Séance du 16 mai 2000







M. le président. Par amendement n° 608, MM. Raffarin, Garrec, Humbert et de Rohan proposent d'insérer, avant l'article 52, un article additionnel rédigé comme suit :
« Un an après la promulgation de la présente loi, l'Etat remet à chaque région un rapport présentant l'état des comptes de la Société nationale des chemins de fer français, sur la base duquel sera notamment calculée la compensation du transfert de compétences mentionné à l'article 52 de la loi n° du relative à la solidarité et au renouvellement urbains. »
La parole est à M. de Rohan.
M. Josselin de Rohan. Il est extrêmement important que les régions connaissent avec clarté l'état des comptes de la SNCF. Or, à l'heure actuelle, la comptabilité de la SNCF, qui est un très beau chef-d'oeuvre d'ésotérisme polytechnicien (sourires), répond à de telles règles que les régions ne peuvent pas connaître le prix de revient des lignes qui leur seront transférées. Il serait pourtant normal que nous sachions ce que cela va nous coûter, d'autant que nous subodorons que la note sera plutôt élevée.
Nous avons demandé que la SNCF dispose d'une comptabilité analytique que nous puissions comprendre,...
M. Charles Revet. C'est beaucoup demander !
M. Josselin de Rohan. ... que le calcul de la compensation puisse être effectué sur la base de comptes certifiés.
M. Charles Revet. Absolument !
M. Josselin de Rohan. Or, il se trouve que nous vivons encore sous l'empire de cette comptabilité à la fois compliquée et opaque qu'on appelle l'AMC 12 K, que, je crois, seulement dix personnes en France - je suis optimiste - parviennent à déchiffrer.
M. Charles Revet. Le ministre sait tout !
M. Josselin de Rohan. Monsieur le ministre, j'espère que vous accueillerez favorablement notre amendement, d'autant que vous savez l'importance que nous attachons à ce que les comptes soient clairs lorsque les transferts seront opérés. En l'occurrence, nous allons prendre en charge un réseau qui va revenir cher. Il faut au moins que nous sachions ce que cela va nous coûter. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Louis Althapé, rapporteur. Avis très favorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Monsieur de Rohan, c'est avec un certain plaisir que je vous ai écouté évoquer les polytechniciens ! (Nouveaux sourires.)
Pour ma part, me référant à un écrivain illustre, je dirais que je préfère « l'esprit de finesse » à « l'esprit de géométrie ».
Plutôt que d'émettre un avis défavorable a priori, je souhaite le retrait de cet amendement ; je m'en explique.
Tout d'abord, les dispositions concernant le calcul de la compensation du transfert de compétences seront fixées par décret en Conseil d'Etat ; c'est la règle.
Ensuite - et j'aurai l'occasion d'y revenir - les régions seront consultées lors de la préparation de ce décret, qui sera élaboré à partir de l'audit réalisé lors du lancement de l'expérimentation.
Actuellement, les comptes analytiques sont en cours d'élaboration et de mise en oeuvre. Une commission comportant des représentants des régions a été mise en place.
Pour toutes ces raisons, et non pour contredire le souci que vous avez évoqué, je demande le retrait de cet amendement ; s'il est maintenu, le Gouvernement y sera défavorable.
M. Charles Revet. Je crois que vous avez tort, monsieur le ministre.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 608.
M. Jacques Bellanger. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Bellanger.
M. Jacques Bellanger. Je comprends parfaitement que les régions demandent que les comptes leur soient communiqués ; cela me semble élémentaire. M. le ministre vient d'ailleurs de nous dire que ce sera fait.
Après tout, nous n'avons rien contre le fait que nous le décidions aujourd'hui. J'estime toutefois que cet amendement est très mal rédigé, je vous demande de m'excuser de le dire, mes chers collègues.
M. Josselin de Rohan. Sous-amendez-le !
M. Jacques Bellanger. Ce rapport porterait sur l'ensemble des comptes de la SNCF. Chaque région recevrait donc l'ensemble desdits comptes. Bon courage pour le dépouillement région par région !
Par ailleurs, le rapport serait publié « un an après la promulgation de la loi ». Mais il n'est précisé ni sur la base de quels comptes ni pour quelles années.
Enfin, nous parlementaires, nous qui votons et déterminons les modalités financières de ce transfert de compétences nous ne serions pas destinataires de ce document !
Ces observations ne militent pas en faveur du vote de cet amendement.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Je voudrais insister en faveur du retrait de cet amendement.
Vous savez, monsieur de Rohan, que l'objectif - je l'affirme devant la Haute Assemblée - est que la certification soit faite par les commissaires aux comptes, que les garanties soient les mêmes que pour les comptes des entreprises privées.
Il ne faut pas laisser planer une suspicion. Mon souci est que nous ne partions pas avec l'idée que, au fond, nous ne jouons pas le jeu dans cette affaire.
Nous aurons l'occasion de revenir sur tous les problèmes portant sur les transferts de ressources, de compétences et de charges et, en cet instant, monsieur de Rohan, j'en appelle à votre sagesse, en insistant pour que vous retiriez cet amendement, faute de quoi, je le répète, le Gouvernement le rejettera.
M. Jean-Pierre Raffarin. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Raffarin.
M. Jean-Pierre Raffarin. Nous ne sommes pas favorables au retrait de l'amendement n° 608.
Je voudrais dire à M. Bellanger que sa vision sur le fond a été appréciée. Quant à ses remarques sur la forme, on peut, certes, toujours rechercher une plus grande perfection stylistique, mais il s'agit bien des comptes sur la base desquels sera notamment calculée la compensation du transfert. Ce que nous demandons, ce sont donc bien les comptes relatifs à ce transfert, et nous les demandons région par région pour plus de précision, car il est très important de raisonner ainsi.
Monsieur le ministre, vous nous dites que chaque région sera consultée.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Oui, j'ai bien dit que chaque région serait consultée !
M. Jean-Pierre Raffarin. Si les régions, prises globalement, peuvent organiser des concertations, nous sommes là entre acteurs responsables, entre personnalités juridiques spécifiques, de sorte que chaque région a besoin d'avoir des informations sur l'état de ses comptes. Or on ne peut pas dire que la comptabilité de la SNCF soit, ce jour satisfaisante. Combien de fois avons-nous vu des dérives ? Combien de fois avons-nous eu des surprises ? Combien de fois nous sommes-nous trouvés confrontés à des dépassements qui n'étaient pas envisageables au moment de passer des conventions ? Nous devons donc vraiment attirer l'attention de ce partenaire majeur qu'est la SNCF sur la nécessité de présenter des comptes de manière analytique, des comptes spécifiques à chaque région et susceptibles de rassurer les partenaires.
Monsieur le ministre, vous faisiez référence à la différence entre l'esprit de géométrie et l'esprit de finesse. Pour continuer sur une approche philosophique, je vous opposerai, à la Max Weber, l'esprit de conviction et l'esprit de responsabilité. Oui à la conviction de la régionalisation ! Mais oui aussi à la responsabilité financière qui la sous-tend !
Au sein de la Haute Assemblée, grande chambre des collectivités territoriales de France, nous ne saurions engager ces collectivités sans disposer d'éléments précis à l'appui de nos décisions. C'est pourquoi cet amendement doit être maintenu et adopté !
M. Charles Revet. Tout à fait !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. J'essaie de vous convaincre avec des arguments qui ne s'opposent pas au souci qui est le vôtre, mais qui intègrent à la fois la faisabilité, l'efficacité, voire une certaine démarche, en tout cas un certain état d'esprit.
Nous sommes sur le point de généraliser la régionalisation, ce qui constitue une avancée et permet de répondre aux besoins qui se font jour dans le pays, y compris aux besoins en aménagement, comme cela a été dit.
