouté les arguments avancés par les uns et par les autres sur la contraception dite d'urgence. Tout semble lumineux.
La politique d'incitation à la contraception développée depuis 1967 serait un échec. Il faudrait donc non seulement la relancer pour arriver enfin à faire de la contraception un comportement réflexe et préventif, mais aussi la compléter par une contraception de rattrapage, dite « du lendemain ».
Ne doit-on pas pourtant et d'abord dénoncer l'hypocrisie des adultes qui incitent à la vie sexuelle précoce, présentée parfois comme un droit sexuel des jeunes, et qui semblent découvrir ensuite les situations dramatiques qui en résultent ? Ayant entendu vos propos, madame la ministre, je mets à part votre position sur ce sujet.
L'avant-propos du rapport de notre éminent collègue M. Neuwirth semble à première vue incontestable : « Avoir un enfant avec l'être qu'on aime, au moment où l'on peut l'accueillir dans les meilleures conditions, d'abord pour lui-même, car un enfant, c'est d'abord un projet de vie dont les auteurs ont la responsabilité, c'est un accomplissement. »
Mais pourquoi ne pas dire d'abord que le couple lui-même est un projet de vie en commun ? Car il n'y a pas que la fécondité qui doit être entourée d'une telle attention ! La relation sexuelle n'est pas anodine et banale, elle concerne toute la personnalité.
Avoir une relation avec l'être qu'on aime devrait signifier unir sa vie à la sienne et, pour cela, s'y préparer pendant son adolescence. Or ce qui, hier, semblait encore un idéal peu controversé paraît abandonné par les adultes - beaucoup plus que par les jeunes, d'ailleurs - et ce qui est présenté par les adultes comme un fait de société irréversible imposerait, dès lors, la logique de la contraception généralisée.
Mais qu'y aurait-il donc de fondamentalement changé en l'homme pour le conduire à se glorifier désormais de donner libre cours à ses pulsions ? Heureusement, cet enchaînement n'est pas aussi irréversible qu'on le croit parfois. Ici ou là, aux Etats-Unis notamment mais en France aussi, existent des jeunes - de plus en plus nombreux - qu'anime un idéal exigeant pour la préparation et la pratique d'un authentique amour conjugal.
Mme Dinah Derycke. Tant mieux !
M. Bernard Seillier. Si l'on réfléchit déjà un peu au problème de la procréation, on voit combien est approximative la thèse de la décision rationnelle et de la programmation de l'enfant. Quel homme peut dire qu'un jour il s'est senti tout à fait prêt à décider de devenir père ? N'est-ce pas, pour beaucoup, l'amour de sa femme et la venue de l'enfant qui le font psychiquement devenir père ?
Qui peut savoir le moment où les conditions d'accueil de l'enfant sont tout à fait convenables ? Qui peut affirmer, en dehors de quelques rares et exceptionnelles circonstances, qu'elles ne le sont pas ?
Quand on lit cet extraordinaire livre de Madeleine Aylmer Roubenne, préfacé par Geneviève de Gaulle Anthonioz, évoquant, certes, une situation limite mais sans doute éclairante - J'ai donné la vie dans un camp de la mort - on est profondément bouleversé de constater combien, en fait, l'arrivée de l'enfant est mobilisatrice de l'amour de tous, mobilisatrice de toutes les énergies, suscitant des prodiges d'imagination, de tendresse et de courage.
Et que l'on pense tout simplement à tous les exclus du quart monde, qui ne sont riches que de leurs enfants ! Est-ce bien raisonnable, ou admirable, voire les deux ?
Nous avons donc le choix entre deux philosophies, deux anthropologies difficilement conciliables derrière nos débats : d'un côté, une sexualité impulsive et qui implique, dès lors, l'organisation contraceptive systématique ; de l'autre, une sexualité véritablement humaine, inséparable de la construction de la personnalité.
La première hypothèse ne conduira-t-elle pas un jour inexorablement à des campagnes pour la stérilisation, pour en finir avec les aléas de la contraception ? C'est déjà le cas dans certains pays !
A contrario , le régime de maîtrise personnelle à deux, à partir d'une connaissance en constant progrès de la physiologie féminine, offre une tout autre perspective à l'accomplissement de l'homme et de la femme. C'est aussi la voie d'une écologie authentiquement humaine, et donc caractérisée par une responsabilité partagée. C'est la voie du progrès !
Je ne nie pas que les circonstances particulières dans lesquelles vivent certaines personnes les conduisent à agir selon l'une ou l'autre de ces conceptions, et ce n'est pas cette question de conduite personnelle que je soulève ici. Mais le politique doit prendre en considération à la fois le bien personnel et le bien de la société dans son ensemble, en dépassant les cas particuliers, car chacun d'entre nous a besoin de toute la société, avec sa diversité, pour se développer et s'épanouir.
Or, depuis une quarantaine d'années, le développement des campagnes en faveur de la contraception tend à devenir normatif et à caricaturer d'autres conceptions sur la sexualité. Le bonheur des personnes, et donc la stabilité de la société, en souffrent. La violence liée à l'instinct sexuel se trouve libérée, alors que la pacification des relations sociales, véritable fruit de la maîtrise de soi, se désagrège.
Se développe une sexualité vagabonde, détachée de tout lien durable entre partenaires devenus des « particules élémentaires », qui fragilise l'amour, le lien familial et donc, à long terme, le lien social. J'en veux pour preuve le constat que nous faisons aujourd'hui comme maires à propos des divorces, qui se multiplient après de longues années de vie commune.
N'est-il pas temps aussi de dénoncer la domination sans cesse plus affirmée de l'homme sur la femme, devenue pour lui un objet sexuel toujours disponible et qu'il peut jeter après usage ? La poignante et récente révolte de la compagne de José Bové se passe de commentaires...
Par quel miracle la société survit-elle encore un peu à la clandestinité organisée de l'amour conjugal et familial ? C'est grâce à la jeunesse, qui continue à entretenir le goût pour un amour authentique. C'est évidemment autour d'elle - de l'adolescence, particulièrement - que la passion de la transmission de la vie s'exprime facilement et spontanément.
L'adolescent ne pense pas d'abord à l'aventure passagère, il croit à l'amour qui ne calcule pas, qui ne compte pas. Ce n'est pas seulement qu'il aime le risque, c'est qu'il est surtout spontanément et naturellement en phase avec la fécondité de la sexualité, qu'il souhaite même l'éprouver. Ce n'est qu'avec le temps, et devant l'exemple même des adultes, qu'il acquiert la maturité souhaitable.
A l'opposé, l'incitation aux relations sexuelles précoces et prématurées ne peut que conduire à la multiplication des grossesses chez les mineures.
Les incohérences sont, par ailleurs, multiples autour de cette proposition de loi.
La première, et non des moindres, est que le NorLevo est aujourd'hui en vente libre dans les pharmacies. L'état de droit n'est plus qu'une façade !
Un autre sujet d'étonnement tient au délai d'efficacité du NorLevo : il vaut mieux l'avoir acheté la veille pour qu'il ne risque pas de devenir la « pilule du surlendemain », ayant perdu 25 % de son efficacité !
Dans ce débat, largement mais superficiellement médiatisé, les jeunes ne pourraient-ils pas trouver quelques signes en provenance du Parlement pour les encourager à oser l'aventure humaine de l'amour véritable, plutôt qu'un palliatif dissimulé derrière le paravent d'une assurance chimique contre la vie ?
L'idéologie scientiste du contrôle chimique de la sexualité ne représente-t-elle pas un nouveau type d'oppression du genre humain ? Il n'y a de libération authentique que dans une liberté conquise par la volonté, s'exprimant à travers la maîtrise de soi pour mieux aimer.
La vie n'est pas seulement biologique, elle est aussi et surtout âme et esprit chez l'être humain, et la grandeur de l'homme est de ne pas dissocier sexualité, affectivité et spiritualité : seul son esprit lui permet d'articuler dans le temps sa fécondité et sa sexualité sans rompre son unité intérieure.
C'est pourquoi l'exclusion, la mise au chômage de l'esprit par la diffusion d'une mentalité contraceptive généralisée ampute la sexualité et nie toute sagesse et toute philosophie. Et, loin de porter remède aux détresses qu'elle prétend traiter, elle risque fort de les multiplier à l'avenir.
Ce danger me paraît très grave et c'est pourquoi, en conscience, il me conduit à rejeter cette proposition de loi. (Applaudissements sur certaines travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, quels que soient l'âge et les circonstances qui conduisent à arrêter le processus d'une grossesse, il y a là échec. C'est une décision difficile à prendre et dont l'oubli est hypothétique.
Depuis la contraception chimique, introduite il y a une quarantaine d'années, la plupart du temps, les femmes se trouvent seules devant un choix à faire qui ne se posait pas jusqu'alors. Peut-être parce que, au sein d'un couple, l'homme se sent moins concerné par une régulation voulue des naissances, il y a, la plupart du temps, un sentiment d'isolement dans la conduite choisie, sentiment qui se renforce quand la grossesse est rejetée.
Les chiffres ont déjà été cités à plusieurs reprises : sur les 220 000 IVG annuelles, dont 160 000 déclarées, 6 000 concernent les mineurs, 10 % touchent les moins de vingt ans et 30 % sont pratiquées sur des moins de vingt-cinq ans.
