Séance du 06 juin 2000






ADAPTATION FRANCS-EUROS
DANS LES TEXTES LÉGISLATIFS

Adoption d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 330, 1999-2000), adopté par l'Assemblée nationale, portant habilitation du Gouvernement à adapter par ordonnance la valeur en euros de certains montants exprimés en francs dans les textes législatifs. [Rapport n° 372 (1999-2000).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l'entrée dans l'euro, réalisée le 1er janvier 1999, constitue une étape essentielle de l'histoire politique et économique de l'Europe et de notre pays.
En effet, en décidant de mettre en commun l'un des attributs essentiels de leur souveraineté, les Etats de la zone euro ont permis une intégration renforcée de l'Europe sur les plans économique, monétaire et financier.
Ils ont également franchi un pas important vers une union politique plus étroite.
Cette intégration monétaire fut un processus long et progressif, dont la dernière étape est fixée au 1er janvier 2002, date à laquelle les monnaies nationales disparaîtront pour laisser définitivement place à la monnaie unique.
Cette dernière phase sera la plus visible, mais aussi la plus délicate pour nos concitoyens, puisqu'il faudra que chacune et chacun s'adapte à la nouvelle monnaie.
Vous savez que le Gouvernement a entrepris diverses actions pour que tous les acteurs de la vie économique - particuliers, entreprises, associations et administrations - soient pleinement partie prenante de ce passage à l'euro. Il a lancé, à cette fin, une vaste campagne d'information auprès du grand public et des entreprises.
L'Etat n'est pas resté à l'écart de ce mouvement général et une structure interministérielle de préparation des administrations au passage à l'euro a été créée, dite « Mission euro ».
Il faut aujourd'hui parachever ces efforts à destination de nos contitoyens en veillant à ce qu'ils n'aient pas l'impression que la monnaie unique se fait sans eux.
Réussir le passage à l'euro dans la clarté et sans qu'une partie des Français aient le sentiment de rester au bord de la route, voilà la tâche qui nous attend !
Le projet de loi d'habitation qui vous est soumis contribue, en réalisant l'adaptation de notre législation au passage à l'euro, à préparer l'échéance du 1er janvier 2002 pour que l'euro soit pour tous une réussite.
Dans la perspective de l'abandon définitif des monnaies internes par chaque Etat membre, le Conseil de l'Union européenne a prévu que les références aux unités monétaires nationales figurant dans les textes normatifs doivent, à compter du 1er janvier 2002, être lues comme des références à l'euro.
Ainsi, toutes les références au franc figurant dans nos lois et décrets devront être considérées, sans qu'il soit besoin pour cela de prendre des mesures nationales particulières, comme des références à l'euro.
Cette opération automatique doit être effectuée conformément aux règles de conversion et d'arrondi issues du règlement européen, ce qui conduira à rendre certains montants exprimés en francs moins « lisibles » et par conséquent plus difficilement applicables.
A titre d'exemple, l'amende de 300 000 francs prévue en cas de vol par l'article 311-3 du code pénal devra automatiquement être lue, à compter du 1er janvier 2002, comme étant d'un montant de 45 734,71 euros.
De même, le montant minimal du capital social d'une SARL, soit 50 000 francs, devrait être lu comme étant de 7 622,45 euros.
Chacun conviendra que ces montants sont plus difficiles à mémoriser que les anciennes valeurs en francs et que certaines références risquent de perdre leur valeur symbolique ou pédagogique.
C'est pourquoi le Gouvernement propose d'anticiper sur la conversion automatique et d'adapter certains montants convertis, afin de maintenir leur lisibilité.
Pour reprendre l'exemple du capital social minimal d'une SARL, il pourrait être fixé à 7 500 euros, valeur qui s'écarte d'à peine 1,6 % du montant converti automatiquement, mais qui sera bien plus facile à identifier et à mémoriser pour les utilisateurs.