Je ne nie pas les problèmes qui se posent. C'est au contraire parce que j'en ai conscience que j'insiste auprès de vous, mesdames, messieurs les sénateurs. Une chose est sûre : la SNCF a décidé de faire évoluer sa comptabilité, afin que les comptes soient désormais structurés, clairs, nets et accessibles. Elle sera prête en 2001, avec, je le répète, certification des commissaires aux comptes. Ce n'est donc pas un simple discours en l'air destiné seulement à vous convaincre de retirer cet amendement. Vous ferez ce que vous voudrez. Je ne pars pas d'un a priori, j'entends des arguments et j'essaie de voir comment on peut faire évoluer la situation dans ce domaine.
La compensation du transfert de compétences se fera région par région - c'est très important - et à l'appui d'une facture présentée ; elle ne sera pas fondée sur un hypothétique coût pour la SNCF ! Telle est la démarche !
Ce n'est pas secondaire, ni pour les représentants de la nation en général, ni pour le Gouvernement - même si, sur ce point, vous pouvez être critiques, c'est le jeu démocratique - ni pour une entreprise nationale comme la SNCF, qui s'engage à jouer le jeu tout comme le Gouvernement s'engage lui-même à créer les conditions nécessaires à la mise en oeuvre de comptes sérieux, contrôlables et contrôlés. Après ce débat, qui figurera au Journal officiel, on peut raisonnablement penser que la démarche proposée par le Gouvernement répond aux attentes de chacune et de chacun.
M. Jean-Pierre Plancade. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Plancade.
M. Jean-Pierre Plancade. Le groupe socialiste souhaite que l'amendement n° 608 ne soit pas retiré.
M. Bellanger a formulé, à juste titre, quelques remarques sur la forme, mais, sur le fond, ses réflexions vont dans le sens de celles qui ont été formulées par les uns et les autres.
M. Charles Revet. Très bien !
M. Jean-Pierre Plancade. Monsieur le ministre, il n'est nullement question de suspecter la SNCF ! Il s'agit simplement de demander aujourd'hui à la SNCF, avec laquelle, nous le savons, il n'est pas toujours facile de travailler, un peu plus de clarté.
Vous souhaitez que nous fassions preuve de sagesse, monsieur le ministre. Mais la sagesse consiste précisément à voter cet amendement n° 608, dans lequel sont prévues des dispositions d'autant plus utiles pour nos régions et pour nos contribuables qu'il s'agit de connaître précisément les comptes sur la base desquels sera réalisée la compensation du transfert de compétences.
M. Josselin de Rohan. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Plancade. Sinon, nous risquons de nous heurter à des difficultés dans nos régions. La sagesse nous commande donc de voter cet amendement.
M. Jean-Pierre Raffarin. Tout à fait !
M. Ladislas Poniatowski. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Poniatowski.
M. Ladislas Poniatowski. J'espère bien que les auteurs de cet amendement ne vont pas le retirer !
J'irai même plus loin. Vous qui êtes présidents de région, vous auriez pu avoir tous les quatre une exigence de plus, et ne pas simplement demander un rapport au démarrage de l'instauration de cette compensation.
Dans l'article 52, que nous allons aborder, il est bien précisé que la compensation du transfert de compétences est prise en compte dans la dotation générale de décentralisation. Or l'évolution de cette dotation au cours des années passées est loin de constituer une assurance pour vous, messieurs les présidents de régions ! Par conséquent, il serait beaucoup plus utile qu'un rapport soit transmis chaque année aux régions à partir de 2002, afin de bien mesurer l'évolution des compensations. Si, pour la DGD, n'est prise en compte que la compensation fondée sur une seule année, vous n'aurez aucune garantie d'obtenir un transfert de ressources suffisant pour faire face au transfert de compétences !
Je demande par conséquent aux auteurs de maintenir cet amendement, que nous allons bien sûr voter.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 608, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, avant l'article 52.

Article 52