SEANCE DU 11 OCTOBRE 2000


M. le président. Par amendement n° 430 rectifié, M. Saunier, Mme Bidard-Reydet, MM. Loridant, Autexier, Bécart, Mmes Beaudeau, Borvo, MM. Bret, Fischer, Foucaud, Le Cam, Lefebvre, Mme Luc, MM. Muzeau, Ralite, Renar, Mme Terrade, MM. Vergès, Auban, Autain, Bel, Mme Bergé-Lavigne, MM. Besson, Biarnès, Bony, Boyer, Mme Campion, MM. Carrère, Cazeau, Chabroux, Courteau, Courrière, Mme Cerisier-ben Guiga, M. Debarge, Mmes Derycke, Dieulangard, MM. Domeizel, Dreyfus-Schmidt, Mme Durrieu, MM. Dussaut, Fatous, Godard, Guérini, Haut, Labeyrie, Lagauche, Lagorsse, Le Pensec, Lejeune, Marc, Madrelle, Miquel, Pastor, Penne, Peyronnet, Picheral, Piras, Plancade, Mmes Pourtaud, Printz, MM. Roujas, Sutour, Trémel, Vidal, Désiré, Larifla, Lise, Collin et Delfau proposent d'ajouter, avant le titre Ier de la première partie, un titre additionnel ainsi intitulé :
« Titre... : Régulation des transactions financières. »
La parole est à Mme Bidard-Reydet.
Mme Danielle Bidard-Reydet. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, cet amendement, largement cosigné sur l'initiative des membres du groupe ATTAC - Association pour une taxation des transactions financières pour l'aide aux citoyens - du Sénat, constitue l'un des premiers éléments fondamentaux du débat qui va nous animer pendant quelques jours.
Une telle initiative a, selon nous, tout à fait sa place dans le débat sur les nouvelles régulations économiques. En l'occurrence, il s'agit d'insérer un titre relatif à ce que nous appelons « la régulation des transactions financières », qui manque dans le projet de loi. Cette absence est-elle l'aveu d'une impuissance du politique ou l'affirmation de la soumission, aujourd'hui, du politique à l'économique ?
Pour notre part, nous croyons que la construction de la société de demain ne peut être déterminée uniquement à l'aune du profit des investissements, en fonction de la seule liberté de circulation des capitaux, des monnaies, des marchandises, sur la valorisation boursière au détriment du développement des forces créatives de l'homme, de la réponse aux besoins collectifs et sociaux, qu'ils s'expriment dans nos sociétés développées ou ailleurs dans le monde.
Prétendre à réguler les transactions financières internationales répond à ces exigences, d'où notre amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur. La commission n'a aucune raison de changer d'avis par rapport au précédent débat sur ce sujet.
Toutefois, je voudrais rappeler que, depuis le moment où nous avons évoqué la taxe Tobin ici, au Sénat, un certain nombre d'études ont été réalisées. Je pense en particulier au rapport qui a été transmis par le Gouvernement au Parlement en application de l'article 89 de la loi de finances initiale pour 2000. Dans un souci de synthèse, je citerai quelques intitulés de paragraphe auxquels correspond bien évidemment toute une argumentation précise. Je lis, par exemple, à la page 37 : « Collecte de la taxe : la question du lieu n'est pas résolue » et, un peu loin, je lis : « Des effects incertains, voire contre-productifs sur le marché des changes » ; « L'efficience du marché des changes pourrait être réduite » ; « La spéculation la plus déstabilisante ne serait pas efficacement dissuadée ». Un peu plus loin encore, à la page 39, je lis : « Des conséquences qui pourraient être peu favorables à l'échelle de l'économie ». Elles se détaillent ainsi : « Une incidence problématique sur les échanges commerciaux » ; « Un frein à la diversification internationale des portefeuilles » ; « La hausse des coûts de transaction serait dans une large mesure répercutée sur l'économie réelle », etc. Je vous renvoie, mes chers collègues, à ce rapport qui n'est pas très long puisqu'il ne comprend qu'une soixantaine de pages.