Bien entendu, il n'est nullement question de modifier, à cette occasion, le fond des règles de droit en vigueur. Il est simplement question d'assurer le maintien de la clarté et de l'efficacité des montants inscrits dans les normes juridiques.
Il va par ailleurs de soi que les adaptations doivent rester marginales et ne concerner que les textes pour lesquels il serait problématique ou dommageable de s'en tenir au montant résultant de la conversion communautaire.
J'en viens maintenant aux principes qui devront guider le Gouvernement pour procéder par ordonnance, puisque tel est le choix qui a été fait, plutôt que de soumettre au Parlement un projet de loi d'adaptation.
Les textes de notre corpus législatif concernés par cette conversion sont extrêmement nombreux, le plus souvent techniques et touchent à des domaines variés.
Il a fallu trois ans au groupe de travail interministériel pour faire le tri entre ceux qui pourraient s'accommoder des règles de conversion automatiques et ceux qui nécessitent, au contraire, des adaptations particulières, et pour mesurer les impacts économique, social, fiscal et budgétaire des modifications envisagées.
Afin que ces adaptations ne dépassent pas ce qui est strictement nécessaire pour garantir la lisibilité de notre législation, le Gouvernement s'est lui-même fixé des lignes directrices précises encadrant strictement l'action de tous les ministères concernés.
Premièrement, comme je l'ai déjà dit, l'adaptation envisagée s'appliquera non pas à l'ensemble des références en francs, mais seulement à celles qui peuvent difficilement s'accommoder de valeurs comportant deux chiffres après la virgule.
Deuxièmement, l'ensemble des adaptations suivra un principe de neutralité financière globale, destiné à éviter que, d'un côté, les particuliers et les entreprises, de l'autre, l'Etat, les collectivités locales ou les établissements publics ne soient financièrement favorisés ou désavantagés.
Troisièmement, une harmonisation des solutions pour des seuils et montants comparables ou relevant d'une même matière a été recherchée.
Quatrièmement, pour les sanctions pécuniaires, quelle qu'en soit la nature - pénale, fiscale, civile, etc. - le nombre très élevé de textes concernés et la nécessité d'un traitement homogène conduisent à retenir systématiquement un arrondi à la baisse, afin de ne pas aggraver la répression des infractions à l'occasion du passage à l'euro.
Cinquièmement, en matière de législation fiscale, les seuils, abattements et tarifs très nombreux qui figurent dans le code général des impôts et dans le livre des procédures fiscales feront l'objet d'un traitement cohérent et aussi neutre que possible compte tenu des enjeux budgétaires.
Dans tous les cas, le Gouvernement a eu le souci d'encadrer les variations de montant autorisées et il a pris des engagements très précis en ce sens.
Le projet de loi d'habilitation prévoit également des dispositions spécifiques d'habilitation pour les territoires d'outre-mer concernés par cette adaptation.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux encore une fois insister sur les conséquences majeures sur la vie quotidienne de nos concitoyens qu'aura le changement de monnaie fiduciaire.
Ceux d'entre nous qui ont connu le passage au nouveau franc voilà plus de quarante ans savent combien les signes monétaires et la valeur des choses qu'ils expriment sont profondément enracinés dans l'expérience vécue de nos concitoyens. Nous mesurons tout le travail que chaque usager devra fournir pour se familiariser avec les nouveaux montants libellés en euros.
Laisser aux ménages, entreprises et administrations un délai d'un an pour se familiariser avec les nouveaux montants avant qu'ils ne s'appliquent légalement sera aussi un facteur de réussite du passage à l'euro. Tel est bien l'objet du texte qui vous est soumis.
Il me reste à remercier votre commission des finances et son rapporteur, M. Denis Badré, pour le travail accompli. Son rapport démontre que, tant sur les objectifs que sur les moyens de les atteindre, le Gouvernement et le Sénat sont à l'unisson sur ce sujet européen. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Denis Badré, rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Le présent projet de loi vise à habiliter le Gouvernement - vous le rappeliez à l'instant, madame la ministre - à adapter par ordonnance, en vertu de l'article 38 de la Constitution, la valeur en euros de certains montants exprimés en francs dans les textes législatifs.
