SEANCE DU 5 OCTOBRE 2000


M. le président. La parole est à M. Legendre.
M. Jacques Legendre. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, quand on veut minimiser une réalité fâcheuse, on en change le nom. C'est ce que la majorité plurielle pratique depuis pas mal de temps déjà. (M. René-Pierre Signé s'exclame.)
Un voyou brûle-t-il une voiture ? Ce n'est plus un vol, c'est une « incivilité ». Si un professeur est agressé dans un établissement, ce n'est, bien sûr, qu'une « incivilité ».
Un abribus cassé, une cabine téléphonique brisée, c'est une « incivilité », vous dis-je !
M. Henri Weber. Quelle pauvreté de vocabulaire !
M. Jacques Legendre. Ce refus de voir la réalité dans sa brutalité, et donc de la nommer, ce laxisme, pour tout dire, semble atteindre à présent le Gouvernement lui-même, et ce au point de réduire à de simples « incivilités » des actes d'une réelle gravité.
M. Ivan Renar. Le poumon, vous dis-je ! (Rires sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Jacques Legendre. Bon nombre de mes collègues et moi-même avons été choqués, monsieur le Premier ministre, des prises de position de certains ministres, mais qui engagent - est-il besoin de le rappeler ? - l'ensemble du Gouvernement, en faveur de José Bové, inculpé pour le saccage d'un Mac Do.
Ainsi, le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, Mme Voynet, avait fait savoir que des membres de son cabinet participeraient à la manifestation organisée à Millau pour soutenir José Bové ; ainsi, le ministre de la jeunesse et des sports, Mme Buffet, à l'annonce du jugement - je dis bien du « jugement » - condamnant José Bové à trois mois de prison ferme, a exprimé toute sa sympathie pour le condamné.
Les partis de la gauche plurielle ont eux-mêmes surenchéri, en dénonçant cette décision de justice. Les Verts l'ont qualifié de « vraie provocation ». M. Robert Hue a qualifié cette décision de profondément injuste et déclaré qu'« il était intolérable de voir l'action syndicale criminalisée ».
Discréditer les décisions de justice est encore condamnable, au titre de l'article 434-25 du code pénal, même si un député récemment promu ministre, M. Schwartzenberg, voulait, dans une proposition de loi déposée le 19 janvier 2000, autoriser un tel comportement.
Il est déplorable que des membres du Gouvernement se permettent, dans l'exercice de leurs fonctions, de critiquer une décision de justice, alors même que ce Gouvernement ne cesse d'invoquer les valeurs de la citoyenneté.
M. Ivan Renar. Je suis contre la condamnation de Jésus-Christ ! (Rires sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Jacques Legendre. Monsieur le Premier ministre, avez-vous donné des instructions pour que de tels comportements ne se renouvellent pas ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Monsieur le sénateur, la condamnation par le tribunal correctionnel de Millau d'une personnalité, d'un syndicaliste, a fait effectivement l'objet de nombreuses déclarations et de commentaires de la part de personnalités politiques.
A cet égard, je me permettrai simplement de vous rappeler qu'il n'est pas interdit de commenter une décision juridictionnelle. Ce qui est interdit, c'est de le faire dans des termes qui portent atteinte à l'autorité de la justice. Aucun membre du Gouvernement ne l'a fait.
Monsieur le sénateur, je pourrais vous rappeler, ainsi qu'à d'autres de vos collègues, que, à la suite d'un certain nombre de manifestations faites par d'autres, parfois dans le même milieu agricole, j'ai souvent entendu des propos indulgents ou des appels à l'indulgence. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
Je considère donc que cela fait partie du débat politique, et les membres du Gouvernement, qui, certes, doivent mesurer l'emploi de leurs termes, n'échappent pas au débat politique et à l'échange démocratique.
Si je me permets de vous répondre, alors que c'est M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement qui devait le faire - je le prie de m'en excuser - c'est que je ne peux pas vous laisser dire, en présence du ministre de l'intérieur, que nous resterions insensibles à l'une des préoccupations les plus importantes de nos concitoyens après la lutte contre le chômage, dont M. Laurent Fabius a parlé avec éloquence et précision voilà un instant, à savoir les problèmes de l'insécurité.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Nous savons très bien distinguer ce qui relève de l'incivilité, ce qui relève du délit et ce qui relève du crime ! Aussi bien la justice dans son indépendance, la ministre de la justice par ses orientations générales de politique pénale que le ministre de l'intérieur ou le Gouvernement - qui intervient aussi sur le plan économique et social ; car agir sur la situation économique et sociale, c'est modifier les données générales dans lesquelles se posent ces problèmes de crimes, de délits, de violence ou d'incivilité - considèrent que la lutte contre l'insécurité est au premier plan de leurspriorités.
M. Alain Lambert. Il est temps de le dire !
M. Lionel Jospin, Premier ministre. D'ailleurs, le précédent ministre de l'intérieur, M. Chevènement, s'inspirant d'idées auxquelles son successeur avait contribué dans un autre cadre, a conçu et mis en place la police de proximité qui illustre, en contact avec nos concitoyens, notre volonté de lutter contre l'insécurité.
Je crois que, à travers toute une série de manifestations, de rencontres, de décisions, nous avons marqué cette volonté.
M. Alain Gournac. Cela ne marche pas !
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Je le rappelle aujourd'hui, non pas que cela soit nécessaire, mais simplement pour corriger ce que votre propos, monsieur le sénateur, pouvait avoir d'inexact. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que certaines travées du RDSE).
M. Alain Lambert. Ce n'est pas une réponse !
M. le président. Nous en avons terminé avec les question d'actualité au Gouvernement.
Nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)

PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER