SEANCE DU 5 OCTOBRE 2000


M. le président. « Art. 5 ter. - Il est inséré, après l'article 18 de la loi du 27 septembre 1941 précitée, un article 18-1 ainsi rédigé :
« Art. 18-1 . - S'agissant des vestiges archéologiques immobiliers, il est fait exception aux dispositions de l'article 552 du code civil.
« L'Etat verse au propriétaire du fonds où est situé le vestige une indemnité destinée à compenser le dommage qui peut lui être occasionné pour accéder audit vestige. A défaut d'accord amiable, l'action en indemnité est portée devant le juge judiciaire.
« Lorsque le vestige est découvert fortuitement et qu'il donne lieu à une exploitation, la personne qui assure cette exploitation verse à l'inventeur une indemnité forfaitaire ou, à défaut, intéresse ce dernier au résultat de l'exploitation du vestige. L'indemnité forfaitaire et l'intéressement sont calculés en relation avec l'intérêt archéologique de la découverte et dans des limites et selon des modalités fixées par décret en Conseil d'Etat. »
Par amendement n° 20, M. Legendre, au nom de la commission, propose de supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jacques Legendre, rapporteur. Je ne reviendrai pas sur les interrogations soulevées par le dispositif. Si le souci d'éviter un nouveau cas Chauvet est légitime, la fréquence, très rare en réalité, de telles découvertes ne justifie pas de légiférer dans l'urgence.
Monsieur le secrétaire d'Etat, il nous semble que le dispositif proposé soulève actuellement plus de problèmes qu'il n'en règle. Nous comprenons et nous partageons votre souci de disposer un jour d'une législation claire, mais ce n'est pas, nous semble-t-il, à l'occasion de la discussion de ce texte relatif à l'archéologie qu'il faut ajouter en deuxième lecture un nouvel article. C'est pourquoi notre amendement vise à supprimer l'article 5 ter .
Nous souhaitons cependant qu'une législation aille au terme de la réflexion.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Michel Duffour, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement est défavorable à la proposition formulée par la commission. Il souhaite le maintien de cette disposition.
Aujourd'hui, les inventeurs de vestiges archéologiques immobiliers découverts fortuitement sont dans une situation inique alors que le mérite de la découverte leur revient. Cette situation nous a causé tellement de soucis que je vais rappeler nos positions et prendre un peu de temps pour préciser à nouveau les raisons urgentes qui ont justifié la mesure que nous proposons.
C'est une idée de justice et d'équité qui a présidé à l'initiative du député de l'Ardèche, Pascal Terrasse. Je partage complètement ce souci : on ne peut pas laisser cette situation en l'état.
Mon ministère a connu un cas trop difficile et douloureux ces dernières années, vous le savez, pour rester l'arme au pied : six procès devant diverses juridictions et notamment trois hauts fonctionnaires en correctionnelle.
Cette situation, je n'ai pu la régler que le 19 juillet dernier, en me rendant sur le site de la grotte Chauvet en présence de toutes les autorités et des trois inventeurs.
Ce cas n'est pas isolé, d'autres situations auraient pu s'envenimer voilà quelques années, et d'autres cas surviendront si nous n'y prenons pas garde.
C'est la raison pour laquelle le projet d'amendement de M. Pascal Terrasse a été soumis par Mme Trautmann au garde des sceaux. Les services de la Chancellerie ont travaillé à rendre l'initiative plus conforme à notre droit entre la première et la deuxième lecture à l'Assemblée nationale. On ne légifère donc pas dans l'urgence aujourd'hui. Nous avons tous connu des examens beaucoup plus expéditifs et, quoi qu'il en soit, la réflexion n'est pas close, elle se poursuit avec vous.
Je ne crois pas que ce texte pose plus de problèmes qu'il n'en règle. Il pose en réalité une question de principe sur laquelle on peut diverger et qui peut faire naître quelques difficultés pratiques que vous avez relevées, mais ces difficultés sont surmontables. Je distinguerai donc bien les deux sujets.
Le problème de principe est simple : souhaite-t-on un meilleur équilibre entre le propriétaire et l'inventeur qui révèle à la collectivité nationale un joyau archéologique ? Pour moi, et cela vaut sans doute pour vous, la réponse est évidente sur le plan de l'équité, selon la même logique que celle qui a donné naissance à l'article 716 du code civil voilà bientôt deux siècles, pour ce qui concerne les objets mobiliers.