Je vous rappelle que, le 31 décembre 1998, le taux de conversion de l'euro vis-à-vis du franc a été fixé de manière irrévocable à 6,559 57 francs pour un euro, avec un arrondi à la deuxième décimale. Le lendemain, l'euro est devenu la monnaie unique de onze pays de l'Union européenne.
L'application directe des règles de conversion édictées au niveau communautaire présenterait un défaut évident : les montants monétaires figurant dans les textes législatifs et réglementaires traduits en euros comporteraient, dans la plupart des cas, des décimales. Ils seraient donc illisibles et de mémorisation quasi impossible.
Ce fait serait préjudiciable à la bonne appréhension, donc à la bonne application, de la réglementation, ce qui serait fâcheux en soi. J'ajoute qu'il desservirait également l'idée européenne en donnant des arguments à ceux qui cherchent toutes les occasions pour dire que « l'Europe, c'est compliqué », ce qui doit être évité. Votre projet de loi, madame la ministre, poursuit donc un objectif pédagogique, et nous ne pouvons que l'apprécier.
J'ajoute qu'il vient à point en un temps où, derrière le débat sur l'euro faible ou fort, on constate une relative baisse d'intérêt de l'opinion pour un sujet qui, tout bien considéré, est estimé, par certains, comme très loin derrière nous et, dès lors, tout à fait acquis ou, par beaucoup d'autres, pas encore mûr, ni encore présent et donc prématuré.
En prévoyant des dispositions particulières visant à adapter les règles de conversion afin que certaines valeurs figurant en euros dans les textes législatifs, en particulier les seuils et les amendes, ne comprennent pas de décimales ou soient suffisamment arrondies pour être compréhensibles et mémorisables pour tous, il doit enfin contribuer à éviter l'apparition de nouvelles angoisses face à l'euro, notamment chez les personnes âgées.
L'objectif du texte est donc bon en un temps où la mise en place pratique de l'euro doit se poursuivre sans relâche et de manière méticuleuse.
Pour mesurer l'exacte portée de ce texte, il convient toutefois d'insister sur le fait que seuls les textes législatifs sont visés.
Rappelons brièvement dans quel contexte s'inscrit ce projet de loi.
Le Conseil européen de Madrid, en décembre 1995, a clairement établi le calendrier de passage à la monnaie unique.
Le 2 mai 1998, les chefs d'Etat et de Gouvernement, réunis à Bruxelles, ont décidé de leur participation à l'Union économique et monétaire, tandis que, le lendemain, le conseil ECOFIN a déterminé les préparités de change bilatérales définitives pour les monnaies des pays membres de l'Union économique et monétaire.
L'euro a été créé le 1er janvier 1999. Mais ce n'est qu'à partir du 1er janvier 2002 que les pièces et les billets en euros seront mis en circulation.
Il avait été prévu que les monnaies nationales subsisteraient en même temps que les pièces et les billets en euros jusqu'au 1er juillet 2002 en tant que subdivisions non décimales de l'euro.
Je considérais personnellement que la durée de cette période d'introduction de l'euro facial retenue par le traité de Maastricht - six mois - était trop longue. Je me réjouis que, au cours de sa réunion du 11 février dernier, le Comité national de l'euro ait décidé de ramener cette période de double circulation de six mois à six ou huit semaines. Cette annonce est opportune. C'est une manière de confirmer que tout se passe bien et que les inévitables problèmes posés par une opération d'une telle envergure sont traités les uns après les autres, en temps et en heure.
Par ailleurs, il me paraît fâcheux et très peu justifié que des frais de change continuent à être perçus au sein de la zone euro. Madame la ministre, je souhaiterais que vous puissiez me faire part de votre position sur ce sujet en m'indiquant notamment si le Gouvernement a l'intention de dénoncer cette situation et de faire le nécessaire pour qu'elle cesse.
D'une manière générale, la coexistence de plusieurs formes d'une même monnaie conduit, au cours de la période transitoire, à d'innombrables opérations de conversion qui donnent lieu à des arrondis, donc à l'apparition d'écarts de valeur résultant de ces arrondis.
Afin de permettre à l'ensemble des pays européens de résoudre ce problème de manière homogène, le règlement communautaire du 17 juin 1997 a fixé un cadre général et des règles précises quant aux techniques de conversion utilisées. En particulier, le taux de conversion doit comporter six chiffres significatifs, c'est-à-dire cinq chiffres après la virgule pour la France. Les règles édictées au niveau communautaire sont relativement simples et logiques, mais leur portée pratique ne manque pas, parfois, de poser problème.
Sur le plan national, la loi du 2 juillet 1998 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier a harmonisé les règles d'arrondi en matière fiscale et sociale, en prévoyant que les bases des impositions de toute nature sont arrondies au franc ou à l'euro le plus proche et que la fraction de franc ou d'euro égale à 0,50 est comptée pour 1, toute disposition contraire étant abrogée.
Le contexte du projet de loi soumis à notre examen est également marqué par l'utilisation encore confidentielle de l'euro en tant que monnaie scripturale. Je me permets de vous renvoyer à mon rapport écrit sur ce sujet.
M. Michel Charasse. Excellent rapport !
M. Denis Badré, rapporteur. Merci, mon cher collègue.
Les chiffres montrent que le niveau des transactions en euros reste très faible en France.
M. Paul Loridant. C'est bien vrai !
M. Denis Badré, rapporteur. Il convient donc de relancer la communication dans la perspective de l'introduction de l'euro et de développer les actions pédagogiques nécessaires pour mieux préparer nos concitoyens à l'utilisation d'une monnaie qui est déjà complètement la leur.
Il est essentiel d'éviter que le passage à la monnaie unique ne crée des « exclus de l'euro ». Il faut donc amplifier les actions d'information et de sensibilisation dirigées vers les entreprises - celles qui existent sont bonnes mais il faut toujours aller plus loin - vers les publics scolaires et, surtout, vers ceux qui peuvent éprouver le plus de difficultés à s'adapter à l'euro.
Le basculement effectif sera d'autant mieux vécu que les opérations prévues au cours de la deuxième quinzaine du mois de décembre 2001 seront bien préparées, en particulier en ce qui concerne la préalimentation en pièces des particuliers, préalimentation qui interviendra par la mise à la disposition du public de « porte-monnaie euro » d'une valeur de 100 francs.
Il conviendra également de veiller à la bonne marche de l'adaptation des différents automates, des distributeurs automatiques de billets en particulier. De même, les particuliers seront davantage sensibilisés à l'euro si les factures, bulletins de paye ou relevés bancaires - n'est-ce pas, mon cher collègue Loridant ? (M. Loridant agite un chéquier en euro) - portent en caractères plus grands l'ensemble des mentions en euro qui restent encore trop souvent confidentielles.
Il faudra progressivement passer d'un système dans lequel les valeurs en francs sont marquées en caractères gras et les valeurs en euro en plus petit à un système inverse.
Toutefois, en elle-même, la faible utilisation de l'euro scriptural n'est pas inquiétante. Elle est même normale. En effet, je rappelle que l'euro est déjà la monnaie de la France, le franc n'existant plus, sinon en apparence, que comme l'expression non décimale de l'euro. Les particuliers utilisent l'euro sans le savoir, comme M. Jourdain faisait de la prose. Dès lors, pourquoi se compliqueraient-ils l'existence à utiliser deux expressions de la même monnaie ? Ils continuent à travailler en francs. Il semble qu'ils préfèrent logiquement attendre l'introduction des pièces et des billets, donc le 1er janvier 2002. A chaque jour suffit sa peine, se disent-ils !
Aujourd'hui, nous en sommes au présent projet de loi.