Ces jeunes sont pourtant les enfants de couples qui ont connu, depuis trente ans, toutes les politiques de santé menées en faveur de la contraception.
Il y a un double constat à faire : d'une part, les campagnes d'information n'ont pas atteint leur objectif ; d'autre part, le milieu familial n'a pas assumé son rôle d'éducateur en la matière.
Il faut dire que la dernière vraie campagne de sensibilisation sur les moyens contraceptifs date de près de vingt ans. En effet, celle qui a été lancée au début de cette année est restée très discrète, et les esprits ne semblent pas avoir été marqués par sa force d'attaque.
Il semble qu'il y ait eu confusion entre cette éducation contraceptive et les messages répétitifs et soutenus en faveur de la protection contre les maladies sexuellement transmissibles, en particulier le sida. Si bien que, extrêmement sensibilisés au barrage nécessaire contre ce fléau, les jeunes qui entretiennent une relation durable, fondée sur la confiance et la fidélité, négligent l'emploi du préservatif, oubliant le risque de grossesse.
Aussi la contraception d'urgence répond-elle bien à cette double carence.
En grande majorité, le premier rapport sexuel se passe sans protection. Il est rarement programmé. Mais on constate également une grande indigence d'information sur les risques encourus, du côté des jeunes filles comme du côté des garçons. Le sujet reste tabou dans bien des familles, et c'est entre eux que les jeunes en parlent. Et ils en parlent mal, car ils sont sous-informés.
S'il est quasi exceptionnel qu'il y ait des échanges entre parents et enfants sur le déroulement de la vie sexuelle, comment imaginer qu'une mineure s'ouvre à sa mère d'une présomption de grossesse ? A la peur, à la honte parfois, s'ajoute un sentiment de décalage entre le statut de l'enfant et celui de l'adulte qu'il devient malgré lui. La situation est vite ingérable.
La possibilité d'avoir une écoute et une aide en milieu scolaire est une réelle réponse à la détresse éprouvée. Toutefois, il convient que l'interlocuteur non seulement ait les compétences médicales nécessaires à la prescription du produit, mais aussi qu'il soit en mesure de déclencher un accompagnement psychologique indispensable.
En tant qu'ancien praticien, j'aurais donc préféré que ce soient les médecins scolaires qui reçoivent cette mission plutôt que les infirmières.
Il est affirmé que le NorLevo ne présente pas de danger pour la santé ; néanmoins, le dosage de la substance réactive est suffisamment fort pour empêcher la nidation.
A cet égard, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, je voudrais savoir comment un médecin scolaire qui a - cela arrive ! - 9 000 élèves en charge, ou une infirmière, qui s'occupe de 2 500 élèves en moyenne pourront effectivement répondre à une situation d'urgence et de détresse. Car il faut être conscient que la jeune fille qui aura eu le courage de venir pousser une fois la porte du service médical ne le trouvera peut-être pas une seconde fois ! Or, c'est dans les soixante-douze heures qu'il faut agir.
Qu'en sera-t-il également en cas de refus pour clause de conscience ?
Par ailleurs, l'acte n'est pas anodin. Il convient de mettre en place une prise en charge qui rassure et qui informe en même temps. Ce que la prévention n'a pas su faire, la formation dans l'éducation des conduites devra en combler les manques. Car, si ce volet était négligé, la contraception d'urgence, qui évite le pire, serait banalisée. On courrait alors le risque d'y avoir recours à répétition.
Il me semble qu'à cette occasion on pourrait associer les garçons à cette information, afin qu'eux aussi apprennent la responsabilité partagée.
Il n'en reste pas moins très gênant que les familles soient tenues à l'écart de la démarche. Si l'élève concernée exige que sa demande ne soit pas divulguée, on conçoit que ce soit un médecin qui y souscrive : tenu au secret professionnel, il est en capacité de prendre sa décision. Mais que peut-on avancer à des parents qui s'opposeraient à l'administration du contraceptif d'urgence s'il était prescrit à une mineure par une personne n'ayant pas cette qualité ? Face à l'administrateur légal, que peut-on répondre ?
Au-delà de la disposition spécifique du texte que nous examinons aujourd'hui, ce sont les chiffres des IVG pratiquées annuellement qui méritent une attention particulière : chez plus d'un tiers des femmes enceintes, les grossesses ne sont pas souhaitées.
Si chacun est libre de ses choix, le recours à l'IVG n'en est pas un, il apparaît comme la solution ultime. C'est bien ce qu'une société avancée ne devrait plus enregistrer qu'exceptionnellement. Un vaste travail reste à faire pour en arriver là.
Néanmoins, aujourd'hui, je voterai cette proposition de loi amendée par notre commission. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur celles du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je débuterai mon propos en félicitant le Gouvernement d'avoir eu le courage de prendre, l'hiver dernier, la décision d'autoriser le délivrance du NorLevo, plus connu sous le nom de « pilule du lendemain », par les infirmières scolaires.
Comme je l'avais dit lors de ma question d'actualité du 22 juin dernier, cette disposition reposait sur une analyse très juste de la réalité de la vie des adolescentes, de leur extrême détresse parfois. Elle avait pour objet de prévenir les conséquences médicales, psychologiques et sociales, souvent dramatiques, d'une grossesse non désirée chez les jeunes filles.
Les chiffres ont été cités : chaque année 10 000 adolescentes de quinze à dix-huit ans sont confrontées à une grossesse non désirée et 6 700 d'entre elles ont recours à une interruption volontaire de grossesse.
Les jeunes filles parmi les plus défavorisées, souffrant le plus de la solitude, le plus à l'écart des filières d'information, mais aussi le plus victimes de violences sont les plus concernées.
Parmi ces jeunes filles, nous trouvons, hélas ! aussi celles qui sont soumises à des rapports sexuels contraints et qui ne peuvent pas, ou ne veulent pas, en parler à leurs proches.
Face à de telles réalités, il était indispensable d'agir rapidement. Car derrière ces statistiques, c'est de l'angoisse de plusieurs milliers de jeunes qu'il s'agit. C'est aussi de leur incapacité, pour des raisons diverses, à communiquer avec leurs parents et à résoudre ce problème au sein de la cellule familiale.
C'est également, pour ces jeunes, l'absence de lieux, même s'il en existe de remarquables, comme les centres de planning familial, où ils ont envie d'aller pour aborder les questions de sexualité et de contraception.
Admettre que les jeunes filles puissent avoir recours à une contraception, y compris à la contraception d'urgence, c'est admettre que les jeunes peuvent avoir une sexualité.
Si certains peuvent penser que notre société est plus ouverte et plus permissive sur ces questions, nous pouvons également tous constater combien il est culturellement peu admis que les adolescents parlent de sexualité et de contraception à des adultes, même si ce sont leurs parents.
Ce silence, j'allais dire ce tabou, conduit à une véritable sous-information, que constatent chaque jour les infirmières et les médecins scolaires, les équipes enseignantes, les personnels des centres de planning familial.
Cette méconnaissance de la contraception, du fonctionnement du corps humain en matière de fécondité, conjuguée avec l'envie d'être considéré comme responsable de ses choix et avec l'émoi des sentiments, aboutit trop souvent à un rapport sexuel non protégé.
Ces débuts de la vie sexuelle des adolescents leur appartiennent, et aucun adulte ne peut décider à leur place. Toutefois, il est de la responsabilité des adultes, notamment des pouvoirs publics et des législateurs que nous sommes, de dégager des moyens, afin de mettre en place des campagnes d'information et de prévention. C'est ce qu'a fait le secrétariat d'Etat aux droits des femmes au début de l'année, en lançant une nouvelle campagne relative à la contraception.
Cependant, on est loin du compte, car rien n'avait été fait sur ce sujet depuis 1982, alors même que la permanence de l'information dans ce domaine est une exigence de santé publique et de citoyenneté !
Chacun a pu constater que les récentes campagnes sur le sida, si elles étaient tout à fait justifiées, avaient quelque peu détourné le message de la protection contraceptive.
L'éducation nationale a, dans ce domaine, un rôle évident à jouer. Comme le note le rapport de Mme Bardou, plus l'éducation sexuelle est réalisée tôt auprès des toutes jeunes filles, plus leur sexualité leur appartiendra et plus la lutte contre les grossesses non désirées sera efficace. Pour illustrer cette affirmation, notre collègue cite le cas des Pays-Bas, où cet enseignement est abordé dès l'école primaire. Les taux d'IVG y sont les plus bas d'Europe - 6,5 , contre 15,4 en France - tout comme le nombre des grossesses d'adolescentes.
Il est primordial que les jeunes filles et les jeunes garçons, qu'ils aient décidé, ou non, d'avoir des relations sexuelles, soient parfaitement informés des mécanismes de la fécondité, de l'ensemble des moyens de contraception existants.
Une éducation sexuelle pertinente et permanente doit être réalisée auprès des adolescents non seulement pour éviter les grossesses non désirées, mais également afin qu'ils puissent mieux connaître leur corps, son fonctionnement. De cette façon, ces campagnes d'information et de prophylaxie contribueront également à garantir leur intégrité physique, leur épanouissement.