Même si le premier alinéa de l'article peut apparaître sibyllin, il est juridiquement incontestable. C'est la seule manière juridiquement correcte de traiter la question à l'instar des solutions déjà retenues dans d'autres domaines comme le droit minier.
Le régime de l'article 552 du code civil est un régime de présomption de propriété du dessous, lorsque l'on est propriétaire du dessus. La loi peut donc décider, pour un domaine bien identifié, de renverser cette présomption sans courir le risque d'inconstitutionnalité qu'encourrait une expropriation directe et automatique de par la loi.
En droit, le fait que la présomption de l'article 552 ne jouera plus automatiquement n'interdira pas au propriétaire de prouver qu'il est propriétaire du vestige par titre ou tous autres moyens. Ce n'est que s'il ne peut pas apporter cette preuve que le bien sera considéré comme vacant et sans maître et qu'il reviendra à la collectivité nationale. Certes, cela sera l'hypothèse la plus fréquente, mais est-ce bien une injustice ?
D'autres législations ont fait un choix similaire, avec parfois, mais pas toujours, un système d'indemnisation de l'inventeur et du propriétaire. D'autres législations ont fait le choix du partage entre propriétaire et inventeur pour les biens mobiliers ou immobiliers, comme en Allemagne. La situation est donc diversifiée et notre projet n'est pas anachronique. Plus près de nous, M. Michelet déposait, en 1954 - je remonte assez loin -, devant le Parlement français, une proposition de loi très proche de la solution de notre projet dans ses effets.
D'ailleurs, l'injustice n'est-elle pas dans le maintien de la présomption actuelle, qui ressemble à une loterie dont profite le propriétaire alors que ni lui ni ses ancêtres n'ont acquis ni se sont vu transmettre le vestige archéologique compris dans leur terrain ? Ce profit, dû à l'action aléatoire d'un tiers, n'est pas dans la logique la plus stricte du droit de propriété qui veut que l'on soit propriétaire de ce que l'on a acquis ou de ce que l'on s'est vu transmettre.
Vous objecterez, monsieur le rapporteur, qu'il n'est peut-être pas opportun que l'Etat devienne propriétaire de tous les vestiges immobiliers quelle que soit leur valeur scientifique ou historique. C'est une question que nous nous sommes effectivement posée. Mais la réponse est relativement simple : si le vestige n'est pas intéressant du point de vue scientifique ou historique, il pourra toujours être désaffecté et cédé pour un prix symbolique au propriétaire du terrain qui pourra recouvrer ainsi sa pleine propriété. Le code des domaines le permet.
Quant aux difficultés pratiques, il est vrai qu'il pourra y en avoir, mais elles ne suffisent pas à écarter la solution.
Cette disposition n'est pas de nature, contrairement à vos craintes, à faire naître un contentieux important sur la nature mobilière ou immobilière des découvertes.
J'observe que, dans la loi de 1941, les biens mobiliers et les biens immobiliers ont déjà des régimes différents, sans que cela ait fait naître de contentieux sur ce point. Quoi qu'il en soit, la jurisprudence est parfaitement fixée sur la distinction entre les biens immobiliers et les biens mobiliers. Ce n'est donc pas un motif réel d'inquiétude.
Ensuite, s'agissant d'un dispositif prévu pour les inventeurs, vous relevez un paradoxe à prévoir l'intéressement de l'inventeur à l'exploitation en fonction de l'intérêt archéologique du vestige, et non pas en fonction des recettes de l'exploitation. Mais le texte prévoit bien un intéressement au résultat de l'exploitation et ce résultat sera d'ailleurs étroitement lié, dans la plupart des cas, à l'intérêt de la découverte sur le plan archéologique. Il n'y a donc pas de paradoxe.
S'agissant des difficultés pratiques, je crois avoir répondu à vos inquiétudes. Reste la question de principe sur laquelle chacun peut avoir son opinion. Le Gouvernement, compte tenu des précédents que j'ai indiqués, tant en France qu'à l'étranger, à un point de vue précis. En conclusion, il reste favorable au texte de l'Assemblée nationale.