La commission des finances, quant à elle, a traité de ce sujet dans un rapport récent, puisqu'il date du mois de février dernier, sur la régulation financière internationale. Ce rapport a sans doute été utile puisque nous avons constaté que le Gouvernement y a fait certains emprunts pour le présent projet de loi.
A partir de la page 55, et là encore je cite simplement les intitulés de paragraphes, nous évoquons « Le mirage de la taxe Tobin sur les mouvements de capitaux » et nous qualifions ce dispositif, reprenant l'avis des économistes que nous avons rencontrés, de « solution globale utopique ». Nous ajoutons « l'impossibilité de mettre en oeuvre une taxe sur les mouvements de capitaux au plan mondial », « la contrainte d'universalité paralysant toute action concrète », et « les effets pervers d'une taxe aveugle sur les mouvements de capitaux ». De ce point de vue, nous ne pouvons qu'être satisfaits des éléments d'appréciation supplémentaires apportés par le rapport du Gouvernement.
Je citerai in fine la conclusion du paragraphe de notre rapport du mois de février dernier dans lequel nous écrivions que « les principales crises financières qui justifient aux yeux de ses promoteurs la création d'une taxe Tobin ne seraient pas empêchées par celle-ci compte tenu de l'ampleur des dévaluations qui ont eu lieu en Asie. On rappellera à cet égard que les coûts de transaction n'ont jamais constitué un rempart efficace aux maux de l'instabilité financière internationale. Enfin, une moindre liquidité des marchés pourrait, en amplifiant les mouvements de panique, accroître au contraire les risques systémiques. »
Mes chers collègues, nous avons bien compris que la taxe Tobin est une opération de politique intérieure, que c'est une mobilisation de forces syndicales et sociales figurant dans votre base politique et électorale et qu'elle vous embarrasse. Nous sommes en quelque sorte un peu dans le même débat qu'hier soir, lorsque nous examinions la motion tendant à opposer la question préalable soutenue par M. Loridant et que Mme le secrétaire d'Etat s'efforçait d'y répondre.
La commission des finances demeure naturellement, dans sa majorité, fermement défavorable à ce qui n'est qu'un mirage et une opération politicienne. Elle émet par conséquent un avis défavorable sur l'amendement n° 430 rectifié.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat. M. le rapporteur de la commission des finances vient d'intervenir avec beaucoup de fougue.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Par souci de clarté !
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat. Pendant très longtemps, il a été répondu de façon théorique mais sans fondement réel à cette demande de taxe Tobin. Comme vous, mesdames, messieurs les sénateurs, je vais souvent sur le terrain et j'entends fréquemment avancer une telle proposition. C'est pourquoi le Gouvernement a demandé un rapport sur la fameuse taxation des opérations de change, sur la régulation des mouvements de capitaux, sur les conséquences de la concurrence fiscale entre Etats, texte auquel il a largement été fait référence et sur lequel je ne reviens donc pas.
Sur le fond, on comprend parfaitement les motivations.
Sur la forme, mon intime conviction - j'exprimerai ensuite la position du Gouvernement - est qu'une taxe de ce type, si elle était instituée, ne fonctionnerait pas très bien et ne permettrait donc pas au dossier de la spéculation financière de progresser.
On a vu récemment que des spéculations ayant lieu en dehors de notre territoire national pouvaient avoir des conséquences sur l'économie de notre pays et priver nos salariés d'emploi. Or nous n'avons aucun recours en droit, ni sur le territoire français ni sur le territoire européen, puisque c'est bien au-delà que les choses se sont passées. Par conséquent, nous devons prendre en compte la réalité des situations des acteurs économiques français et européens, en particulier de nos salariés. La taxation proposée affecterait négativement l'économie réelle - nous en sommes tous certains - et conduirait à réduire les marges des exportateurs et des importateurs dont les produits sont libellés en devises. Un certain nombre de producteurs de taille dite moyenne - je pense en particulier aux industriels agro-alimentaires - ont d'ailleurs alerté notre attention sur le fait qu'ils seraient aussi concernés par cette disposition.
La proposition d'une telle taxe est certes généreuse et politiquement fondée. Mais cette taxation ne répondrait pas à vos voeux, madame Bidard-Reydet, et pourrait devenir dangereuse. Par conséquent, pour l'instant, tant que rien n'a été trouvé en substitution à la taxe Tobin - des débats nourris se sont instaurés, vous le savez, au mois d'août et au début du mois de septembre sur ce sujet -, une telle taxation ne paraît pas judicieuse. Aujourd'hui, nous considérons qu'une efficacité accrue et beaucoup de cohérence sont nécessaires pour réguler le système monétaire et financier international. C'est pourquoi nous avons toujours proposé des orientations nous semblant fiables.
J'insisterai sur quelques grandes orientations : il nous paraît indispensable de définir et de mettre en oeuvre un principe de libéralisation financière ordonnée des mouvements de capitaux ; il faut accélérer et renforcer la lutte contre la spéculation internationale en éliminant ce que l'on appelle les « trous noirs » de la finance internationale et en luttant contre la délinquance financière ; il importe de favoriser la coopération monétaire régionale, à l'instar de ce qui a été fait en Europe, et d'engager une réelle coordination entre les trois principales zones monétaires, ce qui me semble porteur de beaucoup d'espoirs pour nos systèmes ; enfin, il faut renforcer le rôle du FMI dans la régulation du système financier international et faire en sorte que son comité monétaire et financier international devienne une véritable instance politique d'orientation et de décision.
Sur ce dernier point, des visites récentes, telle celle du président du Mali voilà quelques jours, nous ont montré que c'est sur ce dernier point que les pays connaissant le plus de difficultés par rapport à la spéculation financière internationale nous demandent d'oeuvrer en priorité.
Le Gouvernement compte agir sur la base des orientations que je viens de définir, tant au sein de l'Union européenne - nous avons de grandes négociations à mener et il nous faut être plus forts que nous ne le sommes aujourd'hui - que dans les négociations internationales. Nous devons, en effet, arriver dans les enceintes financières internationales avec des positions européennes dures pour atteindre les objectifs que nous partageons avec vous : maîtriser certes les comportements spéculatifs sur les marchés financiers, mais en nous dotant de moyens plus efficaces que ceux que pourrait procurer la taxe que vous proposez d'instaurer.
Sans vouloir heurter ses défenseurs, j'ai mis en garde contre le risque de se faire plaisir en votant une taxe Tobin sans toutefois obtenir aucun résultat par rapport à la spéculation financière. Les discussions que nous avons récemment menées à l'occasion de la présidence française avec les représentants des pays en voie de développement ont montré que nous sommes sur la même longueur d'ondes face à ce sujet. Nos propositions sont certes plus complexes, plus difficiles à expliquer, et donc moins lisibles. Mais je reste intimement convaincue que, dans la négociation qui s'ouvre au sein des instances internationales, tant pour nous-mêmes, sur le territoire européen, que pour les pays en voie de développement, c'est cette voie du réalisme et de l'efficacité que nous devons choisir.
Je comprends votre position, madame Bidard-Reydet, parce que je sais que nombre de petites et moyennes entreprises de ce pays se disent victimes de cette spéculation à laquelle elles n'ont pas les moyens de résister. Il s'agit donc d'un vrai dossier, qu'il faut considérer avec réalisme et construire. Si j'avais accepté l'instauration de la taxation que vous souhaitez, j'aurais eu l'impression de classer le dossier sans résultat, ce que je ne peux pas faire.
J'émets donc un avis défavorable sur l'amendement n° 430 rectifié. Mais je vous remercie de la qualité de votre intervention, madame Bidard-Reydet.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 430 rectifié.
M. Paul Loridant. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant. Voilà beaucoup d'honneur fait à cet amendement n° 430 rectifié, dont l'objet n'est, je le rappelle, que d'ajouter dans le projet de loi un titre ainsi intitulé : « Régulation des transactions financières » !
Vous savez, pour m'avoir entendu le dire, que je ne suis pas un adepte de la régulation en tant que telle ; je suis plutôt pour une réglementation. La portée est cependant symbolique.
La réponse apportée par M. le rapporteur n'est pas à la hauteur des enjeux puisqu'il s'agit bien de reconnaître qu'il y a des transactions financières sur les marchés financiers mondiaux, que ces transactions ont un caractère erratique, qu'elles perturbent le fonctionnement des économies réelles et les économies des pays du Sud comme ceux du Nord. Le simple fait de vouloir ajouter un titre additionnel en rappelant cela soulève des réprobations, en tout cas un refus tout net.
Nous savons certes les uns et les autres, y compris au sein du groupe communiste républicain et citoyen, que la taxe Tobin n'est pas facile à mettre en oeuvre. Mais notre amendement invite les hommes politiques à reconnaître que l'économie ne peut pas se passer de règle : de temps en temps, il faut que le politique fixe un cadre.
Pour l'instant, il s'agit seulement d'un titre, mais je vois que cela soulève à nouveau les passions et l'hostilité des grands libéraux. Eh bien, dont acte !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Et le Gouvernement ? Il ne vous a pas donné un avis favorable !
M. Gérard Delfau. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau. La diatribe, jubilatoire d'ailleurs, du rapporteur général de la commission des finances m'a rappelé - au fond, il en sera sans doute personnellement flatté - les grandes envolées, ici même, dans cette assemblée, à la fin du siècle dernier, quand il était question de la journée de huit heures,...
M. Philippe Marini, rapporteur. Je n'étais pas encore né !
M. Guy Cabanel. Si ce n'est toi, c'est donc ton frère ! (Sourires.)
M. Gérard Delfau. ... quand il était question, horresco referens, de créer l'impôt sur le revenu, puis l'impôt sur le capital, les deux étant déjà liés, et de mettre en place un arbitrage international pour lutter contre les conflits militaires.
Pourtant, des parlementaires, pas seulement à gauche d'ailleurs - il faut le rappeler - se sont levés et ont soutenu, pas seulement pour les forces syndicales représentant plus largement les masses populaires, ces idées, lesquelles, progressivement, sont devenues réalité après maintes batailles, et parfois, d'ailleurs, quelques événements sanglants.
Monsieur le rapporteur, votre réaction ne fait que confirmer ma propre détermination : même si les temps ne sont pas mûrs, l'idée, elle, est en train de se cristalliser à l'échelle internationale ; le moment viendra où il y aura effectivement une régulation planétaire, parce qu'il y va de l'intérêt économique de l'ensemble du monde et parce que, en outre, la justice le commande.
Evidemment, il ne suffit pas d'avoir une pespective à moyen terme ; il faut revenir au court terme. Je voudrais, de ce point de vue, avant de parler de la position du Gouvernement, rappeler tout de même quelques événements récents.
Seattle, cela vous dit quelque chose ! Prague,...
M. Philippe Marini, rapporteur. C'est une belle ville ! (Sourires.)
M. Gérard Delfau. ... cela vous a directement concernés ! D'ailleurs, j'ai noté, dans la presse conservatrice, que l'on mettait en avant, comme toujours, les anarchistes. Mais qui est la cause de la radicalisation d'une partie des militants pour un ordre économique international ?
M. Philippe Marini, rapporteur. C'est le mur d'argent !
M. Gérard Delfau. Où sont les responsables, si ce n'est parmi les politiques des nations développées qui ne prennent pas en charge les aspirations profondes des peuples ?
Aussi, même si, aujourd'hui, toutes les objections qui nous sont faites nous montrent que les temps ne sont pas mûrs, même si, je le reconnais, le Gouvernement est face à un réseau de contradictions...
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. C'est sympathique...