Pour rédiger son projet d'ordonnance le Gouvernement s'est appuyé sur les travaux menés par un groupe de travail interministériel ad hoc .
La préparation des administrations publiques à l'introduction de l'euro a débuté par une circulaire du Premier ministre en date du 22 mars 1996, il y a quatre ans déjà.
Un groupe de travail interministériel a été créé en juillet 1996 afin d'étudier plus spécifiquement les conséquences de l'introduction de l'euro sur les effets de seuil. Il a reçu pour mission de recenser l'ensemble des textes législatifs et réglementaires affectés par le passage à l'euro tout en veillant à ce que les références chiffrées conservent une signification claire pour les agents économiques. Il a également été chargé de mesurer toutes les conséquences des adaptations envisagées, ainsi que celles qui pourraient découler d'un éventuel franchissement de seuils.
A ce point de mon intervention, je me permets, madame la ministre, de vous poser une question particulière relative à la conversion en euro de la valeur du point d'indice de la fonction publique. Quand le Gouvernement va-t-il y procéder ? Il avait été question de juillet 2000. Selon quelles modalités va-t-il le faire ?
Le groupe de travail interministériel a opéré une distinction entre quatre catégories de textes comportant des références monétaires en fonction du degré d'adaptation à réaliser en vue de l'introduction de l'euro, en allant du plus simple au plus compliqué.
La première catégorie comprend les textes qui font l'objet d'une revalorisation annuelle au 1er janvier de chaque année et qui ne devraient pas entraîner de difficultés particulières.
Viennent ensuite les textes qui ne sont soumis à aucun impératif de lisibilité ou qui ne présentent pas de caractère symbolique, si importants soient-ils, tels que les rémunérations des fonctionnaires ou les prestations sociales.
Puis, nous trouvons les textes qui doivent rester lisibles mais dont l'adaptation aurait peu de conséquences financières, comme les seuils indicatifs.
Enfin, la dernière catégorie comprend les textes les plus complexes, ceux qui sont soumis à un impératif de lisibilité et dont l'adaptation entraînerait des conséquences financières importantes ; il en existe environ 700. Ce sont eux qui nous intéressent en premier lieu.
En raison de l'impossibilité de recourir à une seule méthode d'adaptation, le groupe de travail a pragmatiquement retenu quatre recommandations qui cadrent le projet d'ordonnance que vous avez préparé.
Première recommandation : le projet d'ordonnance doit être juridiquement neutre. L'adaptation des textes ne doit entraîner aucune modification du droit existant. Ainsi, le nouveau libellé des montants des sanctions ne doit pas aggraver celles-ci.
Deuxième recommandation : le projet d'ordonnance doit être financièrement neutre. L'adaptation des références chiffrées ne doit se traduire ni par une augmentation des dépenses publiques ni, bien sûr, par une diminution de ressources.
Troisième recommandation : le projet d'ordonnance doit conserver, dans la mesure du possible, la même échelle de référence pour les montants exprimés en francs et pour ceux qui sont exprimés en euros après conversion.
Quatrième recommandation, enfin : le projet d'ordonnance doit confirmer l'entrée en vigueur au 1er janvier 2002 des montants relibellés.
Ces recommandations vont peut-être de soi, vont peut-être sans dire, mais je pense qu'elles vont encore mieux en le disant !
L'objet de l'ordonnance relève donc d'une simple traduction, elle n'a pas vocation à reprendre sur le fond des textes législatifs qui ne doivent pas être revus.
J'ajouterai enfin quelques mots sur la situation outre-mer.
Les différentes collectivités territoriales sont dans des positions variées face à la monnaie unique. Leurs régimes juridiques sont différents, comme l'est leur situation vis-à-vis des dispositions du traité de Maastricht. Je ne reprends pas ici les détails qui figurent dans mon rapport écrit. Je rappelle simplement que, à partir du 1er janvier 2002, les départements d'outre-mer, Saint-Pierre-et-Miquelon et Mayotte, qui utilisent actuellement le franc français, passeront à l'euro tandis que les territoires d'outre-mer et la Nouvelle-Calédonie continueront d'utiliser le franc Pacifique.