C'est donc face à la complexité de la situation que Mme Royal avait autorisé, le 6 janvier dernier, par une circulaire, la délivrance du NorLevo par les infirmières scolaires. Cette circulaire avait pris la forme d'un protocole national. Il rappelait que le NorLevo était en vente libre dans les pharmacies, donc sans ordonnance, depuis le 1er juin 1999, que cette substance était dépourvue de toxicité et de contre-indication, qu'elle n'était pas abortive et qu'elle ne remplaçait pas une contraception régulière. Cette délivrance par les infirmières scolaires était très encadrée ; des dispositions contraignantes leur étaient imposées.
Les infirmières scolaires ont d'ailleurs parfaitement compris l'esprit de ce protocole et l'ont appliqué sans aucun excès. En effet, le bilan de six mois d'application pour les 22 académies fait apparaître 1 618 délivrances de NorLevo pour 7 074 demandes, soit en moyenne - ces chiffres ont été cités tout à l'heure - 2 délivrances de NorLevo pour 10 demandes d'élève. Dans les autres cas, soit les infirmières ont réussi à faire prendre en charge le problème par la famille, soit elles ont obtenu que les adolescentes s'adressent à un centre de planning familial, à un service hospitalier ou à un médecin.
Le 30 juin dernier, le Conseil d'Etat, dans un arrêt où il ne se prononçait pas sur le fond, déclarait que la mise en vente libre du NorLevo dans les pharmacies et sa délivrance par les infirmières scolaires étaient non conformes à la loi Neuwirth du 12 décembre 1967.
Cette décision a alors provoqué la réaction des deux principaux syndicats d'infirmières scolaires. Leur colère a été partagée par les parents d'élèves de la Fédération des conseils de parents d'élèves des écoles publiques, la FCPE, et par le mouvement du planning familial. Les parents d'élèves membres de la Fédération des parents d'élèves de l'enseignement public, la PEEP, initialement hostiles à la mesure, ont fait réaliser, en août 2000, un sondage auprès de mille parents. Le résultat est éloquent : 66 % d'entre eux y sont favorables.
C'est donc afin de valider législativement votre décision, madame Royal, que nous examinons aujourd'hui cette proposition de loi qui a été adoptée à l'Assemblée nationale le 5 octobre dernier.
Le texte est court, il ne comporte qu'un article. Il précise tout d'abord que la contraception d'urgence n'est pas soumise à une prescription médicale obligatoire. Le premier alinéa prend en compte l'évolution de la société et les progrès en matière de recherche et de contraception qui sont intervenus depuis la loi Neuwirth de 1967, qui imposait que les contraceptifs hormonaux soient délivrés en pharmacie, uniquement sur prescription médicale.
Le texte que nous examinons permet la délivrance du NorLevo par les infirmières scolaires aux élèves majeures ou mineures. La proposition de loi prend ainsi en considération le rôle éducatif essentiel des infirmières scolaires. Tout le monde s'accorde à reconnaître l'importance de leur mission et le lien privilégié qu'elles savent nouer avec les jeunes.
Cette reconnaissance doit maintenant s'exercer jusque dans la création des postes d'infirmière nécessaires en milieu scolaire pour mener à bien leurs missions. On compte aujourd'hui environ une infirmière pour 2 020 élèves. C'est trop peu. Comment pourront-elles en effet intervenir en matière de contraception d'urgence, où les délais sont très stricts, alors qu'elles sont obligées d'effectuer des permanences dans plusieurs établissements ?
L'augmentation importante de leurs effectifs doit être une priorité. Certes, 300 postes ont été créés l'année dernière et 150 créations sont prévues dans le projet de budget pour 2001. Toutefois, les retards à combler sont tels que les efforts à réaliser doivent être bien plus significatifs.
Les échanges que nous avons eus à la délégation du Sénat aux droits des femmes ont été tout à fait passionnants. Ils ont été marqués par la sérénité et la volonté de répondre à la réalité, aux situations d'urgence et de détresse auxquelles sont confrontées certaines adolescentes.
Je tiens d'ailleurs à remercier nos deux rapporteurs, Mme Bardou et M. Neuwirth, pour l'approche responsable et positive de leurs rapports.
Je souhaite vivement que le climat qui régnait la semaine dernière, lors de cette réunion, soit de nouveau de mise aujourd'hui en séance. Les jeunes et leurs parents - je rappelle que 66 % d'entre eux approuvent la disposition - attendent cela de nous.
N'oublions pas combien certains « débordements » lors du débat relatif à la parité ont donné une image figée et rétrograde de notre assemblée.
Mes chers collègues, compte tenu du sujet sensible dont nous traitons aujourd'hui, à savoir la détresse d'adolescentes face à une grossesse non désirée, et même si, parfois, des différences significatives existent entre vous, ne laissez pas croire à nos concitoyens et à nos concitoyennes que vous refusez toute évolution à propos des questions sociétales, en particulier de la libération des femmes ! Car, lorsqu'on parle de contraception, qu'elle soit d'urgence ou non, il s'agit bien des droits des femmes et des jeunes filles, des droits et des moyens de disposer de son corps, de maîtriser sa fécondité.
En observant ce qui se produit chez nos voisins, nous pouvons constater qu'aux Pays-Bas et en Finlande le nombre d'interruptions volontaires de grossesse a baissé chez les adultes et les adolescentes à partir du moment où la pilule du lendemain a été connue et rendue facilement accessible. Ce constat doit nous encourager et nous donner confiance.
De plus, toutes les enquêtes démontrent qu'une femme ou une jeune fille ayant eu recours à la contraception d'urgence est plus encline, ensuite, à recourir à une contraception permanente. Ce n'est donc pas à de la banalisation que nous assistons, en élargissant l'accès à la contraception d'urgence, mais bien à de la responsabilisation.
S'agissant de l'autorisation parentale, il faut, bien entendu, souhaiter que le dialogue s'établisse au sein de chaque famille. Mais - nous l'avons dit, et cela a été rappelé tout à l'heure - ce dialogue est parfois impossible.
Sans vouloir remettre en cause l'autorité parentale, il me semble que la situation actuelle révèle plusieurs paradoxes.
Tout d'abord, la mineure qui choisit de mener à bien une grossesse aura le droit d'abandonner son enfant sans avoir besoin du consentement de ses parents. Elle dispose également de toute son autorité parentale dans l'éducation de l'enfant qu'elle aura choisi de garder. Alors, pourquoi devrait-elle obtenir l'autorisation parentale pour avoir recours à la contraception d'urgence ? Je vois là une sorte d'hypocrisie.
N'est-il pas plutôt décisif de donner aux jeunes filles la possibilité de commencer leur vie amoureuse et sexuelle autrement que par la crainte, l'angoisse d'une interruption volontaire de grossesse toujours traumatisante, voire par une grossesse non désirée ?
Les moyens pour y parvenir sont divers. La contraception d'urgence ne remplace en aucun cas la contraception régulière, mais elle est tout de même une réponse qui peut convenir si des rapports sexuels non protégés ont lieu.
C'est pourquoi le groupe communiste républicain et citoyen soutiendra sans réserve l'esprit qui prévaut dans cette proposition de loi.
Nous présenterons deux amendements qui visent à enrichir le texte sans en amoindrir l'économie.
Le premier porte sur la gratuité du NorLevo délivré aux mineures dans les pharmacies. Compte tenu du public concerné, il nous semble que cette mesure pourrait faciliter l'accès à la pilule du lendemain. Je me réjouis de constater que, sur ce point, nous partageons la préoccupation du rapporteur, M. Neuwirth.
Notre second amendement pose le problème de l'accès au NorLevo en dehors des périodes scolaires. Nous proposons d'étendre l'autorisation de délivrer la pilule du lendemain par les infirmières exerçant dans les centres de vacances agréés. Cela nous semble aller dans la continuité logique de la période scolaire, pour laquelle nous légiférons.
Pour conclure, je dirai simplement que le groupe communiste républicain et citoyen, soucieux de garantir et de développer des droits nouveaux pour les femmes et les jeunes filles, soutiendra avec énergie et conviction cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Lagauche.
M. Serge Lagauche. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui porte sur l'accès à la contraception d'urgence, et non sur l'interruption volontaire de grossesse, comme l'ont bien souligné Mme Bardou et M. Neuwirth dans leurs excellents rapports. Ne nous trompons donc pas de débat : celui sur l'IVG viendra en son temps devant notre assemblée !
Concernant cette proposition de loi, je pourrais comprendre les inquiétudes qui s'expriment, notamment quant au risque de banalisation de la contraception d'urgence, si nous n'avions pas à notre disposition un texte réglementaire d'application aussi clair et aussi complet que le protocole national et si le bilan de six mois de délivrance du NorLevo par les infirmières scolaires ne venait contredire, par les faits même, cette inquiétude.
Rappelons donc les chiffres : sur 7 074 demandes d'élèves, 1 618 ont donné lieu à une délivrance de NorLevo, soit 2 administrations pour 10 demandes.
Dans tous les cas, que l'infirmière ait ou non délivré une contraception d'urgence, elle a orienté l'élève vers un centre de planning familial : 50 % des jeunes filles ont été suivies par le centre de planification, 39 % par l'infirmière elle-même, 8 % par un médecin et 3 % par une assistante sociale. Faisons donc confiance aux infirmières, à leur conscience professionnelle, pour assurer le suivi des élèves et les informer sur la contraception !