M. Gérard Delfau. ... et tente par ailleurs courageusement, lucidement, y compris par ce texte que la majorité sénatoriale va repousser, de faire avancer un certain nombre de mécanismes, de limiter un certain nombre d'errements, il faut que, dans cette enceinte - et cela n'a rien de politicien, croyez-moi -, des sénateurs disent les choses parce que, un jour, qui n'est peut-être pas si lointain que vous le croyez, ces idées deviendront réalité.
M. Joël Bourdin. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Bourdin.
M. Joël Bourdin. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, j'ai l'impression que la minorité du Sénat veut nous donner mauvaise conscience. (M. Delfau s'exclame.)
En effet, il y a deux problèmes qui sont liés : celui de la taxe Tobin et de l'imposition du mouvement des capitaux et celui de l'utilisation du produit de cette taxe pour l'aide aux pays du tiers-monde.
J'ai le sentiment que l'on veut faire croire que nous sommes des suppôts d'un système du xixe siècle admettant tout à fait la paupérisation d'un certain nombre de pays. Or ce n'est pas le cas.
Nous sommes ici face à un amendement qui n'est pas réaliste, qui n'est pas adapté, qui ne peut pas être appliqué. Que l'on vienne à l'aide des pays du tiers-monde, oui, mais en leur permettant d'avoir un véritable système monétaire et des monnaies convertibles par des accords, et non pas par le moyen qui nous est proposé. Nous sommes donc prêts à prendre des initiatives, à formuler des propositions - pas dans le cadre de ce texte, bien sûr -, mais ôtez-vous de l'esprit que, si nous sommes contre la taxe Tobin, c'est parce que nous voudrions que le mal se répande sur cette Terre. C'est tout le contraire ! Nous sommes contre la taxe Tobin parce qu'elle n'est pas applicable, comme l'a très bien dit M. le rapporteur général.
M. Guy Cabanel. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Cabanel.
M. Guy Cabanel. Rassurez-vous, mes chers collègues, je ne voterai pas aujourd'hui la taxe Tobin, mais je voudrais quand même exprimer quelques sentiments nuancés vis-à-vis de cet enterrement allègrement conduit par M. le rapporteur et par vous-même, madame le secrétaire d'Etat, presque main dans la main, pour jeter à la fosse commune cette proposition.
L'utopie de James Tobin - l'utopie double, comme vient de le dire notre collègue Joël Bourdin - a, depuis une vingtaine d'années, soulevé bien des espoirs, qu'il s'agisse de réguler des mouvements de capitaux qui, erratiques, entraînaient parfois de grands désordres monétaires, comme ceux que l'on a connus en Asie assez récemment, ou de féconder, en quelque sorte, le tiers monde et d'obtenir un développement harmonieux par un prélèvement - limité - sur ces mouvements de capitaux.
Cette utopie mérite notre respect. Peut-être par péché de jeunesse, nous avons d'ailleurs été un certain nombre à la défendre. Toutefois, aujourd'hui, pour la mettre en place, il faudrait un système monétaire international bien régulé et bien unifié, de telle manière que la mesure soit parfaitement appliquée sans aucune échappatoire possible, sans aucun risque de corrompre, en quelque sorte, le système.
Quoi qu'il en soit, la mondialisation va nous conduire irrémédiablement à de telles solutions et, ne nous y trompons pas, même l'OMC, tant critiquée à Seattle comme ailleurs, sera peut-être un jour obligée d'envisager un tel dispositif.
Et, si nous enterrons aujourd'hui - un peu allègrement pour certains, peut-être avec un petit pincement au coeur pour d'autres - la taxe en question, nous n'avons donc pas le droit d'oublier tout le mérite de l'utopie de James Tobin. (Très bien ! et applaudissements sur certaines travées socialistes ainsi que sur certaines travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Monsieur le président, je veux dénoncer ici une forme de débat qui pourrait confiner à l'hypocrisie.
Mes chers collègues, nous élaborons la norme législative. Or la proposition faite par le groupe communiste républicain et citoyen...
M. Gérard Delfau. Pas seulement ! Elle émane aussi de personnes siégeant sur d'autres travées !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. ... a fait l'objet d'une réponse du Gouvernement qui n'est pas favorable. Et voilà que le groupe en question, avec nos collègues du groupe socialiste...
M. Marc Massion. Pas tous ! Seulement certains !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. ... appuient leurs propos sur la réponse de M. le rapporteur.
Dans ces conditions, mes chers collègues, essayez d'abord de clarifier vos relations avec le Gouvernement ! (Murmures sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes.) La majorité sénatoriale n'est en effet pas chargée d'organiser la coordination de vos relations avec le Gouvernement ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Heureusement que le Sénat empêche les dérives qui pourraient découler de l'absence de cohérence de votre majorité ! Combien de concessions le Gouvernement n'est-il pas obligé de faire ! (Exclamations sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Mme Danielle Bidard-Reydet. Cela ne vous est jamais arrivé, à vous ?
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. La réponse de Mme le secrétaire d'Etat a été tellement diplomatique que l'on finit par ne plus savoir si l'avis du Gouvernement est favorable ou défavorable !
Par son attitude, la majorité sénatoriale permet donc d'éviter que l'on donne force de loi à une disposition inapplicable. Si le Sénat n'était pas là, votre majorité plurielle produirait des monstruosités juridiques qui affecteraient gravement l'économie de notre pays ! (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Jean Delaneau. Ils se défoulent de ce qu'ils ne peuvent pas faire à l'Assemblée nationale !
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat. Pardonnez-moi d'allonger les débats, mais j'ai eu l'impression d'être citée plusieurs fois.
M. le président. Ne le prenez pas mal, madame le secrétaire d'Etat : cela va arriver tout l'après-midi ! (Sourires.)
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat. Très honnêtement, monsieur le président, cela me fait plutôt plaisir ! Il importe cependant de ne pas se laisser piéger. Mais personne ici, je le pense, ne se laisse piéger !
La mondialisation provoque aujourd'hui un mouvement extrêmement fort et j'entends bien les réactions des divers intervenants. Pour ce qui me concerne, j'ai présenté un certain nombre de propositions et d'ouvertures tout à l'heure, qui seront sûrement entendues par la suite. Toutefois, à l'heure actuelle, nous sommes confrontés à une contradiction profonde : d'une part, nous savons que le système ne peut fonctionner que s'il est mondialement accepté - s'il n'est pas d'abord européen puis accepté dans les négociations internationales, nous nous serons fait plaisir, mais cela ne fonctionnera pas - et, d'autre part, nous assistons au rejet des structures de régulation.
J'ai rencontré un certain nombre de groupes - dont celui qui a été cité tout à l'heure - à Bologne, lors de l'offensive contre l'OCDE. Et je puis vous dire que nous ne réussirons cette régulation internationale que si nous savons redonner sa place au politique dans les organismes internationaux. Je pense, bien sûr, à l'OMC, mais aussi au FMI et à une certain nombre d'organismes de régulation de ce type, qui ont été mis en place avec des cahiers de charge extrêmement précis mais qui, petit à petit, ont quitté le monde de la politique pour passer au monde de la structure et vivre un peu en autarcie.
Nous sommes assez intimement convaincus qu'il faut remettre de la politique dans les organismes internationaux, avoir une position européenne forte pour pouvoir parler au niveau de l'OMC, en particulier. Tel est bien l'objectif du Gouvernement, qui a d'ailleurs été récemment rejoint par plusieurs pays, et nous avons à cet égard entendu quelques déclarations surprenantes - mais bienvenues - de nos collègues du Canada.
Je pense que les choses évoluent, mais que la taxe Tobin, aujourd'hui, n'est pas la réponse, et je suis désolée que vous estimiez que je me noie dans ma réponse. Non ! Je suis intimement convaincue que la régulation internationale a besoin de politique, mais que, si la France instituait toute seule la taxe Tobin, elle ferait peut-être reculer cette négociation internationale dont nous avons tant besoin et dont sont demandeurs les pays en voie de développement.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 430 rectifié, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
M. Marc Massion. Le groupe socialiste s'abstient.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Articles additionnels avant l'article 1er