Je conclurai en évoquant les modifications apportées par l'Assemblée nationale au présent projet de loi. En effet, confirmant l'importance des principes retenus par le groupe de travail interministériel, l'Assemblée nationale a donné une portée législative à deux des quatre recommandations que celui-ci a faites : celles qui concernent la neutralité financière et la neutralité juridique.
En outre, elle a limité au 2 octobre 2000, date de la reprise de nos travaux d'automne, l'habilitation à procéder par ordonnance. Les dispositions à prendre étant, dans leur ensemble, pratiquement prêtes, je pense que le Gouvernement verra plutôt dans cette date butoir une obligation de résultat. Cela me paraît opportun dans le cadre d'un calendrier de mise en place de l'euro qui ne doit en aucun cas se relâcher.
Approuvant ces dispositions, qui relèvent de la nécessaire prudence dont il faut faire preuve face à un exercice inédit, la commission vous propose, mes chers collègues, d'adopter tel quel le projet de loi qui vous est soumis. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, ce projet de loi, dont le caractère relativement technique apparaît assez clairement dans l'exposé des motifs, soulève de notre point de vue un certain nombre de questions.
En premier lieu, je souhaite faire remarquer que, par principe, je demeure hostile à toute démarche législative qui conduirait le Parlement à se dessaisir de ses prérogatives. Ainsi, le recours à l'article 38 de la Constitution ne me satisfait pas ; c'est une question de principe !
Certes, un grand nombre des adaptations qui sont prévues dans ce texte sont de pure forme. Néanmoins, elles sont suffisamment nombreuses pour que nous nous interrogions sur le recours à cette procédure.
Le texte lui-même pose, selon nous, deux questions essentielles : l'une sur la reconnaissance et la familiarité de nos concitoyens à l'égard de l'euro, l'autre sur le problème de la mise en place de la monnaie unique dans le contexte économique et monétaire international.
Lancé à grand renfort de publicité, l'euro est, aujourd'hui, vraiment loin d'être entré dans les moeurs de nos concitoyens. Il est vrai que notre bon vieux franc, avec sa stricte application du système décimal, présente par nature un caractère autrement plus simple que la monnaie européenne avec ses cinq décimales après la virgule.
Nous n'avons pas le bonheur d'être allemands et d'avoir une monnaie unique sensiblement égale à la valeur de deux deutsche marks, ce qui aurait le mérite de nous simplifier le travail de conversion.
L'exposé des motifs du projet de loi reconnaît lui-même la difficulté que pose la conversion des francs en euros en bien des domaines. Le Gouvernement se trouve donc contraint de mettre en application des ordonnances tendant à arrondir au plus près les résultats obtenus afin de les rendre intelligibles : juste préoccupation, madame la garde des sceaux !
Au vu du peu d'enthousiasme - le mot est faible - de la part de nos concitoyens à utiliser l'euro dans leurs achats quotidiens, cette préoccupation est vraiment une bonne chose.
Au demeurant, les consommateurs ne sont pas les seuls à bouder la monnaie unique. Les créateurs d'entreprises nouvelles, « branchés » de la net économie ou « débranchés » de la vieille économie, semblent encore aujourd'hui préférer indiquer que leur SARL dispose plutôt d'un capital de 50 000 francs que d'un capital de 7 622,45 euros, que l'on arrondit quelque fois à 7 600 euros ou à 7 620 euros.
Cela est d'autant plus étonnant que la monnaie unique est entrée officiellement en vigueur depuis plus de dix-huit mois et que, désormais, nous sommes également à dix-huit mois de la disparition définitive du franc dans l'espace national.