Autre grief fait à ce texte : il saperait prétendument l'autorité parentale, voire il encouragerait la démission des parents.
D'abord, ne confondons pas, par un raccourci fallacieux, « autorité parentale » et « autorisation parentale ».
Ensuite, ne soyons pas hypocrites : peu nombreux sont les parents, pour des raisons multiples et complexes touchant au plus profond de chaque être, qui parlent vraiment de sexualité avec leurs enfants. Alors, non, la levée de l'autorisation parentale ne s'adresse pas uniquement aux familles maghrébines ou défavorisées, mais bien à toutes les familles, quelle que soit leur origine, leur culture ou leur milieu social !
Rares, également, sont les adolescents qui demandent l'autorisation à leurs parents pour avoir des relations sexuelles ou pour utiliser un contraceptif. Et c'est heureux, car il s'agit bien, avant tout, de leur intimité et de leur jardin secret, que leurs parents doivent savoir respecter !
Enfin, savoir que l'on peut bénéficier de la contraception d'urgence inciterait, pensent certains, à passer à l'acte. C'était déjà ce même argument qui avait servi pour refuser l'éducation sexuelle à l'école, puis pour contester les distributeurs de préservatifs dans les établissements scolaires, Or, ce sont ces comportements obscurantistes qui entretiennent les non-dits, les tabous, les idées fausses, voire la culpabilisation, par rapport à la sexualité.
Faisons donc confiance aux adolescents : ils ne sont pas les écervelés pour lesquels certains les font passer, tout comme les femmes n'ont jamais été les irresponsables pour lesquelles certains les ont fait passer, il y a trente ans, afin de mieux leur refuser la liberté de disposer de leur propre corps !
Par ailleurs, ce texte, pour être pleinement efficace, doit s'inscrire dans un effort continu en matière de médecine scolaire, d'abord, d'éducation à la sexualité, ensuite.
En ce qui concerne les sous-effectifs d'infirmières dans les établissements scolaires et l'impossibilité d'une présence journalière dans chaque établissement, le Gouvernement, depuis trois ans, s'est engagé dans un rattrapage des années Bayrou : 1 150 postes médico-sociaux ont été créés et le budget pour 2001 prévoit 300 créations.
Ces postes ont été affectés en priorité aux académies qui présentaient un retard en matière d'encadrement médico-social et à celles où les difficultés sociales des élèves rendaient plus nécessaire qu'ailleurs un suivi sanitaire. Si nous ne pouvons que féliciter le Gouvernement pour cet engagement constant, nous l'invitons à l'amplifier encore.
Notons aussi le dispositif prévu en faveur de la formation des personnels : 800 infirmières formées spécifiquement à la contraception d'urgence d'ici à la fin de l'année scolaire, un réseau de 200 « personnes ressources » chargées d'animer et d'organiser des stages de formation d'équipes dans les établissements volontaires, des stages pour 5 000 personnels assurant l'éducation à la sexualité des élèves.
Parce que la sexualité fait partie de la vie, qu'elle est naturelle, l'éducation à la sexualité, qui ne peut que relever d'une coresponsabilité partagée entre les parents et l'école, doit trouver toute sa place à chaque étape de la scolarité de nos enfants. Deux heures obligatoires en quatrième et en troisième, c'est trop peu et c'est trop tardif.
Pour ma part, je suis favorable à une éducation à la sexualité en tant que connaissance et respect à la fois de son corps et de l'autre, et ce dès la maternelle. Evidemment, cette éducation se doit de respecter les rythmes et les besoins de chacun, les rythmes de chaque âge, elle se doit de ne pas choquer les consciences. Mais un enfant de quatre ans est tout à fait capable de comprendre avec des mots d'adultes la différence entre les sexes, la conception, la grossesse ou la rencontre amoureuse.
L'enjeu que nous avons trop longtemps occulté est précisément de savoir quelle image de la sexualité nous voulons promouvoir auprès des jeunes. Trop longtemps, l'éducation sexuelle, lorsqu'elle existait, s'est réduite soit à des données anatomiques et biologiques, soit à l'interdit et aux mises en garde. N'existe-t-il pas d'aspects positifs de la sexualité ?
Récemment, le ministère de l'éducation nationale s'est engagé dans une démarche de refonte de l'éducation sexuelle, qui devient une « éducation à la sexualité et à la vie ». Elle est entendue comme une éducation à la responsabilité, au rapport à l'autre, à l'égalité entre femme et homme, et elle donne sa place aux dimensions affective, psychologique, culturelle et sociale de la sexualité.
J'insisterai maintenant sur un point particulier : l'implication et la responsabilisation des garçons à l'égard de la contraception.
Non, la contraception, ce n'est pas qu'une affaire de fille. Le poids de la contraception, les oublis ou les erreurs ne sont pas de la seule responsabilité de la jeune fille, surtout face à des jeunes gens qui, bien souvent, par pur égoïsme, refusent d'utiliser le préservatif.
Sur cet aspect-là, comme sur d'autres, nous devons agir sur les normes sociales de la sexualité pour une véritable égalité entre femmes et hommes.
Il convient aussi de ne plus occulter les notions de désir et de plaisir, surtout de plaisir partagé, dans notre éducation à la sexualité. Ainsi sortirons-nous peut-être des schémas collectifs où seul est socialement reconnu le plaisir de l'homme.
Je ne souhaite qu'une chose : que ce débat sur l'accès à la contraception d'urgence permette de sortir des discours moralisateurs et culpabilisants envers les femmes et les jeunes filles, et d'avancer dans l'acceptation sociale de la sexualité des adolescentes et des adolescents, de la sexualité de nos propres enfants, qui est un élément indispensable à une meilleure appropriation de la contraception par les jeunes et, par là même, des futurs adultes. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Demuynck.
M. Christian Demuynck. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec ce texte, nous étions en droit d'attendre un véritable débat de société destiné à adapter une ambitieuse législation aujourd'hui trentenaire.
L'évolution de notre société, sous le double effet de l'hédonisme et du libéralisme culturels, a bouleversé le rapport de notre jeunesse à la sexualité au point de faire apparaître de nouveaux comportements chez des mineurs inconscients des risques qu'ils courent parce qu'ils sont mal informés.
Vous prétendez que votre texte prend en compte ces changements et y apporte une réponse audacieuse. Est-ce bien le cas ? Je ne le pense pas.
En effet, ce qui nous est présenté comme une extraordinaire avancée sociale ne concernera que peu de mineures et ne remettra pas fondamentalement en cause les dispositions présentées en 1967 par notre éminent collègue M. Lucien Neuwirth. Ce texte facilitera néanmoins la vie de certaines jeunes filles.
Une grossesse non désirée chez une mineure ne manque pas de susciter les pires drames familiaux. Car, disons-le clairement, la multiplication des interruptions volontaires de grossesse depuis une dizaine d'années traduit les craintes que ces jeunes femmes éprouvent à la simple idée de dévoiler leur maternité à des parents rarement enclins, dans de pareils cas, à l'indulgence. Cela ne manque d'ailleurs pas d'étonner lorsque l'on sait qu'ils portent leur part de responsabilité dans cette maternité inopportune.
Avant qu'une jeune femme ne se décide, de longues semaines s'écoulent, rendant l'IVG inévitable. Les études récentes le démontrent : selon une statistique publiée en novembre 1998, sur les 10 000 grossesses non désirées de jeunes filles mineures, 67 % aboutissent à une IVG et donc, quoi qu'on en dise, à un traumatisme physique et moral.
En d'autres termes, la fin de l'autorisation parentale n'est sans doute pas un mal.
D'aucuns pourraient y voir une atteinte à la sacro-sainte relation parents-enfants et à notre culture judéo-chrétienne. J'y vois, pour ma part, une nécessité impérieuse.
De plus, cette proposition de loi aidera de nombreuses jeunes filles issues de milieux défavorisés, chez qui la grossesse est un grave problème s'ajoutant, hélas ! à bien d'autres. Là encore, les chiffres parlent d'eux-mêmes : la probabilité d'une IVG chez des jeunes filles de quinze à dix-huit ans connaissant ou ayant connu des difficultés scolaires est cinq fois supérieure à celle de jeunes du même âge mais ayant une scolarité normale.
En un mot, ce texte suscitera, je l'espère, une baisse du nombre des interruptions de grossesse. Je ne peux qu'être d'accord avec vous sur ce point.
En revanche, je déplore l'exploitation médiatique que le Gouvernement a cru bon d'organiser autour de la délivrance de cette pilule dans les lycées.
Tout le battage fait autour de cette initiative est incompréhensible. A croire que la gauche plurielle aurait souhaité, une fois encore, se faire passer pour avant-gardiste à peu de frais !
En effet, le Gouvernement et sa majorité ont présenté votre proposition comme une évolution copernicienne en matière contraceptive. Pour ma part, je n'y vois qu'un complément, utile certes, à la loi du 28 décembre 1967, dite « loi Neuwirth », du nom de notre illustre collègue.
