Séance du 16 mai 2000







M. le président. Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 325, M. Althapé, au nom de la commission des affaires économiques, propose d'insérer, après l'article 52, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Les véhicules ferroviaires destinés au transport régional de voyageurs dont l'acquisition a été financée par une région sont exonérés de taxe professionnelle.
« II. - Les pertes de recettes résultant du I sont compensées, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts, et le reversement par l'Etat aux collectivités concernées des montants correspondants. »
Par amendement n° 615, MM. Raffarin, Garrec, Haenel, Humbert et de Rohan proposent d'insérer, après l'article 52, un article additionnel rédigé comme suit :
« I. - Les véhicules ferroviaires destinés au transport régional de voyageurs dont l'acquisition a été financée par une région sont exonérés de taxe professionnelle.
« II. - Les pertes de ressources pour l'Etat résultant du I ci-dessus sont compensées, à due concurrence, par la création de taxes additionnelles aux droits visés aux articles 403, 575 et 575 A du code général des impôts. »
La parole est à M le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 325.
M. Louis Althapé, rapporteur. Dans le cadre de leurs nouvelles compétences en matière de transport ferroviaire régional de voyageurs, les régions vont être amenées à investir de façon massive au cours des prochaines années pour rajeunir leur parc de matériel ; il est proposé d'exonérer de taxe professionnelle le matériel roulant ferroviaire affecté au service public régional de transport de voyageurs.
On sait que la valeur locative du matériel est répartie entre toutes les communes dans lesquelles la SNCF dispose de locaux ou de terrains, proportionnellement à la valeur locative de ces éléments. Les différences de taux d'imposition entre les niveaux de collectivités font en sorte que 92 %, en moyenne, de la taxe acquittée est perçue par les autres niveaux de collectivités, chaque achat de véhicule ferroviaire se traduisant par un transfert annuel supplémentaire de la région aux autres collectivités de l'ordre de 2,76 % de sa valeur neuve.
L'effort d'investissement des régions se traduirait donc paradoxalement par des transferts financiers importants de la région au profit des autres niveaux de collectivités territoriales, bénéficiant ainsi d'une recette exceptionnelle supplémentaire dès lors que, en l'absence de transfert de compétence aux régions, l'investissement ne serait pas fait.
M. le président. La parole est à M. Raffarin, pour présenter l'amendement n° 615.
M. Jean-Pierre Raffarin. L'amendement n° 615 ne diffère de l'amendement n° 325 que par son gage. Je vais donc me rallier à ce dernier et à la position de la commission, dont je vois bien le caractère raisonnable, et je retire l'amendement n° 615.
Auparavant, je souhaite néanmoins confirmer les propos de M. le rapporteur sur l'accroissement exponentiel de la taxe professionnelle ferroviaire et sur cet effort d'investissement des régions qui a pour effet secondaire, mais important, de distribuer de la ressource sur le territoire infrarégional.
Il importe de relever la malice particulière de l'Etat dans toute cette mécanique : plus les régions investiront et plus l'Etat s'enrichira ! Cela est d'ailleurs vrai en toutes circonstances, et même lorsque les investissements interviennent à la suite d'une catastrophe, telle la dernière tempête : grâce à la taxe perçue sur les investissements des régions par l'Etat, ce dernier s'y retrouve toujours !
M. le président. L'amendement n° 615 est retiré.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 325 ?
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. La SNCF a bénéficié du droit d'allonger la durée d'amortissement à trente ans pour les rames TER de nouvelle génération acquises à compter du 1er janvier 1997. C'est sur cette base qu'elle a établi sa déclaration de taxe professionnelle pour l'année 2000. Il s'ensuit une diminution par deux de la taxe sur les nouveaux matériels, auxquels la SNCF devrait donc maintenant appliquer le taux de 1,5 % de la valeur neuve.