Nous pensons qu'il serait d'ailleurs judicieux que le Gouvernement indique à la représentation nationale, et plus largement à l'opinion publique, quel est le degré de pénétration de la monnaie unique dans les pratiques commerciales ou monétaires, en fait à quel niveau nos concitoyens sont-ils préparés au grand saut de la monnaie unique.
Sur ce sujet, je pourrais, madame la garde des sceaux, multiplier les anecdotes.
Ainsi, moi qui suis titulaire d'un chéquier en euros (L'orateur brandit un chéquier.) - il est vert, ce qui est déjà en soi une provocation - je n'ai pu placer que vingt-cinq chèques en un an. J'ai, par exemple, été obligé de menacer le percepteur de ma commune de poser une question écrite au ministre ! Il a fini par accepter mes chèques en euros. J'ai obtenu de payer également en euros la cantine à la mairie des Ulis. En revanche, dans cette maison-même, si vous voulez payer au restaurant avec un chèque en euros on vous répond que c'est impossible.
Autre exemple : lorsque l'on paie ses impôts avec un chèque en euros, il est débité trois semaines ou un mois plus tard qu'il ne l'aurait été si le chèque avait été libellé en francs.
Bref, madame la garde des sceaux, l'euro ça ne marche pas vraiment !
La grande question que pose ce texte est évidemment celle du rôle même de l'euro.
Certes, il n'entre pas dans l'objet de ce projet de loi de régler cette question. Néanmoins, il me semble important, à dix-huit mois à peine du basculement définitif, d'ouvrir ce débat que beaucoup aujourd'hui cherchent à éviter. Je serais donc tenté de dire, sans vouloir faire un jeu de mots facile : sur l'euro parlons franc !
Le problème essentiel de l'euro est que, dans les faits, il ne remplit pas les objectifs assignés. Je vous le rappelle, mes chers collègues, l'euro devait permettre à l'Europe unie de faire entendre sa voix dans le concert monétaire international, entrant ainsi en concurrence directe avec le dollar américain et le yen japonais en matière de règlements internationaux.
L'euro, disait-on, sera fort ou ne sera pas. La réalité est tout autre : l'euro est devenu l'objet d'une intense spéculation monétaire et a fait les frais de la politique monétaire américaine. Dix-huit mois après son lancement triomphal, il a perdu près de 25 % de sa valeur par rapport au dollar ou au yen.
Certes, nous ne nous en plaindrons pas, car la gestion « intelligente » de cette situation par les dirigeants de la Banque centrale européenne a permis de relancer les économies européennes et d'alléger le drame du chômage.
Je souhaite toutefois faire remarquer à la représentation nationale et aux tenants de la monnaie forte que cette embellie économique souligne a posteriori les dégâts humains et économiques causés par la politique du franc fort mise en oeuvre durant les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix.
Force m'est aussi de constater que cette bonne gestion de l'euro par la Banque centrale européenne, à l'origine de la salutaire reprise économique, est plutôt à mettre à l'actif du Federal Reserve Board, qui tente ainsi de contrôler la surchauffe de l'économie américaine. Qu'en sera-t-il demain lorsque les orientations de la politique monétaire américaine favoriseront un dollar faible ? Belle démonstration de l'indépendance monétaire qu'était censé nous apporter l'euro !
En réalité, cette situation pose clairement la question de l'indépendance de la Banque centrale européenne. Ce choix était-il et est-il encore pertinent ? Est-il le mieux à même de garantir que les orientations de la Banque centrale européenne favoriseront réellement des politiques budgétaires et monétaires susceptibles de conforter la croissance et, donc, d'asseoir la création monétaire sur la richesse effectivement produite ? J'en doute !
Les décisions prises récemment par la Banque centrale européenne, et notamment le relèvement des taux d'intérêt, favorisent, en fait, les poussées dépressives et le ralentissement de la croissance. Ces décisions malheureuses, justifiées plus par des choix idéologiques que par le sens des responsabilités, vont réduire le rythme de décrue du chômage et maintenir encore des millions de personnes dans les difficultés et dans la précarité.