Enfin, puisque quelques inquiétudes se sont manifestées, je précise que l'exploitation dont il s'agit ne recouvre pas l'exploitation scientifique de la découverte, au besoin par des publications ; il s'agit exclusivement de l'exploitation commerciale de cette découverte. Le texte ne le prévoit pas, car cela pourrait faire naître des difficultés au regard des critères de la commercialité. Cependant, cela va de soi et cela sera consigné dans les travaux parlementaires.
Mon explication a été un peu longue sur cet article, mais nous avons fourni un très gros travail avec la Chancellerie et je souhaitais que le Sénat en fût informé.
M. Jacques Legendre, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jacques Legendre, rapporteur. J'ai bien entendu le propos de M. le secrétaire d'Etat, qui est loin de m'avoir entièrement convaincu. Je tiens à dire que la commission n'a pas été complètement fermée à ce problème, bien au contraire.
En effet, nous débattons de l'article 5 ter , mais nous examinerons ensuite l'amendement n° 36 déposé par notre collègue M. Joly, sous forme d'un article additionnel après l'article 5 ter. Il traite pour une large part du problème des inventeurs que vous venez de poser et nous semble y apporter une réponse simple et logique. C'est pourquoi la commission y sera favorable. Il n'y a donc pas seulement, dans cette affaire, la suppression que nous préconisons, monsieur le secrétaire d'Etat !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 20.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le procédé, comme la procédure, me paraissent tout de même assez curieux. En effet, la commission nous explique qu'il faut retenir son amendement n° 20 parce que l'amendement n° 36, que l'on n'a pas encore examiné, lui donne satisfaction !
On retrouve certes, dans l'amendement n° 36 de notre collègue Bernard Joly, beaucoup de ressemblances avec l'article 5 ter , mais une discussion commune paraîtrait tout de même nécessaire pour savoir le pourquoi desdifférences.
Personnellement, j'ai été tout à fait convaincu par l'argumentation très complète de M. le secrétaire d'Etat, et je dois dire que je mettais le caractère complet et minutieux de ces explications en parallèle avec l'argumentation de notre rapporteur à l'appui de son amendement de suppression n° 20.
Il nous a dit qu'il ne fallait pas accepter comme cela des amendements nouveaux en deuxième lecture...
M. Jacques Legendre, rapporteur. Eh bien oui !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. J'en suis d'autant plus étonné qu'au cours de l'après-midi il lui est fréquemment arrivé de donner un avis favorable sur des amendements nouveaux émanant de sénateurs ! Il n'y avait donc pas d'inconvénient à ce que l'Assemblée nationale agisse de la même manière, et cet argument, vous le reconnaîtrez, n'en est pas un !
Il est vrai qu'il en avait un autre qui consistait à dire que c'était intéressant et qu'il faudrait donc chercher une occasion pour faire figurer dans la loi le produit de nos travaux. Je comprends mal, je l'avoue, pourquoi il faudrait espérer une autre occasion alors que nous en avons une toute trouvée, et il serait trop facile, je le répète, d'écarter l'argumentation minutieuse de M. le ministre au profit d'un amendement qui n'a été ni exposé ni discuté.
Monsieur le président, serait-il possible, en vertu de votre pouvoir souverain, que l'amendement n° 36, qui porte exactement sur le même sujet, vienne en discussion commune avec l'amendement n° 20 ?
M. Jacques Legendre, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. M. Jacques Legendre, rapporteur. Je ne sais pas si notre collègue Michel Dreyfus-Schmidt a bien écouté mon intervention liminaire, dans laquelle j'ai longuement développé nos préoccupations et notre perplexité. Je le renvoie donc à cette intervention dans laquelle il trouvera tous les arguments qui m'empêchent d'être d'accord avec M. le secrétaire d'Etat et que je n'ai pas repris dans l'explication que je viens de donner.
Pour une complète information de notre Haute Assemblée, je me devais de mentionner que la suppression est due au fait que l'Assemblée nationale a adopté un amendement - l'article 5 ter nouveau - et que M. Joly a déposé un article additionnel qui viendra ensuite en discussion et qui, très élégamment et très simplement, répond à une large partie de notre préoccupation.