De plus, l'audit que j'ai cité tout à l'heure, sur lequel est fondée la dotation de l'Etat aux régions pour le renouvellement du parc de matériel roulant, intègre la taxe professionnelle due par les régions. Ce montant a été estimé à 2 % de l'investissement pendant trente ans.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 325.
M. Josselin de Rohan. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. de Rohan.
M. Josselin de Rohan. Nous attachons beaucoup d'importance à l'adoption de cet amendement. En effet, la région Bretagne, qui va investir sur vingt ans 1,5 milliard de francs, devra payer 300 millions de francs de taxe professionnelle. Nous allons donc verser quasiment un franc sur deux de taxe professionnelle au profit de certaines collectivités secondaires ou infrarégionales : quelques-unes en bénéficieront, mais pas toutes !
M. Ladislas Poniatowski. Absolument !
M. Josselin de Rohan. Par ailleurs, le propriétaire du matériel qui va être acquis sera non pas la région mais la SNCF ! Il s'agit vraiment là d'un marché de dupes inacceptable !
M. Pierre Hérisson. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Hérisson.
M. Pierre Hérisson. La durée d'amortissement du matériel de la SNCF étant de trente ans, le matériel de plus de trente ans sera donc transféré aux régions pour un franc symbolique, et la taxe professionnelle sera alors égale à zéro. Je voudrais être sûr d'avoir bien compris, monsieur le ministre.
M. Michel Mercier. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Mercier.
M. Michel Mercier. Je voudrais faire entendre un son un peu différent et vous faire tout d'abord remarquer, monsieur de Rohan, qu'il n'existe pas de collectivités « secondaire »...
M. Josselin de Rohan. Je voulais dire « infrarégionale » ! Vous êtes trop susceptible !
M. Michel Mercier. Je ne suis pas exagérément susceptible, mais j'appartiens à un département qui a toujours financé le transport ferroviaire ; il l'a fait avant même la région Rhône-Alpes, et il va continuer.
M. Josselin de Rohan. Très bien !
M. Michel Mercier. C'est à mon avis une très bonne chose.
En l'espèce, il s'agit de réunir les collectivités locales plutôt que de les opposer. C'est en tout cas toujours ce que je recherche.
Autant je crois que les régions sont particulièrement bien fondées à réclamer les ressources nécessaires pour accomplir leurs missions - et j'espère que régions, départements et communes pourront reprendre le combat mené tout à l'heure, lors de l'examen du collectif budgétaire, car le sort réservé aux collectivités locales sur ce point n'est pas acceptable - autant, en ce qui concerne la taxe professionnelle, je comprends parfaitement que les régions ne souhaitent pas subventionner les autres collectivités locales. Mais peut-être faut-il tenir compte, pour réaliser tous les calculs financiers, des situations quelque peu différentes pouvant exister d'une région à une autre et de l'aide non négligeable que d'autres collectivités peuvent éventuellement apporter à la région.
Néanmoins, compte tenu du sort réservé aux régions, je suis prêt à soutenir l'amendement n° 325 ; je voulais cependant rappeler que d'autres collectivités pouvaient également participer de façon non négligeable au financement du réseau ferroviaire.
M. Alain Vasselle. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. Je considère cet amendement comme un amendement d'appel, car les interventions faites à la fois par MM. Josselin de Rohan et Michel Mercier m'apparaissent toutes les deux fondées.
Les dispositions législatives actuelles ne sont en rien satisfaisantes, car le sujet évoqué pose un double problème.
S'agissant de la question soulevée par M. de Rohan, il me paraît tout à fait surprenant, voire totalement incompréhensible, qu'on puisse faire supporter à une collectivité telle que la région une taxe professionnelle sur des biens dont elle n'est pas propriétaire ; ce dispositif présente donc une certaine incohérence législative, voire réglementaire.