Au bout du compte, ce que d'aucuns vous reprochent, ou ce dont beaucoup vous félicitent, c'est de faire délivrer la « pilule du lendemain », le NorLevo, par des infirmières scolaires. L'arrêt du Conseil d'Etat du 30 juin 2000 n'aura d'ailleurs fait que donner la meilleure publicité à votre texte.
De plus, à vous entendre, avec cette proposition de loi, les dispositions de la loi Neuwirth devaient être périmées. Pourtant, permettez-moi de constater qu'elles demeurent le droit commun de la contraception.
Même si vous remettez en cause l'autorisation en la matière - ce que j'approuve - vous ne faites rien de plus que de vous appuyer sur cette loi dont, encore aujourd'hui, les procédures sont les plus usitées.
Qui plus est, en dépit de ces avancées indéniables mais limitées, cette proposition de loi dissimule mal l'échec de la politique de prévention du sida ou de toute autre maladie sexuellement transmissible. Ces grossesses non désirées résultent en effet de la banalisation des rapports non protégés. A l'époque du sida, c'est bien le moindre des paradoxes, dont la responsabilité incombe au Gouvernement du fait de ses insuffisances en la matière.
Parler de ces maladies à nos jeunes ne doit pas se limiter à de gros coups médiatiques ponctuels et, naturellement, inefficaces. Je ne ferai donc qu'évoquer votre politique de prévention auprès des jeunes, présentée le 29 septembre dernier et qui se limite aux sempiternels groupes de travail. On y glosera sur le pourquoi du comment de la sexualité chez les mineurs.
Bref, il n'y a là rien de bien concret. Mais cela a au moins le mérite de vous dédouaner, à peu de frais, d'un réel programme en la matière. La prévention s'inscrit dans la durée, ce qui est peu compatible avec le calendrier électoral, j'en conviens !
Même si votre texte est utile, il ne fait que gérer des cas que, semble-t-il, une ambitieuse politique de prévention aurait su éviter. A ce titre, le Gouvernement serait bien avisé d'installer, dans les meilleurs délais, une structure visant à suivre l'application de cette loi. Cette structure pourrait utilement dresser un bilan statistique des IVG et analyser l'évolution de la consommation de NorLevo, étant entendu que de trop nombreuses jeunes filles risquent de voir en ce produit un substitut moins contraignant à la traditionnelle pilule.
Pour résumer mon propos, je dirai « oui » à ce texte, qui, même s'il innove peu au regard de la législation en vigueur, traduit tout de même une prise de conscience salutaire de la part du Gouvernement, ou plutôt un « oui, mais », puisque ce texte ne sera qu'une coquille vide s'il ne s'accompagne pas d'une réelle campagne de prévention et d'une évaluation de celle-ci. (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Lorrain.
M. Jean-Louis Lorrain. Monsieur le président, madame le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la proposition de loi relative à la contraception d'urgence a connu des conditions de maturation surprenantes, mais parfaitement encadrées.
Le sujet, que l'opinion publique estime limité à la pilule du lendemain dans les établissements scolaires, est beaucoup plus vaste.
Le Conseil d'Etat, le 30 juin 2000, après avoir rappelé la loi en matière de prescription des contraceptifs, semble avoir surpris. Or, tout praticien de base aurait pu expliquer que la loi de 1967 a été malmenée et continue de l'être quotidiennement dans les pharmacies, pour des raisons humanitaires.
La directive européenne du 3 mars 1999, qui autoriserait la vente libre du NorLevo, a été évoquée par le cabinet du ministre de la santé. Mme Aubry, à l'Assemblée nationale, a dit qu'elle avait suivi l'avis de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, qui précise clairement que l'accès au NorLevo pouvait se faire sans prescription médicale. Quant à vous, madame Royal, vous avez affirmé dans la presse, en décembre 1999, que la pilule du lendemain n'était pas concernée par la loi de 1967.
Permettez-moi d'être perplexe. Le contexte d'élaboration de ce dispositif relève plutôt d'un flou bien organisé après des décisions qui ne sont pas si rapides que cela. Mais le protocole sérieux a permis néanmoins un bilan après six mois.
On note 7 074 demandes pour 1 618 délivrances de NorLevo. Les centres de planification ont pris en charge 50 % des élèves, 39 % ont été suivies par une infirmière, 8 % par un médecin, 3 % par une assistante sociale. Cela permet à M. Lang de répondre à tous les moralisateurs et d'évoquer sa réelle satisfaction d'avoir pu répondre à des situations de détresse.
L'objet de la proposition de loi est, en premier lieu, de permettre l'accès de toutes les femmes à la contraception d'urgence en pharmacie et sans ordonnance.
Un moyen supplémentaire de contraception mis à la disposition des femmes est de toute manière intéressant. Il est nécessaire de rappeler le sous-emploi, pour des raisons culturelles, d'information ou d'éducation, de nombreuses autres méthodes contraceptives, locales ou par voie générale.
La libre prescription permettrait, paraît-il, de se libérer de la contrainte médicale. L'acte médical n'est-il pas uniquement en faveur de la personne ? On peut s'interroger. Cette liberté ne peut se concevoir que dans l'optique d'une automédicamentation bien comprise - ce qui n'est pas le cas en France. De fait, cette liberté est liée à un problème économique : le remboursement des actes.
Le credo est à la maîtrise des problèmes de santé, au détriment de la prévention et de l'information. La loi va permettre l'utilisation d'un produit d'urgence qui va devenir rapidement un produit de contraception courant, un substitutif qui se répandra, une contraception de confort.
Par exemple, chez les célibataires sans compagnon régulier, le NorLevo deviendra une réponse plurielle aux rencontres occasionnalles. Sans les contraintes de la pilule classique, le NorLevo sera dévoyé dans son utilisation.
Qui pourra contrôler les distributions itératives ? Sans doute pas les pharmaciens !
Le produit serait sans contre-indication, sûr, rayé de la liste des substances vénéneuses.
Quand on se réfère à l'Académie de médecine, j'aimerais qu'on la cite in extenso. Elle indiquait, dans la séance du 7 mars 2000 : « Le levonorgestrel ne saurait faire l'objet d'une utilisation répétée, ne serait-ce qu'en raison du fait qu'elle peut entraîner des perturbations du cycle menstruel telles que des grossesses non désirées risquent de survenir et donc un nombre accru d'avortements, ce qui irait à l'encontre de l'objectif recherché par le protocole ministériel. »
Anodin ? Sûrement pas !
En outre, l'Académie de médecine « demande un bilan établi à deux ou trois ans sur les effets de l'utilisation du NorLevo en termes d'incidents éventuels et d'efficacité démontrée par la diminution du nombre d'avortements ». Cela doit relever non pas du règlement, mais de la loi.
La contraception d'urgence nous invite à reconsidérer le concept d'urgence, fait d'un état de danger immédiat menaçant la vie d'une personne et nécessitant des gestes appropriés. La seule dérogation en matière de prescription médicamenteuse portait sur les antalgiques, dans le cadre de soins palliatifs.
L'urgence devient donc psycho-sociale, tout en utilisant des outils médicaux.
Dans une pharmacie, si l'on peut être rassuré sur la compétence des professionnels, la confidentialité n'est pas toujours démontrée. Même si l'ordre des pharmaciens semble favorable à la contraception d'urgence, on peut s'interroger sur l'attitude des acteurs locaux. A-t-on envisagé un statut des pharmaciens lié à cette nouvelle mission, à cette nouvelle responsabilité ?
La possibilité pour les mineures de se voir prescrire la pilule du lendemain par tout médecin sans autorisation parentale est le constat de l'échec éducatif. La prescription de la contraception à des mineures existe dans les centres de planification et de nombreux médecins la pratiquent sous leur responsabilité. La problématique dépasse le milieu scolaire. En effet, les week-ends, les vacances, sont des temps propices à la sexualité.
L'école est-elle un lien privilégié pour compenser les carences éducatives familiales ? Sans doute. Mais il eût été souhaitable de traiter un véritable problème de société.
Quelle politique familiale adopter pour permettre aux parents de reconquérir leur responsabilité, quelles que soient leurs origines culturelles, ethniques ou religieuses ? On pourrait évoquer la nécessité d'une véritable éducation à la parentalité concernant des thèmes aussi variés que l'alimentation ou la sexualité.
Ce débat de société aurait pu permettre de préciser le rôle des associations familiales ou des associations de prévention. Il est en effet stérile d'avoir un discours sur les valeurs réhabilitées - l'amour, le bonheur, le respect, la sensibilité... - s'il n'existe pas un projet de société étayé de réels moyens.
Il ne suffit pas d'avoir fait le Bulletin officiel du 28 septembre 2000 ou d'annoncer un Bulletin officiel spécial consacré à la mixité et à l'égalité, lancé médiatiquement à l'occasion du Salon de l'éducation, pour engendrer une politique de prévention des grossesses non désirées ! Il me semble correct d'évoquer des constats, sans évacuer, naturellement, les nécessaires réponses aux grandes détresses.
Moins de 1 % des nouveau-nés ont une mère âgé de douze à dix-sept ans ; mais 8 000 mineures avortent chaque année. Les bébés des adolescentes représentent 0,6 % des naissances annuelles. On constate une baisse de plus de la moitié de celles-ci depuis dix-sept ans. Le nombre d'IVG des mineures n'a, semble-t-il, guère bougé : il est de 8 000 à 10 600 par an, ce qui représente de 4,9 à 5,9 % de l'ensemble des avortements. C'est trop ! Pour l'INED, le recours à l'avortement « traduit l'évolution des choix des jeunes face à une grossesse et leur souhait de plus en plus affirmé de différer une maternité non planifiée et trop précoce ».
L'article 371-2 du code civil stipule que « l'autorité appartient aux père et mère pour protéger l'enfant dans sa sécurité, sa santé et sa moralité.
« Ils ont à son égard droit et devoir de garde, de surveillance et d'éducation ».
A l'échec parental, quelles réponses apporter ?
Nous constatons tous les difficultés des adolescents issus de familles déficientes, oppressantes, absentes ou éclatées. Mais avons-nous une politique adaptée à des familles culturellement différentes ? Verrons-nous une grande réforme du code de la famille ?
Dans le rapport de Mme Françoise Dekeuwer-Defossez, on peut lire : « Seul un retrait de l'autorité parentale peut priver les père et mère de la titularité de l'autorité parentale. » « Nul, sinon le juge, ne peut remettre en cause le caractère intangible des liens entre l'enfant et ses parents. »
Le dialogue entre parents et enfants fait l'objet de nombreuses initiatives dans les villes et les départements.
Nous sommes confrontés ici à une situation d'urgence qui se veut exceptionnelle : le protocole proposé n'élimine pas les familles, je le dis clairement, mais il semble paradoxal au moment où une réflexion sur la coparentalité est engagée - je pense à la conférence de la famille qui s'est tenue en juin 2000. Ainsi, dans une situation douloureuse, on donne une préférence à la suppression de l'autorité parentale pour une mineure.
Comment pouvez-vous alors respecter les convictions ? Quels moyens d'action entendez-vous mobiliser pour promouvoir une culture de la responsabilité ? En quoi consiste le volet d'éducation à la parentalité ? Telles sont les véritables questions auxquelles il faut répondre.
Les réponses quantitatives en postes d'infirmière, d'assistante sociale relèvent d'une démarche de planification dont les échecs sont perceptibles, quels que soient les gouvernements.
Il y a actuellement 5 650 infirmières pour 7 500 collèges et lycées - la chose est dite. Actuellement, nos écoles d'infirmières ne font pas le plein - je peux en témoigner étant président d'une école - la crise du recrutement est cruelle. Les centres de formation de travailleurs sociaux vivent difficilement, au prix de situations très critiques ; des conventions ne sont pas respectées et, ayant en charge le budget d'une école d'assistantes sociales, je peux affirmer que les budgets restent imprécis toute l'année.
L'absence de la médecine scolaire est assourdissante !
Ne revenons pas sur les effectifs ; examinons simplement la place de cette médecine, qui est en fait une médecine du travail spécifique à l'enfant. A part quelques exceptions - et, à cet égard, on peut rendre hommage en particulier aux pionniers du rectorat de Lille - le médecin scolaire reste pauvre en relations avec le milieu extérieur ; il n'est qu'un accompagnant de la contraception d'urgence alors qu'il devrait être acteur.
La faiblesse du rôle réservé à l'assistante sociale est inquiétant. Ce travailleur social doit assurer la liaison avec les parents ; il est le plus habilité à évaluer la détresse sociale - avant l'infirmière - de certains jeunes. Le relais social est particulièrement important dans le traitement des maltraitances, des relations dites, bien trop pudiquement, « forcées ». Il ne s'agit pas d'une compétence sanitaire.
Trois circulaires redéfinissant les missions des services médicaux, infirmiers et sociaux seront publiées prochainement. Croyez-vous qu'elles répondent à de graves problèmes de société alors qu'une refondation totale est à entreprendre ? Il ne suffit pas d'évoquer dans les textes le soutien médical et psychologique pour les jeunes filles si une véritable organisation partenariale n'est pas proposée.
On peut évoquer le rôle des conseils généraux et des services de protection maternelle et infantile chargés des centres de planification familiale. Il existe des inégalités criantes. Nous pourrions proposer par exemple une sectorisation géographique de ces centres, qui seraient ainsi plus proches des collèges. Ces centres de planification pourraient rendre véritablement les services attendus. Actuellement, ils ne sont pas prêts à traiter les urgences en raison non seulement de leur fonctionnement, mais aussi de la limitation des moyens en vacations médicales ou de la présence limitée de sages-femmes.
C'est un leurre de vouloir traiter un problème sans outils et c'est grave de nous le faire croire !
Quant à la délivrance de la contraception d'urgence à titre gratuit, elle ouvre selon moi la porte à tous les excès. Je citerai une infirmière : « En une journée, j'ai eu quinze demandes de jeunes pour savoir si cette pilule sera distribuée gratuitement. » Comment va-t-on gérer les demandes des jeunes filles qui pratiqueront le « nomadisme » des pharmacies ? J'essaie d'imaginer les critères, qui devront être fixés par voie réglementaire, visant à définir les jeunes filles issues de familles nécessiteuses.
Il s'agit avant tout de la rencontre d'une personne et d'un produit. Comme pour la conduite automobile, la conduite de la sexualité chez l'adolescent est faite d'interdits, de violence, de plaisir immédiat, de mise en danger de son corps ; il y a la griserie de l'instant, mais aussi la victime du lendemain.
A une possible fécondation, de diagnostic impossible, une seule réponse semble donnée. Les jeunes filles angoissées, les informées présenteront leur souffrance, mais les timides et les culpabilisées seront à découvrir. On a préféré, une fois encore, attendre que la jeune fille soit victime. La distribution de préservatifs gratuits dans les collèges, dans les pharmacies, serait-elle abandonnée, alors qu'elle permettrait une coresponsabilité dans l'acte sexuel ?
Au sujet de l'éducation sexuelle, je citerai le professeur Israel Nisand, que vous avez beaucoup consulté, madame le ministre, au cours de vos recherches : « Il n'y a pas d'éducation sexuelle possible tout simplement parce qu'il n'y a pas de norme en matière de sexualité et rien à enseigner. Mais les adultes peuvent délivrer aux jeunes la parole humaniste dont ils manquent. »
Le professeur Jacques Waynberg, de l'Institut de sexologie à Paris, rappelle qu'il n'y a pas, d'un côté, une contraception médicale et, de l'autre, une contraception paramédicale. Elle est, selon lui, du ressort du médecin de famille, et l'éducation sexuelle scolaire est à confier à des sexologues et à des pédagogues.
Nous pourrions faire confiance au Collège national des gynécologues-obstétriciens français, à la Fédération nationale des collèges de gynécologie médicale, qui ont édité un livret et créé un site Internet.
L'éducation sexuelle à l'école ne peut porter ses fruits que grâce à des intervenants extérieurs, et non au professeur de biologie, qui évalue ses élèves.
L'école serait, nous dit-on, chargée d'enseigner le bonheur d'aimer. Toutefois, si le développement de la sensibilité peut relever de l'école, l'affectivité est du domaine privé. Les essais d'enseignement de la morale au lycée ont suscité des protestations de la part de plumes célèbres refusant cette mission impossible qu'est l'enseignement des vertus : le respect, l'honnêteté, la compassion, vertus que, bien sûr, nous défendons. Les parents restent et doivent rester prioritaires dans le domaine de l'intimité. La vie affective et la sexualité sont un jardin secret expliquant l'échec de matériel pédagogique médiatisé. Si l'école doit prendre en compte une réalité, beaucoup de mères de famille estiment qu'il est de leur responsabilité d'éduquer leurs enfants selon leurs propres valeurs - je vous renvoie aux mères de Montfermeil.
Mes collègues du groupe de l'Union centriste et moi-même avons souhaité qu'un bilan de deux années d'application du dispositif soit présenté au Parlement.
Mes collègues voteront la proposition de loi relative à la contraception d'urgence, telle que modifiée et complétée par la commission des affaires sociales.
Quant à moi, conscient de l'intérêt de la contraception d'urgence, qui peut permettre d'éviter le pire dans une situation exceptionnelle, je m'abstiendrai en raison des dérives annoncées hors milieu scolaire, de l'affaiblissement de l'autorité parentale et de l'absence d'une politique efficace de prévention. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il n'est pas un d'entre nous qui puisse rester insensible à l'objet du débat d'aujourd'hui et dont la conscience ne soit douloureusement interpellée.
Comment, en effet, ne pas souhaiter trouver une solution à la situation cruelle de jeunes femmes, souvent presque encore des enfants, qui sont confrontées à un état de détresse tel qu'elles ne veulent, voire ne peuvent accepter une maternité à leurs yeux impossible, et qui, de ce fait, n'ont d'autre possibilité que le recours à l'interruption volontaire de grossesse ?
Ce texte constitue une nouvelle étape sur la voie de ce que certains prétendent être la libération de la femme - je dis bien « prétendent ».
Il ne faut pas l'oublier, cela risque d'être un coup de plus porté au rôle, pourtant essentiel, de la cellule familiale, lieu privilégié de l'éducation des enfants.