Je dirai quelques mots, avant de conclure, sur la question de la convergence des politiques budgétaires et économiques des pays de l'Union, en tout cas de ceux qui sont pleinement engagés dans l'euro.
Force est de constater que ces politiques présentent, sur de nombreux points, des similitudes. La règle de la progression des dépenses publiques, la mise en oeuvre d'une politique de libéralisation à outrance des services publics sous la pression bienveillante de la Commission européenne, l'impossibilité de définir un cadre fiscal commun à l'ensemble des pays partenaires qui encourage, de fait, le dumping fiscal et favorise la persistance de véritables paradis fiscaux à une heure de Paris : telles sont les caractéristiques les plus marquantes de ces politiques menées au sein de l'Europe.
Quant à l'Europe sociale, on en parlera encore, j'en suis sûr, mes chers collègues, lors des prochaines élections européennes - c'était le cas dès les premières, en 1979 - et puis, une fois l'élection passée, on oubliera bien vite les bonnes intentions et les déclarations de principe... Ainsi va, dans la réalité, la construction européenne.
J'ai conscience que cela dépasse assez largement le cadre étroit de ce projet de loi, mais vous comprendrez que l'orientation précise des politiques que la Banque centrale européenne et la Commission, gardiennes du temple libéral, font suivre aux Etats participants est suffisamment critiquable pour que nous en fassions état dès que l'occasion se présente.
La construction européenne ne peut, de notre point de vue, être comprise et intégrée par les citoyens des pays de l'Union si sa traduction concrète se résume à toujours plus de sacrifices et d'efforts jamais véritablement récompensés.
On ne pourra, en particulier, faire partager un enthousiasme en matière de construction européenne tant que la Banque centrale européenne ne sera pas placée sous le contrôle démocratique des citoyens et de leurs élus et tant que le développement économique et la lutte contre le chômage ne feront pas partie intégrante des objectifs généraux de la Banque centrale européenne, comme c'est le cas de la Réserve fédérale américaine.
Sur la base de ces remarques, tout en soulignant, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, la grande qualité technique de ce texte, d'ailleurs amendé de manière positive par l'Assemblée nationale, le groupe communiste républicain et citoyen ne prendra pas part au vote. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Michel Charasse. Loridant... dur ! (Sourires.)
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Monsieur le président, je souhaite répondre à une question posée tout à l'heure par M. Badré sur les frais de change.
Il faut distinguer les frais de change au sens strict, qui ont été supprimés le 1er janvier 1999, et les commissions qui sont liées aux virements et autres opérations effectués au-delà des frontières. Ces derniers continuent d'être facturés par les banques.
Le Gouvernement souhaite que des progrès soient rapidement accomplis par les banques pour réduire ces frais. La Banque centrale européenne est très attachée à cet objectif et elle demande aux banques commerciales européennes d'aller dans ce sens.
Vous le voyez, monsieur le rapporteur, il s'agit dune question qui relève de pratiques commerciales et non pas de la réglementation publique.
M. Denis Badré, rapporteur. Il faut que les citoyens le comprennent !
M. Michel Charasse. Ce n'est pas demain la veille !
M. Paul Loridant. Vaste programme !
M. Michel Charasse. Il faut déjà qu'ils comprennnent pourquoi ils ont une monnaie qui se casse la gueule !
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

Article 1er

M. le président. « Art. 1er. - Dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre, par ordonnance, les mesures nécessaires :
« 1° A l'adaptation au passage à l'euro de certains montants exprimés en francs dans les textes législatifs, autres que ceux mentionnés au 2° ci-après ;
« 2° A la conversion en euros des montants exprimés en francs dans les textes législatifs spécifiques à la Nouvelle-Calédonie, aux territoires d'outre-mer et aux collectivités territoriales de Saint-Pierre-et-Miquelon et Mayotte, ainsi qu'à l'adaptation au passage à l'euro de certains de ces montants. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Articles 1er bis, 1er ter et 2