M. le président. Monsieur Michel Dreyfus-Schmidt, mon pouvoir n'est ni souverain ni discrétionnaire ; il est encadré par un règlement et des pratiques. Néanmoins, si vous en étiez d'accord, monsieur le rapporteur, nous pourrions appeler en discussion avec l'amendement n° 20 l'amendement n° 36 de M. Joly, ce qui faciliterait le débat ! (M. le rapporteur fait un signe d'assentiment.)
J'appelle donc en discussion l'amendement n° 36, présenté par M. Joly et tendant à insérer, après l'article 5 ter , un article additionnel ainsi rédigé :
« Il est inséré après l'article 15 de la loi du 27 septembre 1941 un article ainsi rédigé :
« Art. ... - Lorsque des vestiges archéologiques de caractère immobilier sont découverts fortuitement et qu'ils donnent lieu à une exploitation commerciale, la personne qui assure cette dernière verse à l'inventeur une indemnité forfaitaire à titre de récompense. Cette indemnité forfaitaire est calculée selon des modalités fixées par décret en Conseil d'Etat. »
La parole est à M. Joly. M. Bernard Joly. Pour ne pas allonger le débat, je dirai simplement que cet amendement concerne les découvertes fortuites et qu'il me semble opportun de prévoir une récompense pour l'inventeur.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 36 ?
M. Jacques Legendre, rapporteur. Cet amendement vise à régler la question des droits de l'inventeur pour les découvertes fortuites faisant l'objet d'une exploitation commerciale.
Le texte prévoit le versement d'une indemnité forfaitaire à l'inventeur par la personne qui exploite le vestige. Cette solution semble à la fois équitable pour l'inventeur et respectueuse des droits du propriétaire du terrain. Voilà pourquoi la commission est favorable à cetamendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Michel Duffour, secrétaire d'Etat. Cet amendement n° 36 est assez proche de l'article 5 ter , même si ce qui est proposé en réduit nettement la portée pour l'inventeur.
Je vais être très franc avec M. Joly. Dans un premier temps, nous avions été nous-mêmes tentés par une telle rédaction. C'est tout le travail accompli avec la Chancellerie qui nous a dissuadés.
Je ne reprendrai pas l'ensemble de notre argumentation, mais, sans le renversement préalable de la présomption de l'article 552 du code civil, la loi ne peut pas prévoir que la personne qui assure l'exploitation, qui pourra être le propriétaire du terrain, verse à l'inventeur une indemnité de récompense, car cela reviendrait à exproprier sans indemnité le propriétaire d'une partie de son fructus .
C'est donc tout ce travail accompli avec la Chancellerie qui nous a menés à cette conclusion et c'est sur cette base-là que nous sommes défavorables à l'amendement n° 36.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 20, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 5 ter est supprimé.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 36.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je vous remercie, monsieur le président, d'avoir accédé à ma demande, au moins en partie. Je veux dire par là que si la discussion n'a pas été vraiment commune, chacun a pu néanmoins exposer son point de vue, notamment le Gouvernement et le rapporteur.
Selon moi, il est possible d'affirmer qu'o, peut faire une exception à l'article 552 du code civil sans le dire, à la différence de ce que pense la Chancellerie. Il est vrai que cela peut entraîner un contentieux important mais, après tout, si la loi prévoit quelque chose de particulier dans ce cas précis, je ne pense pas que cela soit vraiment incompatible avec l'article 552 du code civil qui pose une règle de principe.
A la différence de l'article 5 ter nouveau - ancien maintenant puisqu'il vient d'être supprimé - l'amendement n° 36 réserve une récompense à l'inventeur lorsque la découverte donne lieu à une exploitation commerciale. Dans le cas contraire, il n'a droit à rien, ce qui ne me paraît être ni logique ni juste.
Vous ajoutez ensuite que cette indemnité est forfaitaire et calculée selon des modalités fixées par décret en Conseil d'Etat. Mais l'article 5 ter allait plus loin : il précisait que l'indemnité était calculée « en relation avec l'intérêt archéologique de la découverte et dans des limites et selon des modalités fixées par décret en Conseil d'Etat ».
Excusez-moi de vous dire, monsieur Joly, qu'en fait votre amendement - je ne trouve pas d'autres mots, ne m'en veuillez pas - est une caricature de l'article 5 ter . Il aura toutefois le mérite de laisser la question en navette. J'espère bien que l'Assemblée nationale rétablira l'article 5 ter .
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 36, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 5 ter .

Article 6