M. Philippe Marini. Tout à fait !
M. Jean Chérioux. J'ai mes convictions. Je suis attaché au respect de la vie et j'entends défendre le rôle irremplaçable de la famille !
M. Philippe Marini. Très bien !
M. Jean Chérioux. Mais je n'ai pas l'intention de me lancer aujourd'hui dans un débat - il a déjà été suffisamment long - qui risquerait de prendre un tour polémique et qui, d'ailleurs, ne servirait sans doute à rien, car, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, cela ne vous ferait certainement pas changer d'avis, pas plus d'ailleurs que d'autres membres de cette assemblée. Il suffisait de voir le peu d'attention portée à un certain nombre d'interventions pourtant d'un haut niveau ! (Protestations sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Je tiens néanmoins à souligner le caractère tout de même ambigu, pour ne pas dire plus, de ce texte, du texte auquel vous apportez votre soutien et celui du Gouvernement devrais-je dire, puisque, pour éviter les observations éventuelles du Conseil d'Etat, vous avez cru bon de recourir au dépôt d'une proposition de loi par l'intermédiaire des députés de votre majorité.
J'ai dit « ambigu » car, contrairement à son titre, ce texte ne correspond pas uniquement à la mise en place d'un système permettant de régler les situations d'urgence que connaissent des jeunes filles dans les écoles. Son premier alinéa a pour objet essentiel d'autoriser la mise en vente libre d'un médicament relevant jusqu'ici d'une prescription médicale, cela pour toutes les femmes, quel que soit leur âge ou leur situation de famille. Il s'agit donc tout simplement de la légalisation de l'arrêté de Bernard Kouchner.
C'est grave, très grave même, car c'est en réalité à un véritable problème de santé publique que nous sommes confrontés aujourd'hui.
Certes, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, ce médicament, le NorLevo, n'est pas dangereux, même s'il peut avoir des effets secondaires. A condition toutefois que sa prise demeure exceptionnelle. Un certain nombre de voix éminentes, celles de professeurs et de médecins, se sont pourtant élevées, notamment en commission, pour montrer les dangers que pouvait représenter l'utilisation répétitive d'un tel médicament. Or, rien ne nous permet de penser que les dispositions de ce nouveau texte n'entraîneront pas la banalisation de l'utilisation de ce médicament - on peut même craindre le contraire -...
M. Philippe Marini. Parfaitement !
M. Jean Chérioux. ... et qu'il ne se produira pas un véritable phénomène de substitution, crainte évoquée aussi par certains de nos collègues médecins qui connaissent bien la question. En effet, quelle femme ne serait pas tentée de prendre ce médicament alors que les pilules contraceptives traditionnelles sont soumises à prescription médicale (Protestations sur les travées socialistes)...
Mme Dinah Derycke. Nous sommes des femmes responsables !
M. Jean Chérioux. Permettez ! Chacun peut parler ! Je ne vous ai pas interrompus. Vous êtes des intolérants, un point c'est tout ! J'ai quand même le droit d'exprimer ma pensée !
Mme Dinah Derycke. Votre pensée d'homme !
M. Jean Chérioux. Je continue mon propos, malgré vos incantations.
Quelle femme, disais-je, ne serait pas tentée de prendre ce médicament alors que les pilules contraceptives traditionnelles sont soumises à prescription médicale et exigent une prise quotidienne et ininterrompue, le NorLevo présentant l'avantage apparent d'une mise en vente libre, d'une utilisation plus simple et d'une prise unique ?
Madame la ministre, vous avez abordé ce problème à propos de la gratuité proposée par la commission. Oui, il peut y avoir un danger de banalisation, mais pas seulement en raison de la gratuité. La banalisation peut aussi résulter de la facilité d'utilisation de ce médicament.
M. Philippe Marini. Il vaut mieux ne pas l'utiliser !
M. Jean Chérioux. C'est d'ailleurs pourquoi l'académie de pharmacie a exprimé des réticences et demandé de « respecter une période probatoire de délivrance sur prescription médicale, afin d'obtenir des données complémentaires ». Mais vous n'en avez pas tenu compte !
Ne risquons-nous pas de constater, dans quelques années, que l'utilisation de ce médicament s'est développée au-delà de ce qui était prévu ? Ne peut-il, dans ces conditions, avoir des effets dangereux, voire irréversibles, sur la santé de centaines de femmes ou sur leur capacité à enfanter ?
C'est pourquoi je proposerai tout à l'heure un premier amendement ayant pour objet de supprimer le premier alinéa de la proposition de loi, c'est-à-dire visant au maintien de la prescription médicale.
M. Philippe Marini. Très bien !
M. Jean Chérioux. Par ailleurs, je ne peux accepter des dispositions qui ont pour conséquence de déresponsabiliser totalement la famille. Même si, dans le protocole, il est recommandé à l'infirmière d'entrer en contact avec la famille, comment celle-ci pourrait-elle y parvenir dans un délai aussi court ? Or il ne peut être question de retirer indistinctement, de manière unilatérale et générale, leurs droits à toutes les familles. Certains parents entendent exercer leurs responsabilités et leur autorité.
C'est dans cet esprit que j'ai déposé un deuxième amendement visant à permettre à ces familles de refuser chaque année l'application de ces dispositions à leur enfant.
M. Philippe Marini. Très bien !
M. Jean Chérioux. J'ai bien dit « refuser », parce qu'on aurait pu envisager, a contrario, que les familles notifient leur acceptation. Cela aurait été aller trop loin car je sais que certaines jeunes filles n'ont pratiquement pas de famille. Mais il serait inadmissible qu'une famille n'ait pas le droit de dire : « Moi, je m'occupe de mon enfant, je l'élève et je prends la responsabilité de son éducation ; je refuse donc que lui soit appliqué le système que vous proposez. »
Monsieur le président, mes chers collègues, ma conclusion sera, comme mon propos, reconnaissez-le, extrêmement brève : si les amendements que j'ai proposés ne sont pas adoptés, je ne pourrai pas voter cette proposition de loi.
Et, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, je m'adresse tout particulièrement à vous en cet instant : je ne sais pas si vous l'avez bien pesée, mais c'est une lourde, une bien lourde responsabilité que vous prenez en donnant votre accord à ce texte qui bafoue les règles les plus élémentaires du principe de précaution sanitaire. Dieu sait pourtant si en ce moment on en parle, de la précaution sanitaire ! On en parle même continuellement ! C'est étonnant : elle est mise en avant dans de nombreux cas, mais là, il n'y aurait pas de problème ! Tout est réglé ! (Mme la ministre proteste.)
On en reparlera dans cinq ans, et j'espère ne pas être un prophète de mauvais augure ! (Applaudissements sur certaines travées du RPR.)
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Monsieur le président, messieurs les sénateurs, mesdames les sénatrices, je tiens à me féliciter, au nom du Gouvernement, que la plupart de vos interventions aient souligné le caractère nécessaire et positif de la proposition de loi qui vous vient de l'Assemblée nationale.
Tout d'abord, je m'adresserai à M. le rapporteur, qui, dans une courte digression, a critiqué le climat dans lequel ce texte avait été présenté à l'Assemblée nationale, et à M. Chérioux, qui a considéré que, si le Gouvernement n'avait pas proposé lui-même un projet de loi, c'était pour échapper à un désaveu du Conseil d'Etat. Il en est tout autrement.
M. Philippe Marini. C'est une manoeuvre politique !
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. En fait, l'organisation des débats découle d'une volonté commune du Gouvernement et de sa majorité...
M. Philippe Marini. C'est bien ça : le Gouvernement et sa majorité !
M. Serge Lagauche. Ça va comme ça !
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. ... de faire en sorte que l'ensemble du dispositif de révision des lois Veil et Neuwirth soit adopté avant la fin de l'année.
Il s'est trouvé que, à la suite d'un avis tout à fait motivé de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, le NorLevo, ce produit contraceptif hormonal sans danger pour la santé, a pu être mis en vente libre dans les pharmacies.
M. Philippe Marini. C'est vous qui en avez pris la responsabilité !
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Dès lors, afin d'offrir une contraception efficace aux jeunes filles, pour éviter les grossesses précoces non désirées, ce que vous avez tous reconnu être un fléau contre lequel nous devions lutter en unissant nos forces, Ségolène Royal, alors ministre déléguée chargée de l'enseignement scolaire, a décidé que ce médicament pourrait être administré par les infirmières en milieu scolaire.
Le Conseil d'Etat a stoppé la mise en place du dispositif !
M. Philippe Marini. Heureusement qu'il est là !
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Il était donc urgent de régler cette question avant que le calendrier parlementaire ne nous permette de déposer le projet de loi visant à réviser les lois Veil et Neuwirth. Ainsi, toutes les femmes de notre pays pourront bénéficier de l'évolution médicale et pharmaceutique.
Au-delà de la prise en compte de la détresse des jeunes filles, vous avez été nombreux à souligner l'importance d'associer la contraception d'urgence et une perspective de responsabilisation sexuelle, qui me paraît également tout à fait essentielle. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous avons confié cette mission aux infirmières scolaires. Elles ne se contenteront pas de donner la pilule, elles feront oeuvre de pédagogie, sans moraliser, sans heurter les valeurs familiales qui sont développées dans certaines familles, tout en permettant aux jeunes gens et aux jeunes filles de ne pas subir les lourdes contraintes liées à une erreur de conduite passagère. C'est cette ouverture à l'éducation pour la santé qu'il me paraît nécessaire de souligner.