Le second problème, évoqué par M. Michel Mercier, est aux antipodes de celui-là. Je peux témoigner ici du fait que la collectivité départementale de l'Oise, au sein de laquelle je siège, a été partie prenante dans des opérations financières tendant à améliorer des trains régionaux, aux côtés de la région Picardie. Nous participons donc sur nos deniers départementaux, aux côtés de la région, à l'amélioration des services ferroviaires.
M. Jean-Louis Carrère. Ça, c'est bien !
M. Alain Vasselle. On ne peut pas, par conséquent, considérer que seule la région en supporte la dépense et qu'il faut priver les autres collectivités du produit de cette taxe professionnelle.
Le problème se pose en termes non pas d'opposition entre la région, les départements et les communes, mais de dispositions législatives complètement incohérentes : il ne me paraît pas du tout justifié que l'on fasse supporter à la région une taxe professionnelle pour des biens dont elle n'est pas propriétaire. Le problème, à mon avis, est là.
Monsieur le ministre, il serait intéressant que vous nous donniez votre avis sur ce sujet et que vous nous indiquiez les avancées législatives que nous pourrions espérer pour que l'ensemble du dispositif soit marqué par un peu plus de cohérence.
M. Ladislas Poniatowski. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Poniatowski.
M. Ladislas Poniatowski. Je voudrais moi aussi apporter mon soutien total à l'amendement n° 325.
Je suis extrêmement sensible à l'un des deux arguments de Josselin de Rohan : il me paraît en effet tout à fait anormal que, dans chaque région, pour des raisons de service public, la totalité des contribuables participant à la modernisation du parc ferroviaire alors que la taxe professionnelle ne profitera qu'à quelques communes - deux ou trois par région, pas plus - les bénéficiaires étant uniquement les villes dans lesquelles existe un dépôt ferroviaire.
C'est la raison pour laquelle je voterai l'amendement n° 325, qui me semble excellent.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Tout d'abord, il existe des règles de principe qui, même si l'on peut discuter du bien-fondé de tel ou tel aspect - la question de la propriété, par exemple - sont applicables dans le cas présent comme elles le sont pour d'autres activités, notamment portuaires.
Par conséquent, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement part d'une réalité, dont on peut certes discuter, et n'essaie nullement de bâtir je ne sais quoi à partir de la régionalisation. Il s'agit simplement de l'application de règles déjà existantes. Mais disant cela, je ne suis pas en train de considérer que la question ne se pose pas.
J'en viens à l'amendement n° 325. Mon cabinet ministériel a beaucoup travaillé à la recherche d'une solution et de propositions sur cette question, mais il s'est heurté à ce que j'appellerai « le principe d'égalité » : en quoi ce qui serait vrai pour tel type de matériel au niveau régional ne le serait-il pas au niveau national ?
M. Henri de Raincourt. C'est une vraie question !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Nous nous sommes heurtés à cette question-là, mais - et c'est vrai pour l'ensemble du débat que nous avons depuis un moment - cela ne veut pas dire que le problème ne doit pas être étudié plus avant et que la réflexion ne doit pas se poursuivre.
C'est en ce sens que le fait d'invoquer l'article 40, tout à l'heure, ne signifiait nullement une absence de volonté du Gouvernement d'avancer sur chacune des questions, avec, comme je l'ai indiqué tout à l'heure, le souci du développement.
Le Gouvernement émet donc - je le confirme - un avis défavorable sur l'amendement n° 325.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 325, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 52.
Mes chers collègues, il est dix-neuf heures quarante-cinq, et la conférence des présidents doit se réunir à vingt heures, afin d'établir - ce qui posera sans doute quelques problèmes - le programme des séances à venir.
M. Pierre Hérisson. Jusqu'à quelle heure allons-nous siéger cette nuit, monsieur le président ?
De nombreux sénateurs sur toutes les travées. Oui, jusqu'à quelle heure ?
M. le président. Il appartiendra précisément à la conférence des présidents d'en décider, mes chers collègues !
Nous allons donc interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante-cinq, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Paul Girod.)