Je reprendrai certaines des remarques, positives ou critiques, qui ont été formulées.
Monsieur Francis Giraud, vous avez beaucoup insisté sur la nécessité d'assurer une éducation sexuelle à l'école tout en respectant la coresponsabilité des parents. Effectivement, il est indispensable de développer cette forme d'éducation.
La question de l'éducation à la sexualité se pose depuis de nombreuses années à l'éducation nationale et celle-ci tente d'y répondre ; je dis bien « tente » parce qu'il s'agit d'une mission difficile et évolutive. La circulaire Fontanet définissait déjà, en 1973, les grandes lignes d'une approche visant « l'information scientifique et l'éducation à la responsabilité en matière de sexualité ». Mais peu de moyens en formation, des horaires insuffisants, des supports pédagogiques en gestation ont accompagné ce texte.
L'épidémie du sida et le devoir de prévention qu'elle a imposé ensuite ont accéléré, ces dernières années, la mise en place de dispositifs consacrés à l'éducation de la sexualité et ont abouti à la circulaire du 15 avril 1996 rendant obligatoires deux heures par an au minimum d'éducation à la sexualité pour les élèves de quatrième et de troisième des collèges et des lycées professionnels. Surtout, depuis 1998, ont été mis en place dans les collèges quatre types d'interventions en matière d'éducation à la sexualité ; Mme Royal les a rappelés tout à l'heure.
Des rencontres éducatives sur la santé, pour un total de trente à quarante heures prises sur le temps scolaire pendant les quatre années de collège, ont été mises en place l'année dernière, et M. Jack Lang procède actuellement, en coopération avec mon cabinet, à une concrétisation de tous les programmes et instructions officiels qui comportent une notion d'éducation pour la santé, de manière à y introduire les procédés pédagogiques concrets.
Des comités d'éducation à la santé et à la citoyenneté se mettent en place dans tous les collèges. Actuellement, la moitié des collèges en sont dotés. Le ministère de la santé apporte son soutien à ces dispositifs au niveau tant de leur élaboration que de leur financement, à concurrence de deux millions de francs par an.
Toutes ces mesures visent à favoriser chez les élèves une prise de conscience, une compréhension des données essentielles de leur développement sexuel et affectif, l'acquisition d'un esprit critique afin qu'ils puissent faire des choix libres et responsables.
Monsieur Joly, je vous remercie d'avoir vous-même noté que le gouvernement de M. Lionel Jospin est le premier à avoir développé une importante campagne pour promouvoir la contraception ; une telle campagne n'avait pas été organisée depuis 1982.
La campagne que nous avons suscitée au début de cette année a rencontré, contrairement à ce qui a été dit, un succès notable, puisque nous constatons, à l'issue des post-tests, un bon niveau de mémorisation : plus de quatre Français sur dix âgés de quinze à cinquante-cinq ans déclarent ainsi se souvenir de cette campagne d'information sur la contraception. Il en est de même pour les spots télévisés, puisque trois quarts des personnes interrogées disent avoir vu au moins un de ces films. Une grande majorité estime que ceux-ci ont trouvé le ton juste et qu'ils ont été utiles, compréhensibles et informatifs. En outre, les cibles prioritaires ont bien été touchées, puisque les films ont plu essentiellement aux jeunes femmes de quinze à vingt-cinq ans.
Il est vrai que l'on peut estimer que cette campagne a passé trop vite. C'est justement l'une des raisons qui ont conduit le Gouvernement à décider de la relancer dès l'année prochaine en réutilisant les supports audiovisuels et télévisés qui ont été créés et mis en oeuvre au début de cette année.
Je remercie Mme Terrade de l'insistance avec laquelle elle a rappelé que l'effort d'information sur la contraception doit être permanent. Je vous l'ai dit, nous en sommes tellement persuadés que le Premier ministre est convenu de la nécessité de renouveler cette campagne de façon régulière, presque chaque année, et que nous nous sommes engagés à ce que chaque nouvelle génération d'adolescents puisse bénéficier de cette information et de cette éducation à la santé, qui inclut également la responsabilité et l'éducation sexuelles.
En réponse à la question de M. Demuynck, je voudrais souligner que le Gouvernement est tout à fait disposée à mettre en place un dispositif de suivi de la mise en oeuvre de la loi sur la contraception d'urgence. Nous nous engageons à fournir un rapport sur ce sujet au Parlement au terme des deux premières années d'application, c'est-à-dire au mois de décembre 2002.
Par ailleurs, je tiens à vous redire que nous nous sommes égalements imposés d'évaluer régulièrement l'impact de la campagne sur la contraception, afin de pouvoir en améliorer l'efficacité régulièrement et surtout de pouvoir adapter nos messages à l'évolution de notre société. Un très grand nombre d'entre vous n'ont pas manqué de signaler cette évolution, qui vous conduit à considérer que nous ne pouvons aujourd'hui traiter les adolescents comme il y a vingt ans et qu'il est indispensable de leur donner le moyen d'assumer cette liberté sexuelle qu'ils ont acquise au fil des âges et qui ne leur est pas contestée aujourd'hui.
Nous pouvons constater ensemble qu'un tabou est tombé, celui de la sexualité des jeunes. Dès lors, il incombe aux pouvoirs publics d'organiser l'exercice de cette responsabilité, de cette liberté que nos jeunes ont acquise et qui ne leur est pas contestée, de manière que leur vie ne soit pas brisée par des débuts hasardeux, ce qui pourrait être vécu comme une punition.
Ne nous trompons pas d'objectif : nous mettons tout en oeuvre pour promouvoir la contraception ordinaire, quotidienne, à travers une éducation à la santé, qui doit être non seulement une éducation à la sexualité mais aussi une éducation au bonheur, une éducation à la vie.
C'est précisément parce que nous devons tout faire pour aider nos enfants à trouver le bonheur, à se construire une vie harmonieuse, qu'il nous faut conjurer le véritable malheur que constitue une grossesse non désirée. En effet, une telle grossesse est le plus souvent vécue dans la détresse, dans un isolement et une angoisse qui peuvent être un facteur de drame, voire à l'origine d'un geste irréversible.
Aujourd'hui, nous disposons d'un moyen simple pour éviter ces erreurs, qui ne doivent pas être stigmatisées comme des fautes ; ce moyen, c'est la contraception d'urgence.
En vous demandant d'approuver cette proposition de loi, nous ne vous invitons pas à donner aux jeunes un passeport pour l'insouciance ou l'irresponsabilité, comme l'ont laissé entendre quelques interventions. Au contraire, nous vous invitons à doter les institutions scolaires d'un instrument de dialogue nouveau permettant de surmonter d'éventuelles erreurs. Il faut que chaque jeune, aidé par l'éducation à la sexualité, ait la possibilité de laisser mûrir sa sexualité en devenant responsable de ses actes, conscient de ses choix. Assurément, cet instrument permettra, dans un certain nombre de cas, d'éviter réellement à des jeunes filles de fausser le cours de leur vie du fait d'une simple imprévoyance.
Fondamentalement, il s'agit de créer un nouveau climat autour de la contraception et de la sexualité, un climat de confiance au sein duquel chacun pourra réconcilier amour et responsabilité.
Ajourd'hui, dans cet hémicycle, on a entendu s'exprimer beaucoup de générosité envers ces jeunes que des conduites d'essai peuvent plonger dans une situation dramatique. Ceux qui manifestaient cette générosité, cette attention, avaient cependant parfois quelque mal à la traduire dans les faits. Il est vrai qu'il n'est pas toujours facile de renoncer à des idées, à des modèles de vie, notamment des modèles de vie familiale.
Mais je vous remercie, les uns et les autres, d'avoir accepté de considérer que la jeunesse est la promesse d'un avenir et que celui-ci ne doit pas être compromis du fait de conduites d'essai qui ne seraient pas contrôlées et accompagnées par la responsabilité des adultes.
En revanche, il me semble que cette générosité laissait parfois transparaître une certaine difficulté à coordonner les actions proposées. La discussion des amendements permettra au Gouvernement de montrer son esprit d'ouverture face à votre volonté de mieux organiser l'attention à porter à nos jeunes, sans perdre de vue la nécessité de garantir un accueil de proximité, la disponibilité d'un adulte, pour que ces jeunes qui accéderont à une contraception d'urgence puissent aussi comprendre que ce n'est qu'un outil de réparation qui ne doit pas devenir un moyen de régulation, que la protection et la prévention régulières relèvent d'une contraception quotidienne. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen).
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Mes chers collègues, il est dix-neuf heures quinze et, compte tenu de la sensibilité du sujet qui nous occupe, il se peut que ce débat se prolonge relativement tard dans la soirée.
M. Jean Chérioux. Nous serons brefs !
M. le président. Je me garderai de faire quelque pari à cet égard, mon cher collègue !
Quoi qu'il en soit, afin de permettre à chacun de prendre ses dispositions, je vous propose d'interrompre nos travaux pendant quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures quinze, est reprise à dix-neuf heures vingt-cinq.)